NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE MÉDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
XIII
NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE MÉDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
ILLUSTRÉ DE FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE
RÉDIGÉ PAR
Benj. ANGER, E. BAILLY, A. M. BARRALLIER, BERNUTZ, P. BERT, BŒCKEL, BUIGNET, CDSCO,
DEMARQUAY, DENÜCÉ, DESNOS, DESORMEAUX, A. DESPRÉS, DEVILLIERS, Aif. FOURNIER,
A. FOVILLE, T. GALLARD, H. GINTRAC, GOMBAÜLT, GOSSELIN, Alph. GUÉRIN, A. HARDY, HEURTAÜX,
HIRTZ, JACCOUD, JACQUEIIET, lEANNEL, KtEBERLÉ, S. LAUGIER, LANNELONGUE,
LEDENTU, LIEBREICH, P. LORAIN, LUNIER, LUTON, A. NÉLATON, A. OLLIVIER, ORÉ, PANAS,
M. RAYNAUD, RICHET, Ph. RICORD, Joles ROCHARD,
Z. ROÜSSIN, SAINT-GERMAIN, Ch. SARAZIN, GERMim SÉE, Jdles SIMON, SIREDEY,
STOLTZ, A. TARDIEU, S. TARNIER, VALETTE, VERJON, AoG. VOISIN.
Directeur de la rédaetioa : le doctear JACCOTID
TOME TREIZIÈMÉ
^ _ -s
EN€A — EROT / ^ ■
dVEC 159 F.GHHES IHPEHCtEAES ^
PARIS
J. B. BAILLIÈRE et FILS
LIBRAIRES DE l’aCADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE
Bue Hautefeuille, 19, près le boulevard Saint-Germain
Londres I Madrid
HIPPOLÏTE BAILLIÈRE 1 C. BAILLY - BAILLIÈRE
NOÜVEAllpiW^N^lRE
MÉDECINE ET Dr CHIRüRGIE
PRATIQUES
ESfCAlVTHIS. — Aujourd’hui que la rigueur anatomo-pathologique
oblige à lie se servir que des mots d’une signification positive, le terme
encanthis n’a plus aucune valeur. Dire que l’encanthis est un engorgement
chronique de la caroncule lacrymale et du repli semi-lunaire interne de la
conjonctive, c’est ne rien déterminer. Il vaut mieux appeler les lésions par
leur nom, et alors on peut établir que l’encanthis étudié par Demours,
Carron du Villards et W. Mackenzie était soit une hypertrophie de la ca¬
roncule, soit un cancer de la caroncule, cancer fibro-plastique ou épithé-
lioma simple ou glandulaire.
Deux fois déjà j’ai observé sur la caroncule une hypertrophie; celle-ci
succédait à une conjonctivite purulente, il y avait sur toute la caroncule
une rougeur vive, la surface de la caroncule était couverte de papilles
hypertrophiées, quoique le reste delà conjonctive parût sain. L’œil pleu¬
rait et il y avait du mucus entre les paupières. Cette lésion, ou plutôt cet
épiphénomène, a disparu, grâce à des applications de compresses imbibées
d’eau blanche. C’est en général à une conjonctivite purulente antérieure
que l’on peut rattacher l’hypertrophie de la conjonctive. Mais il arrive
quelquefois que l’hypertrophie est due à un trichiasis de la caroncule, ou
à une plaie de cette partie. Ce sont les antécédents des malades qui indi¬
quent l’origine de l’hypertrophie et le traitement qu’il faut instituer.
Les cancers de la caroncule au début sont caractérisés par de la dureté
et ils ont une marche rapide, la partie augmente de volume, et il se forme
un ulcère dont les bords sont durs. Lorsqu’il s’agit d’un épithélioma, des
ganglions ne tardent pas à s’engorger et ils occupent la région paroti¬
dienne. Lorsqu’il y a tumeur fibro-plastique les téguments sont rouges
et consistants autour de la caroncule; dans tous les cas, il y a une con¬
jonctivite hypérémique. Mais c’est surtout quand le mal a acquis un
certain volume que ces caractères sont marqués.
ENCENS. — SORTES COMMERCIALES.
Il y a une maladie avec laquelle on pourrait confondre ces cancers,
c’est le chancre de la conjonctive ou la plaque muqueuse ulcérée de la
conjonctive ; mais il suffit d’une cautérisation pour changer le caractère
d’un chancre ou d’une plaque muqueuse, tandis que la cautérisation n’a
aucune action sur les cancers, sauf qu’elle en détruit une partie. Le pro¬
nostic et le traitement des cancers de la caroncule ne diffèrent pas de ceux
des autres cancers, quelle que soit leur nature.
Lorsque le cancer est limité on en pratique l’ablation. A l’aide de
pinces à griffes et de ciseaux, on enlève toute la caroncule. Lorsque la peau
est malade, on enlève en même temps la peau, de manière à ne laisser
aucune partie de la tumeur. On en est quitte plus tard pour faire une opé¬
ration autoplastique. On peut toutefois pratiquer immédiatement la res¬
tauration en prenant un lambeau sur le nez ou sur la paupière inférieure.
Caeron DD ViLLABDs, Guide pratique pour l’étude et le traitement des maladies des yeux. Paris,
1838, t, I, p. 454.
Mackenzie (W.), Traité pratique des maladies de l’oeil, traduction de Warlomont et Testelin ;
4« édition. Paris, 1856. t. I, p. 373.
A. Despbés.
BNCEIVS. — Origine. — Uencens ou oliban, est une gomme résine
produite par plusieurs espèces d’arbres du genre Bosivellia, de la famille
de Burséracées, voisine des térébinlhacées, ce sont : 1“ Le Boswellia
sacra (Flückiger), commun dans la région de la péninsule arabique, re¬
gardée par les anciens pharmacologistes, comme le vrai pays de l’encens;
car c’est à tort que la production de l’encens d’Arabie a été longtemps
rapportée au Juniperus lycia, très-abondant dans ce pays ; 2“ le Boswellia
papyrifera (Hoschstetter), Amyris papyrifera (R. Delile), Boswellia flori-
bunda (Royle), Plœsslea floribunda (Endlicher), qui couvre de vastes es¬
paces sur les côtes nord-est de l’Afrique dans le Somal et dans toute la
vallée du Nil bleu ; 5“ le Boswellia serrata (Stackb.), Boswellia thurifer a
(Colebrooke), arbre indien confondu jusque dans ces dernières années
avec les Boswellia d’Arabie d’Afrique.
Description. — Les caractères généraux dé l’encens sont les suivants :
larmes d’un jaune pâle, oblongues, arrondies, inégales, la plupart d’un
petit volüme, peu fragiles, à cassure terne, cireuse, non translucide, ce
qui les distingue nettement du mastic fourni par le Pistacia lentiscus; se
ramollissant sous la dent comme ce dernier, d’une saveur balsamique un
peu âcre et d’une odeur résineuse aromatique ; ces larmes sont entre¬
mêlées de^marrons plus volumineux, moins durs , plus sapides et plus
odorants, souvent farcis de débris d’écorce, et sont caractérisées par la
présence de petits cristaux réguliers de spath calcaire probablement
ajoutés par fraude. (L. Marchand.) Jeté sur des charbons ardents, l’encens
répand une odeur aromatique sui generis, agréable, tout à fait différente
de celle de la colophane brûlée.
Sortes commerciales. — Le commerce connaît deux sortes d’encens :
1“ V encens d’Afrique qui arrive directement de la mer Rouge par la voie
ENCÉPHALE. — lésions traumatiques. 3
de Marseille en ballots de médiocre volume; 2° V encens de Vlnde recueilli
comme le premier dans les régions orientales de l’Afrique, et qui n’ar¬
rive en Europe qu’après avoir passé par Calcutta. Cette sorte expédiée en
caisses d’un poids considérable, est en larmes généralement plus volu¬
mineuses, plus pures et plus parfumées que l’encens dit d’Afrique, aussi
est-elle plus estimée.
Quant à l’encens produit dans l’Indoustan par le Boswellia serrata, il
est consommé par les Indiens et n’a jamais été exporté en quantité assez
considérable pour figurer comme sorte commerciale sur nos marchés.
Composition. — L’encens contient selon Braconnot ; résine soluble dans
l’alcool,- 56 ; gomme soluble dans l’eau 30,8 ; résidu insoluble dans l’eau
et dans l’alcool 5,2 ; huile essentielle et perte, 8.
Usages. — Au point de vue de l’action physiologique, l’encens se place à
côté de la myrrhe, du mastic et des oléo-résines balsamiques ; il est donc
stimulant, et c’est un modificateur spécial des membranes muqueuses. A ce
titre, il pourrait 'être utilisé pour la cure des catarrhes chroniques, maisle
copahu, l’oléo-résine de térébenthine, la gomme ammoniaque, letolu, etc.,
remplissent à moins de frais ou plus sûrement les mêmes indications.
L’usage de l’encens se restreint à la confection de certains emplâtres
complexes (emplâtre céroène, emplâtre mercuriel); il figure dans la thé¬
riaque dans les pilules de cynoglosse, dans le baume deFioraventi, etc.,
encore dans tous ces composés, son rôle thérapeutique est-il d’une impor¬
tance secondaire.
Bbacoji.voi, Analyse comparée des gommes-résines [Annales de chimie, 1808, t. LVIII, p. 60).
GoiaoDKT, Histoire naturelle des drogues simples; 6' édit., corrigée et augmentée par G. Plan-
chon. 1870.
J. Jeannei..
EWCÉPBÜULE. — Cet article comprend la pathologie chirurgicale
et médicale des centres nerveux contenus dans la cavité crânienne. Les
maladies des enveloppes seront traitées ailleurs [voy. Méninges); les consi¬
dérations d’anatomie et de physiologie, ayant un intérêt pratique, seront
exposées, en même temps que celles qui concernent la moelle et les
nerfs, dans l’article général consacré au système nerveux. [Voy. Nerveux
(système) .]
PATHOLOGIE CHIRURGICALE.
Eésîons tpaumatiques. — Le crâne enveloppe et protège le
cerveau, mais pas au point, cependant, que cet organe ne soit accessible
à Faction des corps vulnérants, soit à travers les os eux-mêmes, soit ail
niveau d’ouvertures naturelles qu’ils présentent, et qui sont, pour ainsi
dire, le défaut de la cuirasse; le crâne lui-même, en certaines circon¬
stances, devient l’instrument vulnérant. La simple vibration de la boîte
crânienne produit la commotion cérébrale; l’épaisseur du crâne est,
d’autre part, bien loin d’être égale, et, dans quelques régions, la tempe,
par exemple, il est si mince et si fragile, qu’une percussion de moyenne
intensité peut le rompre et atteindre le cerveau; ajoutons que les frag-
4 ENCÉPHALE. — lésions traumatiques.
xnents, si faciles à produire alors, deviennent des corps vulnérants qui
pressent et déchirent la substance cérébrale. Il résulte de là que, sans
avoir à traiter ici des fractures du crâne [voy. t. X, p. 168), nous ne
pouvons pas, cependant, ne pas chercher à apprécier, au point de vue
de la lésion du cerveau et de ses membranes, les piqûres, coupures et
contusions du crâne, et, à leur occasion, le degré de probabilité de bles¬
sures plus profondes, et, par suite, le pronostic de ces lésions osseuses.
Les piqûres du crâne peuvent n’intéresser que la table externe ou ne
pas dépasser le diploé ; mais il arrive souvent que l’os est transpercé dans
toute son épaisseur, très-variable, commeje viens de le dire. La différence
est grande suivant la profondeur de ces piqûres; est-il toujours possible
de les distinguer au moment de l’accident? Le siège de la plaie, le volume
et le poids de l’instrument, la force avec laquelle il a été poussé, sont des
éléments de diagnostic qu’on n’a pas toujours à sa portée. Le cathétérisme
de la plaie à l’aide d’un stylet n’est pas toujours praticable et serait parfois
fort dangereux. La règle est donc de surveiller le malade; telle plaie ne
donne lieu à des accidents graves qu’après quelques jours. Il faut surtout se
tenir sur ses gardes, si, par une exploration ménagée, attentive, on a
pu constater la perforation complète du crâne. On doit aussi considérer
cette particularité des piqûres , qu’elles pénètrent les os du crâne en les
faisant éclater, et produisent des esquilles tantôt petites, tantôt larges, en
écailles, dont les bords font saillie vers le cerveau et ses membranes, à
une distance assez grande du point frappé par la pointe de l’instrument;
c’est aussi dans les piqûres du crâne que les instruments quelquefois
grêles restent fixés dans l’épaisseur des os et s’y cassent à une profondeur
variable. Nous traiterons de cette complication en parlant des corps
étrangers dans les lésions cérébrales et des procédés d’extraction qui leur
conviennent.
Les instruments tranchants agissent sur le crâne dans différentes direc¬
tions; leur action est perpendiculaire ou plus ou moins oblique; ils le
divisent plus ou moins profondément, mais nous n’avons à nous occuper
ici que de la division profonde de l’os. S’il est alors complètement divisé,
le cerveau peut être atteint de plusieurs manières sans avôir été entamé
lui-même, ce que nous examinerons à part ; I» la dure-mère mise à nu
est exposée au contact de l’air et doit s’enflammer ; 2“ les vaisseaux du
diploé et de la dure-mère, ouverts par l’instrument, peuvent donner lieu
à un épanchement de sang intra-crânien ; 5“ des esquilles détachées
peuvent blesser le cerveau et ses membranes. Le pronostic est grave
alors; une entaraure plus superficielle de l’os pourra, au contraire, n’être
que fort simple. Cependant il faut encore, dans ces blessures du crâne
non pénétrantes, tenir compte du poids de l’instrument et de la force
qui l’a animé, car son action rentrerait quelquefois dans celle d’un
corps contondant.
Dans les plaies du crâne par instrument tranchant, le diagnostic est plus
facile que dans les piqûres ; on écarte les bords de la plaie extérieure et
on peut voir et sentir la lésion de l’os. Il pourra cependant rester de l’in-
ENCÉPHALE. — lésions TRAUMATIQDES. 5
certitude sur l’étendue de la plaie de l’os, qui, de la coupure peut s’é¬
tendre en fêlure à une certaine distance ou se propager à la table in¬
terne avec les complications déjà entrevues plus haut. La portion d’os
coupée peut être de petit volume, avoir perdu ses adhérences avec les
parties molles voisines, ou, au contraire, être beaucoup plus large et
avoir conservé ses adhérences avec le péricrâne et le cuir chevelu. Dans
■le premier cas, au point de vue de la lésion cérébrale et d’une inflam¬
mation consécutive qui peut s’étendre à travers le diploé jusqu’aux
membranes du cerveau, il faut achever de séparer le fragment osseux,
et ne réappliquer sur la plaie de l’os que le lambeau de parties molles ;
dans le second cas , à l’exemple de A. Paré, serait-il préférable de le
réappliquer sur les parties adhérentes qui le nourrissent et favorisent
son recollement? L’observation de A. Paré est des plus favorables à
cette pratique. « Ce que je feis au capitaine Hydron, lequel depuis peu
de temps fut blessé en ceste ville d’un coup d’espée au milieu de l’os
coronal, et estoit ledit os coupé du tout jusques à la dure-mère, de gran¬
deur et largeur de trois doigts ou environ, tellement qu’il se renversoit
sur le visage et ne tenoit plus qu’au péricrâne et cuir musculeux, en¬
viron trois doigts ; et promptement voyant icelle plaie, fus quasi d’opinion
de parachever du tout le couper ; mais considéray qu’Hippocrate et les
autres bons praticiens ont toujours prohibé de ne laisser le cerveau
découvert, s’il est possible; puis j’essuyay le sang, qui estoit tombé sur
la dure-mère, laquelle on voyoit fort mouvoir à l’œil; puis renversay la
piece, qui estoit séparée, la posant en son lieu, et pour la mieux tenir
feis trois points d’aiguille aux parties supérieures et mis des petites tentes
aux côtés de la playe afin de donner issue à la sanie, et le tout fut si bien
adapté, que, par la grâce de Dieu, il en guérit, iaçoit qu’il eust encore
plusieurs grands coups d’espée tant au travers'd’une cuisse, qu’au visage
et un autre au costé droit près la mamelle passant le long des costes,
pénétrant outre de l’autre part en la partie basse de l’omoplate. »
Malgré ce beau succès et quelques autres analogues obtenus par
Rouhault, Belloste et Léaulté (vingt-deuxième observation de Ledran,
1. 1, p. 146), et quoique A. Boyer ait adopté cette pratique, elle n’a pas
conservé les suffrages de la plupart des chirurgiens. Son avantage est
bien de laisser au crâne toute son épaisseur, et, par suite, au cerveau la
protection de son enveloppe osseuse, mais la réussite est si incertaine
et la tentative si dangereuse, qu’elle est restée, aux yeux de Dupuytreu
et des chirurgiens de son école , une grave imprudence. Dans l’immense
majorité des cas la pièce osseuse ne se réunirait pas à l’os, dont elle a été
détachée, et ne serait plus qu’un corps étranger dont la présence canse-
rait de sérieux accidents, prolongerait du moins la durée-du traitement et
finirait par exiger l’extraction d’un séquestre. La règle adoptée est donc
de retrancher anssitôt la pièce osseuse, de réappliquer le lambeau de
parties molles, et de le maintenir soit à l’aide de bandelettes aggluti-
natives, soit par des points de suture, en ménageant une issue au pus. On
mettrait plus tard le cerveau à l’abri de contacts vulnérants et on s’oppo-
6 ENCÉPHALE. — lésions traumatiqübs.
.serait à la hernie par une plaque de cuir bouilli, de caoutchouc ou de
métal ; si enfin le lambeau de parties molles avait été lui-même complè¬
tement détaché, on pourrait essayer, sans beaucoup de chance de succès,
de le réunir par quelques points de suture, et d’obtenir ainsi une greffe
animale toute aussi applicable ici que celle d’autres parties entièrement
détachées par un instrument tranchant.
Enfin les coiys contondants en pénétrant le crâne arrivent au cerveau
de trois manières : 1“ en ébranlant la voûte osseuse et en produisant
l’ébranlement cérébral, la commotion ou même la contusion de cet
organe : 2“ en causant te décollement du péricrâne primitif ou consécutif,
celui de la dure-mère en général avec épanchement (nous y reviendrons
plus tard), l’inflammation et la suppuration du diploé; 3° une fracture de
la table interne circonscrite, ou, au contraire, large, avec aplatissement
d’une surface plus ou moins étendue de la convexité crânienne, qui peut
aller jusqu’à la production d’une convexité intra-crânienne, déprimant le
cerveau lui-même, mais sans le déchirer non plus que ses membranes, le
contour interne de la fracture n’offrant aucune aspérité assez prononcée
pour blesser le viscère et ses enveloppes.
Nous avons à étudier, sans faire Thistoire des fractures, déjà traitées à
l’article Crâne, tome X, page 168, les différents modes de pression du
cerveau, Ses diverses lésions depuis le simple ébranlement jusqu’à la
contusion, depuis la compression exercée par. un fragment de fracture
jusqu’à celle qui est l’effet d’un épanchement sanguin ou purulent, ou
toute autre tumeur qui réclame das soins chirurgicaux ; les diverses plaies
du cerveau devront aussi nous occuper, .ainsi que les corps étrangers qui
les compliquent.
Commotion, — On sait que la commotion cérébrale est une lésion de
fonction, qui résulte de l’ébranlement du cerveau , et dont un caractère
essentiel est l’absence de toute altération de tissu visible par les moyens
d’investigation employés jusqu’ici. Elle existe sans phénomène hémiplé¬
gique, ce qui implique l’ébranlement simultané des deux côtés du cerveau.
Quant à son siège précis dans le cerveau lui-même, j’ai démontré, en
1867, quelle n’en occupait pas toutes les parties. Je reviendrai plus bas
sur ce point particulier. Ce que je veux établir en ce moment, c’est que
l’opinion générale était, il y a trois ans à peine, que, dans la commotion
cérébrale, toutes les parties de l’encéphale sont ébranlées. Il me suffit,
pour le prouver, de citer la phrase suivante, extraite du Compendium de
chirurgie : « Rien n’est plus vague que ce qui a été écrit sur la nature
de la commotion; mais tout le monde est d’accord pour reconnaître
qu’il y a ébranlement de toutes les parties de l’encéphale; jusque-là
pas de difficulté. -»
Il est question de la commotion dans les livres d’Hippocrate; Celse en
fait mention et A. Paré en traite assez longuement sous les dénominations
de « commotion, esbranlement, concussion ou escousse du cerveau.» De¬
puis, tous les auteurs lui ont consacré un article à part, mais on ne s’en
faisait point alors une idée aussi nette que dans ces derniers temps. A partir
ENCÉPHALE. — lésions traumatiques. 7
du dix-huitième siècle, en effet, on lui attribuait tous les troubles fonction¬
nels du cerveau après une percussion de la tête, quelque variées que puis¬
sent être les altérations du cerveau et de ses enveloppes; il faut arriver à
J.-L. Petit pour qu’une distinction nette entre les effets de la commo¬
tion et ceux des autres lésions cérébrales, encéphalite, épanchement de
sang, etc., soit établie.
Aujourd’hui, ou plutôt depuis quelques années, la commotion cérébrale,
pour la plupart des chirurgiens , représente un ébranlement général de
la masse du cerveau, qui en altère tout à coup, en suspend pour un temps
variable, ou en abolit sans retour les fonctions, sans cependant en avoir
altéré le tissu d’une manière apparente.
ÂNATomE PATHOLOGIQUE. — On a Cependant émis diverses opinions sür des
modifications plus ou moins appréciables subies parle cerveau au moment
même de la production de la commotion, car il faut soigneusement, sur
cette question, distinguer les cas de commotion récente, instantanée, des
lésions très-apparentes qui peuvent lui succéder, telles que l’encéphalite,
à laquelle le blessé peut succomber. La mort peut, il est vrai, survenir
au moment de la commotion violente, et ici l’autopsie n’a fait découvrir
aucun désordre matériel dans la texture du cerveau, mais plusieurs obser¬
vateurs ont signalé une sorte d’affaissement de la substance de celle du
cervelet et de la moelle allongée, devenue plus serrée, plus compacte. Telle
était, du moins, l’état des chosps dans le fait cité par Littré; il rapporte
l’observation d'un jeune criminel qui, pour échapper au supplice, se
précipita tête baissée contre le mur de son cachot ; la mort fut immédiate.
Il n’y avait aucune plaie ni fracture, mais le cerveau ne remplissait pas,
à beaucoup près, la capacité du crâne. Sabatier rapporte une observation
semblable; la mort avait été subite par suite d’un coup à la tête; il se
voyait un vide notable entre le cerveau et les parois du crâne. Les leçons
cliniques de Dupuytren, sur les blessures par arme de guerre, contiennent
une sorte de loi analogue au sujet des commotions violentes qui causent une
mort immédiate; comme dans les faits précédents, on n’aperçoit aucune
trace de lésion physique de la substance cérébrale, mais il est dit que la
matière nerveuse semble avoir perdu de sa consistance, qu’elle se déchire
au moindre effort, et que le cerveau exsangue est affaissé sur lui-même.
11 y a, dans cette dernière assertion relative à la consistance du cerveau,
une très-notable différence avec l’opinion de Littré ; mais il faut remarquer
que Dupuytren ne cite aucune observation. Peut-être même les auteurs
du Compendiim de chirurgie on,t-ils interprété d’une manière inexacte la
pensée de Dupuytren touchant l’affaissement du cerveau ; il ne dit pas que
cet organe ne remplit pas le crâne; il se borne à soutenir qu’il est affaissé,
mol, sans consistance, comme on le voit dans le ramollissement total ou
du moins borné à l’un des hémi.sphères.
D’autres observations établissent qu’à la suite de la commotion, promp¬
tement, mais non pas immédiatement mortelle, le cerveau n’est pas plus
ferme , comme dans le fait de Littré , ni exsangue et mol , ainsi que
l’affirme Dupuytren; mais, au contraire, que, sans avoir changé de
8 ENCÉPHALE. — lésions TRADMATIQDES.
consistance, il est sablé de sang suintant à la coupe et à une légère
pression. La mort, il est wai, n’était survenue qu’au bout de trois quarts
d’heure, une heure au plus dans un fait cité par Bayard, médecin légiste,
trop tôt ravi à la science ; mais ce fait suffit pour dénaontrer que, dans la
mort rapide qui suit la commotion, il survient presque immédiatement
aussi un afflux sanguin qui contribue beaucoup à la perte du blessé, s’il
ne la produit pas seul, ainsi qu’il est facile de l’admettre pour les cas
assez rares où l’extinction de la vie est subite.
Il faut distinguer de ce piqueté de la substance cérébrale, de très-petits
épanchements miliaires signalés par L. J. Sanson, ancien chirurgien de
l’Hôtel-Dieu de Paris, comme un caractère analogue à la commotion.
Quand ils existent il n’est plus seulement question de commotion; ils ne
peuvent, en effet, appartenir qu’à la contusion cérébrale, puisqu’à leur
niveau la substance nerveuse est ecchymosée et ramollie.
Quand les malades ont survécu quelques jours , et même quelques
semaines, l’état congestif que nous avons indiqué plus haut a été le
premier degré d’une encéphalite qui n’est alors qu’une complication de la
commotion, et les lésions anatomiques qui la suivent ne peuvent être
données comme caractéristiques de la commotion, puisqu’on les trouve à
la suite d’autres maladies accidentelles de la tête; il suffit de les indiquer
pour être convaincu du fait. Ce sera un épanchement séreux (Morgagni),
probablement le liquide céphalo-rachidien, alors peu connu, des épanche¬
ments de sang, des collections purulentes (Sabatier, Boyer), qui, d’après
Morgagni, ne sont pas constants et ne sont que des accidents inflamma¬
toires et consécutifs, mais seulement possibles. 11 en faut dire autant des
engorgements et abcès du foie signalés par Desault et Bichat.
Quant à la nature de la commotion, aux changements intimes de la
substance nerveuse, éprouvés par le fait d’un ébranlement, que personne
ne conteste, rien de plus vague que ce qui a été écrit à ce sujet. La
diminution de volume, admise par Littré et Sabatier, est niée par Bichat,
qui se demande si elle ne se réduit pas à une apparence due à la manière
dont l’autopsie a été pratiquée. Nélaton n’adopte pas non plus celte
espèce de tassement du cerveau, qui supposerait dans le crâne un vide
inadmissible, et croit que l’écoulement du liquide céphalo-rachidien pen¬
dant l’auptosie peut faire croire à un affaissement qui n’est pas réel ; mais
on lui répond que cet écoulement a lieu dans toutes les autopsies; que la
diminution du cerveau signalée n’est pas un fait ordinaire, et que, du
moins, faut-il admettre que, dans les cas de Littré et de Sabatier, la
quantité du liquide écoulé a dû être beaucoup plus considérable, et
qu’alors le cerveau tenait moins de place. On ajoute que l’espace vide
supposé nécessaire entre le crâne et le cerveau, ne l’est pas même dans le
cas de retrait de l’organe; le liquide céphalo-rachidien, qui passe facile¬
ment de la cavité du rachis dans celle du crâne, prendrait la place aban¬
donnée par le cerveau.
Ce n’est donc pas une raison sérieuse' que d’alléguer la nécessité d’un
espace vide, qui n’existe pas en tout état de cause, pour rejeter unphéno-
ENCÉPHALE. — lésions traumatiques. 9
mène attesté par des hommes si éminents dans la science chirurgicale.
N’admettre d’autre part comme lésion matérielle de la commotion céré¬
brale que les phénomènes consécutifs, un défaut de ressort de la fibre
nerveuse, un affaiblissement qui n’est que l’expression de la lésion fonc¬
tionnelle, une contusion moléculaire, pure spéculation, un engorgement
cérébral, véritable complication , qui exige la survie du blessé au moins
pendant quelques heures, c’est aller au delà ou rester en dehors des faits
observés, et c’est ne rien mettre à la place du résultat de ces observa¬
tions. Il n’est pas impossible, au contraire, de se rendre compte de la
diminution de la masse cérébrale en reconnaissant la concentration ou la
suspension de la circulation du cerveau au moment de l’accident, la pro¬
pulsion du sang veineux vers les sinus méningiens, enfin le tassement
des particules nerveuses, sous l’influence de la force centripète, qui leur
est communiquée de toute part par les vibrations des parois du crâne.
{Compendium de chirurgie, t. Il, p. 608.) Admettons donc comme seul
phénomène physique observé, jusqu’ici, mais rare, la diminution de vo¬
lume du cerveau. Quant à la lésion fonctionnelle, c’est le moment de la
faire connaître, elle est en raison de la force de l’ébranlement cérébral ;
il est des commotions foudroyantes produisant la mort immédiate ; beau¬
coup plus souvent on a le temps d’observer plusieurs degrés dans la com¬
motion, ils sont en rapport avec la cause.
Premier degré. — Un homme tombe-t-il d’une hauteur médiocre
sur les talons les jarrets tendus, sur le siège ou les genoux? Fait-il
une chute sur la tête, d’une faible hauteur? reçoit-il sur cette partie
un oreiller, un matelas, un lit de plumes, une botte de paille tombés
de haut? a-t-il même la tête fortement ébranlée par une main vi¬
goureuse, qui lui a saisi les cheveux, et lui imprime de violentes se¬
cousses? il lui survient des éblouissements, des scintillations dans les
yeux, des bruissements, des sifflements d’oreilles, des tremblements spas¬
modiques dans les muscles, des nausées, des vomissements; les genoux
fléchissent, le corps chancelle, mais il n’y a point perte entière de con¬
naissance et le malade conserve le sentiment de l’existence ; au bout de
quelques minutes, une demie heure, les symptômes se dissipent peu à
peu et complètement sans laisser d’autre trace qu’un peu de faiblesse
musculaire et d’inaptitude cérébrale pour un temps très-court.
Deuxième degré. — Les phénomènes précédents sont plus marqués, et
d’autres se montrent : il y a chute du corps, perte totale de l’intelligence,
relâchement des sphincters, qui laissent échapper les urines, quelquefois
les matières fécales, il y a vomissement, syncopes plus ou moins longues,
prostration générale, le blessé reste dans le décubitus dorsal, les membres
en état de résolution complète ; ou les soulève, ils retombent lourdement
sur le lit, mais ils ne sont pas paralysés ; en effet, bien qu’au point de vue
de la connaissance, la vie de relation soit suspendue, qu’il y ait indiffé¬
rence aux excitations cérébrales, que les malades ne voient, n’entendent
rien et ne paraissent avoir qu’une sensibilité tactile obtuse, si on les
pince fortement, ils retirent à eux leurs membres pour échapper à la
10
ENCÉPHALE. — lésions teaümatiqües.
douleur, et font entendre une sorte de gémissement, qui témoigne de
leur impatience, les paupières sont fermées, les pupilles larges et immo¬
biles, la respiration petite et douce, le pouls petit et lent, on le trouve à
55,50 pulsations par minute ; on l’a vu tomber à 50,55, et même 18 ou
20 battements.
A partir de ce point d’altération fonctionnelle , l’engourdissement du
cerveau diminue peu à peu, les sens reviennent graduellement, mais il y
a des variétés et des nuances nombreuses. 1! ne faut pas croire que le ré¬
tablissement de l’intelligence et des fonctions se fasse avec rapidité et ré¬
gularité. Il faut souvent huit ou dix jours et plus pour la guérison, et pen¬
dant ce temps on constate des alternatives d’accroissement et de diminu¬
tion dans le degré de connaissance ou d’apathie, le malade, entend avant
de pouvoir parler; s’il répond, c’est par monosyllabes, ou bien il laisse
la réponse inachevée ; tout effort de volonté et d’intelligence le fatigue
promptement ; si on persiste à prolonger l’entretien, il témoigne même
de son impatience et de l’ennui qu’on lui cause; d’autres fois, il ne peut
répondre parce qu’il a perdu la mémoire de certains mots ; de certains
faits nouveaux ou anciens q\i’il confond et mêle sans pouvoir les distin¬
guer où les formuler. (Desault.) Il a surtout perdu toute notion relative à
l’accident dans lequel la commotion s’est produite ; cependant les sens
reprennent graduellement leur action, l’iris retrouve sa contractilité ; la
déglutition redevient possible, si on porte le biberon dans le fond de la
bouche, parce que les mouvements volontaires qu’exigerait le premier
temps de la déglutition ne s’accomplissent qu’à la suite d’une forte stimu¬
lation ; il y a souvent constipation, rétention d’urine, qui ne s’échappe
que par regorgement ; certains muscles de la vie organique agissent ce¬
pendant avec énergie. Ainsi Ph. Boyer cite dans ses notes au livre de
son père, l’observation d’une femme qui, à cette période de la commo¬
tion, accoucha heureusement et sans en avoir conscience d’un enfant vi¬
vant, et se rétablit promptement.
L’amélioration est de plus en plus prononcée, l’appétit renaît, la diges¬
tion s’opère régulièrement, mais pendant un temps variable, on voit per¬
sister de la faiblesse musculaire, une réelle incapacité pour les opérations
du travail de l’esprit. Il serait difficile aussi d’indiquer la durée de
chaque période de la maladie, et celle de la maladie elle-même. Il est
des commotions dont les effets sont promptement dissipés, d’autres où ils
se prolongent pendant des mois entiers; d’abord, au lieu de se terminer
heureusement, la commotion cérébrale du deuxième degré peut arriver
à une issue fatale par le développement de l’encéphalite ; au lieu de la
disparition graduelle, on voit des phénomènes de réaction ; une fièvre
continue avec redoublement, puis délire, s’établit, et les malades succom¬
bent au bout de quelques jours à partir de l’apparition de ces symptômes .
Quelquefois cependant cette encéphalite se fait attendre beaucoup plus
longtemps, et sous la forme d’un ramollissement cérébral. Boyer cite
l’histoire d’un enfant qui resta hébété pendant plusieurs mois, ne pouvait
plus parler que par un oui ou non, et dont le rétablissement fut très-
ENCÉPHALE. — lésioss TRAUMATIQUES. H
tardif. J’ai vu récemment un adulte, après une forte commotion, rester
pendant plusieui’s mois comme abruti, finir par perdre involontairement
les matières fécales, et périr avec un ramollissement encéphalique chro¬
nique. Quelques blessés aussi gardent toute leur vie des traces de l’acci¬
dent cérébral éprouvé. « J’ai vu, dit Dupuytren, le raisonnement, le
jugement et la mémoire altérés à des degrés différents, et quelques
malades ne pouvoir pendant un très-long temps se rappeler les uns, les
noms des lieux, les autres les noms des personnes, ceux-ci les substantifs,
ceux-là les adjectifs, quelques autres substituer des termes génériques aux
noms spécifiques, ou se servir du mot chose ou autres analogues, au lieu
des noms propres que leur mémoire ne leur fournissait plus. » Tout le
monde a vu ces phénomènes, dans la première période, mais cette
aphasie et l’espèce d’idiotisme qui l’accompagne, sont aussi des phéno¬
mènes observés pendant une existence plus ou moins prolongée.
Enfin, comme nous l’avons indiqué en commençant, il y a des commo¬
tions foudroyantes; c’est le troisième degré. L’homme frappé tombe
comme un animal à l’abattoir, les sens, les facultés intellectuelles, la res¬
piration, la circulation sont suspendus ; il n’y a plus d’autres signes de vie
que quelques mouvements convulsifs des membres ; ils disparaissent par
degrés, et c’en est fait de la vie. Il est douteux qu’on ait pu rétablir alors
la circulation et la respiration, et encore moins, après avoir rétabli ces
fonctions à peu près éteintes, ramener les malades à le vie, en les pré¬
servant, par un traitement quelconque, contre des a.cidents mortels
consécutifs.
Siège. — Ce n’est qu’après avoir fait le tableau de la commotion céré¬
brale qu’il était, je crois, convenable de poser définitivement la question de
son véritable siège. J’ai dit en commençant que l’opinion encore aujour¬
d’hui dominante est que la commotion est une affection essentiellement
générale du cerveau; ce n’est pas que quelques auteurs n’aient avancé que
l’ébranlement pouvait parfois se concentrer plus particulièrement sur
quelque région déterminée de l’encéphale. C’est la question que se posait
Gama pour les cas ou des symptômes graves venaient à paraître, tels que
le délire, l’agitation, la fièvre, la paralysie partielle, l’hémiplégie ; mais
elle a été résolue par la négative, et ces aggravations ont été justement
considérées comme le résultat des progrès de la congestion cérébrale,
de la méningite, de l’encéphalite, ou souvent aussi d’une contusion
cérébrale, dont les effets ont d’abord été confondus avec ceux de la
commotion, ainsi que cela arrive fréquemment quand çes affections
traumatiques sont simultanées. D’autre part, Dupuytren dit avoir sou¬
vent observé que l’affaiblissement des fonctions du cerveau ne portait
pas d’une manière égale sur toutes les fonctions ; que tantôt c’était
les fonctions relatives à l’intelligence, tantôt les fonctions relatives au
mouvement, et même que, dans ces deux ordres de fonctions, certaines
actions pouvaient être altérées plus que les autres, ainsi l’action des
sphincters de la vessie et du rectum, celle des muscles des membres su¬
périeurs, inférieurs, droits et gauches; d'où il semble que la commotion
12
ENCÉPHALE. — lésions traumatiques.
ait moins porté surJa totalité du cerveau que sur certaines parties de cet
organe ou de la moelle épinière et des plexus nerveux. {Traité des bles¬
sures par armes de guerre, 1. 1, p. 255.) Ce n’est pas sans étonnement
que, dans ces lignes on voit cet éminent chirurgien révoquer, pour ainsi
dire en doute les phénomènes de totalité qu’il a contribué plus que tout
autre, en ce siècle, à faire connaître comme caractéristiques de la com¬
motion cérébrale ; confondre, notamment en ce qui touche aux mouve¬
ments, les troubles delà moelle épinière avec ceux du cerveau, et des re¬
tards de rétablissement consécutifs portant sur telle ou telle partie, re¬
tards dus ordinairement à des' complications inflammatoires, avec les
effets immédiats de l’ébranlement cérébral ; un peu plus et il perdait de
vue les différences de la commotion et de la contusion qu’il a si bien et si
nettement établies. C’est à douter si dans la page indiquée, les interprètes
de ses leçons, Paillard et Marx, ont exactement rédigé les idées du maître.
Quoi qu’il en soit, nous resterons fidèles à l’opinion générale, en ce sens
que nous n’admettrons pas que, dans la commotion cérébrale, la partie
intellectuelle du cerveau puisse rester indemne, tandis que les portions qui
président aux mouvements seraient seules ou particulièrement atteintes.
Ce n’est point de cette manière que dans mon mémoire de 1867, j’ai cru
pouvoir envisager ce sujet. Il est bien démontré que c’est surtout et avant
toute autre la fonction d’intelligence et de relation volontaire, qui est
frappée, suspendue, abolie dans la commotion cérébrale ; mais s’en suit-
il que toutes les parties de la masse cérébrale soient nécessairement ébran¬
lées pour que les effets de la commotion soient produits? là était la
question : j’ai cru la résoudre de la manière suivante. Si la commotion
est assez violente pour produire la mort immédiate, on ne peut savoir par
les effets observés, si l’ébranlement cérébral a été de la totalité du cerveau,
on peut seulement le présumer; mais quand le blessé a survécu à l’acci¬
dent, eta vécu plus ou moins longtemps, qu’il se soit ou non rétabli, il suf¬
fira pour juger la question posée, de constater quelles sont, après le coup
reçu, les fonctions qui persistent aussi bien que celles qui font défaut, et
d’exclure du siège habituel de la commotion les portions du cerveau, dont
la physiologie expérimentale a déterminé avec précision la fonction et
dont l’action continue. On arrive ainsi à reconnaître que le bulbe rachi¬
dien, la protubérance annulaire, les pédoncules cérébraux, autant qu’il est
possible de séparer leur action de celle de la protubérance, les tubercules
quadrijumeaux, surtout les tubercules antérieurs, ne sont pas sensible¬
ment atteints dans la commotion cérébrale. Pour le cervelet, bien qu’il soit
très-probable qu’il ne peut échapper à la commotion dans les chutes sur
le siège et les percussions de la région occipitale, on ne peut constater les
troubles dans la coordination des mouvements chez un animal dont les
membres, par le fait même de la maladie, la commotion cérébrale, sont
dans la résolution complète. Je dirai un mot plus bas de la commotion du
cervelet considérée isolément.
Les fonctions des couches optiques et des corps striés n’étant pas con¬
nues, il n’y a pas lieu d’observer leurs modifications fonctionnelles ; seule-
ENCÉPHALE. — lésions teadmatiques. J 5
ment l’absence de paralysie des membres dans la commotion autorise à
croire que ces organes n’ont éprouvé aucune lésion profonde.
Ce sont les hémisphères cérébraux, exposés par leur situation à rece¬
voir le choc des vibrations du crâne, qui sont le siège à peu près exclusif
delà commotion, et surtout leur substance grise; en effet, l’intelligence,
les facultés intentionnelles et affectives, sont suspendues, même dans les ,
commotions légères.
La commotion cérébrale n’occupe donc pas tout l’encéphale, et c’est la
physiologie expérimentale qui nous l’apprend.
Commotion cérébelleuse. — Une très-curieuse observation recueillie par
Castan, agrégé de la Faculté de Montpellier, et présentée par moi en
son nom à l’Académie des sciences, donne la preuve que la commotion
du cervelet peut se produire et être observée par des caractères propres,
en dehors et isolément de la commotion cérébrale, qui n’avait été que
très-légère; une percussion directe sur la région occipitale en avait été la
cause : la connaissance était parfaite, mais la titubation des membres,
l’impossibilité de les diriger furent les symptômes de la commotion
cérébelleuse. Huit ou dix jours suffirent à la guérison. Éette observation
remarquable établit la possibilité de la distinction complète des commo¬
tions du cervelet et du cerveau, et est en même temps une confirmation
très-concluante des expériences de E’iourens sur les fonctions du cervelet.
{Montpellier médical, oct. 1868.)
Diagnostic. — Le diagnostic de la commotion cérébrale ne peut être
déduit que de la comparaison de cette affection avec plusieurs autres ma¬
ladies du cerveau, et particulièrement avec la contusion de cet organe :
il faut donc reinettre d’en parler après la description de ces lésions trau¬
matiques.
Le pronostic varie nécessairement avec le degré : la commotion est
d’autant plus grave qu’elle est plus forte, à cause du trouble plus ou
moins prolongé qu’elle peut amener dans les facultés intellectuelles. Ce¬
pendant on cite, à ce sujet, de bien singulières observations : un fou
aurait dû le retour de sa raison à une violente commotion cérébrale ! Le
père Mabillon, dans son enfance, était d’une intelligence très-faible ; son
esprit ne sè serait développé qu’après une chute à la suite de laquelle on
le trépana. N’avait-il donc qu’une commotion pour laquelle on ne tré¬
pane point? On ne saisit pas le rapport qui peut exister de cause à effet
entre la percussion de la tête suivie de trépan et l’intelligence incontes¬
table du père Mabillon.
Il se rencontre assez souvent, dans la pratique, que la commotion
frappe un individu pris de vin. J’ai reconnu, en maintes circonstances,
que c’est là une fâcheuse coïncidence et que la mort arrive plus prompte¬
ment alors, ou survient même lorsque, sans l’ivresse, la commotion n’eût
pas été mortelle. Sans doute, il faut tenir compte, dans ces cas, des de¬
grés de ces deux états cérébraux ; mais, quand l’un et l’autre sont très-
prononcés, la mort n’est pas seulement certaine, elle est rapide. A fortiori,
le cas est-il plus grave si la commotion est en même temps compliquée
■14 ENCÉPHALE. — contusion du cerveau.
de contusion cérébrale, d’épanchements sanguins; mais on n’apprécie
jamais aussi bien la portée de l’alcoolisme, en pareille occurrence, que si
la commotion est le seul effet traumatique à observer dans l’accident.
Traitement. — Il doit varier suivant le degré de l’ébranlement cérébral;
on peut dire qu’il présente deux indications principales : 1° ranimer le
système nerveux ; 2“ prévenir et combattre la congestion sanguine et. les
complications inflammatoires. Administrer indistinctement les stimu¬
lants, les antiphlogistiques, dès le début et à tous les degrés de la ma¬
ladie, ce serait s’exposer à faire périr le blessé. Dans la première période
de la commotion, il convient d’employer les stimulants spiritueux et
diffusibles, présentés à l’entrée des narines, et en onctions sur le front
et les tempes, tels que l’ammoniaque, l’éther sulfurique, l’acide acéti¬
que ; des frictions seront faites aussi à la région précordiale avec la main,
une brosse un peu dure, une flanelle imbibée d’un liquide stimulant.
A l’intérieur seront données, par cuillerées à bouche, des potions cor¬
diales, en observant des précautions propres à empêcher la chute du li¬
quide dans les voies aériennes ; des applications froides sur la tête, quel¬
quefois la glace en permanence, seront aussi des remèdes de la première
période. Mais si, les jours suivants, il survient des phénomènes de stase
et de congestion sanguine, des menaces de réaction, à l’application de la
glace seront associées les émissions sanguines, locales, par les sangsues ;
les ventouses scarifiées à la nuque, derrière les oreilles; des lavements
purgatifs, des sinapismes répétés aux membres inférieurs ; et ces moyens
seront mis en usage, tant que les symptômes ne s’amenderont pas d’une
manière notable. En cas d’amélioration même, on en continuera l’emploi
dans une certaine mesure.
Dupuytren préconisait, en tête des moyens révulsifs, de larges vésica¬
toires à la partie postérieure du col, entretenus jusqu’à la disparition de
tous les symptômes. Suivant lui, l’efficacité de ce moyen était telle que,
souvent en moins de douze heures, l’amélioration était sensible, et cela
dans les cas même les plus graves ; mais, avant lui, Desault avait ouvert
la même voie en faisant raser le cuir chevelu et appliquer une calotte
d’emplâtre épispastique. Le résultat n’était pas la formation de vésicules,
mais une exsudation blanchâtre, adhérente, qu’il faut enlever à chaque
pansement, malgré les douleurs éprouvées par le malade, et peut-être à
cause de ces douleurs « moyen cruel et énergique, dit Bichat, mais sou¬
vent utile. »
L’électricité paraît avoir réussi, dans des expériences faites par Magen¬
die, sur les lapins. Ces bons résultats ont été confirmés par S. Cooper et
Gama, qui conseillent d’employer une pile dont un des pôles serait mis
en contact avec la nuque et l’autre avec la base du tronc. Cette applica¬
tion, d’une utilité douteuse, n’est pas jusqu’ici entrée dans la pratique.
Contusion du cerveau. — Très-souvent confondue avec la com¬
motion et la compression de cet organe, elle en diffère par les symptômes,
la gravité, et avant tout par la lésion organique.
Anatomie pathologique. — La contusion occupe presque toujours
ENCÉPHALE. — contusion do cerveau. 15
le cerveau ; on l’observe moins souvent au cervelet, cependant je l’ai
vue maintes fois dans cette portion de l’encéphale, et comme dans le
cerveau elle est ordinairement bornée à la substance grise et à la partie
la plus superficielle de la substance blanche. Quelquefois néanmoins la
contusion est plus profonde, et, en procédant de force de la substance
grise à la substance blanche, elle peut pénétrer dans celle-ci à plusieurs
centimètres de profondeur. La mollesse du cerveau fait comprendre
comment, sans avoir été frappé par l’instrument vulnérant lui-même,
et sans fracture du crâne, il peut avoir été le siège d’une contusion
caractérisée par une altération visible de son tissu. Nous savons déjà que
la simple vibration des os du crâne produit un ébranlement cérébral qui
altère les fonctions ; il nous est facile de comprendre qu’une vibration
plus énergique et surtout un changement de forme de la boîte osseuse
crânienne puisse comprimer et contondre, soit au point frappé, soit en
des points multiples et au point opposé, l’organe qui la remplit exacte¬
ment. De là une contusion directe, ou des contusions par contre-coup,
une contusion cérébrale multiple ou disséminée.
La lésion du cerveau ou du cervelet caractéristique delà contusion con¬
siste dans quelques gouttelettes de sang entourées d’un ramollissement
très-circonscrit et beaucoup plus souvent en un ou plusieurs ramollisse¬
ments ecchymosés occupant la substance grise, ou pénétrant dans la sub¬
stance blanche, formant une espèce de bouillie diffluente dans l’épaisseur
de laquelle on trouve des caillots sanguins souvent petits, mais variables
en volume, disparaissant sous un filet d’eau, et laissant à leur place une
excavation à parois inégales, déchiquetées, creusée dans la substance
nerveuse, violacée sur le contour du foyer de la contusion, et au delà
bleuâtre, ardoisée : au point correspondant, une légère couche de sang
existe sous la pie-mère. Quelquefois, dans les contusions directes, cette
membrane et l’arachnoïde sont déchirées. Plus tard, quand les malades
ont survécu quelques jours et ont succombé aux accidents inflamma¬
toires, au sang est mélangé le pus, qui s’étale en fausses membranes à
la surface du cerveau, remplit le foyer de la contusion, et modifie la
couleur de la pulpe nerveuse teintée de jaune à quelques millimètres dans
l’épaisseur de sa paroi.
Causes. — Les causes de la contusion du cerveau sont donc les per¬
cussions directes du crâne, qu’il y ait ou non fracture ; dans le deuxième
cas, elles produisent la déformation de la boîte osseuse; dans le premier
cas, avec la fracture, la saillie à l’intérieur de quelque fragment qui
déchire les membranes et la substance du cerveau même ; quelquefois
cette substance sort dans l’intervalle des fragments. Je l’ai vue sortir par
le conduit auditif externe dans une fracture du rocher. La contusion du
cerveau, dans une fracture du crâne, est toujours à craindre, surtout
lorsque l’instrument vulnérant plus ou moins aigu, comme la pointe
d’une dent de fourche, le côté évidé d’un marteau, a frappé la voûte
crânienne. C’est alors que la table interne, brisée dans un espace en gé¬
néral circonscrit, mais cependant plus étendu que la fracture de la table
16
ENCÉPHALE. — contosion dd cerveau.
externe, exerce sur le cerveau à travers la dure-mère ou après l’avoir
perforée, une pression désorganisatrice et produit la contusion céré¬
brale ; enfin les plaies par arme à feu en sont une cause fréquente. Nous
en parlerons en traitant des plaies de l’encéphale.
Symptômes. — C’est à Dupuytren qu’est due la première description
dogmatique de la contusion cérébrale. Suivant lui, les manifestations
caractéristiques de cette lésion n’apparaissent que du quatrième au
sixième jour, époque à laquelle la portion contuse de l’encéphale s’en¬
flamme; de sorte que les signes sont ceux de l’encéphalite et de la
méningite : fièvre, frissons, délire, contractures hémiplégiques, si la
contusion est unilatérale; puis, compression et hémiplégie; enfin,
mort dans l’immense majorité des cas. On voit, en effet, assez fréquem¬
ment des blessés venir aux consultations des grands hôpitaux, après une
percussion de la tête datant du matin même ou de la veille, avec une
démarche lente, un air de fatigue et d’abattement, mais sans paralysie,
réclamer les secours de l’art et un lit, parce qu’ils sont hors d’état de se
livrer au travail. Ce n’est que trois ou quatre jours après que les phéno¬
mènes d’encéphalite se montrent. Les blessés succombent promptement
aux suites de la contusion cérébrale. Dupuytren opposait cette marche de
la maladie à celle de la commotion cérébrale dont les effets, comme on le
sait depuis J. L. Petit, sont immédiats et d’autant plus marqués que l’acci¬
dent qui l’a causée est plus récent. Mais est-il rigoureusement vrai que
la contusion cérébrale n’ait pas de symptômes primitifs ? Assez souvent,
au moment du coup reçu, il y a complication d’une commotion légère
dont l’effet est bientôt dissipé, ce ne sont pas les phénomènes passagers qui
s’y rapportent qu’il faudrait prendre pour des signes primitifs de contu¬
sion. Aussi lorsque Sanson, après avoir adopté et professé les opinions
de Dupuytren sur l’absence de symptômes primitifs dans la contusion, se
sépara de lui sous ce rapport pour prétendre qu’au contraire la contusion
cérébrale a des symptômes propres et immédiats, il se fonda sur une
observation plus approfondie de la commotion cérébrale elle-même, pré¬
sentant, suivant lui, deux formes distinctes, l’une avec somnolence et
stupeur, l’autre avec agitation et mouvements convulsifs. Il ne crut pas
qu’elles pussent être rapportées à la même affection et il attribua l’agita¬
tion et les mouvements convulsifs à une contusion cérébrale compliquant
la commotion.
Bien plus, la commotion cérébrale et la contusion n’étant pas toujours
unies ensemble, L. J. Sanson considéra comme signes propres et primitifs
de la contusion dans des cas légers le resserrement d’une pupille, la con¬
tracture d’une paupière, des mouvements spasmodiques des lèvres ou de
quelque autre muscle de la face, et même la difficulté de prononcer cer¬
tains mots ; une céphalalgie continue au niveau du coup reçu, et, dans
des cas plus graves, une perte de connaissance plus ou moins complète,
avec agitation extrême et continuelle, pendant laquelle le blessé se
tourne en tous sens. Ces symptômes ont lieu sans fièvre ; mais, au bout
de cinq à six jours, surviennent les phénomènes inflammatoires et d’en-
■17
ENCÉPHALE. — contdsjon du cerveaü.
céphalite signalés par Dupuytren. II ne faut pas croire que les signes indi¬
qués par L. J. Sanson soient constants et il en convenait lui-même, mais il
est réel que, dans le plus grand nombre des cas où ces phénomènes existent,
il y a contusion du cerveau. Pour ma part, lorsque, après une percussion
plus ou moins violente de la tête, je constate une agitation marquée la
nuit, de l’insomnie, des rêvasseries qui peuvent d’ailleurs disparaître le
jour ; si j’observe, après quelques réponses en rapport avec les questions,
de l’incohérence dans les idées, pour peu que l’interrogatoire du malade
se prolonge, et cela dans les premiers jours qui suivent l’accident, je
soupçonne une contusion cérébrale et ce soupçon est presque toujours
vérifié par l’autopsie. Cependant j’ai vu aussi bien des cas de contusion
du cerveau terminés par la mort sans qu’il y ait eu lieu de reconnaître
l’agitation et l’insomnie des premières nuits, encore moins les mouve¬
ments désordonnés du malade, les plaintes incessantes et la profonde
somnolence sans respiration stertoreuse.
L’une des suites de la contusion étant la formation d’un foyer purulent
et la compression avec hémiplégie, on peut dès à présent faire entrer ces
derniers phénomènes dans le diagnostic de la commotion et de la contu¬
sion. Mais s’il s’agissait de distinguer la contusion elle-même des épan¬
chements sanguins intra-crâniens, ou d’autres agents de compression
mécanique, tels que les fragments d’une fracture, je regarderais comme
préférable de rejeter les considérations d’un diagnostic plus général après
la description de ces diverses lésions. Je me propose donc de revenir plus
tard sur certaines particularités qui, dans la pratique, embarrassent le
diagnostic.
Pronostic. — Le pronostic de la contusion cérébrale est toujours très-
grave, car ce n’est pas seulement l’étendue de la lésion, c’est sa nature
qui cause le danger. Sans doute, plus la contusion du cerveau est pro¬
fonde, et plus il y a de points contus de la substance nerveuse, plus la
mort doit sembler assurée et imminente. Cela est évident de soi-même.
Néanmoins il suffit d’une contusion très^imitée pour donner lieu à la
méningite, et à une méningite mortelle. Quand, dans l’accident, le crâne
est ouvert, et que, par l’écartement des fragments ou leur extraction, le
chirurgien a la contusion sous les yeux, le danger peut assez souvent être
conjuré. Les cas de guérison, même après l’issue d’une notable quantité
de substance cérébrale, sont nombreux dans la science, et leur authenti¬
cité hors de doute. J’en citerai des exemples en traitant des abcès du
. cerveau et des corps étrangers engagés dans cet organe. Mais si le crâne
n’est pas fracturé, s’il n’est que fêlé, si les liquides qui se forment au
niveau de la contusion n’ont pas d’issue, je ne vois pas comment la gué¬
rison pourrait avoir lieu et même être constatée. J’ai toujours été sur¬
pris de l’assurance avec laquelle quelques auteurs parlent de la résolution
dans l’inflammation traumatiqile du cerveau qui suit la contusion céré¬
brale. Pour moi, je ne l’ai jamais vue, et quand le malade a survécu à la
contusion, ce qui est rare dans la pratique d’un seul chirurgien, quel
qu’ait été le nombre de ses malades, c’était, je parle pour moi, dans des
ROtIV. DICT. HÉD. ET CHIK. XIII. - 2
18
ENCÉPHALE. — compression do cerveau.
cas où le cerveau était à nu ; ce n’est pas la résolution de la contusion
que j’ai observée alors, c’est la suppuration avec une sortie favorable au
pus ; c’est la cicatrisation, mais non pas la résolution. Or, si le crâne
n’est pas ouvert, si le cerveau n’est pas à nu, et qu’après un coup reçu à
la tête des symptômes cérébraux aient été observés, quel degré de cer¬
titude aura-t-on, si le malade guérit, qu’il ait été atteint de contusion
cérébrale? Il faut donc être très-réservé avant de déclarer qu’une gué¬
rison de contusion cérébrale a été obtenue.
Cependant on trouve dans des traités sérieux, par exemple celui de
Dupuytren sur les blessures par armes de guerre, des assertions telles
que celle-ci (il est question de l’invasion des phénomènes inflammatoires
après la contusion) : « Les saignées générales, locales, les révulsifs, etc.,
peuvent changer cet état de choses ; le sang épanché et le pus trouvé en
petite quantité peuvent être résorbés, et la guériso7i a lieu avec altération
plus ou moins prononcée d’une ou plusieurs facultés intellectuelles. »
(T. II, p. 172.) Cela paraît concluant; mais, on a le droit de demander
où sont les observations, et dans quelles conditions elles se sont pro¬
duites ; aucune observation n’est citée. Dans ces prétendus cas de guéri¬
son, n’y a-t-il pas eu quelque confusion de diagnostic? Certains cas de
commotion grave se terminent par la guérison avec altération de quelques
facultés intellectuelles, une sorte d’idiotisme même. Est-ce là ce qui aurait
été pris pour des contusions cérébrales guéries ? C’était le cas de donner
des observations nettes et précises. Encore une fois je ne conteste pas la
guérison dans des cas où la contusion était visible et le crâne ouvert.
Traitement. — Le traitement de la contusion cérébrale dans les cir¬
constances ordinaires, c’est-à-dire après une percussion de la tête sans
plaie, quand ses symptômes se montrent du quatrième au sixième jour,
est celui de l’encéphalite et de la méningite, puisque ces dernières com¬
plications en sont précisément les signes. Les saignées locales et géné¬
rales, quand le pouls du blessé en comporte l’usage; les réfrigérents sur
la tête, une diète sévère constituent à peu près toute la médication à
opposer à cette grave lésion ; mais c’est le plus souvent sans aucun succès.
La rapidité avec laquelle le blessé succombe ne donne pas lieu d’insister
longtemps sur l’administration de ces moyens. Ajoutons que la réunion
de la commotion, de la contusion et de la compression, par des agents
variés, non-seulement modifie le traitement à suivre, mais peut conduire
à d’autres indications, telles que l’extraction des corps étrangers et le
trépan lui-même.
Compression du cer-veau. — Causes et modes. — Nous avons dit
de quelle manière cet organe peut être comprimé dans les cas de fracture ;
que cette compression s’exerce sur un espace très-restreint ou sur une large
surface, dans l’un et l’autre cas elle est primitive, a lieu instantanément au
moment de l’accident, et arrive aussitôt au degré d’intensité qui lui appar¬
tient. Mais, sous le rapport des effets produits, il peut y avoir de notables
différences; un fragment de la table interne du crâne, s’il est de très-
petite dimension, pourra d’abord ne pas causer d’effet appréciable, bien
ENCÉPHALE. — compression du cerveaü. 19
qu’il touche et blesse la substance cérébrale, jusqu’au moment ou une
complication de la fracture, un épanchement, par exemple, se sera
~T(rp(né. Si c’est du sang qui est épanché, un certain temps aura pu
s’écouler avant que n’apparaissent les phénomènes de la compression ;
si c’est du pus, plus de temps encore, et ce n’est plus qu’une compres¬
sion consécutive accompagnée d’autres signes qui ne laissent guère de
doute sur sa nature. Si la compression est large, elle est instantanée.
Mais si aucune complication ne survient, comme cela s’est vu assez fré¬
quemment dans ce cas, c’est un spectacle curieux que de voir le cerveau
d’abord subir, à un degré modéré, l’influence de la dépression osseuse,
puis, au bout de peu de temps, sans pouvoir réagir, s’habituer à ce degré
de compression et remplir ses fonctions dans leur intégrité. Dans ma
longue pratique des hôpitaux comme chef de service, qui est aujourd’hui
de plus de trente-sept ans, j’ai vu trois ou quatre de ces fractures à dé¬
pression large : dans aucun cas les phénomènes de compression n’ont
duré plus d’un jour ou deux. Thomson, dans des remarques faites sur
les hôpitaux de la Belgique, en 1815, rapporte divers cas d’enfoncement
considérable des deux tables de l’os, sans aucun symptôme, ni paralysie,
ni abattement, ni perte de mémoire. Mais, en d’autres circonstances, et
sous l’influence de complications de la fracture, la commotion par
exemple, des effets immédiats graves ont lieu, la perte de connais¬
sance, etc. sans qu’il y ait de phénomènes de compression. J. L. Petit
cite une très-belle observation dans laquelle le malade revenu à lui au
bout d’un quart d’heure, se leva dès le lendemain et reprit son travail le
surlendemain. Il sentit bien quelques douleurs de tête, mais ne cessa
pas de travailler et vécut ainsi plusieurs années. Il finit par succomber
à une fièvre maligne. J. L. Petit reconnut, à l’autopsie, les vestiges
d’une ancienne fracture considérable; le temporal enfoncé et brisé en
plusieurs pièces ne s’était pas relevé ; le cerveau s’était habitué à la com¬
pression causée par cette enfonçure. (J. L. Petit, t. I, p. 77.) Il est
inutile de multiplier ces citations,
La compression du cerveau est due aussi souvent à des épanche¬
ments de sang produits par la fracture des os du crâne et dont le siège
varie. Les fractures s’accompagnent de décollement de la dure-mère ; le
sang provient de ce décollement même, soit des vaisseaux qui unissent
la dure-mère aux os, soit de ceux du diploé, d’autres fois l’épanchement
dérive de la rupture de vaisseaux plus considérables ; on a vu la blessure
de l’artère méningée moyenne y donner lieu (Béclard et Paul Dubois),
très-souvent les sinus veineux de la dure-mère perforés, la veine jugu¬
laire ouverte à sa sortie du crâne. (Bonet, Sepulchretum, t. III, p. 518).
Le sang peut bien en partie s’échapper au dehors entre les fragments,
mais il peut en partie aussi s’amasser entre le crâne et le cerveau. Les
fractures ne sont que des plaies contuses du crâne, et naturellement
celles qui sont faites par instruments pointus et tranchants sont aussi
des causes d’épanchements sanguins intra-crâniens. Morgagni a vu, chez
un paysan, le sinus longitudinal supérieur ouvert par un coup de sabot
20 ENCÉPHALE. — compression dü cerveau.
pointu ; le cerveau était traversé, et un épanchement de sang remplissait
le ventricule latéral gauche. Guthrie cite l’observation d’un enfant de
quatre ans, chez lequel une dent de râteau avait ouvert le sinus longitu¬
dinal supérieur, près de la fontanelle antérieure. Dans la contusion céré¬
brale, de petits épanchements sanguins en nappe ont lieu sous la pie-
mère, à chaque point de la surface du cerveau où existe la contusion.
C’est même le moyen de constater le ramollissement cérébral au niveau
des petits foyers de contusion de la substance grise que de soulever la pie-
mère au niveau des épanchements sanguins que présente la contusion
multiple ou disséminée. Sous le sang épanché on trouve la substance
grise molle, ecchymosée. D’autre part, dans les contusions plus profondes,
une véritable collection d’un certain nombre de grammes peut exister au
centre du foyer même de la contusion, le remplir et le distendre. Elle
a pour limites la substance cérébrale ramollie et déchirée. On voit aussi
des épanchements sanguins dans la cavité de l’arachnoïde, en général de
forme diffuse à cause de la sérosité qui s’y mêle ; ils ont, en raison de ce
mélange, une grande tendance à se porter dans les parties déclives.
Cependant, à la voûte, on rencontre quelquefois des caillots d’une assez
grande épaisseur et consistance, épais de 0‘“,01 à0“,0f 5. Il est beaucoup
plus fréquent de les trouver liquides.
Siège. — D’après ce que je viens de dire, le siège des épanchements
intra-crâniens traumatiques varie beaucoup. Le siège le plus fréquent
est entre les os et la dure-mère, à la suite des fractures, et plus souvent
à la voûte qu’à la base. Ces épanchements sont tantôt en nappe plus
ou moins étendue, et d’épaisseur variable, tantôt ils constituént une
masse circonscrite de plusieurs centimètres d’épaisseur qui déprime le
cerveau et y laisse son empreinte. Ce sont ces épanchements épais et
consistants qui résultent de la lésion de l’artère méningée moyenne ou
d’un sinus. On a vu de ces épanchements du poids de 100 à 200 grammes
et plus. Ce sont toutefois des cas, exceptionnels. Il arrive parfois que
ces épanchements perdent de leur volume en fusant entre les fragments ;
il suffit même que dans la position déclive de la fracture par rapport
à l’épanchement, comme cela se voit dans certaines fractures du ro¬
cher, la sérosité du caillot trouve issue, pour que, sous l’influence des
pulsations cérébrales, le caillot se réduise à une très-mince épaisseur.
Quelque opinion qu’on se fasse de l’origine de la sérosité par l’oreille
à la suite des fractures du rocher, et, tout en admettant que c’est sur¬
tout le liquide céphalo-rachidien qui s’échappe alors, opinion que je
partage, que j’ai même le premier émise en 1855, en le désignant à
tort sous le nom de liquide arachnoïdien, opinion reprise depuis par
Guthrie, à laquelle je n’avais renoncée que faute d’avoir trouvé la voie
de sortie de ce liquide; quelque opinion, dis-je, qu’on ait à cet égard,
il faut bien admettre cependant que, dans certains cas, la sérosité du
caillot elle-même sort par la fêlure du rocher : ceux qui ont étudié
avec soin les observations publiées sur ce point intéres.sant de patho¬
logie, et notamment les miennes, savent cela et reconnaissent que l’a-
ENCÉPHALE. — COMPRESSION DU CERTOAU. 21
platissement, et je dirais presque la dessiccation du caillot, situé entre
la dure-mère et les os, peut avoir lieu par le mécanisme que j’ai indiqué.
Je conviens qu’il faut des circonstances particulièrement favorables, mais
je les ai rencontrées. Du reste, je n’ai fait allusion à ce sujet qu’au point
de vue du retrait que peut subir un épanchement intra-crânien, situé
entre la dure-mère et les os. D’autres chirurgiens ont été plus loin et ont
admis la réduction à leur partie solide d’épanchements intra-arach-
noïdiens; l’épanchement graduellement resserré, disent-ils, se condense
et s’enveloppe d’une pellicule fine, qui l’isole et le transforme en une
sorte de foyer aplati et distinct, adossé ordinairement à la dure-mère.
(Compendium de .chirurgie, t. II, p. 617.) De là, f’erreur qui avait fait
croire à la situation de dépôts sanguins situés entre la dure-mère et le
feuillet pariétal de l’arachnoïde qui la double; erreur dissipée par Velpeau
et Baillarger.
Je n’ai point à m’occuper en ce moment des altérations que peuvent
subir et subissent, en effet, les épanchements de sang intra-crâniens ; je
ne les considère qu’au point de vue de la compression du cerveau.
On est surpris, comme je le dirai tout à l’heure, que cette compression
ait été mise en doute ; cependant il faut distinguer les cas tranchés où le
sang, fourni par des vaisseaux d’un volume assez fort, s’est épanché ra¬
pidement et de manière à former une collection circonscrite et assez
épaisse pour déprimer les parties sous-jacentes. Il est bien difficile de ne
pas reconnaître alors l’existence et la marche de la compression opérée
par l’épanchement. Quelques instants après l’accident, non pas au mo¬
ment même, d’autres fois une ou plu: ieurs heures après, le blessé perd
plus ou moins l’intelligence et tombe dans le coma.
L’œil paraît insensible, les pujiilles restent immobiles, dans un état va¬
riable de dilatation; les mouvements diminuent où disparaissent dans un
membre, ou dans tout un côté du corps, ordinairement du côté opposé
à l’épanchement ; la respiration est stertoreuse, le pouls lent, petit et
mou ; il y a tantôt rétention, tantôt incontinence des matières fécales.
D’autre part, J. L. Petit avait établi que, par le trépan, on délivre le
cerveau de la compression. Comment douter alors que l’épanchement
soit la cause de cetfe compression et de ses effets ?
Tin épanchement moins considérable donne seulement lieu à la som¬
nolence, à la lenteur des idées, de l’engourdissement dans les membres
plutôt que de la paralysie.
Si au lieu de se former rapidement, le sang a coulé lentement, en
nappe, à la surface des hémisphères, les symptômes sont moins pronon¬
cés ; ici encore, une compression large, uniforme et dont les progrès ont
été lents, est mieux supportée, et le cerveau paraît s’y être habitué.
On observe toutefois de grandes anomalies dans la marche des phéno¬
mènes dus aux épanchements sanguins. Dans le cas d’épanchements cir¬
conscrits, rapides et épais, la paralysie n’a pas toujours lieu ; j’en ai vu
plusieurs exemples, même à la voûte du crâne, sur l’un ou l’autre hé¬
misphère. Quant au délire, aux convulsions, il est probable qu’ alors la
22 ENCÉPHALE. — compression du cerveau.
contusion cérébrale et l’encéphalite viennent mêler leurs signes à ceux
de l’épanchement, et trop souvent, dans les descriptions vagues et com¬
plexes qu’ont données les chirurgiens des lésions traumatiques du crâne
et du cerveau, il existe une confusion qui se rattache au mélange des
symptômes de ces diverses lésions, qu’il serait du reste plus facile au¬
jourd’hui, avec de l’attention, de distinguer que dans le siècle dernier. Le
siège doit être pris en considération ; d’une manière générale, on doit
dire que les épanchements sur la convexité des hémisphères donnent
lieu à la paralysie hémiplégique, ou à la fois des deux côtés, plus que les
épanchements situés à la base du cerveau, et cependant ceux-ci, quand
ils sont considérables et situés au voisinage de la protubérance annulaire
et du bulbe rachidien, produisent une mort très-prompte et plus rapide
que dans toute autre situation. La mort est-elle alors le résultat de la
compression cérébrale? n’y a-t-il pas en même temps commotion et con¬
tusion violente du cerveau ?
Malgré l’évidence signalée plus haut des effets primitifs ou prochains
des épanchements sanguins intra-crâniens, la doctrine admise par l’Aca¬
démie royale de chirurgie, touchant la réalité et l’importance de la com¬
pression due à ces épanchements, a été battue en brèche par Serres, qui
n’avait en vue que les hémorrhagies spontanées et non pas les épanche¬
ments traumatiques; puis parMalgaigne, qui, à l’aide de l’expérimentation,
a prétendu résoudre la question. L’expérience consistait à injecter dans le
crâne une quantité d’eau égale au sixième dé la capacité de cette cavité
(Denonvilliers), ou au quart de cette capacité (Richet). 11 fallait, suivant
Malgaigne, cette quantité de liquide pour que les effets de la compression
fussent sensibles ; mais la facilité avec laquelle le liquide injecté se ré¬
pand à la surface du cerveau, pénètre dans le rachis, et se résorbe, fai¬
sait bientôt disparaître les phénomènes si peu marqués d’ailleurs de la
compression. Cette opinion a été adoptée par Richet, qui, à l’aide de
considérations physiologiques relatives à la répartition du liquide cépha¬
lo-rachidien, l’a défendue comme si les conditions étaient identiques
dans le cas d’un épanchement sanguin entre les os et la dure-mère.
Ici, il arrive souvent qu’il n’y a point dispersion, mais collection
d’un fluide, dont le foyer est circonscrit et dans lequel le sang est
concrescible, et devient rapidement assez solide pour que, soutenu par
la résistance du crâne, il exerce une notable pression sur les circonvolu¬
tions cérébrales qui, à son niveau, offrent un méplat et même une légère
concavité. Tous les chirurgiens ont vu de ces faits d’anatomie patholo¬
gique. Richet répond à cela que, dans le cas de gêne de l’encéphale par
un élément étranger (sang, pus, etc.), il réagit sur le liquide céphalo¬
rachidien, toujours prêt à quitter la place et évite ainsi la compression, le
liquide céphalo-rachidien n’étant jamais que proportionnel à l’espace
laissé libre entre les parois du crâne et le cerveau. En supposant que
ces idées soient applicables à certains épanchements en nappe dans les
membranes, ou sous l’arachnoïde, dans lesquels la compression est peu
prononcée, et par les raisons que développe Richet, il me paraît tomber
ENCÉPHALE, - COMPRESSION Dü CERVEAÜ. '23
dans. l’abus du raisonnement en les appliquant à l'action d’un épanche¬
ment sanguin circonscrit, rapidement formé, épais et résistant. Autant
vaudrait nier alors l’effet de la pression du doigt sur le cerveau mis à nu,
celle d’un fragment, ainsi que le retour des fonctions cérébrales par le
trépan, qui relève le fragment ou extrait le caillot. Quant à l’épanche¬
ment sanguin, on n’a pas, en effet, reculé devant cette négation de l’uti¬
lité et du résultat du trépan; mais la pratique est là, avec un certain
nombre d’observations, bien recueillies par des chirurgiens éminents,
entête desquels il faut placer l’immortel J. L. Petit. Cela est étranger
d’ailleurs à l’abus qui a été fait du trépan, resté utile pour des cas que
la sagacité chirurgicale a seulement l’embarras de bien déterminer.
Diagnostic. — C’est le moment d’essayer de dire justpi’à quel point
il est possible, au lit du malade, de distinguer la commotion de la
contusion du cerveau, et ces deux lésions des épanchements sanguins
intra-crâniens ; il n’est pas encore question de leurs conséquences plus ou
moins éloignées, telles que des collections purulentes pour ain.si dire à
longue échéance. L’accident est récent; il date du jour même où de quel¬
ques jours à peine. Or il peut se présenter des variétés importantes : la
commotion existe seule, ou elle est compliquée de contusion ou d’épan¬
chement.
Si elle existe seule, ses symptômes peuvent-ils se confondre avec ceux
d’une autre lésion'/ C’est à J. L. Petit que l’on doit les meilleures consi¬
dérations .sur ce point. Il faut distinguer les symptômes des lésions trau¬
matiques cérébrales en primitifs et consécutifs. Ceux de la commotion
sont toujours primitifs, et ils sont d’autant plus prononcés que l’accident
est plus récent.
Nous avons déjà fait connaître, en décrivant la commotion, qu’à partir
de l’accident ses effets décroissent. Or, suivant J. L.Petit,s’ilya un inter¬
valle notable entre le coup et l’apparition des symptômes, et à plus forte rai¬
son quelques jours, la lésion n’est pas la commotion; la justesse de celte loi
se vérifie chaque jour au lit du malade, et ceux qui ne la reconnaissent pas,
ont mal étudié ce sujet. Cependant cette doctrine a été mise en doute,
combattue même par Desault, Delpech, et plus récemment par Malgaigne et
Gama, mais il est facile de voir que leurs arguments, et en particulier
ceux de Desault ne sont tirés que d’une connaissance très-imparfaite de
la commotion. Desault fait entrer dans les symptômes de la commotion la
respiration stertoreuse , la paralysie partielle ou générale, les convulsions
et même les hémorrhagies des diverses cavités de la tête. Aucun de ces
symptômes ou lésions n’appartient à la commotion ; comment alors De¬
sault aurait-il pu se servir de la paralysie partielle comme moyen de dia¬
gnostic? Ces auteurs objectent que l’épanchement du sang peut être assez
subit pour que quelques instants s’écoulent à peine entre le coup et sa
formation. Cela s’est vu sans doute, mais sans compter que le fait est
exceptionnel, et que dans l’immense majoriié des cas un intervalle,
quelque court qu’on le suppose, existe entre le coup reçu et le maximum
d’intensité des symptômes primitifs qui peuvent être légitimement rap-
24
ENCÉPHALE. — compression do cerveau.
portés à la présence d’un épanchement, il y a de plus pour le diagnostic
l’espèce même du symptôme. Desault et ses adhérents ne savaient pas ou
n’ont pas fait attention que la commotion n’a pas de signes hémiplé¬
giques ; que l’hémiphégie primitive dénonce toujours, soit un épanche¬
ment sanguin unilatéral, soit la dépression vers le cerveau d’un fragment
de fracture du crâne; que, par conséquent, quand il y a paralysie ou hémi¬
plégie, ce n’est pas à la commotion cérébrale qu’on peut l’attribuer; que
ce n’est jamais dans la commotion simple que ces phénomènes peuvent
être observés, et que si on les voit en même temps qu’une commotion,
c’est que celle-ci est compliquée d’une fracture avec enfoncement ou d’un
épanchement sanguin avec ou sans fracture. Il faut donc tenir grand
compte du caractère hémiplégique des phénomènes ; ils n’ont pas de rap¬
port avec la commotion. Si la paralysie hémiplégique primitive a lieu, il
faut en chercher la raison dans quelque compression locale, telle que
celles que je viens de signaler ; fragment d’os enfoncé, épanchement san¬
guin ; mais elle a une autre signification, quand elle est consécutive et n’a
pas non plus alors un rapport évident avec la commotion, elle est ordi¬
naire au contraire dans la contusion cérébrale, et se manifeste au moment
ou à la suite de l’inflammation du cerveau au niveau de la contusion ; et
quand elle se montre du quatrième au sixième jour de la percussion du
crâne, elle est caractéristique de la contusion cérébrale. Il est vrai qu’on
a vu des épanchements sanguins traumatiques survenir consécutivement,
ou du moins ne donner que tardivement des signes de.leur présence, mais
les phénomènes inflammatoires, qui accompagnent le développement de
l’encéphalite, se rattachent d’une manière claire à la contusion, et non pas
à l’épanchement, qui produit seulement la compression mécanique et qui,
•dans certains cas même, on est autorisé du moins à le croire dans les
fractures suivies de guérison, peuvent exister à l’état latent, ce qui peut dé¬
pendre du siège et de la quantité du sang épanché. 11 sera donc en général
possible de distinguer la contusion cérébrale de l’épanchement sanguin;
la paralysie due à ce dernier, se manifestant avant le quatrième jour et
sans phénomène inflammatoire, tandis que dans la contusion elle est pré¬
cédée de fièvre, de convulsions hémiplégiques dont le début a une époque
à peu près fixe, celle de la phlegmasie cérébrale dans le foyer de la con¬
tusion. Ce n’est pas que dans les épanchements sanguins il n’y ait pas
d’inflammation méningo-encéphalique et qu’on ne puisse comme dans la
contusion du cerveau distinguer deux périodes, celle des accidents primi¬
tifs ou de compression, et celle des accidents consécutifs ou phlegmasi-
ques, mais la compression a précédé ces derniers.
Dans ces considérations relatives au diagnostic, nous avons dû supposer
les lésions simples, isolées les unes des autres, ce qui se voit dans la pra¬
tique, mais il est loin d’être rare qu’elles se combinent dans le même
accident, leur simultanéité obscurcit singulièrement le diagnostic ; il n’est
cependant pas impossible dans tous les cas, avec de l’attention et une con¬
naissance approfondie des signes qui appartiennent aux uns et aux autres,
d’arriver à apprécier leur coïncidence. Ainsi la perte de connaissance im-
25
ENCÉPHALE. — compression dd cerveau.
médiale, sans paralysie, dénoncera la commotion cérébrale; l’hémiplégie
primitive sera plutôt due à la compression e.Nercée par un fragment; celle
qui ne se prononce qu’au bout de quelques heures sera rapportée à l’épan¬
chement, et enfin si elle ne se montre qu’après le quatrième jour et posté¬
rieurement à l’invasion de la méningo-encéphalite, elle indiquera avec
plus de précision qu’on ne le croirait au premier abord l’existence de la
contusion cérébrale. Ces distinctions supposent que le blessé a vécu un
certain temps, car pour tes cas où la mort est très-rapide, une heure par
exemple après l’accident, il devient très-difficile pour ne pas dire impos¬
sible de dire les lésions qui existent, celles qui n’existent pas, de faire la
part de chacune d’elles dans la terminaison fatale, sans compter que sou¬
vent alors, comme dans les chutes d’un lieu élevé, le blessé peut avoir
succombé à d’autres lésions viscérales, dont l’action est venue s’ajouter
aux atteintes qu’a subies l’encéphale.
L’existence d’un épanchement sanguin, une fois admise, il serait du
plus haut intérêt de savoir son siège, avec la plus grande précision. L’hé¬
miplégie est une première donnée très-importante; quel que soit son de¬
gré, qu’elle soit complète ou incomplète, bornée à l’un des membres ou
étendue à tous deux, l’épanchement a pour siège le côté opposé du cer¬
veau, cette vérité paraît remonter à Hippocrate ; « Il arrive parfois des
paralysies à gauche si la plaie est à droite, à droite si la. plaie esta
gauche. » (Hippocrate, des Épidémies, livre VII ; traduction E. Littré,
t. Y, page 405.) Guillaume de Salicet exprime le fait a peu près dans
les mêmes termes, mais la démonstration appartient surtout à Valsalva;
toutefois, de son temps même, quelques médecins, sans nier cette loi
admettaient que quelquefois la paralysie peut être du même côté que la
lésion du cerveau, ce dernier fait est confirmé par des observations dues à
Morgagni, Lancisi, Desault, et de nos jours, Blandin, Bayle et Dechambre.
C’est à tort que Gall et Spurzheim prétendirent l’expliquer par le défaut
d’entre-croisement des faisceaux olivaires de la moelle ; cet entre-croise¬
ment ne laisse pas de doute, et Longet attribue cette paralysie non croisée
à la suite d’un épanchement sanguin, à des anomalies dans la marche et
la disposition des libres nerveuses, à leur passage dans le bulbe et la pro¬
tubérance annulaire; il est question d’ailleurs ici d’un fait très-excep¬
tionnel, et la loi est toujours qu’il faut rapporter l’hémiplégie à une com¬
pression dans le côté opposé du cerveau.
Maintenant la paralysie peut porter sur les mouvements, ou à la fois sur
les mouvements et la sensibilité. Y a-t-il dans le cerveau des parties dis¬
tinctes pour le sentiment et le mou vement?.L’anatomie démontre que l’en¬
céphale reçoit de la moelle des fibres motrices et sensitives, de sorte que
les lésions d’une partie quelconque de cet organe peuvent entraîner indif¬
féremment des altérations plus ou moins profondes de la sensibilité ou
du mouvement.
La paralysie est-elle étendue à tout un côté du corps, ou bornée à un
seul membre ? Les recherches d’Andral ont démontré que la lésion du corps
strié ou lobule antérieur chez l’homme peut causer la paralysie d’un seul
,26 ENCÉPHALE. — compression du cerveau.
membre, soit thoracique, soit abdominal ou des deux à la fois, et que ré¬
ciproquement les mêmes paralysies peuvent être dues à la lésion de la
couche optique ou lobule postérieur cérébral; on ne connaît donc pas en¬
core, dit Andral, quel est le siège distinct du principe des mouvements
des membres supérieurs et inférieurs ; le siège de la paralysie ne peut
donc pas conduire à conclure au siège de la partie comprimée du cerveau,
ni à la place qu’occupe l’épanchement.
Je n’insisterai pas sur l’ignorance complète où nous sommes de la loca¬
lisation desfonctions du cerveau et du cervelet pour établir l’impossibilité
de déterminer le siège d’un épanchement traumatique, d’autant moins
qu’à une telle profondeur dans le cerveau, il resterait inaccessible à la
pratique. Il est plus sûr et plus pratique de chercher à découvrir le siège
de l’épanchement par des signes extérieurs. S’il existe une fracture du
crâne, il y a une grande probabilité que dans le cas où la paralysie ne
tient pas à la compression exercée par les fragments, l’épanchement qui
la produit est au-dessous ou au voisinage de cette fracture. Le siège de l’é¬
panchement se présume alors par les signes de la fracture ; la vue et
l’examen de la plaie, la contusion du cuir chevelu, une bosse sanguine,
une douleur fixe dans un point de la tête, le mouvement automatique
qui conduit la main du malade à ce point douloureux, etc. Quelquefois
il faudra inciser les téguments pour reconnaître la fracture; c’est une
simple fêlure ou une solution du crâne avec écartement, qui laisse suinter
du sang; mais ce sang d’où vient-il? est-ce d’un foyer situé entre la
dure-mère et les os, ou d’un sinus ouvert? il est à peu près impos¬
sible de le déclarer avant l’application du trépan. Dans ces conditions
l’hémiplégie domine la question, elle existe et si on est fondé par quelque
probabilité à croire à la situation de l’épanchement au niveau de la
fracture, on est autorisé à opérer. Abernethy a donné un signe dont
la valeur peut être contestée ; s’il existe un épanchement capable de
comprimer le cerveau, il veut que l’os soit mis à nu et comme au
même niveau, la dure-mère est décollée par le sang épanché, il af¬
firme que cet os privé à la fois en dedans et en dehors de ses commu¬
nications vasculaires donnera moins de sang par la surface exté¬
rieure. Cette donnée lui a suffi en diverses circonstances, soit pour ap¬
pliquer le trépan, soit pour rejeter l’opération. Ce signe, dont Abernethy
reconnaît l’insuffisance chez les individus âgés et à circulation languis¬
sante, n’a qu’une valeur très-incertaine, notamment dans les points où
les os du crâne manquent de diploé, ainsi que dans ceux où il est abon¬
dant, parcouru par des sinus veineux; aussi n’est-il pas admis par la
grande majorité des chirurgiens.
Certains signes tels que l’amaurose d’un seul ou des deux côtés, l’ec¬
chymose de la conjonctive oculaire, la paralysie faciale, l’écoulement de
la sérosité par l’oreille ou par le nez indiqueront la fracture et l’épanche¬
ment à la base du crâne. Un état de coma et de stupeur profonde avec ré¬
solution et paralysie des membres des deux côtés du corps, donnera la
présomption et la presque certitude d’un yaste épanchement pressant sur
ENCÉPHALE. — compression du cerveau. 27
les deux hémisphères cérébraux, et occupant la partie centrale et infé¬
rieure de la cavité crânienne.
Pronostic. — Le pronostic des épanchements sanguins dans le crâne
est fort grave, ils agissent comme corps étrangers, qui compriment le cer¬
veau et peuvent subir une fonte purulente bientôt suivie d’une ménirigo-
encéphalite; cependant quand ils sont situés, non pas dans le cerveau lui-
rnême, mais à sa surface; lorsqu’ils sont diffus, peu abondants, étendus en
quantité' médiocre entre la dure-mère et les os du crâne, on les voit quel¬
quefois ne donner lieu à aucun symptôme sérieux, et finir par être ré¬
sorbés sans accidents. Ils n’offrent alors aucune indication particulière,
d’autant moins que parfois leur existence peut rester douteuse. En est-il
de même dans les cas où l’épanchement est abondant et où les phéno¬
mènes de compression cérébrale, ou la paralysie existe d’un seul côté du
corps et surtout du côté opposé à la violence exercée sur le crâne?
Traitement. — Ici se trouve posée la question du trépan, vaste sujet
de controverse où les plus grands chirurgiens du siècle dernier et de celui-
ci ont émis les opinions les plus opposées en se fondant presque tous sur
des arguments en apparence d’égale valeur, sur une grande expérience,
et avec une autorité incontestable de part et d’autre.
Disons d’abord qu’en présence des épanchements sanguins intra-crâ¬
niens, il va deux partis à prendre : 1° obtenir la résorption du sang par
les saignées et la méthode évacuante ; 2° donner issue au sang épanché
au moyen du trépan, ou quelque opération qui pourrait y suppléer, telle
que l’écartement plus grand de fragments déjà séparés, l’extraction de
quelque esquille mobile et facile à enlever. Tous les praticiens sont d’ac¬
cord que cette dernière pratique dans des cas particulièrement favorables
peut-être essayée avec avantage, mais elle est en dehors de la question
du trépan, qu’elle peut exiger elle-même. L’opération du trépan dans le
dix-huitième siècle était l’objet d’une sorte de fanatisme. J. L. Petit, Perci-
valPott, Quesnay, toute l’Académie de chirurgie en proclamaient la néces¬
sité dans tous les épanchements et toutes les fractures; il devait délivrer le
cerveau de la pression exercée sur lui ; il fallait se hâter de l’appliquer. At¬
tendre, c’était s’exposer à voir l’épanchement se former lentement, devenir
considérable et s’enflammer pendant que ses signes tardent à se manifester.
Ainsi il ne fallait pas avoir constaté l’existence de la collection sanguine ;
une fracture existait, elle était reconnue, cela suffisait. On pouvait bien se
tromper, il est vrai, ne pas tomber du premier coup sur le siège de l’é¬
panchement, mais outre que les mouvements du cerveau devaient pousser
le sang vers l’ouverture pratiquée au crâne, on avait la ressource de multi¬
plier les couronnes de trépan. Pott partage les idées de J. L. Petit que je
viens d’énoncer; il appuie sur l’innocuité du trépan comparée à la gravité
de l’épanchement ; suivant lui, ce ne sera que dans des cas fort rares que
le diagnostic sera en défaut et l’opération sans résultat, Boyer se sépare
des opinions de l’Académie de chirurgie ; il rejette le trépan préventif; il
veut des signes positifs de l’existence et du siège de l’épanchement,
la coexistence de la compression du cerveau et d’une fracture du crâne au-
28 ENCÉPHALE. — compression dd cerveau.
torise le trépan au niveau de la fracture, car là est le foyer ; sans fracture,
il y a incertitude sur le siège de l’épanchement. Faudra-t-il donc s’abs¬
tenir alors d’une opération qui peut être utile? si les symptômes de com¬
pression persistent, on se contentera du plus léger signe local pour agir
et fixer le lieu de la trépanation, mais en l’absence de tout signe local,
il faut s’abstenir.
Desault est, au contraire, d’une manière absolue, ennemi du trépan ; il
s’en prend à la gravité de l’opération, qui expose à l’air les méninges et
le cerveau. Le pratiquer comme moyen préventif est une témérité con¬
damnable; on n’est pas sûr que l’épanchement se formera, que le trépan
y correspondra. Sait-on s’il n’existe pas une autre lésion à laquelle l’opé¬
ration ne peut remédier et qu’elle peut aggraver? Dans les cas de com¬
pression bien établie le trépan ne vaut guère mieux; il ne peut rien aux
épanchements diffus en nappe à la surface d’un hémisphère; c’est en
vain qu’jn multiplierait les ouvertures , la partie fibrineuse du sang ne
s’écoulerait pas, pas plus de la convexité du cerveau qu’à sa base. On doit
en dire autant des foyers multiples et disséminés près de la surface, et
a fortiori, à une certaine profondeur dans le tissu de l’organe ou dans les
ventricules. L’utilité du trépan doit donc être réservée pour les épanche¬
ments de la voûte circonscrits et superficiels. Or, les signes manquent
pour arriver à un diagnostic aussi précis, et, dans le grand nombre de cas
où le trépan a échoué, il en est beaucoup où l’on n’est pas tombé sur
l’épanchement, d’autres où il a été impossible d’en produire l’évacuation,
d’autres enfin, où des complications imprévues ont continué les accidents
et amené la mort après l’évacuation du foyer sanguin. Desault conclut
donc à l’abandon du trépan ; il faut abandonner l’épanchement aux res¬
sources de la nature, sur lesquelles il compte beaucoup. On perdra sans
doute quelques blessés qu’on aurait pu sauver, mais ôn en sauvera un
plus grand nombre dont le trépan aurait causé la mort, et on n’aura pas
compromis l’art par une opération trop souvent peu justifiée. Du reste,
Desault n’avait abandonné le trépan qu’après un examen approfondi ; il
avait commencé, dans les premières années, soit à la Charité, soit à
l’Hôtel-Dieu, par appliquer l’opération à toutes les fractures avec accidents,
mais l’expérience lui avait appris peu à peu à n’intervenir que dans les
cas d’indication la plus évidente, et, plus tard, à bannir le trépan de sa
pratique, à cause de son inefficacité ordinaire, et, au contraire, en raison
de l’utilité des saignées et des purgatifs.
Dans ces dernières années, Gama et Malgaigne ont attaqué le trépan
dans ses principes. L’épanchement n’est que pour très-peu de chose dans
les accidents cérébraux; ceux-ci sont produits par des altérations
des méninges, par la commotion ou la contusion cérébrale ; à quoi bon
trépaner? c’est l’inflammation qu’on doit combattre. Malgaigne s’appuie
particulièrement sur le résultat de quinze opérations de trépan pratiquées
dans les hôpitaux de Paris, de 1830 à 1841, qui toutes ont été suivies de
mort.
Percival Pott émet une conclusion diamétralement opposée à celle de
ENCÉPHALE. — compression du cerveau. 29
Desault; il ne doute pas, dit-il, que, malgré des échecs dus à la gravité
de lésions au-dessus des ressources de l’art et à quelques opérations
superflues, faites dans des cas qui auraient pu guérir sans trépan, celui-ci
n’ait rendu de grands services à l’humanité en conservant un grand
nombre d’existences perdues sans lui, vérité dont il est convaincu autant
que possible après une longue pratique chirurgicale.
Nous avons vu plus haut que Malgaigne a fondé son opposition au
trépan sur quinze opérations suivies de mort. Par contre, les auteurs
du Compendium de chirurgie, qui ont étudié cette question avec le plus
grand soin, citent deux thèses soutenues à Halle, en 1835 et 1836, sous la
direction du professeur Blasius, sur l’utilité du trépan, dont les conclu¬
sions sont beaucoup plus favorables à cette opération. La première, due
à A. Schwarz, est le résumé de 500 applications de trépan sur le crâne,
dont 330 avec une heureuse issue ; 422 de ces opérations avaient été
faites pour des plaies de tête, et avaient donné 270 succès et 152 in¬
succès. La seconde, soutenue par Ed. Walther, est un tableau de 342 cas
de plaies de tête, que les partisans du trépan auraient jugées opérables
sans qu’il ait été appliqué, et il y eut 83 guérisons et 159 morts. La thèse
de Schwarz prouve aussi que l’application du trépan est d’autant plus
efficace qu’il est appliqué plus tôt; son application immédiate ou primitive
a eu 120 succès sur 133 cas. L’opération, faite seulement après l’appa¬
rition d’accidents cérébraux, n’eût plus fourni qu’un nombre égal de
morts et de guérisons. La convenance de l’opération qui suit de près l’acci¬
dent n’est contestée par personne ; mais ce sont toujours les indications
qui partagent les chirurgiens.
Au milieu d’un pareil conflit d’arguments et d’autorités , à quoi se
résoudre? Sauf Gama et Malgaigne, l’existence d’un épanchement sanguin
intra-crânien est jugée une cause d’accidents présents et à venir, contre les¬
quels les ressources de la nature sont faibles ; l’indication est d’ouvrir une
voie au sang épanché, mais la difficulté est le diagnostic de la collection
sanguine et de son siège. Toutefois, n’a-t-on pas été bien loin en décla¬
rant que dans les recherches nécessaires l’erreur était inévitable et que le
hasard seul faisait que le chirurgien tombât sur l’épanchement? Il est
évident que cette opinion est exagérée. Examinons, en effet, les cas qui
peuvent se présenter: d’abord, et sans conteste, proscrivons le. trépan
préventif préconisé au dix-huitième siècle, mais voyons les cas d’indi¬
cation :
1° Après une percussion de la tête, on a les signes de l’épanchement,
l’hémiplégie et une fracture sur le côté du crâne opposé à la paralysie ; il
faut trépaner sur la fracture. Est-il nécessaire qu’alors la fracture soit
compliquée de plaie, parce qu’alors l’air communiquant avec le foyer de
la fracture, le trépan n’ajoutera rien aux dangers de la blessure? L'indi¬
cation n’est pas moins positive sjans plaie, car le principal danger vient
de l’épanchement.
2“ Tous les signes de l’épanchement existent excepté l’hémiplégie, et,
de plus, il y a un signe local, fracture, un point douloureux, de l’empâ-
50
ENCÉPHALE. — compression du cerveau.
tement au siège d’une contusion. J. L. Petit et Pott n’hésitaient pas
alors, mais de nos jours la grande majorité des chirurgiens, en France
du moins, n’opérent pas dans ce cas, et cependant s’il y a fracture, si le
signe local est une fracture, les auteurs du Compendium conseillent de
pratiquer le trépan .
5° L’épanchement est constaté, il y a hémiplégie, mais pas de signe
local ; en conséquence on ignore le lieu précis de la collection , mais on
connaît le côté. Il est très-rare qu’on se décide à opérer, car on serai
exposé à multiplier les couronnes de trépan sans rencontrer l’épanche¬
ment; mais est-il fréquent de ne pas trouver de signe local quand il y, a
hémiplégie? Je ne le pense pas.
4“ Il y a des signes d’épanchement, pas d’hémiplégie, pas de signe local;
on est d’accord aujourd’hui contre l’opération à faire dans de pareilles
conditions, en dépit du sentiment de van Swieten, qui conseille d’ouvrir
au hasard les pariétaux, parce qu’ils occupent la plus grande partie de la
voûte du crâne et que de gros vaisseaux rampent à leur face interne.
5“ L’hémiplégie existe, et il y a un signe local, mais du côté paralysé;
on pourra admettre qu’il y a un épanchement par contre- coup du côté
opposé au signe local. Mais où faudra-il trépaner? au niveau du signe
local, une fracture par exemple , on s’expose à ne pas trouver de sang
épanché, ou du moins, à ne pas pouvoir l’évacuer. Sera-ce du côté
opposé? Mais on ignore le siège précis de l’épanchement. On s’abstient,
dans ce cas, de l’opération.
6° Si le signe local est une fracture placée sur le trajet d’un sinus de
la dure-mère ou de l’artère méningée moyenne, on se résoudra plus
volontiers à opérer, car il est probable que l’épanchement vient de la
lésion de ce sinus ou de l’artère.
7“ Avec ou sans signe local, l’état de stupeur et de résolution générale
contre-indique le trépan ; sans doute alors l’épanchement est considérable
et diffus, ou il y a complication de quelque autre lésion cérébrale. On sera
d’autant plus éloigné d’opérer, que des signes particuliers annonceront
une fracture de la base du crâne : ecchymose sous la conjonctive oculaire,
écoulement de sérosité par l’oreille ou les narines, etc.
8" Dans les cas de fracture avec écartement des fragments, d’esquille
mobile, le sang peut quelquefois s’écouler de lui-même en suffisante
quantité pour que la compression diminue. Attendre alors en favorisant
l’issue du sang par la position, ou bien encore enlever une esquille
mobile et facile à détacher; mais si malgré l’écoulement du sang les
symptômes de compression ne cessent pas ou s’accroissent, on est autorisé
à trépaner.
9“ Serait-il quelquefois convenable de se borner à écarter davantage,
soit la suture entr’ouverte par une fracture, soit les fragments de cette
solution de continuité, et d’interposer entre ces fragments un coin de bois
pour en maintenir la séparation? Quelques exemples favorables à cette
pratique, dus à. Carcano Léone, au seizième siècle, à Giraud, ancien
chirurgien en second de l'Hôtel-Dieu, et à Champion, autoriseraient à
ENCÉPHALE. — compression dü cerve.\o., 31
l’imiter, mais il vaudrait mieux, ce me semble, au niveau de cet écarte¬
ment insuffisant, appliquer une couronne de trépan.
Après une étude aussi étendue et aussi consciencieuse, due en grande
partie aux auteurs du Compendium de chirurgie, il pourra paraître
superflu d’analyser un travail beaucoup plus récent, fait en 1867, par
Léon Le Fort, travail relativement très- favorable au trépan. Je crois
cependant devoir en dire quelques mots et en faire connaître les con¬
clusions. L. Le Fort critiqué la base ordinairement prise par les chirur¬
giens pour la détermination du trépan ; « L’opération a toujours été
examinée, dit-il, au point de vue unique de ses rapports avec l’anatomie
pathologique. » Il veut que l’on procède autrement et qu’on arrive à une
solution, dans les cas douteux, par l’étude des symptômes. «Ce sont les
symptômes, ajoute-t-il, qui peuvent seuls nous éclairer sur la nature et
le siège des lésions locales; il nous faut donc, tout d’ahord étudier la
signification de chacun de ces symptômes et les rattacher aux lésions
cachées dans les profondeurs de la cavité crânienne. »
Puis il rapporte les phénomènes observés à trois ordres principaux ;
1° Coma, insensibilité, stupeur, souvent avec stertor, persistant depuis
l’accident ;
2“ Fièvre, agitation, délire, douleurs de tête, convulsions épilepti¬
formes ;
3° Hémiplégie seule ou accompagnée de convulsions légères.
A quel genre de lésions doit-on rapporter chacune de ces catégories de
symptômes?
Le coma persistant après un coup ou une chute sur la tête, indique
presque toujours une lésion profonde du cerveau ou d'un organe splanch¬
nique. Lorsqu’il est profond, accompagné de résolution complète des
membres et de stertor, il faut s’abstenir. Si, au contraire, il n’y a pas
sidération complète, si la paralysie est limitée à un seul côté, il peut
être permis d’intervenir par l’opération, mais il est souvent convenable
de différer de quelques heures, jusqu’à ce que la cessation de la syncope
cérébrale permette aux phénomènes d’une lésion limitée du cerveau de se
montrer. Toutefois le trépan, dans ces conditions , n’empêche pas une
mortalité de 75 pour 100 ; d’autre part, dans quelques-uns de ces cas, il
y a possibilité de guérison sans opération.
La fièvre, le délire, la céphalalgie, les convulsions épileptiformes, sont
pour L. Le Fort les phénomènes plus importants au point de vue des in¬
dications thérapeutiques , et ils ont trop souvent été considérés comme
signes de compression. Ils sont l’indice soit d’une lésion limitée du cer¬
veau, soit d’une inflammation localisée ou généralisée de l’organe, quel¬
quefois de toutes deux ensemble. Quand le trépan a été appliqué il n’est
pas démontré que parfois la méningite ne soit pas consécutive plutôt
qu’antérieure à l’opération.
Quand les convulsions sont immédiates après le coup reçu, elles sont
presque toujours le résultat de l’irritation d’un point limité du cerveau,
due à la compression par un fragment; une déchirure partielle, la désor-
52 ENCÉPHALE. — compression dü cerveau.
ganisation d’un lobe cérébral, la blessure par des esquilles. Mais si elles
■ne viennent qu’après un temps plus ou moins long, elles indiquent presque
toujours une encéphalite autour d’unfoyer de contusion du cerveau. (Voy.
plus haut Contusion cérébrale.) Ces convulsions se sont montrées dans les
observations qui servent de base aux idées de L. Le Fort, depuis le premier
jour jusqu’au vingt-neuvième et même au quarante et unième. Le trépan
a donné de tristes résultats, la mortalité a été de 94 p. 100 après l’opéra¬
tion et seulement de 10 p. 100 chez les non-opérés.
Enfin l’hémiplégie seule ou acconipagnée de convulsions limitées aux
membres paralysés, est pour tous les chirurgiens un signe de compression.
Elle peut tenir à la contusion cérébrale, le plus souvent elle est produite
par des épanchements, qui pressent sur un point du cerveau, et la pression
se transmet aux parties profondes, corps striés, couches optiques ; de là
les perturbations fonctionnelles , si l’épanchement était disséminé sur
toute la surface de l’organe. Qu’elle soit causée par un fragment osseux
ou par un épanchement de sang, il faut se hâter d’opérer.
Il nous est impossible de donner ici une analyse complète du travail de
Léon Le Fort, d’autant plus qu’il est fondé sur un grand nombre d’observa¬
tions étrangères, dont plusieurs au moins laissent à désirer sous le rapport
des détails d’anatomie pathologique. Je me bornerai à transcrire ici ses
conclusions.
En résumé, trois ordres de phénomènes dominent la pathologie des
coups et blessures de la tête et les indications thérapeutiques des accidents
au point de vue del'opération du trépan; ce sont : lecoma, les convulsions,
l’hémiplégie. Dans le coma, la règle est d’attendre; dans les convulsions,
le principe est de n’opérer jamais, ou presque jamais ; dans l’hémiplégie
simple ou compliquée de convulsions partielles, l’indication est d’inter¬
venir toujours, ou presque toujours, et d’intervenir de bonne heure.
Dans le cas d’accidents tardifs, il faut intervenir, si à l’hémorrhagie céré¬
brale se joignent des signes de fracture avec dénudation du crâne ; et si,
à la suite du trépan on ne trouve pas d’épanchement, il ne faut pas
craindre de porter le bistouri dans les couches extérieures du cerveau
présumées être le siège d’un abcès.
Dans tous les cas où le- doute existe, il faut agir.
Dans ces conditions, le trépan est une opération excellente, qui mérite
de prendre dans la pratique de la chirurgie française une place honorable
aussi éloignée de l’engouement dentelle futl’objetau temps de l’Académie
de chirurgie que du discrédit où elle est tombée aujourd’hui.
Je ne crois pas que les chirurgiens français, pour se décider pour ou
contre l’opération, n’aient pas pris en considération les symptômes des
lésions cérébrales: coma, convulsions, délire, hémiplégie. Pour ce dernier
phénomène, cela n’est pas contestable, et L. Le Fort lui-même ne le nie
pas ; quant aux premiers, on verra, dans la septième conclusion citée plus
haut que, dans le cas de stupeur et de résolution générale, il faut s’abs¬
tenir, ainsi qu’il le conseille lui-même; qu’il le faut encore, si quelque
signe local, ecchymose sous-conjonctivale, écoulement de sérosité par l’o-
ENCEPHALE. — plaies du cerveau.
33
reil'le, etc., indique une fracture et le prolongement de l’épanchement à la
base du crâne. On s’abstient toujours de pratiquer le trépan lorsque dans
une fracture les signes propres à la contusion, c’est-à-dire la méningo-
encéphalite, se sont manifestés. Pourquoi penser que la constatation de
ces lésions inflammatoires n’aient été jusqu’ici pour rien dans l’alistention
de l’opération ? Én ce qui me concerne, je le conteste absolument. Seule¬
ment il a toujours fallu que des signes locaux précis aient indiqué le lieu
du trépan, l’hémiplégie n’a pas suffi depuis quarante ans. L. Le Fort paraît
vouloir que, dans le cas de doute, ce qui signifie en l’absence de signe
local suffisamment établi, on opère. C’est rentrer du reste dans les prin¬
cipes des plus grandes illustrations chirurgicales du dix-huitième siècle,
J. L. Petit, Pott, etc., etc., et on peut se trouver en moins bonne compa¬
gnie; mais j’ai bien de la peine à croire que la chirurgie française
revienne pour ainsi dire sur ses pas à ce sujet, et que, dans tous les cas où
le doute a lieu, elle se décide à agir. Elle opère dans les cas non douteux
d’hémiplégie avec enfoncement des fragments ; si elle s’arrête alors, c’est
que des signes d’encéphalite avec contusion cérébrale contre-indiquent
l’opération; elle n’hésite jamais, s’il y a présence d’un 'corps étranger en
partie saillant au dehors. Il faut convenir, d’autre part, que les cas d’indi¬
cation précise du trépan sont fort rares dans chaque service de nos hôpi¬
taux civils, et, pour les cas compliqués et suspects de lésions profondes,
L. Le Fort n’est pas lui-même favorable à l’opération ; la mortalité de
75 p. 100 n’est pas encourageante; celle de 10 p. 100 pour les non-opérés
est préférable, car comment, dans ces cas compliqués, éviter les phlegma-
sies des méninges, délire, convulsions, etc.? Le malade (sur quatre) qui
sera guéri ne devra sa guérison qu’à l’existence de contusion cérébrale sous
la fracture même, circonstance qui aura permis aux esquilles d’être
extraites, à la bouillie cérébrale d’être expulsée, à l’inflammation d’être
circonscrite. En somme cependant j’espère que le mémoire de L. Le Fort
encouragera les jeunes chirurgiens à être plus actifs dans les cas simples
et à ne pas se laisser entraîner dans l’abstention systématique de
Desault.
Plaies du cerveau. — Après avoir, au début de cet article, fait
comprendre comment les chocs et les plaies du crâne peuvent exercer leur
influence jusqu’au cerveau, il est convenable en ce moment de traiter des
plaies de cet organe lui-même. Il peut être atteint dans son épaisseur par
des instruments piquants, tranchants ou contondants. Les premiers, tels
que des instruments étroits et effilés, peuvent arriver au cerveau par
l’orbite ou les fosses nasales, en traversant les parois de ces cavités ou en
pénétrant directement sans fracture des os par le trou optique ou la fente
sphénoïdale : ce sont des épées, des fleurets déboutonnés, etc. Mais le plus
souvent ils pénètrent par la voûte et d’autant plus aisément qu’ils agissent
sur les points les plus faibles de cette voûte, la région temporale, par exem¬
ple ; et malheureusement ils produisent sur leur passage des fractures dont
les éclats déjetés vers la substance cérébrale peuvent aussi la blesser, la dé¬
chirer dans une plus grande étendue que ne l’eût fait la pointe de l'instru-
NOÜT. DICT. MED. ET CHIE. XIII. - 5
34
ENCÉPHALE. — plaies du cerveau.
ment lui-même. Les piqûres du cerveau sont toujours graves, mais il en
est de mortelles subitement, ou en quelques heures ou quelquesjours. Ce
sont celles qui lèsent les parties profondes, centrales, la protubérance, le
cervelet, la moelle allongée. Les plaies qui intéressent la partie supérieure
ou latérale des hémisphères offrent beaucoup moins de gravité, surtout
si elles sont superficielles. Il est pourtant des exemples de plaies qui, en
suivant cette voie, sont arrivées probablement à une notable profondeur,
puisqu’elles ont laissé à leur suite, après la guérison, des troubles fonc¬
tionnels de la respiration, de la déglutition, de la voix, qui indiquent la
pénétration de l'instrument jusqu’à l’origine de quelques nerfs encé¬
phaliques. Larrey cite deux observations de ce genre; l’une d’elles est un
exemple d’aphasie par lésion de la partie interne et postérieure du lohe
antérieur gauche du cerveau, par un fleuret rompu ; elle ne paraît pas
avoir attiré l’attention des auteurs qui ont traité de l’aphasie. {Mémoires
de chirurgie militaire, t. IV, p. 210 et suivantes.)
Le diagnostic de ces plaies n’est pas toujours facile ; le doute cesse,
s’il y a issue de la substance cérébrale, ou à la présence du corps étran¬
ger resté dans la plaie ; certains symptômes cependant de lésions cé¬
rébrales ne laissent encore aucun doute, mais le pronostic peut être
incertain, car des blessures en apparence légères ont eu souvent des suites
funestes, et réciproquement des plaies menaçantes ont eu des résultats
moins graves qu’on ne l’aurait cru. Toutefois celles qui pénètrent par
l’orbite à une certaine profondeur dans le cerveau, fût-ce même par un
instrument étroit, sont presque constamment mortelles.
Le danger des piqûres du cerveau, indépendamment du siège et de
l’importance physiologique des parties atteintes, tient moins à l’épanche¬
ment sanguin qu’à la présence des corps étrangers, et.surtout à l’inflam¬
mation du cerveau et des méninges ainsi qu’à la formation d’abcès qui ne
trouvent pas une issue facile.
Les indications sont donc d’enlever les corps étrangers et de prévenir
l’inflammation; nous verrons plus loin ce qu’il faut faire pour extraire les
corps étrangers et évacuer les abcès; c’est encore là une question d’appli¬
cation du trépan.
Les plaies par instrument tranchant intéressent surtout le cerveau au
niveau de la voûte du crâne. Bien qu’elles offrent plus d’étendue que les
plaies par instruments piquants, elles sont cependant moins dangereuses,
à égalité de profondeur, parce qu’une voie plus large est ouverte aux
liquides, qu’ils résultent de l’ouverture des vaisseaux, ou qu’ils soient le
produit de l’inflammation. Des plaies même fort étendues ont pu guérir
grâce à ces circonstances favorables. Lamotte cite l’exemple remarquable
d’une plaie faite par un coup de sabre tellement violent que le pariétal
droit était fendu dans la longueur de 5 à 6 centimètres, le gauche dans
l’étendue de 9 à 10 ; le sinus longitudinal supérieur avait été divisé ainsi
que le cerveau ; une hémorrhagie abondante eut lieu et peut-être contribua-
t-elle à conjurer les accidents inflammatoires ; il n’y eut aucun accident
consécutif et la guérison fut obtenue en deux mois et demi. On jieut trouver
ENCÉPHALE. — plaies
CERVEAO.
35
un certain nombre de cas analogues dans l’histoire de la science; par
contre, on y verra que des plaies moins profondes, ayant mis à nu le cer¬
veau, mais dans une très-petite étendue, ont été suivies d’accidents promp¬
tement mortels. Malle, dans sa Clinique chirurgicale (in-8“, 1838), cite
l’observation d’un militaire blessé en duel d’un coup de sabre à la partie
moyenne du pariétal droit, qui avait fait une plaie de deux pouces de lon¬
gueur, avait divisé l’os, entamé la dure-mère dans l’étendue de deux
lignes; à peine le cerveau avait-il été touché; cependant le blessé succomba
huit jours après aux accidents inflammatoires. A l’autopsie, on trouva une
méningite diffuse, et au niveau du coup reçu un ramollissement cérébral
très-circonscrit.
A la bataille de Landrecies , vingt-deux blessés avaient eu le vertex
emporté par des coups de sabre portés horizontalement. Sur ce nombre
il y en avait douze dont la plaie avait la largeur de la main, et offrait
une perte de substance .considérable de la dure-mère et du cerveau ; chez
les dix autres la plaie était moins étendue. Tous ces malheureux firent
plus de soixante lieues à pied en six jours, et avaient été à peine pansés.
A la fin de la seconde semaine, les douze premiers commencèrent à
devenir tristes sans fièvre ni malaise prononcé; mais au bout de deux
ou trois jours la tristesse augmenta, le malaise survint, les plaies devin¬
rent sèches, l’appétit diminua, et les blessés, d’abord privés de l’odorat,
perdirent dès le lendemain la vue et le goût; le surlendemain tous les sens
étaient abolis; une somnolence profonde se montra Sans agitation ni
convulsions, mais le cerveau parut de plus en plus affaissé ; la dure-mère
ridée et comme desséchée. La prostration des forces persista, et la mort
arriva pour tous du vingt au vingt-deuxième jour.
L’autopsie démontra un ramollissement cérébral; aucune collection
purulente n’avait lieu, toutefois, ni dans le cerveau, ni dans les vis¬
cères. Les autres blessés survécurent. Le danger est donc proportion¬
nel à l’étendue de la perte de substance quand le cerveau est entamé;
mais les soins donnés aux blessés ont aussi leur importance. Y a-t-il
pour ces plaies quelques préceptes, et notamment dans le cas où un
lambeau comprenant une rondelle osseuse et une tranche cérébrale
a été presque complètement détaché? Il faut, dans le but d’éviter l’in¬
flammation, qui est le grand danger de ces blessures, réappliquer, à
l’exemple de Fallope et de Larrey, le lambeau dont on a préalablement
séparé et retranché le fragment osseux, les débris de substance cérébrale,
et le maintenir en place aussi exactement que possible. Si plus tard une
collection de liquide due à l’inflammation s’est formée sous le lambeau,
une contre-ouverture à la base lui donnera issue.
Ainsi qu’on a pu le voir par les faits cités plus haut, et dont la connais¬
sance est due à Paroisse {Opuscules de chirurgie, p. 41), ces plaies, faites
par un instrument très-affilé et qui a agi obliquement, ne s’accompagnent
d’aucun ébranlement du cerveau, et, d’autre part, la largeur qu’elles pré¬
sentent s’opposent à tout épanchement sanguin dans le crâne; mais le
liquide céphalo-rachidien trouve un écoulement facile, trop facile même,
36 ENCÉPHALE. — plaies dü cervead.
car son abondance, démontrée par l’imbibition rapide des bandages dont
on couvre la plaie, doit contribuer à l’affaiblissement du blessé et hâter
sa mort. L’exposition du cerveau et des méninges à Pair, au contact des
pièces d’appareil, favorise aussi l’inflammation; mais ces observations
s’appliquent tout aussi bien aux plaies du cerveau par armes à feu, dont je
vais traiter à l’instant même. Quelques détails, propres aux deux genres
de plaies pourvu qu’elles offrent une large perte des substance, seront
mentionnés.
Plaies par instrument contondant, plaies par armes à feu. — Certains
instruments tranchants, en raison de leur poids, et s’ils agissent plutôt
perpendiculairement à la surface du crâne que dans une direction oblique,
sont de véritables corps contondants. Ceux-ci produisent des contusions
et des déchirures cérébrales, soit en divisant les parties molles qui recou¬
vrent le crâne en même temps qu’ils brisent cette boîte osseuse, soit en
les laissant à peu près intacts. Dans le premier cas, il y a, à la fois, plaie
confuse du crâne et du cerveau. Les plaies confuses les plus fréquentes
ont lieu, soit dans une chute d’un lieu plus ou moins élevé, dans laquelle
le crâne rencontre un corps dur, le plus souvent inégal ; soit par la per
cussion d’un corps pesant, une poutre, une pierre, un bâton, une barre
de fer, soit encore celle d’un corps moins lourd, mais lancé avec une
grande vitesse, par exemple, par la fronde. Dans ces diverses plaies, le
cerveau est confus, piqué, lacéré par les fragments du crâne fracassé. Ce¬
pendant il peut être écrasé par le corps contondant lui-même, une roue
de voiture, une pierre de taille, ou toute autre masse d’une grande pe¬
santeur; la mort est alors immédiate ou ne tarde guère, le blessé étant
aussitôt plongé dans un état de résolution complète des membres avec
perte de l’intelligence, affaiblissement des mouvements du cœur, peti¬
tesse du pouls, refroidissement des extrémités.
Si la blessure est moins grave, elle peut quelquefois paraître d’une
bénignité trompeuse ; c’est dans le cas où , avec une fracture même
comminutive, mais dans un espace circonscrit, par exemple la portion
écailleuse du temporal, il y a eu absence de commotion, ou seulement
une commotion très-légère. Le blessé n’a pas perdu connaissance, ou l’a
recouvrée peu de temps après l’avoir perdue ; il la conserve, et avec elle la
liberté des mouvements du côté opposé à la fracture, jusqu’à l’époque, quel¬
quefois un peu retardée (le douzième ou quinzième jour depuis l’accident),
où se montre la méningo-encéphalite. Quelquefois une sorte d’intermit¬
tence a lieu ; les accidents , après avoir cessé pendant quelques jours,
reparaissent et menacent la vie du blessé. C’est dans ces cas, en apparence
bénins, mais très-insidieux et ordinairement terminés par la mort, que
les couches superficielles du cerveau ont été seules atteintes-. C’est que,
malgré le peu de profondeur de la plaie du cerveau, on ne peut pas toujours
conjurer l’inflammation des méninges, qui est la cause de la mort, bien
plutôt que la perte de substance nerveuse. Pour le prouver, je veux citer
deux observations de guérisons tirées du mémoire de Quesnay sur les
plaies du cerveau. {Mémoires de l’Académie de chirurgie, t. I, p. 232.)
57
ENCÉPHALE. — plaies dd cervead.
1° « Un enfant de sept ans tombe de 7 à 8 pieds de haut et se fait
une fracture à la partie latérale droite du coronal... Il y avait quatre
fragments un peu enfoncés par leurs angles dans la substance du cerveau;
enlevés, ils laissèrent une ouverture qui dispensa du trépan. La dure-mère
et la pie-mère furent contuses et déchirées de la grandeur d’un denier;
une petite portion de la substance du cerveau sortit par ce point déchiré.
Aucun accident, malgré la conduite de l’enfant qui ne voulait ni garder
le lit, ni suivre aucun régime ; la cure dura six mois à cause de la gran¬
deur de la plaie, mais l’enfant fut entièrement guéri.
2“ « Un garçon de huit ans fut frappé par un cheval au côté de la tête ; le
pariétal fut blessé à la partie postérieure et supérieure. Belair fut appelé,
et tâcha de replacer les pièces d’os ; à chaque mouvement qu’il faisait
pour les ajuster, il sortait des morceaux de la substance corticale ; il en
sortit plus gros qu’un œuf de poule pendant qu’il replaça ces pièces d’os.
Belair, obligé de partir, laissa le blessé entre les mains du chirurgien du
village... Sa surprise fut grande lorsqu’il apprit, l’année suivante, la
guérison de l’enfant. Il y avait, au niveau de la blessure, un enfoncement
à loger une noix muscade et des inégalités sur la cicatrice. L’esprit ne se
ressentait aucunement de cet accident. »
Cette heureuse terminaison doit être considérée comme une exception.
Nous allons voir, au contraire, avec quelque surprise, que, dans certaines
observations de plaies par armes à feu, où une perte considérable de
substance a eu lieu, le rétablissement du malade a pu se faire presque
sans aucune altération des facultés de l'intelligence. Disons, pour terminer
ce que nous voulons exposer touchant les plaies contuses du cerveau
parles corps contondants ordinaires, qu’elles ne sont pas compliquées par
la présence du corps vulnérant lui-même, et que s’il se trouve dans le
cerveau des corps étrangers, ce sont les fragments ou l’un des fragments
du crâne, quelquefois enfoncés, il est vrai, à une notable profondeur,
mais plus souvent engagés dans les couches superficielles de la substance
cérébrale.
Dans les flaies par armes à feu, les projectiles lancés par la poudre
pénètrent profondément dans le cerveau, le traversent de part en part à
des hauteurs variées, entraînant avec eux des esquilles, 'des portions de
vêtements ; quelquefois ils enlèvent des parties plus ou moins étendues du
crâne et du cerveau ; souvent aussi ils vont se perdre dans la substance
du cerveau à une distance plus ou moins grande de leur ouverture d’en¬
trée; enfin on les voit aussi, quoique profondément engagés, faire à
l’extérieur une saillie dont on pourra profiter pour leur extraction.
Dans les larges plaies par ârmes à feu avec enlèvement du crâne et d’une
partie du cerveau, les blessés ont quelquefois conservé leur connaissance
entière ; ils sont d’abord sans fièvre, et si on ne voyait la plaie béante
par laquelle suinte abondamment le liquide céphalo-rachidien, on ne les
croirait pas atteints d’une blessure le plus souvent mortelle. Bientôt, à
travers la perte de substance du crâne, on voit le cerveau proéminer, se
soulever, former comme un champignon fongueux, rouge d’abord, puis
ENCÉPHALE — plaies du cerveau.
grisâtre, gangrené. J’aurai toujours présent à l’esprit l’observation d’un
jeune homme de 18 ans, que j’ai soigné à l’hôpital Beaujon ; il avait eu la
région pariétale droite emportée à la partie supérieure par un coup de son
fusil, qu’il tenait au moment de l’accident .entre ses jambes. Il était assis
dans un bateau, en partie de chasse sur la Seine, lorsque la crosse du fusil
fut violemment portée à droite et le canon dirigé vers la tête; le coup partit
en même temps, et le sommet de la tête fut enlevé. Le blessé ne perdit
pas connaissance. Amené à Fhôpital Beaujon, il resta près de trois se¬
maines sans autre accident que l’écoulement abondant de liquide cé¬
phalo-rachidien par la plaie et une irritation assez vive, causée par
les aspérités du contour de la fracture du crâne engagées dans le fongus
cérébral. C’était un jeune homme blond, de tempérament sanguin, le
visage frais et coloré, gai, qui conserva l’appétit et put le satisfaire
jusqu’au moment où, très-rapidement, l’inflammation des méninges se
déclara et l’emporta en vingt-quatre heures. Des portions de cerveau
avaient été séparées à diverses reprises sans que l’intelligence en eût un
instant souffert.
J’emprunte au mémoire de Quesnay sur les plaies du cerveau une
observation des plus remarquables, et qui prouve combien peut être
grande la perte de substance du cerveau sans empêcher la guérison. Un
laquais de seize ans reçut un coup de pierre au milieu du pariétal droit;
le cerveau fut blessé; il y eut hémiplégie à gauche; le cerveau se gonfla, sa
substance devint noire; on coupait tous les jours une partie de cette
substance gangrenée qui sortait. Le dix-huitième jour le malade tomba
de son lit; toute la portion de cerveau qui débordait l’ouverture de l’os
se détacha par cette chute et se trouva dans l’appareil, mais le gonflement
continua à pousser au dehors la substance du cerveau qui était noire,
et on la retranchait à mesure tous les jours. Le trente-cinquième jour le
malade but et s’enivra, le cerveau se gonfla d’avantage; dans son ivresse,
le blessé glissa sa main sous l’appareil, empoigna et arracha avec violence
toute la partie exubérante. Le lendemain on trouva le cerveau en meil¬
leur étal; presque tout ce qui était corrompu avait été emporté, et on
reconnut qu’on était près du corps calleux. Une couleur vermeille suc¬
céda à la lividité ; le malade guérit, mais resta paralysé, devint même
sujet à des mouvements épileptiques, toutefois l’esprit se rétablit entière¬
ment. (Mémoires de l’Académie de chirurgie, t. I, p. 243.)
On pourrait multiplier ces exemples ; ils serviraient à démontrer ce que
j’ai avancé plus haut, non pas que les plaies du cerveau ne sont pas
très-graves, mais qu’elles ne sont pas désespérées, bien que la perte de
substance nerveuse puisse être considérable. Des praticiens du plus
grand mérite et des plus répandus n’ont jamais vu de guérison de plaies
du cerveau avec perte de substance et grande suppuration. Tel était le
cas de Maréchal, chirurgien de Louis XIV; mais ce qui est plus fréquent
que la guérison définitive, c’est la prolongation de la vie pendant plusieurs
semaines, plusieurs mois , lors même qu’il y a complication de corps
étrangers. Enfin il n’est pas sans exemple qu’ils aient séjourné plusieurs
ENCÉPHALE. — inflammation traumatique du cerveau. 39
années dans la substance du cerveau sans compromettre sérieusement la
santé, et quelquefois sans avoir abrégé la vie.
Le traitement de ces plaies contuses du cerveau est, comme celui des
autres parties du corps, d’extraire les esquilles, les corps étrangers, de
débrider, de trépaner, de faire des lotions et injections, d’enlever les
parties mortifiées. Les chirurgiens contemporains de l’Académie de chi¬
rurgie, ceux qui l’ont précédée, prodiguaient l’emploi de liqueurs spi-
ritueuses, les baumes et les huiles alcoolisées et térébenthinées. De nos
jours les pansements sont plus doux ; l’iiuile d’amandes douces ou
d’olives, le miel rosat étendu d’une liqueur émolliente, plus souvent le
cérat simple sur le linge troué, qui sert à couvrir la plaie sans s’opposer
à l’écoulement des produits de l’inflammation, constituent tout le traite¬
ment local. Quant au traitement général, son but est de prévenir, de
retarder l’inflammation, de la modérer sans abuser toutefois des saignées
générales, ni de la diète, mais en usant avec intelligence des saignées
locales, d’une alimentation suffisante, des. boissons rafraîchissantes, des
minoratifs, car il ne faut pas oublier qu’il existe une lésion locale dont
on ne peut enrayer la . marche naturelle vers la guérison si elle doit
s’opérer, et que nécessairement pour l’obtenir, le traitement sera long et
exige toutes les forces du malade.
Inflammation traumatique des méninges et du cerveau,
abcès intra-crâniens. — Nous avons souvent, dans cet article, fait
allusion à l’inflammation traumatique des méninges et du cerveau ; cela
devait être; puisqu’elle est la suite la plus grave des lésions traumatiques
du crâne et de l’organe qu’il contient, et qu’elle conduit à la production
des abcès intra-crâniens, sans contredit la conséquence la plus sérieuse
des blessures de l’encéphale et de ses enveloppes.
Étiologie. — Non-seulement les plaies du cerveau, ses contusions, sa
commotion peuvent être suivies de méningo- encéphalite, mais les frac¬
tures, une simple blessure du crâne, et même les lésions plus ou moins
profondes du cuir chevelu, quand elles amènent le phlegmon diffus
superficiel ou profond. Nous savons déjà que la présence d’un épanche¬
ment sanguin est une prédisposition à la phlegmasie des méninges.
La méningite traumatique se développe quelquefois avec une grande
rapidité, quelques heures à peine après l’accident; on a vu la mort
survenir en vingt-quatre, trente-six, quarante-huit heures. Mais en d’au¬
tres circonstances sa manifestation est tardive, quelquefois même le
blessé , se croyant guéri, avait repris ses occupations, et ce n’est qu’au
bout de plusieurs semaines ou plusieurs mois, que surviennent les symp¬
tômes d’une inflammation ou d’une suppuration profonde; le plus souvent
alors elle n’est plus que symptomatique d’une altération des os du crâne,
dont la marche a été lente et progressive, et a procédé des couches
superficielles aux couches profondes, ostéite, carie, nécrose, ou bien
encore elle révèle la présence d’un corps étranger plus ou moins profon¬
dément situé, tantôt entre la dure-mère et l’os, tantôt, au contraire,
plongé dès le principe dans la substance cérébrale, et dont l’existence
40 ENCÉPHALE. — inplammatiok traumatique du certeaü.
était re!=tée complètement ignorée, ou n’avait pu être constatée, quoique
l’on sût !)ien qu’un corps étranger avait été introduit par une ouverture
unique. Ainsi que nous l’avons vu dans l’histoire de la contusion céré¬
brale, c’est du quatrième au douzième jour que la méningo-encéphalite
s’empare du foyer contus et de ses environs, de sorte que si, après une
percussion de la tête avec ou sans fracture, elle se montre à l’époque
indiquée, elle démontre la contusion cérébrale qui, jusque-là, a pu être
inaperçue; dans la commotion cérébrale elle est rare et beaucoup plus
tardive en général, et il faut que la commotion ait été violente. Son
invasion offre des variétés, mais il y a des symptômes constants; le
malade se plaint de céphalalgie, de douleurs de tête sourdes, pongitives,
profondes, avec sensation de pesanteur, presque toujours dans le lieu du
crâne frappé, quelquefois plus ou moins loin, mais quel que soit le point
de départ s’étendant au reste du crâne; on observe un grand abattement
moral et physique, le sommeil est agité, la peau chaude, les yeux
animés, il y a malaise général, vertiges, parfois nausées, vomissements.
Bientôt apparaissent des phénomènes plus tranchés, l’exaltation de la
sensibilité, la fièvre, le délire avec plaintes, gémissements, l’anxiété,
l’agitation extrême avec loquacité, grincements de dents, convulsions des
muscles de la face et des membres, plus la raideur tétanique de ceux-ci.
Voilà pour les signes de méningite auxquels s’associent très-souvent ceux
de la cérébrite, altération des perceptions, de la parole, de la mémoire,
du jugement, lenteur des idées, contractions douloureuses, mouvements
convulsifs bornés à quelques muscles ou étendus à un membre, à une
moitié du corps, à presque tous les muscles, avec resserrement de la
pupille, alternant avec la paralysie, qui, plus tard, remplace les convul¬
sions en même temps que se montrent la perte du sentiment et la
dilatation des pupilles.
La maladie peut se terminer par résolution, mais plus souvent survient
la période de suppuration qui amène les épanchements purulents dans le
crâne. On la reconnaît à une fièvre ardente avec une soif vive, langue
rude et sèche, pouls dur, excès de sensibilité à la moindre impression
des sons, de la lumière, à des soubresauts douloureux, jusqu’au moment
où paraissent des frissons irréguliers , des alternatives de chaleur et de
sueur, et sitôt que le pus est formé, un calme relatif a lieu; au délire
succède le coma, et à l’agitation les symptômes de la compression céré¬
brale. Tandis que des contractions agitent certaines parties du corps, ou
qu’elles sont le siège de contractures, d’autres soïit paralysées; tantôt
c’est un membre, tantôt tout un côté du corps; il y a incontinence ou
rétention de l’urine et des matières fécales. La respiration devient sterto-
reuse, entrecoupée et finit par s’éteindre.
Si l’abcès a succédé à l’épanchement sanguin, on a eu d’abord l’hémi¬
plégie et on à pu suivre les phénomènes de transformation à l’arrivée de
la phlegmasie des méninges.
Les épanchements purulents intra-crâniens sont diffus ou circonscrits,
étalés en nappe ou réunis en collection, situés entre les os et la dure-mère,
ENCÉPHALE. - ABCÈS DD CERVEAU. 41
dans la cavité de l’arachnoïde, à la surface ou dans l’intérieur du cerveau,
au niveau de la blessure ou plus ou moins loin d’elle. Ils ont un aspect
et une disposition qui varient suivant le siège que nous venons d’indi¬
quer : entre la dure-mère et les os ils sont en nappe presque toujours
peu étendue, mais aussi ils se montrent sous forme de petits abcès
limités, contenant un pus tantôt mal lié, tantôt plus lié en gouttes d’une
teinte verdâtre et qui répondent à la surface interne des os altérée,
érodée, dont la couleur est jaunâtre; dans l’arachnoïde, le pus forme une
couche jaune, membraneuse, étalée sur la surface séreuse, très-adhérente,
d’une épaisseur variable qui ne dépasse pas 1 à 2 millimètres, diffuse et
occupant en général une grande étendue, soit au niveau de la convexité
des hémisphères cérébraux, soit à la base du crâne. Oh trouve aussi du
pus réuni en une petite collection sous la pie-mère, ou plus souvent une
couche mince occupant une grande partie d’un hémisphère ou du cerveau
tout entier. Dans le cerveau ce sont des foyers circonscrits, contenant un
pus phlegmoneux, et dont la cavité est plus ou moins considérable ; quelque
fois le pus remplit les ventricules, ou bien il arrive que le fond de l’abcès
est formé par le cerveau lui -même, tandis que la paroi superficielle est
constituée par la dure-mère et les os du crâne; quelquefois aussi l’abcès
développé dans l’épaisseur d’un hémisphère finit par s’ouvrir dans les
ventricules. On comprend combien cette terminaison de l’inflammation
est grave ; elle l’est d’autant plus que tout ici semble contraire à l’évacua¬
tion. spontanée. Les abcès les plus superficiels sont, sous ce rapport, les
moins défavorables, et il se peut même que, par exception, une voie leur
soit ouverte, soit à travers l’intervalle des fragments d’une fracture, ainsi
que J. L. Petit en cite un exemple, soit par la carie des os du crâne, à
la voûte, soit enfin par le nez ou l’oreille ; mais une pareille issue ne peut
être que tardive, et, avant qu’elle se produise , de grands dangers me¬
nacent le malade : une inflammation nouvelle, l’extension du foyer
jusque dans un point inaccessible aux opérations chirurgicales. Il ne peut
être question de ces opérations que pour les collections purulentes,
circonscrites, qui répondent à la voûte du crâne; encore faut-il distinguer
entre les abcès , qui remplissent cette condition, ceux qui sont placés
entre la dure-mère et les os de ceux qui sont subjacents à cette membrane
ou même situés dans la profondeur du cerveau, et dont la situation
précise reste incertaine, car le contre-coup ne les fait pas toujours naître
au point diamétralement opposé, et comme pour les épanchements san¬
guins, qui en sont une fréquente origine, ce n’est pas toujours au niveau
du point du crâne qui a été frappé, que le trépan trouve la collection
purulente ; c’est à une petite distance ou à une profondeur qui laisse des
doutes, et a trop souvent arrêté la main du chirurgien. Pigray rapporte
(livre 4, chap. 9) l’exemple d’un abcès par contre-coup situé à ta base
du crâne et survenu à la suite d’une très-petite blessure du sommet de
la tête. L’abcès était gros comme une noisette et ne fît périr le malade
que six mois après la blessure, qui du reste n’avait pu se guérir ni se
consolider, comme le dit Pigray.
42 ENCÉPHALE. — abcès du cerveau.
Une observation de J. L. Petit, autre que celle à laquelle j’ai fait allu¬
sion il n’y a qu’un instant, est des plus instructives et donne plus d’un
enseignement. Un enfant de 9 ans tomba de sa hauteur sur l’angle d’une
pierre carrée, et perdit connaissance. Il s’était fait une plaie à deux ou
trois travers de doigt au-dessus de l’œil droit; assez grande pour qu’on
pût y introduire le doigt, l’os était fracturé et enfoncé. Le trépan fut ap¬
pliqué le lendemain. Pas de sang épanché sous le crâne, les pièces d’os
furent relevées, quelques esquilles enlevées ; toutes les inégalités, qui
auraient pu offenser la dure-mère, coupées. Pendant quelques jours, pas
d’accidents. Au sixième jour, fièvre, anxiété, soif vive. Le lendemain, la
dure-mère était brune, faisait bosse, et résistait à la pression du doigt ;
elle fut incisée avec la lancette ; il sortit aussitôt de la substance du cer¬
veau une cuillerée de sérosité brune et fétide; l’ouverture delà dure-mère
fut agrandie. Les accidents persistèrent; rêvasseries, grincements de
dents, pouls serré et intermittent; le lendemain, l’appareil était fort hu¬
mide; l’assoupissement fut considérable le soir et toute la nuit, mais le
lendemain qui était le onzième jour, tous ces formidables accidents dis¬
parurent. J. L. Petit trouva l’appareil rempli de pus fort fétide; il sortit
dans la suite quelques flocons de substance du cerveau ; les portions de
membranes mortifiées se détachèrent ; la guérison fut parfaite au bout de
deux mois. {Traité des mal. chirurg.)
La conduite de J. L. Petit fut un modèle d’habileté et de prudence, et
cependant il resta en deçà de ce que doit oser le chirurgien dans ces cas
difficiles. L’abcès n’était pas entre les os et la dure-mère. Les signes que
présenta cette membrane encouragèrent J. L. Petit à l’inciser; il ne s’é¬
coula que de la sérosité brune et fétide; c’était une collection entre la
pie-mère et le cerveau, mais ce n’était pas encore l’abcès formé dans
l’épaisseur de celui-ci. En effet, les accidents persistèrent et même s’ac¬
crurent; en incisant la dure-mère J. L. Petit avait rendu à l’enfant un
immense service et qui le sauva, car non-seulement il avait donné issue
immédiate à la petite quantité de sérosité sanguinolente formée sous l’a¬
rachnoïde et la pie-mère, ce qui dans d’autres cas eût pu suffire à la ces¬
sation des accidents, mais il avait préparé une terminaison lieureuse à la
rupture spontanée de l’abcès cérébral. Sans l’ouverture de la dure-mère,
le petit blessé était à coup sûr perdu, mais en différant l’ouverture de
l’abcès cérébral, chose fort excusable cependant, même de la part d’un
aussi grand chirurgien, le salut du hlessé était remis en question, il
pouvait succomber dans la soirée ou la nuit, avant l’ouverture spontanée
de la collection dans le cerveau. Il est clair, après coup, que l’indication
était de plonger la lancette dans la substance nerveuse elle-même, et il
est à croire que J. L. Petit n’aurait pas hésité le lendemain, si tous les
accidents n’avaient pas cessé aussitôt la rupture de l’abcès. Telles étaient
les prescriptions de l’art du temps de J. L. Petit. Le mémoire de Ques-
nay sur les plaies du cerveau, ne laissait aucun doute à cet égard. La
phrase suivante le prouve : « Lorsque la paralysie est accompagnée d’ac¬
cidents pressants, on peut se déterminer à trépaner du côté opposé, et
43
ENCÉPHALE. — abcès DD CERVEAU,
si on ne découvre rien sous le crâne ni sous les membranes du cerveau,
on peut hasarder quelques petites incisions dans la substance même de ce
viscère, pour s’assurer s’il ny a point dans la substance corticale, et
même au delà, quelque abcès qui soit la cause des accidents. Une telle
incision n’est point à redouter pour la vie du malade, car si l’incision
rencontre l’abcès, elle peut sauver la vie, et si elle ne l’atteint pas, cet
abcès fera périr le malade, indépendamment de l’incision. » N’est-il pas
singulier qu’aujourd’hui on donne cette prescription comme une pratique
presque nouvelle, et qu’on se croie obligé, pour la présenter comme lé¬
gitime, de s’appuyer sur les expériences de Flourens et de Vulpian sur
les animaux, tendant à démontrer que les lésions des couches cérébrales
profondes, entraînent seules des accidents graves. Il faut le reconnaître,
les chirurgiens du dix-huitième siècle avaient posé le principe formel
de l’incision des couches superficielles du cerveau à la recherche d’un
abcès profond de cet organe. « Notre crainte d’ouvrir le cerveau, dit Ques-
nay, peut être comparée à celle que les anciens avaient d’ouvrir la dure-
mère ; aujourd’hui on n’hésite plus à ouvrir cette membrane, peut-être
que les praticiens qui nous suivront, seront surpris aussi de notre timi¬
dité à ouvrir la substance du cerveau. Déjà beaucoup de faits nous re¬
prochent cette timidité, et nous excitent à risquer dans les cas désespérés
l’opération que nous proposons. » Un fait de La Peyronie vient à l’appui
de cette idée. Un enfant fît une chute sur le pariétal gauche, les accidents
indiquèrent le trépan. Cette opération donna issue à un épanchement
considérable sur la dure-mère, qui du reste était en bon état. Ce ne fut
qu’au dix-huitième jour qu’il survint des mouvemen ts convulsifs, une
paralysie incomplète du côté droit, un assoupissement et une perte de
connaissance presque continuelle. La Peyronie ouvrit la dure-mère, il ne
trouva rien sous cette membrane. Le péril pressant où était le blessé lui
imposa d’ouvrir le cerveau même; l’entreprise parut trop hardie, on s’y
opposa et l’enfant périt dans les convulsions. La Peyronie ouvrit la tête,
où il trouva, en effet, vis-à-vis l’ouverture du trépan, un abcès dans la
substance du cerveau, qui n’était qu’à trois ou quatre lignes de profon¬
deur. Par l’opposition de praticiens moins compétents que lui, La
Peyronie fut donc privé, suivant toute apparence, d’un beau et glorieux
succès.
Sans doute l’influence de Desault a rendu en France les applications
du trépan moins fréquentes. Mais est-il réel que dans notre pays on eût
renoncé, l’opération faite, à pénétrer au-dessous de la dure-mère, et
même dans l’occasion, à ouvrir le cerveau. Une observation de Dupuy-
tren, sur laquelle nous reviendrons en parlant des corps étrangers qui
ont pénétré jusqu’au cerveau, démontrera au moins que le précepte
était resté dans l’art, quelque rare que puisse paraître l’occasion de le
mettre en pratique. Ajoutons que dans les livres classiques de notre épo¬
que, il est qettement formulé. Les auteurs du Compendium de chirurgie
s’expriment ainsi : « Si, après la térébration des os, on ne trouvait pas de
pus, on ne devrait pas hésiter à ouvrir la dure-mère, surtout si on la
44 ENCÉPHALE. — abcès du cerveau.
trouvait altérée, jaunâtre, distendue et résistante. Lorsque, après avoir
divisé cette membrane, on n’a point rencontré l’abcès, faut-il aller au-
delà et inciser le cerveau lui-même? Les blessures de l’encéphale, même
étendues et profondes, sont susceptibles de guérison, et les exemples ne
manquent pas d’abcès du cerveau plus ou moins volumineux et superfi¬
ciels, soupçonnés pendant la vie, trouvés après la mort dans le point
correspondant à l’ouverture, et laissant au chirurgien l’éternel, regret de
n’avoir pas donné, au travers d’une mince cloison organique, de quel¬
ques millimètres seulement d’épaisseur, le coup de bistouri, qui aurait
pu sauver la vie du blessé. Après avoir cité le fait de La Peyronie et les
opinions de Quesnay que nous venons de faire connaître, ils arrivent à la
conclusion suivante ; dans ces cas difficiles, pour peu que le toucher ait
fait reconnaître qu’une collection liquide existe dans le voisinage, on ne
craindra pas de faire, avec un instrument acéré et étroit, une ponction
dirigée vers le siège présumé du dépôt. Dupuytren osa plonger ainsi à
une certaine profondeur, le bistouri jusque dans la substance du cer¬
veau, etc.
Ce précepte de l’incision des couches cérébrales superficielles n’avait
donc pas cessé d’être compris dans la thérapeutique chirurgicale, et on ne
doit attribuer, ce me semble, la rareté de son application, qu’à la ra¬
reté même de ses indications. Nous avons vu, par une observation de
J. L. Petit, qu’après l’ouverture de la dure-mère, l’abcès profond s’est
ouvert de lui-même, et qu’il eût mieux valu ne pas attendre, mais enfin
le malade a été sauvé. Un autre fait de La Peyronie, cité aussi par
Quesnay, démontre qu’il peut arriver, si l’accident date déjà d’un mois,
que l’abcès se soit ouvert dans les membranes, avant leur incision. La
Peyronie n’avait été appelé qu’au bout d’un mois auprès du blessé, qui
portait une plaie sur le pariétal gauche : des accidents pressants qui
n’existaient que depuis quelquesjours, firent soupçonner un épanchement
sous le crâne ; une fracture fut découverte ; deux couronnes de trépan, et
l’ablation des pièces d’os, qui blessaient la dure-mère, ne firent pas ces¬
ser les accidents. La dure-mère était livide et un peu molle ; elle fut ou¬
verte, il sortit aussitôt environ une palette de pus mal conditionné, dans
lequel on reconnut quelques flocons de la substance du cei’veau ; la ca¬
vité où il était contenu s’étendait jusqu’au corps calleux, on pouvait y
injecter jusqu’à quatre onces de liquide. L’injection faisait perdre con¬
naissance au malade, elle entraînait de petites portions de la substance
du cerveau... Le malade fut guéri en deux mois.
Cette tendance des abcès à se porter vers la surface des hémisphères,
diminue encore le nombre des cas où l’incision du cerveau devra être
pratiquée; malheureusement nous savons déjà aussi que te pus peut s’ou¬
vrir une voie dans les ventricules, et l’indication sera toujours de re¬
courir le plutôt possible à l’opération, quand elle est suffisamment jus¬
tifiée.
L’époque à laquelle elle peut être pratiquée le plus tard possible, n’a
pas toutefois de limite fixe, elle n’est point prescrite par le temps écoulé.
45
ENCÉPHALE. — abcès du cerveau.
On a pu faire avec avantage l'application du trépan pour des abcès inter¬
crâniens au bout de six semaines (Lamsveise), deux mois (Pott), trois mois
(Marchettis) , sept mois (Scultet), un an (Fabrice de Hilden, Paul d’Égine).
Tantôt dans ces observations, la plaie était cicatrisée, mais l’indication
d’opérer était tirée de douleurs locales continuelles, de l’hémiplégie ou
d’accès épileptiformes, tantôt il y avait une fistule avec altération des os,
et des accidents de paralysie ou de convulsion alternant avec l’écoule¬
ment ou le séjour du pus dans le foyer.
Nous avons déjà parlé à propos des épanchements sanguins du parti,
que suivant quelques auteurs, Abernethy en particulier, on pourrait ti¬
rer, pour déterminer leur siège, de la coloration et de la vascularité de
l’os, du décollement du périoste. Existe-t-il pour les abcès des signes lo¬
caux analogues, qui puissent diriger le chirurgien? il en existe, et pour
les abcès superficiels, ces signes ont une grande valeur ; que l’abcès soit
la suite d’un épanchementsanguin envahi parTinflammation suppurative,
ou qu’il dérive de la fracture elle-même, de la piqûre du crâne, de sa dé¬
nudation de l’ostéite, de la nécrose de l’os frappé, cet os séparé de la
dure-mère, en contact avec le pus, s’altère dans sa couleur, sa structure,
et ses altérations indiquent, sinon l’étendue de la collection purulente in¬
tra-crânienne, du moins le point de départ et te premier foyer ; un corps
étranger aigu fixé dans le diploé sera aussi un indice précieux et irrécu¬
sable ; des fistules intarissables conduisent sûrement sur la lésion osseuse
et c’est là que devra être appliqué le trépan. Comme l’abcès profond est,
dans un très-grand nombre de cas, la suite et pour ainsi dire l’extension
de l’abcès superficiel , qu’il procède de l’altération de la dure-mère
comme celle-ci vient de la maladie de l’os (je laisse ici de côté les cas de
fracture, avec enfoncement des esquilles dans la substance cérébrale, parce
qu’ici le diagnostic n’offre aucune difficulté), les signes des abcès superfi¬
ciels ne sont pas moins valables pour ceux de ta profondeur du cerveau.
Il n’en est plus malheureusement de même pour certains abcès profonds,
par contre-coup, et dans ces cas le diagnostic conserve une incertitude
qui conduit à la temporisation et à l’abstention du trépan. Mais en lais¬
sant à part ces circonstances au-dessus des ressources de l’art, suffit-il
toujours d’avoir ouvert une voie au pus épanché? ne peut-il stagner dans
des parties déclives? ne serait-il pas indispensable alors de faire au foyer
une contre-ouverture? Dans un cas pareil, A. Paré se trouva bien des in¬
jections poussées par l’ouverture du trépan. La Peyronie les mit sembla¬
blement en usage dans un cas où la matière purulente restait arrêtée vers
la région frontale. Mais il y a des cas où le pus est trop loin de l’ouver¬
ture déjà pratiquée, et où l’injection ne pourrait suffire à vider le foyer. Il
arriva à Saviard, chirurgien de, THôtel-Dieu, de devoir le salut d’une
femme, qu’il avait trépanée, à cette circonstance que les fluides purulents
et sanieux s’échappèrent à travers la fracture qui s’étendait vers l’os qui
les couvrait. (Mémoires de V Académie de chirurgie, t. I, p. 197.) Mais
une contre-ouverture par le trépan n’aurait-elle pas sauvé la malade plus
promptement et plus sûrement?
46 ENCÉPHALE. — corps étraîigers dams le cerveau .
Chauvin fit mieux dans un cas de fracture de l’occipital à sa partie
supérieure et du pariétal droit en haut et en arrière : il appliqua deux
couronnes de trépan, l’une sur l’occipital, l’autre sur le pariétal; les
accidents qui s’étaient montrés disparurent à l’exception de la paralysie
de la paupière de l’œil gauche. Au bout d’un mois on s’aperçut qu’il
s’écoulait, par l’ouverture de l’occipital, d’abord dii sang, quelques jours
après du pus, et que chaque fois que le foyer était vidé, la paupière
cessait d’être paralysée. Le pus venait de fort loin et ne sortait qu'aux
pansements ; Chauvin trouva la source de l’écoulement sous le milieu du
pariétal . A ce niveau il pratiqua le trépan comme contre-ouverture, et le
succès fut obtenu. En pareille occurrence, cette conduite devient la règle
de l’art.
Corps étrangers. — Les plaies du crâne et du cerveau sont quel¬
quefois compliquées de corps étrangers : ce sont des tiges métalliques,
telles que couteaux, poignards, lames d’épée, bouts de fleuret ou des corps
lancés par la poudre à canon, grains de plomb, chevrotines, balles, bis-
caïens, baguettes de fusils, culasses de fusil quand cette arme éclate, etc.,
et avec ces projectiles, les portions de vêtements qu’ils poussent au-devant
d’eux, et les esquilles qu’ils enlèvent au crâne pour les projeter dans le
cerveau ; Velpeau a signalé une mèche de cheveux engagée entre les bords
d’une fracture, et qu’il fut impossible de dégager.
Leur situation est très-variable, ils ont pu rester dans l’épaisseur de
l’os sans la dépasser, ou au contraire faire saillie vers la cavité crânienne
en repoussant la dure-mère, se glisser entre celle-ci et le crâne, ou tra¬
verser les membranes et pénétrer plus ou moins profondément dans le
cerveau.
Nous représentons (fig. 1) une balle enclavée dans le temporal et
l’aile gauche du sphénoïde , vue du côté externe. La balle est encha-
tonnée, mais elle est plus saillante en dehors qu’en dedans, ainsi qu’on
fiG. 1. — Balle enclavée dans le temporal et Fio. 2. — La même, vue du côté interne. —
l’aile gauche du sphénoïde, vue du côté ex- Traces d’ostéite consécutive. (Legocest, Chi-
terne. (Musée du Yal-de-Gràce.) rurgie d’armée.]
en voit la démonstration dans la figure 1, qui fait voir le même corps
étranger faisant saillie en dedans, mais d’une manière à peine sensible;
on y voit aussi des traces d’ostéite consécutive. Une autre figure (5)
montre une balle enclavée dans l’os frontal, un peu au-dessus de l’apo-
ENCÉPHALE. — corps étrangers
CERVEAU.
47
physe orbitaire externe gauche; la table externe de l’os présente une
perforation très-nette, sans aucune fente ni fêlure, et la figure 4, qui est
Fis. 3, — Balle enclavée dans l’os frontal un Fig. 4. — Face interne de la pièce précédente,
peu au-dessus de l’apophyse orbitaire ex- — La table interne de l’os, enfoncée dans
terne gauche. — La table externe de l’os une étendue plus considérable que l’ex-
présente une perforation très-nette sans au- terne, présente des fragments restés unis
cune fente ni fêlure. (Larbev, Cliniqite, faisant saillie dans le crâne et consolidés dans
t. III.) (Musée du Yal-de-Grâce.) cette position.
la face interne de la pièce précédente, nous donne à voir la table interne
de l’os, enfoncée dans une étendue plus considérable que l’externe, et
offrant des fragments restés unis, faisant saillie dans le crâne, et con¬
solidés dans cette position. Les deux figures suivantes (5 et 6) nous
IG. 5. — Fer de zagaie pénétrant dans
crâne par la fosse temporale droite.? (Mus
du Val-de-Grâce.) (Legouest.)
Fig. 6. — Intérieur du crâne précédent. —
Le fer de zagaie est implanté par la pointe
dans la protubérance occipitale interne.
donnent l’exemple très-remarquable d’un corps étranger, qui, d’après
les renseignements communiqués à H. Larrey par le docteur Tanner (de
48 ENCÉPHALE. — corps étrangers dans le cerveau.
Calcutta), aurait séjourné dans la tête du blessé vingt et un jours,
pendant lesquels il a survécu; toutes deux représentent une tête d’In¬
dien dans laquelle le fer d’une zagaie est entré obliquement par la
fosse temporale droite, à travers la grande aile du sphénoïde, auprès
de sa suture avec l’os temporal, et, pénétrant dans le crâne, a fait
une petite fracture à la partie supérieure du rocher, et s’est enfin im¬
planté solidement dans la protubérance occipitale interne. Les bords
de la fracture du sphénoïde offrent des traces manifestes d’un travail
d’élimination.
Dans ces diverses positions, les corps étrangers ont une conséquence
commune, c’est de produire autour d’eux une irritation vive, variable
cependant, une inflammation dont le but est leur dégagement, mais dont
les effets à peu près constants sont l’ostéite, la nécrose de l’os, la méningite,
des abcès intra-crâniens sur la dure-mère, l’encéphalite et les abcès pro¬
fonds déjà décrits plus haut. La vie du blessé est donc toujours menacée ;
cependant on cite un grand nombre de cas dans lesquels des corps étran¬
gers de divers volume, mais quelquefois très-gros, ont pu séjourner dans
l’épaisseur du crâne ou dans sa cavité, dans le cerveau lui-même, même à
une grande profondeur pendant des mois et des années, je ne dirai pas
sans compromettre les fonctions intellectuelles d’aucune manière, et
sans laisser pour ainsi dire une menace permanente suspendue sur la vie
du blessé, mais du moins sans les empêcher, non-seulement de survivre
à leur blessure, mais encore de continuer à remplir leurs occupations ha¬
bituelles; quelquefois même la vie n’a pas été diminuée ; on trouve dans
le mémoire de Quesnay sur les plaies du cerveau, que j’ai eu occasion de
rappeler souvent dans cet article, des observations très-curieuses, qui dé¬
montrent le fait : un brigadier des armées du roi reçut un coup de mous¬
quet au-dessus du sourcil, la balle perça l’os et se perdit dans le cer¬
veau, le blessé fut assez bien rétabli pour retourner l’année suivante en
campagne, où il mourut, suivant ce qu’on rapporte, d’un coup de soleil ;
on lui ouvrit le crâne, on y trouva la balle entrée de deux travers de
doigt dans la substance du cerveau, où elle était restée sans y causer
aucun désordre.
La Martinière a présenté, à l’Académie de chirurgie, un grenadier au¬
quel il restait à la partie moyenne inférieure du coronal, entre les deux
sinus frontaux, un petit sinus fistuleux, causé par un coup de fusil, dont
la balle avait percé l’os sans s’être fait une issue ; la dure-mère avait été
déchirée ; pendant le traitement, on retira plusieurs esquilles détachées
de la table interne du coronal; il fut impossible de retrouver la balle. Le
blessé eut à diverses reprises divers accidents, la fièvre, de l’assoupisse¬
ment, le délire. Cependant au vingt-septième jour, le blessé parut hors de
danger; on ne çhercha pas la balle ; le malade finit par guérir, il fut placé
aux Invalides : il ne resta aucun accident.
Dans une observation due à Fabrice de Hilden, la balle avait traversé le,
coronal et s’était perdue dans la tête; la guérison fut obtenue, mais au
bout de six mois, le malade mourut d’une maladie aiguë, la balle fut
ENCÉPHALE. — corps étrangers du cerveau. 49
trouvée vers la suture sagittale, entre le crâne et la dure-mère, sans que
cette membrane fut endommagée.
Anel rapporte l’histoire d’un blessé qui avait conservé une balle dans
la tête pendant plusieurs années sans incommodité ; il mourut subitement
en jouant aux cartes. Les chirurgiens, qui l’avaient traité, trouvèrent la
balle sur la glande pinéale avec du sang nouvellement extravasé et coa¬
gulé. Majault a vu un bout de flèche rester quatre mois dans le cerveau
d’un soldat ; la suppuration finit par entraîner ce corps étranger et le
blessé fut guéri. Manne rapporte qu’une esquille resta un mois dans le
cerveau sans causer d’accident. Mais ce sont quelquefois des corps plus
volumineux qui ont pénétré dans le crâne et le cerveau ; il est arrivé assez
souvent que la culasse d’un fusil éclaté, lancée par la poudre à canon
s’est enclavée à travers les parois du crâne en s’engageant jusque dans la
substance cérébrale, et a pu être extraite assez heureusement pour que les
blessés aient recouvré la santé. On en trouve deux exemptes remarquables
dans la thèse de concours de Chassaignac sur les lésions traumatiques du
crâne (1842); elles sont extraites l’une du Medical Recorder, vol. X
(july 1826), l’autre de VEdinb. med. and Surg. Journal (january 1830).
Dans le premier cas, le chirurgien J. Morrin, trouva une large plaie des
téguments à la partie inférieure du frontal au-dessus de l’épine nasale;
une portion de la culasse était tellement enfoncée dans la substance céré¬
brale que l’on ne pouvait ni la voir ni la sentir avec le doigt; la substance
cérébrale sortait de chaque côté de la blessure ; le malade avait sa raison,
mais ne pouvait donner aucun renseignement; son fusil avait éclaté, et il
croyait qu’un morceau de bois lui était entré dans la tête; l’éclat du
fusil fut retirp au moyen d’une pince de dentiste, en employant une force
considérable (saignées larges et répétées) ; une esquille fut retirée
quelque temps après. La guérison était complète, dit-on, au bout de vingt-
quatre jours. L’odorat resta perdu. Dans la deuxième observation, un mor¬
ceau de la culasse du fusil pénétra au milieu de l’os frontal, un peu au-
dessus du bord de l’orbite, à un pouce et demi de profondeur dans la
substance cérébrale, entraînant avec lui un fragment d’os de trois quarts
de pouce d’étendue. Des débris de substance cérébrale tachaient les
pierres voisines ; le blessé était tombé, mais n’avait pas perdu connais¬
sance ; le corps étranger fut retiré une heure et demie après l’accident ;
son extraction laissa voir une cavité dans laquelle pouvaient être intro¬
duites les deux dernières phalanges du petit doigt, qui sentirent le frag¬
ment osseux ; il fut retiré avec les pinces ; dans la soirée, il sortit encore
par la plaie des portions de cerveau, des saignées nombreuses furent faites
dans les jours suivants, du 22 novembre, jour de l’accident, jusqu’au
2 décembre; à partir du 14, la guérison fut assurée.
Ce sont là deux exemples d’extraction immédiate, et sous ce rapport, ils
diffèrent sensiblement des observations de séjour plus ou moins prolongé
de corps étrangers dans le cerveau citées plus haut. Quant à ces der¬
nières et autres cas analogues, il ne faut pas se dissimuler que s’ils sont
possibles ils ne sont pas fréquents, et que dans la plupart des cas de
HODV. MCT. IIÉD. ET CHIE. XIII. — 4
50 ENCEPHALE. — coeps étramgeks dd cerveau.
corps étrangers logés dans le crâne ou dans le cerveau, ils ont produit
des suppurations prolongées, des fistules interminables, des douleurs de-
tête continues ou intermittentes, des convulsions épileptiformes. Le blessé-
d’ailleurs ne porte-t-il pas en lui une cause d’accidents et de mort? peut-on
jamais le considérer comme guéri? La thèse de R. Garland sur les morts
subites (Paris, 1832) contient plusieurs observations d’individus succom¬
bant à la suppuration du cerveau au milieu d’accès convulsifs, après avoir
conservé dans le crâne des balles depuis cinq mois, dix-huit mois, deux ans.
Cela conduit à reconnaître que lorsqu’elle est possible, l’extraction des
corps étrangers intra-crâniens est la règle à suivre; elle seule peut
donner lieu à la cure radicale. Les conditions dans lesquelles elle est faite
peuvent varier ; on la pratique au moment de l’accident ou à une époque
plus ou moins éloignée.
Que la blessure soit récente ou déjà ancienne, la situation du corps
étranger à travers le crâne, offre deux circonstances différentes. Si c’est
un corps pointu qui s’est fixé dans l’os : ou il le déborde assez au dehors
pour être saisi avec des pinces ou des tenailles, et peut être extrait, ou
bien il a été brisé si près de la surface de l’os, qu’il n’y a pas de prise
pour le saisir, et cela devient l’affaire du trépan. 11 faut cerner le corps
étranger par une couronne, ainsi que le fit en 1723 Beausoleil, chirur¬
gien de l’hôpital d’Angoulême, qui retira du pariétal droit d’un garçon
tailleur, un morceau de bois qui pénétrait jusqu’au cerveau. Percy le
père en fit autant pour extraire la lame d’un gros couteau du front d’une
servante d’auberge frappée par un soldat ivre. Enfin, Dupuytren fit l’ap¬
plication du trépan, dit-on, dans les circonstances suivantes : un jeune
homme, vers 1824, avait reçu sur le sommet de la tête un coup de couteau;:
l’instrument s’était rompu après avoir perforé le crâne, et la pointe y
élait restée, le blessé guérit, mais au bout de dix ans, la blessure étant
devenue douloureuse, Dupuytren, à l’Hôtel-Dieu, reconnut que la cica¬
trice était soulevée par un corps dur. Une ouverture fut faite, et la pointe-
du couteau avec la portion d’os dans laquelle elle était enclavée fut enlevée
à l’aide du trépan. C’est alors que les accidents ayant persisté et l’hémi¬
plégie du côté opposé étant survenue, la dure-mère fut incisée, et enfin
le cerveau lui-même qui contenait un abcès profond; le malade fut sauvé.
Il se peut qu’une tige métallique, une baguette de fusil, une épée, un
poignard pénètre dans le crâne de plusieurs centimètres sans blesser le
cerveau ; le corps étranger s’est insinué entre les deux hémisphères paral¬
lèlement à la faux du cerveau; quelquefois, au contraire, la masse céré¬
brale a été traversée de part en part, et le corps vulnérant a pratiqué
deux ouvertures. L’e.xtraction peut offrir alors de grandes difficultés, d’au¬
tant plus que la tige métallique n’est pas seulement fortement serrée dans
l’épaisseur de l’os, mais peut encore avoir changé de forme en se cou¬
dant pendant son trajet à travers la tête. On doit, avec des tenailles ou un
étau à mains, saisir le corps étranger par sa grosse extrémité, et le tirer
avec force et sans secousses, en même temps que la tête est maintenue
par des aides appuyée sur un matelas, et autant que possible dans une po-
ENCÉPHALE. — corps étrakgers du cerveau. 51
sition fixe et invariable. Charrière a inventé un instrument imité de l’élé-
vatoire d’A. Paré, et qui pourrait servir à défaut des tenailles et de l’étau
à mains; il est fondé sur ce principe, que prenant un point d’appui sur le
crâne, et saisissant d’autre part le corps étranger à l’aide d’une pièce
mobile mue par un pas de vis, il porte, comme certains tire-bouchons, le
point d’appui, qui est le crâne et le corps étranger à extraire en sens op¬
posés. On pourrait se bien trouver aussi de l’application d’une ou plusieurs
couronnes de trépaa autour et au niveau de l’ouverture d’entrée, mais ce
sont là de ces détails de médecine opératoire, qui varient avec chaque cas
particulier, et dont une description plus étendue trouvera place à l’article
Trépan.
Une balle, qui a frappé le crâne dans une direction perpendiculaire à
.la surface osseuse, peut avoir été arrêtée au passage, soit au-dessous,
soit au niveau, soit enfin au delà de son grand diamètre; dans le premier
cas, le tire-fond peut suffire pour l’extraction, parce qu’on peut prendre,
pour engager l’instrument, un point d’appui sur elle; dans le second
cas, on risquerait de l’enfoncer plus profondément. Il faut mettre en
usage deux poinçons plongés horizontalement aux extrémités d’un même
diamètre, et dans le troisième cas, où le danger d’enfoncer la balle
paraît presque inévitable, c’est au trépan qu’il serait bon de recourir, car
il servirait aussi à extraire le fragment de la table interne déprimé vers
les membranes et le cerveau; enfin, dans certains cas difficiles à déter¬
miner a priori, on peut être conduit à se servir de la gouge, du maillet
de plomb et des scies en crête de coq.
Quand la paroi du crâne a été complètement dépassée, des graviers de
plomb, une balle de petit calibre ou de calibre ordinaire, ont pu che¬
miner entre la dure-mère et les os, ou s’enfoncer dans le cerveau. Le
doigt, une sonde, rencontrent le corps étranger quelquefois très-près de
l’ouverture d’entrée; mais, à cause de la déformation subie par le corps
étranger, il est rare qu’il ne faille pas appliquer- le trépan pour l’ex¬
traction. Le trajet parcouru peut être considérable; alors il est impossible
de retirer la balle par la plaie osseuse ; dans un cas pareil , où Larrey,
avait reconnu, à l’aide d’une sonde de gomme élastique, que la balle,
entrée à la région frontale, avait parcouru, entre les os et la dure-mère,
un trajet qui se terminait à la suture occipitale, le blessé se plaignant,
d’ailleurs, d’une douleur au point du crâne opposé à la plaie extérieure,
une contre-ouverture fut faite au niveau du lieu où s’était arrêtée la
sonde, retirée et appliquée à l’extérieur. Cette contre-ouverture donna
issue à du pus ainsi qu’à la balle, et la guérison fut le prix de cette
ingénieuse conduite.
Quand enfin la balle est plongée dans la substance cérébrale, la plaie
de là dure-mère et un léger relief à la surface du cerveau, indiquent le
siège du corps étranger. L’introduction d’un stylet, faite avec précaution,
confirmera le diagnostic ; une large voie sera ouverte à l’aide du trépan
pour l’extraction, et afin d’éviter le danger de laisser retomber la balle,
ainsi que cela est arrivé à un chirurgien cité par Percy.
52 ENCÉPHALE. — accidents tardifs, épilepsie.
Voilà ce qu’il faut faire dans les cas où la blessure est récente; si, au
contraire, elle était ancienne, on ne serait autorisé aux tentatives d’ex¬
traction qu’en cas de douleurs violentes, de symptômes de compression
et si le siège du corps étranger avait pu être suffisamment déterminé.
Accidents dn cerveau, douleurs locales, épilepsie. — Les
douleurs locales, dont on peut profiter, ainsi que je viens de le dire, pour
juger du siège d’un corps étranger, peuvent aussi exister dans des cas où
la présence de celui-ci n’a pas dû être soupçonnée. C’est une complication,
même quelquefois assez tardive pour ne se présenter, après une blessure à
la tête, qu’au bout de plusieurs mois ou d’années. Elles répondent, ce¬
pendant, à l’endroit frappé, et sont permanentes ou intermittentes, quel¬
quefois assez vives pour produire la syncope au moindre attouchement, à
la plus légère pression du siège de la douleur. Naturellement on a dû
chercher, dans ces cas de douleurs fixes au point frappé, quel état
anatomique pouvait en être la cause. On a trouvé le péricrâne décollé
dans une petite étendue, et, au-dessous de lui , l’os tantôt rougeâtre;
tantôt brun, noirâtre, dépoli, terne, sec, d’un blanc mat; il était carié ou
nécrosé; enfin, au-dessous de l’os, quelquefois la dure-mère décollée, des
esquilles, du pus ou du sang ; le cerveau plus ou moins altéré. Quelque¬
fois, au contraire, aucune lésion appréciable n’a été rencontrée, et les
douleurs n’étaient qu’une névralgie au niveau de la cicatrice.
Le mémoire de Quesnay sur le trépan dans des cas douteux {Mé¬
moires de V Acad, de chirurgie, t. I, p. 188 à 231), contient des observa¬
tions importantes sur le point dont nous traitons.
1’® obs. — « Une demoiselle de dix ans fut frappée par une tringle de
fer qui lui tomba sur la tête. Il n’y eut pas de plaie; la guérison fut
prompte à la réserve d’une douleur fixe sur un des pariétaux. De temps
en temps, la douleur augmentait, donnait de la fièvre qu’on apaisait par
la saignée ; cela dura plusieurs années. Maréchal jugea le trépan néces¬
saire, il découvrit l’os au siège de la douleur, et appliqua une couronne
de trépan ; il remarqua que la sciure de Vos était sèche comme celle d’un
crâne qui aurait été longtemps enterré. L’opération réussit, et la douleur
cessa entièrement et pour toujours. »
2® obs. — « Une femme reçut un coup de bûche sur la partie moyenne
du pariétal gauche, sans plaie, ni contusion notable. Une douleur d’a¬
bord légère, puis vive à l’endroit du coup, survint et résista à la saignée
répétée, à l’artériotomie de la temporale, à l’incision suivie de suppu¬
ration pendant quinze jours. La douleur persista et devint plus violente;
le trépan fut appliqué avec succès; on ne trouva rien sous le crâne, mais
la douleur disparût. »
5® obs. — Une fille de quatorze ans, tomba sur le derrière de la tête
en descendant un escalier; elle perdit connaissance, eut une violente
douleur de tête pendant plusieurs jours pour laquelle elle fut saignée plu¬
sieurs fois du bras et du pied ; elle fut soulagée, mais il resta une dou¬
leur fixe derrière la tête, qui augmenta beaucoup et venait par accès
réguliers, si cette fille se frottait un peu fort au point douloureux.
ENCÉPHALE. : — accidents tardifs, épilepsie. ?>5
elle loinbait en syncope ; enfin il survint des mouvements épileptiques
huit ou dix: fois par jour. Gervais vit au siège de la douleur une
tache noirâtre à la peau; c’était à la partie moyenne et supérieure de
l’occipital. Par la pression, il produisit à diverses reprises la syncope; on
décida en consultation de découvrir le point douloureux ; on trouva le
périoste détaché de l’os qui était altéré; on songea au trépan, mais on le
différa; l’exfoliation de l’os amena la guérison définitive.
Scultet rapporte une observation tout à fait semblable sur un garçon de
sept ans : le crâne mis à nu au siège de la douleur fut trouvé noir et
âpre; on rugina; des bourgeons charnus de bonne nature se formèrent
sur l’os, et la guérison fut prompte.
On pourrait multiplier les citations d’observations analogues, il vaut
mieux poser les principes, et préciser les indications opératoires. S’il y
a une fistule, de l’œdème au point frappé et douloureux, il faut évidem¬
ment inciser et mettre l’os à nu. Le périoste est-il soulevé, l’os rou¬
geâtre et douloureux, on maintiendra la plaie ouverte et on attendra l’ex-
foliation ; si l’os est carié, on ruginera, et on attendra encore la gué¬
rison spontanée, mais on trépanera dans le cas où l’os est d’un blanc
mat, nécrosé ; si la sonde a fait découvrir un foyer purulent intra-crâ¬
nien, et si l’emploi de la rugine et l’exfoliation n’ont pas fait cesser la
douleur vive et opiniâtre. Au contraire, dans le cas où l’os n’est pas al¬
téré, on doit se borner à l’incision, car on trouve dans la science des ob¬
servations, qui démontrent que des douleurs locales anciennes ont cédé à
la simple incision des parties molles au niveau delà cicatrice.
Le traitement des névralgies doit seul être employé dans les cas où les
douleurs ne sont pas localisées dans un point précis, ne répondent pas
par conséquent au lieu de la blessure : il se borne aux antispasmodiques
et narcotiques connues.
L’épilepsie consécutive à une blessure, est-elle une indication du
trépan? oui, quand on trouve au lieu de cette blessure une altération de
l’ps superficielle ou profonde. C’est le cas du malade de Marchettis, qui
fut guéri de mouvements épileptiques par l’opération du trépan. (Obser¬
vations méclico-chirurg., 7® observation.) Quesnay rapporte une autre ob¬
servation deTursan, où il est question d’un épileptique qui reçut un coup
à la tête pour lequel on le trépana ; les accès furent suspendus tant que
la plaie suppura, mais reprirent après la cicatrisation. Dans les cas même
où la douleur fixe au lieu du coup et l’épilepsie sont bien évidemment
symptomatiques d’une blessure, mais toutefois sans les altérations os¬
seuses, qui peuvent et doivent servir d’indications de l’opération, on ne
doit agir qu’avec la plus grande circonspection ; une observation de
Boyer (7’mHd des maladies chirurgicales, t, V, p. 144), montre le danger
d’une simple incision. « Un homme de trente-six ans reçut un coup à la
partie postérieure de la tête. Il resta au point frappé une douleur continue,
et deux ans après, des accès d’épilepsiesurvinrent. On décida d’appliquer
une couronne de trépan à l’endroit douloureux, on n’aperçut aucune al¬
tération de l’os après l’incision des parties molles; le trépan fut remis au
54
ENCÉPHALE. — bibliographie.
lendemain, mais quelques heures écoulées, il y eut un frisson, puis un
érysipèle avec beaucoup de fièvre, et le sixième jour le malade mourut.
A l’autopsie, on ne trouva rien dans le crâne au lieu du siège de la dou¬
leur. D’un autre côté, on sait déjà que la guérison de l’épilepsie sympto¬
matique a été guérie par le trépan. Nous avons dit dans quelles conditions
le chirurgien y serait autorisé. Nous ne croyons donc pas que les succès
obtenus dans des cas semblables puissent conduire au trépan dans l’épilepsie
essentielle, idiopathique. Quelques chirurgiens en ont cependant proposé
l’application, et Lamotte l’a pratiquée sur le pariétal gauche sans autre
indication qu’un sentiment général d’embarras dans toute la tête au début
des attaques. La réussite ne fut que partielle ; l’épilepsie reparut quand le
trou du crâne fut fermé, mais les accès à leur retour restèrent moins forts
et moins fréquents.
Tumeurs fongueuses de la dure-mère. — Devons-nous comp¬
ter au nombre des accidents traumatiques de l’encéphale certaines tu¬
meurs nées de la dure-mère, soit à la face interne, soit à la face externe,
par cela seul qu’on a cru pouvoir en rapporter l’origine à un coup plus ou
moins violent sur la tête, ou à quelque chute dans laquelle le cerveau a
reçu ûn ébranlement plus ou moins marqué? La chose ne serait pas
contestable pour quelques-unes de ces tumeurs, quoiqu’il faille remarquer
que la violence du choc n’est pas une condition nécessaire de leur dé¬
veloppement, et que parfois une légère commotion, comme celle qui ré¬
sulte d’une chute sur le siège, a paru en être la cause occasionnelle, tandis
qu’en d’autres circonstances la tumeur s’est développée bien évidemment
à la suite d’un coup violent et dans le lieu d’une contusion extérieure
très-manifeste; d’autre part, si l’on considère l’anatomie pathologique de
ces tumeurs dites fongueuses, on reconnaît qu’elles sont de véritables
cancers et qu’elles présentent les caractères physiques et microscopiques
du squirrhe et de l’encéphaloïde; de sorte que si on ne peut nier pour
plusieurs l’occasion du traumatisme, on se trouve, même pour ces cas,
dans la nécessité d’admettre, comme pour les autres cancers, une pré-
di.sposition de l’organisme, et, en effet, on voit un plus grand nombre
encore de ces tumeurs fongueuses de la dure-mère naître spontanément.
C’est à l’article Méninges que le lecteur trouvera les maladies chi¬
rurgicales de la dure-mère. Quoi qu’il en soit, elles font partie du domaine
de la pathologie de l’encéphale, et, à ce titre, elles appartiennent aussi
bien, et peut-être plus, à cet article qu’à celui qui sera consacré aux
maladies des méninges, les autres lésions chirurgicales de celles-ci, telles
que les plaies et l’inflammation traumatique n’ayant pas pu être détachées
des lésions traumatiques du cerveau.
Hippocrate, Œuvres, traduction nouvelle par E. Littré. Des épidémies, liv. VII, t. V, p. 405.
Paré, Œuvres, éd. Malgaigne. Paris, 1840.
PiGRAT, Épitome des préceptes de médecine et de chirurgie, liv. IV, ch. ix.
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ris, 1745, in-4, 1. 1, p. 510).
55
ENCÉPHALE. — congestion.
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[Comptes rendus de l’Académie des sciences, 18 février 1839). — Mémoire sur l’écoulement
d’un liquide aqueux par l’oreille, considéré comme signe des fractures du crâne et en parti¬
culier du rocher, lu à l’Académie de médecine le 14 mai 1844 [Archives de médecine, 4* sé¬
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Chassaignac, Lésions traumatiques du crâne et des parties qu’il contient. Thèse de concours
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Lebeet, Traité d’anatomie pathologique. Paris, 1861, t. II. Inflammation traumatique du cer¬
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JliCHET, Traité d'anatomie chirurgicale. 4« édition, 1870.
Voyez en outre la bibliographie de l’article Méninges.
St. Ladgieb.
PATHOLOGIE MÉDICALE.
Congestion de l’encéphale. — Genèse et étiologie. — On a sérieu¬
sement contesté que l’encéphale pût être, comme les autres viscères, le
siège d’hypérémies. Monro et Kellie avaient établi qu’en raison de l’in¬
compressibilité presque absolue des liquides et de la rigidité des parois
crâniennes, le contenu liquide du crâne n’est susceptible ni d’augmen¬
tation ni de diminution. On partit de là pour nier formellement, au nom
des lois physiques, la possibilité de toute variation dans la quantité de
sang que renferme l’encéphale : c’était forcer, en l’altérant, le sens de
la proposition inattaquable énoncée par Monro et Kellie; on ne tenait pas
compte, en raisonnant ainsi, du liquide céphalo-rachidien. Ce n’est que
.plus tard que le rôle et l’importance de ce liquide ont été reconnus.
56 ENCÉPHALE. ■ — cokgestiom.
On sait aujourd’hui, grâce surtout aux expériences de Richet, qu’il
reflue dans le canal rachidien chaque fois que la pression intra-crâ¬
nienne s’élève et que ces fluctuations ont précisément pour résultat
de maintenir à un degré constant l’état de réplétion de la cavité
crânienne. Il existe un rapport inverse entre la quantité de liquide
céphalo-rachidien et la quantité de sang contenues dans le crâne; les
faits pathologiques, confirmant les données de l’expérimentation, dé¬
montrent la réalité de cet antagonisme ; c’est ainsi que dans l’hydrocé¬
phalie le cerveau est presque toujours vide de sang, que dans l’hypérémie
cérébrale on observe souvent la sécheresse des méninges ; les deux liquides
augmentent simultanément dans les cas d’atrophie du cerveau, et on ne les
voit diminuer tous deux ensemble que si un travail pathologique réduit la
capacité de la cavité crânienne.
D’autre part Donders, dans les remarquables expériences où il a pu,
au moyen d’une fenêtre pratiquée dans la voûte crânienne et obturée par
une laine de verre, observer directement la circulation cérébrale dans
des conditions presque physiologiques, a constaté des oscillations con¬
sidérables dans le diamètre des vaisseaux de la pie-mère; il les a vus se
dilater, au moment de l’expiration, de 0““,04 à 0““,14, et de 0““,07 à
pmm 10 Enfin on rencontre fréquemment dans les autopsies des hypé-
rémies cérébrales qui se distinguent nettement par leurs caractères des
simples stases superficielles dues à la position déclive de la tête, et dont
la nature pathologique ne peut être mise en doute. L’existence de cet état
morbide ne saurait donc plus faire question aujourd’hui.
Dans l’étude des causes, une division de premier ordre doit être d’abord
établie suivant que la congestion est déterminée par l’afflux du sang en
trop grande quantité, ou par un obstacle à la circulation en retour; en
d’autres termes, suivant qu’elle est active ou passive.
La congestion active peut avoir pour causes prochaines la fluxion colla¬
térale, l’irritation de l’encéphale, la perturbation de l’innervation vaso¬
motrice, l’abaissement de la pression extra-vasculaire.
Elle peut se produire par fluxion collatérale quand la tension s’élève
dans le système artériel, et surtout dans les branches céphaliques de
l’aorte. Tout obstacle au cours du sang dans l’aorte au delà des carotides,
le rétrécissement du vaisseau au niveau de l’orifice du canal artériel,
sa compression par les tumeurs du médiastin ou de l’abdomen, la dimi¬
nution du champ de la circulation rénale dans la maladie deBright, sont
autant de causes capables d’accroître la pression dans les artères cépha¬
liques, et de produire ainsi l’hypérémie cérébrale ; l’hypertrophie du
cœur, dont ces lésions amènent presque nécessairement le développe¬
ment, intervient alors puissamment comme cause adjuvante. C’est par-
un mécanisme analogue que la suppression d’un flux sanguin habitue!
amène la congestion de l’encéphale; ainsi s’expliquent les accidents
cérébraux que Ton observe parfois après la cessation brusque des règles
ou d’un flux hémorrhoïdaire. Ces faits se produisent moins communé¬
ment qu’on ne l’a longtemps admis, mais la réalité en est incontestable.
ENCÉPHALE. — co.ngestion. 57
Dans les accouchements pénibles, la compression prolongée des mem¬
bres et du tronc par les contractions utérines, tend à chasser le sang vers
l’extrémité céphalique en partie dégagée, et peut déterminer ainsi une
hypérémie intense de l’encéphale, l.a contraction énergique de toutes les
artères cutanées pendant le stade de frisson des fièvres intermittentes,
fait de même refluer le sang dans les viscères, et particulièrement
dans le cerveau. Tel est encore le mode pathogénique des congestions
cérébrales signalées par Watson chez des individus que, pendant les
nuits des hivers rigoureux, on trouve morts dans les rues de Londres;
mais dans ce dernier cas, la fluxion collatérale n’est pas seule en
jeu, d’autres éléments interviennent, et, en première ligne, les troubles
vaso-moteurs que provoque l’excitation par le froid des nerfs sensitifs.
La congestion irritative s’observe à la suite de veilles prolongées, de
fatigues intellectuelles. Elle peut avoir pour origine les modifications du
sang que produisent les fièvres graves; il s’agit, bien entendu, des
congestions précoces, et encore faudrait-il se garder de rapporter exclu¬
sivement à la congestion les phénomènes cérébraux qui marquent souvent
le début de ces fièvres. Dans la manie aiguë, on trouve le plus souvent,
d’après Griesinger, une hypérémie intense de l’encéphale et de ses
membranes. L’alcool à haute dose congestionne le cerveau. L’opium,
d’après la plupart des auteurs, aurait la même action; cependant des
expériences récentes semblent prouver, au contraire, qu’il produit
Tanémie cérébrale; de nouvelles recherches sont donc nécessaires. L’étude
expérimentale des modifications que les divers agents médicamientaux
peuvent apporter dans la circulation de l’encéphale, est d’ailleurs d’une
grande difficulté ; il est toujours délicat de décider si la congestion que l’on
observe doit être rapportée à l’action du médicament ou à des causes secon¬
daires, telles que la gêne de la respiration ou les efforts que fait l’animal en
se débattant; d’autre part, il paraît établi qu’à doses différentes le même
agent peut produire des effets opposés. En somme, la question est encore
à l’étude, et Ton ne possède aujourd’hui que des notions imparfaites sur
la nature et l’importance des troubles vaso-moteurs que les agents théra¬
peutiques peuvent déterminer dans l’encéphale. Les congestions qui,
d’après quelques auteurs, seraient la cause des accidents cérébraux dans
les fièvres intermittentes pernicieuses, prendraient place également parmi
les fluxions irritatives, mais de nouvelles observations sont nécessaires pour
établir la réalité de leur existence. Nous rangerons enfin dans la même classe
les congestions encore mal connues que Ton a signalées chez les goutteux.
Les troubles digestifs, les émotions morales, les érysipèles, les brû¬
lures étendues peuvent produire la congestion de l’encéphale en amenant,
par voie réflexe, la dilatation de ses petites artères. Ainsi s’expliquent,
par exemple, les morts subites qui surviennent parfois à la suite de
violentes émotions. Ces causes diverses agissent par un mécanisme sem¬
blable : une irritation part, soit des rameaux gastriques du nerf vague,
soit des nerfs sensitifs de la peau, soit des cellules des circonvolutions;
transmise par les nerfs centripètes à l’appareil bulbaire, où siège le centre
58 ENCÉPHALE. — congestion.
de l’innervation vaso-motrice, elle s’irradie de là sur les nerfs vasculaires
de l’encéphale, les petits vaisseaux se dilatent, et une congestion active se
produit ; souvent l’irritation se propage en même temps aux vaso-moteurs
qui suivent le facial et le trijumeau, et l’on observe, concurremment avec les
symptômes cérébraux, la rougeur de la face et l’injection des conjonctives.
La congestion passive a pour cause un obstacle à la circulation en retour
de l’encéphale, La compression des veines jugulaires par les tumeurs du cou,
la constriction du cou par le cordon chez les nouveau-nés, la compression
de la veine cave supérieure par les tumeurs du médiastin en sont sou¬
vent l’origine ; fréquemment elle est le résultat de stases dans la circu¬
lation cardio-pulmonaire. De toutes les lésions cardiaques, l’insuffisance
tricuspide, qui détermine à chaque systole le reflux du sang dans l’oreil¬
lette et les veines caves, est celle dont l’influence pathogénique s’exerce
le plus directement ; elle est le plus souvent consécutive, et c’est surtout
quand elles ont provoqué le développement de cette lésion, que les alté¬
rations chroniques des poumons, telles que l’emphysème et la sclérose,
amènent la stase dans l’encéphale. Quelques auteurs ont même affirmé
qu’une lésion du cœur gauche était impuissante à produire l’hypérémie
cérébrale, s’il n’existait en même temps une insuffisance de la tricuspide;
c’est là une assertion inexacte, et deux examens nécroscopiques ont
permis à l’un de nous de constater que le rétrécissement mitral peut pro¬
duire l’hypérémie cérébrale en l’absence de toute lésion de l’orifice au-
riculo-ventriculaire droit. Rappelons cependant que les affections car¬
diaques ne provoquent les phénomènes de stase qu’à une époque avancée
de leur évolution,, que le plus souvent le développement d’une hyper¬
trophie du ventricule droit compense les effets de l’obstacle, et que
les accidents congestifs ne se produisent qu’au moment ou, par suite des
progrès de la lésion ou de l’altération du muscle cardiaque, la com¬
pensation n’est plus sufisante.
L’effort, en augmentant la pression intra-thoracique et en s’opposant
ainsi à la déplétion des veines jugulaires, peut être une cause d’hypérémie
cérébrale. C’est ainsi que le chant, l’usage des instruments à vent, les
vomissements répétés et pénibles, les expirations violentes et prolongées,
les quintes de toux congestionnent l’encéphale ; les congestions que l’on
observe assez fréquemment chez les enfants atteints de coqueluche re¬
connaissent sans doute la même cause.
D’après Hasse, dans les cas d’obstacles à la circulation dans la veine
cave inférieure, l’afflux par l’azygos d’une quantité exagérée de sang
élèverait tellement la pression dans la veine cave supérieure que la
déplétion des veines jugulaires se trouverait gênée. Les faits d’oblitéra^
tion partielle et de compression de la veine cave qu’il nous a été donné
d’observer ne nous permettent pas d’accepter cette manière de voir.
La congestion passive peut encore avoir pour origine l’affaiblissement
de la vis a ter go. C’est ainsi que l’athérôme des artères cérébrales,
que l’affaiblissement de l’action cardiaque peuvent lui donner nais¬
sance. Les hypérémies de la dernière période des fièvres se rattachent en
ENCÉPHALE. — congestion. 59
grande partie à cette cause, bien que les altérations physiques et chi¬
miques du sang et la dilatation paralytique des petits Yaisseau.K ne soient
pas étrangères à leur production. Ces diverses conditions pathogéniques
existent à un haut degré dans Le choléra et expliquent la fréquence des
accidents congestifs qui se produisent dans le cours de cette maladie.
L’abaissement brusque de la pression extra-vasculaire peut causer
la congestion cérébrale. L’emploi industriel de l’air comprimé a plu¬
sieurs fois occasionné des accidents apoplectiformes qui n’avaient pas
d’autre origine ; ils peuvent se produire, en même temps que d’autres
phénomènes congestifs, quand les ouvriers cessent brusquement d’être
soumis à la pression anormale sous laquelle ils travaillent dans les tubes à
air comprimé. On peut facilement, en prenant les précautions convenables,
prévenir le retour de ces accidents ; ils deviennent de plus en plus rares.
11 n’a été question jusqu’ici que des congestions étendues à toutes les
parties de l’encéphale; on peut observer aussi des hypérémies partielles.
Chaque fois qu’une artère s’oblitère, les artères voisines sont le siège
d’une fluxion collatérale; les tumeurs intra-crâniennes sont fréquemment
la cause de congestions irritatives ; d’autres fois elles amènent la conges¬
tion passive en comprimant les veines ; enfin, les thromboses des sinus et
des veines de l’encéphale déterminent des stases limitées aux parties d’où
émanent leurs vaisseaux afférents.
11 nous reste à signaler l’influence que certains états pathologiques, la
constitution, l’âge, le sexe de l’individu, les conditions hygiéniques dans
lesquelles il se trouve, les modifications du milieu dans lequel il vit,
peuvent exercer sur le développement de la congestion cérébrale.
L’exagération de l’action cardiaque ne suffit pas , le système vasculaire
étant supposé sain, à produire par elle-même l’hypérémie de l’encéphale,
mais on ne saurait lui refuser une place importante parmi les causes
adjuvantes; ainsi l’excitation cardiaque joue certainement un rôle dans la
genèse des phénomènes cérébraux que l’on observe souvent au début des
inflammations ducœur et de ses enveloppes. Dans les hypertrophies du cœur,
dites essentielles, et même dans les hypertrophies compensatrices, quand
l’obstacle constitué par la lésion n’est plus en rapport avec l’énergie des
contractions cardiaques, quand, en un mot, il y a excès de compensation,
on ne saurait nier que l’augmentation de la pression artérielle ne
constitue une circonstance éminemment favorable à la production de la
congestion cérébrale.
La pléthore est également une prédisposition. C’est surtout chez les
individus pléthoriques qu’un repas trop copieux ou le séjour dans un
lieu trop chaud peuvent déterminer des accidents congestifs du côté de
l’encéphale. La congestion peut cependant se produire dans des conditions
tout opposées, et un état anémique n’en est nullement exclusif. Une
hypérémie n’est, en effet, qu’une répartition vicieuse du sang, un trouble
purement local, sur lequel les modifications dans la quantité ou les
qualités de la masse du sang en circulation ne sauraient avoir qu’une
action tout à fait secondaire.
^60 ENCÉPHALE. — congestion.
L’hérédité paraît quelquefois n’être pas sans influence sur la production
de l’hypérémie active; il semble que, dans certaines familles, la prédis¬
position à cette ailection soit transmissible. La congestion cérébrale est
plus fréquente chez les adultes et les vieillards que chez les enfants, chez
l’homme que chez la femme. On l'observe plus souvent l’hiver que dans
les autres saisons; en tout temps les changements brusques de tempéra¬
ture en favorisent le développement, peut-être en amenant un change¬
ment soudain dans la pression atmosphérique.
Anatomie pathologiqüe. — C’est souvent un point délicat que de con¬
stater à l’autopsie l’existence d’une congestion cérébrale; la rapidité
avec laquelle l’état de réplétion des vaisseaux se modifie sous l’in¬
fluence de la pesanteur peut aisément conduire à une appréciation er¬
ronée. Il suffit pourtant d’être prévenu pour éviter de considérer comme
morbide l’hypérémie postmor/m que produit l’afflux mécanique du sang
dans les parties déclives de l’encéphale. Il est plus difficile d’éliminer les
congestions passives qui résultent de l’agonie ou de l’asphyxie lente ; on
pourra les reconnaître cependant si l’on sait qu’elles sont limitées aux,
méninges et aux parties superficielles de l’encéphale, tandis que les hy-
pérémies pathologiques s’étendent le plus souvent aux parties profondes..
Une autre difficulté provient des différences qui existent à l’état normal
dans la vascularite 'des différentes parties de l’encéphale. Les parties grises
sont plus vasculaires que les parties blanches ; les corps striés renfer¬
ment un grand nombre de petits vaisseaux et deux branches assez volu¬
mineuses; viennent ensuite, dans un ordre décroissant, les couches opti¬
ques, le corps calleux et le trigone cérébral; dans le cervelet ce sont aussi
les parties grises, couche corticale et corps dentés, qui reçoivent le plus
de sang. La protubérance ne renferme que peu de vaisseaux. La richesse
vasculaire de l’encéphale est plus considérable dans l’enfance qu’à l’âge
adulte et que chez les vieillards.
Dans la congestion cérébrale, il s’écoule habituellement beaucoup de
sang à l’ouverture du crâne; les vaisseaux diploïques sont injectés; les
sinus sont distendus; les veines de la dure-mère turgides font saillie
sous forme de cordons noirâtres ; au moment où l’on incise cette mem¬
brane, le cerveau tuméfié tend à faire hernie par l’ouverture ; le relief
des circonvolutions se dessine moins nettement ; la pie-mère et ses pro¬
longements ventriculaires sont épaissis, de couleur sombre ; les vaisseaux
de cette membrane forment de riches arborisations à la surface des circonvo¬
lutions, elle n’est pas adhérente et on peut l’enlever facilement sans entraî¬
ner de substance cérébrale. Parfois le corps pituitaire est tuméfié et ramolli.
La substance grise présente une teinte rouge sombre, quelquefois vio¬
lacée que, dans quelques cas, Foville a trouvée comparable à celle de
l’érysipèle. Rarement la substance blanche prend une coloration rosée;
mais si l’on compare sa couleur à celle d’un cerveau normal, on la
trouve généralement plus foncée ; sur une coupe, on voit une quantité
de gouttelettes de sang sortir des orifices vasculaires et former un poin¬
tillé rouge, c’est l’état sahlé de l’encéphale ; il n’a de valeur que s’il est
ENCÉPHALE. — congestion. 61
très-prononcé, car il existe souvent à un faible degré en dehors de tout
état pathologique; dans les congestions intenses, les gouttelettes plus volu¬
mineuses se réunissent et forment comme une nappe sanguine étalée sur
la surface de section; au microscope, les vaisseaux apparaissent remplis
de sang et dilatés ; leur diamètre, qui à l'état normal ne dépasse pas en
moyenne 152 millimètres, peut atteindre, d’après les mensurations de
Schrœder van der Kolk et de Ecker, de 255 à 310 millimètres. Quand
l’hypérémie est intense, l’excès de la tension intra-vasculaire amène une
transsudation de sérosité, l’oedème du cerveau, et, si les congestions se
répètent ou durent longtemps, l’accumulation d’une quantité anormale
de liquide dans les ventricules. La congestion n’est pas toujours également
prononcée dans toutes les parties de l’encéphale; elle peut occuper plus
particulièrement soit les corps opto-striés, soit les circonvolutions; sou¬
vent elle est partielle, limitée à la périphérie d’un ramollissement ou
aux parties voisines d'une tumeur; dans des cas rares, on l’a vue prédo¬
miner dans l’un des hémisphères.
. Quand les états congestifs se répètent pendant longtemps, à inter¬
valles rapprochés, il se produit des lésions permanentes; les vaisseaux
se dilatent, leurs parois s’épaississent; sur les coupes, leurs orifices pré¬
sentent une lumière appréciable, c’est l’état criblé de Durand-Fardel.
Quand cette lésion est générale, elle peut, d’après certains auteurs, avoir
pour conséquence l’atrophie du cerveau.
On trouve autour des vaisseaux, chez les individus qui ont eu fréquem¬
ment des congestions cérébrales, par exemple chez les vieux épileptiques,
des granulations pigmentaires en quantité ; on les a rapportées à d’an¬
ciennes hémorrhagies. Cette manière de voir ne nous semble pas justifiée
par les faits, et ces dépôts paraissent résulter bien plutôt soit de la trans¬
sudation de sérum coloré renfermant en dissolution de l’hémoglobine, soit
de l’issue de globules rouges suivant le mécanisme indiqué par Cohnheim.
. Plusieurs lésions co'incident fréquemment avec les congestions chro¬
niques ; ce sont des opacités de l’arachnoïde, des traînées blanchâtres
sur le trajet des vaisseaux ; on voit au microscope une multiplication des
noyaux péri-vasculaires ; en même temps, on rencontre souvent une
quantité anormale de granulations de Pacchioni; ces altérations n’ap¬
partiennent plus à la congestion et indiquent un état inflammatoire. Il
est probable que dans la plupart des cas cette inflammation est le fait
primitif ; mais en est-il toujours de même ? Les états congestifs ne peuvent-
•il, en se succédant, déterminer à la longue une irritation péri-vasculaire?
Qriesinger attribue formellement aux congestions de longue durée cette
influence pathogénique.
Nous rapprocherons de ces faits les observations récentes de Lépine.
Chez plusieurs enfants morts à la suite d’accès convulsifs, cet observateur
a trouvé en même temps qu’une hypérémie intense de l’encéphale, une
multiplication considérable des noyaux péri-vasculaires semblant indiquer
un très-léger état phlegmasique des méninges. Ne peut-on voir là une lésion
secondaire résultant de la durée et de l’intensité de la congestion ? Un
ENCÉPHALE. — congestion.
fait qui vient à l’appui de cette manière de voir, c’est que les phéno¬
mènes d’irritation semblent ne se manifester qu’après un certain temps^
et que, dans des cas où un seul accès congestif avait causé la mort, la
prolifération périvasculaire n’existait pas malgré une énorme congestion.
Symptômes. — La congestion cérébrale se traduit par des phénomènes
d’irritation et de dépression dans la sphère intellectuelle, dans la sphère
animale et dans la végétative. Le caractère des symptômes dominants, le
degré d’intensité qu’ils atteignent, leur mode d’apparition, la nature
des troubles fonctionnels que les modifications concomitantes du tissu
nerveux, du sang ou de la température peuvent occasionner simultané¬
ment, enfin le degré d’excitabilité du système nerveux du malade, font
varier, dans des limites étendues, l’aspect clinique de cette affection.
Aussi ne chercherons-nous pas à décrire comme autant de types distincts
les combinaisons diverses que peut présenter le complexus symptoma¬
tique, et nous les rattacherons à trois formes principales : la forme lé¬
gère, la forme grave et la forme apoplectique.
La forme légère se caractérise presque exclusivement par des phéno¬
mènes d’excitation dans la sphère de la sensibilité.- Le symptôme le plus
pénible est une céphalalgie intense, généralisée, augmentant dans la si¬
tuation déclive de la tête, s’exaspérant quelquefois sous l’influence des
moindres mouvements; la lumière, le bruit sont mal supportés; le
travail intellectuel est pénible ou même impossible, non que les facultés
mentales soient altérées, mais parce que tout effort ravive les sensations
douloureuses. Le malade a besoin de repos, il désire l’isolement ; il cher¬
che en vain le sommeil; s’il parvient à s’assoupir, une agitation inces¬
sante, des rêves, des visions effrayantes, l’empêchent de trouver dans
cet état aucun soulagement à ses souffrances. Ces symptômes sont les
seuls que l’on observe dans les cas légers. La douleur, qui est le plus
important, est d’une interprétation physiologique assez difficile; elle
ne peut guère siéger dans les hémisphères que l’on trouve constamment
insensibles dans les expériences ; faut-il l’attribuer à l’excitation des par¬
ties sensibles de l’encépbale (pédoncules cérébraux et cérébelleux, protu¬
bérance, bulbe)? Ne doit-on pas la rapporter plutôt à l’irritation de la dure-
mère? Cette dernière explication tend à prévaloir aujourd’hui. Cette mem¬
brane est douée en effet d’une exquise sensibilité (Leyden); il suffit de la
pincer légèrement pour qu’immédiatement l’animal donne les marques
d’une vive douleur ; on comprend donc que la congestion dont elle est le
siège en même temps que l’encéphale, et d’autre part la pression légère'
exercée sur sa face interne par le cerveau tuméfié, suffisent à provoquer
une céphalalgie intense; quant aux sensations pénibles déterminées par¬
les impressions lumineuses, il faut en chercher l’origine dans la congestion
rétinienne qui accompagne le plus souvent la congestion cérébrale. On
ne pourrait s’étonner enfin que l’insomnie soit un des symptômes habi¬
tuels de la congestion cérébrale, puisque d’après les observations et les
expériences de Durham et de Hanimond, le sommeil semble avoir pour
condition l’anémie du cerveau.
ENCÉPHALE. — congestion.
63
Quand la congestion est plus intense, de nouveaux symptômes s’ajou -
tent aux précédents ; la station debout devient impossible; si le malade
essaye de se lever, il se sent ébloui, il est pris de vertige, vacille, chan¬
celle et tomberait s’il ne trouvait un appui. L’excitation du bulbe amène
des nausées, des vomissements; le pouls se ralentit; il est plein, dur,
vibrant; les pulsations des carotides sont énergiques et le malade éprouve
dans la tête une sensation de battements qui exaspère la douleur. Sou¬
vent la face est en même temps rouge, turgescente ; les conjonctives sont
injectées. Il ne faudrait pas pourtant attribuer à ces derniers symptômes
une importance exagérée, ni surtout se fier à leur absence pour nier
l’existence de la congestion cérébrale : lorsque l’hypérémie est passive et
que l’obstacle à la circulation en retour siège dans les jugulaires ou au-
dessous, la stase existe simultanément dans les vaisseaux de la face et
dans ceux de l’encéphale ; l’aspect de la face peut alors fournir quelques
indications ; mais dans les congestions irritatives qui sont en somme les
plus fréquentes et les plus intenses, la circulation encéphalique est sou¬
vent seule intéressée, et l’on observe alors la pâleur de la face en même
temps que des signes incontestables d’hypérérnie cérébrale.
Généralement, la sensibilité et la motilité générales ne sont pas trou¬
blées dans cette forme ; tout au plus le malade ressent-il quelques four¬
millements dans les extrémités, un peu d’engourdissement dans les
membres.
La durée de ces congestions peut varier beaucoup : tantôt les ac¬
cidents disparaissent d’eux-mêmes après quelques heures, tantôt ils
persistent plusieurs jours et nécessitent alors l’intervention de la théra¬
peutique. Chez certains sujets, particulièrement chez les individus plé¬
thoriques, cette congestion se reproduit quelquefois sous l’influence des
causes les plus légères ; un effort prolongé, un repas copieux, le séjour
dans nn lieu trop chaud ou dans une assemblée nombreuse, un excès de
travail intellectuel, suffisent pour en provoquer le retour.
Dans la forme grave qui peut débuter brusquement ou succéder à
la précédente les troubles intellectuels dominent la scène. Le plus
souvent ils ont pour origine l’excitation des appareils sensoriels. Les
sensations fausses, nées de cette excitation, donnent lieu à des illusions,
à des hallucinations ; les malades voient autour d’eux des êtres fantas¬
tiques, des animaux courent sur leur lit, des visions effrayantes les pour¬
suivent, ils entendent des voix, des sons étranges ; des personnages ima¬
ginaires les injurient ou les menacent ; et des idées délirantes naissent
de ces impressions trompeuses, bien que les opérations de la pensée s’ac¬
complissent en toute intégrité.
D’autres fois l’irritation portant sur les organes mêmes de l’idéation, la
perversion de l’idée n’est plus la conséquence de sensations erronées, elle
est primitive, il y a conception délirante.
Quelle que soit la cause du délire, les malades sont en proie à une vive
agitation; ils regardent autour d’eux avec inquiétude, cherchant à recon¬
naître dans quel lieu ils se trouvent, quelles personnes les entourent ;
64) ENCÉPHALE. — coxgestiom.
souvent leur physionomie exprime la terreur; quelquefois ils fixent un
point de l’espace, et interpellent avec véhémence un personnage invi¬
sible, d’autres fois ils se lèvent précipitamment comme pour fuir quelque
danger ; ils n’entendent pas les paroles qu’on leur adresse, et se débattent
avec fureur contre ceux qui cherchent à les contenir ; au bout d’un cer¬
tain temps, le pouls s’accélère, la peau se couvre de sueurs, et l’on pour¬
rait croire à l’existence d’une inflammation méningée, si l’exploration
thermométrique ne venait montrer l’absence de toute élévation fébrile
de la température. Quand cet état a duré pendant quelques heures et que
la congestion persiste avec la même intensité, les phénomènes d’excita¬
tion font place à une période de dépression ; la torpeur intellectuelle suc¬
cède au délire aigu, la résolution des membres à l’agitation musculaire ;
des évacuations involontaires surviennent, la respiration s’embarrasse, le
malade tombe dans le coma.
Quelquefois, chez les vieillards surtout, l’état congestif ne se manifeste
d’abord que par un délire tranquille, le malade se lève au milieu
de la nuit, il veut quitter sa chambre ; s’il est à l’bôpital, il va se coucher
dans un autre lit que le sien ; quelquefois il pousse des cris aigus sans pa¬
raître cependant ressentir une douleur réelle; le jour suivant, ilest
abattu, triste, absorbé ; il prononce des paroles incohérentes ou il ne ré¬
pond pas à ceux qui lui parlent ; ces accidents peuvent se reproduire con¬
sécutivement pendant plusieurs jours pour aboutir enfin à l’attaque de
•délire aigu. Durand-Fardel a vu fréquemment se produire dans cette
forme de congestion une abondante sécrétion de la conjonctive et de la
muqueuse buccale. Des troubles peu marqués de la motilité, de l’engour¬
dissement des membres, quelquefois avec prédominance dans une moitié
du corps, peuvent s’ajouter au délire pour caractériser cette forme de con¬
gestion.
On a dit que la congestion pouvait donner lieu à des phénomènes con¬
vulsifs. Il est douteux que cette forme existe chez l’adulte; il serait
en tous cas fort difficile de la séparer de l’épilepsie; il n’en est pas
de même chez l’enfant; sans doute la plupart des accidents convul¬
sifs que l’on rapportait autrefois à la congestion, sont eu réalité d’ori¬
gine réflexe ou sous la dépendance de maladies convulsives, mais il
existe des faits bien observés qui démontrent l’existence de conges¬
tions cérébrales primitives avec accidents convulsifs. Ces convulsions
sont partielles ou générales ; elles coïncident avec une céphalalgie violente,
l’inégalité des pupilles, des vomissements , de la constipation ; le tableau
symptomatique offre de nombreux traits de ressemblance avec celui de la
méningite et la confusion serait facile entre les deux affections, si le début
soudain de la maladie au milieu d’un parfait état de santé, l'absence de
fièvre et la disparition rapide des accidents ne venaient éclairer le dia¬
gnostic. Blaud (de Beaucaire) a fait connaître une variété de congestion
cérébrale connue dans le pays sous le nom de subé; elle offre des ana¬
logies nombreuses avec la forme que nous venons de décrire ; elle s’en
distingue cependant par la présence de phénomènes paralytiques, par
ENCÉPHALE. — coNGESTio.v. 65
l’existence, dès le début, d’un état de torpeur profonde, enfin par l’issue
rapide et ordinairement fatale de la maladie ; en quelques heures, un jour
au plus, la scène est terminée.
Les congestions passives, et particulièrement celles qui se produisent à
la dernière période des maladies du cœur donnent généralement lieu à
des symptômes moins graves que les formes précédentes. D’après nos ob¬
servations, le phénomène dominant est souvent une insomnie persistante;
la céphalalgie atteint rarement un haut degré d’intensité ; elle peut faire
complètement défaut, sans doute à cause de l’anesthésie produite par la
présence en excès d’acide carbonique dans le sang; les malades sont gênés
par des hallucinations de la vue et de l’ouïe ; ils voient, surtout la nuit,
des objets lumineux passer devant leurs yeux, ils voient courir des ani¬
maux, les bruits qui se font autour d’eux éveillent en leur esprit des
idées étranges, ils ne savent plus où ils sont, leur langage est in¬
cohérent; mais le délire est passager, l’idéation n’est que légèrement
troublée, et ils répondent correctement aux questions qu’on leur
adresse.
La forme apoplectique est niée aujourd’hui résolûment par quelques
auteurs ; il est hors de doute que l’on en avait exagéré la fréquence ; l’é¬
tude approfondie des troubles qu’entraînent les oblitérations artérielles et
la large part qui a été faite à l’anémie dans la pathologie de l’encéphale
ont singulièrement restreint le domaine de la congestion, mais c’est aller
trop loin qu’en repousser l’existence d’une manière absolue. On invoque
l’expérimentation; jamais, dit-on, les congestions que l’on fait naître chez
les animaux ne donnent lieu aux symptômes du coup de sang; mais
il ne s’agit dans ces circonstances que de congestions passives, lésions
qui n’ont jamais été pour personne une cause d’apoplexie. Quand on
voit la formation d’un petit foyer sanguin dans le corps strié produire
l’ictus apoplectique, il n’y a pas de difficulté à admettre qu’une perturba¬
tion grave et soudaine de la circulation cérébrale ait le même résultat.
Les objections élevées au nom de l’expérimentation et de la physiologie
contre l’existence de la congestion apoplectiforme ne nous paraissent donc
pas acceptables; il n’y a là qu’une question de fait et la relation entre
l’hypérémie de l’encéphale et l’apoplexie a été constatée assez souvent
par des observateurs éclairés pour qu’on puisse la considérer comme un
fait acquis à la science.
La congestion apoplectiforme peut débuter brusquement, chez un indi¬
vidu en pleine santé; d’autres fois elle est précédée de prodromes; le ma-
ladeéprouve pendant quelques heures, ou même pendant plusieurs jours, les
symptômes d’une congestion moins intense : céphalalgie, étourdissements,
vertiges, fourmillements, engourdissements des membres. Quoi qu’il en
soit, le malade tombe frappé tout à coup; les membres sont dans la ré¬
solution complète, la connaissance est abolie, des évacuations involon¬
taires se produisent ; la respiration est stertoreuse ; les mouvements
réflexes persistent, souvent même ils sont plus énergiques qu’à l’état
normal; l’attaque peut se terminer par la mort; mais le plus souvent.
66 ENCÉPHALE. — co.ngestion.
au bout de quelques heures, le malade reprend peu à peu connais¬
sance, la motilité reparaît graduellement, et tous les accidents peuvent
avoir disparu en l’espace de deux ou trois jours. Parfois les éléments
conducteurs des impulsions volontaires recouvrent leur excitabilité plus
lentement que les organes de l’idéation, et l’on voit alors l’affaiblisse¬
ment de la motilité persister un ou plusieurs jours après la disparition des
troubles intellectuels, le malade éprouve dans les membres une sensation
d’engourdissement, il a peine à les soulever. Dans des cas très-rares, la
paralysie est limitée à une moitié du corps; dans un fait de ce genre,
Dechambre a trouvé une congestion plus intense dans la moitié du cerveau
opposée à la paralysie ; dans d’autres cas semblables, la congestion a été
trouvée égale des deux côtés ; il faut admettre alors soit que la conges¬
tion avait été d’abord unilatérale, et ne s’était étendue que plus tard à la
totalité de l’encéphale; soit que l’infiltration œdémateuse produite par la
congestion avait été plus considérable d’un côté que de l’autre. Quelle
que soit la valeur de l’explication, il est constant, et c’est là le point im¬
portant, qu’une hémiplégie passagère peut être le résultat d’un simple état
congestif de l’encéphale. Notons enfin que l’on voit assez souvent la
forme délirante succéder à l’apoplectique.
Comment la physiologie permet-elle d’expliquer les troubles fonction¬
nels auxquels donne lieu la congestion? C’est là une question complexe,
car, dans toute hypérémie, plusieurs conditions anormales se trouvent réu¬
nies, et il est difficile de décider à laquelle il faut attribuer le plus d’impor¬
tance. On a voulu rattacher les principaux symptômes à l’excès de pres¬
sion. Leyden, dans des expériences où il élevait la pression intra-crânienne
en injectant du liquide dans la dure-mère, a vu survenir des accidents
assez semblables à ceux de la congestion, de la douleur, des convulsions,
le ralentissement du pouls, la dyspnée, puis la torpeur intellectuelle et le
coma ; mais l’augmentation de pression n’intervenait pas seule ; la com¬
pression des vaisseaux produisait l’anémie du cerveau ; la composition du
sang était altérée. D’autre part, il est impossible de se faire une idée
même approximative du degré de pression que les vaisseaux dilatés peu¬
vent exercer sur les éléments nerveux; on ne peut donc tirer de ces
expériences aucune conclusion relative à la physiologie de la conges¬
tion.
Les modifications qui se produisent dans la composition du sang sem¬
blent jouer un rôle plus actif. Par cela même qu’il séjourne plus long¬
temps dans l’encéphale, le sang s’appauvrit en oxygène et se charge d’a¬
cide carbonique : or, il résulte des expériences de Brown-Séquard que le
sang ainsi modifié a la propriété de stimuler les éléments des tissus;
on est donc en droit de rapporter à cette cause les phénomènes d’excitation
qui caractérisent la congestion légère ; quant aux phénomènes de dépres¬
sion, ils peuvent s’expliquer soit par l’épuisement de l’excitabilité qui
survient pins rapidement quand le sang est pauvre en oxygène, soit par
une exsudation rapide de liquide sous l’influence de l’excès de tension vas¬
culaire, et la formation d’un œdème cérébral. En outre, les conditions anor-
67
ENCÉPHALE. — congestion.
males dans lesquelles s’accomplit la nutrition interstitielle en modifient
nécessairement les phénomènes intimes, et les éléments nerveux sont plus
-que tout autres rapidement et profondément troublés dans leurs fonc¬
tions par des altérations de ce genre, comme le montrent les expé¬
riences de Buhl, où un simple changement dans la proportion d’eau
du tissu cérébral suffit pour amener un œdème aigu et des phénomènes
•graves.
On voit quelle est, dans l’hypérémie cérébrale, la complexifé des phé¬
nomènes morbides, quelles combinaisons variées ils peuvent affecter, et
l’on peut comprendre ainsi comment cette maladie se présente en cli¬
nique sous des formes si diverses.
Diagnostic. — L’absence de chaleur anormale distingue la congestion des
•affections fébriles de l’encépbale, la diffusion des symptômes empêche
de la confondre avec les maladies à lésions et symptômes circonscrits.
On ne peut la séparer au début de l’hémorrhagie et de l’embolie céré¬
brales; mais la disparition rapide des accidents et l’absence de paralysie
persistante éclairent bien vite le diagnostic.
Dans sa forme délirante la congestion a de nombreux traits de ressem¬
blance avec le delirium tremens; les antécédents du malade, les cir¬
constances dans lesquelles éclate le délire peuvent mettre sur la voie;
en outre, plusieurs symptômes, surtout le tremblement des lèvres et des
mains et l’incertitude de la parole, caractérisent le délire alcoolique. Les
anamnestiques, les symptômes concomitants, le liséré font reconnaître le
délire saturnin.
On ne confondra pas la forme apoplectique avec la syncope : l’état
général du malade , la suspension des pulsations artérielles , l’absence
ou la faiblesse extrême des battements du cœur et des mouvements respi¬
ratoires ne permettent pas l’erreur.
Il n’existe pas de différences appréciables entre le coma épileptique et
•celui que détermine la congestion apoplectique. Le diagnostic repose
•exclusivement sur les antécédents du malade, les phénomènes initiaux
et les lésions traumatiques qu’ont pu déterminer les convulsions du
début. Il faut donc s’informer avec soin de toutes les circonstances qui
pourraient faire soupçonner l’existence d’attaques épileptiques anté¬
rieures. Si le malade est sujet à des vertiges, à des absences, s’il lui
arrive parfois de perdre momentanément connaissance ; si les assistants
on remarqué au début de l’attaque quelques mouvements nerveux, si la
langue présente la trace de morsures, il est très-probable qu’il s’agit
d’une attaque épileptique ; mais quand les renseignements font défaut,
quand la langue est intacte, quand les téguments de la tête et de la poi¬
trine ne présentent pas d’ecchymoses, vestiges d’attaques antérieures, le
diagnostic ne peut être posé; tout au plus la fréquence plus grande de
l’épilepsie, la présence ou l’absence des conditions organiques qui favo¬
risent le développement de la congestion, peuvent-elles être prises en
considération et faire pencher l’observateur vers l’une ou l’autre hy¬
pothèse.
68 ENCÉPHALE. — congestion.
Le vertige stomacal peut simuler la forme légère de la congestion, et
l’on peut être entraîné ainsi à une thérapeutique inopportune et même
dangereuse. Pourtant le vertige stomacal survient chez les individus qui
souffrent depuis longtemps de troubles gastriques ; il diminue ou cesse
après les repas ; il s’accompagne d’une sensation toute particulière de
nausée; la position déclive de la tête n’en augmente pas l’intensité; un
traitement tonique et réparateur tend à le faire disparaître ; si l’on tient
compte de ces divers éléments de diagnostic, on évitera facilement
l’erreur.
Quand on a constaté l’existence d’une congestion cérébrale, il faut en
déterminer ensuite la forme, le mode pathogénique et la cause.
L’existence d’un obstacle à la circulation veineuse et d’autres congestions
viscérales, l’injection veineuse de la face, enfin les caractères cliniques que
nous avons exposés font reconnaître la congestion passive; l’exploration
des organes, l’examen des circonstances dans lesquelles se sont pro¬
duits les accidents, permettent le plus souvent d’établir si la congestion
résulte d’une fluxion collatérale. Quand ces deux ordres de causes ont été
éliminés, que par conséquent la congestion est irritative ou d’origine
nerveuse, il faut chercher si elle se rattache ou non à un état morbide
antérieur, si elle est essentielle ou symptomatique; les circonstances
étiologiques, l’état de santé antérieure du malade permettent le plus
souvent de résoudre cette question : si la congestion se produit chez un
malade atteint d’une lésion cérébrale ancienne, chez un goutteux ou un
rhumatisant ; si elle succède à la suppression des règles ou d’un flux
hémorrhoïdaire , elle est vraisemblablement symptomatique; on peut
au contraire la considérer comme essentielle quand elle survient à l’oc¬
casion d’un excès de travail, de veilles prolongées, d’une course au soleil
ou d’un repas trop copieux.
Pronostic. — Le pronostic toujours sérieux varie beaucoup suivant la
forme de la congestion, suivant sa cause, suivant les circonstances dans
lesquelles elle se produit. Les congestions passives ont par elles-mêmes
peu de gravité; mais elles sont presque toujours l’indice d’un trouble
grave de la circulation ; il en est de même des fluxions collatérales qui
résultent d’un obstacle au cours du sang dans l’aorte. Les congestions
purement accidentelles que déterminent les excès de table, l’ivresse, les
émotions morales, la suppression d’un flux sanguin, compromettent
rarement, d’une manière grave, la santé des malades; ce n’est que dans
des cas tout à fait exceptionnels qu’elles prennent la forme apoplectique et
peuvent alors amener la mort. Leur pronostic est également plus sévère
chez les vieillards, chez les individus atteints de la maladie de Bright,
ou d’altérations avancées du système artériel, car elles peuvent être, dans
ces circonstances la cause occasionnelle d’une hémorrhagie cérébrale.
Les congestions initiales des fièvres ont une gravité exceptionnelle; le
délire, l’agitation peuvent atteindre un degré extrême de violence, et la
mort survient souvent dans ces circonstances; mais, comme nous
l’avons fait remarquer déjà, la congestion cérébrale n’est pas alors le
f ENCÉPHALE. — congestion. 69
seul élément à considérer et ce sont plutôt les altérations du sang et
l’élévation de la température qui jouent le rôle principal dans la produc¬
tion de ces accidents. La coïncidence d’une hypérémie intense avec
œdème aigu des poumons aggrave singulièrement le pronostic de cer¬
taines congestions ; cette complication est surtout fréquente dans la forme
délirante; on l’observe également dans l’insolation. Nous ferons remar¬
quer à ce propos qu’il ne faudrait pas rapporter à la congestion cérébrale
tous les accidents que peut produire l’action de la chaleur solaire. On
décrit, en effet, sous le nom de coup de soleil, d’une part, les congestions
et les méningites produites par l’insolation ; d’autre part, une maladie
particulière aux régions tropicales et que les observateurs compétents
regardent comme un empoisonnement résultant de l’action prolongée
d’une chaleur excessive. Dans la paralysie générale, dans les manies,
dans l’alcoolisme chronique, la congestion cérébrale est toujours un
accident redoutable; elle a tendance à se reproduire et souvent elle
est suivie d’une aggravation persistante dans l’état du malade; elle peut
affecter la forme délirante ou la forme apoplectique et précipiter alors la
terminaison fatale. L’attaque délirante est souvent précédée d’une in¬
somnie opiniâtre, et c’est là un symptôme dont les aliénistes s’accordent
à reconnaître l’importance. Les congestions liées à des lésions cérébrales
anciennes sont également de fâcheuses complications, elles récidivent
souvent, elles modifient profondément l’aspect et la marche de la maladie
et peuvent en hâter l’issue.
Tbaitemekt. — Parmi les moyens destinés à combattre l’hypérémie de
l’encéphale, les uns s’adressent au symptôme et tendent à modifier direc¬
tement l’état fluxionnaire, les autres s’attaquent à la cause qui provoque
ou entretient la congestion, et varient beaucoup avec les différentes
formes.
Contre le symptôme, les saignées locales et générales, les révulsifs, les
applications froides, sont les principaux moyens employés; les saignées
produisent directement la déplétion des vaisseaux ; le froid, les révulsifs
cutanés, tendent à réveiller la contractilité des artérioles cérébrales, en
excitant par voie réflexe leurs vaso-moteurs ; les révulsifs intestinaux ont
une action semblable; de plus, ils peuvent abaisser la tension dans les
vaisseaux de l’encéphale, d’une part, en spoliant l’économie d’une quantité
plus ou moins considérable de liquide, d’autre part, en déterminant
l’afflux d’une certaine quantité de sang dans la circulation de l’abdomen.
Le choix de ces moyens est loin d’être indifférent; il doit varier avec chaque
forme de congestion.
Dans les congestions actives qui dépendent d’une exagération de l’action
cardiaque, la saignée générale est indiquée ; on peut même la répéter et y
associer l’administration réitérée des purgatifs salins, en tenant compte,
bien entendu, de la constitution du malade, de sa vigueur, de son âge.
L’indication est la môme, et plus nette encore dans la fluxion collatérale
active, où la quantité de sang est devenue excessive par rapport à la
capacité des vaisseaux. On ne saurait combattre ces hypérémies avéc plus
70 ENCÉPHALE. — congestion.
d’efficacité qu’en retirant du sang , et en atténuant ainsi les effets de
l’obstacle qui rétrécit le champ de la circulation artérielle. Ce moyen est
le seul que l’on puisse employer quand l’obstacle est permanent et
inaccessible à Faction de la thérapeutique; par exemple, dans les cas de
rétrécissement de l’aorte. Dans les hypérémies qui surviennent après la
suppression des règles ou d’un flux hémorrhoïdaire, il faut, avant tout,,
ramener l’écoulement. L’application de sangsues à l’anus ou à la partie
supérieure des cuisses , l’administration de purgatifs , triompheront le
plus souvent de ces accidents congestifs. Si l'état des voies digestives le
permet, on emploiera avec avantage les drastiques, et particulièrement
les préparations aloétiques (pilules d’Anderson, pilules de Bontius) qui,
en déterminant une fluxion énergique vers la fin de l’intestin et l’appareil
uro-génital, favorisent le retour des règles ou de l’écoulement hémorrhoï¬
daire. Dans les cas où ces moyens resteraient sans effet, et où les troubles
cérébraux prendraient un caractère menaçant , il faudrait pratiquer la
saignée générale qui, sans remplir l’indication causale, abaisse immédia¬
tement la tension vasculaire, éloigne ainsi l’imminence du danger, et
donne le temps de combattre plus efficacement la cause de la conges¬
tion.
Les applications froides sur la tête, les vésicatoires aux jambes et les
dérivatifs intestinaux, amènent généralement la guérison rapide des
fluxions irritatives. Si cependant une saignée locale semble nécessaire, les
sangsues doivent être placées soit à l’anus, soit derrière les oreilles. 11
faut se garder d’en prescrire un trop petit nombre; leur action serait
inefficace et même dangereuse. Il est important, pour obtenir le résultat
que l’on a en vue, de retirer une certaine quantité de sang, soit rapidement
en appliquant au moins quinze sangsues, soit peu à peu au moyen de
trois ou quatre sangsues, que l’on remplace à mesure qu’elles tombent,
de manière à obtenir un écoulement permanent pendant huit ou dix
heures. Dans les congestions initiales des fièvres, il faut recourir surtout
aux applications froides sur la tête et aux affusions froides avec de l’eau
simple ou additionnée de vinaigre aromatique. La perspective d’une
maladie longue et débilitante doit rendre très-circonspect dans l’usage
des émissions sanguines, et c’est seulement dans les cas où la con¬
gestion de l’encéphale constitue pour les malades un danger de mort
imminente, qu’il est permis de retirer du sang, encore doit-on pré¬
férer les saignées locales ; d’ailleurs , l’élévation de la température
semble être souvent la cause principale des accidents, et les moyens
propres à la combattre sont ceux dont on peut espérer les meilleurs
résultats.
Dans les congestions d’origine nerveuse , la saignée n’est pas plus
indiquée; on cherchera surtout à modifier par voie réflexe l’innervation
des vaisseaux de l’encéphale ; les drastiques, les sinapismes, les vésica¬
toires aux jambes ou à la nuque, sont les moyens dont on peut attendre-
les meilleurs effets. Si une indigestion avait été l’origine des accidents,
un vomitif pourrait être utile ; il ne faudrait pas pourtant user de ce-
ENCÉPHALE. — CONGESTION.
71
moyen chez un sujet âgé, car les efforts de vomissements pourraient être
la cause occasionnelle d’une hémorrhagie cérébrale.
La congestion passive, plus que toute autre, est justiciable des émis¬
sions sanguines. Dans cette forme, en effet, c’est la stagnation du sang
veineux qui, en entravant l’afflux du sang rouge, amène la diminution
de l’excitabilité des cellules nerveuses; la saignée, en favorisant le dégor¬
gement des petites veines, combat la cause principale des accidents. Les
vaso-moteurs ne jouant aucun rôle dans la genèse de ces congestions, il
est inutile de les exciter par l’action des irritants cutanés ; on ne doit
pas compter davantage sur les réfrigérants ; les purgatifs n’auraient pas
plus de succès, s'ils n’agissaient que comme révulsifs ; mais nous avons
vu qu’en déterminant l’élimination d’une grande quantité de liquides, ils
abaissaient la tension veineuse et favorisaient ainsi la déplétion des
veines de l’encéphale; nous en avons souvent obtenu les meilleurs
résultats. 11 faut s’adresser à un purgatif énergique pour que la déper¬
dition aqueuse soit abondante ; nous employons de préférence la teinture
dejalap composée, connue sous le nom d’eau-de-vie allemande; nous la
donnons à la dose de 25 à 40 grammes, en l’associant à une même quan¬
tité de sirop de nerprun.
C’est dans les affections cardiaques avec asystolie que la stase atteint
les proportions les plus considérables; la digitale est l’agent sur lequel
on doit le plus compter pour relever et régulariser l’action du cœur, et
par suite pour diminuer et faire graduellement disparaître la congestion
de l’encéphale ; mais l’action de ce médicament n’est pas immédiate et le
danger peut être pressant; on doit alors recourir à la saignée générale qui,
en amenant une rémission momentanée, donnera le temps à la digitale
d’exercer son action. Enfin, la stase peut être le résultat de l’affaiblisse¬
ment du cœur, de la débilité générale; le vin, le calé, le quinquina et un
régime réparateur, seront dans ces circonstances les meilleurs moyens de
traitement.
Les individus chez lesquels les congestions actives ont tendance à se
reproduire, doivent, pour en éviter le retour, se soumettre à un régime
sévère; ils renonceront aux mets excitants, aux boissons alcooliques, au
thé, au café; les veilles, la fréquentation des théâtres et autres lieux de
réunion, les fatigues intellectuelles leur seront interdites. Ils prendront de
l’exercice, la température de leur chambre à coucher ne sera jamais
élevée; ils n’auront pas de matelas garnis de plumes, leurs oreillers seront
•bourrés de crin, ils éviteront soigneusement la constipation en prenant
deux ou trois fois par semaine des pilules écossaises ou un verre d’eau
purgative naturelle.
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Anémie cérébrale. — Gekèse et étiologie. — Dans les centres ner¬
veux, plus que dans tout autre organe, l'intégrité des fonctions est étroi¬
tement liée à l’intégrité de la circulation ; l’oxygène, agent essentiel de la
nutrition interstitielle, est nécessaire à la manifestation des propriétés
ENCÉPHALE. — anémie cÉRÉiinALK.
73
vitales, et dès que cet élément fait défaut, V excitabilité du tissu dispa¬
raît rapidement; celte loi, formulée par Brown-Séquard, rend compte
des troubles fonctionnels qu’entraîne l’anémie de l’encéphale.
Divers moyens s’offrent au physiologiste pour empêcher l’afflux du
sang dans 1 encéphale; celui qui permet le mieux d’observer isolé¬
ment, en dehors de toute autre influence, les .symptômes par lesquels
se traduit l’anémie de cet organe, est la ligature des artères qui s’y
distribuent.
Si on lie, ou simplement si l'on comprime une des carotides primitives,
la moitié correspondante de la face devient exsangue, le patient est pris
de vertiges, d’éblouissements, de céphalalgie; il ressent des fourmille¬
ments, de l’engourdissement dans les membres du côté opposé ; quelque¬
fois il survient de légères secousses convulsives, du tremblement : ces phé¬
nomènes sont de courte durée ; grâce aux nombreuses anastomoses qui
relient entre elles les grosses artères de l’encéphale, la circulation collaté¬
rale s’établit rapidement. Les accidents que les chirurgiens ont vu assez
souvent survenir quelques heures après l’opération, ne doivent plus être
rapportés à l’anémie cérébrale; ils sont le résultat de lésions consécutives.
La ligature des deux carotides a promptement amené la mort dans les cas
rares où elle a été pratiquée chez l’homme (A. Key, V. Mott); chez les
animaux, cette opération a moins de gravité ; elle donne lieu aux mêmes
symptômes que la ligature d’un des vaisseaux; A. Cooper signale en outre
l’accélération des battements du cœur et des mouvements respiratoires.
Le cours du sang ayant plus de difficulté à se rétablir, les accidents sont
de plus longue durée ; ils disparaissent sans laisser après eux de désordres
permanents. L’animal auquel on lie à la fois les carotides et les verté¬
brales tombe immédiatement dans le coma ; il est en proie à une dyspnée
intense; les pulsations cardiaques sont faibles et rapides, des mouve¬
ments convulsifs se manifestent souvent dans les membres et dans la face ;
ils apparaissent, d’après Ehrmann, de 8 à 15 secondes après l’interrup¬
tion complète de la circulation encéphalique. Bientôt cette agitation
fait place à la résolution ; il se produit des évacuations involontaires,
quelquefois une sécrétion abondante de salive ; habituellement la mort
arrive en peu de temps. L’excitabilité ne disparaît pas simultanément
dans toutes les parties du système nerveux ; Vulpian a vu, dans des
cas rares, les fonctions de la moelle persister, la respiration s’ac¬
complir presque normalement, les mouvements réflexes s’effectuer dans
les membres et dans le tronc, alors que depuis un certain temps les
fonctions cérébrales étaient anéanties ; assez souvent l’on constate que
l’excitation de la cornée amène encore des phénomènes réflexes alors
que celle de la conjonctive reste sans effet; Kussmaul et Tenner ont vu
persister les battements du cœur, quand déjà les membres étaient ri¬
gides. Généralement, tant que le cœur bat, on peut, en levant les ligatures
et en pratiquant la respiration artificielle, rappeler en peu de temps l’a¬
nimal à la vie : les mouvements respiratoires reparaissent, les battements
cardiaques deviennent plus forts, l’animal reprend peu à peu connais-
74
ENCÉPHALE. — anémie cérébrale.
sance, exécute des mouvements volontaires, et en quelques minutes tous
les troubles morbides peuvent avoir disparu. D’ailleurs la ligature des
quatre gros vaisseaux n’entraîne pas nécessairement la mort ; dans une
expérience de Erhmann, tout symptôme morbide avait disparu un quart
d’heure après l’opération. D’après A. Gooper, les anastomoses des thyroï¬
diennes entre elles, celles des vertébrales et des intercostales supérieures;
d’après Panum, les communications des spinales avec les branches
des vertébrales permettent à une certaine quantité de sang artériel de
pénétrer dans l’encépbale. Nous avons vu, dans les diverses expériences
que nous avons mentionnées, l’anémie cérébrale produire successivement
ou simultanénient des phénomènes d’excitation et de dépression ; on
comprend difficilement comment une même cause peut avoir des effets
opposés et ces faits semblent d’abord d’une interprétation difficile. Ils
sont la conséquence d’une loi physiologique, dont la pathologie du sys¬
tème nerveux permet à chaque instant de reconnaître l’importance.
Lorsque la cause qui tend à détruire l’excitabilité nerveuse n’est pas assez
puissante pour l’annibiler totalement au premier choc, l’inertie {névro-
lysie) est toujours précédée d’une période pendant laquelle on observe les
phénomènes dits d’excitation qui révèlent l’exagération de l’activité fonc¬
tionnelle. Cette période se prolonge d’autant plus que la cause pathogé¬
nique est moins énergique et plus lente dans son action.
Les accidents de l’anémie cérébrale se produisent non-seulement quand
l’encéphale reçoit une quantité insuffisante de sang, mais aussi quand le
sang est altéré dans ses qualités et spécialement quand le chiffre des glo¬
bules est abaissé. En effet, nous avons établi déjà que, dans l’anémie, le
fait essentiel est le trouble de nutrition qu’entraîne le défaut d’oxygène ;
or l’oxygène n’est pas simplement dissous dans le sang; il n’existe qu’en
faible proportion dans le sérum , on le trouve presque exclusivement dans
les globules, combiné à l’hémoglobine. On conçoit donc que l’abaisse¬
ment du chiffre des globules (hypoglobulie), la diminution de la masse
totale du sang (hyphémie) et les obstacles à l’afflux du sang artériel dans
les petits vaisseaux de l’encéphale (ischémie) exercent la même action fâ¬
cheuse sur les fonctions de cet organe.
Causes. — Nous citerons en première ligne les grandes hémorrhagies :
l’ouverture d’une grosse artère, la rupture d’un anévrysme, une métror-
rhagie peuvent amener en peu d’instants la paralysie de l’encéphale, le
coma et la mort. Quand le malade survit et que la perte de sang ne se re¬
nouvelle pas, les accidents sont rarement de longue durée, et, à moins de
complication, le sang renferme au bout de peu de temps, la proportion
normale de globules. Il n’en est pas de même quand les hémorrhagies se
reproduisent à intervalles rapprochés ; même quand elles sont peu abon¬
dantes, l’anémie prend un caractère grave et elle peut persister longtemps
après la cessation complète du flux sanguin.
Toutes les affections qui donnent lieu à une déperdition abondante et
continue de matériaux albuminoïdes, la dysenterie, la maladie de Bright,
la phthisie pulmonaire, la diathèse cancéreuse, les suppurations proion-
ENCÉPHALE. — amémie cérébrale. 75
gées peuvent ê* luses d’anémie cérébrale ; on l’observe encore dans
les intoxicatic "nine et mercurielle. Enfin, l’insuffisance de l’ali¬
mentation peu '’o'rigine, soit que les aliments fassent réellement
défaut, soit que ... 's état des voies digestives en entrave l’absorp¬
tion et l’assimilation. Un s’explique ainsi la fréquence de l’anémie chez
les enfants trouvés ; ils sont mal nourris, les aliments peu appropriés
qu’on leur fait prendre déterminent et entretiennent une irritation per¬
manente de l’intestin et provoquent ainsi une diarrhée persistante; les
pertes que subit l’organisme l’emportent sur ses acquisitions ; l’enfant
maigrit, tombe peu à peu dans un état de débilité profonde et finit par
succomber, quelquefois après avoir présenté des symptômes d’anémie cé¬
rébrale.
Dans la dernière période des fièvres graves, les diverses conditions que
nous venons de passer en revue se trouvent réunies : l’activité plus
grande des combustions organiques ; la diarrhée dans la fièvre typhoïde ;
l’exsudât dans la variole; les hémorrhagies dans les formes malignes ont
augmenté la déperdition dans des proportions considérables, tandis que,
depuis le début de la maladie, la réparation n’a pu se faire que dans
des limites très-restreintes. Il n’est pas douteux que l’anémie ne puisse
jouer un rôle dans la genèse des accidents cérébraux, qui souvent sur¬
viennent dans ces circonstan.ces ; il est donc nécessaire de soutenir
autant que possible, dès le début de l’affection, les forces du malade
et de n’user qu’avec la plus grande réserve des médications spolia¬
trices.
Quelquefois chez les personnes soumises à une cause permanente d’af¬
faiblissement, par exemple, chez les jeunes femmes peu vigoureuses qui
accouchent plusieurs fois de suite et allaitent leurs enfants, chez les
chlorotiques, les symptômes de l’anémie cérébrale ne se manifestent que
sous l’influence d’une cause occasionnelle; assez souvent c’est un état fé¬
brile qui en provoque l’apparition ; l’importance de ces faits ne saurait être
méconnue, car un observateur non prévenu pourrait rapporter à l’hypé-
rémie les troubles cérébraux qui se produisent dans ces circonstances et
se trouver ainsi conduit à une thérapeutique dangereuse.
Dans les cas d’ischémie cérébrale, l’anémie générale intervient souvent
comme cause adjuvante. Les causes qui peuvent entraver l’afflux du sang
dans l’encéphale sont nombreuses et de nature diverse : l’accumulation
subite d’une grande quantité de sang dans les membres inférieurs, dans le
système veineux abdominal ou dans un viscère suffit à produire par une
influence toute mécanique, l’anémie cérébrale ; ainsi, certaines personnes
sont prises d’étourdissement quand elles se redressent brusquement après
être restées quelque temps baissées ; assez fréquemment les convales¬
cents, les individus épuisés éprouvent des vertiges, des éblouissements
quand ils restent trop longtemps debout; l’application intempestive des
ventouses Junod peut amener par un mécanisme semblable des accidents
graves d’anémie cérébrale. Après l’évacuation du liquide d’un gros kyste
ovarique ou d’une ascite, l’abaissement subit de la pression intra-abdo-
76 ENCÉPHALE. — anémie cérébrale. |
minale détermine l’afflux du sang dans les vaisseaux correspondants ; les
parois des veines dont une compression de longue durée a affaibli la résis¬
tance, et qui, d’ailleurs, présentent dans cette région, comme l’ont dé¬
montré les expériences de Goltz, une tendance particulière à se laisser
distendre, cèdent à l’excès de pression que le sang exerce sur elles, et ce
liquide s’y accumule quelquefois en de telles proportions qu’il n’arrive
plus en quantité suffisante dans le système artériel, et qu’il se produit
des accidents d’anémie cérébrale.
Les émotions morales peuvent amener l’ischémie de l’encéphale en
déterminant, par action réflexe, la contraction simultanée de ses artérioles.
Certains médicaments semblent exercer une action analogue sur les petits
vaisseaux, et c’est probablement par ce mécanisme que le seigle ergoté et le
sulfate de quinine occasionnent des troubles cérébraux. D'après Niemeyer,
toutes les lésions qui réduisent la capacité de la cavité crânienne, les
épanchements sanguins, les tumeurs de l’encéphale et de ses membranes,
les fractures du crâne avec enfoncement, devraient nécessairement, en
vertu des lois mécaniques qui régissent la circulation intra-crânienne,
déterminer l’anémie cérébrale ; telle serait en toutes circonstances la cause
réelle des accidents que l’on rapporte habituellement à la compression du
tissu nerveux. Sans méconnaître la vraisemblance qu’offre cette expli¬
cation dans un grand nombre de cas, nous ne pouvons considérer comme
constant le rapport qu’indique Niemeyer, car plus d’une fois nous avons
pu constater la co-existence d’une tumeur intra-crânienne et d’une hypé-
rémie considérable de l’encéphale et de ses membranes.
Les lésions de l’appareil circulatoire sont une cause fréquente d’anémie
cérébrale; tantôt, comme dans la myocardite et la dégénérescence grais¬
seuse du cœur, l’impulsion cardiaque fait défaut, le sang ne pénètre
qu’en faible quantité et sous une pression insuffisante dans les carotides;
d’autres fois un obstacle matériel gêne la circulation, un caillot volumineux
réduit la capacité de l’oreillette ou du ventricule gauche, l’orifice aortique
est rétréci ou ses valvules sont insuffisantes, des produits athéromateux
obstruent l’orifice des carotides ou des sous-clavières, une tumeur com¬
prime ces vaisseaux; dans toutes ces circonstances, l’encéphale ne reçoit
qu’une quantité insuffisante de sang, et il peut se produire des accidents
d’anémie; la compression du cordon pendant l’accouchement a les mêmes
résultats. Dans la vieillesse, la cause principale de l’anémie cérébrale est
l’athérome artériel ; il n’est pas rare de trouver chez les sujets âgés
toutes les artères de la base profondément altérées ; les dépôts forment le
plus souvent un demi-cylindre excavé en dedans, soulevant la tunique
interne, aux dépens de laquelle il s’est développé. Le calibre du vaisseau
se trouve ainsi réduit à la moitié ou au tiers de ses dimensions normales,
et quand cette altération s’étend à un certain nombre de branches, elle
restreint singulièrement le champ de la circulation encéphalique. D’autre
part, la perte de l’élasticité artérielle tend à ralentir le cours du sang, car
il a été démontré, par les expériences de Marey, que l’écoulement des
liquides est moins rapide dans les tubes rigides que dans les tubes élas-
77
ENCÉPHALE. - ASÉMIE GÉnÉBRALE.
tiques; enfin, chez le vieillard, l’impulsion cardiaque est affaiblie, et
l’ondée sanguine est lancée avec moins de force dans les carotides. On
conçoit que dans ces conditions les accidents de l’anémie cérébrale se
produisent sous l’influence des causes les plus légères, et qu’ils prennent
souvent un caractère grave.
Anatomie pathologique. — Ordinairement les méninges contiennent
peu de sang; quelquefois, cependant, elles sont le siège d’une hypérémie
qui contraste avec l’aspect de la substance cérébrale. Le plus souvent les
mailles de la pie-mère sont infiltrées de sérosité;. les ventricules renfer¬
ment une quantité anormale de liquide ; pourtant, contrairement à ce
qu’enseigne la théorie, il n’en est pas toujours ainsi ; et notamment, chez
les individus morts d’hémorrhagie, on peut presque toujours constater la
sécheresse des méninges. Quand au contraire l’anémie reconnaît pour
cause une maladie chronique, surtout quand elle résulte d’une lésion
cardiaque et qu’un certain degré de stase veineuse coïncide avec l’ané¬
mie artérielle, on trouve le plus souvent une extravasation considérable
de liquide séreux. Les caractères anatomiques de l’anémie cérébrale sont
fort simples ; la substance cérébrale est décolorée, les parties grises sont
d’une pâleur remarquable ; sur une coupe on ne voit sortir des vaisseaux
qu’un très-petit nombre de gouttelettes sanguines. Chez l’enfant, la
substance blanche présente une teinte bleuâtre ; le tissu cérébral s’est
ramolli au contact du liquide exsudé.
Symptômes. — Nous avons vu déjà, par l’étude des faits d’expérimenta¬
tion, à quels troubles morbides donne lieu l’anémie cérébrale et com¬
ment la physiologie permet de les interpréter. L’histoire clinique de l’af¬
fection se trouve ainsi simplifiée. Le tableau symptomatique diffère surtout
suivant que les phénomènes se développent subitement et atteignent
immédiatement leur plus haut degré d’intensité, ou qu’au contraire ils
suivent une marche lente et progressive.
C’est surtout après les hémorrhagies graves que l’on observe la forme
rapide; le malade éprouve des éblouissements, des vertiges, des tinte¬
ments d’oreilles; souvent il vomit, la respiration s’accélère; les forces
sont anéanties, les téguments froids et décolorés ; le pouls est petit, fili¬
forme ; le malade perd connaissance, tombe dans le coma : des mouve¬
ments convulsifs plus ou moins intenses se produisent dans les membres;
puis la respiration se ralentit; les pupilles, d’abord rétrécies, se dilatent;
les excitations les plus énergiques ne déterminent plus de réaction, et la
mort peut survenir en peu de temps. On observe donc simultanément,
comme dans les expériences que nous avons mentionnées, des signes de
paralysie cérébrale et d’excitation bulbaire. On a donné de ces faits des
interprétations diverses : pour Henle, le reflux dans la moelle allongée
du sang contenu dans les veines rachidiennes amènerait l’hypérémie de
cet organe et causerait ainsi les convulsions ; mais cette hypothèse n’a
pas été confirmée par les faits, car, après la ligature des artères, on trouve
constamment le bulbe anémié en même, temps que le cerveau; d’après
Kussinaul et Tenner, l’anémie serait moins prononcée dans le bulbe et la
78
ENCÉPHALE. - ANÉMIE CÉRÉBRALE.
protubérance que dans le cerveau ; cette explication est assez vraisem¬
blable dans les cas où l’anémie résulte d’une distribution irrégulière du
sang, ainsi dans l’ischémie par excitation vaso-motrice, par lésion des
artères ou du cœur; mais elle n’est plus admissible quand il y a diminu¬
tion de la masse totale du sang; il n’y a plus alors de raison pour que
l’anémie soit moins prononcée dans le méso-céphale que dans les autres
parties des centres nerveux. La loi d’après laquelle une période de suracti¬
vité précède nécessairement la paralysie des centres nerveux, quand leurs
fonctions ne sont pas immédiatement anéanties par la cause morbifique,
loi sur laquelle nous avons plus haut appelé l’attention, peut seule expli¬
quer en pareil cas les phénomènes d’excitation du bulbe ; l’intensité de
ces symptômes est d’autant plus grande que le cerveau est paralysé,
car c’est un fait connu en physiologie que les fonctions du bulbe et de la
moelle s’accomplissent avec plus d’énergie quand ces organes ne sont
plus soumis à l’influence de l’encéphale. Enfin, si le cerveau se paralyse
plus rapidement que les autres parties de l’encéphale, cela tient sans
doute à ce qu’il est plus vasculaire, que les échanges nutritifs s’y font avec
plus d’activité et que par suite le manque de sang oxygéné doit troubler
plus rapidement ses fonctions.
Dans la forme lente, on observe surtout des phénomènes d’excita¬
tion qui se rattachent à cet état particulier du système nerveux dé¬
crit par les Anglais sous le nom de faiblesse irritable. La céphalalgie
est presque constante; les bruits, la lumière, sont mal supportés;
les malades sont tourmentés par des vertiges , des étourdissements ;
ils se plaignent de nausées; il leur semble à tout instant qu’ils vont
perdre connaissance, et en effet ils sont sujets aux lipothymies. L’in¬
telligence n’est pas atteinte, pourtant les malades sont incapables
d’un travail soutenu, le moindre effort les fatigue; les battements
du cœur sont faibles, le pouls est dépressible, il n’y a pas de véritable
paralysie, mais les mouvements se font péniblement et sans force. On
peut comprendre de la manière suivante la production de ces symptô¬
mes : l’anémie a pour effet principal d’amoindrir la vitalité des éléments
nerveux ; par suite, leur excitabilité s’affaiblit et en même temps ils de¬
viennent susceptibles d’être influencés par des excitations qui, à l’état
normal, seraient trop faibles pour mettre en jeu leur activité. De cette
double modification résulte le complexus symptomatique, que l’on dé¬
signe sous le nom de faiblesse irritable. Les symptômes que nous venons
de passer en revue coïncident habituellement avec les signes de l’anémie
générale; les téguments sont pâles ; des bruits de souffle sont perceptibles
au cœur et dans les vaisseaux. Le malade éprouve des palpitations et de
l’oppression.
Les phénomènes d’excitation cérébrale prennent dans certains cas un
caractère fâcheux; les malades ont du délire, ils sont en proie à des hal¬
lucinations ; ces symptômes ne sont pas rares chez les individus affa¬
més ; on les observe aussi à la dernière période des fièvres graves, surtout
quand le malade a été longtemps privé d’aliments et que la déperdition
ENCÉPHALE. — anémie cérébrale. 79
de matériaux organiques provoquée par la maladie ou par le traitement
a été considérable.
Chez les vieillards atteints d’athérome artériel, l’anémie donne lieu à
des symptômes un peu différents. Le plus fréquent et le plus caracté¬
ristique est l’étourdissement. Le malade est pris tout à coup de vertiges ;
sa vue se trouble, il cbancelle, il cherche un appui pour ne pas tomber;
puis, au bout d’un instant, il revient à lui et se retrouve dans son état
habituel : tels sont, dans leur forme légère, les accès d’iscbémie céré¬
brale; d’habitude, ils se renouvellent fréquemment, quelquefois par
séries ; le malade reste plusieurs semaines sans en éprouver, puis tout à
coup ils reparaissent, se répètent plusieurs fois par jour, et même par
heure; ils surviennent tantôt sous l’influence de causes occasionnelles, à
la suite d’une fatigue musculaire, d’une émotion ; tantôt sans cause ap¬
parente; certains malades en ont même au lit; on les voit tout à coup
pâlir, cesser deparler s’ils causent, incliner brusquement la tête ; puis, au
bout d’un instant, se redresser en regardant autour d’eux avec étonne¬
ment. D’autres fois les troubles sont plus graves, et persistent plus long¬
temps: le malade reste dans un état de demi-somnolence, d’hébétude;
il a de la peine à s’exprimer, trouve difficilement ses mots ; il éprouve
de l’engourdissement dans les membres, quelquefois d’un côté plus que
l’autre; il a des nausées, des vomissements; ces symptômes peuvent
durer vingt-quatre heures ou plus. Enfin il peut survenir une attaque
apoplectique qui guérit sans laisser après elle de paralysie persistante.
Chez les individus sujets depuis longtemps aux accidents d’ischémie
cérébrale, on observe assez souvent des troubles intellectuels ; le malade
tombe dans un état continuel d’apathie; il dort une partie du jour; il
s’exprime lentement, péniblement ; sa mémoire s’affaiblit ; il peut finir
par présenter tous les symptômes de la démence sénile.
Parfois, certains sujets, des vieillards surtout, tombent dans un sin¬
gulier état de somnolence que l’on est généralement en droit de rapporter
à l’anémie cérébrale ; ces malades ont une tendance invincible au som¬
meil ; si on les excite, ils se réveillent, répondent avec intelligence aux
questions qu’on leur pose, mais, au bout d’un instant, ils retombent dans
leur état habituel ; souvent le sommeil les surprend au milieu de leurs
occupations, ou pendant leur repas. Ces symptômes peuvent persister pen¬
dant plusieurs semaines et même bien plus longtemps ; dans un fait de ce
genre, observé par l’un de nous, la malade était morte subitement après
avoir présenté pendant quinze jours cette tendance au sommeil ; on a
trouvé à l’autopsie un rétrécissement mitral, un rétrécissement ventri-
culo-aortique et un rétrécissement athéromateux considérable des prin¬
cipales artères du cerveau, lésions qui, réunies, devaient nécessairement
produire l’anémie cérébrale.
Chez les enfants, l’anémie cérébrale peut prendre un caractère particu¬
lier de gravité. Dans une première période, ils sont en proie à une vive
agitation, ils poussent des cris; des mouvements convulsifs se produisent
dans la face ou dans les membres ; plus tard, ces phénomènes d’excitation
EiMCÉPlIALE. - ANÉMIE CÉRÉBRALE.
disparaissent peu à peu, et font place à la torpeur, à l’inertie musculaire,
à la prostration; les pupilles ne réagissent plus, la respiration s’embar¬
rasse, et l’enfant succombe dans le coma. Cette affection offre dans ses
symptômes et dans sa marche une analogie frappante avec l’hydrocé¬
phale aigu : c’est ce qui lui a valu le nom d’hydrocéphaloïde, sous lequel
l’a décrite Marshall-Hall.
Diagnostic. — On a vu que les symptômes de l’anémie cérébrale offrent
souvent la plus grande ressemblance avec ceux de la congestion; le
diagnostic est difficile, surtout s’il existe en même temps un état fébrile,
comme il arrive à la dernière période des fièvres graves. D’une manière
générale, ce n’est pas dans la nature même des troubles nerveux qu’il
faut chercher des caractères distinctifs, ils ne diffèrent pas sensiblement
dans les deux états morbides ; c’est en considérant l’état général du ma¬
lade, les antécédents, les circonstances dans lesquelles se sont développés
les accidents que l’on peut arriver au diagnostic. Si le sujet est d’une
constitution vigoureuse, s’il n’existe aucune lésion cardiaque ou vascu¬
laire capable de produire l’anémie, si le pouls est plein et dur, on ad¬
mettra plutôt la congestion ; quand au contraire le malade est chétif,
l’impulsion cardiaque faible, le pouls mou et dépressible, quand en même
temps le cœur et les vaisseaux sont le siège de bruits de souffle, on doit
rapporter à l’anémie les troubles cérébraux. En outre, dans l’anémie,
les phénomènes s’aggravent quand le malade se tient debout ; souvent la
face et les muqueuses sont décolorées ; ce sont là des signes auxquels il
ne faudrait pas attribuer une valeur absolue, mais qui méritent néan¬
moins d’être pris en considération.
Les étourdissements qui sont le symptôme habituel de l’ischémie chez
les vieillards ne se produisent pas dans la congestion ; il n’y a pas d’er¬
reur possible; mais on peut les confondre avec les vertiges épileptiques;
si le malade n’a jamais eu de grandes attaques, le diagnostic peut être
très-difficile ; il faut tenir compte du caractère des étourdissements ; la
perte de connaissance subite et complète est exceptionnelle dans l’is¬
chémie, elle est la règle dans l’épilepsie; mais c’est là un point sur lequel
l’état mental des malades ne permet pas le plus souvent d’obtenir des
renseignements précis. 11 faut s’enquérir des antécédents, s’informer s’il
y a eu des épileptiques dans la famille ; l’époque d’apparition des accès
est très-importante à considérer : les épileptiques ont eu de ces vertiges
dans leur jeunesse, et même dès l’enfance ; au contraire, l’étourdisse¬
ment ischémique, lié à l’athérome, n’apparaît presque jamais qu’à un âge
avancé ; en tenant compte de ces éléments, on arrive le plus souvent à
poser le diagnostic avec une certitude presque entière.
Chez les enfants, la forme grave d’anémie que nous avons décrite pour¬
rait être confondue avec la méningite ; l’agitation, les cris, les convul¬
sions, les troubles pupillaires, puis la stupeur et le coma s’observent dans
les deux affections, mais l’enfant qui meurt d’anémie a une physionomie
toute spéciale ; l’émaciation est arrivée chez lui à un degré extrême ; il a
la face ridée, grippée comme celle d’un vieillard ; contrairement à ce que
ENCÉPHALE. — anémie cérébrale. SI
l’on voit dans la méningite, il a de la diarrhée ; enfin s'il y avait doute,
l’exploration thermométrique donnerait bientôt le diagnostic.
Pronostic. — Le pronostic varie beaucoup avec la cause de l’anémie,
les circonstanees dans lesquelles elle se développe, et le traitement qu’on
lui oppose. L’anémie qu’occasionnent les grandes hémorrhagies, l’anémie
d’inanition chez les enfants ont une gravité exceptionnelle. Chez les per¬
sonnes âgées, les accidents d’ischémie cérébrale sont toujours d’un pro¬
nostic fâcheux ; elles indiquent le plus souvent une dégénération athéro¬
mateuse des artères, et par conséquent une prédisposition au ramollisse¬
ment ; néanmoins on yoit des malades être sujets pendant de longues
années à ces accidents sans qu’il se produise de lésion plus grave. Quant
au pronostic à porter sur l’issue d’une attaque ischémique, la persistance
de la torpeur et de la résolution des membres, le ralentissement de la res¬
piration, l’abolition des mouvements réflexes, la dilatation permanente
des pupilles succédant à leur rétrécissement, sont des signes presque
constamment fatals.
Traite.ment. — Dans l’anémie subite qu’amènent les hémorrhagies
abondantes, l’intervention énergique et immédiate du médecin, peut
rendre les plus grands services ; il faut tout d’abord augmenter l’afflux
du sang dans l’encéphale, en comprimant l’aorte abdominale et les artères
des membres ; puis chercher à réveiller l’excitabilité des centres nerveux
en faisant prendre au malade des boissons chaudes stimulantes, du vin,
une potion éthérée additionnée d’acétate d’ammoniaque à forte dose;
combattre le refroidissement qui résulte de l’hémorrhagie en entourant
le malade de linges bien chauffés. L’excitation des extrémités nerveuses
par l’application réitérée de sinapismes peut contribuer aussi à stimuler
l’activité fonctionnelle de l’encéphale. On parvient le plug souvent ainsi
quand l’écoulement du sang est définitivement arrêté, à éviter les acci¬
dents graves que l’hémorrhagie peut entraîner à sa suite ; mais dans cer¬
tains cas, la perte de sang a été excessive, tous les moyens que nous ve¬
nons d’indiquer restent impuissants, l’état comateux persiste, la mort
est imminente. Il ne faut pas hésiter alors à pratiquer la transfu.sion du
sang; d’après une statistique publiée en 1868 par Landois, qui a relevé
tous lesfaits connus dans la science, cette opération a été pratiquée une cen¬
taine de fois à la suite d’hémorrhagies, et dans plus des deux tiers des cas,
le résultat a été favorable; ce sont là des faits très-encourageants; l’opé¬
ration n’offre pas d’ailleurs de danger par elle-même, si l’on a soin de
défibriner le sang, de le filtrer et de ne l’injecter que bien purgé d’air et
chauffé à une température voisine de celle du corps; il ne faut pas introduire
à la fois une trop grande quantité de sang ; 100 grammes suffisent
pour amener une amélioration presque immédiate dans l’état du malade.
Chez les enfants, l’anémie provenant le plus souvent de l’insuffisance
de l’alimentation et du mauvais état des voies digestives, les indications
thérapeutiques sont nettement tracées. Pour combattre la diarrhée, il faut
proscrire tout aliment solide, nourrir l’enfant de décoction blanche, do
lait coupé d’eau de chaux ; s’il est tout jeune, on lui donnera une nourrice
KODV. raCT MED. ET CTIE. XIII. — 8
82 ENCÉPHALE. — anémie cérébrale.
quand ce sera possible; s’il est plus âgé, la viande crue est indiquée,; elle
est de digestion facile quand elle est bien hachée, les petits malades la
prennent volontiers mélangée à du sucre ou à des confitures. L’extrait
de quinquina, le vin, de petites doses d’eau-de-vie ou de rhum sont avan¬
tageusement associés à ce traitement qui amène souvent avec rapidité
une amélioration inespérée dans l’état du malade ; le musc administré à
petites doses semble quelquefois produire de bons effets.
L’anémie qui survient à la fin des maladies aiguës sera efficacement
combattue par le quinquina, le vin et un régime réparateur ; elle néces¬
site en outre de sévères précautions hygiéniques ; le malade ne doit à
aucun prix se lever prématurément, ni rester trop longtemps debout dans
le temps de la convalescence, car il est alors constamment sous l’immi¬
nence d’une syncope à laquelle l’anémie et l’affaiblissement du cœur don¬
neraient une gravité exceptionnelle; il n’est pas très-rare de voir des conva¬
lescents mourir subitement dans ces circonstances. L’anémie des maladies
chroniques, se traite par le quinquina, les préparations martiales, une
alimentation substantielle ; si le malade est incommodé par des lipothy¬
mies fréquentes, il fera usage de stimulants énergiques, tels que la liqueur
d’Hoffmann ou la teinture ammoniacale de Sylvius; beaucoup de malades
se trouvent bien d’une saison aux bains de mer.
Chapman a préconisé dans ces derniers temps une nouvelle méthode de
traitement qui consiste à appliquer d’une façon permanente, au moyen
d’un appareil qu’il a imaginé, de la glace pilée sur la partie cervico-dorsale
du rachis ; dans la pensée de l’auteur, l’anémie cérébrale, quand elle ne
résulte pas d’une hémorrhagie, serait constamment entretenue par un
état congestif de la moelle ; de là, l’efficacité du traitement proposé ;
quoi qu’il en soit de la théorie, les faits cités par l’auteur sont assez en¬
courageants ; iî ne semble pas cependant que ce traitement soit également
bien supporté par tous les malades. L’un de nous a eu l’occasion, dans
le service de Vulpian,. d’appliquer l’appareil à une jeune femme qui
présentait depuis quelque temps les symptômes d’une vive excitation de
la moelle; à chaque essai, il se produisit au bout de peu de temps des
accidents assez sérieux; la malade éprouvait une sensation toute spéciale
et très-pénible d’angoisse, la respiration s’embarrassait, devenait anxieuse,
les téguments se cyanosaient, on était forcé de retirer l’appareil ; après
plusieurs tentatives, on dut renoncer à cette médication; la malade
n’en obtenait d’ailleurs aucun soulagement. Il faut attendre de nou¬
veaux faits avant de se prononcer sur la valeur de ce moyen de traite¬
ment.
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Oblîtépatîon des vaisseaux encéphaliques. — Les troubles
généraux de vascularisation dont nous nous sommes occupés jusqu’ici ne
déterminent, en raison même de leur extension, que des désordres fonc¬
tionnels, car s’ils atteignent un certain degré d’intensité et s’y maintien¬
nent, la mort survient avant que des altérations matérielles aient eu le
temps de se produire; les obstructions vasculaires que nous allons étu¬
dier maintenant, n’exercent leur action que sur une partie limitée de l’en¬
céphale, mais cette action est profonde, persistante, et presque constam¬
ment elle aboutit à la mortification des éléments nerveux.
L’oblitération peut porter sur les artères, sur les capillaires et sur les
sinus veineux.
Oblitération des artères de l’encéphale. — Les lésions pro¬
duites dans le tissu nerveux par les obturations artérielles sont dé¬
crites, en raison de leur nature et de leur, aspect, sous les noms de nécro¬
biose, de ramollissement nécrosique ou simplement de ramollissement de
l’encéphale; les produits morbides n’étant pas soumis au contact de l’air
ne subissent pas la décomposition putride, le processus nécrobiotique se
distingue ainsi des autres variétés de gangrène.
L’oblitération peut être le résultat d’une thrombose ou d’une em¬
bolie.
Gehèse et étiologie. — Thrombose artérielle. — La cause la plus fré¬
quente de cette altération est l’inflammation chronique des parois vascu¬
laires, l’endartérite déformante. Les éléments cellulaires contenus dans
}a couche profonde de la tunique interne se multiplient; unis par une
quantité variable de substance amorphe, ils forment des amas souvent
•considérables de matière jaunâtre, assez consistante, semblable à de
l’albumine cuite. Ces dépôts n’occupent pas habituellement toute la
périphérie du vaisseau. Très-souvent ils subissent la dégénérescence
84
ENCÉPHALE. — oblitération des artères.
graisseuse, se ramollissent; la tunique interne s’ulcère et le sang se
trouve en contact avec la matière athéromateuse; d’autres fois, les
produits morbides s’infiltrent de sels calcaires, et forment des pla¬
ques saillantes, inégales, rugueuses, susceptibles de se détacher en
partie et d’pbturer ainsi la lumière de l’artère ; les tuniques moyennes
et externes s’altèrent simultanément; les vaisseaux deviennent rigides,
flexueux, ils perdent leur élasticité ; en même temps l’action car¬
diaque est souvent affaiblie et le sang n’arrive dans l’encéphale que
sous une faible tension ; les conditions les plus favorables à la for¬
mation d’un caillot se trouvent ainsi réunies, et il suffit de la cause
occasionnelle la plus légère pour qu’il se produise une thrombose. Or¬
dinairement le coagulum se fait d’abord au niveau d’une rugosité ou
d’une ulcération, puis il s’accroît par le dépôt successif de nouvelles
couches de fibrine et finit par obturer complètement le calibre du
vaisseau.
La compression d’une artère par un produit morbide peut amener la
formation d’un caillot oblitérant en l’absence de toute altération des
parois vasculaires. Ainsi l’un de nous a vu chez une femme dont le cer¬
velet renfermait des tubercules, l’artère sylvienne oblitérée par un
caillot autochthone qui avait évidemment pour cause la constriction exer¬
cée sur le vaisseau par un exsudât méningien abondant. Dans un fait
publié par Hayem, il existait à la face interne de la pie-mère, sur le
trajet des vaisseaux, une vingtaine de petites tumeurs offrant la structure
du glio-sarcome; elles avaient interrompu par compression le cours du
sang dans les communicantes postérieures et les deux syl viennes et occa¬
sionné ainsi plusieurs ramollissements. Dans un certain nombre d’obser¬
vations, la compression était exercée par des tumeurs gommeuses déve¬
loppées à la face interne de la dure-mère. Yirchow a réuni plusieurs de
ces faits. La compression portait dans les cas de Virchow et de Bristowe
sur la carotide interne ; dans celui de Gildemeister et Hoyack sur la
sylvienne ; dans celui de Bœning, sur la carotide et la sylvienne; dans
celui de Passavant sur la basilaire ; sur un sujet de de Græfe, Virchow a
trouvé un grand nombre de vaisseaux oblitérés par le même mécanisme j
Hûghlings Jackson a observé plusieurs faits de même ordre. Dans ces
circonstances l’obstruction est produite en partie par la. compression, en
partie par thrombose pariétale.
Les cachexies, la diathèse inopectique sont des causes adjuvantes dont
on ne saurait méconnaître l’importance; mais il ne semble pas que ces
états morbides soient capables de produire par eux-mêmes la thrombose-
des artères cérébrales. On a publié plusieurs observations de ramollisse¬
ments chez des individus atteints de cancer, de maladie deBright; dans-
la plupart, il existait simultanément des altérations cardiaques ou aorti¬
ques; dans d’autres le poumon était le siège de foyers gangréneux, d’in¬
farctus ou de pneumonie chronique et les veines pulmonaires pouvaient
renfermer des caillots ; on peut donc invoquer dans ces différents cas le
mécanisme de l’embolie; dans un cas de leucémie publié par Thudicum, il
85
ENCÉPHALE. — oblitération des artères.
existait une thrombose que l’on aurait pu rapporter à l’inopexie, mais un
examen attentif montra que la formation du caillot avait été provoquée
par l’obstacle qu’un amas de leucocytes agglomérés opposait au cours du
sang.
Embolie. — Le plus souvent l’embolus vient du cœur gauche; il peut
être de nature diverse : tantôt c’est un fragment qui se détache de la
mitrale ou des sigmoïdes ulcérées et ramollies ; tantôt c’est le contenu
d’un foyer de myocardite aiguë ou d’un infarctus des parois cardiaques
qui pénètre dans la circulation ; plus souvent l’embole est formé de fibrine
altérée; il provient soit de dépôts formés sur des végétations de l’endo¬
carde, soit d’anévrysmes partiels du cœur. Dans toutes ces circonstances,
un effort, une émotion, en augmentant momentanément l’énergie des con¬
tractions cardiaques, peuvent être la cause occasionnelle qui détermine la
migration de l’embolus. Chez les individus dont le cœur est affaibli, par
exemple, chez les sujets âgés, les cancéreux, les malades atteints de lon¬
gues suppurations ou convalescents de fièvres adynamiques, il se forme
quelquefois, entre les colonnes charnues du ventricule ou de l’oreillette,
des coagulations fibrineuses qui peuvent devenir, quand elles se ramol¬
lissent, l’origine de caillots migrateurs.
Il est fréquent, dans les autopsies de vieillards, de trouver l’auricule
remplie de fibrine altérée, et c’est là une cause importante d’embolie
cérébrale, car, dans les observations de ramollissement cérébral que
Vulpian a bien voulu mettre à notre disposition, nous trouvons que
5 fois sur 73 ces coagulations auriculaires semblent avoir été le point de
départ des accidents.
Chez les sujets âgés, l’aorte est souvent l’origine de l’embolie. Fré¬
quemment ce vaisseau est profondément altéré dans sa structure; des
foyers athéromateux se sont ouverts dans sa cavité; il s’est formé de
Vastes ulcérations sur lesquelles des caillots se sont déposés ; en d’autres
points les produits de l’inflammation chronique se sont calcifiés, de larges
plaques incrustées de sels calcaires font saillie dans la cavité du vaisseau,
quelques-unes sont en partie détachées, et, à côté, des ulcérations indi¬
quent que des plaques semblables ont été emportées par le courant san¬
guin; les faits recueillis par Vulpian montrent que cette endaortite
chronique est une cause relativement fréquente de ramollissement; les
foyers athéromateux qui siègent dans le tronc bracbio-céphalique et dans
la carotide peuvent jouer le même rôle pâthogénique. Les anévrysmes de
l’aorte ne donnent lieu qu’exceptionnellement à des embolies cérébrales ;
dans un fait rapporté par Esmarch, les manœuvres pratiquées dans le but
d’examiner une de ces tumeurs amenèrent la séparation d’un fragment
de caillot qui alla boucher la carotide interne. Nous mentionnerons enfin,
comme causes très-rares d’infarctus encéphalique, les thromboses des
veines pulmonaires qui correspondent aux infarctus, aux foyers gangré¬
neux, aux cavernes, aux noyaux de pneumonie chronique; les caillots
qui s’en détachent doivent pour gagner l’encéphale traverser tout le cœur
gauche.
S6 ENCÉPHALE. — oblitération des artères.
L’embole parti du cœur gauche ne pénètre pas indifféremment dans les
divers vaisseaux qui se rendent à l’encéphale; rarement il s'engage dans
le tronc brachio-céphalique, sans doute parce que cette artère s’ouvre
dans l’aorte très-obliquement par rapport à la direction de l’ondée san¬
guine ; l’orifice de la carotide gauche est au contraire favorablement disposé
pour recevoir le corps étranger; quant aux vertébrales, l’embole n’y peut
pénétrer qu’en parcourant un trajet sinueux, aussi n’observe-t-on que très-
rarement des infarctus emboliques dans la sphère de distribution de ces
vaisseaux. Quand les artères sont très-athéromateuses, on trouve souvent
les orifices aortiques des troncs céphaliques en partie masqués et
obstrués par des dépôts athéromateux ou par des plaques calcifiées ; cette
disposition doit s’opposer à la pénétration dans ces vaisseaux des caillots
migrateurs et réduire ainsi le nombre des cas d’embolie cérébrale. C’est
peut-être pour cette raison que chez les vieillards l’infarctus embo¬
lique s’observe moins souvent dans l’encéphale que dans les reins et dans
la rate.
Causes. — Les causes de la thrombose artérielle sont obscures comme
celle de l’endartérite ; la plus importante est la sénilité ; il est rare de
trouver les artères exemptes d’altérations chez les sujets âgés; chez les
individus jeunes, l’endartérite est au contraire peu commune; les causes
qui en amènent le développement prématuré sont mal connues ; l’influence
pathogénique de l’alcoolisme est généralement admise, pourtant Lance-
reaux l’a sérieusement contestée dans un travail récent; le rhumatisme
et la goutte seraient, d’après quelques auteurs, une cause fréquente d’a-
thérome artériel; l’influence delà goutte est difficile à constater, car l’on
a rarement, en France, l’occasion de faire des autopsies de goutteux ;
pourtant chez plusieurs sujets qui présentaient au plps haut degré les
lésions de la diathèse unique, on a trouvé les artères exemptes d’altéra¬
tions. D’après Traube, l’hypertrophie du cœur pourrait causer l’athérome
artériel en élevant la pression intra-vasculaire. Nous avons vu comment
la dyscrasie inopectique, qui est presque constante chez les individus ca¬
chectiques, favorisait la formation des thromboses.
L’embolie a pour causes les affections chroniques du cœur, l’endocar¬
dite, principalement la forme ulcéreuse, la myocardite, l’athérome aor¬
tique, les anévrysmes de l’aorte et de ses branches céphaliques, enfin
les infarctus et l’inflammation chronique du poumon ; la fréquence rela¬
tive des ohlitérations par thrombose et par embolie diffère suivant l’âge
des sujets. Ainsi, dans le tableau de Meissner qui contient peu d’observa¬
tions de malades âgés, l’embolie est de beaucoup la cause la plus fré¬
quente de ramollissements, neuf fois seulement sur cinquante et un cas,,
le caillot semble avoir été autochthone ; au contraire, dans les observations
de Vulpian qui ont été recueillies presque exclusivement chez des
vieillards, l’oblitération semble s’être produite plus souvent par throm¬
bose ; il est d'ailleurs difficile chez ces sujets de déterminer exactement
quelle a été la cause de l’oblitération ; dans bien des cas, en effet, on
trouve des lésions chroniques des valvules, des dépôts fibrineux dans-
87
ENCÉPHALE. — 0BLIIÉHATI0^' des artèbes.
l’auriculegauche,oudes foyers athéromateux dans l’aorte, en même temps
qu’une altération athéromateuse avancée des artères cérébrales : quelle
est, parmi ces lésions, celle qui a amené l’obstruction artérielle? Quelque¬
fois les caractères du caillot fournissent des indications; il peut contenir
des fragments de valvules ou de végétations rompues; dans d’autres cas,
il est manifestement plus ancien que le ramollissement, il présente le
même aspect et la même structure qu’un caillot cardiaque, et ce dernier
offre des traces de rupture, la marche des accidents est alors facile à
saisir ; mais en dehors de ces cas exceptionnels, il est impossible de se
prononcer, et, même à l’autopsie, le diagnostic ne peut être posé entre la
thrombose et l’embolie.
Akatomie pathologique. — Une recherche attentive permet presque
toujours de trouver le vaisseau oblitéré. Quand la lésion date de quelques
jours, l’artère est complètement bouchée, le caillot adhère légèrement à
la paroi vasculaire, il est grenu, en partie décoloré; il se prolonge dans
les subdivisions du vaisseau ; plus tard, il se ramollit au centre, se déco¬
lore entièrement; enfin quand il est ancien, il se rétracte de manière à ne
plus occuper qu’une partie de la lumière du vaisseau; il est alors inti¬
mement uni à la paroi par un tissu connectif résistant; quelquefois l’ar¬
tère même se rétrécit en même temps que le caillot se rétracte.
L’obstruction artérielle n’entraîne la nécrobiose de l’encéphale que si
elle siège au delà du cercle de Willis ; les gros troncs qui forment l’hexa¬
gone sont reliés par des anastomoses qui assurent le rétablissement rapide
de la circulation quand l’un d’eux est oblitéré ; ainsi l’obstruction de la
carotide n’est suivie de lésions persistantes que si le caillot vient à se pro¬
longer dans les branches qui partent de l’hexagone. Quand la coagula¬
tion reste limitée au tronc carotidien, les troubles morbides sont passa¬
gers, et le malade guérit rapidement; Oppolzer a publié un fait de ce
genre.
Le siège du ramollissement est en rapport avec le siège de l’oblité¬
ration ; les circonvolutions sont le plus fréquemment atteintes ; dans les
observations de Vulpian, leur altération est notée dans les trois quarts
des cas ; le corps strié n’a été lésé qu’à peine une fois sur deux ; les
parties le plus souvent atteintes sont ensuite la substance blanche des
hémisphères, la couche optique, puis le cervelet, la protubérance et
le bulbe. La thrombose affecte indifféremment l’un ou l’autre hémi¬
sphère; l’infarctus embolique, en raison des dispositions anatomiques
que nous avons indiquées, se fait plutôt dans l’hémisphère gauche, et
c’est dans l’artère de Sylvius que le caillot migrateur pénètre de préfé¬
rence ; Cohn assure même qu’il ne s’engage jamais dans la sylvienne
droite, si ce n’est lorsqu’il vient du tronc brachio-céphalique ou de la
carotide droite; nous ne pouvons admettre l’exactitude de celte asser¬
tion, car nous trouvons dans le tableau de Meissner huit cas d’embolie
droite dans lesquels le caillot migrateur est parti du cœur gauche. L’ob¬
turation de la sylvienne amène ordinairement le ramollissement du
corps strié ; les circonvolutions frontale et pariétale, qui reçoivent éga-
88 ENCÉPHALE. — oclitération des aiitères.
lement leurs artères de ce vaisseau, peuvent rester indemnes, grâce au
développement rapide de la circulation collatérale. Quand l’artère choroï-
dienne est oblitérée, l’infarctus occupe le noyau blanc de l’hémisphère;
l’oblitération d’une artère vertébrale ne produit pas de lésion persistante;
l’obstruction du tronc basilaire, quand elle se fait rapidement, amène la
mort avant qu’il ait pu se former dans le tissu nerveux des lésions appré¬
ciables (Hayem); dans les cas où la mort a été moins rapide, le ramollis¬
sement occupait tantôt le pont de Varole (Bennet), tantôt le pont de Va-
rolcet la couche optique (Brnnnicke); dans un cas semblable, Vulpian a
trouvé un des lobes du cervelet ramolli superficiellement et la protubé¬
rance injectée ; l’oblitération de la cérébrale postérieure a produit dans
un fait de Cohn,le ramollissement de la couche optique; chez un sujet
qui présentait la même lésion artérielle, Vulpian a trouvé tout le lobe
occipital ramolli.
Quand un malade succombe quelques heures seulement après l’obstruc¬
tion de l’artère, les seuls désordres apparents sont des troubles de vascu¬
larisation ; il est très-rare que la partie ischémiée soit plus pâle que les
parties voisines ou qu’elle conserve sa coloration normale ; presque tou¬
jours elle devient au bout de peu de temps le siège d’une congestion in¬
tense. Deux circonstances expliquent le développement de cette hypé-
rémie : d’une part, d’après les lois de la mécanique, toute oblitération
artérielle augmente nécessairement la pression dans les branches qui nais¬
sent derrière l’obstacle, ces vaisseaux deviennent le siège d’une circula¬
tion compensatrice, le sang reflue de proche en proche dans les capil¬
laires delà partie ischémiée et les distend ; d’autre part, la suppression de
la vis à tergo ralentit te cours du sang dans les veines qui émergent de
cette même partie, et y amènent la formation de thromboses; sous cette
double influence, la tension s’élève dans les capillaires, leurs parois lais¬
sent transsuder une quantité variable de sérosité plus ou moins colorée
qui imbibe le tissu et en dissocie les éléments; souvent un certain
nombre de vaisseaux se rompent, le sang pénètre dans les gaines lym¬
phatiques; il peut même se faire de véritables foyers hémorrhagiques.
Moins de deux jours après la formation du caillot oblitérant, on peut
constater que la consistance du tissu a diminué, le ramollissement existe.
Il ressort des lignes qui précèdent que presque toujours le foyer présente
une coloration rouge plus ou moins prononcée suivant l’intensité de Fhy-
pérémie. Tantôt les parties ne sont que légèrement teintées en rose ;
tantôt elles sont d’un rouge sombre, presque violacé; toutes les nuances
intermédiaires peuvent être observées; la couleur de certains ramollisse¬
ments superficiels ressemble à celle de l’hortensia; en général, la teinte
est plus foncée quand le ramollissement occupe la substance grise ; elle
est plus prononcée à la périphérie qu’au centre du foyer. La diminution
de consistance est en rapport avec le degré de l’injection; elle est plus
marquée à mesure qu’on examine la lésion à une époque moins rappro¬
chée de son début; pourtant, dès les premiers jours, la substance ner¬
veuse peut être réduite en une pulpe violacée ou lie de vin, diffluente et
ENCÉPHALE. — oBLiTiîr.ATio.N des ARiÈnES. 89
criblée de foyers d’apoplexie capillaire; on peut même y trouver des
caillots volumineux, et, si l’infarctus est superficiel, le sang peut s’infiltrer
dans la pie-mère; on trouve au microscope les tubes nerveux dissociés; dès
le quatrième jour, on peut apercevoir des corps granuleux. Les capillaires
sont habituellement dilatés, quelquefois remplis de sang coagulé; au
niveau des foyers d’apoplexie capillaire, on voit les gaines lymphatiques
distendues par le sang.
Bientôt des modifications profondes se produisent dans la masse ra¬
mollie ; les plus importantes portent sur les éléments nerveux : les tubes
deviennent granuleux, se segmentent ; la myéline se désagrégé et scs mo¬
lécules se groupent en petites masses qui forment probablement la plus
grande partie des éléments décrits par Gluge sous le nom de corps granu¬
leux et considérés à tort par cet auteur comme caractéristiques de l’in¬
flammation. Les cellules de la névroglie, les leucocytes mêlés au sang
épanché se chargent de granulations graisseuses, et c’est là sans doute
un autre mode d’origine des corps granuleux; ces éléments deviennent
de plus en plus abondants, à mesure que l’on s’éloigne du début de la
maladie. On trouve encore dans le tissu ramolli une quantité considérable
de granulations graisseuses ; elles s’accumulent autour des capillaires et
l’on pourrait croire au premier abord qu’elles sont renfermées dans la
paroi de ces vaisseaux; mais Bouchard a établi qu’elles siégeaient, en
réalité, dans la gaine lymphatique ; pourtant, dans quelques cas, les ca¬
pillaires contenus dans le foyer subissent la dégénérescence graisseuse;
on voit aussi en quantité des granulations d’hématosine, plus rarement
des cristaux d’hématoïdine. Les cellules nerveuses perdent leurs prolon¬
gements et se chargent de granulations pigmentaires.
En même temps que se produisent ces métamorphoses régressives, un
travail inflammatoire s’établit lentement dans les parties malades;
d’abord obscur, masqué par les altérations nécrobiotiques, il acquiert
une importance prédominante dans les périodes anciennes du ramollis¬
sement ; il porte sur les éléments de la névroglie et des parois vascu¬
laires. Un tissu conjonctif de nouvelle formation prend naissance, et la
disposition qu’il affecte contribue, plus que toute autre condition, à
produire les différences d’aspect que présentent les ramollissement an¬
ciens ; on trouve dans ce tissu une quantité d’éléments nucléaires, quel¬
quefois des corps fusiformes, des corpuscules étoilés ; assez souvent de
jeunes capillaires s’y développent. On peut considérer ce processus irri¬
tatif, comme une lésion à peu près constante dans le ramollissement.
Pourtant, Vulpian l’a vu manquer presque complètement : c’était dans
des cas d’ulcération des circonvolutions; les lésions étaient purement
ati’ophiques. L’irritation s’étend quelquefois au delà des limites du foyer:
on trouve alors le tissu nerveux induré autour du ramollissement dans
une épaisseur plus ou moins considérable. Chez les animaux, Prévost et
Cotard ont vu l’inflammation consécutive à l’infarctus aboutir à la sup¬
puration. Chez l’homme, en dehors des infarctus pyohémiques, on n’ob¬
serve pas de faits semblables.
ENCÉPHALE. — oblitération des artères.
Les lésions histologiques que nous venons d’énumérer sont les mêmes
dans les différentes formes sous lesquelles se présente le ramollisse¬
ment ancien. Si le malade a survécu quinze jours, le contenu du foyer
a déjà l’aspect d’une bouillie plus ou moins épaisse; par suite des trans¬
formations qu’ont subies les matières hématiques, il a pris une couleur
jaunâtre, ocreuse, tout à fait caractéristique ; c’est le stade du ramollis¬
sement jaune; sa durée est d’au moins plusieurs mois.
Quand la lésion est superficielle, le foyer contracte des adhérences
avec la pie-mère, épaissie et enflammée à ce niveau ; et, quand on en¬
lève cette membrane, on entraîne avec elle la substance ramollie. Sou¬
vent le foyer n’atteint la' superficie de l’encéphale que dans l’intervalle
de deux circonvolutions qu’il faut écarter pour l’apercevoir; quelque¬
fois il s’étend en profondeur, et une couche mince de tissu le sépare
seule de la cavité ventriculaire; quand le foyer atteint ces proportions
considérables, l’hémisphère lésé semble quelquefois aplati, et il donne
au toucher une sensation vague de fluctuation. A la longue, les pro¬
duits régressifs se résorbant peu à peu, il se fait une perte de sub¬
stance et la surface de l’encéphale offre à ce niveau une dépression plus
ou moins profonde. Ces foyers superficiels sont souvent le siège d’une
active prolifération conjonctive, ils s’indurent, se vascularisent; les lé¬
sions décrites par Durand-Fardel sous le nom de plaques jaunes ne sont,,
pour la plupart, autre chose que des foyers ainsi modifiés; on a con¬
testé qu’elles dussent leur origine à une oblitération vasculaire; mais
Prévost et Cotard ont pu les produire artificiellement, chez les chiens,,
en injectant des graines de tabac dans la carotide; ce sont donc bien des
infarctus transformés. Le foyer peut prendre l’aspect de plaques jaunes
deux mois après le début du ramollissement; Prévost et Cotard en ont
trouvé une trente-cinq jours seulement après l’injection de graines de-
tabac. Ces plaques jaunes peuvent s’étendre à la plus grande partie d’un
lobe ; leurs limites sont marquées par une ligne sinueuse qui les sépare
nettement des parties saines ; elles pénètrent entre les circonvolutions-
qui sont quelquefois déprimées à leur niveau, et même, dans certains cas,,
complètement effacées. Quand les plaques jaunes s’étendent en profon¬
deur, elles peuvent se continuer avec un ramollissement blanc du noyau
hémisphérique; cette différence de coloration tient à ce qu’au début les
parties grises sont plus injectées que la substance blanche, et que par
suite les matières hématiques, dont la transformation produit la colora¬
tion jaune, s’y trouvent en plus grande quantité.
Les foyers développés dans les parlies centrales de l’encéphale pré¬
sentent généralement des contours irréguliers; une multitude de tractus
formés par des vaisseaux ou par des tissus conjonctifs, en traversent en
tous sens la cavité ; les mailles interceptées par ces cloisons renferment
une pulpe jaunâtre, peu consistante: au bout d’un certain temps, les
matières colorantes disparaissent, et le foyer ne contient plus qu’une
matière presque liquide, blanchâtre, que l’on a comparée à du lait
de chaux et qui offre une grande ressemblance avec le colostrum..
91
ENCÉPHALE. — oblitération des artères.
(Meissner.) Elle contient une quantité innombrable de corp.s granuleux.
Les tractus âbreux peuvent eux-mêmes disparaître, et il ne reste qu’une
cavité anfractueuse tapissée ou non par une membrane et remplie de lait
de chaux.
Quand le foyer n’est pas trop considérable, son contenu peut être
complètement résorbé; on ne trouve plus alors qu’une étroite cavité,
dont les parois, rarement tapissées par une membrane conjonctive, sont
formées par le tissu nerveux sclérosé, induré, quelquefois encore coloré.
Les, parois de cette cavité peuvent même s’accoler, et le foyer n’est plus
représenté que par une cicatrice. On rencontre souvent dans le corps
opto-strié, plus rarement dans la protubérance et les autres parties de
l’encéphale, de petites cavités renfermant quelquefois un liquide incolore.
Elles sont connues sous le nom de lacunes, et considérées comme les
vestiges de petits foyers.
On voit, d’après cet exposé, que le ramollissement présente des caractè¬
res différents suivant qu’on l’examine à une époque plus ou moins éloignée
de son début; on peut d’une manière générale lui considérer trois stades;
le premier est le stade de ramollissement rouge; il dure de dix à quinze jours;
la coloration rouge manque rarement; on trouve pourtant dans les au¬
teurs des exemples incontestables de ramollissements avec conservation de
la couleur normale; c’est surtout chez les individus cachectiques que l’on
a" observé cette particularité; le deuxième stade est celui du ramollisse¬
ment jaune; il dure plusieurs mois; dans les parties grises, et surtout
dans les circonvolutions, le foyer garde indéfiniment sa coloration jaune ;
le troisième stade, celui du ramollissement blanc, ne se produit pas
dans tous les cas, on l’observe surtout dans ceux où le foyer occupe la
masse blanche des hémisphères ; les divers processus curateurs que nous
avons passés en revue peuvent représenter le quatrième stade du ramollis¬
sement nécrosique.
Certaines lésions coïncident fréquemment avec les foyers de ramollisse¬
ment; ce sont particulièrement les infarctus rénaux et spléniques, plus
rarement des gangrènes périphériques. Nous ne ferons que mentionner
les lésions de l’appareil circulatoire dont notre exposé étiologique
indique suffisamment la coïncidence presque constante avec le ramollis¬
sement cérébral.
Dans les centres nerveux, nous avons signalé l’adhérence et l’injection
de la pie-mère au niveau des ramollissements superficiels ; ces altérations
peuvent exister au bout de peu de jours, elles résultent de l’inflammation
, connective qui se développe sourdement non-seulement au sein du foyer
mais aussi dans le tissu qui l’entoure; plus tard l’adhérence devient plus
intime, les membranes s’épaississent et perdent leur transparence. Chez
les sujets atteints de ramollissement cérébral, la production de néo-mem¬
branes fines et vasculaires à la face interne de la dure-mère est relative¬
ment fréquente.
Enfin les foyers de ramollissement, quand ils sont un peu étendus,
déterminent souvent dans l’encéphale, dans la moelle et dans les membres
92
ENCÉPHALE. — oblitération des artères.
paralysés des altérations secondaires qui présentent au point de vue clini¬
que et au point de vue de la physiologie pathologique une importance
capitale, nous les décrirons avec l’hémorrhagie cérébrale qui peut égale¬
ment leur donner naissance.
Symptojies. — Le ramollissement d’origine embolique débute con-
stamnjent par une apoplexie; la thrombose au contraire est le plus
souvent précédée de troubles prodromiques; on peut donc distinguer
deux formes de ramollissement : l’une graduelle et l’autre apoplectique.
Les symptômes précurseurs du ramollissement par thrombose sont
l’expression des lésions artérielles qni amènent la formation du caillot.
Nous en avons déjà donné la description succincte en étudiant l’anémie
cérébrale; ils sont remarquables par leur diffusion et leur mobilité, et l’on
ne saurait s’en étonner, car les lésions artérielles sont elles-mêmes diffuses,
elles peuvent être plus prononcées dans différentes parties de l’encéphale,
et l’état de perméabilité des vaisseaux altérés peut se modifier d’un mo¬
ment à l’autre; il est même probable, que, conformément à ce que l’on
observe quelquefois dans les membres (Hallopeau), une artère encépha¬
lique peut s’oblitérer momentanément et redevenir perméable quelques
heures après ; il en résulte que les troubles fonctionnels mal caractérisés,
produits par l’athérome des artères cérébrales, présentent souvent des
alternatives d’aggravation et d’amélioration ; le mélange des phénomènes
d’excitation et de dépression contribue à caractériser cette période pro¬
dromique : les malades souffrent souvent d’une céphalalgie persistante;
leur intelligence devient moins vive, leur mémoiie s’affaiblit, certains
éprouvent de temps en temps, pendant quelques heures, de la difficulté
à parler, soit qu’ils ne trouvent plus les mots (amnésie verbale), soit que
les mouvements de la langue soient embarrassés ; d’autres ressentent pas¬
sagèrement, à plusieurs reprises, de l’engourdissement, des fourmille¬
ments dans un côté du corps. Après avoir présenté plus ou moins long¬
temps cet ensemble de symptômes, le malade est un jour soudainement
frappé d’une attaque apoplectique ; le plus souvent quand il revient à lui,
il ne recouvre qu’incomplétemerït l’usage de ses membres, il est hémi¬
plégique ; quelquefois la paralysie coïncide avec des contractures; c’est
surtout dans des cas où la lésion intéressait dans une grande étendue la
surface de l’encéphale ou les parois des ventricules que ce symptôme a
été observé, d’autres fois il peut s’expliquer par la suffusion sous les mé¬
ninges d’une certaine quantité de sang; c’est un phénomène de nature
réflexe. Dans certains cas, la marche des accidents est essentiellement
lente et progressive; le malade s’aperçoit comme par hasard qu’il est
plus faible d’un côté; la paralysie est au début si incomplète qu’on pour¬
rait la considérer comme rhumatismale, puis, peu à peu, elle se carac¬
térise davantage, s’étend au membre inférieur correspondant, il survient
des troubles intellectuels, des phénomènes adynamiques; des eschares se
forment et s’étendent rapidement et la maladie se termine en peu de
temps par la mort. D’autres fois l’hémiplégie se produit d’emblée
sans que le malade perde connaissance ; il se sent seulement un peu
ENCÉPHALE. — oBUTJÎnATioN des artères. 95
étourdi ; il ne s’aperçoit qu’il est paralysé qu’au moment où il veut faire
un mouvement.
Le ramollissement par thrombose reste parfois latent ; la formation
d’un foyer dans la substance blanche des hémisphères, ou dans les noyaux
gris du corps strié sans lésion des parties blanches de cet organe, peut
ne donner lieu à aucun trouble fonctionnel. Les ramollissements des cir¬
convolutions se traduisent par des symptômes qui permettent de soup¬
çonner leur existence : les troubles intellectuels dominent; ce sont souvent
des phénomènes d’excitation, une céphalalgie intense et persistante, de
l’agitation, du délire d’action, les malades se lèvent la. nuit, commettent
des actes déraisonnables; des symptômes de dépression peuvent succéder
à cette période d’agitation ou se produire d’emblée : le malade est apathi¬
que, il répond difficilement aux questions qu’on lui pose, ses mouvements
sont lents, quelquefois il est plongé dans la somnolence, l’intelligence est
affaiblie, la mémoire plus ou moins compromise. Un des symptômes les
plus remarquables est l’amnésie verbale, les recherches anatomo-patho¬
logiques ont établi nettement qu’il coïncide dans la grande majorité des
cas avec une lésion de la troisième circonvolution frontale du côté gauche ;
l’altération occupe surtout la partie postérieure de cette circonvolution, elle
empiète souvent sur la marginale antérieure et sur la deuxième frontale;
on observe aussi, bien que rarement, ce symptôme dans la lésion des par¬
ties blanches qui avoisinent la troisième circonvolution frontale; peut-
être existe-t-il alors une interruption des communications qui relient
cette circonvolution aux autres parties de l’encéphale. On trouve
quelquefois la troisième circonvolution altérée chez des sujets qui
n’ont pas présenté de troubles delà parole; d’autre part on a publié
quelques faits bien observés dans lesquels il existait, sans lésion du lobe
frontal, des troubles de la parole semblables à ceux que provoque l’am¬
nésie verbale ; mais ces cas sont tout à fait exceptionnels ; la relation
entre l’amnésie verbale et la lésion que nous venons d’indiquer peut être
considérée comme à peu près constante.
Les thromboses du tronc basilaire semblent, d’après quelques observa¬
tions relevées par Hayem, donner lieu, quand elles se font rapidement, à
une violente attaque apoplectique et amener en peu de temps la mort du
malade; on a noté, dans plusieurs de ces faits, la prédominance des trou¬
bles respiratoires.
11 n’est pas rare que plusieurs attaques se succèdent à intervalles peu
éloignés; nous avons vu d’autre part que les foyers de ramollissement
étaient souvent multiples ; il doit en être ainsi, car l’altération athéroma¬
teuse porte le plus souvent sur l’ensemble des artères encéphaliques et
les mêmes conditions qui amènent la formation d’une thrombose dans un
de ces vaisseaux tendent à produire, en d’autres points, la même alté¬
ration.
Si les infarctus ne sont pas très-volumineux, s’ils n’intéressent pas les
parties de l’encéphale dont la lésion entraîne nécessairement la mort,
la maladie peut rester longtemps stationnaire; quelquefois la motilité
94
ENCÉPHALE. — oblitération des artères.
reparaît peu à peu, et le malade peut recouvrer toute sa force mus¬
culaire ; plus souveat la paralysie persiste. Nous ne parlerons pas ici des
différentes formes qu’elle peut affecter, des particularités qu’elle peut
présenter, des troubles vaso-moteurs qui accompagnent souvent l’akinésie,
de l’anesthésie qui s’y ajoute quelquefois, enfin, des modifications secon¬
daires que subissent consécutivement les membres paralysés. Ces symp¬
tômes n’appartiennent pas exclusivement au ramollissement cérébral ; ils
sont en rapport avec le siège plutôt qu’avec la nature de la lésion encé¬
phalique, nous les décrirons avec l’hémorrhagie cérébrale.
La durée de la maladie est impossible à déterminer; la mort est
amenée soit par la formation d’eschares, soit par une maladie intercur¬
rente, soit par de nouvelles lésions de l’encéphale.
L’oblitération embolique débute constamment par une attaque apoplec¬
tique ; la lésion survenant brusquement en l’absence de toute altération
antérieure de l’encéphale, il n’y a pas de prodromes. Bien que l’obstruc¬
tion vasculaire n’intéresse directement qu’une partie généralement assez
restreinte, elle produit une sorte de commotion générale qui anéantit
momentanément, dans toute l’étendue de l’encéphale, l’excitabilité ner¬
veuse. Niemeyer explique ces phénomènes par l’œdème aigu que produi¬
rait brusquement l’élévation de pression dans les vaisseaux demeurés
perméables. Des objections sérieuses peuvent être opposées à cette théorie;
d’une part, il suffit souvent d’une embolie dans une artère de petit calibre
pour amener une apoplexie, et il est alors difficile de concevoir qu’une
réduction aussi minime du champ vasculaire élève à un tel point la ten¬
sion dans les autres vaisseaux, qu’il se produise instantanément un œdème
généralisé; d’autre part, il y a des cas où les phénomènes apoplecti¬
ques se dissipent au bout de quelques minutes, et il n’est guère admissible
que l’œdème puisse disparaître en sî peu d’instants. Ces accidents nous
semblent plutôt se rattacher à la névrolysie produite par la perturbation
subite de l’équilibre circulatoire. (Jaccoud.) Nous n’insisterons pas ici sur
les caractères de l’apoplexie embolique ; quelle que soit la lésion vascu¬
laire, oblitération embolique, thrombose ou hémorrhagie, l’attaque a les
mêmes symptômes. Nous les décrirons avec l’hémorrhagie.
Il reste généralement, quand les phénomènes de résolution musculaire
produits par l’apoplexie ont disparu, une hémiplégie du côté opposé à la
lésion. Si la paralysie siège à droite, les malades sont fréquemment atteints
d’amnésie verbale, en raison de la distribution de la sylvienne qui ali¬
mente à la fois le corps strié, le lobule de l’insala, et les circonvolutions
frontales et pariétales. L’étendue de la paralysie, les troubles sensoriels,
les désordres de la sensibilité générale varient d’ailleurs, comme nous le
verrons plus tard, avec le siège du foyer. (Voy. Hémorrhagie : Tumeurs.)
Quand Tembolus pénètre dans les branches du tronc basilaire, les fonc¬
tions des hémisphères cérébraux ne sont pas généralement troublées ;
l’intelligence reste intacte. S’il existe des troubles de la parole, ils ne
sont plus l’effet de l’amnésie verbale, mais des désordres ataxiques ou
paralytiques que la lésion produit dans l’appareil moteur de la langue.
ENCÉPHALE. — oblitération des artères. 95
Souvent les vomissements, les vertiges, les troubles de sensibilité s’ob¬
servent concurremment avec les phénomènes paralytiques.
La guérison complète ne peut être espérée que dans les quarante-huit
heures qui suivent l’attaque; plus tard, la mortification des éléments
nerveux est inévitable, il se fait nécessairement une perte de substance,
les symptômes paralytiques persistent indéfiniment. Le malade peut
mourir dans le cours du coma apoplectique, il peut succomber au bout
de quelques jours à des accidents adynamiques ; plus tard, il peut être
emporté par une nouvelle attaque, par une complication cardiaque ou
par une phlegmasie pulmonaire.
DiAGNos nc. — Le ramollissement cérébral pourrait être confondu avec l’en¬
céphalite ; mais cette dernière affection s’accompagne d’une élévation con¬
sidérable de la température ; l’observation thermométrique permettra donc
de différencier immédiatement les deux affections. La marche graduelle
de la paralysie indique qu’il s’agit d’une thrombose et non d’une hémor¬
rhagie cérébrale; si le malade avait auparavant présenté dans un membre
les signes non équivoques d’une obstruction artérielle , ce serait encore une
présomption en faveur du ramollissement; mais quand la thrombose débute
brusquement par une attaque apoplectique, et, d’autre part, quand l’hé¬
morrhagie se produit sans que le malade perde connaissance, le dia¬
gnostic ne peut être établi avec certitude. Les signes d’athéromes artériels
n’ont aucune valeur, car les artères de l’encéphale peuvent être peu
malades, alors que les artères périphériques sont le siège d’une dégéné¬
rescence avancée, et, d’autre part, cette altération prédispose aussi bien
à l’hémorrhagie qu’à la thrombose. Les contractures précoces se rencon¬
trent plus souvent dans l’hémorrhagie ; mais nous avons vu que ce
symptôme appartenait également à la thrombose. On doit donc souvent
se borner, surtout chez les sujets âgés, à affirmer l’existence d’un foyer
dans l’encéphale, sans en préciser la nature.
Les antécédents, les phénomènes concomitants, permettent quelquefois
de reconnaître l’existence d’une embolie cérébrale. Quand l’attaque se
produit brusquement chez un individu jeune, que le cœur est le siège
d’un bruit de souffle énergique, que la tuméfaction de la rate, des
douleurs dans les régions sphérique et lombaire, la présence de sang
dans les urines, permettent de soupçonner, en raison de la concordance
des symptômes, .la formation d’infarctus spléniques et rénaux, on peut
affirmer, avec une certitude presque entièrè, que le foyer encéphalique
est d’origine embolique ; on donne d’autres signes distinctifs, mais de
moindre valeur ; l’embolie pénètre de préférence dans la sylvienne
gauche; on en conclut que l’hémiplégie gauche appartient plutôt à
l’hémorrhagie cérébrale qui occupe indifféremment l’une ou l’autre
moitié de l’encéphale ; mais nous avons vu plus haut que l’embolie de
la sylvienne droite n’était pas en réalité très-rare. Si l’hémiplégie droite
coïncide avec l’amnésie verbale, on peut se prononcer presque à coup sûr
en faveur de l’embolie, car l’hémorrhagie de la troisième circonvolution
est très-exceptionnelle. Chez les sujets âgés, la pneumonie, à son début,
ENCÉPHALE. — oBi.iTÉnADo.N
ARTÈnES.
donne lieu quelquefois à des troubles cérébraux qui pourraient faire
croire à l’existence d’une lésion encéphalique; le plus souvent ce sont des
symptômes apoplectiques, la perte subite de connaissance, la résolution
des 'membres; d’autres fois ce sont des phénomènes d’excitation assez
semblables à ceux que déterminent les ramollissements superficiels,
mais le peu de durée des accidents, la prédominance des troubles respi¬
ratoires, l’élévation de la température, l’examen physique du thorax,
mettent rapidement sur la voie du diagnostic.
Le p'onostic est toujours grave ; quand le malade n’est pas emporté ^
par les accidents initiaux, il demeure atteint d’infirmités incurables, le
plus souvent son intelligence s’amoindrit, il est toujours menacé de nou¬
veaux accidents; l’embolie, dont les symptômes sont habituellement plus
effrayants au début que ceux de la thrombose a peut être moins de gra¬
vité, car elle a moins de tendance à se reproduire. Nous verrons plus tard
qu’une élévation considérable delà température quelques jours après une
attaque et la formation rapide d’eschares sur la fesse du côté paralysé sont
des symptômes extrêmement graves.
Traitement. — Alors que le ramollissement était généralement regardé
comme une affection de nature inflammatoire, il était de règle de lui op¬
poser un traitement antiphlogistique dont l’énergie variait avec l’état gé¬
néral du malade et la gravité des symptômes cérébraux; depuis que la
physiologie pathologique de la nécrobiose cérébrale est mieux connue, et
que Ton apprécie plus justement le rôle tout à fait secondaire qu’y joue
l’inflammation, les émissions sanguines sont généralement proscrites; cer¬
tains auteurs même conseillent, dans la généralité des cas, l’emploi d’une
médication stimulante ; c’est pousser trop loin la réaction ; sans doute il
peut être dangereux de retirer du sang à un malade frappé de ramollis¬
sement, mais il ne faut pas oublier que l’effet presque immédiat des obli¬
térations artérielles est presque toujours une hypérémie, et que l’afflux du
sang dans les parties malades peut être assez énergique pour qu’il se
fasse des ruptures vasculaires ; on court donc le risque, en excitant trop
vivement la circulation, d’aggraver encore ce travail pathologique. En
réalité, on ne peut établir de règles absolues, relativement à la conduite
que doit tenir le médecin en pareilles circonstances : s’il s’agit d’un indi¬
vidu âgé ou très-affaibli, si l’attaque a provoqué des phénomènes de col-
lapsus, si la face est pâle, le pouls petit, l’impulsion cardiaque faible, on
doit recourir aux stimulants diffusibles, tels que l’alcool, le vin chaud,
entourer le malade de linges ou de sachets bien chauffés, exciter la peau
par l’application réitérée de sinapismes, chercher ainsi à réveiller l’exci¬
tabilité nerveuse, enfin, maintenir la tête dans une position déclive pour
favoriser le rétablissement de la circulation dans les parties ischémiées.
Quand, au contraire, le malade est robuste, le pouls pleine! vibrant, la
face vultueuse, il faut combattre la fluxion encéphalique par les révulsifs
intestinaux; et si, par suite du développement exagéré de la circulation
collatérale, il survient des phénomènes d’excitation, on ne doit pas
craindre d’appliquer des sangsues à l’anus ou derrière les oreilles.
ENCÉPHALE. - OBLITÉRATION DES ARTÈRES. 97
Plus tard, les phénomènes apoplectiques se sont dissipés, toute trace
de travail actif a disparu et les désordres liés nécessairement à la lésion
indélébile des éléments nerveux subsistent seuls; il n’y a plus lieu alors
d’intervenir activement, on doit se borner à placer le malade dans de
bonnes conditions hygiéni([ues, et à maintenir autant que possible l’inté¬
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Oblitération des sinns veineux. — Genèse et étiologie. — La.
thrombose des sinus est primitive ou secondaire ; dans le premier cas, le
caillot naît sur place ; dans le deuxième, le travail de coagulation débute
par d’autres veines et ne s’étend aux sinus que consécutivement.
La thrombose primitive peut être l’effet de causes locales, agissant di¬
rectement sur les parois vasculaires ; l’inflammation des sinus, leur com¬
pression par des tumeurs intra-crâniennes peuvent ainsi en être l’ori¬
ginal; mais ce sont là des faits très-exceptionnels.
Toutes les causes qui mettent obstacle à la déplétion des sinus, les lé¬
sions organiques du cœur, l’emphysème, la compression des poumons, la
compression de la veine cave supérieure ou des veines jugulaires, sont
susceptibles d’amener la thrombose ; il paraît résulter d’une observation
de Cohn que les convulsions épileptiformes, en entravant la circulation en
retour, peuvent avoir le même résultat; de nouveaux faits seraient néces¬
saires pour établir la réalité de ce mode d’action. L’affaiblissement du
cœur, en ralentissant la circulation, favorise puissamment la coagulation
dans les sinus; mais c’est surtout quand le sang a subi l’altération inopec-
tique que cette cause est réellement efficace ; on observe ainsi l’oblitéra¬
tion des sinus chez les individus cachectiques, particulièrement chez les
malades atteints de cancer, de tubercules, de maladie de Bright, chez les
convalescents d’affections adynamiques.
La thrombose secondaire est toujours consécutive à la phlébite des
veines qui se jettent dans les sinus ou communiquent avec eux par des
anastomoses. Les lésions traumatiques du crâne, particulièrement celles
qui portent sur l’occipital, la carie des parois crâniennes, surtout la cario
du rocher, la trépanation, ,1a suppuration de l’oreille moyenne sont les
causes principales de ces phlébites ; les foyers d’hémorrhagie cérébrale
ou méningée, les abcès du cerveau, l’encéphalite peuvent également en
être l’origine; elles peuvent être enfin le résultat de furoncles ou d’érysi-,
pèles de la tête quand des veines émanant des parties enflammées tra¬
versent la paroi osseuse et communiquent directement ou par voie ana¬
stomotique avec un sinus ; ainsi, il n’est pas très-rare de voir une phlébite
de la veine faciale provoquée par un furoncle ou une lésion analogue
donner lieu à un caillot qui se prolonge dans l’ophthalmique et le sinus ca¬
verneux et en amène l’oblitération.
Anatome pathologique. — Le siège des thromboses secondaires est en
rapport avec celui de la lésion initiale, ainsi la carie du rocher donne lieu
à l’oblitération du sinus latéral ou des sinus pétreux. Les thromboses
primitives occupent de préférence le sinus longitudinal supérieur ; de là
elles s’étendent aux sinus latéraux, souvent au sinus droit et aux veines
encéphaliques correspondantes. Au début, la fibrine se dépose souvent
ENCÉPHALE. — oDLiTÉiiATios
SIiNlJS VEIKEDX.
09
sur les filaments celluleux qui cloisonnent la cavité du vaisseau ; quand
l’obstruction est complète, le sinus apparaît tuméfié, distendu par le
caillot; celui-ci, d’abord noirâtre, grenu, peu adhérent, subit les trans¬
formations habituelles ; il perd sa consistance, se transforme en une
masse pulpeuse dans laquelle le microscope fait reconnaître des leu¬
cocytes granuleux, de la fibrine en voie de régression et des granulations
graisseuses ; on peut le trouver complètement ramolli au centre et rempli
d’une bouillie puriforme ; à mesure qu’il vieillit, son volume diminue,
et comme les parois du sinus ne peuvent le suivre dans ce mouvement
de rétraction, il n’oblitère plus complètement la cavité du vaisseau; il
est fréquent de le voir accolé à la paroi et fixé dans cette position par des
tractus connectifs plus ou moins résistants. Quand la thrombose est con¬
sécutive à une altération des parois crâniennes, les membranes vascu¬
laires sont épaissies, friables, infiltrées de pus, quelquefois ulcérées au
niveau de l’os malade; elles peuvent même avoir totalement disparu dans
une partie plus ou moins considérable de leur étendue ; on trouve alors
dans le coagulum, outre les éléments que nous avons indiqués, du pus
et des débris pseudo-membraneux.
Les lésions de l’encéphale varient suivant l’importance et le nombre des
sinus oblitérés. Le premier effet de ces thromboses est d’amener la stase du
sang dans les veinules et les capillaires, d’y élever la tension, et de pro¬
voquer ainsi l’exsudation d’une certaine quantité de liquide séreux qui
s’infiltre dans les mailles de la pie-mère, s’accumule dans les ventricules
et dans les espaces sous-arachnoïdiens et tend à dissocier les éléments
nerveux. Les veines sont distendues, remplies de sang coagulé; la sub¬
stance cérébrale présente sur les coupes un piqueté formé par les orifices
des petits vaisseaux sectionnés ; quand l’élévation de la tension est assez
considérable pour produire des ruptures vasculaires, le sang s’épanche dans
les gaines lymphatiques, et forme de petits foyers d’apoplexie capillaire;
d’autres fois la rupture est complète, il se fait une véritable hémorrhagie
dans le tissu cérébral ou sous les méninges. Le trouble que la thrombose
des sinus occasionne dans la nutrition des éléments nerveux aboutit sou¬
vent à leur mortification ; la nécrobiose est une des conséquences habi¬
tuelles de cet état morbide. Quand l’oblitération porte sur le sinus lon¬
gitudinal supérieur, le ramollissement occupe symétriquement d’avant en
arrière, sur la convexité des hémisphères, les bords de la scissure médiane;
cette disposition est presque caractéristique, et peut faire reconnaître à
l’autopsie la véritable nature de la lésion, dans le cas où l’on aurait omis
d’abord d’ouvrir les canaux veineux. Quand la thrombose est Feffet d’une
carie, il n’est pas rare de rencontrer en même temps les lésions d’une
méningite plus ou moins étendue. Les individus affectés de thromboses se¬
condaires meurent souvent d’infection purulente , on trouve alors des
abcès métastatiques dans différents viscères.
Stmptômes et diagnostic. — Il est rarement possible de reconnaître
pendant la vie la thrombose des sinus, surtout quand elle est primitive;
les symptômes sont pour la plupart l’expression des différentes lésions
lOO'v ENCEPHALE. — oblitération des sinhs veineux.
que l’altération veineuse produit dans le tissu nerveux. Ils n’appartiennent
doncças en propre à la thrombose, et n’ont rien de caractéristique; ils
varient suivant le vaisseau oblitéré, suivant la rapidité avec laquelle se
forme le coagulum ; dans quelques cas les malades , après avoir présenté
quelques symptômes prodromiques, tels que de la céphalalgie , des ver¬
tiges, sont soudainement frappés d’apoplexie et meurent en peu de temps.
Cette marche est exceptionnelle; plus souvent la maladie se traduit
d’abord par des phénomènes d’excitation, de la céphalalgie, des con¬
vulsions épileptiformes, des contractures ; la céphalalgie peut atteindre
un degré extrême de violence; elle est quelquefois plus marquée dans
la partie du crâne où siège l’oblitération. Ces accidents font bientôt
place à des symptômes de dépression ; tantôt la transition se fait brusque¬
ment, par une attaque apoplectique, tantôt le malade tombe peu à peu
dans la stupeur , s’affaiblit graduellement , et linit par mourir dans le
coma; rarement il se produit des paralysies circonscrites. Dans quelques
cas, on a observé des symptômes spéciaux qui peuvent, s’ils sont bien
accusés, mettre sur la voie du diagnostic. Ainsi l’on a noté, dans les
oblitérations du sinus longitudinal, des épistaxis répétées, de l’oedème
autour des veines frontales et de l’exophthalmie (Corazza); dans la
thrombose des sinus latéraux, l’affaissement de la veine jugulaire corres¬
pondante (Gerhardt) ; quand le caillot se prolonge dans les veines ana¬
stomotiques qui aboutissent à la cavité sigmoïde, un œdème douloureux
des téguments situés derrière l’oreille. (Griesinger.) Ces symptômes sont,
d’ailleurs, loin d’être constants , et leur absence ne saurait avoir aucune
valeur négative.
On voit, par cet exposé symptomatique, que les éléments font défaut
pour formuler un diagnostic précis; les circonstances dans lesquelles
se manifestent les symptômes cérébraux permettent pourtant, dans un
certain nombre de cas, de soupçonner la nature de la lésion.
Quand les troubles fonctionnels que nous avons énumérés apparaissent
chez un individu cachectique ou convalescent d’une fièvre grave, on peut
penser à la thrombose des sinus; si les mêmes accidents se produisent
chez un malade atteint d’otite ou de carie du rocher, il est permis égale¬
ment de les rattacher, avec vraisemblance, à une oblitération veineuse,
surtout s’ils prennent d’emblée la forme dépressive, car les phénomènes,
d’excitation peuvent être aussi bien rapportés à une inflammation par¬
tielle de l’encéphale ou des méninges; l’élévation de la température géné¬
rale pourrait dépendre de l’affection osseuse et ne saurait avoir, dans ce
cas, de valeur diagnostique. Chez un malade atteint de furoncle à la face,
l’exploration de la veine faciale peut fournir des indications utiles, et si
on constate que ce vaisseau est dur et douloureux au toucher dans sa
partie terminale, il est bien probable que la cause des troubles cérébraux
est une thrombose du sinus caverneux.
Le pronostic est grave sans être en tout cas fatal. Il n’est pas très-rare
de trouver dans les sinus des caillots anciens chez des malades qui n’ont
pas succombé à des troubles cérébraux. Pourtant les thromboses pri-
ENCÉPHALE. — oblitératiojn des capillaires. 101
mitives et les thromboses liées à la pyémie sont presque constamment
mortelles ; les oblitérations secondaires présentent moins de gravité.
Traitement. — Quand les accidents semblent se produire sous l’in¬
fluence d’une lésion phlegmasique du crâne ou de la face, le médecin
doit intervenir aussi énergiquement que le permet l’état général ; si le
malade est jeune et robuste, on pratique une saignée générale ou l’on
applique des sangsues derrière les oreilles; quand la lésion initiale est
ancienne, quand le malade est débilité ou présente des signes de scrofule,
on a recours aux dérivatifs intestinaux, tels que le calomel et le jalap,
l’eau-de-vie allemande, l’aloès ; des vésicatoires sont appliqués aux jambes
et à la nuque, des compresses froides maintenues en permanence sur la
tête ; si le malade résiste aux premiers accidents , on dirige contre la
maladie constitutionnelle le traitement général approprié; enfin, quand
les symptômes cérébraux se manifestent chez un individu cachectique, on
doit s’efforcer de relever les forces du malade, combattre l’affaiblissement
cardiaque par les toniques et les stimulants, tels que l’alcool, le quinquina
et les potions ammoniacales.
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Oblitération des capillaires. — Comme les artères, les vaisseaux
capillaires peuvent s’oblilérer par thrombose ou par embolie.
Les thromboses ont généralement pour cause les altérations des parois
vasculaires. Les travaux de Paget(1850), de Charles Robin (1856), ont
montré quelle est la fréquence et l’importance de ces lésions, particu¬
lièrement chez les sujets âgés.
La plus commune est la dégénérescence graisseuse; quand elle est
peu prononcée, on voit les granulations accumulées autour des noyaux ;
plus tard, elles sont tellement multipliées, qu’elles masquent complète¬
ment les éléments du vaisseau. Cet état des capillaires coïncide souvent
avec l’altération scléro-athéromateuse des artères. On ne peut lui accorder
une valeur pathogénique que s’il existe à un certain degré en différents
points de l’encéphale, car lorsqu’il est limité aux parties ramollies, on
doit le considérer comme secondaire.
102 ENCEPHALE. — oblitération des capillaires.
L’incrustation calcaire, les dilatations moniliformes des capillaires,
peuvent se rencontrer isolément ou coïncider avec l’altération graisseuse.
Ces différentes lésions ont pour effet commun de ralentir la circulation,
de favoriser la formation de thromboses et d’amener ainsi le ramol¬
lissement nécrobiotique des parties où se distribuent les vaisseaux
oblitérés. Les foyers sont généralement multiples; comme, par eux-
mêmes, ils n’entraînent pas la mort, on ignore quels caractères ils pré¬
sentent au début ; on n’en retrouve à l’autopsie que les vestiges. Il est
probable que les lacunes, dont nous avons signalé plus haut l’existence,
doivent en partie leur origine à des thromboses capillaires. Ces lésions ne
semblent donner lieu, dans la plupart des cas, à aucun trouble fonctionnel.
On peut distinguer deux classes ÿemholies capillaires suivant la nature
de l’embole : tantôt son action est purement mécanique, et il ne donne
lieu qu’aux lésions nécrosiques signalées plus haut; tantôt, issu d’un
foyer putride ou gangréneux, il renferme des produits septiques et pro¬
voque, dans le tissu où il s’arrête, des altérations de même nature. Il
existe donc des embolies simples et des embolies spécifiques.
Les embolies simples peuvent être elles-mêmes de nature et d’origine
diverses. Nous étudierons successivement les embolies de matière fibri¬
neuse ou athéromateuse, les embolies pigmentaires, les calcaires et les
graisseuses.
L’existence d’embolies simples provenant de la pénétration dans le
courant sanguin de matières fibrineuses ou granuleuses avait été considé¬
rée jusqu’ici comme hypothétique; un certain nombre de faits, observés
par Vulpian, en démontrent nettement la réalité. Plusieurs fois, chez
des individus qui avaient succombé à des accidents cérébraux, ce pro¬
fesseur n’a trouvé, pour expliquer les phénomènes observés pendant
la vie, d’autres lésions que des kystes à contenu puriforme ouverts
dans le cœur ou des foyers athéromateux dans l’aorte. Les foyers athé¬
romateux étaient remplis d’une sorte de boue semi-liquide, formée de
corps granuleux, de paillettes de cholestérine, de granulations grais¬
seuses libres ; la membrane interne de l’aorte était ulcérée à leur ni¬
veau. Les kystes à contenu puriforme se trouvaient dans les auri-
cules; c’étaient des caillots dont la partie centrale s’était ramollie,
alors que la périphérie était restée solide et résistante; cette sorte d’en¬
veloppe s’était rompue et le contenu formé de leucocytes graisseux,
de fibrine à l’état granuleux et de granulations graisseuses s’était mé¬
langé au sang. 11 est probable que l’ouverture dans le ventricule gauche
de foyers de myocardite , ou d’infarctus ramollis de la paroi car¬
diaque, peut être également l’origine d’embolies capillaires. Les acci¬
dents observés chez les malades atteints de ces lésions ont présenté
une analogie frappante avec ceux que provoquent, chez les animaux, les
injections dans les carotides de poudres fines, telles que les ont pra¬
tiquées Flourens et Vulpian. Immédiatement après l’injection, l’animal
semble ressentir une douleur violente; il pousse des cris, s’agite, tombe
au bout de quelques instants, quelquefois d’une minute, dans un état
ENCÉPHALE. — oblitération des capillaires. 105
■comateux, et meurt en peu de temps. Si l’on n’a injecté qu’une faible
quantité de poudre , la mort est moins rapide et même l’animal peut
:survivre. Or, parmi les malades dont il vient d’être question, les uns
avaient succombé rapidement à une violente attaque apoplectique; les
autres avaient eu, à intervalles plus ou moins éloignés, plusieurs atta¬
ques et s’en étaient relevés ; il est probable que chez ces derniers il
n’avait pénétré dans le sang qu’une quantité minime de matière mor¬
bide. Ces embolies capillaires, quand elles n’entraînent pas rapide¬
ment la mort, ne donnent pas lieu nécessairement à des lésions nécro-
siques; chez un animal, auquel il n’avait injecté qu’une faible quantité
de poudre lycopode et qui avait complètement guéri , Vulpian a re¬
trouvé, au bout de vingt-trois jours, des spores disséminés, çà et là,
dans les petits vaisseaux de l’encéphale, sans altération concomitante de
la pulpe nerveuse.
En résumé, si l’on considère quelle est la fréquence des altérations
athéromateuses chez les vieillards, on est conduit à penser que ces em¬
bolies capillaires ne sont pas très-rares, et qu’une partie des attaques
apoplectiques qui guérissent sans laisser après elles d’accidents paraly¬
tiques ne reconnaissent pas d’autre origine.
L’emholie pigmentaire est un des accidents de la mélanémie ; cet état,
■caractérisé par la présence dans le sang d’une quantité considérable de
corpuscules pigmentaires, s’observe exclusivement dans la cachexie pa¬
lustre. Ces corpuscules sont petits, arrondis ou polyédriques, ordinaire¬
ment noirs, rarement bruns ; quelquefois on trouve parmi eux de vérita¬
bles cellules pigmentaires ; ils forment de petits amas et amènent ainsi
l’obstruction des capillaires soit directement, soit en provoquant la for¬
mation d’un caillot; ils s’accumulent surtout dans la substance grise des
■circonvolutions et lui communiquent souvent une teinte foncée tout à fait
caractéristique ; moins nombreux dans la substance blanche, ils y for¬
ment quelquefois des traînées brunâtres. La substance nerveuse est moins
consistante qu’à l’état normal ; l’élévation de la pression sanguine dans
les vaisseaux demeurés perméables amène quelquefois des ruptures ; il se
fait de petites hémorrhagies. Si le foyer est superficiel, le sang peut
s’épancher sous les méninges ; Frerichs a observé deux fois l’hémorrhagie
méningée dans ces circonstances. Les différents viscères présentent, chez
ces sujets, une coloration brune ; elle est plus marquée dans le foie et dans
la rate, mais on l’observe également à un degré variable dans les reins,
dans la peau et dans les autres organes.
Suivant l’étendue des lésions, les troubles cérébraux liés aux embolies
pigmentaires peuvent présenter un caractère plus ou moins grave. Dans
les cas légers, la céphalalgie est le symptôme dominant ; elle occupe toute
l’étendue du crâne ; elle peut devenir assez violente pour arracher des cris
aux malades ; divers troubles sensoriels, l’obnubilation de la vue, des
bourdonnements d’oreilles, quelquefois des nausées, des vomissements
s’ajoutent à la céphalalgie; enfin les malades se plaignent fréquemment de
vertiges . Dans une forme plus grave, il survient du délire, des convulsions,
104 ENCÉPHALE. — oblitération des capillaires.
tantôt partielles, tantôt générales, épileptiformes ; puis ces phénomènes
d’excitation s’amendent peu à peu elle malade finit par tomber dans un
état comateux. Ces accidents ne peuvent être rapportés à leur cause réelle
que si l’on connaît les antécédents du malade ; si on les voit apparaître
chez un individu qui a été atteint de fièvres palustres, si l’on constate
une augmentation de volume du foie et de la rate, si en même temps les
téguments présentent une coloration brunâtre, on peut soupçonner
l’existence d’embolies pigmentaires dans les capillaires de l’encéphale.
Ce serait une erreur pourtant de rapporter exclusivement à cette cause
les troubles cérébraux qui caractérisent certaines formes de fièvres pa¬
lustres; tant que les accidents sont franchement intermittents, on ne
peut guère les expliquer par une lésion permanente telle que la méla¬
némie; Frerichs a d’ailleurs constaté que sur 28 cas de fièvres pa¬
lustres accompagnées de phénomènes cérébraux , l’embolie capillaire
avait manqué 6 fois.
Le pronostic est toujours sérieux; la maladie devra être combattue
par le sulfate de quinine ; les applications froides sur la tête, les révul¬
sifs cutanés et intestinaux compléteront utilement la médication.
L’embolie calcaire consiste dans une incrustation calcaire oblitérante
des capillaires bien distincte de l’incrustation pariétale liée à l’endarté-
rite : le couteau éprouve une certaine résistance en pénétrant dans le
tissu de l’encéphale et les vaisseaux rigides font saillie sur les surfaces
de section; l’altération est limitée aux vaisseaux de petit calibre. Les ca¬
pillaires de l’encéphale ne sont pas seuls atteints; ceux des poumons, de
la muqueuse gastrique présentent les mêmes lésions. D’après Virchow,
les éléments calcaires proviennent des os ; ils sont résorbés, pénètrent
dans le sang et vont se déposer dans les petits vaisseaux des différents
tissus. Il est probable que de petits foyers de ramollissement peuvent
être la conséquence de cette altération; mais l’on ne sait rien de positif à
cet égard ; les troubles fonctionnels, auxquels peut donner lieu l’embolie
calcaire, sont aussi peu connus.
Nous n’insisterons pas sur les embolies graisseuses dont quelques ob¬
servations démontrent l’existence, on ne sait rien de leur importance
pathogénique ni de leur histoire clinique.
Les infarctus qui résultent des embolies spécifiques subissent constam¬
ment la transformation purulente. Ce fait a été l’objet d’interprétations
très-diverses. D’après Panum, la décomposition putride de l’embole con¬
tinue dans la partie où il s’est arrêté et les produits nouveaux qui en
résultent provoquent dans les tissus voisins une irritation assez vive pour
déterminer toujours la suppuration ou la gangrène; Virchow admet que
par une sorte d’action catalytique, l’embolus septique produit, dans les
parties qui l’entourent, des modifications semblables à celles qui ont lieu
dans le foyer primitif; enfin, pour Otto Weber, ces embolies n’ont qu’une
action purement mécanique. Quoi qu’il en soit de ces explications, on
tend à admettre que les embolies capillaires sont la cause générale des
abcès métastatiques. Les infarctus suppurés de l’encéphale peuvent être
ENCÉPHALE. - ODLITÉRATION DES CAPILLAIRES. 105
d’origine diverse. On les observe dans l’endocardite ulcéreuse ; les pro¬
duits morbides qui, dans cette affection, se forment au niveau des ulcé¬
rations de la séreuse cardiaque sont de nature septique, et, par suite, ils
donnent lieu, quand ils se détachent, à des embolies spécifiques. D’au¬
tres fois, le point de départ de l’embolie est une plaie ou une lésion
périphérique. On peut, dans ce dernier cas, s’e.xpliquer de deux manières
différentes la formation des infarctus cérébraux; on peut admettre, ou
bien que les fragments détachés du foyer septique sont assez petits
pour traverser les capillaires du poumon et pénétrer ainsi dans la cir¬
culation aortique, ou bien que les emboles s’arrêtent dans les bran¬
ches de l’artère pulmonaire et donnent lieu d’abord à des infarctus du
poumon, que des thromboses se forment dans les veines correspondantes
et qu’elles deviennent le point de départ d’embolies cérébrales ; si le
foyer originel est dans la rate ou dans l’intestin, l’embolie doit parcourir
un trajet plus long encore, puisqu’il lui faut traverser les capillaires du
foie avant d’arriver au poumon. Cette théorie a l’avantage de donner
une explication plausible des faits , elle est acceptable , mais elle est
fondée sur des données hypothétiques ; il est possible que les choses se
passent ainsi, mais rien ne le prouve; l’hypothèse contraire, d’après la¬
quelle les lésions seraient multiples d’emblée et dépendraient toutes de
la disposition morbide générale n’a rien d’inadmissible ; en somme, l’on
n’a pas, dans l’état actuel de la science, de données suffisantes pour ré¬
soudre cette question ; il n’est pas possible de formuler aujourd’hui une
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106 ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale.
Hémorrhagie cérébrale. — Genèse et étiologie. — Cet état mor¬
bide a été souvent décrit depuis Rochoux sous le nom d’apoplexie. On
semble aujourd’hui d’accord pour repousser cette synonymie et restituer
au mot apoplexie, sa signification traditionnelle en l’appliquant exclusi¬
vement à la suspension subite et complète des fonctions cérébrales. C’est
par un véritable abus de langage que cette dénomination a été employée
pour désigner une lésion ; la relation constante que l’on avait cru recon¬
naître entre les symptômes apoplectiques et l’hémorrhagie cérébrale ne
justifiait pas cette confusion ; il est d’ailleurs bien établi actuellement que
l’apoplexie peut manquer dans l’hémorrhagie cérébrale, et [que, d’autres
lésions de l’encéphale peuvent lui donner naissance.
Les hémorrhagies cérébrales peuvent être rapportées à des conditions
pathogéniques diverses; nous les classerons sous quatre chefs différents:
altérations des vaisseaux, — excès de la tension intra-vasculaire, — alté¬
rations de l’encéphale, — altérations du sang.
Altération des vaisseaux. — Malgré les nombreuses recherches dont ce
point de pathogénie a été l’objet, particulièrement dans ces dernières an¬
nées, on n’est pas d’accord sur la nature des lésions vasculaires qui don¬
nent lieu généralement à l’hémorrhagie cérébrale.
La difficulté de la question explique la divergencedes opinions. Presque
jamais on ne peut découvrir le vaisseau dont la rupture a causé l’hémor¬
rhagie; l’examen ne peut donc porter que sur l’ensemble des vaisseaux de
l’encéphale et particulièrement sur ceux que renferment les parties conti¬
guës au foyer ; or ces vaisseaux présentent le plus souvent, en raison de
l’âge avancé qu’ont la plupart des sujets atteints d’hémorrhagie, des alté¬
rations de nature diverse ; comment décider, en présence de ces lésions
multiples, quelle est la véritable cause de l’hémorrhagie? toutes sont
communes chez les vieillards, et on court le risque d’attribuer une in¬
fluence pathogénique à des lésions simplement concomitantes. On re¬
marque bien que certaines altérations sont plus fréquentes dans les cas
d’hémorrhagie, et on leur attribue avec raison un rôle important dans la
genèse de cet état morbide, mais on ne peut aller au delà et même ces con¬
clusions ne sauraient être rigoureuses. Sur cent faits d’hémorrhagie, on
trouve cent fois des anévrysmes miliaires : s’ensuit-il que la cause con¬
stante de l’hémorrhagie soit la rupture d’un de ces anévrysmes ? non, car
en même temps les parois artérielles ont le plus souvent subi la dégé¬
nérescence scléro-alhéromateuse, elles sont atrophiées, leur résistance
est amoindrie, et, dans bien des cas, l’on peut logiquement, jusqu’à
preuve du contraire, considérer cette lésion comme la cause probable
de la rupture vasculaire. L’examen du vaisseau rompu pourrait seul
juger la question, mais presque jamais il ne peut être pratiqué; il n’est
donc pas possible, dans l’état actuel de la science, de déterminer ri¬
goureusement quelle est l’importance relative des différentes lésions ar¬
térielles dans la pathogénie de l’hémorrhagie cérébrale.
Pour nous, toutes les altérations qui diminuent la résistance des vais¬
seaux prédisposent à l’hémorrhagie; les plus fréquentes sont : ladégéné-
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale. 107
rescence graisseuse quelle qu’en soit l’origine, et l’artérite chronique
aboutissant à la formation d’anévrysmes miliaires.
La dégénérescence graisseuse peut se présenter sous des formes di¬
verses; et d’abord il faut prendre garde, quand on examine à ce point de.
vue les vaisseaux de l’encéphale, de s’en laisser imposer par l’accumu¬
lation dans la gaine lymphatique de granulations graisseuses provenant
d’éléments en régression, c’est surtout lorsqu’on étudie les vaisseaux con¬
tenus dans les foyers anciens que l’on est exposé, si l’on n’est pas pré¬
venu, à commettre cette erreur. La véritable dégénérescence graisseuse
peut être limitée à la tunique interne, on voit alors les granulations grou¬
pées autour des noyaux ; cette lésion est peu fréquente ; ordinairement
primitive, elle est quelquefois consécutive à l’endartérite. Brummerstâdt
et Moosherr ont montré que presque toujours l'altération porte d’abord
sur la tunique moyenne ; les granulations forment des groupes allongés
transversalement et représentant par leur forme et leur position , les
noyaux des fibres lisses ; on voit par transparence les noyaux de la tu¬
nique interne qui est restée indemne. Les vaisseaux ainsi altérés perdent
leur résistance, ils se laissent déformer et deviennent le siège de dilata¬
tions fusiformes, sacciformes ou moniliformes ; sous l’influence des pro¬
grès de la lésion ou d'une cause occasionnelle, les parois finissent par se
rompre, il en résulte une hémorrhagie, soit immédiatement, soit consé¬
cutivement à la formation d’un anévrysme faux. On a décrit sous ce nom et
sous celui d’anévrysme disséquant, d’ectasie ampullaire, l’épanchement
de sang dans la gaine lymphatique ; cette lésion peut être due à plusieurs
causes ; dans le cas d’oblitération artérielle, l’élévation de la tension dans
les vaisseaux collatéraux amène la rupture de leurs parois et une hémor¬
rhagie dans la gaine ; la dégénérescence graisseuse peut donner lieu à
la même lésion ; c’est ainsi sans doute que prennent en partie nais¬
sance ces anévrysmes faux que l’on rencontre parfois isolément en dehors
de toute altération antérieure de l’encéphale. Quand on ouvre un cerveau
où il existe de ces anévrysmes des gaines, on voit sur les surfaces de
section de petites taches rouges, au milieu desquelles on peut apercevoir
l’orifice du vaisseau divisé; on ne saurait considérer cette lésion comme
une hémorrhagie véritable, car le sang n’est pas en contact avec le tissu
nerveux, il est encore contenu dans le système vasculaire ; mais la gaine
lymphatique peut se rompre à son tour : le sang fait alors irruption
dans la substance nerveuse, il se forme un foyer. Tel est le mode
d’origine probable, pour ne pas dire certain, des hémorrhagies que
l’on rencontre autour des parties ischémiées ; il est très-probable
que des hémorrhagies primitives peuvent se produire par le même
mécanisme.
On trouve autour des foyers hémorrhagiques des lésions analogues
à celles que nous venons de décrire, les petits vaisseaux déchirés par
l’extravasat sanguin se rétractent et le sang s’accumule dans la gaine ; ce
sont en quelque sorte des anévrysmes disséquants d’origine traumatique.
Il ne faut pas confondre ces lésions avec les anévrysmes miliaires
i08
ENCÉPHALE. — héuoruhagie cérébrale.
signalés par Virchow dans la pie-mère, et découverts dans l’encéphale
par Charcot et Bouchard.
Ces anévrysmes se voient assez souvent au moment où l’on dépouille le
cerveau de ses membranes ; ils forment de petites masses rouges ou noi¬
râtres, suivant que leur cavité est restée perméable ou s’est remplie de
caillots. Assez souvent ils font saillie à la surface de l’encéphale ; d’autres
fois ils siègent dans les sillons intermédiaires aux circonvolutions; c’est
là qu’on les trouve le plus facilement; ils sont cependant plus fréquents
dans les corps opto-striés; il n’est pas rare de les rencontrer dans la
substance blanche des hémisphères, dans le cervelet, dans la protubé¬
rance. Leur volume varie ordinairement entre celui d’un grain de millet
et celui d’une grosse tête d’épingle; ils peuvent être beaucoup plus
petits. Quelquefois la matière colorante du sang traverse leurs parois et
coloi’e, dans une étendue peu considérable, le tissu périphérique. En
enlevant la petite tumeur avec précaution, et en chassant sous un filet
d’eau le tissu nerveux qui l’entoure, on voit aisément qu’elle est située sur
le trajet d’un vaisseau ; examiné au microscope, ce vaisseau présente des
altérations que l’on a comparées à celles de la sclérose. Ordinairement les
éléments conjonctifs de la gaine et delà tunique externe sont multipliés;
souvent, mais non constamment, les noyaux de la tunique interne sont éga¬
lement en voie de prolifération, la tunique moyenne est au contraire atro¬
phiée, sans doute par suite du trouble que l’altération des autres tuniques
amène dans sa nutrition ; les noyaux transversaux sont moins nombreux
qu’à l’état normal. Comme c’est surtout à la tunique moyenne que le
vaisseau doit sa résistance, ori comprend que l’atrophie de cette mem¬
brane amène des dilatations fusiformes, cylindriques ou sacciformes. Au
niveau de l’anévrysme, les membranes dilatées finissent par adhérer à la
gaine périvasculaire; alors il n’existe plus qu’une seule enveloppe, mais
épaisse et solide, capable de. résister à la pression sanguine. L’ané¬
vrysme peut guérir par la formation , dans sa cavité, d’un caillot qui y
subit les transformations habituelles; d’autres fois ses parois s’amincissent
peu à peu et finissent par se rompre, soit spontanément, soit sous l’in¬
fluence d’une élévation momentanée de la tension intravasculaire; si la
rupture porte en même temps sur l’artère et l’adventice, il se forme
immédiatement un foyer hémorrhagique; mais si la gaine résiste, le
sang s’épanche dans sa cavité, l’anévrysme miliaire se transforme en
anévrysme disséquant ; plus tard, tantôt la gaine se rompt à son tour, et
il en résulte une hémorrhagie cérébrale, tantôt le sang se coagule; on
trouve alors à l’autopsie de petits caillots au centre desquels on peut
reconnaître l’anévrysme.
En somme, ces anévrysmes qui semblent être, d’après les travaux de
Charcot et Bouchard, la cause la plus fréquente de l’hémorrhagie céré¬
brale, résultent d’une inflammation chronique des tuniques externes de
l’artère, accessoirement de sa tunique interne. Ce processus est, pour
Charcot , tout à fait différent de l’endartérite, et, en effet, il n’est pas
rare de rencontrer des anévrysmes chez des sujets dont les grosses
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale. i09
artères sont entièrement saines. On ignore encore quelles causes amènent
le développement de cette lésion; elle n’est pas spéciale aux vaisseaux de
l’encéphale, et elle semble se rattacher à une influence générale, car
plusieurs fois Liouville a trouvé simultanément des anévrysmes miliaires
dans le cerveau, dans les parois œsophagiennes, sur le feuillet viscé¬
ral du péricarde, sur les branches de l’artère splénique, et sur des ra¬
meaux de l’artère centrale de la rétine.
Les différentes lésions que nous venons de passer en revue, l’endar-
térite, les différentes formes de dégénérescence graisseuse, la périarté¬
rite, ne favorisent pas seulement la production des hémorrhagies en di¬
minuant la résistance des parois artérielles, elles prédisposent encore aux
ruptures vasculaires par le trouble qu’elles apportent dans les conditions
mécaniques de la circulation. On sait que le cours du sang n’est continu et
régulier dans les petits vaisseaux que grâce à l’élasticité des artères: par
suitè, quand les parois artérielles sont rigides, incrustées de sels calcaires,
quand elles ont perdu leurs éléments élastiques par l’effet de la sclérose
ou de la dégénérescence graisseuse, elles n’exercent plus leur action
régulatrice sur la marche de l’ondée sanguine, l’impulsion cardiaque se
fait sentir dans les petits vaisseaux, la tension s’y élève à chaque systole
ventriculaire, et les parois artérielles subissent à ce moment un excès de
pression qui peut contribuer à en amener la rupture.
Excès de tension du sang. — Les hémorrhagies qui se forment parfois
autour des infarctus cérébraux , montrent que l’excès de la pression san¬
guine suffit à produire la rupture des vaisseaux ; mais il est probable que
la tension s’élève rarement à un aussi haut degré que dans cette circon¬
stance, car on semble d’accord aujourd’hui pour n’attribuer à cet élément
pathogénique qu’une importance secondaire. C’est ordinairement une
cause adjuvante ou occasionnelle, plutôt qu’une cause efficiente. Cette
manière de voir n’a pas toujours prévalu dans la science ; l’hypertrophie
du cœur a été considérée longtemps comme une cause puissante d’hé¬
morrhagie cérébrale; la coïncidence fréquente de l’hypertrophie du
cœur et des lésions vasculaires hémorrhagipares explique comment cette
opinion a pu être défendue par d’éminents observateurs. Une étroite
corrélation existe entre ces états morbides ; les altérations artérielles,
en réduisant le calibre des vaisseaux, en diminuant leur élasticité, en
multipliant leurs inflexions, constituent un obstacle permanent au cours
du sang, provoquent un surcroît d’énergie dans les contractions du cœur,
et en amènent ainsi l’hypertrophie; telle paraît être l’origine la plus
fréquente de l’hypertrophie du cœur chez les vieillards. D’autre part,
l’hypertrophie, en élevant la pression intravasculaire, peut elle-même,
d’après quelques auteurs, amener le développement de l’endartérite. On
comprend donc qu’on ait pu attribuer à l’hypertrophie le rôle pathogé¬
nique qui appartient surtout aux lésions vasculaires. Ce n’est pas à dire,
d’ailleurs, que l’hypertrophie ne puisse quelquefois contribuer puissam¬
ment à la production de l’hémorrhagie cérébrale; mais il faut distinguer :
l’hypertrophie compensatrice des lésions cardiaques ne saurait, à aucun
dio ENCÉPHALE. - IlÉMORBllAGIE CÉRÉBRALE.
litre, être comptée parmi les causes d!hémorrhagie, par la raison qu’elle
n’élève pas la tension dans les artères, et qu’elle n’a d’autre effet que
de rétablir plus ou moins complètement l’équilibre circulatoire rompu
par la lésion cardiaque ; au contraire, l’hypertrophie simple, l’hypertro¬
phie liée à la maladie de Bright, peuvent élever la tension artérielle
dans une mesure considérable. Dans cette dernière affection, la diminu¬
tion du champ de la circulation rénale augmente encore la réplétion du
système artériel, et, d’autre part, les artères sont le plus souvent ma¬
lades, par suite soit de la dyscrasie, soit de l’excès de pression, aussi
l’hémorrhagie cérébrale n’est pas rare chez les albuminuriques.
L’exposition subite au froid semble pouvoir, dans certains cas, pro¬
voquer l’hémorrhagie, soit en élevant la tension dans les artères de l’en¬
céphale par fluxion collatérale, soit peut-être en amenant la dilatation
de ces vaisseaux par la perturbation que l’excitation de nerfs cutanés
apporterait dans l’innervation de leurs vaso-moteurs ; ainsi des individus
auraient été frappés d’hémiplégie au moment où ils se plongeaient dans
un bain froid ; d’autre part, les hémorrhagies seraient plus fréquentes
pendant les hivers rigoureux ; il est probable que les individus chez
lesquels ces accidents se sont produits étaient prédisposés à l’hémor¬
rhagie cérébrale par des altérations vasculaires.
Les obstacles à la déplétion des veines encéphaliques peuvent élever
suffisamment la tension pour qu’il se produise des ruptures vasculaires.
Nous avons signalé l’hémorrhagie cérébrale parmi les lésions consécu¬
tives à la thrombose des sinus; la compression des jugulaires ou de la
veine cave supérieure, les altérations du cœur droit et les obstacles à la
circulation pulmonaire peuvent avoir la même action.
Altération du tissu de l’encéphale. — Nous verrons plus loin qu’autour
des foyers hémorrhagiques le tissu de l’encéphale est ramolli et diversement
coloré ; Rôchoux s’était appuyé sur ces faits pour fonder une nouvelle
théorie sur la pathogénie de l’hémorrhagie cérébrale : d’après cet auteur,
l’altération primitive était le ramollissement du tissu nerveux, et c’était con¬
sécutivement que les vaisseaux ne trouvantplus un soutien suffisant dans les
parties qui les entouraientse laissaient distendre et finissaient par se rompre.
Nous devions mentionner cette opinion à cause du retentissement qu’elle a
eu autrefois; elle n’est plus soutenable aujourd’hui: quand on examine, peu
de temps après le début de l’hémorrhagie, le tissu nerveux qui entoure le
foyer, on voit que ses éléments sont intacts; la coloration anormale et la
diminution de consistance s’expliquent tout naturellement par l’infiltration
entre ses éléments des parties liquides de l’épanchement. Le ramollisse¬
ment du tissu cérébral peut avoir cependant une influence sur la genèse
de certaines hémorrhagies ; ainsi il est probable qu’il favorise la rupture
des ectasies disséquantes que nous avons vu se former autour des infarctus;
de même il facilite sans doute la production des hémorrhagies qui se font
quelquefois dans les anciens foyers nécrobiotiques et semblent avoir pour
cause principale la dégénérescence graisseuse des vaisseaux. On a attribué
une action hémorrbagipare aux congestions ex vacuo que provoquerait
ENCÉPHALE. — hémordhagie cérébrale. IH
l’atrophie du cerveau ; ce mode pathogénique doit être considéré au moins
comme douteux, car dans la thèse de Cotard qui renferme un grand
nombre de faits bien observés d’atrophie cérébrale, nous ne voyons pas
que des hémorrhagies secondaires aient jamais été notées; l’abaissement
de pression que la diminution de la masse encéphalique tend à produire
dans la cavité crânienne, est toujours compensé par l’augmentation du
liquide céphalo-rachidien.
Altération du sang. — Dans les maladies générales qui donnent lieu à
des hémorrhagies multiples, par exemple, dans le scorbut, les fièvres ady-
namiques, l’hémophilie, on trouve rarement des foyers dans l’encéphale ;
s’il en existe, ils sont très-petits ; on observe plutôt des ecchymoses, des
suffusions sanguines formant des taches rouges ou violacées ; le sang pa¬
raît être infiltré entre les éléments des tissus. On explique généralement
ces hémorrhagies par une plus grande friabilité des parois vasculaires ;
c’est là une pure hypothèse; en réalité, les vaisseaux ne présentent aucune
altération appréciable. Il n’est pas démontré que dans ce cas il se fasse
une rupture vasculaire ; les expériences par lesquelles Conheim a prouvé
que les globules rouges pouvaient traverser la paroi des capillaires
permettent de concevoir des hémorrhagies sans rupture de vaisseaux, et
on pourrait admettre sans invraisemblance que les hémorrhagies des
fièvres graves s’effectuent par un semblable mécanisme ; cette question
de physiologie pathologique est à l’étude, et il serait prématuré dans
l’état actuel de la science d’en donner une solution.
Certaines hémorrhagies que l’on rapportait vaguement à une altération
du sang sont rattachées aujourd’hui à des lésions mieux définies ; ainsi,
les petites hémorrhagies que l’on observe chez les leucémiques, et qui,
d’après Ollivier et Ranvier seraient plus fréquentes qu’on ne l’a cru jus¬
qu’ici, sont dues, selon ces auteurs, à l’obstacle que les agglomérats de
globules blancs opposent en certains points à la circulation et à l’excès
^e tension qui en résulte ; les hémorrhagies de la pyémie reconnaissent
probablement la même origine.
Causes prédisposantes. — Nous avons indiqué déjà la grande fréquence
de l’hémorrhagie cérébrale chez les individus âgés ; cette circonstance
est de nature à confirmer l’influence prédominante que nous avons re¬
connue, dans la pathogénie de l’hémorrhagie cérébrale, aux altérations
vasculaires, car elles sont presque exclusivement l’apanage de la vieillesse ;
pourtant l’hémorrhagie s’observe quelquefois chez de jeunes sujets, elle
peut même frapper des nouveau-nés ; le sexe masculin constitue une vé¬
ritable prédisposition, les différentes statistiques donnent à cet égard des
résultats conformes, et il y a un tel écart entre les chiffres des hémor¬
rhagies observées chez l’homme et chez la femme, qu’il est difficile de voir
là une simple coïncidence; peut-être la fréquence plus grande chez l’homme
de l’alcoolisme, cause puissante de lésions vasculaires, peut-elle jusqu’à
un certain point expliquer cette différence. Les changements brusques
de température semblent favoriser le développement de l’hémorrhagie ;
à certaines époques de l’année, particulièrement à l’automne et au prin-
H 2 ENCÉPHALE. — uébioriuiagie cérébrale.
temps, alors que les "variations atmosphériques sont le plus soudaines
et le plus considérables, on voit quelquefois les hémorrhagies cérébrales
se multiplier dans des proportions inusitées, peut-être par l’effet des
modifications brusques que subit dans ces circonstances la pression baro¬
métrique. Nous avons vu plus haut comment l’action du froid pouvait être
interprétée ; les hémorrhagies sont plus fréquentes l'hiver et dans les
pays froids, plus rares l’été et dans les climats très-chauds: le séjour
dans les lieux élevés prédispose à l’hémorrhagie, sans doute parce que la
pression de l’atmosphère y est relativement faible. L’abus de certaines
substances, particulièrement de l’opium et de l'alcool, prédisposent à
l’hémorrhagie cérébrale ; l’action de l’alcool s’explique par l’influence
fâcheuse que cet agent exerce sur la nutrition des vaisseaux,
La pléthore nous semble devoir être complètement écartée ; on a décrit
autrefois une constitution apoplectique; les individus gras, au cou court,
au visage coloré, étaient considérés comme éminemment prédisposés à
l’hémorrhagie; cette opinion n’a plus cours aujourd’hui.
Causes occasionnelles. — Il faut considérer comme telles toutes les cir¬
constances capables d'élever, ne fût-ce qu’un instant, la tension du sang
dans le système vasculaire de l’encéphale : ainsi les quintes de toux dans
la coqueluche, les vomissements répétés et, d’une manière générale,
tous les efforts violents peuvent provoquer la rupture vasculaire en
s’opposant à la déplétion des veines jugulaires ; une émotion vive en
augmentant momentanément l’activité de la circulation, et en élevant
ainsi la tension du sang peut également favoriser la production d’une
hémorrhagie.
Anatomie pathologique. — Si le vaisseau rompu est de très-petit ca¬
libre, si la tension y est peu considérable, il semble que le sang écarte
simplement les fibres nerveuses; le foyer est très-petit, allongé parallèle¬
ment à la direction de ces éléments. Le plus souvent, le sang épanché dé¬
chire le tissu de l’encéphale et se creuse une cavité dont les dimensions
peuvent varier dans des limites étendues; elle occupe 'parfois la plus
grande partie d’un hémisphère. Habituellement il n’y a qu’un foyer;
quand il en existe plusieurs, ils occupent souvent des parties symétriques
dans les deux hémisphères; cette disposition est en rapport avec la dis¬
tribution des lésions artérielles, car on trouve souvent des anévrysmes
dans des points correspondants de chaque moitié de l’encéphale. Il n’est
pas rare de rencontrer plusieurs foyers d’âges différents. Ils siègent de
préférence dans la substance grise: nulle part on ne les rencontre plus
seuvent que dans les corps striés et les couches optiques; ils sont moins
fréquents dans les circonvolutions, dans le cervelet, dans la protubé¬
rance ; le bulbe n’en contient qu’exceptionnellement. Quand ils occupent
les circonvolutions, le sang peut se faire jour à la surface et s’infiltrer
dans les mailles de la pie-mère; quand ils siègent dans les corps striés, ils
peuvent s’ouvrir dans les ventricules; on voit même dans les grandes
hémorrhagies le sang faire à la fois irruption à la superficie de l’encé¬
phale et dans ses cavités ; quand il pénètre dans un des ventricules laté-
lAGIE
ENCÉPHALE. — iiémorrh
raux, il peut déchirer la cloison transparente et passer dans l’autre cavité
ventriculaire; d’autres fois il pénètre dans le ventricule moyen, soit par les
trous de Monro, soit en rompant le trigone ; des cavités ventriculaires il.
peut parvenir à la base de l’encéphale, en s’écoulant par les parties
latérales de la fente de Bichat ou en déchirant la partie inférieure de
l’infundibulum ; enfin il peut suivre l’aqueduc de Sylvius et pénétrer ainsi
dans la quatrième ventricule; ces faits sont assez rares, pourtant il s’en
est présenté plusieurs à notre observation.
La présence d’un foyer considérable apporte dans l’aspect extérieur de
l’encéphale quelques modifications qui peuvent faire soupçonner dès l’a¬
bord l’existence de la lésion : l’hémisphère correspondant paraît plus vo¬
lumineux, comme tuméfié ; ses circonvolutions sont aplaties; il est anémié;
les veines de la pie-mère qui le recouvre sont affaissées, vides de sang ;
quelquefois pourtant, mais seulement dans les cas où le foyer est petit,
les membranes sont le siège d’une vive injection. On rencontre parfois chez
les individus atteints d’hémorrhagie, des ecchymoses sous le péricrâne; on
les a considérées, tantôt comme un effet de l’afflux sanguin vers la tète, du
molimen hémorrhagique, tantôt comme un résultat de la chute. Charcot
repousse ces explications; pour lui, la principale cause de ces hémorrhagies
sous-cutanées est la perturbation de l’innervation vaso-motrice ; à l’appui
de cette manière de voir, il fait remarquer que ces ecchymoses coexistent
souvent avec des lésions semblables de la muqueuse gastrique et du péri¬
carde; qu’elles sont plus marquées du côté opposé à la lésion, côté où se
produisent dans les membres les troubles vaso-moteurs ; qu’on les observe
chez des malades qui ne sont pas tombés et qu’on ne peut par conséquent
les attribuer à une chute; enfin, qu’on les observe aussi dans le ramol¬
lissement, et que dans ce dernier cas, on ne peut invoquer de molimen
hémorrhagique. Il faut dire pourtant que ces ecchymoses sont loin
d'exister dans tous les cas où l’on observe des troubles vaso-moteurs,
que, par conséquent, ces troubles ne suffisent pas entièrement à en
rendre compte, et qu’il faut invoquer en outre quelque autre circonstance
adjuvante; dans une observation de Lépine, ce sont des convulsions épi¬
leptiformes qui semblent avoir joué ce rôle.
État du foyer récent. — Le sang épanché se coagule rapidement, il se
prend en une masse noirâtre peu consistante, ordinairement mélangée
de débris de substance cérébrale ; ce caillot est plus ou moins volu¬
mineux, il peut peser plus de 500 grammes ; la cavité dans laquelle il est
contenu est anfractueuse, les parois en sont inégales ; si on les examine
sous l’eau, après les avoir débarrassées du sang qui les recouvre, on
voit qu’elles sont hérissées de nombreux filaments dans lesquels un
examen attentif fait reconnaître des fragments de substance nerveuse et
des vaisseaux ; les parties qui entourent le foyer sont plus ou moins ramol¬
lies, infiltrées dans une épaisseur variable des parties liquides du caillot
et de matériaux hématiques; sur une coupe on voit leur coloration, bru¬
nâtre sur les limites de la cavité, pâlir rapidement pour se confondre bien¬
tôt avec la coloration normale; on y trouve, en plus ou moins grand
114
ENCÉPHALE. - HÉMORRHAGIE CÉRÉBRALE.
nombre, les petits foyers constitués, suivant le mécanisme que nous
avons indiqué, par l’épanchement du sang dans les gaines des artérioles
rompues au moment de la déchirure du tissu cérébral.
Contrairement à l’assertion de Gendrin, il est très-rare que l’on puisse
découvrir dans les parois du foyer le vaisseau dont la rupture a causé
l'hémorrhagie; deu.v fois seulement, Charcot a pu y trouver de petits
anévrysmes rompus.
Période de résorption et de réparation. — Au bout de peu de temps,
des modifications importantes se produisent à l’intérieur et à la périphérie
du foyer : les globules sanguins se ratatinent, se déforment et finissent par
se dissocier; les leucocytes se chargent de granulations graisseuses et for¬
ment une variété de corps granuleux; les éléments nerveux englobés dans
le caillot et ceux que renferme la paroi du foyer subissent également
des métamorphoses régressives; ils se désagrègent, leurs débris se grou¬
pent en petites masses arrondies qui constituent aussi des corps granu¬
leux ; ces divers éléments mêlés aux granulations pigmentaires et aux
cristaux hématiques qui résultent de la destruction des globules san¬
guins et unis à une certaine quantité de liquide qui provient en partie du
sang épanché, en partie des vaisseaux périphériques, forment une bouillie
d’abord noirâtre, puis ocreuse, plus ou moins consistante. Dans les pa¬
rois, un double travail s’accomplit : une partie des tubes nerveux se dé¬
truit, les matériaux de régression que produit ce travail nécrobiotique se
résorbent en partie; le reste persiste sous forme de corps granuleux; la
sérosité colorée dont les premiers jours le tissu nerveux était infiltré
se résorbe peu à peu, mais les éléments hématiques qu’elle renfermait
subsistent en grande partie ; ils se transforment en granulations amorphes
d’hématosine, en cristaux d’hématoïdine et d’hématine; en même temps,
une inflammation ordinairement subaiguë se développe dans la névro-
glie; son rôle est habituellement curateur; quelquefois pourtant elle at¬
teint un certain degré d’acu'ité et constitue alors une complication re¬
doutable; bientôt une membrane limitante se forme autour du foyer;
elle sécrète une quantité variable de sérosité qui imbibe les éléments
de régression contenus dans la cavité et en facilite la résorption ; assez
souvent le travail irritatif s’étend à une certaine distance autour du
foyer et amène l’induration, la sclérose du tissu nerveux. Si l’on exa¬
mine au microscope les parties dont la consistance est ainsi augmentée,
on les trouve essentiellement constituées par un tissu vaguement fi-
brillaire, souvent d’apparence réticulée, dans lequel on distingue une
quantité de noyaux. En somme, le foyer ancien se présente généra¬
lement sous la forme d’une cavité de dimensions variables, a parois
indurées et plus ou moins colorées, tapissée par une membrane conjonc¬
tive, quelquefois cloisonnée par des filaments celluleux et renfermant le
plus souvent une bouillie ocreuse; d’après quelques auteurs, les ma¬
tières hématiques seraient susceptibles de se résorber complètement, et
dans certains cas le foyer se transformerait en un véritable kyste rempli
d’une sérosité limpide ; d’autres veulent que les matières pigmentaires
ENCÉPHALE, — hémorrhagie cérébrale. 115
persistent indéfiniment. Quelquefois les parois du foyer s'accolent, et il
ne reste plus qu’une cicatrice linéaire.
Quand l’hémorrhagie a été abondante, letravail de résorption amène une
perte de substance considérable, et si le foyer est superficiel l’encéphale
présente à ce niveau une dépression profonde ; les membranes sont affais¬
sées, quelquefois une couche mince de tissu les sépare seule de la cavité
ventriculaire. Dans les gi'andes hémorrhagies des corps opto-striés, la
membrane ventriculaire s’affaisse au niveau du foyer, et elle paraît
ulcérée bien que le sang n’ait pas pénétré dans le ventricule.
On voit par cette description quelle analogie présentent dans leur évo¬
lution et dans leurs caractères objectifs les foyers hémorrhagiques et les
foyers nécrosiques ; une cavité cloisonnée ou non, rempli d’une bouillie
dans laquelle on voit des granulations pigmentaires et des corps granu¬
leux, une paroi généralement un peu indurée, colorée par le pigment
sanguin, voilà, en résumé, ce que l’on trouve dans les deux cas; le dia¬
gnostic ne peut être porté que rarement et avec de grandes réserves.
L’intensité de la coloration n’est pas un caractère distinctif, car, dans le
ramollissement rouge, l’extravasation de matières hématiques est consi¬
dérable. On a dit que les kystes nettement limités par une membrane
et non cloisonnés représentaient plutôt des foyers hémorrhagiques; il
en serait de même des cicatrices; rien ne prouve la réalité de ces asser¬
tions; on ne saurait invoquer la coexistence d’anévrysmes miliaires
comme un argument en faveur de l’hémorrhagie, car ces productions se
rencontrent assez fréquemment chez les vieillards dans des cas où le cer¬
veau paraît d’ailleurs complètement sain ; la coexistence d’un foyer hémor¬
rhagique récent, l’absence d’athérome artériel et d’altération qui puisse
avoir donné naissance à des embolies, sont des circonstances qui permet¬
tent de rattacher avec vraisemblance un ancien foyer à une hémorrhagie.
Les transformations du foyer s’accomplissent plus ou moins rapidement
chez les différents sujets; le travail inflammatoire commence du çin- .
quième au neuvième jour; dès le vingtième on peut habituellement con¬
stater la présence d’une membrane kystique, du trentième au quaran¬
tième, on y trouve des vaisseaux. Certaines circonstances peuvent entraver
le travail de réparation ; quelquefois la fibrine se coagule autour du
caillot sous forme d’une membrane lisse, plus ou moins épaisse, assez
consistante; cette membrane pourrait, d’après Rokitansky, s’opposer à
la résorption du caillot. L’encéphalite secondaire peut prendre un carac¬
tère fâcheux d’acuïté; jamais pourtant elle n’aboutit à la suppuration.
Dans certains cas, il s’accumule dans la cavité kystique une grande quantité
de liquide, c’est là une cause puissante d’atrophie cérébrale. Enfin, chez
les individus épuisés ou cachectiques, le peu d’activité de la nutrition
générale entrave la guérison.
Lésions secondaires. — On voit se produire à la suite des foyers hémor¬
rhagiques, dans différentes parties de l’encéphale et de la moelle, des al¬
térations secondaires dont l’histoire n’est pas complètement connue, bien
qu’elles aient été dans ces dernières années l’objet de travaux remarquables
ilC ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale.
parmi lesquels nous citerons en première ligne ceux de Cruveilhier,
L. Türck, Charcot, Vulpian, Gubler et Bouchard. Elles n’appartiennent
pas exclusivement à l’hémorrhagie; toute lésion étendue de l’encéphale
peut, dans des circonstances encore mal déterminées, leur donner nais¬
sance ; les foyers de ramollissement se comportent à cet égard exacte¬
ment comme les foyers hémorrhagiques.
Ces altérations sont de deux ordres : les unes portent sur le cerveau et
le cervelet ; les autres sur les faisceaux hlancs qui, des corps opto-striés,
descendent dans les pédoncules cérébraux, la protubérance, le bulbe et
la moelle.
La formation dans les corps opto-striés d’un foyer étendu semble,
d’après quelques faits, pouvoir amener consécutivement l’atrophie et
l’induration scléreuse d’une partie considérable de l’hémisphère corres¬
pondant. Ces faits sont d’une interprétation difficile; peut-être, comme
Cotard tend à l’admettre, la destruction des ganglions centraux entraîne-
t-elle l’inactivité fonctionnelle, et, par suite, l’atrophie d’autres parties de
l’encéphale? Peut-être le travail inflammatoire, dont l’infarctus est le
siège, peut-il, dans certains cas, prendre une extension anormale et
produire la sclérose et l’atrophie des parties qu’il envahit? Il faut attendre
de nouveaux faits avant de se prononcer. Quand la lésion se produit chez
les enfants, l’atrophie de l’hémisphère est souvent portée à un haut
degré ; dans ce cas la moitié correspondante du crâne se développe moins
que l’autre, elle s’épaissit, et, en même temps, reste aplatie dans les
parties qui répondent aux régions les plus atrophiées.
Il n’est pas rare de constater, après une lésion étendue des hémi¬
sphères, une atrophie de l’hémisphère cérébelleux du côté opposé. Les
relations anatomiques qui existent entre ces parties sont si restreintes,
qu’on comprend difficilement cette connexité entre leurs lésions. L’hémi¬
sphère cérébelleux est, au contraire, en relation étroite avec la moitié
correspondante de la moelle. Ces considérations anatomiques ont conduit
Vulpian à penser que les lésions cérébrales ne produisent l’atrophie du
cervelet que consécutivement à l’atrophie de la moelle.
Les altérations descendantes sont plus fréquentes et mieux connues que
les précédentes; elles sont, le plus souvent, consécutives aux lésions des
corps opto-striés. On les a pourtant observées dans des cas où ces organes
étaient intacts; il existait alors une lésion étendue de la substance blanche
intra-hémisphérique. Jamais les lésions limitées au noyau gris du corps strié
ne causent l’atrophie secondaire; les lésions secondaires sont moins consi¬
dérables quand l’altération intéresse la couche optique que lorsqu’elle siège
dans le corps strié. Si l’atrophie secondaire est considérable, on voit, sur le
pédoncule cérébral correspondant à la lésion, une bandelette grisâtre ; elle
en occupe la partie médiane, la partie interne, ou la partie externe, suivant
que la lésion centrale intéresse la partie moyenne, antérieure ou postérieure
du corps strié. Cette bandelette grise peut être suivie dans la protubé¬
rance, le bulbe et la moelle; la protubérance est aplatie du côté de la
lésion, moins saillante, moins large, et, sur une coupe, elle présente une
117
ENCÉPHALE. - HÉMORRHAGIE CÉRÉBRALE.
tache grise que les fibres transversales séparent de la surface. La face
antérieure du bulbe . est asymétrique, et la comparaison des deux pyramides
montre que celle du côté malade est plus petite, et présente la même co¬
loration grisâtre, demi-transparente, comme ambrée, que déjà nous avons
signalée. Le faisceau dégénéré s’entre-croise en même temps que les pyra¬
mides, et, dans la moelle, c’est du côté opposé qu’il faut chercher la lésion.
On peut quelquefois constater que la moitié malade a subi une diminution
de volume ; mais l’altération ne se voit bien que sur une section trans¬
versale: une tache grise, correspondant au faisceau sclérosé, apparaît
alors dans le faisceau latéral, immédiatement au-devant des racines
postérieures; elle est nettement limitée, rarement elle atteint la surface
de l’organe; ses dimensions sont d’autant plus considérables, que l’on a
pratiqué la section plus près du bulbe. On voit, en outre, quelquefois, de
l’autre côté , à la partie interne du cordon antéro-latéral , tout près du
sillon antérieur, une bandelette grisâtre ; elle représente la partie de la
pyramide qui ne s’entre-croise pas. (Vulpian.) Ce n’est guère qu’au bout
de quatre mois que ces altérations sont visibles à l’œil nu ; mais les
lésions histologiques peuvent être reconnues beaucoup plus tôt; au bout
de quelques semaines on peut constater, dans les parties où siège la
dégénération, la présence, en quantité plus ou moins grande, de corps
granuleux ; les tubes sont segmentés , chargés de granulations grais¬
seuses; ces granulations se voient également dans la paroi des vaisseaux;
bientôt la substance connective intermédiaire aux éléments devient le
siège d’une prolifération active, et l’on trouve alors, dans les parties
malades, une substance amorphe, demi-transparente, molle, renfermant
des noyaux d’autant plus nombreux que l’altération est plus ancienne.
D’après un fait observé par l’un de nous, l’inflammation chronique que
l’atrophie descendante provoque dans la névroglie semble pouvoir dé¬
passer les limites du faisceau dégénéré, s’étendre à d’autres parties de
la moelle et donner lieu à des symptômes de myélite interstitielle dif¬
fuse. (Hallopeau.)
Nous ne formulerons pas une théorie pathogénique de ces dégénérations
secondaires; aucune des explications qui ont été proposées ne peut rendre
compte de tous les faits. La plus généralement adoptée était celle qui attri¬
buait l’atrophie descendante à la suppression de l’influence que les cellules
de la substance grise encéphalique exerceraient sur la nutrition des tubes
nerveux ; mais Vulpian a montré récemment que, dans certains cas, les
communications entre les cellules nerveuses et le faisceau descendant
étaient interrompues, soit par un foyer de ramollissement, soit par une
autre lésion, sans qu’il existât d’atrophie secondaire; dans des expériences
sur les animaux, il a pratiqué la section de la moelle, et détruit partielle¬
ment les corps opto-striés, sans provoquer consécutivement de lésions atro¬
phiques. Il est vrai que, depuis, Weslphal est arrivé à produire expérimen¬
talement des dégénérations secondaires, mais les faits négatifs de Vulpian
n’en conservent pas moins leur valeur. Si la théorie de V^aller était exacte,
la dégénération devrait se produire dans tous les cas, et on voit qn’i\
118
ENCÉPHALE. - HÉMORRHAGIE CÉRÉBRALE.
n’en est rien. La même objection peut être opposée à la théorie qui voit
dans l’inertie fonctionnelle la cause de l’atrophie. Yulpian incline à
penser que les altérations secondaires sont causées par une irritation
qui, du point lésé, se propagerait aux tubes nerveux qui en partent; mais
pourquoi cette irritation ne se produirait-elle pas constamment sous
l’influence des mêmes lésions ? On voit que la question est encore à
l’étude, et qu’il serait prématuré d’en donner une solution.
On trouve, enfin, dans les membres paralysés, des altérations des nerfs,
des muscles et des articulations.
Les nerfs sont le siège d’une inflammation interstitielle; leur volume
est augmenté; il peut dépasser du double celui des nerfs du côté sain;
leur tissu est souvent plus dense et présente une injection plus ou moins
vive; les tubes sont séparés par une quantité anormale de tissu connectif.
Les muscles sont diminués de volume ; ils sont plus pâles que ceux
du côté opposé; quelquefois ils prennent la teinte feuille morte. Au
microscope, on trouve les fibres primitives atrophiées ; quelquefois elles
ont perdu leur striation ; elles renferment une quantité variable de gra¬
nulations graisseuses; les noyaux du sarcolemme sont multipliés.
Les articulations peuvent présenter des altérations de nature diverse ;
quelques semaines après le début de l’hémiplégie, les malades éprouvent
souvent des douleurs articulaires assez vives ; si l’on examine une des
articulations malades, on trouve la synoviale injectée, ses franges hyper¬
trophiées ; la cavité renferme une quantité quelquefois considérable de li¬
quide louche ; les synoviales des gaines tendineuses sont également vas^
cularisées; les cartilages sont intacts. (Charcot.) On ne connaît fias
encore la pathogénie de ces lésions. Elles ne s’expliquent pas complète¬
ment par les troubles vaso-moteurs que l’on observe simultanément
dans les membres paralysés, car, dans les hypérémies vaso-motrices pro¬
voquées expérimentalement, on n’observe pas de troubles nutritifs.
Quand la paralysie est ancienne, que les membres sont depuis long¬
temps contracturés, il se produit dans les articulations des altérations
différentes des précédentes ; l’immobilité prolongée semble en être la
cause ; la synoviale se vascularisé, s’épaissit ; le cartilage prend l’aspect
velvétique; les cavités cartilagineuses s’agrandissent et s’ouvrent dans la
cavité articulaire; il se forme des ulcérations qui s’étendent bientôt jus¬
qu’à l’extrémité osseuse et se recouvrent de néo-membranes vasculaires.
Enfin, les membres paralysés peuvent subir dans leur ensemble une
atrophie plus ou moins prononcée ; quand la paralysie date de l’enfance,
ils s’arrêtent dans leur développement , et restent plus courts , plus
grêles que ceux du côté sain. Scbrœder van der Kolk a constaté, dans des
cas de ce genre, une atrophie des ganglions des nerfs rachidiens, et il
rapporte hypothétiquement l’atrophie des membres aux troubles de
nutrition qui résulteraient de cette altération.
Symptômes. — L’hémorrhagie cérébrale débute le plus souvent par une
attaque apoplectique, c’est-à-dire par une abolition subite et totale de
l’innervation encéphalique. Nous avons vu déjà l’embolie donner lieu aux
119
ENCÉPHALE. — hémorkhagie cérébrale.
mêmes symptômes ; on comprend difQcilenient comment une lésion cir¬
conscrite peut retentir ainsi sur tout l’encéphale et en suspendre mo¬
mentanément les fonctions. Il est aujourd’hui démontré que la con¬
gestion cérébrale, loin d’être, comme on l’a admis, presque constante
dans l’hémorrhagie, ne l’accompagne qu’ exceptionnellement ; on ne peut
donc plus lui attribuer les symptômes apoplectiques. L’anémie céré¬
brale que produiraient, d’après Niemcyer, l’élévation de la pression
intra-crânienne et la compression des capillaires, pourrait, à la rigueur,
expliquer l’apoplexie dans les cas où l’épanchement est très-considé¬
rable; mais la formation d’un petit foyer dans les corps striés ou
les couches optiques, suffit à provoquer une attaque, comment in¬
voquer alors un excès de pression? les expériences de Leyden n’ont-elles
pas fait voir que l’élévation de la pression n’amenait d’accidents que
si elle était très-considérable? et comment, dans cette hypothèse, s’ex¬
pliquer que des foyers , relativement volumineux, puissent se produire
dans le cervelet ou dans la substance blanche des hémisphères sans apo¬
plexie, tandis que l’attaque est presque constante dans les lésions du
corps strié? La théorie de l’anémie nous semble incapable d’expliquer
les faits. Les mêmes objections peuvent être a fortiori opposées à ceux
qui cherchent dans la compression que le foyer exercerait directement
sur les autres parties de l’encéphale la cause de l’apoplexie. Pour nous,
la cause réelle des accidents est le choc que l’irruption brusque du
sang fait subir à l’encéphale ; la commotion se transmet directement
à l’hémisphère dans lequel se fait la lésion, elle est transmise à l’hémi¬
sphère opposé par les nombreuses fibres commissurales qui relient les
deux moitiés du cerveau; c’est par l’intermédiaire des éléments nerveux
et non par une simple action mécanique que l’ictus hémorrhagique
agit sur l’ensemble de l’encéphale et en paralyse momentanément les
fonctions; la commotion peut même s’étendre à la moelle et en anéantir
pour quelque temps l’activité. On comprend ainsi comment les hémorrha¬
gies même très-circonscrites du corps strié, et les oblitérations embo¬
liques des artères cérébrales donnent lieu à des symptômes apoplectiques.
Rarement des prodromes précèdent le début de l’hémorrhagie; ils
n’ont généralement rien de caractéristique, et il ne saurait en être au¬
trement , car ils sont l’expression de lésions vasculaires diffuses qui
peuvent aussi bien conduire au ramollissement qu’à l’hémorrhagie ; nous
connaissons déjà ces symptômes : ce sont des vertiges, des éblouisse¬
ments, des tintements d’oreilles, de la céphalalgie et quelquefois des
fourmillements dans les membres ; nous n’y insisterons pas. D’après
quelques observations, la formation d’un anévrysme pourrait donner lieu
à une perte momentanée de connaissance.
On peut distinguer plusieurs formes d’hémorrhagies; nous en indi¬
querons, dans le cours de notre description, les caractères différentiels.
La maladie peut débuter par l’apparition brusque d’une hémiplégie,
sans perte de connaissance, le malade se sent seulement un peu étourdi ;
on observe surtout ce mode de début dans les hémorrhagies du cervelet,
120 ENCÉPHALE. — hémokrhagie cérébrale.
de l’isthme et de la masse blanche intrahémisphérique, c’est la forme
paralytique. D’autres fois , les phénomènes paralytiques apparaissent les
premiers, mais au bout d’une heure ou deux le malade tombe dans
le coma apoplectique. Nous avons observé deux faits de cette nature :
dans les deux cas le foyer siégeait dans un des corps striés et s’était
ouvert, sans doute consécutivement, dans les ventricules.
Dans la grande majorité des cas, le début est apoplectique: le malade,
frappé brusquement, tombe sans connaissance; il est dès lors insensible
à toute excitation ; les membres sont dans la résolution ; si on les sou¬
lève, ils retombent inertes. Quelquefois pourtant, les membres d’un côté
sont contracturés ; d’autres fois, ils sont agités de mouvements convulsifs;
ces phénomènes s’observent surtout quand le sang a fait irruption sous
les méninges ou dans les cavités ventriculaires ; les contractures peuvent
aussi se produire dans les cas où le foyer intéresse soit directement,
soit par compression, une des parties excitables de l’encéphale, telles
que les pédoncules cérébraux, la protubérance ou le bulbe.
Dans les cas où l’ictus apoplectique retentit sur la moelle, les mouve¬
ments réflexes sont suspendus , mais pour peu de temps; ordinairement
ils sont exagérés. Quand on excite les téguments de la plante des pieds,
ils se produisent avec énergie dans le membre correspondant et souvent
s’étendent au membre opposé.
La face est tantôt injectée, vultueuse, tantôt très-pâle ; les traits sont
sans expression, les joues flasques se soulèvent régulièrement à chaque
expiration. La déglutition est souvent difficile; les mouvements réflexes
du voile du palais et du pharynx sont affaiblis ou abolis, les liquides
tombent en partie dans les voies aériennes et provoquent la toux ; la
respiration est tantôt accélérée, tantôt ralentie; l’hématose se fait in¬
complètement; la face et les extrémités se cyanosent. Le malade ne
fait aucun effort pour chasser les mucosités qui s’accumulent dans la
trachée et dans les bronches, et la colonne d’air inspiré produit en les
traversant un bruit spécial, le stertor; le pouls est souvent ralenti, par
suite de l’excitation du bulbe ; plus tard il s’accélère, devient petit,
irrégulier. Quelquefois il se produit des vomissements , souvent des éva¬
cuations involontaires ; la température s’abaisse après l’attaque ; elle
descend dans le rectum, à 37°, à 36°, 6, à 36“,2 ; puis, au bout de quel¬
ques heures, elle se relève un peu.
Souvent la résolution est moins complète ; les membres retombent
moins lourdement d’un côté, le malade peut leur imprimer quelques
mouvements; du côté opposé, la commissure labiale est abaissée; les
sensations douloureuses sont perçues; la connaissance n’est pas com¬
plètement abolie; le malade donne quelques signes d’intelligence.
Vulpian a attiré l’attention dans ces dernières années surun symptôme
qui peut, ju.squ’à un certain point, permettre de reconnaître quel est
l’hémisphère atteint : dans un grand nombre d’apoplexies, la face regarde
avec persistance vers le côté opposé à l’hémiplégie, et, si l’on soulève les
paupières, on voit que les yeux sont déviés dans la même direction. Ce
121
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale.
dernier phénomène est d’une interprétation difficile: peut-être se pro¬
duit-il une excitation à distance du nerf de la sixième paire, d’où le
strabisme externe du côté de la lésion cérébrale, puis, comme consé¬
quences des rapports anatomiques et fonctionnels de la sixième et de la
troisième paire, une excitation de la troisième paire de l’autre côté, d’où
le strabisme interne du côté opposé à la lésion cérébrale. Ce symptôme
appartient surtout aux lésions du corps strié; on l’a cependant noté dans
des cas où la lésion était superficielle; Lépinel’a observé deux fois dans
l’hémorrhagie méningée. Ordinairement ce symptôme est transitoire ;
pourtant on l’a vu persister pendant plusieurs mois. Le nystagmus coïn¬
cide quelquefois avec la déviation des yeux ; il disparaît au bout de deux
ou trois jours.
Quand le malade doit succomber, il reste dans le coma, ou il y re¬
tombe après avoir donné quelques signes de connaissance ; la respiration
s’embarrasse de plus en plus, le pouls devient petit et irrégulier et la
mort survient soit au milieu de phénomènes asphyxiques, soit pendant
une syncope; quelquefois, au moment où le coma commençait à se dis¬
siper, il se fait une nouvelle attaque. L’état comateux peut se prolonger
plusieurs jours avant d’amener la mort ; ordinairement, le malade suc¬
combe dans les quarante-huit heures ; la mort n’est jamais subite, si ce
n’est dans les hémorrhagies du bulbe.
Quand la maladie tend à la guérison, la connaissance revient peu à
peu, la respiration se régularise, les phénomènes paralytiques se carac¬
térisent; le plus souvent ils revêtent la forme hémiplégique. L’hémiplé¬
gie peut être complète; les membres sont alors absolument inertes, pour¬
tant le plus souvent le malade peut imprimer quelques mouvements aux
extrémités ; l’affaiblissement de la motilité est habituellement moins pro¬
noncé dans le membre inférieur. Quand la paralysie est aussi marquée, elle
est facile à constater. D’autres fois, elle ne se traduit que par un léger
affaiblissement des membres; le malade traîne un peu la jambe ; il serre
moins énergiquement du côté affecté. A la face, la paralysie ne s’étend
pas à tous les muscles animés par le facial ; elle est sui'tout prononcée
dans la partie inférieure ; les plis de la peau sont plus accentués du
côté sain; la commissure est déviée de ce côté; cette déviation augmente
quand la malade parle ou imprime un mouvement aux téguments de la
face; du côté paralysé, la commissure est abaissée, la narine plus large,
la joue flasque et immobile pendant les mouvements volontaires ; quand
la paralysie faciale est très-légère, elle ne se trahit que par une accen¬
tuation plus forte du pli naso-labial du côté sain, un peu d’abaissement
de la commissure du côté affecté.
La langue se dévie vers le côté paralysé; ce phénomène s’explique
par l’action du génio-glosse , qui, dans le mouvement de propulsion
en avant, tend en même temps à porter obliquement du côté op¬
posé la pointe de la langue; quand les deux muscles agissent simultané¬
ment, les mouvements de latéralité s’annulent par leur antagonisme,
et la propulsion en avant s’accomplit seule ; mais si l’un des muscles est
122 ENCÉPHALE. — hémorihiagie cérébrale.
paralysé, la déviation latérale se produit; l’on a opposé à cette interpré¬
tation quelques faits dans lesquels la langue se déviait vers le côté sain ;
il est probable que dans ces cas il n’y avait pas une simple hémiplégie par
lésion du corps strié ; une lésion du bulbe, amenant la paralysie anta¬
goniste des membres et de la langue, pourrait rendre compte de ces
exceptions.
La sensibilité est quelquefois obtuse pendant les premiers jours ; il est
difficile souvent de savoir s’il y a réellement un peu d’anesthésie ou s’il
ne faut pas rapporter à l’état de demi-torpeur, dans lequel les malades
restent quelque temps plongés, le peu d’acuïté de leurs sensations. Il
est très-rare que l’anesthésie soit complète ; c’est surtout dans des cas où
le foyer occupait la partie externe de la couche optique que ce symptôme
a été noté. Il est loin d’être constant dans les lésions des couches optiques.
Peu de temps après le début de l'hémiplégie, il se produit, dans tout
le côté affecté, des troubles remarquables de vascularisation; les tégu¬
ments prennent une teinte rosée plus ou moins intense; e’èst surtout
aux mains que la différence de coloration entre les deux côtés est appré¬
ciable; la conjonctive et la pituitaire s’injectent; la température des mem¬
bres paralysés s’élève;' ils donnent à la palpation une sensation de- cha¬
leur anormale; en plaçant simultanément un thermomètre dans chaque
main, on trouve souvent une différence de plus de 1 degré en faveur
du côté paralysé ; elle existe encore dans l’aisselle, bien que moins pro¬
noncée.
Les malades éprouvent quelquefois d’assez vives douleurs dans les ar¬
ticulations des membres paralysés. Ces symptômes sont en relation avec
les lésions que nous avons signalées. Les téguments qui recouvrent les
jointures malades rougissent et se tuméfient.
Tels sont, au début les phénomènes paralytiques quand le, foyer siège
dans les corps opto-striés et qu’il intéresse les tractus blancs émanés des
pédoncules. Si la lésion est limitée à la substance grise, elle peut rester
latente et ne pas donner lieu à l’hémiplégie. Les altérations de la substance
blanche ne produisent la paralysie des membres que si elles occupent la
partie qui avoisine les corps striés.
Nous avons vu déjà que l’épanchement du sang dans les ventricules
amenait la contracture des membres et quelquefois des convulsions
épileptiformes; on observe également la rigidité du membre paralysé
dans les cas où le foyer, encore contenu dans le corps strié, est très-
proche de la surface ventriculaire sans communiquer avec la cavité ; elle
est ordinairement plus prononcée au membre supérieur; elle dure peu de
jours.
Les hémorrhagies des circonvolutions peuvent rester latentes; elles
s’accompagnent de contractures et de convulsions quand la superficie de
l’encéphale est lésée; elles peuvent provoquer de l’excitation, du délire; la
plupart du temps elles passent inaperçues.
L’hémorrhagie cérébelleuse peut ne donner lieu à aucun trouble de
motilité; le plus souvent elle produit une hémiplégie croisée , quel-
125
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale.
quefois une paralysie directe. On voit ainsi la même lésion donner lieu,
chez différents sujets, à des symptômes tout opposés. D’après Yulpian,
il est très-douteux que le cervelet ait une influence sur les mouvements
volontaires; on ne saurait donc s’étonner que la motilité reste quel¬
quefois intacte, alors que cet organe est le siège d’une lésion étendue ;
quand il existe une hémiplégie croisée, elle résulte de la pression
qu’exerce sur les moitiés correspondantes du bulbe et de la protubé¬
rance le foyer cérébelleux; enfin, Yulpian fait remarquer que le cer¬
velet est en connexion avec la moelle par des fibres qui ne s’entre-croi-
sent pas, et l’on peut s’expliquer ainsi les faits dans lesquels l’hémi¬
plégie est directe. On a encore noté dans les hémorrhagies du cervelet
une céphalalgie intense localisée dans la région occipitale; elle est due
sans doute à l’irritation des parties profondes du cervelet, qui, d’après
les expériences, sont sensibles aux excitations. On a observé quelquefois
des troubles de vue; Leven et Ollivier les rapportent à une lésion des
pédoncules cérébelleux supérieurs ; cette explication est peu satisfai¬
sante, car il n’est nullement établi que ces pédoncules soient en con¬
nexion avec les noyaux d’origine des nerfs optiques. Citons, enfin, les
vomissements parmi les symptômes qui appartiennent surtout à l’hémor¬
rhagie du cervelet.
La paralysie peut occuper les deux côtés du corps : dans ce cas ôn
peut admettre qu’il s’est formé une double lésion , ou que le foyer oc¬
cupe la partie médiane du bulbe ou de la protubérance. La paralysie
peut être antagoniste, c’est-à-dire quelle peut intéresser les membres d’un
côté et les parties animées par un ou plusieurs nerfs crâniens du côté
opposé; nous verrons plus loin [voy. Tdmeürs) que cette forme de para¬
lysie se produit nécessairement chaque fois que le foyer intéfesse simul¬
tanément un nerf crânien dans sa portion périphérique, et le faisceau
moteur avant son entre-croisement.
Nous ne faisons qu’indiquer ici les principales formes cliniques sous
lesquelles peut se présenter l’hémorrhagie. Nous n’étudierons que plus
loin, avec les tumeurs, les phénomènes paralytiques auxquels donnent
lieü les lésions des différentes parties de l’encéphale; ils sont en rapport
avec le siège, nullement avec la nature de la lésion.
Lamarche des accidents peut être diverse; quelquefois tout phénomène
morbide a disparu au bout de quelques jours; c’est la forme légère de
l’hémorrhagie cérébrale.
Dans la forme apoplectique et paralytique, quand la période comateuse
est terminée, et que les symptômes dus à la lésion circonscrite de l’en¬
céphale se sont nettement dégagés, tout danger n’a pas disparu; dans
le cours et vers la fin du premier septénaire, il peut survenir des acci¬
dents généraux assez graves pour emporter le malade. Souvent du sixième
au huitième jour, il se produit un mouvement fébrile ; le malade se plaint
d’une vive céphalalgie, d’insomnie, d’illusions sensorielles. Ces phéno¬
mènes semblent se rattacher à l’encéphalite secondaire qui constamment
se développe autour du foyer ; ils ont ordinairement peu de gravité et
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ENCÉPHALE. - HÉMORRHAGIE CÉRÉBRALE.
se dissipent au bout de peu de jours. Quelquefois cependant les contrac¬
tures apparaissent dans les membres paralysés, l’intelligence se trouble,
le malade tombe dans le coma.
D’après Charcot, on -voit assez fréquemment survenir, peu de jours après
le début de la maladie, en même temps que des phénomènes adynamiques,
une élévation considérable de la température, dont l’autopsie ne donne
pas l’explication. Il n’est pas rare que chez les mêmes malades il appa¬
raisse, du deuxième au quatrième jour après l’attaque, une eschare sur la
fesse du côté paralysé; elle ne résulte pas exclusivement du décuhitus, car
elle ne se forme pas sur la partie qui supporte la pression la plus forte,
et, d’autre part, on ne voit pas dans d’autres circonstances le décubitus
amener aussi rapidement la formation d’eschares. Ces phénomènes in¬
diquent une perturbation profonde des actes nutritifs ; ils annoncent tou¬
jours une mort prochaine.
Au bout de dix ou onze jours,, quand la fièvre est tombée, que tout
signe de réaction a disparu, les troubles liés nécessairement à la pré¬
sence du foyer persistent seuls. Si l’hémiplégie a été complète, la motilité
reparaît peu à peu dans les membres paralysés, le malade imprime d’abord
quelques mouvements aux extrémités, puis il soulève le membre inférieur
au-dessus du plan du lit; plus tard, les mouvements reparaissent dans
les membres supérieurs ; mais il est très-rare que les membres affectés
recouvrent toute leur vigueur; la paralysie persiste presque toujours à un
certain degré. Les troubles vaso-moteurs sont appréciables pendant plu¬
sieurs semaines, le côté paralysé reste plus chaud que le côté opposé, et,
en outre, d’après les recherches de Lépine, il s’accommode moins rapide¬
ment et moins complètement aux variations de température du milieu
ambiant ; souvent les mains et l’avant-bras, quelquefois aussi l’extrémité
inférieure, deviennent le siège d’une tuméfaction œdémateuse, qui paraît
dépendre de la paralysie vaso-motrice.
Des douleurs persistantes, tantôt vagues, sourdes, tantôt très-vives, se
manifestent dans les membres paralysés; elles sont en rapport avec la
névrite dont nous avons signalé l’existence dans un grand nombre d’hémi¬
plégies anciennes ; elles suivent le trajet des nerfs, s’exaspèrent par la
pression ; on a pu dans quelques cas constater par le toucher l’augmenta¬
tion de volume du nerf.
A une époque variable, généralement de quatre ou cinq mois après le
début de la maladie, quelquefois beaucoup plus tôt, les membres malades
deviennent le siège de contractures permanentes ; longtemps on les a rat¬
tachées à une encéphalite secondaire ; il paraît bien établi aujourd’hui
qu’elles sont en relation avec le travail inflammatoire qui s’accomplit dans
le faisceau latéral delà moelle et la sclérose qui en résulte. Ces contrac¬
tures se distinguent facilement par leur apparition tardive, par leur
marche progressive, par leur persistance, de celles que nous avons
vu se produire comme phénomène initial dans les cas d’hémorrhagies
ventriculaire ou méningée. La contracture secondaire manque rarement
dans les cas où le foyer occupe le corps strié. Elle n’est pas générale et
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale. 125
porte de préférence sur certains groupes de muscles; à la face elle peut
déterminer une déviation de la commissure vers le côté paralysé, et con¬
duire ainsi à une erreur de diagnostic un observateur inattentif ; elle ne
se produit pas dans les muscles du tronc; elle peut affecter le sterno-mas-
toïdien; chez un de nos malades, ce muscle était rigide, la tête était forte¬
ment inclinée sur l’épaule du côté paralysé et la face regardait du côté
opposé; ce doit être là un fait exceptionnel, car Bouchard n’en a jamais
rencontré de semblable; c’est au membre supérieur que la contracture est
ordinairement le plus marquée, elle occupe les muscles antagonistes et
donne ainsi au membre des attitudes vicieuses dont on reconnaît deux
types principaux ; dans l’un, l’avant-bras, la main, les doigts sont dans
la flexion; dans l’autre, l’extension de l’avant-bras coïncide avec la flexion
des doigts sur la main ; on peut observer aussi la flexion du coude avec
l’extension des doigts ; l’avant-bras est habituellement en pronation,
rarement en supination. Quand la flexion des doigts est très -prononcée,
les ongles 'peuvent entamer la peau de la région palmaire et produire
ainsi des ulcérations ; il est nécessaire dans ces cas d’empêcher le con¬
tact des ongles en plaçant dans la main un corps étranger, par exemple
une bande roulée.
Les contractures sont moins fréquentes dans le membre inférieur,
elles peuvent également affecter de préférence les extenseurs ou les flé¬
chisseurs.
Généralement on éprouve une forte résistance quand on veut dévier les
divers segments des membres de leur attitude vicieuse; le malade se
plaint vivement, et dès qu’on cesse l’effort, les parties reprennent leur
position antérieure; la contractilité électrique est conservée ou même exa¬
gérée dans les muscles contracturés, la rigidité cadavérique y est peu pro¬
noncée et persiste peu de temps. Quand la contracture a duré longtemps,
les articulations s’altèrent, ainsi que nous l’avons vu déjà, sogs l’influence
de l’immobilité ; leurs mouvements se réduisent de plus en plus, elles
finissent par s’ankyloser, et le membre se trouve immobilisé dans son
attitude vicieuse.
On observe quelquefois dans les membres supérieurs, quand le malade
fait un mouvement volontaire, un tremblement rapide dont la raison
physiologique est restée jusqu’ici inconnue.
Quand les malades ne peuvent pas faire usage de leurs membres, les
masses musculaires s’atrophient, la peau fonctionne peu et se nourrit,
mal, elle s’amincit et se couvre de squames.
Dans les hémiplégies datant de l’enfance, l’atrophie des membres est
souvent, comme nous l’avons vu, beaucoup plus prononcée ; les facultés
mentales qui généralement sont affaiblies chez les anciens hémiplégiques,
se développent incomplètement quand la lésion s’est produite dans le pre-.
mier âge; beaucoup de ces malades sont idiots, d’autres ont des accès
épileptiformes.
On observe quelquefois chez les anciens hémiplégiques des accès con¬
vulsifs : le plus souvent ce sont des mouvements dits choréiformes, c’est-
126 ENCÉPHALE., — hémorbhagie cÉRÉDru\LE.
à-dire des convulsions cloniques, survenant à intervalles rapprochés et
réguliers ; ils siègent dans les membres paralysés et dans le côté corres¬
pondant de la face, rarement ils se généralisent ; ils peuvent se reproduire
pendant plusieurs heures, le malade ne perd pas connaissance. D autres
fois, dans les mêmes circonstances, on observe des accès épileptiformes;
ces accès peuvent s’expliquer dans certains cas par l’excitation que la
sclérose descendante provoque dans le bulbe; mais cette interprétation est
inadmissible dans les cas où le foyer siège dans les circonvolutions et ne
détermine pas d’atrophie secondaire ; il est probable que chez ces sujets,
le foyer se comporte à la manière d’une tumeur qui intéresserait la supcr-
licie de l’encéphale.
L’hémorrhagie cérébrale, en raison de la diffusion des lésions vascu¬
laires qui en sont la cause habituelle, récidive fréquemment ; il n’est pas
rare que les individus affectés d’hémiplégie ancienne soient emportés par
une nouvelle attaque; d’autres succombent aux progrès del’affaiblissement
qu’amènent ie repos prolongé au lit et les mauvaises conditions hygié¬
niques dans lesquelles le malade se trouve placé par le fait même de I hé-
miplégie; les réservoirs se paralysent, des eschares se forment à la région
sacrée, et la mort survient au milieu d’accidents adynamiques.
Diagnostic. — Quand on se trouve en présence d’un individu frappé d’a¬
poplexie, on peut penser à une attaque épileptique, à une syncope, à une
asphyxie, à une encéphalopathie albuminurique, à une intoxication par
l’alcool, ou par l’opium. Nous avons vu plus haut(D0î/. Congestion) comment
le coma qui succède à l’épilepsie pouvait être distingué de l’apoplexie; la
syncope se reconnaît aisément à l’absence du pouls, à la faiblesse extrême
des mouvements respiratoires; l'asphyxie, à lauyanose des extrémités et
des lèvres, à la suspension de la respiration; dans Informe comateuse de
l’urémie, la perte de connaissance est le plus souvent incomplète; le coma
est entremêlé de convulsions; d’ailleurs, les antécédents, l’œdème, les ca¬
ractères de l’urine ne permettent pas l'erreur. Le diagnostic avec l’ivresse
peut être difficile, l’odeur alcoolique qu’exhale le malade est le meilleur
signe différentiel, mais dans le cas où un individu en état d’ivresse serait
frappé d’apoplexie, la marche des accidents pourrait seule révéler l’exis¬
tence de la lésion cérébrale. Dans l’empoisonnement par l’opium, la
contraction des pupilles, la fréquence du pouls peuvent mettre sur
la voie quand on n’est pas renseigné sur la cause réelle des troubles
morbides.
Plusieurs affections de l’encéphale peuvent débuter par une apoplexie;
telles sont surtout la congestion cérébrale, les oblitérations artérielles,
l’encéphalite, les hémorrhagies méningées, nous avons dit précédem¬
ment à quels signes on pouvait reconnaître la congestion cérébrale et
les oblitérations artérielles; l’existence de symptômes fébriles sépare
nettement l’encéphalite de l’hémorrhagie; pourtant, si l’on n’a pas vu
le malade dès le début de l’affection et que l’on trouve, quelques jours après
une attaque apoplectique, une réaction fébrile en même temps que de la
contracture et des convulsions, on peut. hésiter entre les deux affections,
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale. J 27
ou plutôt on peut se demander si l’encéphalite dont ces symptômes déno¬
tent l’existence est ou non consécutive à une hémorrhagie; si l’on apprend
que l’attaque a été précédée pendant plusieurs jours de céphalalgie in¬
tense, de délire et de fièvre, si la contracture a existé dès le début, si elle
est bilatérale, il est vraisemblable qu’il s'agit d’une encéphalite; néan¬
moins dans certains cas, le diagnostic peut rester obscur. L’hémorrhagie
sous-méningée peut suivre une marche lente, le malade tombe peu à peu
dans la stupeur, puis dans le coma, il n’y a pas alors d’erreur possible,
car jamais l’hémorrhagie cérébrale ne se . présente sous cette forme;
d’autres fois, le début de l’hémorrhagie méningée est apoplectique, tout
le tableau symptomatique de l’hémorrhagie cérébrale se trouve repro¬
duit; les contractures, les convulsions ne peuvent servir au diagnostic,
car on les observe dans les deux affections ; souvent il n’y a pas de
diagnostic possible entre une hémorrhagie cérébrale avec épanchement
dans les ventricules ou sous les méninges et une hémorrhagie sous-
méningée sans altération de l’encéphale. L'hémorrhagie sus-arachno'i-
dienne est toujours consécutive à une inflammation de la dure-mère
avec production de séro-membranes vasculaires; l’attaque, quand elle
se produit, survient donc chez des sujets, qui, depuis longtemps présen¬
taient des phénomènes d’excitation cérébrale, tels que du délire,, une
céphalalgie opiniâtre, des vertiges, quelquefois des convulsions, de la
sténose pupillaire ; l’existence de ces prodromes suffit pour faire soup¬
çonner la nature de l’alfection; si l’on ignore les antécédents du malade,
la marche des accidents, peut encore permettre d’éviter une erreur; l’hé¬
miplégie peut manquer, il se produit de la contracture, des convulsions
partielles, et quand les phénomènes apoplectiques se sont dissipés, les
convulsions se reproduisent à intervalles plus ou moins rapprochés ;
l’intelligence reste troublée; il y a de véritables accès de somnolence;
les pupilles sont rétrécies, souvent inégales; la maladie présente dans
sa marche une série de rémissions et d’aggravations que l’on n’observe
pas dans l’hémorrhagie cérébrale.
L’hydrocéphale aiguë ne débute pas par une attaque ; elle ne donne
pas lieu à des paralysies limitées ; le malade tombe graduellement dans
le coma. La marche des symptômes, leur apparition à la suite d’une
scarlatine ou dans le cours d’une maladie de Bright, la coexistence d’au¬
tres hydropisies, permettent le plus souvent de reconnaître la nature de
l’affection.
La lenteur avec laquelle se développent généralement les troubles
fonctionnels liés à la présence de tumeurs dans la cavité crânienne,
suffit presque toujours à empêcher une confusion entre ces affections et
une hémorrhagie ; pourtant il n’est pas très-rare d’observer dans le
cours de leur évolution des attaques avec perte de connaissance , de
véritables apoplexies; quelquefois ces attaques semblent marquer le
début de la maladie, ou du moins elles en constituent la première mani¬
festation symptomatique, de sorte que si l’on voit le malade longtemps
après le début des accidents, si les troubles de la sensibilité et de la mo-
128 ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale.
tilité peuvent être rapportés à une lésion unique, il est quelquefois dif¬
ficile de décider si cette lésion est un foyer d’hémorrhagie ou de ramollis¬
sement ou une tumeur ; et quand on n’a pas d’indications précises sur la
marche de la maladie, quand l’aggravation progressive des accidents ne
permet pas d’éliminer les lésions d’origine vasculaire, le dignoslic ne
peut être posé. Si l’on constatait, par l’examen ophthalmoscopique, la
présence d’anévrysmes miliaires sur les vaisseaux rétiniens, on pourrait,
d'après les faits observés par Liouville, supposer avec vraisemblance que
les mêmes altérations existent dans l’ encéphale ; ce serait là une pré¬
somption en faveur de l’hémorrbagie.
Les signes qui permettent de reconnaître le siège du foyer n’ont rien
de spécial à l’hémorrbagie ; nous verrons, en étudiant l’bistoire des tu¬
meurs intra-crâniennes, comment et dans quelles circonstances on peut
déterminer, d’une manière générale, le siège des lésions encéphaliques.
Nous rappellerons pourtant qu’au début la déviation des yeux et la
rotation de la tête du côté de la lésion indiquent quel est l’hémisphère
atteint; que les convulsions et les contractures initiales dénotent soit
une lésion des parties excitables de l’encéphale, c’est-à-dire des pédon¬
cules, de la protubérance ou du bulbe, soit l’irruption du sang dans les
cavités ventriculaires ou à la surface de l’encépbale ; que les paralysies
antagonistes des membres et des parties animées par les nerfs crâniens
permettent de localiser le foyer dans le bulbe, la protubérance ou les
pédoncules cérébraux suivant le nerf intéressé. {Voy. Tuüiedbs.)
Pronostic. — Il est toujours grave; quand l’individu frappé d’hémor¬
rhagie cérébrale ne succombe pas dans le coma apoplectique et résiste
aux phénomènes de réaction qui se produisent peu de jours après l’at¬
taque, quand il n’est pas emporté au bout de peu de temps par des acci¬
dents adynamiques, il demeure atteint d’infirmités incurables, souvent son
intelligence s’amoindrit, toujours il est sous le coup d’une nouvelle
attaque. Le caractère des phénomènes initiaux donne quelquefois des
indications sur l’issue probable delà maladie; lorsque l’individu est brus¬
quement frappé, comme foudroyé, lorsque la résolution est complète,
l’excitabilité réflexe du pharynx abolie, l’abaissement de la tempéra¬
ture considérable, et que cet état se prolonge, il est probable que le
foyer est très-étendu; le pronostic est très-grave. S’il s’ajoute à ces
symptômes des convulsions ou de la contracture, on doit penser que
le foyer s’est ouvert dans les cavités de l’encéphale ou à la superficie,
ou qu’il occupe le mésocéphale; la terminaison fatale est presque con¬
stante dans ces conditions. Au contraire, l’absence d’attaque apoplec¬
tique , le peu d’étendue de la paralysie , sont des symptômes favo¬
rables. Si l’on voit vers la fin du premier septénaire les forces baisser
rapidement, une eschare se former à la fesse, la température s’élever,
on doit porter le pronostic le plus grave; on doit craindre également
une terminaison funeste, quand la réaction est trop vive, quand elle
se traduit par une élévation considérable de la température, de la cé¬
phalalgie et de la contracture dans les membres paralysés. Enfin,
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérébrale. 129
toutes choses égales d’ailleurs, l’affection doit être considérée comme
plus grave quand le malade a eu auparavant une ou plusieurs attaques
apoplectiques.
Traitement. — On ne peut rien contre la lésion; une fois le vaisseau
rompu, l’hémorrhagie se produit nécessairement, sans qu’on puisse en
arrêter les progrès ; le traitement doit donc être, au début, exclusivement
dirigé contre les troubles fonctionnels et avant tout contre la paralysie
de l’encéphale; tous les efforts du médecin doivent tendre à réveiller
l’excitabilité du tissu nerveux. La saignée constitue, qiiand l’état général
permet d’y avoir recours, le moyen le plus efficace; elle diminue la pres¬
sion intra-crânienne, active la circulation encéphalique et combat l’hy-
pérémie qui complique quelquefois l’hémorrhagie et peut contribuer à
entretenir la névrolysie.- Mais si les émissions sanguines rendent dans
certains cas de réels services, elles sont chez d’autres malades formelle¬
ment contre-indiquées ; on ne saurait donc sans danger les pratiquer
indifféremment dans toutes les apoplexies.
Il n’existe pas en pareille matière de règles absolues ; les indications
varient et avec elles les moyens à employer.
Dans le traitement de l’apoplexie, il faut se guider avant tout sur l’état
général. Quand l’individu est jeune, robuste, le pouls plein et vibrant,
l’impulsion cardiaque énergique, la saignée générale est formellement
indiquée; on a conseillé d’ouvrir l’artère temporale ; mais cette pratique
n’offre pas d’avantages certains et ses inconvénients sont sérieux ; l’écou¬
lement du sang est souvent difficile à arrêter et l’on est obligé d’em¬
ployer un bandage compressif, qui gêne le retour du sang veineux et en¬
tretient à la tête une chaleur nuisible. La supériorité que l’on a attribuée
à la saignée de la jugulaire n’est rien moins que prouvée ; en tous cas,
elle ne pourrait compenser les dangers inhérents à cette opération. La
saignée du bras mérite donc la préférence; il faut ouvrir largement la
veine de manière à obtenir la déplétion rapide de la circulation. Le sou-
lageinent est^ dans certains cas, presque immédiat; on a vu des malades
reprendre connaissance pendant l’opération. Lorsque le danger est moins
pressant, que l’excitation du système circulatoire est modérée ou fait
défaut, que le malade est âgé ou paraît médiocrement vigoureux, les
saignées locales doivent être préférées , on appliquera des sangsues
derrière les oreilles ou des ventouses à la nuque ; on peut encore, ainsi
que le conseillait Grisolle , pratiquer une petite saignée en quelque sorte
exploratrice, puis l’arrêter, la prolonger ou la répéter suivant l’effet
produit. Enfin, dans les cas où le malade est très-âgé ou très-affai-
bli, la face très-pâle ou cyanosée, le pouls petit et irrégulier, l’im¬
pulsion cardiaque affaiblie, saigner serait une faute ; ces phénomènes
de collapsus constituent pour le malade le danger le plus imminent, c’est
contre eux que le médecin doit diriger ses efforts ; il cherchera par
l’emploi de révulsifs cutanés, tels que les sinapismes, le marteau de
Mayor, les ventouses sèches, à réveiller l’excitabilité des éléments ner¬
veux ; dès que les phénomènes apoplectiques commenceront à se dissiper,
NOOT. DICT. MÉ0. ET CHIE. XIII. — 9
130
ENCÉPHALE. — hémorrhagie cérerraie.
il devra, malgré la nature de la lésion, s’attacher à relever les forces du
malade par l’administration du quinquina, du vin, des stimulants dif¬
fusibles. Ce n’est pas seulement l’état général qu’il faut considérer avant
de pratiquer la saignée, il faut examiner le cœur ; si l’on y trouve les signes
d’une lésion organique, il faut renoncer aux émissions sanguines, sur¬
tout si cette lésion siège à l’aorte, car on s’exposerait en saignant à
provoquer une syncope, accident qui, dans ces circonstances, serait d’une
extrême gravité.
Les lavements purgatifs sont d’utiles adjuvants surtout quand il existe
des signes de congestion cérébrale; les vomitifs doivent être repoussés ;
les efforts qu’ils provoquent entravent la déplétion des veines jugulaires;
par suite, la tension s’élève brusquement dans l’encéphale, et il peut
en résulter chez un sujet dont les vaisseaux sont altérés une nouvelle
hémorrhagie.
Le malade doit être placé dans une chambre bien aérée, dont la tem¬
pérature sera peu élevée ; on évitera la constipation et l’on exercera une
révulsion salutaire, en administrant tous les deux jours, ou même tous les
jours, soit un lavement purgatif, soit un purgatif salin ; s’il se produit vers
la fin du premier septénaire des phénomènes de réaction, tels que de la
céphalalgie et de la contracture, une intervention énergique est nécessaire;
des sangsues seront appliquées derrière les oreilles, on agira vigoureuse¬
ment sur l’intestin par le tartre stibié en lavage, de manière à provo¬
quer d’abondantes évacuations ; si par exception il se produisait des vo¬
missements réitérés, il faudrait suspendre le médicament. Les applica¬
tions froides sur la fête peuvent rendre à cette période de la maladie des
services réels ; de préférence aux compresses mouillées, on maintiendra
sur la tête du malade une vessie remplie de glace pilée: ce moyen doit être
continué plusieurs jours sans interruption; il est ntile surtout quand la
céphalalgie est intense, quand les malades ont du délire et de l’agitation;
il exerce souvent en pai-eils cas une action sédative incontestable, sans
doute en excitant les nerfs cutanés et en amenant ainsi par voie réflexe
la contraction des artérioles cérébrales.
Quand les phénomènes de réaction se sont dissipés, que les effets di¬
rects de la lésion limitée de l’encéphale persistent seuls, il faut s’atta¬
cher surtout à placer le malade dans de bonnes conditions hygiéniques ;
dès que l’état de ses forces le permet, il doit quitter son lit tous les jours;
son régime doit être sobre, mais réparateur. Quand la motilité com¬
mence à reparaître dans les membres paralysés, il faut engager le ma¬
lade à les exercer ; il évitera ainsi les effets fâcheux de l’inaction sur la
nutrition des muscles ; l’électricité ne semble pas avoir d’autre utilité que
de faire contracter les muscles quand l’excitation volontaire fait défaut
et d’activer ainsi leur nutrition.
Les douleurs vives, persistantes, que les malades éprouvent quelquefois
dans les membres paralysés seront combattues efficacement par les in¬
jections sous-cutanées de chlorhydrate de morphine; les excès de table, les
fatigues de toutes sortes, les efforts violents et toutes les causes capables
ENCÉPHALE. — HÉMORRHAGIE CÉRÉBRALE. Ifil
de provoquer une fluxion vers l’encéphale doivent être soigneusement
évités; c’est surtout en s’astreignant rigoureusement à ces précautions
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la rétine avec des anévrysmes des petites artères dans l’encéphale [Comptes rendus de l’Aca¬
démie des sciences, 1870).
Encéphalite. — L’histoire de cette affection est restée jusqu’à ces
derniers temps une des parties les plus obscures de la pathologie céré¬
brale ; on n’en connaissait pas les caractères anatomiques ; sous le nom de
ramollissement inflammatoire, on décrivait des lésions de nature diverse,
particulièrement certaines formes de nécrobiose ; on trouve encore dans
les ouvrages les plus récents, la marque de cette confusion; pourtant on
a pu, du jour où les caractères microscopiques et histologiques des lé¬
sions nécrosiques ont été nettement définis, reprendre sur de nouvelles
bases l’étude de l’encéphalite, et s’il n’est pas possible de tracer aujour¬
d’hui le tableau complet de cette affection, on possède du moins, sans
parler des abcès qui ont été bien décrits par les auteurs, des notions pré¬
cises sur plusieurs de ses formes.
Dans tous les faits connus, l’inflammation portait principalement sur
le tissu interstitiel de l’encéphale, accessoirement sur les vaisseaux; on a
bien signalé, dans la paralysie générale surtout, des altérations des cel¬
lules nerveuses (Meynert) ; Tigges aurait constaté dans la même affec¬
tion et dans les méningites la multiplication des noyaux des cellules
nerveuses, mais rien n’indique que ces lésions soient de nature inflam¬
matoire, leur existence même est contestée; il n’existe jusqu’ici aucun
fait qui autorise à admettre l’existence d’une encéphalite parenchymateuse.
Relativement à l'activité du processus inflammatoire, on peut diviser
l’encéphalite en aiguë, subaiguë et chronique. Nous nous occuperons
dans ce chapitre des deux premières formes; la troisième, connue sous
le nom de sclérose de l’encéphale, sera étudiée séparément.
Genèse et étiologie. — L’encéphalite peut être primitive ou secondaire.
Les causes de l’encéphalite primitive nous échappent complètement. On
attribue, sans preuves suffisantes, une influence sur le développement de
ENCKPHALE. — encéphai.ite. 133
cette affection à l’insolation, aux fatigues intellectuelles, à l’abus des
spiritueux, aux excès vénériens. Virchow a montré qu’elle tenait une
place importante parmi les causes de mortalité chez les nouveau-nés.
On en rencontre très-fréquemment les lésions caractéristiques dans les
autopsies d’enfants. Les exanthèmes fébriles et la syphilis paraissent
avoir une influence prédominante sur leur développement.
Les causes d’encéphalite secondaire sont nombreuses ; en première ligne
nous citerons le traumatisme. Les chutes sur la tête, les chocs violents,
les fractures avec esquilles, la pénétration dans le tissu cérébral de
fragments osseux, de projectiles et d’instruments tranchants, peuvent la
provoquer. Nous avons vu qu’elle intervenait, comme élément secondaire,
dans les. transformations que subissent les foyers d’hémorrhagie et de
nécrobiose. Les tumeurs des parois crâniennes, des méninges, de l’encé¬
phale, peuvent également lui donner naissance; assez fréquemment elle
reconnaît pour cause la carie des os du crâne , particulièrement celle du
rocher; d’après Mayer elle serait, dans près du quart des cas, consécutive
à cette altération ; elle occupe alors de préférence l’hémisphère cérébral
droit. 11 existerait, d’après Toynbee, une relation entre le siège de l’alté¬
ration osseuse et celui de l’encéphalite; dans les phlegmasies du conduit
auditif externe, l’encéphalite occuperait surtout le cervelet; dans celles
du tympan, le cerveau ; dans celles du labyrinthe, la moelle allongée. 11
est possible que ce rapport existe réellement dans la plupart des cas, mais
certainement il n’est pas constant, car on a publié plusieurs faits bien
observés dans lesquels il n’existait pas. Les affections de l’orbite et des
fosses nasales amènent quelquefois l’encéphalite sans qu’on puisse s’ex¬
pliquer d’une manière satisfaisante cette propagation à distance de l’in¬
flammation.
Dans la méningite, surtout dans celle qui est liée à la présence de
tubercules, dans la paralysie générale, les couches superficielles de l’en¬
céphale sont constamment altérées. Bamberger a observé l’encéphalite
dans le typhus ; dans la syphilis, elle se développe autour des gommes.
Cette dernière maladie pourrait même, d’après Jaksch et Ducheck, pro¬
duire directement l’inflammation de l’encéphale; pour Virchow, cette
variété d’encéphalite syphilitique n’est pas démontrée, mais il tend à en
admettre la réalité.
Anatomie pathologique. — On sait aujourd’hui , grâce surtout aux
recherches de Hayem, que le processus inflammatoire ne présente pas
dans le tissu nerveux d’autres caractères que dans les autres tissus. Là,
comme dans toutes les parties vasculaires, la prolifération des éléments
cellulaires, l’hypérémie et la formation d’un exsudât, en constituent les
éléments essentiels. Il peut se terminer, soit par la production d’un tissu
analogue au tissu enflammé {encéphalite subaiguë, hyper plastique, encé¬
phalite chronique, sclérose) , soit par suppuration {encéphalite suppu¬
rative), probablement aussi par résolution, et peut-être par nécrose, bien
qu’aucun fait ne soit jusqu’ici venu le démontrer.
L’encéphalite hyperplastique peut se présenter sous des formes très-
134 ENCÉPHALE. — encéphalite.
diverses ; elle est diffuse ou circonscrite : diffuse, elle peut intéresser la
presque totalité de l’encéphale, telle est l’encéphalite des nouveau-nés;
souvent elle est liée à une inflammation des méninges (paralysie gé¬
nérale, méningite aiguë et tuberculeuse); circonscrite, elle est habituelle¬
ment consécutive , elle résulte de l’irritation produite par la présence
dans l’encéphale d’une tumeur ou d’un foyer ; cependant Hayem a
établi l’existence d’une encéphalite subaiguë primitive. Parmi ces di¬
verses variétés d’encéphalite subaiguë, cette dernière et l’encéphalite
des nouveau-nés, nous occuperont seules ici. Les autres seront décrites
avec l’affection dont elles dépendent. {Voy. Paralysie générale , Mé¬
ningites, Encéphale (Tumeurs de P), etc.)
L’encéphalite congénitale est caractérisée par une hypérémie souvent
considérable , et par la multiplication et l’augmentation de volume des
éléments de la névroglie; au bout de peu de temps, ces éléments se
chargent de granulations graisseuses et se présentent alors sous forme
de corps granuleux. Les lésions occupent surtout la substance blanche ;
elles lui donnent une couleur violacée, couleur qui forme un contraste
frappant avec la coloration pâle, presque blanchâtre de la substance
grise; l’hypérémie porte sur les veines aussi bien que sur les artères.
Quelquefois les corps granuleux se groupent en petites masses et forment
alors des taches jaunâtres, opaques, qui peuvent atteindre jusqu’à 1/2 mil¬
limètre de diamètre, et se voient, par conséquent, facilement à l’œil nu.
Quand la lésion est très-avancée, les éléments nerveux s’altèrent à leur
tour, le tissu de l’encéphale se ramollit, et, sans la présence des corps
granuleux, on pourrait croire à une altération cadavérique ; la multiplica¬
tion des éléments nucléaires sépare nettement cette forme d’encéphalite
de la simple atrophie graisseuse, décrite par Parrot sous le nom de stéa¬
tose de l’encéphale.
L’encéphalite hyperplastique circonscrite et primitive a été très-rare¬
ment observée ; Hayem n’en a pu réunir que trois faits, dont l’un lui est
personnel; l’un de nous en a dernièrement observé un quatrième qui pré¬
sentait une remarquable analogie avec celui de Hayem. Dans tous, le foyer
était étendu, les parties altérées faisaient légèrement saillie à la surface de
l’encéphale; elles présentaient une coloration toute spéciale se rapprochant
de la teinte lie de vin, et assez caractéristique pour faire soupçonner
au premier coup d’œil la nature de la lésion. La pie-mère était saine; elle
n’adhérait pas aux parties malades, la consistance du tissu était plus ou
moins diminuée, son aspect rappelait celui d’une gelée; dans notre fait,
il était creusé de lacunes; quelques-unes atteignaient les dimensions d’un
petit pois. Au microscope, ce qui tout d’abord frappait, c’était la présence,
dans toutes les préparations, d’une quantité considérable de noyaux,
différents des leucocytes, semblables aux éléments nucléaires de la né¬
vroglie; un certain nombre étaient entourés de corps cellulaires; certaines
cellules renfermaient plusieurs noyaux, jusqu’à douze et même quinze;
leur aspect rappelait celui des éléments à noyaux multiples que Robin a
décrits sous te nom de myéloplaxes. Quelques noyaux étaient étranglés
ENCÉPHALE. — encéphalite.
135
à leur partie moyenne ; d’autres étaient soudés deux à deux, disposition
qui semblait indiquer un travail actif de prolifération. Dans notre fait,
ces éléments étaient entourés d’un réticulum dont les tractus déliés
étaient devenus surtout apparents après l’action de l’acide chromique.
On voyait en outre un certain nombre de corps granuleux. Les élé¬
ments nerveux avaient généralement subi peu d’altérations; les cellules
semblaient intactes, les tubes étaient conservés, quelques-uns avaient
perdu leur gaine de myéline ; les vaisseaux étaient remplis de sang. Dans
deux cas, le nombre des capillaires a paru augmenté. L’intégrité rela¬
tive des éléments nerveux, et l’hyperplasie nucléaire, ne permettent pas
de confondre cette forme d’encéphalite avec le ramollissement nécro-
sique. On ne sait rien des transformations que les parties altérées peu¬
vent subir ultérieurement.
La suppuration de l’encéphale peut se présenter sous les trois formes
suivantes : 1“ infiltration purulente; 2“ abcès avec infiltration purulente
des parties voisines; 5“ abcès enkysté.
Nous insisterons peu sur la période qui précède la formation
du pus; on n’a eu que rarement l’occasion de l’observer chez l’homme
et on a du recourir, pour l’étudier, à l’expérimentation. Sous l’in¬
fluence d’un agent irritant , les cellules de la névroglie se tumé¬
fient, leurs noyaux se multiplient ainsi que ceux des parois vascu¬
laires ; plus tardj la substance intercellulaire infiltrée par l’exsudât, se
liquéfierait et les éléments nucléaires, devenus libres, formeraient les
globules du pus. Nous devons dire que les expériences de Cohnheim ont
remis tout en question sur ce point comme sur tout ce qui touche à la
pyogénie.
Les abcès du cerveau siègent le plus souvent dans la substance blanche ;
c’est surtout dans les hémisphères cérébraux qu’on les rencontre ; ils ne
sont pas très-rares dans le cervelet, on en a observé dans le corps pitui¬
taire, dans le bulbe; leur volume varie dans des limites étendues; les abcès
pyémiques ne sont pas habituellement plus gros qu’une tête d’épingle, et
par contre, on voit des collections purulentes occuper tout un lobe, tout
un hémisphère, tout le cervelet ; les abcès peuvent être multiples ; en gé¬
néral, leur nombre varie en raison inverse de leur volume.
Tant qu’il ne s’est pas formé de membrane kystique, la cavité est irré¬
gulière, anfractueuse, mal limitée; le tissu qui l’entoure est ramolli; les
vaisseaux sont injectés et dilatés , le pus s’accumule le long de leurs
parois; dans ces conditions, l’abcès s’agrandit facilement; il peut s’ou¬
vrir dans les ventricules ou atteindre la surface de l’encéphale et amener
le développement d’une méningite, tantôt circonscrite, tantôt généralisée ;
on voit même quelquefois les parois crâniennes s’enflammer, s’ulcérer,
se perforer au niveau de l’abcès et le pus se faire jour sous les téguments
du crâne ou s’écouler dans les cavités de l’oreille.
On ne trouve guère la cavité limitée par une membrane isolable avant
la quatrième semaine et cette membrane n’acquiert un certain degré de
consistance qu’au bout de deux mois environ (Schott) ; elle est lisse à sa
156 ENCÉPHALE. — nNcÉPHALiiB.
face interne quand l’abcès est récent; plus tard, le pus peut se résorber
en partie ; alors la membrane se rétracte, sa surface se ride et devient
inégale; en dehors, elle se continue insensiblement avec la substance ner¬
veuse; des prolongements plus ou moins nombreux s’en détachent et
cloisonnent le tissu périphérique. Elle renferme des cellules conjonctives
fusiformes, disposées parallèlement à la surface ; beaucoup contiennent
des granulations graisseuses. Le pus est ordinairement filant, d’un jaune
verdâtre; sa réaction est acide ; il peut contenir du sang, des fragments de
substance nerveuse; il est sans odeur, et ne s’altère pas, si ce n’est dans
les cas où l’abcès s’ouvre au dehors, le pus subit alors, au contact de l’air,
la décomposition putride et prend une odeur fétide; les abcès enkystés sont
susceptibles de s’accroître; ils peuvent alors se faire jour dans les ventri¬
cules, dansles fosses nasales, dans l’orbite, dans les cavités de l’oreille. Quand
l’abcès devient ancien, le pus subit souvent la métamorphose caséeuse ;
il peut même s’incruster de sels calcaires, ainsi que Gull l’a observé.
Symptômes. — Nous n’avons pas à décrire ici les troubles fonctionnels
que provoque la phlegmasié de l’encéphale dans la méningite, dans la pa¬
ralysie générale, etc.; la symptomatologie de l’encéphalite congénitale
n’est pas faite, enfin les observations d’encéphalite hyperplastique primitive
sont trop peu nombreuses pour qu’on puisse écrire Thistoire clinique de
cette affection. L’observation deHayem renferme, à ce point de vue, des
détails intéressants, on y voit que le début a été apoplectique, que le
malade a été frappé d’hémiplégie, que les troubles intellectuels ont été
prédominants ; mais c’est là un fait isolé, les éléments d’une description
générale font défaut , il faut attendre de nouvelles observations : nous
aurons donc exclusivement en vue l’encéphalite aiguë suppurative.
Le tableau symptomatique peut offrir de grandes variétés; en effet, la
pblegmasie n’anéantit pas tout d’abord la vitalité des parties qu’elle at¬
teint ; au contraire, l’activité des éléments nerveux est d’abord exaltée ; il
en résulte que l’on voit se produire successivement, ou même simultané¬
ment, si la pblegmasie existe à différents degrés de développement dans
diverses parties de l’encéphale, des phénomènes d’excitation et de dépres¬
sion. D’autre part, la présence du foyer inflammatoire, ou les mêmes
causes qui ont amené le développement de la pblegmasie, déterminent
dans les parties voisines du foyer ou dans d’autres régions de l’encéphale,
de l’œdème ou de la congestion; un épanchement séreux plus ou moins
abondant se fait dans les ventricules; ces différents états morbides donnent
lieu à de nouveaux symptômes qui viennent s’ajouter à ceux de la lésion
principale; enfin les troubles fonctionnels varient avec le siège de la
lésion, et par suite se modifient à mesure que le foyer inflammatoire ou
l’abcès s’étend à de nouvelles régions; on comprend par là la diversité
des formes cliniques sous lesquelles l’encéphalite se présente à l’observa¬
tion, diversité telle qu’on ne saurait les embrasser toutes dans une même
description.
Une période prodromique précède habituellement le début de l’encé¬
phalite ; elle peut manquer cependant ; elle est généralement l’ex-
137
ENCÉPHALE. — encéphalite.
pression des phénomènes congestifs, le malade éprouve une céphalalgie
opiniâtre, des vertiges, des éblouissements, quelquefois de l’embarras de
la parole; fréquemment les pupilles sont inégales ; la face présente des
alternatives d’injection et de pâleur, parfois des mouvements convulsifs
partiels se produisent passagèrement dans les membres, à la face, dans
les muscles de l’œil; d’autres fois ce sont des contractures, du strabisme;
il peut se produire également des troubles de la sensibilité; les malades
éprouvent une sensation de fourmillement, d’engourdissement dans une
moitié du corps.
Le début peut être graduel; les troubles que nous venons d’énumérer
s’aggravent de plus en plus, la maladie se confirme peu à peu. D’autres
fois, le phénomène initial est une attaque apoplectique, convulsive ou
délirante ; ce mode de début est exceptionnel ; ordinairement la perte
de connaissance n’est pas absolue; le malade reste sensible aux fortes
excitations; la résolution est incomplète; les membres ne retombent
pas absolument inertes; ils présentent un certain degré de contracture;
ce dernier symptôme se caractérise bientôt davantage, il est des plus
fréquents dans l’encépbalite ; tantôt la rigidité est hémiplégique, tantôt
elle est limitée à certains groupes de muscles ; plus rarement , elle
est bilatérale ; quand elle occupe la face, les traits se dévient du côté
affecté, de sorte qu’un observateur inattentif pourrait croire à une pa¬
ralysie faciale du côté opposé. Les contractures peuvent se produire
d’emblée, sans qu’il y ait eu d’attaque apoplectique; d’autres fois,
la maladie débute par des convulsions épileptiformes ; on peut affirmer
alors que directement ou indirectement le bulbe est intéressé. Les con¬
vulsions peuvent affecter d’autres formes ; quelquefois ce sont des mou¬
vements rhythmiques, choréiformes, limités à une moitié du corps ; la pa¬
ralysie est rarement un phénomène de début; comme la contracture elle
peut être bilatérale.
Les troubles intellectuels ne sont pas constants; tantôt ils consistent sim¬
plement dans une légère excitation ; d’autres fois, comme nous l’avons in¬
diqué, une attaque de délire aigu ouvre la scène ; le malade prononce des
paroles incohérentes, il est en proie à des hallucinations de l’ou’ie et delà
vue, il se débat avec violence contre ceux qui l’entourent; d’autres fois en¬
fin, on observe un certain degré d’amnésie verbale. Les troubles de la sen¬
sibilité peuvent manquer ; souvent, au contraire, la céphalalgie est le sym¬
ptôme dominant. Elle peut atteindre un degré extrême d’acuité; elle est
alors localisée dans une partie limitée du crâne et acquiert une certaine
valeur diagnostique. Les douleurs dans les membres sont rarement bien
accusées; on a quelquefois noté de l’hypéresthésie dans une moitié du
corps ; plus fréquemment, il existe de l’anesthésie.
L’encéphalite est une maladie fébrile; l’élévation de la température est
constante au début; rarement elle atteint des limites extrêmes; nous ne
l’avons pas vu dépasser 39°, 5. Le pouls est fréquent, quelquefois inégal
et irrégulier; le malade vomit; il est constipé; il y a de la rétention
d’urine, sans doute par contracture du sphincter.
138 ENCÉPHALE. — encéphalite.
Ces phénomènes d’excitation ne persistent pas en général plus d’un
septénaire ; dès le quatrième jour quelquefois ils font place aux sym¬
ptômes de dépression; le délire se calme, l’agitation cesse; le malade
tombe dans la stupeur j des paralysies succèdent aux contractures, l’in¬
continence d’urine à la rétention ; les forces s’abaissent rapidement ; les
traits s’altèrent, et bientôt le malade succombe au milieu de phénomènes
comateux.
La maladie ne présente rien de fixe dans sa marche; elle peut se ter¬
miner brusquement, dès la première période, par suite d’une syncope
ou de phénomènes asphyxiques. D’autres fois, une période de rémission
succède à l’excitation initiale ; c’est ce qui se passe quand le foyer siège
dans une partie de l’encéphale dont la lésion ne donne lieu à aucun dé¬
sordre appréciable; les phénomènes d’excitation ne sont dus qu’aux mo¬
difications secondaires que la phlegmasie provoque dans les autres parties
de l’encéphale; mais bientôt la réaction se calme, la lésion locale subsiste
seule; les symptômes peuvent faire complètement défaut dans cette
période ; généralement pourtant le malade se plaint d’une céphalalgie
sourde, mais persistante; l’intelligence est légèrement obtuse; le ma¬
lade répond lentement aux questions qu’on lui adresse; il est apa¬
thique, triste; il tombe souvent dans la somnolence. D’autres fois, la
persistance de phénomènes paralytiques indique d’une façon plus posi¬
tive l’existence d’une lésion permanente de l’encéphale. Ce n’est qu’a-
près un laps de temps tout à fait indéterminé, quelquefois au bout de
plusieurs mois, qu’il se produit de nouveaux accidents. Les périodes de
rémission et d’aggravation peuvent à plusieurs reprises se produire alter¬
nativement. La mort peut être provoquée par une attaque apoplectique;
d’autres fois, les forces du malade s’abaissent, il maigrit rapidement;
des eschares se forment à la région sacrée ; les réservoirs se paralysent, la
langue se sèche et la mort survientau milieu de phénomènes adynamiques.
Dans l’encéphalite, qui succède aux lésions traumatiques du crâne ou
aux altérations des parois osseuses, la formation du pus peut se faire
lentement, sourdement, sans donner lieu à aucun phénomène de réaction
ou d’excitation ; ce n’est qu’au moment où l’abcès, en se développant,
vient à intéresser une partie de l’encéphale dont la lésion donne lieu à
des troubles fonctionnels, ou à s’ouvrir dans les ventricules, que les acci¬
dents surviennent : dans le premier cas, ce sont surtout des phénomènes
paralytiques dont la distribution varie selon la partie altérée ; l’irruption
dans les ventricules s’annonce par une violente attaque convulsive,
quelquefois épileptiforme, à laquelle succède un état comateux. La mort
peut être subite; ordinairement, elle ne survient qu’après plusieurs
attaques.
Diagnostic. — La diversité des symptômes auxquels donne lieu l’en¬
céphalite ne permet pas d’en donner, d’une manière générale, les signes
diagnostiques. On doit examiner séparément, à ce point de vue, les prin¬
cipales formes sous lesquelles la maladie peut se présenter.
Les phénomènes apoplectiques et les symptômes de foyer peuvent faire
159
ENCÉPHALE. — encéphalite.
confondre l’encéphalite avec le ramollissement nécrobiotique et l’hémor¬
rhagie cérébrale; ce n’est qu’en étudiant avec attention la marche des
accidents que l’on peut porter un diagnostic. Dans l’encéphalite, les pro¬
dromes manquent rarement , il sont généralement l’indice non douteux
d’un état congestif de l’encéphale: ces symptômes sont exceptionnels
dans le ramollissement et l’hémorrhagie ; dans la phlegmasie, la tem¬
pérature s’élève, non pas seulement à la fin du premier septénaire, mais
dès le début de l’affection ; nous avons vu au contraire dans l’apoplexie
par obstruction ou par rupture vasculaire , la température tomber au-
dessous du chiffre normal. Les contractures sont beaucoup plus fré¬
quentes dans l’encéphalite; elles peuvent affecter les deux côtés du
corps ; elles persistent plusieurs jours, quelquefois plus longtemps. Les
accidents au lieu de s’amender peu à peu, comme il arrive d’habitude
dans l’hémorrhagie et le ramollissement, s’aggravent progressivement.
Enfin, l’attaque est souvent incomplète dans l’encéphalite; nombre de
malades ne perdent pas connaissance.
La méningite a de nombreux traits de ressemblance avec l’encéphalite,
et il doit en être ainsi, puisque la méningite coïncide presque constam¬
ment avec une inflammation superficielle de's circonvolutions; on ne
confondra pas pourtant une méningite généralisée avec une encéphalite
circonscrite ; la méningite se reconnaît à l’élévation plus considérable de
la température, à l’acuïté des phénomènes d’excitation cérébrale, à l’in¬
tensité de la céphalalgie, à la mobilité et au peu de durée des contrac¬
tures, à la persistance des vomissements.
Quand l’excitation initiale s’est calmée, que l’abcès est enkysté, qu’il
ne donne plus lieu qu’aux signes d’une lésion circonscrite de l’encéphale,
on peut facilement être induit en erreur et croire à une tumeur céré¬
brale, ou à un foyer nécrobiotique. Le début apoplectique n’est pas un
signe différentiel d’une grande valeur, car il n’est pas très-rare que les
tumeurs cérébrales donnent lieu à des attaques apoplectiques ; l’aggra¬
vation progressive des accidents sépare l'abcès de la nécrobiose, mais
non de la tumeur. Les attaques convulsives s’observent également dans
l’une et l’autre affection. C’est par les antécédents du malade, par
l’étude des circonstances qui ont précédé l’apparition des accidents que
l’on arrivera surtout au diagnostic. Si le malade est atteint d’une otite,
d’un phlegmon de l’orbite, de carie des os du crâne, on pensera plutôt
à un abcès ; l’existence d’un traumatisme remontant à quelques semaines
ou même à quelques mois avant le début de la maladie, établit de même
une présomption en faveur de l’abcès.
Enfin la marche des accidents, quand les différentes phases que nous
avons indiquées plus haut se succèdent régulièrement, permet d’établir
le diagnostic.
Pronostic. — Nous n’insisterons pas sur la gravité extrême de l’encé¬
phalite ; elle ressort suffisamment du tableau symptomatique que nous en
avons tracé. L’abcès du cerveau est toujours mortel; quand à l’encé¬
phalite non suppurée, il est trop difficile d’en poser pendant la vie le
140 ENCÉPHALE. — encéphalite.
diagnostic d’une manière précise pour qu’on puisse considérer comme
authentiques les faits de guérison qui ont été publiés. La marche in¬
sidieuse qu’affectent souvent les accidents dans l’encéphalite trauma¬
tique doivent rendre très-réservé sur le pronostic. Quand on voit appa¬
raître, à la suite d’une plaie ou d’une contusion violente de la tête, des
phénomènes cérébraux, même légers, on doit, s’ils persistent, réserver
le pronostic, car on peut voir survenir, à un moment donné, les acci¬
dents formidables qui annoncent l’ouverture de l’abcès dans les cavités
ventriculaires ou à la surface de l’encéphale.
Traitement. — Il ne peut être que palliatif; pourtant, au début, on
doit s’efforcer d’enrayer le travail inflammatoire, ou, tout au moins, d’en
empêcher l’extension, en diminuant la fluxion encéphalique. On aura donc
recours aux antiphlogistiques. Suivant l’état des forces , on pratiquera
la saignée générale, ou l’on appliquera soit des ventouses scarifiées à la
nuque, soit des sangsues derrière les oreilles; si l’état général le permet,
et si la première émission sanguine paraît avoir une action favorable, on
ne craindra pas de pratiquer une seconde saignée ; en même temps on
agira sur l’intestin par les drastiques, tels que Teau-de-vie allemande ou
la poudre de scammonée;'des sinapismes seront appliqués sur les extré¬
mités inférieures. Quelquefois, sous l’influence de ces moyens, les phé¬
nomènes d’excitation cérébrale s’amendent, la fièvre tombe, les con¬
tractures disparaissent, et, si l’on était sûr du diagnostic, on pourrait
croire que l’on a prévenu le développement d’une encéphalite. Ordinaire¬
ment, toute médication échoue; on a conseillé l’application des vésica¬
toires sur le cuir chevelu préalablement rasé : c’est un moyen douloureux
dont nous n’avons retiré, pour notre part, aucun bénéfice.
Si le malade a été antérieurement atteint de syphilis , il faut se hâter
d’employer le traitement spécifique; il faut donner d’emblée des doses
élevées de mercure, èt surtout d’iodure de potassium, car l’essentiel, en
pareil cas, est d’agir promptement. On favorisera l’action de cette médi¬
cation par l’usage des révulsifs cutanés et intestinaux. Malheureusement
on ne peut guère espérer un résultat favorable, car il est reconnu aujour¬
d’hui que l’encéphalite d’origine syphilitique ne le cède guère, en gravité,
aux autres variétés.
On peut agir avec plus d’efficacité sur les états morbides qui prédispo¬
sent à l’encéphalite. Dans les cas de traumatisme, d’inflammation auricu¬
laire, les émissions sanguines, le calomel, rendent de réels services si on
les emploie à temps. Les troubles cérébraux les plus légers doivent être
combattus énergiquement; s’il y a du pus dans la cavité de l’oreille, il
faut lui donner issu, car Toynbee a prouvé que la rétention du pus est la
cause qui amène le plus souvent la propagation de l’inflammation dans
l’intérieur du crâne.
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Encéphalite chronique. — Sclérose de l’encéphale. — A part
les phlegmasies secondaires que provoquent, dans le tissu qui les entoure,
les hémorrhagies, les ramollissements, les abcès et les tumeurs de l’encé¬
phale (uoy. ces mots), la sclérose en foyers disséminés est la seule forme
d’encéphalite chronique que l’on puisse considérer comme bien établie et
bien connue. Nous devons signaler cependant une autre variété décrite
par Hayem, sous le nom d’encéphalite chronique primitive. Plusieurs
fois, particulièrement chez des individus atteints d’alcoolisme chronique,
cet auteur a observé, à la surface des circonvolutions, des plaques jaunes
assez semblables à celles que constituent, dans leur périodes anciennes,
certains foyers nécrobiotiques ; elles adhéraient intimement à la pie-mère,
leur tissu était dense, difficile à dilacérer; l’examen microscopique a
démontré qu’elles étaient surtout composées d’une trame fibreuse et d’un
grand nombre de noyaux arrondis ou allongés ; elles renfermaient , en
outre, des granulations graisseuses, des corps granuleux en petit nombre
et du pigment hématique. La nature inflammatoire de ces lésions ne
14S
ENCÉPHALE. — EKcÉPiiAUTE chroniqde.
nous paraît pas douteuse; l’intégrité des vaisseaux, le petit nombre
de corps granuleux contenus dans les plaques, montrent qu’il ne s’a¬
gissait pas d’infarctus transformés. Nous nous rallions donc volontiers
à l’opinion de Yulpian et Hayem, qui voient, dans ces lésions, des encé¬
phalites primitives; elles ne présentent d’ailleurs, jusqu’ici, d’intérêt
qu’au point de vue de l’anatomie pathologique pure, car on ne sait rien
ni de leurs conditions pathogéniques., ni de leur histoire clinique. On a
encore rattaché à l’encéphalite chronique diverses altérations qui nous
paraissent susceptibles d’être interprétées différemment. Telles sont :
1“ l’induration diffuse de l’encéphale, que l’on rencontrerait quelquefois,
d’après Buhl, à la suite des fièvres graves. L’examen histologique n’a
pas été pratiqué, et rien ne prouve que ce soit là une altération d’ori¬
gine inflammatoire ; 2“ la forme décrite sous le nom de sclérose lo-
baire. On trouve les éléments nerveux atrophiés, les tubes sont réduits
à leur cylindre-axe et à leur gaîne; on voit dans le tissu une quantiié
anormale de tissu conjonctif. On peut soutenir qu’en pareil cas, l’atro¬
phie des nerfs est le phénomène primitif, que l’induration du tissu est
due surtout à la persistance des gaines et que l’épaississement du tissu
interstitiel ne se produit que secondairement;' enfin, 3° dans d’autres
faits rapportés à l’encéphalite, le tissu morbide formait une tumeur plus
ou moins saillante à la surface de l’encéphale, et, par conséquent, il
semble qu’il ne s’agissait pas d’une simple phlegmasie.
En somme, il est probable que le cadre de l’encéphalite chronique est
destiné à s’agrandir; il doit exister des formes chroniques répondant aux
lésions subaiguës que nous avons décrites, mais jusqu’ici les faits ne sont
ni assez nombreux, ni assez démonstratifs, pour qu’on puisse admettre
de nouvelles variétés. La sclérose en foyer diffus fera seule l’objet de notre
description.
On entend par sclérose un processus qui, débutant par la prolifération
des éléments interstitiels d’un organe, amène consécutivement l’atrophie
de ses éléments propres. Cette expression a été ainsi détournée de sa
signification primitive ; elle n’implique plus nécessairement l’idée d’indu¬
ration, car, dans les premières périodes du travail morbide, la consistance
des parties peut être diminuée; elle n’augmente que plus tard, quand le
tissu de nouvelle formation s’est rétracté , et que les éléments propres du
parenchyme ont disparu. La sclérose de l’encéphale coïncide fréquemment
avec celle de la moelle ; pourtant elle peut exister isolément. Quand la
moelle est intéressée, il y a généralement prédominance des lésions dans
l’un des deux organes ; de sorte que l’on peut admettre une sclérose
encéphalique avec noyaux spinaux, et une sclérose spinale avec noyaux
cérébraux.
Genèse et étiologie. — Les causes de la sclérose cérébrale sont obscures.
Dans quelques observations , l’hérédité semble avoir joué un rôle ; les
ascendants avaient été atteints de maladies du système nerveux central,
telles que l’épilepsie, l’hystérie, la paralysie générale. Dans quelques cas,
l’action du froid humide paraît avoir favorisé le développement de la
ENCÉPHALE. - ENCÉPHALITE CHRONIQUE. 143
maladie; on a également attribué une influence pathogénique à l’abus
des liqueurs alcooliques, aux excès de travail intellectuel, aux émotions
tristes, à la grossesse. La maladie semble affecter les deux sexes dans
une proportion à peu près égale ; elle appartient surtout à l’âge adulte.
Deux fois seulement on l’a observée chez des sujets qui avaient dépassé
cinquante ans.
Anatomie pathologique. — Habituellement l’aspect extérieur de l’encé¬
phale n’est pas modifié; quelquefois les sillons sont moins profonds, les
circonvolutions aplaties; il semble que l’encéphale ait augmenté de volume
et que sa surface ait été comprimée par les parois crâniennes. Les noyaux
scléreux affectent surtout la substance blanche; ils sont rares dans la
substance grise. On ne les rencontre qu’exceptionnellement à la surface
des circonvolutions ; dans ce cas ils peuvent facilement échapper à un
examen superficiel. Leur coloration ambrée se confond presque avec la
teinte grisâtre des circonvolutions; en les regardant attentivement on
voit qu’ils sont plus foncés; on les reconnaît à leur dureté. Les foyers
scléreux sont également rares dans les noyaux gris des corps striés; assez
fréquemment ils occupent les parois des ventricules latéraux, le centre
ovale, le cervelet, les pédoncules cérébraux, la protubérance. Dans le
bulbe , les noyaux intéressent surtout les pyramides , quelquefois les
olives.
Le nombre des noyaux varie beaucoup ; dans un fait de Hasse, il y en
avait plus de deux cents. Leur forme est irrégulièrement ronde ou ovoïde;
leurs dimensions varient beaucoup; quelques-uns atteignent de 5 à 4
centimètres dans leur plus grand diamètre; leur consistance est géné¬
ralement ferme, assez semblable à celle de l’albumine cuite. Quelquefois
l’induration est plus marquée; le tissu malade résiste à la coupe et crie
sous le scalpel.
Au microscope, on voit que les limites du foyer ne sont pas aussi nettes
que l’examen à l’œil nu pourrait le faire supposer; si l’on examine les
parties qui entourent le foyer, on reconnaît que le tissu interstitiel y est
plus abondant qu’à l’état normal, qu’il contient un plus grand nombre de
noyaux. A la périphérie de la plaque, on voit un réticulum formé par des
fibrilles très-fines qui s’entre-croisent sous des angles divers ; au milieu
se trouvent de nombreux noyaux ; quelques-uns sont entourés d’un corps
cellulaire d’où partent, en nombre variable, des prolongements qui sem¬
blent quelquefois se continuer avec les fibrilles du réticulum ; les tubes
nerveux sont en partie atrophiés ; enfin, le centre de la plaque est formé
par des fibrilles serrées, un petit nombre de noyaux, des corps gra¬
nuleux, des granulations pigmentaires et des cylindres-axes qui repré¬
sentent des tubes nerveux dépouillés de leurs gaines médullaires; les
parois des vaisseaux ont subi un épaississement considérable, les cor¬
puscules conjonctifs de la tunique externe sont multipliés ; on trouve
dans beaucoup de cas, des corps amyloïdes de volume divers. D’après
plusieurs auteurs, le réticulum, dont nous venons de parler, serait un
produit artificiel ; il résulterait de l’action des réactifs; les noyaux seraient
144
ENCÉPHALE. — encéphalite ciironiqde.
plongés dans une substance amorphe finement granulée. Cette discus¬
sion porte aussi bien sur l’état normal que sur l’état pathologique.
D’après Henle, qui soutient cette opinion, la névroglie n’est pas du tissu
conjonctif, elle s’en sépare nettement par ses réactions chimiques, c’est
un tissu spécial , formé d’une gangue homogène et de noyaux , le réti¬
culum n’existe pas; d’autre part, Schultze et Frommann assurent avoir
constaté l’existence de ce réticulum aussi bien à l’état normal que
dans la sclérose, et sans le secours des réactifs; en somme, la question
est à l’étude. On ne peut nier pourtant, qu’au point de vue pathologique,
la névroglie ne se comporte exactement de la même manière que le tissu
connectif dans les autres organes. Certaines lésions ont été plusieurs fois
observées chez des individus atteints de sclérose diffuse ; ce sont surtout
des altérations graisseuses des muscles, des reins et du foie, le ramollis¬
sement de certains os, et particulièrement des vertèbres.
Symptômes. — Les foyers de sclérose ont pour effet principal de para- ’
lyser peu à peu les fonctions des parties dans lesquelles ils se dévelop¬
pent; en raison de leur dissémination, ils donnent lieu à des troubles
diffus de motilité et de sensibilité qui indiquent nécessairement l’existence
de lésions multiples. De temps en temps, mais non dans tous les cas, la
marche chronique de la maladie est troublée par une exacerbation subite
des phénomènes morbides, accompagnée parfois de réaction fébrile ; ces
périodes d’acuïté correspondent aux poussées congestives qui précèdent
la formation d’un nouveau foyer ou que les foyers existants provoquent à
leur périphérie.
Le début est le plus souvent lent, insidieux ; tantôt les symptômes cé¬
phaliques apparaissent les premiers, le malade se plaint de céphalalgie
persistante, de vertiges, d’étourdissements; tantôt il se produit d’abord
une paralysie limitée, un des membres inférieurs s’affaiblit graduellement;
d’autres fois le début est brusque; le malade est tout à coup frappé d’une
hémiplégie incomplète avec ou sans perte de connaissance ; on pourrait
croire qu’il s’est fait une hémorrhagie ou une oblitération artérielle; mais
bientôt l’extension de la paralysie à d’autres parties du corps, l’apparition
de troubles céphaliques et sensoriels, montrent qu’il s’agit de lésions
multiples à évolution lente.
Quand la maladie est confirmée, on observe des troubles de l’intelli¬
gence, de la sensibilité et de la motilité. Il n’y a rien de fixe dans
l’époque de leur apparition, ni dans l’ordre suivant lequel ils se suc¬
cèdent.
Les troubles intellectuels sont presque constants ; fréquemment les fa¬
cultés intellectuelles sont amoindries, la mémoire en particulier s’affaiblit.
Certains malades ont des accès de mélancolie, de l’exaltation religieuse,
du délire ambitieux; un des malades de Valentiner, était dans un état
presque continuel de stupeur. Les vertiges sont un des symptômes les
plus constants, nous les avons notés déjà parmi les accidents initiaux ; ils
surviennent fréquemment quand les malades sont debout, et ils contri¬
buent à empêcher la marche ; les malades les éprouvent également dans
ENCÉPHALE. — encéphalite CHfiONIQDE. i45
leur lit, quelquefois les règles semblent en provoquer le retour. Ces acci¬
dents sont de très-courte durée; si le malade est debout, il chancelle,
cherche un appui; il lui semble qu’il va tomber; au bout d’un instant,
l’étourdissement est passé. Ces accidents ont beaucoup d’analogie avec
ceux que provoque chez les vieillards l’ischémie cérébrale, liée à l’alhé-
rome artériel.
Dans plusieurs observations, il est survenu dans le cours de la maladie
des attaques apoplectiformes ; elles ont été généralement de courte durée
et n’ont pas laissé après elles de paralysies persistantes, mais presque
constamment les accidents ont subi à leur suite une aggravation momen¬
tanée.
Les organes des sens peuvent être dans un état complet d’intégrité;
nous avons vu. que les plaques n’intéressaient qu’exceptionnellement les
nerfs crâniens. Dans une observation deVulpian etLiouville où l’on avait
constaté la perte de l’odorat, on a trouvé à l’autopsie des plaques sclé¬
reuses sur les nerfs olfactifs. La vision peut être affaiblie ou même abolie;
on a constaté dans ce cas une atrophie de la papille. On a noté une fois
la paralysie du moteur oculaire externe, caractérisée par un strabisme
interne et par de la diplopie. La surdité, les bourdonnements d’oreille,
l’affaiblissement du goût sont tout à fait exceptionnels.
Beaucoup de malades se plaignent de céphalalgie; elle n’est pas con¬
stante; elle reparaît à intervalles variables, sous forme d’accès; souvent elle
est fixe et occupe alors, soit la région occipitale, soit la région frontale
Certains malades éprouvent de véritables douleurs fulgurantes, au pourtour
de l’orbite ou dans le fond de l’œil ; les uns les comparent à des coups
d’aiguilles, les autres à des coups de marteau; des douleurs de même na¬
ture se font parfois sentir dans les membres, mais ces symptômes dé¬
pendent des lésions spinales, nous n’y insisterons pas ; nous ne ferons de
même que signaler les anesthésies limitées dont on constate assez souvent
l’existence quand on étudie avec soin l’état de la sensibilité.
Les troubles de la motilité sont de nature diverse, on observe des para¬
lysies, des contractures, des convulsions, du tremblement. Rien de plus
variable que le siège des paralysies ; elles n’affectent généralement, ni la
forme hémiplégique, ni la forme paraplégique. L’affaiblissement débute
le plus souvent lentement ou soudainement par l’un des membres infé¬
rieurs, puis il s’étend à l’autre membre pour gagner ainsi successivement
les membres supérieurs. Il peut n’atteindre que certains groupes de
muscles; et l’on peut alors, par un examen attentif, constater que les
muscles atteints sont animés par le même nerf ; il est quelquefois difficile
de reconnaître quelle est la cause prochaine de la paralysie : dans les cas
où la contractilité électrique est abolie, on peut se prononcer à coup
sûr en faveur de l’origine spinale, mais sa persistance n’indique nulle¬
ment avec certitude que la paralysie dépende d’une lésion cérébrale,
car, ainsi que nous le verrons plus loin [voy. ïnMEuas), les lésions des
tubes nerveux qui relient l’encéphale aux noyaux d’origine des nerfs
spinaux donnent lieu aux mêmes symptômes que les lésions encéphali-
146 ENCÉPHALE. — E^'CÉPHALITE chronique.
ques; dans les cas exceptionnels où la paralysie est hémiplégique, il est
probable que la lésion siège dans l’encéphale. Les phénomènes paraly¬
tiques peuvent faire complètement défaut.
Les contractures sont, comme les paralysies, asymétriques et irréguliè¬
rement distribuées ; elles sont dues à la présence de noyaux scléreux dans
les cordons antéro-latéraux de la moelle ou dans certaines parties de l’en¬
céphale, le bulbe, la protubérance, les pédoncules cérébraux, peut-être
aussi dans les parois ventriculaires; on voit que ce sont, d’une manière
générale, les parties dont l’excitation expérimentale détermine des con¬
tractions musculaires ; le plus souvent la contracture semble être d’origine
spinale ; elle débute par un des membres inférieurs, puis s’étend succes¬
sivement au membre opposé et aux membres supérieurs;' les membres
contracturés sont tantôt dans l’extension, tantôt dans la flexion; si on
essaye de les ramener dans leur attitude normale, on éprouve une vive
résistance dont on ne peut triompher sans provoquer de violentes dou¬
leurs.
Les mouvements réflexes peuvent être, suivant la distribution des lé¬
sions, abolis, exagérés ou normaux. Il survient parfois dans les membres
contracturés, des contractions toniques, douloureuses; d’autres fois, à la
suite d’une douleur, il se produit des mouvements cloniques ; le membre
est brusquement soulevé au-dessus du plan du lit; nous ne faisons que
mentionner ces symptômes qui sont évidemment d’origine spinale, et
ne se produisent d’ailleurs qu’exceptionnellement dans la sclérose dif¬
fuse, sans doute, lorsque les lésions occupent les cordons ou les ra¬
cines postérieures. Nous ne parlerons pas des phénomènes d’ataxie qui
sont assez marqués dans certains cas, surtout dans les premières périodes
de la maladie. Le tremblement est un des symptômes les plus fréquents;
il peut revêtir différentes formes : chez certains sujets, quand on porte
l’extrémité d’un membre dans l’extension forcée et qu’on invite le ma¬
lade à résister, il se produit dans cette extrémité une série de mou¬
vements alternatifs rapides et énergiques ; ce symptôme se rattache sans
doute aux lésions spinales, car on l’a observé dans des cas où les si¬
gnes de sclérose cérébrale faisaient défaut ; d’autres fois les membres
inférieurs sont agités simultanément ou isolément, quelquefois d’une
manière continue, par des secousses très-rapides et peu étendues; ce
tremblement coïncide avec de la contracture, et des convulsions clo¬
niques; Brown-Séquard a décrit cet ensemble de mouvements anor¬
maux sous le nom d’épilepsie spinale; enfin, dans une troisième
forme, qui est fréquente et, d’après Charcot, caractéristique de la
sclérose en plaques, le tremblement survient surtout pendant les
mouvements volontaires. Lorsque le malade est au repos, et que les
membres sont appuyés sur le lit, il ne tremble pas ; mais s’il veut
porter un objet à sa bouche , le membre qui entre en action décrit
immédiatement des oscillations répétées, dontl’amplitude et la brusquerie
augmentent à mesure que la main s’approche du but fixé ; il en est de
même quand le malade veut prendre un objet; s’il essaye de marcher, il
ENCÉPHALE. — encéphalite chronique. 147
chancelle, vacille, perd à chaque instant l’équilibre; non-seulement les
membres, mais le tronc et la tête sont le siège de secousses involontaires;
quand la maladie a atteint une période un peu avancée de son évolution,
la marche devient impossible. Ce tremblement se produit quelquefois,
même alors que le malade est au repos, sous l’influence d’émotions mo¬
rales ou de fatigues intellectuelles.
La physiologie pathologique de ce symptôme n’est pas encore faite ;
l’expérimentation montre bien que dans certains cas il est dû à une mo¬
dification de l’innervation bulbaire ; Vulpian a enlevé le cerveau, le cer¬
velet et la protubérance à des animaux chez lesquels il avait provoqué
du tremblement "au moyen de la nicotine, et le tremblement persis¬
tait ; il n’a cessé qu’au moment où l’on a sectionné le bulbe. Cette ex¬
périence ne nous semble pas démonstrative en ce qui concerne le trem:
blement de la sclérose en foyers disséminés ; ce symptôme se présente
dans cette affection sous une forme toute spéciale, et rien ne prouve
qu’il reconnaisse alors le même mécanisme physiologique que dans
l’empoisonnement par la nicotine; il est certain pourtant qu’il n’est pas
dû à une lésion spinale, car il fait défaut dans les cas où les lésions sont
limitées à la moelle.
Nous rapprocherons du tremblement un symptôme qui a été noté dans
quelques observations, le nystagmus. D’après Gadaud, qui s’appuie par¬
ticulièrement sur les résultats de l’expérimentation, il serait dû aux lésions
de la partie du mésocéphale qui unit le bulbe à la protubérance ; il ré¬
sulterait, comme les mouvements de rotation et de manège, de con¬
vulsions musculaires produites par une excitation nerveuse, excitation
qui, dans ce cas particulier, porterait sur les centres des ■ mouvements
associés de l’œil. Cette interprétation n’est applicable qu’à certaines
formes de nystagmus; dans la sclérose, ce symptôme peut s’expliquer
simplement par une légère parésie des muscles de l’œil.
Les troubles de la parole existent dans la plupart des cas; ils semblent
porter exclusivement sur l’articulation; les malades parlent lentement,
chaque mot est comme scandé et séparé du précédent par une légère hé¬
sitation; il en résulte une élocution singulière, toute spéciale, presque
caractéristique. A une période plus avancée, ces désordres peuvent s’ac¬
centuer davantage ; l’articulation devient plus imparfaite ; les malades
balbutient et ont peine à se faire comprendre.
Les troubles viscéraux sont assez fréquents. Dans l’observation de Zen-
ker, de violents accès de gastralgie avaient précédé l’apparition des phé¬
nomènes paralytiques. Dans plusieurs cas, on a noté des vomissements
réitérés et même des hématémèses ; l’incontinence de l’urine et des
matières fécales peut s’observer à une période peu avancée de la
maladie.
Rien de plus variable que la marche de la maladie ; elle est essentielle¬
ment chronique. Pourtant, au moment des poussées congestives que
nous avons signalées, la céphalalgie s’exaspère, les vertiges se repro¬
duisent plus fréquemment, le tremblement devient plus intense, quel-
148 ENCÉPHALE. — encéphalite chronique.
quefois le pouls s’accélère, la température générale s’élève légèrement
pendant quelques jours; il peut survenir une attaque apoplectiforme
de courte durée.
La durée de la maladie n’a rien de fixe ; certains malades ont suc¬
combé au bout de peu de temps; d’autres ont survécu dix ans. La mort
est amenée, soit par les progrès de l’affaiblissement et la formation
d’eschares au sacrum, soit par asphyxie, soit par une maladie inter¬
currente.
Diagnostic. — On peut confondre la sclérose encéphalique avec l’ataxie
locomotrice, la paralysie agitante et les tumeurs multiples des centres
nerveux. La confusion avec l’ataxie locomotrice peut d’autant mieux être
commise que, dans les cas où les cordons postérieurs sont intéressés, la
sclérose en foyers diffus donne lieu à des phénomènes ataxiques; on re¬
connaîtra la sclérose diffuse à l’existence de troubles fonctionnels qui ne
peuvent s’expliquer par la lésion isolée des cordons postérieurs et qui
indiquent l’existence d’altérations multiples et disséminées; tels sont les
paralysies et les anesthésies limitées, le tremblement spécial, le trouble'
de la parole, les paralysies sensorielles, etc.
Dans les cas où le tremblement est très-prononcé, on pourrait croire
à une paralysie agitante ; mais dans cette dernière maladie qui, jusqu’ici,
a été incomplètement étudiée et comprend sans doute, réunies sous une
même dénomination, plusieurs affections distinctes, les troubles diffus de
la motilité et de la sensibilité n’existent pas ; les douleurs, les symptômes
céphaliques font défaut ; le tremblement diffère beaucoup de celui de la
sclérose; il est continu, constitué par des oscillations régulières, rhytli-
miqiies; il diminue généralement ou même cesse complètement lorsque
le malade veut exécuter un mouvement volontaire.
Le diagnostic avec les tumeurs de l’encéphale peut être d’uhe grande
difficulté; on comprend que des néoplasies multiples , siégeant dans les
parties qu’occupent habituellement les foyers de sclérose, donnent lieu
à des symptômes semblables à ceux de cette maladie ; autant le diagnostic
est simple quand ces affections se présentent sous leur forme typique,
autant il devient difficile quand les symptômes sont mal caractérisés, et
dans certains cas il est impossible de se prononcer.
La paralysie générale se distingue suffisamment de la sclérose par la
nature des troubles intellectuels.
Pronostic. — On ne connaît pas jusqu’ici de cas de guérison ; la mala¬
die peut rester longtemps stationnaire, mais elle reprend toujours sa
marche progressive ; les attaques apoplectiformes sont des symptômes fâ¬
cheux, car elles sont habituellement suivies d’une aggravation des ac¬
cidents.
Traitement. — Le pronostic constamment fatal de la maladie indique
suffisamment que les diverses médications employées ont échoué; l’iodure
de potassium, le seigle ergoté, le nitrate d’argent, la strychnine, le chlo¬
rure d’or, le phosphore de zinc, la révulsion profonde pratiquée par le
moyen de sétons et de cautères, l’électricité et l’hydrothérapie ont été
ENCÉPHALE, — hydrocéphalie. . 149
successivement essayés sans succès. Quand la maladie est dans sa pre¬
mière période, on peut tenter de combattre le travail inflammatoire par
les mercuriaux à dose altérante; plus tard, on pourra recourir au nitrate
d’argent; ce médicament a paru, dans quelques cas, avoir une action fa¬
vorable et amener un temps d’arrêt dans l’évolution de la maladie. Cer¬
tains symptômes exigent une intervention active; on emploiera contre les
fluxions céphaliques les saignées locales et les révulsifs intestinaux.
Les douleurs, parfois pénibles, seront efficacement combattues par les
injections sous-cutanées et par le bromure de potassium. Les injections
de chlorhydrate de morphine amènent habituellement un soulagement
presque instantané, mais pour quelques heures seulement ; elles ont l’in¬
convénient de provoquer fréquemment des vomissements. L’atropine
nous a paru agir avec moins d'efficacité ; c’est d’ailleurs un médicament
dangereux à manier ; il suffit quelquefois de 3 milligrammes pour dé¬
terminer des accidents. Le bromure de potassium doit être donné d’em¬
blée à dose de 3 ou 4 grammes ; administré en plus faibles proportions
il soulage rarement ; on peut aller sans danger jusqu’à 6 grammes ; il est
rare qu’à cette dose ce médicament n’amène pas la sédation des phéno¬
mènes nerveux. Si on le donne à dose plus élevée, il faut en surveiller
attentivement les effets ; on ne peut porter la dose à 8 grammes pendant
plusieurs jours consécutifs sans provoquer des accidents (Vulpian), par¬
ticulièrement de l’affaiblissement musculaire, de l’incontinence d’urine^
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Hydrocéphalie. — On désigne sous cette dénomination l’hydropisie de
l’encéphale , c’est dire qu’elle s’applique à tous les épanchements séreux
i ■ ENCÉPHALE. — hïdrocéphalie.
.qui ^fpnt dans les cavités de l’encéphale ou dans ses membranes, à l’ex-
_jl^mf^’des exsudais séro-fibrineux d’origine inflammatoire. L’hydrocé-
phaliq/peut se développer postérieurement ou antérieurement à l’ossifica-
lîé^'des parois crâniennes ; on dit , dans le premier cas, qu’elle est ac-
-epi'ise , dans le second, qu’elle est congénitale ; ces deux variétés méritent
une étude distincte ; la première sera l’objet de ce chapitre.
Les épanchements les plus considérables et les plus importants par les
troubles fonctionnels auxquels ils donnent lieu sont ceux qui siègent dans
les ventricules cérébraux ; c’est à eux surtout que se rapportera notre des¬
cription. Le liquide peut encore s’épancher dans le tissu interstitiel de
l’encéphale, dans les mailles de la pie-mère et les espaces sous-arach¬
noïdiens, enfin entre l’arachnoïde et la dure-mère, dans la cavité que
formerait cette membrane en se réfléchissant sur la dure-mère.
Gekèse et étiologie. — L’hydrocéphalie peut, comme toutes les hydro-
pisies, reconnaître deux ordres de causes ; les unes, mécaniques, mettailt
obstacle à la déplétion des capillaires ; les autres, plus générales, altérant
le sang dans sa composition.
Toutes les lésions qui, directement ou indirectement, gênent la circu¬
lation en retour de l’encéphale peuvent amener l’hydrocéphalie. Elles
siègent dans Tintérieur ou en dehors de la cavité crânienne. Parmi les pre¬
mières, nous citerons les tumeurs de l’encéphale, des méninges et des pa¬
rois crâniennes, les exsudats méningés, les anévrysmes ; ces différentes
productions peuvent comprimer les veines encéphaliques ou les sinus de la
dure-mère. La thrombose des veines, qu’elle soit sous l’influence d’une
inflammation locale ou d’une état général, peut également donner lieu à
l’hydrocéphalie. Il n’est pas rare qu’un épanchement séreux coïncide avec
la présence de granulations tuberculeuses dans les méninges et semble
être sous la dépendance de ces néoplasmes ; la pathogénie de l’hydropisie
est alors plus obscure ; on ne conçoit guère au premier abord comment
de telles lésions peuvent apporter dans la circulation une gêne assez
considérable pour provoquer la transsudation du sérum; il semble qu’il y
ait disproportion entre la cause et l’effet ; il faut remarquer pourtant que
les tubercules siègent pour la plupart sur le trajet des petits vaisseaux
et qu’ils en amènent l’oblitération ; si un grand nombre de petites veines
deviennent ainsi imperméables, on comprend aisément qu’il en résulte une
hydropisie. D’ailleurs dans la tuberculose, un autre élément, la dyscrasie,
intervient et suffit, dans la plupart des cas, à expliquer l’hydrocéphalie. En
dehors du crâne, toutes les tumeurs qui compriment les veines jugulaires,
les troncs brachio-céphaliques ou la veine cave supérieure, les lésions qui
mettent obstacle à la circulation cardio-pulmonaire, particulièrement celles
qui intéressent le cœur droit ou la valvule mitrale et certaines altérations
du poumon, telles que l’emphysème, la pneumonie chronique avec proli¬
fération du tissu interstitiel et compression des petits vaisseaux peuvent
donner lieu à l’hydrocéphalie. Parmi les causes mécaniques nous citerons
enfin l’atrophie du cerveau; cette altération peut résulter des progrès de
l’âge ; plus souvent, même quand on l’observe chez un vieillard, elle est
ENCÉPHALE. — hydrocéphalie. 151
la conséquence tardive d’une lésion datant de l’enfance : quand la masse
nerveuse se trouve réduite dans une proportion considérable, la pression
tend à diminuer dans la cavité crânienne, les parois vasculaires n’étant
plus soutenues cèdent à la tension du sang et se laissent distendre; bientôt
l’excès de la tension intravasculaire aboutit à une transsudation séreuse
plus ou moins abondante (hydrocéphalie ex vacuo) .
Parmi les dyscrasies, celle qui cause le plus fréquemment l’hydrocé¬
phalie , est la maladie de Bright ; lés anasarques indépendantes de
l’albuminurie peuvent également lui donner naissance; deux fois l’un de
nous l'a observée dans des cas où la misère était la seule cause de la
cachexie. L’inanition, la cachexie cancéreuse, la tuberculose, provoquent
plus rarement l’hydrocéphalie. Chez les cancéreux, elle peut résulter,
soit de l’altération du sang, soit de thromboses. C’est à la dyscrasie
qu’il faut également rapporter l’hydrocéphalie qui se développe quelque¬
fois dans le cours de la cirrhose. Nous avons observé plusieurs faits de
ce genre ; le cerveau et ses membranes ne présentaient aucune autre alté¬
ration, et la cirrhose du foie était la seule lésion concomitante.
On a admis une hydrocéphalie primitive se produisant en l’absence de
toute autre lésion; celte opinion ne s’appuie sur aucun fait démonstratif.
L’existence d’une hydrocéphalie aiguë, s’accompagnant de phénomènes
fébriles, n’est pas mieux établie; il est probable que l’on a décrit
sous ce nom de véritables méningites. L’hydrocéphalie coïncide fréquem¬
ment avec d’autres hydropisies, surtout quand elle est d’origine dyscra-
sique, ou que l’obstacle à la circulation siège dans l’appareil cardio¬
pulmonaire ou dans les gros vaisseaux.
Amatojiie pathologique. — L’épanchement de sérosité dans la cavité
de l’arachnoïde, ou plutôt entre cette membrane et la dure-mère, car
l’existence de la cavité arachnoïdienne n’est rien moins que démontrée,
(hydropisie sus-arachnoïdienne, hydrocéphalie externe), n’a qu’une mé¬
diocre importance; il est habituellement peu considérable et coïncide
avec les autres variétés d’hydrocéphalie. On peut surtout en constater
l’existence au moment où l’on retire le cerveau ; le liquide s’accumule
en général dans les fosses occipitales qui se trouvent ordinairement les
parties les plus déclives de la cavité crânienne ; il est toujours mé¬
langé à une certaine quantité de liquide céphalo-rachidien qui s’est
écoulée au moment où l’encéphale a été enlevé. Aussi doit-on tou¬
jours hésiter à lui attribuer une origine pathologique.
L’infiltration séreuse de la pie-mère est une lésion plus fréquente et
plus facile à constater; mais elle n’a de valeur que lorsqu’elle est très-
prononcée, car elle existe à un faible degré dans tous l'es cas où la
circulation veineuse a été entravée pendant les heures qui ont précédé la
mort. Quand le liquide est abondant, il remplit les sillons intermé¬
diaires aux circonvolutions, ainsi que les espaces sous-arachnoïdiens, et
distend la séreuse; la pie-mère infiltrée, tuméfiée, se détache facilement
des circonvolutions, excepté dans les cas où la substance nerveuse a été
ramollie par l’imbibition.
152
ENCEPHALE. — hyorocéphaue.
L’œdème cérébral se reconnaît à un éclat spécial du tissu cérébral , à
l’apparition de gouttelettes aqueuses sur les surfaces de section. Dans les
cas où l’infiltration est considérable, la substance cérébrale est moins
consistante qu’à l’état normal, et, si l’on y marque l’empreinte du doigt,
on voit la petite dépression ainsi formée se remplir peu à peu de liquide.
Ce n’est pas seulement dans le tissu interstitiel que l’eau se trouve en
quantité anormale; la proportion d’eau de constitution contenue dans le
tissu nerveux a elle-même augmenté ; c’est, du moins, ce qui résulte des
recherches de Bühl qui a trouvé, chez des individus morts du typhus,
75 au lieu de 69 pour 100 d’eau dans la substance blanche. C’est surtout
dans les cas où l’hydrocéphalie s’est développée rapidement que l’on
observe l’œdème du cerveau.
L’hydrocépbalie ventriculaire peut atteindre des proportions beaucoup
plus considérables que les précédentes variétés. Quand l’épanchement se
fait vite, il suffit de 50 à 80 grammes de liquide pour donner lieu à des
accidents; dans les cas chroniques, il est beaucoup plus abondant. On
en a trouvé plus de 200 grammes; il est tantôt limpide, transparent,
tantôt trouble, opalescent; il renferme alors des débris de substance
cérébrale, ou des cellules épithéliales; il est pauvre en albumine (60
à 80 pour 1000) ; il contient des sels de potasse. 11 occupe ordinai¬
rement les deux ventricules latéraux et le ventricule moyen; dans
certains cas pourtant, l’bydrocéphalie est unilatérale; quelquefois les
corps striés sont aplatis, le corps calleux soulevé forme une véritable
voûte; rarement la substance nerveuse est ramollie, plus souvent elle
est indurée et semble avoir été comme tassée. La membrane ventricu¬
laire est épaissie ; elle présente souvent de petites saillies dures, formées
de tissu connectif; les plexus choroïdes renferment quelquefois de petits
kystes. L’épanchement peut passer du ventricule moyen dans le corps
pituitaire, distendre cet organe et lui donner des proportions assez consi¬
dérables pour qu’il produise les mêmes troubles fonctionnels qu’une
tumeur de la base du crâne. Dans un cas observé par Willmann, la cavité
du septum lucidum était le siège d’un épanchement. L’hydropisie peut être
limitée à une partie d’un ventricule, par exemple, à l’une des cornes
postérieures; dans un cas, le quatrième ventricule était seul distendu, et
l’une de ses parois, soulevée par le liquide, formait une tumeur qui
comprimait une partie des nerfs bulbaires.
A la longue, l’hydrocéphalie peut amener l’amincissement des parois
crâniennes, le diploé disparaît peu à peu, les tables interne et externe se
rapprochent et se soudent. Dans les cas où le cerveau s’atrophie, l’épais¬
seur des os du crâne augmente généralement.
SniPTOMES. — L’hydrocéphalie a pour effet principal d’élever la pres¬
sion intra-crânienne; la masse encéphalique se trouve ainsi soumise à
une compression dont l’intensité varie avec la quantité de liquide
épanché; les parois vasculaires se rapprochent, le calibre des vaisseaux
diminue et tend à s’effacer ; les éléments nerveux ne reçoivent plus la
quantité de sang nécessaire à l’intégrité de leurs fonctions ; c’est par ce
153
ENCÉPHALE. — hydrocéphalie.
mécanisme, c’est-à-dire par l’anémie de l’encéphale que Traube, Leyden,
Niemeyer expliquent les troubles fonctionnels dans tous les cas où cet or¬
gane est comprimé, soit par un épanchement , soit par une tumeur.
Leyden, dans les expériences où il a étudié les effets de la compression
cérébrale, a vu l’apparition des troubles fonctionnels coïncider avec l’in¬
stant ou la pression s’élevait à un degré suffisant pour triompher de la
tension intra-vasculaire et rétrécir le calibre des vaisseaux. La théorie de
Traube et de Niemeyer est donc d’accord avec les données de l’expéri¬
mentation; nous allons voir que les résultats de l’observation clinique
lui sont également favorables, et que les symptômes de l’hydrocéphale
présentent une frappante analogie avec ceux de l’anémie cérébrale.
La compression s’exerçant simultanément sur les différentes parties de
l’encéphale, les symptômes sont diffus, on n’observe généralement pas de
paralysies limitées; la gravité des troubles fonctionnels est en rapport
avec l’abondance de l’épanchement et, à quantité égale, l’hydropisie
donne lieu à des désordres d’autant plus marqués qu’elle se produit plus
rapidement. Quand l’épanchement se forme ou augmente brusquement,
les fonctions cérébrales peuvent tout d’abord être paralysées; plus souvent,
suivant les lois que nous avons établies plus haut {voy. Anémie cérébrale),
une période d’excitation précède l’apparition des phénomènes dépressifs.
Au point de vue clinique, on peut distinguer une forme apoplectique, une
forme rapide, une forme lente.
Dans la forme apoplectique, le malade perd subitement connaissance,
il est insensible à toute excitation, les membres sont dans la résolution ;
quelquefois, ils sont contracturés ou agités par des mouvements convul¬
sifs; des évacuations involontaires se produisent, la respiration s’embar¬
rasse, la mort survient au bout de quelques heures; rarement le coma se
prolonge pendant deux ou trois jours; la mort peut être presque instan¬
tanée. L’un de nous a vu succomber ainsi en dix minutes, un indi¬
vidu atteint d’une carie du rocher ; dans ces cas, l’hydropisie n’est pas
limitée aux ventricules, il y a de l’œdème cérébral, et particulièrement du
mésocépbale; l’irruption brusque du liquide dans la cavité du quatrième
ventricule pourrait également amener presque instantanément la mort du
malade en paralysant le centre d’innervation des mouvements respiratoires.
Dans la forme rapide, les symptômes de paralysie cérébrale n’apparais¬
sent qu’après une période d’excitation. Les enfants sont pris de convul¬
sions qui se reproduisent par accès à intervalles plus ou moins rappro¬
chés, et s’accompagnent de perte de connaissance. Chez les adultes, le
symptôme le plus constant est le délire : les malades, en proie à une vive
agitation, veulent quitter leur lit, ils ont des hallucinations de la vue et
de l’ouïe, ils ne reconnaissent pas les personnes qui les entourent; en
même temps il se produit parfois des contractures, des convulsions géné¬
rales ou partielles; la mort peut survenir dans cette période; plus habi¬
tuellement, l’agitationse calme peu à peu, le délire fait place à la stupeur,
à la somnolence, et bientôt au coma. Alors surviennent quelquefois des
rémissions remarquables qui donnent à la maladie une physionomie
154
ENCEPIIALl']. - lIYDIlOCÉi'HALIE.
toute. spéciale: les malades reprenuent en partie connaissance, ils peuvent
s’asseoir sur le lit, répondre aux questions qu’on leur adresse; ces amé¬
liorations sont de peu de durée, mais elles peuvent se reproduire plusieurs
fois. Chez un de nos malades atteint de cirrhose du foie, ces rémissions
se sont renouvelées, à intervalles à peu près réguliers, pendant plusieurs
jours ; le soir, il était plongé dans un état de stupeur voisin du coma,
privé de connaissance, insensible aux excitations; la respiration était ster-
toreuse; le matin, il parlait, buvait seul, cherchait à se lever. Il est pro¬
bable que les périodes de dépression correspondent à la transsudation
d’une nouvelle quantité de liquide ; les éléments nerveux sont d’abord
paralysés; puis ils s’habituent peu à peu à la perturbation que l’au¬
gmentation de l’exsudât apporte dans leurs fonctions, ils recouvrent en
partie leur activité et la rémission se produit. C’est sous cette forme ra-
pide que l’hydrocéphalie se présente le plus souvent à l’observation. Il
faut toujours penser à cette affection quand il survient des phénomènes
cérébraux dans le cours de la pbthisie pulmonaire, de la maladie de Bright
ou à la suité d’une scarlatine.
On a noté l’existence de paralysies localisées, dans quelques observa¬
tions d’hydrocéphalie rapide ; dans ces cas tout à fait exceptionnels, la
lésion cérébrale était elle-même circonscrite. Nous citerons pour exemple
le fait de Meissner où l’hydropisie était limitée à l’un des ventricules.
On décrit sous le nom d’hydrocéphalie aiguë une maladie qui survien¬
drait chez les enfants à la suite des exanthèmes fébriles, donnerait lieu à
des accès convulsifs et à de la fièvre, et se terminerait en peu de temps par
la mort. Nous ne trouvons, ni dans la description que l’on donne de celte
affection , ni dans les observations que l’on invoque pour en établir la
réalité, aucun caractère qui n’appartienne également à l’inflammation des
méninges. Aucun fait jusqu’ici n’autorise donc à admettre l’existence d’une
hydrocéphale aiguë analogue à l’anasarque et à l’ascite dites essentielles, et
les observations publiées sous ce titre doivent être interprétées dans le
sens de méningites avec épanchement.
La forme lente donne lieu, chez les enfants, aux mêmes symptômes que
l’hydrocéphalie congénitale , nous en donnerons la description dans le
chapitre suivant. Chez l’adulte, elle peut être primitive ou succéder à
la forme rapide. On l’observe chez les phthisiques, chez les individus ca¬
chectiques ; elle peut intervenir comme complication chez des sujets
atteints de tumeurs cérébrales, de pachyméningite, de congestions répé¬
tées. Elle se traduit surtout par des troubles de l’intelligence et de la mo¬
tilité. Au début, les malades se plaignent de vertiges, de céphalalgie; leur
mémoire s’affaiblit, leur parole est lente, hésitante, embarrassée; plus
tard, la marche, d’abord incertaine et vacillante, devient tout à fait
impossible ; les malades tombent dans un état habituel d’hébétude, de
stupeur, qui parfois fait place momentanément à de l’excitation; sou¬
vent, ce sont des accès de subdelirium; rarement les membres sont
agités de mouvements convulsifs. La terminaison fatale peut être préci¬
pitée par une attaque apoplectifornie ; plus souvent les symptômes s’ag-
ENCÉPHALE. - HYDROCÉPHALIE. i 55
gravent progressivement ; la somnolence devient presque continuelle ;
le malade tombe dans le coma et finit par succomber aux progrès de
l’épaiicbement. D’autres fois, la mort est le résultat d’une complication
ou d’une maladie intercurrente ; celles que l’on doit surtout redouter sont
les escbares, le catarrhe vésical et les pneumonies secondaires.
Diagmostic. — La forme apoplectique, connue sous le nom d’apoplexie
séreuse, ne peut être distinguée par ses symptômes des apoplexies liées à
l’hémorrbagie, à l’embolie artérielle, à la congestion; quelle que soit la
cause de l’attaque, le complexus symptomatique est le même ; on ne peut
arriver au diagnostic que par la connaissance des antécédents et l’étude
des phénomènes concomitants. Si le malade a présenté les signes d’une
tumeur cérébrale, s’il est atteint d’une cachexie qui prédispose aux hy-
dropisies,et surtout s’il existe de l’anasarque et de l’hydropisie des cavités
séreuses, on peut pencher en faveur de l’apoplexie séreuse, sans rien
affirmer pourtant, car nous avons vu plus haut que la maladie de Bright
causait quelquefois l’hémorrhagie cérébrale.
La forme rapide, quand elle se produit dans le cours de la phthisie
pulmonaire, pourrait être confondue avec une méningite ; souvent l’ex¬
ploration thermométrique donnera le .diagnostic; si la température ne
s’élève pas au-dessus du chiffre normal, on peut affirmer que les accidents
cérébraux ne dépendent pas d’une phlegmasie méningée ; mais, dans le
cas contraire, l’existence de la fièvre n’exclut pas l’hydrocéphalie , puis¬
qu’on peut l’attribuer aux lésions de l’appareil respiratoire ; l'intensité de
la céphalalgie, les contractures partielles, les vomissements sont plutôt des
signes de méningite.
Les symptômes des hémorrhagies qui se produisent dans le cours de
la pachyméningite présentent, dans certains cas, une grande analogie
avec ceux de l’hydrocéphalie, et le diagnostic entre les deux affections
peut être difficile ; c’est particulièrement dans les cas de cirrhose que
l’erreur peut-être commise ; l’existence de l’alcoolisme, l’absence d’hydro-
pisies concomitantes, portent tout d’abord l’observateur à voir dans les
accidents cérébraux le résultat d’une pachyméningite ; dans celle affec¬
tion, comme dans l’hydrocéphalie, les symptômes sont diffus, il n’y pas
de fièvre, pas de vomissements ; le cours de la maladie est coupé par plu¬
sieurs épisodes apoplectiformes ou par des phases de coma et de somno¬
lence; la durée peut seule, dans certains cas, conduire au diagnostic; la
pachyméningite se développe beaucoup plus lentement que l’hydrocépha¬
lie ; ce n’est souvent que plusieurs mois après le début de l’affection que
les symptômes gravés se manifestent ; si l’on est privé de renseignements
sur les antécédents du malade, il est dans certains cas impossible de se
prononcer.
Lorsque des accidents cérébraux se produisent dans le cours d’une scar¬
latine ou d’une maladie de Bright, la confusion est facile entre l’hydro¬
céphalie et l’encéphalopathie urémique ; l’existence d’une anasarque con¬
sidérable , d’épanchements dans les séreuses , l’absence de convulsions,
et de troubles gastro-intestinaux ne constituent que de simples présomp-
156 ENCÉPHALE. — hydrocépjialite.
lions en faveur de l’hydrocéphalie. Les seuls éléments de diagnostic sont
fournis par l’examen des urines ; la diminution de la quantité d’urine ex¬
crétée, l’abaissement de son poids spécifique, la présence dans ce liquide
de cylindres granulo-graisseux et surtout des cylindres dits colloïdes qui
indiquent une destruction complète de l’épithélium, permettent de con¬
clure avec une grande probabilité à l’existence d’une intoxication uré¬
mique.
Pronostic. — Il est des plus graves; la forme lente ne guérit jamais ,
et pendant toute sa durée, qui peut être fort longue, la situation du ma¬
lade est des plus lamentables ; les formes rapides se terminent presque
toujours par la mort; pourtant dans les cas où la maladie n’est pas liée à
une affection organique incurable, la guérison est possible, et, quand elle
a lieu, elle est ordinairement rapide et complète.
Tbaitejient. — Dans la forme apoplectique, on peut avoir utilement re¬
cours aux émissions sanguines, et surtout à la saignée, si l’état de la nutrition
générale ne constitue pas une contre-indication ; on peut espérer que la
soustraction soudaine d’une quantité considérable de sang arrêtera l’exha¬
lation séreuse, en diminuant la tension artérielle et même qu’elle facilitera
ainsi la résorption de l’épanchement. Les émissions sanguines sont égale¬
ment indiquées dans les formes rapides où l’affection semble résulter d’un
obstacle à la circulation veineuse. On s’efforcera en même temps d’obtenir
d’abondantes évacuations intestinales par l’administration des drastiques,
particulièrement de l’eau-de-vie allemande, de la gomme-gutte, de la
scammonée ; on agira sur les reins par les sels de nitre ; nous prescri¬
vons habituellement en pareil cas, l’infusion de genièvre avec addition de
six à huit grammes d’acétate de potasse par litre. Enfin de larges vésica¬
toires seront appliqués simultanément à la nuque et aux membres infé¬
rieurs ; ils agiront d’une part en excitant les extrémités des nerfs sensi¬
tifs et en stimulant ainsi l’activité des éléments nerveux, d’autre part en
amenant l’élimination d’une certaine quantité de liquide. Ce que nous
avons dit du pronostic indique suffisamment que l’on est réduit à l’im¬
puissance dans la forme chronique, on peut tout au plus éloigner la ter¬
minaison fatale en combattant, par les moyens appropriés, les accidents
apoplectiformes qui interrompent parfois la marche essentiellement chro¬
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Hydrocéphalie congénitale. — Hydrocéphalie chronique.
— Genèse ET étiologie. — Nous décrirons sous ce nom les différentes va¬
riétés d’hydrocéphalie, que l’on observe dans la première enfance, celles
qui débutent pendant la vie intra-utérine, et celles qui se développent
plusieurs mois ou peu d’années après la naissance.
On cite, sans preuves suffisantes, comme prédisposant à cette affection,
la vieillesse des parents, leurs habitudes alcooliques, les excès de coït, les
contusions et la compression du ventre pendant la grossesse, la compres¬
sion de la tête pendant l’accouchement ; les seules causes qui paraissent
bien établies sont l’existence du crétinisme chez les ascendants, la com¬
pression des veines, l’inflammation chronique de l'épendyme ventricu¬
laire, les arrêts de développement de l’encéphale ; des faits nombreux
montrent la réalité de l’influence héréditaire et la corrélation qui existe
entre le développement de l’hydrocéphale et celui du crétinisme. Gœlis
rapporte qu’une femme eut consécutivement six enfants atteints d’hydro¬
céphalie; il n’est pas très-rare que dans une famille, un ou deux enfants
soient affectés d’hydrocéphalie et les autres de crétinisme.
Anatomie pathologique. — La quantité de liquide épanchée est ordi¬
nairement considérable quand l’hydropisie se produit avant l’ossification
des sutures, elle peut s’élever jusiju’à vingt et même vingt-cinq livres; au
contraire, quand l’épanchement se fait après l’ossification complète du
crâne, il est beaucoup moins abondant. Le liquide est généralement clair,
un peu jaunâtre, il ne renferme qu’une faible quantité d’éléments solides.
Marcet n’y a trouvé que 0,112 de matières muqueuses et albuminoïdes;
dans une analyse de Hilger, le liquide contenait 0,246 pour 100 d’albu¬
mine, des sels en faibles proporlions, particulièremént des sels de soude
et une matière organique peu différente de la leucine.
Les cavités de l’encéphale sont agrandies; la cloison transparente peut
être atrophiée, déchirée et perforée, les ventricules latéraux .communi¬
quent alors librement entre eux; les trous de Mouro, l’aqueduc de
Sylvius sont dilatés, et l’infundibulum êst refoulé, l’épendyme présente
souvent une épaisseur et une vascularisation anormales, sa surface sup¬
porte alors de petites granulations ; ces diverses lésions sont probable¬
ment le résultat d’un travail inflammatoire. Les corps striés sont apla¬
tis; le cerveau a subi habituellement une atrophie totale ou partielle;
quelquefois il ne reste plus autour des cavités ventriculaires, énormé¬
ment dilatées et distendues par le liquide, qu’une couche mince, mem-
braniforme ; les hémisphères ne sont plus représentés que par une sorte
de kyste à parois minces , grisâtres, médiocrement consistantes, derni-
transparentes, dans lesquelles on trouve des éléments nerveux plus ou
moins altérés, des vaisseaux, du tissu conjonctif, et généralement un
grand nombre de corps amyloïdes.
158 ENCÉPIIÂLE. — hydrocéphalie congénitale.
La tête augmente de volume proportionnellement à la quantité de
liquide épanchée; elle commence à grossir avant ou après la naissance,
suivant l’époque à laquelle se fait l’hydrocéphalie. Elle peut atteindre un
volume énorme : Franck a vu, chez un enfant de dix mois, la circon¬
férence du crâne mesurer 1,40 ; par contre, le volume du crâne peut
s’abaisser au-dessous de ses dimensions normales. L’hypermégalie ne
porte pas également sur toutes les parties des parois crâniennes : dans
certains cas, c’est surtout une moitié du crâne qui s’agrandit ; d’autres
fois, ce sont les régions frontales et sincipitales qui se développent à
l’excès, de sorte que le diamètre vertical de la tête s’allonge démesuré¬
ment : la saillie des frontaux entraîne la dépression des voûtes orbitaires,
la saillie des globes oculaires et l’œdème des paupières; les fosses
temporales sont effacées ; la face, dont les dimensions restent normales,
contraste par sa petitesse relative avec l’énorme développement du crâne.
Les os de la voûte s’atrophient; le diploé disparaît; les lames compactes,
soudées entre elles, peuvent s’amincir au point de devenir translucides.
Quand l’épanchement se fait avant l’ossification des sutures, les os de la
voûte s’écartent; ils sont alors séparés par des espaces’ membraneux dans
lesquels il se forme fréquemment des points d’ossification ; le développe¬
ment des os de la base est également entravé, contrairement à ce que
l’on pensait autrefois. Rarement l’ossification du crâne est complète
avant la cinquième année ; les os supplémentaires s’agrandissent peu à
peu en surface et se soudent entre eux et avec les os du crâne. Dans cer¬
tains cas, le travail d’ossification dépasse les limites physiologiques; les
parois crâniennes acquièrent une épaisseur exagérée, soit dans toute
leur étendue, soit dans certaines régions seulement; il peut en résulter
la déformation et l’asymétrie de la tête. Chez certains sujets, l’ossifica¬
tion ne s’achève que très-tard; des espaces membraneux persistent au
niveau des sutures et des fontanelles.
L’hydrocéphalie coïncide souvent avec d’autres vices de conformation,
entre autres le spina bifida et le bec-de-lièvre.
Symptôjœs. — Leur gravité est en relation avec la quantité de liquide
épanchée; quand l’hydrocéphalie est considérable au moment de la nais¬
sance, les enfants meurent habituellement au bout de peu d’instants ;
rarement ils survivent quelques jours.
Ordinairement les symptômes n’apparaissent qu’au bout de quelques
semaines ou de quelques mois. C’est souvent la déformation de la tête qui
attire en premier lieu l’attention; la proéminence de la région frontale, la
petitesse relative delà face donnent à l’enfant une physionomie étrange;
les fontanelles s’agrandissent ; la tête, trop lourde pour être maintenue
par les muscles du cou dans son attitude normale, tombe de côté.
Pendant la première année, ces symptômes sont souvent les seuls qui
puissent révéler l’existence de la maladie ; mais à l’époque où d’habi¬
tude l’enfant commence à donner des signes d’intelligence, on est frappé
de la lenteur avec laquelle il se développe. Il reste étranger à ce qui se
fait autour de lui ; il n’apprend pas à marcher; la face a une expression
ENCÉPHALE. — nYDnocÉPHALip, congénitale. 159
d’hébétement et d’apathie; la nutrition se fait mal, les forces n’augmen¬
tent pas, les membres restent petits et leur gracilité contraste avec le
volume de la tête. L’enfant peut dès lors s’affaiblir graduellement et
mourir d’épuisement; d’autres fois la mort est provoquée par des accès
convulsifs.
Quand l’enfant résiste, la maladie se manifeste par des symptômes plus
caractérisés à mesure qu’il avance en âge. S’il peut apprendre à parler,
il n’y parvient que très-lentement et péniblement; il trouve difficilement
les mots; la voix est aigre, d’un timbre désagréable, rarement il apprend
à lire et à écrire ; on ne peut que difficilement fixer son attention et on
n'y réussit que pour un instant ; constamment il reste dans un état d’hé¬
bétude, presque de stupeur ; son regard incertain ne se fixe pas; il est in¬
sensible aux caresses de ses parents. Assez souvent la vue est affaiblie,
les pupilles sont inégalement dilatées, les globes oculaires sont agités d’un
tremblement incessant ; l’odorat, le goût sont habituellement conservés;
la surdité n’est pas très-rare ; souvent les malades accusent des four¬
millements dans les extrémités, des douleurs dans les membres : quel¬
quefois la tête tremble, les muscles masticateurs se* contractent auto¬
matiquement ; les lèvres entr’ouvertes laissent écouler la salive ; quand
la marche est possible, elle est incertaine, hésitante ; certains malades
ne peuvent se tenir debout; quelquefois la paralysie est plus marquée
dans un côté du corps. 11 peut se produire des phénomènes d’exci¬
tation dans la sphère de la motilité, des contractures partielles, rare¬
ment hémiplégiques, quelquefois liinitées aux extrémités inférieures;
des attaques épileptiformes. Les troubles digestifs sont exceptionnels;
quelques malades pourtant vomissent fréquemment. Lorsque les fonta¬
nelles ne sont pas encore ossifiées, le liquide soulève les parties mem¬
braneuses de la voûte crânienne sous forme de saillies molles, dépressi-
bles et fluctuantes. Si l’on vient à comprimer ces parties, le malade
tombe dans la somnolence, puis dan^ un état comateux qui persiste tant
que dure la compression.
L’bydrocéphalie est une affection à marche éminemment chronique ;
parfois pourtant les symptômes présentent des exacerbations brusques ;
tantôt la parésie des membres s’aggrave rapidement et le malade qui
jusque-là avait pu marcher un peu est contraint de garder le lit; tantôt il
survient de véritables accès de somnolence et des attaques épileptiformes.
Généralement ces accidents donnent comme un coup de fouet à la maladie
et sont suivis d’une aggravation permanente ; rarement les malades attei¬
gnent l’adolescence. Quelquefois pourtant l’hydropisie cesse de faire des
progrès; la maladie devient stationnaire ; dans ces circonstances la vie
peut se prolonger jusque quarante, cinquante ans et même au delà.
Dans un cas cité par Gaelis, la mort n’est survenue qu’à soixante et
onze ans. La guérison est tout à fait exceptionnelle ; la distension exces¬
sive des parties membraneuses du crâne peut en amener la rupture ; tan¬
tôt le liquide s’écoule au dehors, tantôt il s’infiltre sous les téguments
du crâne et de la face, quelquefois il s’écoule par les cavités nasales.
160 ENCÉPHALE. — hydrocéphalie congénitale.
D’après Hœfling l’évacuation du liquide peut être suivie d’une guérison
définitive.
Dugnostic. — Quand la tête est peu volumineuse, l’hydrocéphalie pourrait
être confondue avec l’hypertrophie de l’encéphale : l’absence de troubles
intellectuels dans cette affection très-rare et mal connue éloignera l’idée
d’hydrocéphalie. L’encéphalocèle se reconnaît à l’existence d’une tumeur
nettement limitée et réductible. Dans le rachitisme du crâne, comme dans
l’hydrocéphalie, les fontanelles sont élargies et l’intelligence est troublée;
mais dans le rachitisme, la surface du crâne est inégale, surmontée de
saillies dures, adhérentes à la paroi osseuse; d’autres parties du squelette
présentent les déformations caractéristiques; enfin l’hypermégalie crâ¬
nienne est moins considérable que dans l’hydropisie. Il ne faudrait pas
conclure cependant du petit volume de la tête à l’absence de liquide
dans la cavité crânienne, car nous avons vu que , dans les cas où' le
crâne s’ossifie de bonne heure , l’épanchement n’en augmente pas les
dimensions.
PaoKOSTic. — Nous avons dit quelle était la gravité de l’hydrocéphalie;
la mort en est la» terminaison à peu près constante. Le pronostic est
généralement plus fâcheux dans les cas ou le crâne n’est pas augmenté
de volume, à cause de l’atrophie cérébrale qui coïncide alors nécessaire¬
ment avec l’hydropisie.
Traitement. — Les moyens que l’on oppose habituellement aux hydro-
pisies, échouent complètement contre l’hydrocéphalie chronique. Les
révulsifs intestinaux, les vésicatoires, les cautères, fatiguent le malade
sans amener de résultat favorable; l’iodure de potassium, la digitale, le
nitrate de potasse, les applications de pommade mercurielle sur le cuir
chevelu préalablement rasé, ont été employés sans plus de succès. Il faut
donc renoncer à un traitement médical actif, placer le malade dans de
bonnes conditions hygiéniques, prescrire, s’il y a indication, les toniques
reconstituants et combattre les complications.
On a tenté d’amener la résorption graduelle du liquide en comprimant
la tête au moyen de bandelettes aggluti natives imbriquées; le crâne se
trouvait serré dans une sorte de calotte de diachylon qu’on laissait en
place pendant plusieurs semaines. L’expérience a montré que ce traite¬
ment était dangereux et sans efficacité.
La ponction du crâne est une opération périlleuse ; souvent elle
amène la mort. Quand le malade survit, le liquide a tendance à se
reproduire, et souvent il faut recommencer. La gravité de l’opération,
son peu d’efficacité dans la plupart des cas, ont déterminé un certain
nombre de chirurgiens éminents à la repousser formellement. On a
cependant publié des statistiques relativement favorables; d’après West,
sur 56 cas, il y aurait eu 16 guérisons. Or, il s’agit ici d’nne maladie
presque fatalement mortelle ; il semble donc qu’une opération, suivie de
succès dans plus du quart des cas, ne doive pas être absolument aban¬
donnée. Malgaigne en formule ainsi les indications :
« L’opération peut en être tentée : 1“ lorsque le malade a moins de
161
ENCÉPHALE, — tdmeübs.
3 ou 4 mois, alors même que l’hydrocéphalie paraîtrait stationnaire ;
2° au delà de 4 mois, et jusqu’à l’ossification du crâne, si l’hydrocéphalie
s’accroît sensiblement et menace la vie générale ou la vie de relation de
l’individu. » Bruns n’admet l’opération que « dans les hydrocéphalies
considérables, lorsque les fontanelles et les sutures sont largement ou¬
vertes, lorsque les os du crâne sont libres et mobiles, lorsque l’enfant
sain, bien nourri, non paralysé, présente un développement physique et
intellectuel à peu près en rapport avec son âge, lorsque enfin l'hydro-
pisie subit une augmentation continuelle. »
Si l’on se décide à faire l’opération, il est prudent de ne retirer à la fois
qu’une petite quantité de liquide, de 50 à 100 grammes; c’est la pratique
qui a été généralement suivie dans les opérations dont l’issue à été favorable.
Klein (C. C.), Kurze Beschreibung einiger seltenen Wasserkôpfe. Stuttgart, 1819.
Ono, Neue scltene Beobachtungen. Berlin, 1824.
Bbisht, Report of medical Cases, vol. II.
Bôflisg, Casper’.s Woschenschrift , 1837
Vkolie, Traité sur rbydrocépbalie interne. Amsterdam, 1839.
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Broks, Handbucb der Chirurgie. Tübingen, 1854, 1“ Abtheil.
Virchow, Entwickelung des Schâdelgrundes. Berlin, 1857, in-4.
Brunet, Sur l’hydrocéphalie chronique, etc. [Ann. méd. psychol., 1861).
Gurz, liydrocephalus congenitus [Wochenblatt, 1862).
Hilgek, Zur chemischer Zusaramensetzung serôser Transsudate [Centralblatt, 1867).
Tumeurs. — Nous étudierons sous ce titre toutes les productions
pathologiques persistantes et limitées qui ne dépendent ni de l’encépha¬
lite ni de l’hémorrhagie cérébrale : diverses par leur structure, par leur
genèse, par leur signification nosologique, elles doivent à la similitude de
leur mode d’action pathogénique une analogie frappante dans leur ex¬
pression symptomatique. Quelle que soit leur nature, elles ont pour effet ;
1” d’élever la pression intérieure du crâne en augmentant le contenu de
sa cavité ; 2° de comprimer et souvent d’irriter les parties avec lesquelles
elles se trouvent en connexion directe; de là résultent des troubles fonc¬
tionnels qui varient beaucoup avec le volume et la situation, mais fort peu
avec la structure du produit morbide, de sorte que, s’il est souvent pos¬
sible de reconnaître l’existence d’une tumeur intra-crânienne, on ne par¬
vient que rarement à en spécifier la nature. Les divers néoplasmes qui se
développent dans la cavité crânienne présentent ainsi de telles analogies
au point de vue clinique, que l’on est nécessairement conduit à les réunir
dans une même description.
Gemêse et étiologie. — Nous diviserons les tumeurs cérébrales en
quatre groupes ; les tumeurs vasculaires, les parasitaires, les diathésiques
ou constitutionnelles et les accidentelles.
Deux espèces de tumeurs vasculaires, les angiomes et les anévrysmes,
peuvent se développer dans la cavité crânienne. Les angiomes sont très-
rares; les tumeurs décrites sous ce nom par Luschka ne seraient, d’après
NOOT. niCT. MÉD. ET CII'R. XIU. 11
162
ENCÉPHALE. — tümedrs.
MM.Cornil et Ranvier, que des dilatations des gaines lymphatiques. La
cause presque constante des anévrysmes est l’endartérile chronique; on
les observe donc surtout chez les individus âgés ; l’alcoolisme y prédispose
en favorisant la production des altérations athéromateuses. Les trauma¬
tismes, les chutes , les efforts peuvent jouer le rôle de causes occasion¬
nelles. Dans une observation célèbre de Nélaton, un corps étranger poussé
avec force avait traversé la paroi supérieure de l’orbite, pénétré dans le
sinus caverneux, déchiré la carotide interne et donné lieu à un anévrysme
artério-veineux.
Les tumeurs parasitaires sont formées par des cysticerques ou deséchi-
nocoques; assez rares en France, elles s’observent plus fréquemment dans
les pays où l’on se nourrit de viande crue ou peu cuite.
Les tumeurs diathésiques ou constitutionnelles sont le cancer, le tuber¬
cule et le syphilome. Le cancer de l’encéphale n’est pas très-rare; il
affecte de préférence le sexe masculin ; on ne le rencontre guère avant l’âge
adulte; quand, par exception, il se développe chez des sujets jeunes, il est
le plus souvent consécutif à un cancer de l’œil; généralement, il est
primitif; rarement les tumeurs sont multiples.
Le tubercule du cerveau est une lésion propre au jeune âge; presque
toujours on trouve simultanément des productions de même nature dans
différents viscères et particulièrement dans les poumons et les ganglions
du médiastin.
Le syphilome encéphalique se développe à la même période de la maladie
que les gommes sous-cutanées, les exostoses et les lésions viscérales ; deux
observations de Howitz semblent démontrer qu’il faut le compter parmi
les manifestations de la syphilis infantile.
On n’a pas de notions positives sur l’étiologie des tumeurs accidentelles
(sarcomes, gliomes, kystes, myxomes, etc.); plus fréquentes chez les
adultes, elles peuvent se produire à tout âge, et il' n’est pas rare d’en
rencontrer chez de très-jeunes sujets; elles semblent quelquefois avoir
eu pour point de départ une violence extérieure; certaines exostoses se
développent sous l’influence de la puerpéralité.
Anatomie pathologique. — Tumeurs vasculaires. ■— -Tes anévrysmes inté¬
ressent presque exclu-sivement les artères qui forment le cercle deWillis ou
leurs branches ; onn’a trouvé qu’une fois une de ces tumeurs sur le trajet
delà méningée moyenne. La basilaire en est le siège le plus fréquent; l’excès
de pression que la confluence des vertébrales produit dans ce vaisseau peut
expliquer cette prédisposition. Parmi les branches de la carotide, les syl-
viennes sont le plus souvent affectées ; celle du côté gauche surtout offre
une prédisposition due sans doute à ce que la carotide gauche naît direc¬
tement de l’aorte et que par suite Fondée sanguine y est lancée avec plus
de force. Les anévrysmes des carotides, à leur passage dans les sinus ca¬
verneux ou à leur terminaison, sont plus rares ; ceux des communicantes
postérieures, des cérébrales postérieures, des cérébelleuses, de la commu¬
nicante antérieure, sont tout à fait exceptionnels. Il est assez fréquent de
trouver simultanément plusieurs anévrysmes intra-crâniens ; leur volume
ENCEPHALE. — tdmedrs.
163
atteint parfois celui d’un œuf de poule; on en rencontre de sacciformes et
de fusiformes. Souvent ils renferment des caillots qui envoient des pro¬
longements plus ou moins étendus dans l’artère et dans ses branches; le
courant sanguin en détache quelquefois des fragments qui vont jouer,
dans des vaisseaux moins volumineux, le rôle d’embolies. Les anévrysmes
peuvent comprimer des branches artérielles et provoquer ainsi des acci¬
dents d’anémie cérébrale; d’autres fois, ils gênent la circulation veineuse
et deviennent la cause d’une hydrocéphalie chronique. Dans près de la
moitié des cas surtout, quand la tumeur siège sur l’artère sylvienne, les
parois finissent par se rompre; il en résulte une hémorrhagie abondante;
il peut s’écouler plus de 500 grammes de sang: ce liquide s’accumule
dans les espaces sous-arachnoïdiens et quelquefois pénètre dans les ven¬
tricules par les parties latérales de la grande fente cérébrale.
L’anévrysme artérioso-veineux est très-rare ; on ne l’observe que dans
le sinus caverneux. Nous avons vu plus haut qu’il peut être d’origine
traumatique ; d’autres fois il est consécutif à la rupture d'un petit ané¬
vrysme de la carotide.
Tumeurs parasitaires. — Les kystes à cysticerques siègent surtout
dans la substance grise des circonvolutions ou dans les masses grises
centrales ; tantôt on n’en trouve que deux ou trois , tantôt ils sont très-
nombreux, disséminés dans toutes les parties de l’encéphale; ils n’occu¬
pent pas alors exclusivement les centres nerveux ; les muscles, le tissu
cellulaire sous-cutané, quelquefois les plèvres et les poumons sont envahis
par ces productions. Le volume des vésicules ne dépasse guère celui d’un
œuf de pigeon ; la paroi kystique est résistante ; la substance cérébrale
qui l’entoure a souvent son aspect normal. Le contenu de la tumeur peut
subir la métamorphose graisseuse ; il forme alors une sorte de mastic
dans lequel on peut retrouver des crochets.
Les échinocoques siègent habituellement dans les hémisphères. Les
kystes sont volumineux et peu nombreux; rarement on en trouve plus
de deux ou trois.
Tumeurs diathésiques ou eonstitutionnelles. — Les plus fréquentes sont
les cancers ; le cerveau en est le siège habituel ; pourtant ils peuvent
avoir pour point de départ les os du crâne, les parois de l’orbite et sur¬
tout la dure-mère.
Les tumeurs qui se développent dans le cerveau peuvent atteindre le
volume du poing; quand elles sont multiples, elles sont de plus petites
dimensions. Tantôt elles s’enkystent, tantôt elles envoient des prolonge¬
ments plus ou moins étendus dans le tissu nerveux qui les entoure; leur
consistance varie avec leur composition élémentaire ; dans la variété qui
porte le nom de squirrhe, l’élément fibreux prédomine, la trame intersti¬
tielle forme la majenre partie du néoplasme, les alvéoles sont petits, les
cellules peu nombreuses, la tumeur crie sous le scalpel et contient peu
de liquide. Dans l’encéphaloïde , les parties fibreuses sont peu dévelop¬
pées ; la tumeur est surtout composée d’éléments cellulaires ; elle est
très-molle et offre par ses caractères physiques une grande ressemblance
164 ENCÉPHALE. — tumeurs.
avec la substance cérébrale. Les cancers colloïdes se rencontrent rare¬
ment dans l’encéphale.
Les carcinomes de la dure-mère sont mamelonnés , durs au début,
mous à une période avancée de leur évolution, souvent très-vasculaires;
ils peuvent siéger dans toutes les parties de la membrane; rarement ils
sont multiples. Leur accroissement se fait surtout vers les parties centrales
de la cavité crânienne, en raison du peu de résistance qu’ils rencontrent
dans cette direction; il n’est pas rare pourtant qu’ils amènent l’altération,
puis la perforation des os du crâne, et qu’ils forment ainsi une des variétés
de tumeurs que l’on décrivait sous le nom de fongus de la dure-mère.
Quelquefois, des prolongements issus de la tumeur intra-crânienne pé¬
nètrent dans l’orbite ou dans les fosses nasales.
Ces cancers subissent fréquemment, dans une partie plus ou moins
considérable de leur étendue, la métamorphose graisseuse et prennent
l’aspect caséeux; dans des cas exceptionnels, la trame conjonctive devient
le siège de dépôts calcaires.
On décrit, dans l’encéphale, sous le nom de tubercules, de petites tumeurs
arrondies, de volume variable, de couleur jaunâtre, formées en grande partie
de matière caséeuse, quelquefois incrustées de sels calcaires. A leur péri¬
phérie, on trouve beaucoup de vaisseaux remplis défibriné coagulée. Elles
occupent indifféremment les parties blanches et les parties grises ; assez
souvent on les rencontre, à la base des circonvolutions, sur la limite qui
sépare les deux substances. Leur volume est habituellement peu consi¬
dérable ; il ne dépasse guère celui d’une noisette; les masses volu¬
mineuses décrites par les auteurs sous le nom de tubercules, sont for¬
mées en réalité par plusieurs de ces nodosités réunies entre elles. On a
contesté que ces productions fussent réellement de nature tuberculeuse ;
d’après liindfleisch, on confond sous ce nom deux ordres distincts de
produits, les uns sont de véritables tubercules, les autres des sarco¬
mes ; dans tous on peut distinguer : au centre une masse opaque, jaune,
sèche, d’apparence caséeuse; â la périphérie, une couche à demi-trans¬
parente, grisâtre, vasculaire, que Rindfleisch désigne sous le nom de zone
d’accroissement. Cette zone peut présenter des caractères très-différents :
dans certaines tumeurs, elle est formée en grande partie de noyaux em-
bryoplastiques, peu différents des globules blancs ; quelques-uns de ces
éléments sont chargés de fines granulations graisseuses ; ils sont sé¬
parés par des fibrilles de tissu conjonctif; on peut d’après ces caractères
classer ces néoplasmes parmi les sarcomes; dans les autres, la couche
périphérique n’est pas homogène, un examen attentif permet d’y recon¬
naître une quantité de granulations identiques par leur aspect physique
et leur composition histologique aux granulations miliaires des méninges
et des poumons; ces dernières doivent être seules considérées comme des
tubercules ; elles sont généralement multiples et plus petites que les sar¬
comes; elles peuvent s’incruster de sels calcaires; rarement elles se ra¬
mollissent. En général, on trouve simultanément des tubercules dans
les méninges et dans les poumons ; dans des cas où la lésion de l’encé-
ENCÉPHALE. — tumeurs.
165
phale existerait seule, on ne pourrait la rapporter sans réserve à la tuber¬
culose, car, d’après Wagner, la confusion est quelquefois facile entre les
tubercules cérébraux et certaines néoplasies syphilitiques.
Syphilomes. — Des productions de nature diverse peuvent se développer
sous l’influence de la syphilis dans la cavité crânienne ; elles occupent
la dure-mère, la pie-mère ou la substance même de l’encéphale; quand
elles ont acquis des dimensions considérables, il devient difficile de dé¬
terminer quel en a été le point de départ.
Dans la dure-mère, la syphilis donne lieu à des lésions phlegmasiques
et à des tumeurs gommeuses ; les premières occupent surtout le feuillet
externe de la membrane ; elles amènent assez souvent la formation de tu¬
meurs osseuses; quand elles siègent sur le trajet des nerfs crâniens, elles
donnent lieu à des paralysies localisées; de simples épaississements de la
membrane peuvent avoir ce résultat et en imposer pour des tumeurs
volumineuses. Les gommes de la dure-mère proéminent à la face in¬
terne de cette membrane ; elles siègent fréquemment à la base du cer¬
veau; ordinairement petites, elles peuvent atteindre le volume d’une
noix; elles contractent alors adhérence avec la pie-mère, et provoquent
consécutivement des altérations dans la partie adjacente de l’encéphale.
Nous avons vu plus haut qu’elles peuvent, en comprimant les artères,
devenir la cause indirecte d’un ramollissement cérébral.
Dans la pie-mère, les gommes atteignent des dimensions plus considé¬
rables, sans arriver jamais au volume relativement énorme qu’elles offrent
parfois dans les poumons et dans le foie; mal limitées, elles envoient des
expansions dans le tissu normal. C’est au-dessus de la selle-turcique et de
la gouttière basilaire qu’on les rencontre surtout.
Les gommes de l’encéphale sont plus rares ; on en a vu dans les cir¬
convolutions, les corps opto-striés, la protubérance. D’après Virchow, les
caractères suivants les distinguent des tubercules : elles sont moins arron¬
dies, elles représentent la forme des parties dans lesquelles elles se sont
développées, elles ne sont pas nettement limitées et se continuent insen¬
siblement avec les parties saines; elles ne deviennent caséeuses que
dans une petite partie de leur étendue. Leur ressemblance avec les sar¬
comes et les gliomes est telle dans certains cas, que le diagnostic anato¬
mique ne peut être posé qu’à l’aide des commémoratifs et des lésions
concomitantes.
. Les gommes provoquent habituellement, dans le tissu qui les entoure',
un travail inflammatoire qui peut persister après leur disparition ; la
coexistence d’autres lésions syphilitiques permet seule alors d’en recon¬
naître la nature, encore peut-on se demander s’il s’agit d’une inflamma¬
tion simple ou gommeuse.
Ces tumeurs sont d’apparence homogène, d’un gris rougeâtre; sur
une coupe on aperçoit des taches jaunâtres qui représentent les par¬
ties caséeuses; dans le cerveau, elles sont souvent entourées d’une ma¬
tière semi-transparente, d’aspect colloïde. Ordinairement molles, elles
peuvent acquérir en vieillissant une dureté considérable ; elles s’en-
166 ENCÉPHALE. — tdmedrs,
tourent alors d’une membrane kystique; le tissu nerveux périphérique
s’indure, se sclérose. A l’examen microscopique, elles apparaissent es¬
sentiellement composées de noyaux et de cellules que sépare tanlôt une
substance homogène, tantôt un tissu conjonctif fibrillaire. Les cellules
ressemblent aux leucocytes; leur origine est controversée; d’après Wagner,
elles se formeraient par multiplication des noyaux des capillaires; plus
généralement, on pense qu’elles résultent de la prolifération des éléments
de la névroglie; mais depuis les expériences de Conheim, toutes les.
questions relatives à la genèse des éléments sont de nouveau à l’étude; on
n’admet plus qu’avec réserve la prolifération des éléments conjonctifs, et
l’on tend à faire jouer à la migration des globules blancs un rôle essentiel
dans la genèse de certaines néoplasies. Les gommes subissent souvent,
dans une partie de leur étendue, la métamorphose caséeuse; des granu¬
lations graisseuses se déposent dans leurs cellules, qui bientôt se ramol¬
lissent, puis se désagrègent. Dans leurs périodes anciennes, ces tumeurs
sont en grande partie composées d’un tissu conjonctif dense et de cel¬
lules fusiformes.
Les lésions syphilitiques de l’encéphale coïncident souvent avec des
lésions semblables des autres viscères, du s([uelette et des téguments.
Les tumeurs accidentelles non vasculaires offrent beaucoup de variétés.
Nous nous occuperons d’abord de celles que l’on désignait autrefois sous
le nom de tumeurs fibro-plastiques. Les auteurs ne sont pas d’accord sur
leur véritable nature : tandis que Lebert, Forster et la plupart des his¬
tologistes allemands les décrivent comme des sarcomes, Vulpian, Bou¬
chard et Robin les considèrent comme des épithéliomes, et c’est bien
aux mêmes produits que se rapportent, sous des titres différents, les
descriptions données par ces auteurs, car elles présentent dans les dé¬
tails la plus grande analogie; l'interprétation seule diffère.
Ces tumeurs occupent, le plus souvent, la selle-turcique ou les parties
qui l’entourent ; leur consistance est habituellement très-molle, bien que
leur tissu ait une certaine ténacité ; quelquefois pourtant elles sont dures
et résistent sous le scalpel comme du cartilage. Leur couleur est d’ordi¬
naire grisâtre ; elle tire sur le rouge quand la tumeur est très-vascu¬
laire. Le tissu morbide est parfois tacheté de petits points jaunes qui ré¬
pondent aux parties devenues caséeuses. Les parois fragiles des vaisseaux
qu'il renferme peuvent se rompre et donner lieu à des hémorrhagies
généralement peu abondantes, mais suffisantes pour amener un accroisse¬
ment soudain du volume de la tumeur; c’est sans doute à d’anciennes hé¬
morrhagies qu’il faut attribuer la présence, dans certains de ces produits,
de petites cavités remplies d’un liquide diversement coloré. Ces néo¬
plasmes peuvent atteindre des dimensions considérables ; ils se dévelop¬
pent surtout aux dépens de la dure-mère; tantôt ils proéminent à sa face
interne, compriment la surface de l’encéphale et s’y creusent une cavité
sans déterminer habituellement de lésions inflammatoires; tantôt ils
s’accroissent de dedans en dehors, ulcèrent, puis perforent les parois crâ¬
niennes, et viennent former, sous le cuir chevelu, les tumeurs que l’on
167
ENCÉPHALE. — tdhecrs.
confondait autrefois avec les carcinomes, sous le nom de fongus dè la
dure-mère. Au microscope, on les trouve formés en grande partie d’élé¬
ment cellulaires; ils renferment en outre une quantité variable de vais¬
seaux et une trame conjonctive généralement très-peu développée.
Les cellules sont de grande dimension, aplaties, allongées, finement
granulées; leur noyau est très-apparent; quand on les voit de profil, le
noyau seul fait saillie, et, comme elles sont très-allongées, elles ont tout
à fait l’aspect de cellules fusiformes; quelques-unes contiennent plu¬
sieurs noyaux; d’autres, en nombre variable, renferment dans leur épais¬
seur un corps vésiculeux plus ou moins volumineux ; le noyau est alors
refoulé à la périphérie et semble aplati en forme de croissant. Outre ces
éléments, on voit dans les tumeurs qui nous occupent une quantité gé¬
néralement considérable de corps arrondis qui sont manifestement for¬
més de cellules enroulées ; ils offrent la plus grande ressemblance avec
les globes épidermiques; on peut, en les comprimant légèrement, ame¬
ner la dissociation des cellules qui les constituent et les étudier isolé¬
ment. Enfin ces tumeurs renferment, le plus souvent, en quantité va¬
riable, des grains de sable cérébral : ce sont de petites masses allon¬
gées ou arrondies, composées en grande partie de sels calcaires. D’après
Cornil et Ranvier, les dépôts calcaires se font dans les parois de petits
bourgeons qui se forment aux dépens des vaisseaux; d’après Vulpian,
les grains de sable ne sont que des globes épidermiques incrustés
de sels calcaires; d’après Yirchow, tantôt les concrétions sont libres,
tantôt elles sont déposées dans des faisceaux de tissu connectif. Ces
grains de sable existent, à l’état normal, dans les plexus choroïdes, dans la
glande pinéale, dans les granulations dePacchioni. On les rencontre dans
diverses productions pathologiques, et surtout dans les tumeurs que
Virchow décrit sous le nom de psammomes.
Les psammomes sont essentiellement formés de grains de sable et de
tissu connectif fibrillaire. Leur consistance est ferme, leur volume dé¬
passe rarement celui d’une grosse noisette ; ils ont quelquefois l’aspect
mûriforme; ils naissent presque toujours de la dure-mère. On en a vu se
développer dans l’épaisseur du tissu nerveux.
On rencontre dans la cavité crânienne, en dehors des tumeurs que
nous venons d’étudier, plusieurs variétés de sarcomes ; on y trouve des
cellules arrondies, fusiformes ou étoilées, et des vaisseaux plus ou moins
nombreux : tels sont les néoplasmes que nous avons plus haut différen¬
ciés des tubercules. Les sarcomes dits mélanés forment des tumeurs
peu volumineuses qui siègent surtout sur le trajet des vaisseaux; leurs
cellules renferment des granulations pigmentaires; on trouve habituel¬
lement de ces productions dans l’œil, la peau, le foie ou l’intestin en
même temps que dans l’encéphale.
Les lipomes sont très-rares; on en a vu au-dessous du chiasma et au-
devant de la protubérance; ils peuvent se développer également au niveau
des raphés du corps calleux et de la voûte à trois piliers, sans doute
parce que ces parties contiennent normalement un peu de graisse.
ENCÉPHALE. — tumedrs.
Les cylindromes sont principalement formés de tissu conjonctif et de
tissu muqueux homogène ; on y trouve aussi des cellules fusiformes et
des fibres élastiques.
Les myxomes sont des tumeurs molles, demi-transparentes, d’aspect
colloïde; leur volume peut dépasser celui d’une orange. Elles sont consti¬
tuées par une substance fondamentale, presque fluide, offrant les réactions
du mucus, et par des éléments cellulaires ronds quand la tumeur est
d’origine récente, étoilés et anastomosés par leurs prolongements lors¬
qu’elle est plus âgée. Quelquefois la substance fondamentale se liquéfie
par places, les cellules s’atrophient, il se forme des cavités kystiques.
Nous rapprocherons de ces productions l’ecchondrose sphéno-occipitale
de Virchow. Ordinairement l’apophyse basilaire et le sphénoïde se sou¬
dent rapidement; quand il en est autrement, les points non ossifiés
peuvent être le point de départ d’une tumeur qui s’élève au-dessus du
clivus de Blumenbach, perfore la dure-mère et vient comprimer la partie
moyenne de la protubérance ; elle adhère intimement à la pie-mère et se
détache avec elle quand on enlève l’encéphale, de telle sorte qu’on peut
en méconnaître la véritable nature et croire à une tumeur de la protubé¬
rance ; sa consistance est très-molle, presque gélatineuse.
Les cholestéatomes ou tumeurs perlées, peuvent se former dans le
squelette, dans les méninges et dans le tissu cérébral ; elles siègent le
plus souvent à la base de l’encéphale ; leur volume dépasse rarement celui
d’une grosse noix ; elles sont lobulées et semblent composées de plusieurs
tumeurs accolées. Les surfaces de section ont un aspect blanchâtre,
comme nacré , dû à la quantité considérable de cholestérine que ren¬
ferme le néoplasme. Les petites masses qui constituent la tumeur sont
formées de cellules épithéliales enroulées en couches concentriques;
ces cellules sont, pour la plupart, aplaties, atrophiées, d’apparence cornée;
d’autres ont subi la dégénérescence graisseuse. Un tissu conjonctif dé¬
pourvu de vaisseaux réunit entre eux les différents lobules ; la tumeur est
enveloppée d’une membrane conjonctive.
On appelle gliomes des tumeurs constituées par un tissu semblable à
celui de la névroglie; elles sont molles, d’une coloration variable suivant
leur richesse vasculaire, quelquefois comparable à celle de l’hortensia.
On y trouve à l’examen microscopique un réticulum très-fin, renfermant
de nombreuses cellules étoilées dont les prolongements s’anastamosent
entre eux et avec les fibrilles du réticulum. Très-vasculaires, elles sont
fréquemment le siège d’hémorrhagies qui peuvent donner lieu aux mê¬
mes symptômes qu’une hémorrhagie cérébrale; le diagnostic anato¬
mique même peut présenter de réelles difficultés quand le foyer sanguin
est considérable. Ces tumeurs subissent assez fréquemment la dégéné¬
rescence graisseuse. On peut confondre un gliome avec un foyer d’encé¬
phalite chronique ; certains faits sont même difficiles à classer : pour¬
tant dans le gliome, le tissu morbide s’isole nettement des parties
saines; il foime une saillie à la surface de l’encéphale; il ne ren¬
ferme pas d’éléments nerveux, tandis que dans l’encéphalite on retrouve
ENCÉPHALE. — tumeurs.
169
des cellules et des tubes nerveux plus ou moins altérés, mais parfaite¬
ment reconnaissables. Ces néoplasies s’accroissent généralement avec une
grande lenteur; elles n’agissent sur les parties qui les entourent que par
compression, et peuvent rester très-longtemps stationnaires. Virchow
pense qu’elles ne sont peut-être pas complètement incurables.
Nous ne ferons que mentionner les glio-sarcomes, tumeurs formées de
parties glieuses et de cellules fusiformes; les enchondromes de -la dure-
mère et des parois ventriculaires; les kystes dont on rencontre trois
variétés, les kystes simples, les kystes composés ou cystoïdes et les kystes
pileux; ces divers produits ne se rencontrent qu’exceptionnellement.
La glande pinéale peut s’hypertrophier ; on l’a vue former une tumeur
du volume d’une noix, comprimant les tubercules quadrijumeaux et les
veines de Galien.
Les exostoses offrent un grand nombre de variétés. Leur origine est
souvent inconnue ; dans un certain nombre de cas on peut les rattacher
à un traumatisme, à la syphilis, à l’état puerpéral ou à la tuberculose.
Elles peuvent naître dans les cavités de la face, particulièrement dans
l’orbite ou le sinus maxillaire, et ne pénétrer dans le crâne qu’ultérieu-
rement. Elles s’étendent en surface ou en profondeur; quelquefois elles
se développent dans l’épaisseur même de l’os et méritent alors le nom
d’énostoses. Leur tissu est tantôt dur et compacte comme celui de l’ivoire ;
tantôt spongieux, creusé de vacuoles; quelquefois il renferme des kystes
plus ou moins volumineux. Ces tumeurs ne se forment pas toujours
aux dépens des parois crâniennes ; la dure-mère peut en être le point de
départ ; elles sont alors séparées de la paroi osseuse par une couche de
tissu fibreux. Enfin la substance cérébrale elle-même peut en être l’ori¬
gine; on en a rencontré dans les couches optiques, le corps calleux et le
cervelet.
. Les tumeurs que nous venons d'énumérer, présentent des différences
importantes dans leur mode de développement et dans leur action sur le
tissu de l’encéphale ; les néoplasmes, dont la marche est habituellement
la plus rapide, sont les carcinomes et certains sarcomes; ils se distinguent
en outre par leur tendance à perforer les parois crâniennes et à proémi-
ner au dehors. Les productions syphilitiques s’accroissent aussi rapide¬
ment; mais, arrivées à un certain degré de développement, elles cessent
d’augmenter, et bientôt leur volume diminue; de là des oscillations re¬
marquables dans la marche des accidents. Certains néoplasmes, en parti¬
culier les carcinomes, les sarcomes et les gliomes peuvent être le siège
d’hémorrhagies interstitielles et subir ainsi soudainement une augmen¬
tation de volume considérable.
Toutes les tumeurs, avons-nous dit, ont pour effet commun d’augmenter
la pression intra-crânienne ; elles tendent ainsi â affaisser les parois des
petits vaisseaux et à empêcher l’abord du sang dans le tissu nerveux. Elles
exercent en outre une action directe sur les parties avec lesquelles elles
sont en contact. Parla compression des artères, elles peuvent amener des
ramollissements nécrobiotiques; par la compression des veines, elles pro-
170
ENCÉPHALE. — tdmedrs.
duisent des thromboses, des congestions passives, de l’hydrocéphalie ; les
nerfs subissent, au bout d’un certain temps, la dégénérescence grais¬
seuse. La partie de l’encéphale qui est en rapport direct avec la tumeur
peut être le siège d’altérations diverses ; tantôt elle s’atrophie, de sorte
que la pression intra-crânienne tend à redevenir normale ; tantôt elle
s’infiltre de sérosité, .se congestionne ou s’enflamme; quelquefois il s’y
fait des hémorrhagies ; l’œdème et la congestion sont des phénomènes
transitoires qui peuvent expliquer les irrégularités que l’on observe sou¬
vent dans la marche des tumeurs cérébrales.
La gravité des lésions de voi.sinage varie beaucoup avec la nature de la
tumeur; les cancers, les exostoses, les syphilomes ont une tendance par¬
ticulière à provoquer l’inflammation des parties qui les entourent. La
plupart des productions accidentelles n’agissent, au contraire, que par
compression ; elles peuvent refouler la substance nerveuse sans y déter¬
miner d’altérations appréciables.
Il peut se produire, sous l’influence des tumeurs cérébrales, des lésions
remarquables du nerf optique et de son expansion terminale ; elles sont
le plus souvent de nature inflammatoire ; on distingue deux formes prin¬
cipales de névrite optique : la première débute constamment par la par¬
tie intra-crânienne du nerf; elle résulte de la propagation à ce cordon
nerveux du travail inflammatoire que souvent les tumeurs provoquent à
leur périphérie; on l’observe surtout dans les cas de cancer et de syphi¬
lomes; toujours elle coïncide avec des lésions phlegmasiques des méninges
ou de l’encéphale ; la lésion peut s’étendre progressivement jusqu’à la pa¬
pille du nerf optique; au microscope, on trouve comme lésion dominante
une hyperplasie de la trame conjonctive. Cette première forme, que l’on
désigne, en raison de sa marche, sous le nom de névrite descendante, est
une conséquence assez rare des tumeurs cérébrales ; il n’en est pas de même
delà seconde; dans celle-ci, les lésions sont limitées à la papille du nerf op¬
tique et aux parties voisines de la rétine ; elles reconnaissent pour cause,
ainsi que l’a établi de Græfe, la stase sanguine que les tumeurs cérébrales
provoquent dans la papille, soit directement en comprimant la veine oph-
thalmique ou les sinus caverneux, soit indirectement en élevant la pression
intra-crânienne. Au début, il n’y a d’autre altération qu’une hypérémie vei¬
neuse; bientôt la papille se gonfle, s’œdématie, et il en résulte un nou¬
vel obstacle à la circulation ; au bout d’un certain temps, les éléments
conjonctifs se multiplient; il se forme de nouveaux vaisseaux; les tubes
nerveux s’altèrent; le processus aboutit, en dernière analyse, à l’atrophie
de la papille. Nous devons mentionner enfin, comme conséquence plus
rare des tumeurs cérébrales, l’atrophie simple et la sclérose du nerf op¬
tique ; cette dernière altération peut se produire d’emblée ou consécuti¬
vement à une névrite descendante.
Quand les tumeurs amènent l’altération des corps opto-striés ou des
faisceaux nerveux qui relient ces organes aux cordons antérieurs de la
moelle, elles peuvent donner lieu, comme les hémorrhagies et les ramol¬
lissements, à des dégénérations secondaires du mésocéphale et de la
171
ENCÉPHALE. — tumeurs.
moelle, et à des lésions des muscles, des nerfs et des articulations dans
les membres paralysés ; nous ne reviendrons pas sur la pathogénie et les
caractères de ces altérations qui ne présentent dans ce cas aucune parti¬
cularité que nous n’ayons déjà signalée. {Voy. Hémorrhagie.)
Symptômes. —Nulle part, dans le domaine de la pathologie interne, l’inter¬
vention constante de l’analyse physiologique n’est plus nécessaire que dans
l’étude clinique des tumeurs cérébrales. Ce n’est qu’en remontant à l’ori¬
gine de chaque symptôme, en déterminant avec rigueur quelles peuvent
en être les causes prochaines, que l’on arrive à reconnaître l’existence et
le siège du néoplasme. Cette étude est entourée de sérieuses difficultés;
elle exige, pour être fructueuse, des notions précises sur la physio¬
logie de l’encéphale, et avant tout la connaissance de quelques prin¬
cipes généraux que nous devons exposer avant d’aborder la descrip¬
tion des symptômes des tumeurs cérébrales, car ils la dominent tout
entière.
Quand on lit les observations de tumeurs cérébrales, on est tout d’abord
frappé de ce fait que des productions volumineuses ont été trouvées à l’au¬
topsie quand aucun trouble fonctionnel n’avait pu en faire soupçonner
l’existence, tandis que, dans d’autres cas, une tumeur de volume mé¬
diocre a donné lieu pendant longtemps à des symptômes très-caracté-
risés ; ces différences dans les manifestations symptomatiques des pro¬
ductions intra-crâniennes sont surtout en relation avec le siège qu’elles
occupent; nous avons vu plus haut que certaines parties de l’encéphale
telles que la substance blanche intra-hémisphérique, les parties blan¬
ches commissurales, présentaient une remarquable tolérance, que des
hémorrhagies considérables, des abcès, pouvaient s’y produire sans
donner lieu à aucun trouble significatif; on ne saurait donc s’éton¬
ner qu’une tumeur développée dans l’une de ces régions demeure si¬
lencieuse.
Quelle que soit la néoplasie, la marche des accidents est généralement
très-irrégulière ; habituellement lente, elle est interrompue à intervalles
variables par des épisodes paroxystiques qui consistent en des phénomènes
comateux et des accès convulsifs accompagnés ou non de réaction fébrile.
D’autres fois les phénomènes morbides, après s’être aggravés progressi¬
vement, s’amendent peu à peu et finissent par disparaître complètement.
Souvent ces oscillations se reproduisent plusieurs fois avant que les acci¬
dents ne deviennent continus. Elles peuvent reconnaître plusieurs causes
différentes. La tumeur peut être le siège de congestions, d’hémorrha¬
gies, qui en augmentent le volume ; il en résulte une aggravation subite
des accidents ; puis peu à peu le sang épanché se résorbe, l’encéphale
s’accoutume à l’excès de pression qu’il subit, et l’état du malade s’amé¬
liore momentanément. D’autres tumeurs arrivées à un certain degré de
développement subissent une évolution rétrograde et finissent par dispa¬
raître entièrement en même temps que des tumeurs semblables se déve¬
loppent en d’autres parties de l’encéphale : telles sont surtout les pro¬
ductions syphilitiques. D’autre part les lésions que les tumeurs cérébrales
172
ENCÉPHALE. — tumedrs.
déterminent habituellement dans le tissu qui les entoure, sont souvent peu
profondes et passagères, et par cela même leurs symptômes sont alors
d’une extrême mobilité. Rien de plus variable enfin que les troubles
fonctionnels dus à l’excitation des éléments nerveux; cette excitation
porte d abord sur les parties qui sont en contact immédiat avec le néo¬
plasme ; puis elle est transmise par les filets nerveux qui mettent en re¬
lation les différentes parties de l’encéphale à des régions éloignées, et
provoque des manifestations morbides de leur activité; ces deux ordres
de symptômes peuvent exister et se combiner diversement, ils peuvent
manquer complètement; jamais ils ne sont permanents; ils ne survien¬
nent qu’à intervalles irréguliers en raison de l’épuisement rapide de
l’excitabilité nerveuse ; on ne connaît qu’imparfaitemerit les conditions
qui en provoquent le retour; les différences que présente chez les divers
individus l’excitabilité des éléments nerveux ne suffisent pas à en rendre
compte ; il faut admettre dans beaucoup de cas l’intervention de causes
occasionnelles de nature inconnue.
On voit que le mode d’action des tumeurs intra-crâniennes est com¬
plexe; on peut partager en trois classes les troubles fonctionnels auxquels
elles donnent lieu ; les uns sont dus à l’excitation directe ou réflexe des
éléments nerveux ; ce sont surtout des contractions, des convulsions, des
hyperesthésies, du délire; d’autres sont l’effet des lésions de voisinage,
ce sont de même le plus souvent des phénomènes d’exaltation nerveuse,
accompagnés ou non de réaction fébrile ; enfin la compression exercée
par la tumeur et l’exagération de la pression intra-crânienne se tradui¬
sent par des paralysies localisées et par la dépression des facultés intel¬
lectuelles.
Ces trois ordres de symptômes, en raison même de leur pathogénie, se
succèdent le plus souvent dans l’ordre où nous les avons énumérés ; le
premier effet de la tumeur est l’excitation morbide des parties qui l’avoi¬
sinent; les troubles de vascularisation viennent ensuite; les accidents
décompression apparaissent généralement en dernier lieu ; il existe ainsi
dans certains cas une sorte de régularité dans l’ordre d’apparition des
symptômes ; mais il n’y a là rien de fixe, et l’on s’exposerait à être fré¬
quemment contredit par les faits si l’on voulait poser en loi ce mode d’é¬
volution; il n’est pas rare, par exemple, de voir des paralysies localisées
marquer le début de la maladie.
Souvent les trois ordres de symptômes coexistent et forment un en¬
semble d’autant plus complexe que chacun d’eux comprend des phéno¬
mènes circonscrits et des phénomènes diffus ; l’excitation des éléments
nerveux se transmet par voie réflexe à des parties éloignées delà lésion;
les lésions de nutrition ne restent pas limitées à la périphérie de la tu¬
meur; l’hydrocéphale coïncide avec l’œdèrne localisé delà région direc¬
tement lésée ; enfin l’élévation de la pression intra-crânienne ajoute ses
effets à ceux de la compression locale.
On conçoit, d’après la complexité de l’action pathogénique des tumeurs
cérébrales, quelles difficultés peut présenter l’interprétation physiolo-
ENCÉPHALE. - TUMEURS. 175
gique de leurs symptômes. La plupart sont susceptibles d’explications
diverses; les paralysies limitées dans le domaine des nerfs crâniens
font seules exception; elles indiquent positivement une lésion de l’un
de ces nerfs; il ne reste qu’à en déterminer le siège, et l’on peut
souvent y arriver en tenant compte des symptômes concomitants et
des caractères que présente la paralysie. Le problème est beaucoup
plus compliqué quand il s’agit de phénomènes d’excitation ou de
troubles généraux de la circulation encéphalique ; ils peuvent tous être
rapportés à des causes diverses : les convulsions et les vomissements
peuvent résulter d’une lésion directe du bulbe, ou d’une excitation
réflexe de cet organe; la torpeur intellectuelle et les accidents coma¬
teux peuvent être attribués à l’élévation de la pression extra-crânienne,
à l’hydrocéphalie ou à une hémorrhagie secondaire dans l’épaisseur
de la tumeur, et ainsi des autres symptômes. Ces phénomènes aident
au diagnostic de la tumeur, mais ils perdent une grande partie de leur
valeur quand il s’agit d’en déterminer le siège.
On peut dire, en donnant à l’expression toute sa valeur, qu’il n’y a
pas deux cas de tumeur cérébrale dans lesquels le tableau symptoma¬
tique soit semblable; la diversité des troubles fonctionnels, la variété
des combinaisons qu’ils forment en s’associant sont telles, qu’il est im¬
possible de comprendre dans une description générale toute l'histoire cli¬
nique des tumeurs cérébrales; nous indiquerons cependant les principales
formes sous lesquelles elles se présentent, mais après avoir fait, d’une
manière générale, l’étude analytique des différents troubles fonctionnels
par lesquels elles se traduisent.
Le début est souvent marqué par des symptômes diffus d’excitation
cérébrale. La céphalalgie peut être pendant longtemps le seul trouble
appréciable. Rarement elle manque; elle est diffuse ou localisée; dans
les cas de lésion cérébelleuse, elle occupe surtout la région occi¬
pitale. Elle atteint quelquefois un tel degré d’acuïté, quelle arrache
des cris aux malades ; le moindre effort, le bruit, la lumière l’exaspè¬
rent; souvent elle présente des exacerbations périodiques qui co'incident
avec des vomissements et peuvent faire croire à de simples migraines,
surtout si, comme on l’observe quelquefois, la douleur est limitée à une
moitié du crâne. L’interprétation physiologique de ce symptôme est dif¬
ficile; la plus grande partie de la masse encéphalique est insensible
même quand elle est enflammée ; dans les cas où elle fait hernie à l’ex¬
térieur, on peut l’irriter sans provoquer de douleur; la céphalalgie ne
peut donc être rapportée qu’à l’excitation de la dure-mère ou des parties
sensibles de l’encéphale, c’est-à-dire du bulbe, de la protubérance et d( S
pédoncules cérébraux ; il est probable que dans le cas de tumeurs, elle
peut reconnaître plusieurs mécanismes différents et qu’elle résulte tantôt
de l’action directe de la tumeur sur l’une des parties que nous venons de
nommer, tantôt de la compression à laquelle ces parties se trouvent sou¬
mises quand la pression intra-crânienne s’élève outre mesure. Ce sym¬
ptôme co'incide souvent avec d’autres phénomènes d’excitation ; les ma-
174 ENCÉPHALE. — tümeuks.
lades sont inquiets, agités, irascibles: une insomnie opiniâtre les tour¬
mente; s’ils parviennent à s’endormir, iis sont en piroie à des rêves pé¬
nibles; ils supportent difficilement la lumière et le bruit; ils voient des
phantasmes lumineux, ils éprouvent des tintements d’oreilles: le délire
est exceptionnel et habituellement de peu de durée. Le vertige est sou¬
vent un des premiers symptômes des tumeurs cérébrales; fréquemment,
surtout quand ils sont debout, quand ils se baissent ou quand ils veulent
fixer un objet situé au-dessus de leur tête ou à leur côté, les malades se
sentent tout à coup étourdis; ils voient osciller ou tourner tout ce qui
les entoure, il leur semble que le sol manque sous leurs pieds et qu’ils
vont tomber; poussés par un instinct irrésistible, ils cherchent à repren¬
dre équilibre, ils s’agitent, tremblent de tous leurs membres, chancellent
comme s’ils étaient ivres, et quelquefois ils tombent privés de connais¬
sance; ordinairement ils ont le temps de chercher un appui et ils peu¬
vent rester debout jusqu’à la disparition des troubles morbides qui sont
toujours de très- courte durée. On voit que le vertige est le résultat d’une
hallucination, et qu’il doit prendre place à côté des troubles sensoriels
que nous avons mentionnés. Nous noterons encore comme phénomènes de
même ordre, les sensations erronées qu’accusent certains malades ; il leur
semble que leur tête va éclater, qu’elle est pleine de liquide, qu’un corps
étranger s’y déplace. Quelquefois les tumeurs amènent dès leur première
période un abaissement des facultés intellectuelles ; la mémoire s’affaiblit,
les malades fixent difficilement leur attention, ils sont incapables de tout
travail suivi, et bientôt ils tombent dans un état continuel de stupeur et
d’apathie.
Les symptômes que nous venons d’énumérer se rapportent tous à la
perturbation que la tumeur amène dans les fonctions des hémisphères
cérébraux ; ils coïncident presque constamment avec des signes d’excita¬
tion mésozéphalique, particulièrement des vomissements et des accès épi¬
leptiformes; que l’excitation soit directe ou indirecte, en d’autres termes,
que la tumeur intéresse le bulbe lui-même ou une autre partie de l’encé¬
phale , ces symptômes ont le même caractère ; les vomissements se pro¬
duisent sans efforts, sans nausées ; ils surviennent indifféremment dans
l’état de réplétion et dans l’état de vacuité de l’estomac; ils se répètent
souvent à de courts intervalles et peuvent revenir pendant plusieurs
mois avec une remarquable persistance ; ils se produisent fréquem¬
ment quand le malade se lève pour disparaître alors qu’il prend l’at¬
titude horizontale. Cette influence de la station debout est presque
constante quand la tumeur intéresse le cervelet ou les pédoncules
cérébelleux ; on peut la considérer, lorsqu’elle* est très-accusée, comme
presque caractéristique d’une tumeur intra-crânienne. En même temps
qu’ils vomissent, les malades sont gênés souvent par une constipation
opiniâtre.
Les attaques épileptiformes ne diffèrent des attaques épileptiques que
par leur cause, et il est impossible au point de vue clinique d’établir une
distinction; les accès symptomatiques peuvent présenter tous les carac*
175
ENCÉPHALE. — tumeurs.
tères de la grande attaque épileptique; d’autres fois, ils sont incomplets
et consistent alors, le plus souvent, en des vertiges qui diffèrent surtout
de ceux que nous avons décrits plus haut en ce que la perte de connais¬
sance est soudaine et complète de sorte que le malade tombe brutale¬
ment sans avoir le temps de chercher un appui et qu’il ne garde pas le
souvenir de l’accident. Les accès peuvent se succéder à courts intervalles
et amener la mort du malade comme l’épilepsie dite essentielle. Habituel¬
lement ils se rapprochent à mesure que la maladie fait des progrès. Ces
accidents sont souvent un des premiers symptômes des tumeurs céré¬
brales : il importe donc, chaque fois qu’un individu a depuis peu de temps
des attaques épileptiformes, d’examiner attentivement s’il n’existe pas des
signes de néoplasie intra-crânienne.
Nous avons passé en revue tous les symptômes qui résultent de la per¬
turbation que la tumeur apporte dans l’innervation générale de l’encé¬
phale ; par leur réunion et leur persistance ils peuvent faire soupçonner
l’existence de la lésion, mais ils n’ont en somme rien de caractéristique ,
ils peuvent être l’expression d’autres lésions de l’encéphale , ils peuvent
manquer. Les symptômes de foyer, c’est-à-dire les troubles qui résultent
de l’action directe de la tumeur sur la partie de l’encéphale qui lui est
connexe, ont plus de valeur ; ce sont des phénomènes d’excitation ou de
paralysie.
Les phénomènes d’excitation peuvent être dus au simple contact de la
tumeur, ils peuvent être l’effet des lésions secondaires que le néoplasme
détermine à sa périphérie ; ils consistent surtout dans des contractures
partielles, des hyperesthésies localisées; ils peuvent revenir sous forme
d’accès, à intervalles variables : chez une de nos malades, il se produisait
tous les quinze jours environ une contracture d’une moitié de la face avec
douleurs violentes dans la même région, ces accidents duraient quelques
heures, puis disparaissaient sans laisser de trace ; dans d’autres cas, l’ex¬
citation porte sur un des nerfs moteurs de l’œil et provoque ainsi un stra¬
bisme passager. Ces phénomènes peuvent s’accompagner de fièvres ; on
est alors en droit de les rapporter à une méningite ou à une encépha¬
lite secondaire. Ils sont habituellement de courte durée, mais ils peuvent
se reproduire plusieurs fois. Les lésions de voisinage qui n’ont pas un
caractère inflammatoire se traduisent par une aggravation passagère des
phénomènes paralytiques.
Les symptômes les plus importants au point de vue du diagnostic de la
tumeur et de sa localisation, sont les paralysies partielles dues à la com¬
pression qu’elle exerce sur les parties qui l’entourent. La paralysie peut
avoir le caractère d’une hémiplégie simple ; habituellement elle n’affecte
pas simultanément les deux membres ; à peine marquée au début, elle
marche lentement, et ne se caractérise qu’au bout d’un certain temps,
La contractilité électrique est consei'vée dans les membres atteints. Fré*
quemment on voit se produire, comme dans les hémiplégies par lésions
vasculaires, les troubles de calorification, les douleurs et les contractures
que nous avons rattachés à la paralysie vaso-motrice et aux lésions secon-
176 ENCÉPHALE. — tumedrs.
daires de la moelle, des muscles et des nerfs. L’hémiplégie indique né¬
cessairement une lésion des parties qui font suite dans l’encéphale aux
cordons antérieurs de la moelle, c’est-à-dire des pyramides antérieures,
de la protubérance, des pédoncules cérébraux ou des parties blanches
des corps striés; la compression peut être directe ou se faire par l’inter¬
médiaire d’autres parties ; on voit ainsi des tumeurs volumineuses de la
convexité exercer à distance une pression assez considérable sur les corps
striés pour produire une hémiplégie. Dans certains cas, l’hémiplégie est
double, soit qu’il y ait plusieurs tumeurs, soit qu’une production unique
agisse simultanément sur les deux pédoncules ou leurs prolongements ou
sur les parties médianes du mésocéphale. Il est rare que l’affaiblissement
porte simultanément sur les deux membres inférieurs sans affecter en
même temps l’un au moins des membres supérieurs. La paralysie des
sphincters est exceptionnelle.
Les paralysies isolées des nerfs crâniens ont des caractères très-
différents, suivant que la lésion intéresse ces organes dans leur por¬
tion cérébrale ou dans leur partie périphérique. Pour bien fixer la
valeur de ces termes, nous rappellerons que tout nerf crânien, avant
d’arriver à sa terminaison dans l’encéphale, traverse un ou plusieurs
noyaux de substance grise. Ainsi le nerf facial, parvenu dans le bulbe,
se rend dans un noyau qui fait saillie sur le plancher du quatrième
ventricule, dans la partie qui correspond à l’union du bulbe et de la
protubérance, près de la ligne médiane ; il ne s’y termine pas, car
l’on voit partir du noyau un faisceau nerveux qui se réfléchit presque
à angle droit et traverse la ligne médiane (Deiters); on ne l’a pas
suivi au delà, mais la physiologie et l’anatomie pathologique permet¬
tent d’affirmer qu’il se rend dans les ganglions cérébraux, probable¬
ment dans le corps ‘ strié. Le noyau bulbaire sépare donc le nerf en
deux portions, l’une périphérique , l’autre cérébrale. Cette distinction
est d’une haute importance en pathologie. Quand la portion cérébrale
est seule intéressée, la paralysie est toujours incomplète, elle est très-
peu marquée dans la partie supérieure de la face, l’orbiculaire des pau¬
pières se meut librement, les muscles paralysés se contractent comme à
l’état normal sous l’influence de l’électricité; au contraire, dans les
lésions de la partie périphérique, la paralysie porte sur toute la sphère
de distribution du nerf facial, les paupières ne peuvent se fermer, il
est impossible d’obtenir des mouvements réflexes, la contractilité élec¬
trique des muscles de la face est affaiblie ou abolie. Ou peut donc, d’après
les caractères de la paralysie, déterminer avec certitude sur quelle por¬
tion du nerf porte la lésion ; on peut également reconnaître dans quelle
moitié de l’encéphale siège le produit morbide, car il résulte des données
anatomiques que nous avons rappelées que les lésions de la partie péri¬
phérique donnent lieu à une paralysie du côté correspondant de la face
(paralysie directe), celle de la portion cérébrale à une paralysie du côté
opposé (paralysie croisée). Les lésions, qui intéressent le nerf facial,
peuvent porter en même temps sur le faisceau moteur : la paralysie fa-
ENCÉPHALE. — TUMEURS. 177
ciale coïncide alors avec une hémiplégie; mais le faisceau moteur ne
s’entre-croise qu’au niveau de la partie inférieure du bulbe ; par suite,
la paralysie faciale d’origine cérébrale se fait du même côté que l’hémi¬
plégie, la paralysie faciale d’origine périphérique siège du côté opposé ;
la première est dite uniforme ou concordante, la deuxième inverse ou
antagoniste. Romberg en Allemagne, Millard et Gubler en France, ont les
premiers reconnu le mode de production et signalé l’importance cli¬
nique de la paralysie inverse. Ce que nous venons de dire du facial
peut s’appliquer à la plupart des nerfs crâniens ; ils offrent presque tous
la même disposition ; leurs noyaux sont échelonnés de bas en haut dans
le bulbe et la protubérance ; les lésions qui portent simultanément sur
la portion périphérique de ces nerfs et sur le faisceau moteur donnent
lieu à autant de variétés de paralysie antagoniste ; ainsi, pour prendre
un exemple, une tumeur qui comprime à la fois un des pédoncules céré¬
braux et un des nerfs moteurs de l’œil produit une paralysie croisée des
membres et une déviation paralytique de l’œil correspondant à la lésion.
Les tumeurs donnent lieu fréquemment à la paralysie de plusieurs nerfs
crâniens, surtout quand elles siègent au voisinage du bulbe. Elles amè¬
nent assez souvent des troubles de la parole, soit en comprimant le tronc
du nerf hypoglosse, soit en lésant les fibres conductrices qui relient
le centre d’innervation des muscles de la langue aux corps striés et
aux circonvolutions frontales, soit en agissant directement sur la troi¬
sième circonvolution frontale gauche ou sur les parties qui l’avoisinent.
(Voy. Auhasie.) Certains malades enfin présentent des troubles de motilité
qui paraissent se rattacher à un défaut de coordination des mouvements;
ils marchent difficilement, ils chancellent comme s’ils étaient ivres, et,
malgré leurs efforts pour se maintenir en équilibre, ils tombent fréquem¬
ment ; c’est surtout dans les cas où la tumeur intéresse le cervelet qu’on
observe ces symptômes; dans des expériences sur les animaux, Vuîpian
a obtenu des phénomènes analogues en excitant les parties profondes
ou les pédoncules de cet organe.
Les troubles de la sensibilité générale affectent habituellement la même
disposition que la paralysie des mouvements; ils sont rarement très-
prononcés; quelques faits semblent prouver qu’ils peuvent se produire
indépendamment de la paralysie motrice. On a trouvé plusieurs fois,
dans des cas de ce genre (L. Türck, Luys), une lésion limitée au côté ex¬
terne de la couche optique et à la partie voisine de l’hémisphère.
L’anesthésie de la face porte habituellement sur toutes les parties
animées par le trijumeau. La paralysie est directe ou croisée, suivant
que le nerf est atteint dans sa partie périphérique ou dans sa partie cé¬
rébrale. On peut, du côté malade, piquer et pincer les téguments de
la face sans provoquer aucune douleur; les muqueuses des cavités
nasale, orbitaire et buccale sont également insensibles. Le malade ne
peut reconnaître le goût des substances sapides placées sur la moitié
correspondante de la langue ; on a remarqué pourtant que, dans son tiers
postérieur, la muqueuse conserve ses propriétés gustatives ; on ne saurait
NOllV. Dior. MÉD. ET CHIE XIII. — 12
178
ENCÉPHALE. — tomedrs.
s’en étonner, puisque, dans cette partie de son étendue, elle reçoit ses nerfs
sensitifs du glosso-pharyngien. Les mouvements réflexes sont abolis ; on
peut titiller la conjonctive sans provoquer le clignement; dans certains
cas, on a noté la contraction et l’immobilité de la pupille. Les muscles
masticateurs, animés parla branche motrice, sont paralysés. Il peut sur¬
venir des troubles vaso-moteurs analogues à ceux que l’on observe à la
suite des sections expérimentales du trijumeau : le côté malade de la face
s’injecte, s’œdématie, prend une teinte livide; les gencives saignent, se
gonflent et quelquefois s’ulcèrent, la cornée et la conjonctive s’enflam¬
ment. Ces derniers phénomènes ne se produisent que dans les cas où le
nerf est atteint dans sa partie périphérique; les lésions de la portion céré¬
brale se reconnaissent à la persistance des' mouvements réflexes.
Les troubles de la vue comptent parmi les symptômes les plus fréquents
des tumeurs cérébrales; ils se rattachent le plus souvent aux altérations
dont nous avons indiqué plus haut les caractères, c’est-à-dire qu’ils ré¬
sultent soit de l’inflammation que provoque dans la papille la stase vei¬
neuse liée à un excès de pression dans la cavité crânienne, soit de l'ex¬
tension au nerf optique d’une phlegmasie secondaire (névrite descen¬
dante), soit de la compression directe de ce cordon nerveux, du cbiasma
ou de la bandelette optique; d’autres fois ils semblent être de nature ré¬
flexe et dépendre de la perturbation que subit sous l’influence àe la tu¬
meur l’innervation motrice des vaisseaux rétiniens; dans certains cas
enfin ils ont pour cause la lésion de certaines parties de l’encéphale, par¬
ticulièrement des tubercules quadrijumeaux et du cervelet; on les a en¬
core signalés dans des cas où l’altération portait sur les couches optiques
ou les corps striés, mais c’étaient là de pures coïncidences. L’action des
tubercules quadrijumeaux sur l’appareil visuel est démontrée par l’expé¬
rimentation ; chez les animaux, leurs lésions amènent l’affaiblissement de
la vision et abolissent les mouvements réflexes de l’iris ; quelques faits pa¬
thologiques montrent qu’il en est de même chez l’homme ; W. "Wagner,
H. Jackson, Mohr, M. Rosenthal, ont trouvé ces organes diversement al¬
térés chez des amaurotiques. L’amblyopie est un symptôme relativement
fréquent des tumeurs du cervelet ; la physiologie ne permet pas jusqu’ici
de donner une interprétation satisfaisante de ce fait.
Les troubles visuels sont quelquefois le premier symptôme qui attire
l’attention ; ils peuvent prendre rapidement un caractère grave ; le plus
souvent ils atteignent les deux yeux ; quelquefois, au début surtout, ils
ne sont pas continus et n’apparaissent qu’à intervalles irréguliers, tantôt
d’un côté, tantôt de l’autre ; dans les cas où ils sont dus à une inflamma¬
tion du nerf optique, ils peuvent s’accompagner de douleurs péri-orbi-
taires; quelquefois les malades sont tourmentés par de la photophobie
et des phantasmes lumineux; ordinairement l’amblyopie est le seul sym¬
ptôme qu’ils accusent ; elle peut affecter la forme de l’hémiopie, elle in¬
dique alors la lésion de l’une des bandelettes optiques; l’affaiblissement
de la vision suit habituellement une marche progressive, et les malades
finissent par devenir amaurotiques. Souvent les pupilles sont inégale^
ENCÉPHALE. — tuhedrs.
179
ment dilatées; rarement elles sont rétrécies. A l’ophthalinoscope, on
ne trouve dans certains cas aucune lésion appréciable ; d’autres fois, on
constate l’existence d’une atrophie papillaire ; souvent enfin, surtout si
l’on pratique l’examen à une période peu avancée de la maladie, on peut
reconnaître les signes caractéristiques de la névrite optique : la papille est
très-saillante, d’une couleur grisâtre, quelquefois rosée; elle n’a plus de
contours distincts; à sa périphérie, les parties malades de la rétine for¬
ment une zone d’aspect louche où l’on peut distinguer les fibres du nerf
optique sous forme de stries radiées; les artères sont rétrécies; les veines,
énormément dilatées, présentent de nombreuses flexuosités. Ces caractères
appartiennent surtout à la névrite que provoque l’élévation de la pres¬
sion intra-crânienne; on peut cependant les rencontrer également dans
certains cas -de névrite descendante. Ces lésions n’ont de valeur, au point
de vue du diagnostic des tumeurs cérébrales, que si on les rapproche
des autres symptômes, car aucune n’est par elle-même caractéristique.
Elles indiquent l’existence d’une lésion intra-crânienne ou intra-orbitaire,
mais n’apprennent rien sur sa nature.
L’abolition de l’ouïe est rarement complète, mais on observe fréquem¬
ment un certain degré de surdité, en même temps que des phénomènes
d’excitation ; les malades se plaignent de bourdonnements ; ils entendent
des voix, des cloches et autres sons imaginaires. L’affaiblissement de
l’odorat est un symptôme exceptionnel des tumeurs cérébrales; il appar¬
tient aux néoplasmes qui occupent la partie antérieure de la base. La
perte des sensations gustatives s’observe, comme nous l’avons vu plus
haut, quand le trijumeau est comprimé par la tumeur. Dans des cas où
la lésion portait sur le glosso-pharyngien, on a constaté que le goût de
substances sapides placées sur la base de la langue et sur le voile du
palais, n’était plus reconnu ; cette anesthésie était unilatérale et siégeait
du même côté que la tumeur. Chez certains malade.s, le sens du goût
semble perverti ; le contact de différentes substances produit chez eux
une sensation pénible de chaleur ou de froid.
Les troubles psychiques sont constants, mais ils peuvent n’apparaître
qu’à la dernière période de la maladie; c’est pour cette raison qu’ils ne
sont pas notés dans un certain nombre d’observations. Ils se présentent
généralement sous une forme à peu près semblable chez les différents
sujets atteints de tumeurs de l’encéphale, que le produit morbide siège
à la base ou à la convexité; il est donc probable qu’ils reconnaissent, dans
les différents cas, une même cause productrice, et, par conséquent, on ne
peut les attribuer à la lésion d’une partie circonscrite de l’encéphale ;
d’autre part, ils offrent une certaine analogie avec ceux que l’on ob¬
serve dans des affections dont l’effet principal est d’élever la pression
intra-crânienne, dans l’hydrocéphalie, par exemple, et c’est à cette même
cause que, selon toute vraisemblance, il faut les rapporter. Ce sont gé¬
néralement des phénomènes de dépression ; la mémoire est plus ou moins
affaiblie; le malade est dans un état habituel d’apathie; il répond len¬
tement aux questions qu’on lui pose , il semble qu’il trouve difficilement
180 ENCÉPHALE. — tümeürs,
ses idées, il parle avec difficulté, chaque mot est séparé par une pause
et semble nécessiter un effort; d’autres fois, l’articulation des mots est
si défectueuse que la parole est inintelligible; la physionomie a une ex¬
pression toute particulière, presque caractéristique d’hébétude et de
stupeur; le regard est atone et sans expression. Quelquefois des périodes
d’excitation viennent modifier ce tableau; les malades s’agitent, ils sont
en proie à des hallucinations, à des illusions des sens ; le délire peut devenir
aigu et simuler un accès de manie; ces phénomènes se rattachent, soit
à l’excitation purement fonctionnelle de la substance corticale, soit à une
méningite ou une encéphalite intercurrente. Souvent les symptômes de
dépression présentent des périodes d’aggravation ; le malade tombe dans
un état de profonde somnolence, ou même dans le coma; il est indiffé¬
rent à toutes les excitations, les membres sont dans la résolution ; puis,
au bout de quelques heures, la connaissance et le mouvement revien¬
nent peu à peu; la dernière période de la maladie peut être ainsi mar¬
quée par une série d’accès comateux suivis de rémissions plus ou moins
complètes. Certains malades deviennent aliénés.
Les tumeurs peuvent n’avoir aucun retentissement sur la nutrition
générale; il y a même des malades qui commencent à engraisser en même
temps qu’apparaissent les premiers symptômes de la tumeur ; 'd’autres fois,
sous l’influence des vomissements répétés , des attaques épileptiformes,
du séjour prolongé au lit, le malade maigrit et s’affaiblit progressive¬
ment. Quand la tumeur est de nature cancéreuse, il peut se produire
de bonne heure des symptômes de cachexie, un amaigrissement rapide,
de l’anasarque et des thromboses. Dans certains cas, surtout quand le plan¬
cher du quatrième ventricule est intéressé, l’urine contient du sucre ou
de l’albumine, et le malade présente les symptômes généraux de l’albu¬
minurie ou du diabète sucré. Nous avons mentionné déjà les altérations
que subissent la conjonctive et la cornée dans les cas où le trijumeau est
paralysé; elles peuvent aboutir à la fonte purulente de l’œil. Les paraly¬
sies faciales d’origine périphérique peuvent également, en paralysant
l’orbiculaire et en privant ainsi le globe oculaire de la protection des
paupières, être la cause de conjonctivites; rarement ces phlegmasies
ont des conséquences graves. Les lésions du bulbe et du pneumogas¬
trique peuvent enfin donner lieu à des troubles de là respiration et de la
circulation ; c’est surtout dans les dernières périodes de la maladie qu’ap¬
paraissent ces symptômes.
Les tumeurs qui perforent les parois crâniennes proéminent sous le cuir
chevelu, dans la cavité orbitaire ou dans les fosses nasales. Dans le pre¬
mier cas, les malades accusent une douleur persistante dans la partie où
siège la tumeur ; la paroi osseuse, amincie, se laisse refouler et donne à
la palpation une sorte de crépitation semblable à celle du parchemin;
bientôt la perforation est complète, la tumeur soulève la peau et quel¬
quefois l’ulcère; tantôt elle est consistante et résiste sous le doigt; tantôt
elle est molasse, et présente une sorte de fluctuation; elle est animée,
quand elle n’est pas étranglée par l’orifice, de pulsations isochrones au
ENCÉPHALE. — tdmedrs. i 8d
pouls; plus rarement on la voit se soulever au moment de l’expiration. Peu
mobile latéralement, elle se laisse quelquefois déprimer et l’on peut arriver
par une compression continue à la faire rentrer complètement dans la cavité
crânienne, on sent alors à travers les téguments les bords de l’ouverture
osseuse : cette manœuvre n’est pas sans danger ; elle augmente la pres¬
sion intra-crânienne et détermine de la somnolence, de l’engourdisse¬
ment des membres, quelquefois des convulsions et même le coma; ces
accidents se dissipent quand on cesse la compression. La tumeur peut
continuer à s’accroître après sa sortie du crâne et acquérir des dimen--
sions hors de proportion avec celles de l’orifice, d’autres fois elle con¬
tracte des adhérences avec le périoste; dans les deux cas, la réduction de¬
vient impossible.
Les tumeurs pénètrent dans l’orbite en traversant la paroi supérieure
de cette cavité ou la fente sphénoïdale; elles donnent lieu alors à de
l’exophthalmos en même temps qu’à de l’amblyopie ou à de l’amaurose ;
quand elles proéminent dans les fosses nasales, elles amènent la perte de
l’odorat et se comportent comme un polype.
L’apparition de la tumeur à l’extérieur est une circonstance relative¬
ment favorable; elle a pour effet immédiat un abaissement delà pres¬
sion intra-crânienne, et souvent elle amène une rémission marquée dans
les symptômes ; dans certains cas pourtant les troubles fonctionnels per¬
sistent avec la même intensité qu’auparavant.
Nous avons énuméré les différents symptômes auxquels donnent lieu les
tumeurs cérébrales. Rien de plus variable que l’ordre dans lequel ils se
succèdent. La durée de la maladie est habituellement très-longue ; il peut
survenir à plusieurs reprises des rémissions complètes qui peuvent faire
croire à une guérison ; d’autres fois la marche lente des accidents est inter
rompue par des épisodes aigus dus au développement de lésions secon¬
daires ; les phénomènes paralytiques peuvent persister pendant de lon¬
gues années; la mort survient souvent par paralysie du bulbe, alors que
l’état de la nutrition générale est satisfaisant ; d’autres fois le malade s’af¬
faiblit, maigrit, et bientôt il est emporté par une affection thoracique
intercurrente ou par des eschares ; quand la tumeur est de nature cancé¬
reuse, il succombe aux progrès de la cachexie. Dans les cas où la tumeur
s’est fait jour à l’extérieur, la terminaison fatale peut être hâtée par la
formation d’ulcérations à la surface du néoplasme et par les hémorrha¬
gies qui en sont la conséquence.
Diagnostic. — Le diagnostic est complexe; on doit reconnaître l’existence
de la tumeur, en déterminer le siège, dire qu’elle en est la nature.
Il n’existe pas de signe pathognomonique qui permette d’affirmer
l’existence d’un néoplasme dans l’intérieur du crâne, c’est par l’ensemble
des symptômes et la marche de la maladie que l’on arrive au diagnostic.
On peut à ce point de vue distinguer trois formes cliniques : dans la
première, on n’ohserve que des troubles généraux de l’innervation encé¬
phalique; dans la deuxième, il existe les signes d’une lésion localisée;
dans la troisième, la tumeur fait saillie sous le cuir chevelu. La céphâ--
182
ENCÉPHALE. — tdmedrs.
lalgie, les convulsions épileptiformes et les vomissements caractérisent
la première forme. Quand ces symptômes se produisent simultanément
avec une certaine persistance, on peut considérer comme très-probable
l’existence d’une tumeur inlra- crânienne; ils pourraient à la rigueur être
dus à la présence d'un foyer ancien dans les circonvolutions; et, bien que
la marche progressive des accidents, l’absence d’altaque apoplectique
initiale, la fréquence des attaques convulsives, permettent le plus souvent
de reconnaître la tumeur, le diagnostic peut pourtant rester incertain si
Ton n’est pas suffisamment renseigné sur la marche des accidents, et il
convient d’attendre avant de se prononcer; le diagnostic est encore plus
difficile dans les cas où l’un des symptômes que nous avons indiqués, la
céphalalgie par exemple, existe seul ; si la douleur est très-violente et
nettement localisée, si elle résiste à tous les moyens de traitement, si
l’on ne peut la rattacher à aucune cause apparente, il est permis de soup¬
çonner l’existence d’une tumeur cérébrale; quelquefois pourtant elle est
unilatérale, elle s’accompagne de vomissements et ne revient qu’à inter¬
valles plus ou moins éloignés, il est difficile alors de ne pas croire à une
simple migraine. Quand il existe des troubles de là vue, il est important
de pratiquer l’examen ophthalmoscopique, car si là papille présente les
altérations caractéristiques de l’une des formes de névrite que nous avons
signalées plus haut, on peut affirmer l’existence d’une lésion intra-crâ¬
nienne ou intra-orhitaire.
L’apparition des symptômes de foyer et surtout des paralysies locali¬
sées facilite beaucoup le diagnostic. Quand la paralysie est nettement
hémiplégique et qu’elle existe seule, on est tout d’abord tenté de la rappor¬
ter à une lésion hémorrhagique ou nécrosique des corps opto-striés; l’absence
d’attaque initiale et la progression lente des accidents permettent d’éviter
cette erreur. Les paralysies des nerfs crâniens sont presque caractéristiques,
leur multiplicité, l’existence d’autres symptômes empêchent de les
prendre pour de simples paralysies rhumatismales. On peut dans certains
cas hésiter entre un foyer ancien et une tumeur du mésocéphale ; mais
alors, comme dans le cas d’hémiplégie, le mode de début et la marche de
la maladie conduisent au diagnostic.
Quand la tumeur fait saillie sous le cuir chevelu, il n’y a guère d’er¬
reur possible ; les troubles de l’innervation encéphalique empêchent la
confusion avec les tumeurs superficielles; on reconnaît l’encéphalocèle à
l’époque de son apparition qui a toujours lieu dans les premiers temps
de la vie. Les tumeurs qui s’accompagnent d’exophthalmos peuvent être
confondues avec les cancers de l’œil; celles qui proéminent dans les fosses
nasales donnent lieu à tous les symptômes d’un polype; le diagnostic ne
peut être posé en pareille circonstance que s’il existe en même temps des
troubles cérébraux.
Le diagnostic du siège n’est possible que dans les cas où il existe des
paralysies des nerfs crâniens ; et alors même on ne peut souvent le dé¬
terminer que très-approximativemeut. Il faut établir d’abord si la lésion
porte sur la portion périphérique ou centrale du nerf. (Voy. plus haut.)
ENCÉPHALE. — tdmeues.
183
Certaines paralysies, celles du facial et de l’hypoglosse par exemple, pré¬
sentent des caractères différents, suivant qu’elles sont d’origine centrale
ou périphérique; pour les autres nerfs, l’absence ou la conservation des
mouvements réflexes qu’ils contribuent à produire montre dans quelle
partie de leur trajet ils sont lésés : la conservation de ces mouvements
suppose l’intégrité du nerf jusqu’à son noyau d’origine, et indique une
paralysie d’origine cérébrale ; leur disparition implique la destruction du
noyau d’origine ou une lésion de la partie périphérique du nerf. Ainsi,
chez un individu atteint de cécité, la persistance du clignement et des
mouvements de l’iris permet d’affirmer que la lésion ne porte ni sur la
partie périphérique du nerf optique, ni sur son noyau d’origine, et que
sa portion cérébrale est seule intéressée.
Il peut exister en même temps que les paralysies des nerfs crâniens
une hémiplégie qui siège tantôt du même côté (paralysie uniforme),
tantôt du côté opposé (paralysie antagoniste) . La paralysie antagoniste
suppose nécessairement une lésion du mésocéphale.
Le plus souvent, plusieurs nerfs sont paralysés en même temps ; il faut
chercher, en se guidant sur les données de l’anatomie et de la physiologie
en quel point doit siéger la lésion encéphalique, que l’on suppose d’abord
unique, pour produire les symptômes observés. L’abolition de l’odorat,
l’exophthalmie, indiquent une tumeur de la partie antérieure du crâne ;
la pax’alysie antagoniste du moteur oculaire commun et des membres ne
peut s’expliquer que par une lésion de la base intéressant les pédoncules;
la paralysie faciale double indique presque nécessairement l’existence
d’une tumeur volumineuse au niveau de la protubérance ; cette hy¬
pothèse est la seule admissible, car une tumeur occupant le bulbe don¬
nerait lieu en même temps à d’autres symptômes; la coexistence d’une
paralysie faciale d’origine périphérique et d’une paralysie du moteur
oculaire commun du même côté, indique une tumeur siégeant latérale¬
ment vers la partie moyenne de la base du crâne ; la paralysie des au¬
tres nerfs moteurs de l’œil n’a pas la même valeur, car ces nerfs ont
leurs noyaux d’origine dans le bulbe et une lésion de cet organe peut les
paralyser en même temps que le facial et l’auditif.
La paralysie d’un ou de plusieurs des nerfs qui ont dans le bulbe leur
noyau d’origine, la coexistence d’une hémiplégie du côté opposé, d’ac¬
cès convulsifs, de vomissements opiniâtres, de troubles circulatoires, de
glycosurie, permettent de considérer comme très-probable l’existence
d’une tumeur du bulbe.
La signification des troubles de la parole varie suivant leur nature ;
l’amnésie verbale avec conservation de l’intelligence indique une lésion
des circonvolutions frontales, probablement de la troisième; l’aphasie avec
intégrité de l’intelligence, conservation de l’écriture, et conservation des
mouvements de la langue, ne peut s’expliquer que par une lésion des fibres
qui relient les lobes antérieurs au centre d’innervation motrice de la langue;
l’aphasie avec paralysie de la langue ou défaut de coordination de ses
mouvements, se rattache à une lésion du nerf hypoglosse ou des olives.
184
ENCÉPHALE. — tdmbürs.
Les troubles de coordination dont nous avons parlé plus haut sont en
faveur d’une lésion cérébelleuse, surtout s’ils coïncident avec de la cé¬
phalalgie occipitale, des vomissements opiniâtres, et des accès con¬
vulsifs.
On voit que par l’analyse physiologique, on peut parvenir souvent à
déterminer quel est vraisemblablement le siège de la lésion ; mais l’on
ne peut se prononcer d’une façon absolue, car on ignore toujours si les
paralysies sont dues à une ou plusieurs tumeurs.
La nature de la tumeur ne peut être soupçonnée que dans un petit
nombre de cas.
Quand le malade est avancé en âge, qu’il n’a aucun antécédent dia-
thésique, qu’il est frappé d’une attaque apoplectique alors que depuis
un certain temps il présentait les symptômes d’une tumeur cérébrale,
que les troubles fonctionnels consistent surtout en des paralysies isolées
des nerfs crâniens, et que les signes d’excitation bulbaire sont peu mar¬
qués ou font défaut, les probabilités sont en faveur d’un anévrysme intra¬
crânien ; les attaques apoplectiques surtout ont une valeur diagnostique
réelle, quand elles se présentent dans les circonstances que nous venons
d’exposer; d’autres tumeurs, les sarcomes, par exemple, et les gliomes,
peuvent leur donner naissance quand elles augmentent brusquement de
volume par l’effet d’une hémorrhagie interstitielle, mais ce sont là des
faits exceptionnels.
On peut dans certains cas soupçonner quel est le siège de l’anévrysme.
Dans les anévrysmes de la carotide, les malades éprouvent parfois une
sensation de battements dans l’orbite ; on perçoit un bruit de souffle en
appliquant le stéthoscope sur la paroi externe de cette région ; le globe
oculaire, foulé par la tumeur, fait une saillie anormale ; le diagnostic peut
alors être posé avec une certitude presque entière. Si, dans le cas où l’on a
diagnostiqué un anévrysme, la paralysie porte particulièrement sur le mo¬
teur oculaire commun, si l’intelligence est troublée, la vue affaiblie, c’est,
d’après Lebert, dans la communicante postérieure que doit vraisemblable¬
ment siéger la tumeur. Le peu d’intensité des troubles psychiques et sen¬
soriels, l’existence d’une hémiplégie caractérisée et d’une paralysie incom¬
plète du facial, de fréquentes attaques épileptiques sont en faveur d’une
tumeur de l’artère sylvienne. Enfin, l’anévrysme étant reconnu, on peut
admettre qu’il occupe la basilaire lorsque la céphalalgie siège à l’occiput,
qu’elle s’accompagne de surdité, de troubles de la locomotion, que l’ar¬
ticulation des mots est difficile, que les paralysies sont étendues, les at¬
taques épileptiques fréquentes, les troubles psychiques peu prononcés, et
enfin que la respiration est gênée sans qu’il existe de lésion dans l’appareil
respiratoire. Griesinger, se basant sur les résultats de l’expérimentation
{voy. Anémie cérébrale), pensait que dans les cas où une tumeur anévrys¬
male interrompait la circulation dans le tronc basilaire, la compression
des deux carotides devait provoquer des attaques épileptiformes et pouvait
ainsi conduire au diagnostic. C’est un moyen dont on ne pourrait user
qu’avec une grande circonspection.
ENCÉPHALE. — tumeurs.
185
Le diagnostic des tumeurs diathésiques est possible dans certaines
circonstances.
Les tubercules surviennent presque exclusivement dans le jeune âge,
alors que les autres tumeurs sont excessivement rares. Souvent l’enfant
est né de parents phthisiques ; il présente des signes de scrofule, tels que
des abcès ganglionnaires, des affections articulaires chroniques; d’autres
fois on constate par l’auscultation du thorax des signes positifs de tuber¬
culose pulmonaire. Ces tumeurs siégeant le plus souvent dans l’intimité
du tissu nerveux, produisent rarement des paralysies isolées des nerfs
crâniens ; elles donnent lieu plutôt à des hémiplégies incomplètes, mais
elles sont surtout caractérisées par des accès convulsifs, de la céphalal¬
gie et des vomissements. Quand elles s’accompagnent de fièvre, on peut
facilement croire à une méningite.
On soupçonnera un cancer de l’encéphale si, chez un individu pré¬
sentant les signes d’une tumeur intra-crânienne, il se produit un amai¬
grissement rapide, si les téguments prennent l’aspect caractéristique,
s’il se fait des coagulations spontanées dans les veines , et surtout si
d’autres organes sont le siège de semblables productions ; mais le plus
souvent ces tumeurs sont limitées â l’encéphale et leur retentissement
sur la nutrition générale est à peu près nul ; on ne possède alors aucun
signe qui permette de les distinguer des productions purement acci¬
dentelles.
Les antécédents du malade, les symptômes concomitants, la nature, la
marche et la mobilité des accidents, les modifications qu’ils subissent
sous l’influence du traitement spécifique, font reconnaître les néoplasies
syphilitiques. Les symptômes varient beaucoup, non-seulement chez les
différents sujets, mais aussi chez le même malade, aux différentes périodes
de la maladie. Ils peuvent apparaître dans la deuxième période de la sy¬
philis, en même temps que les affections superficielles de la peau, vers la
fin de la première ou dans la seconde année qui suit l’apparition du
chancre ; on peut alors les rapporter avec vraisemblance à l’existence
d’épaississements de la dure-mère ou à de petites exostoses comprimant les
nerfs ou les vaisseaux intra-crâniens; ce sont surtout des paralysies limitées,
généralement incomplètes : elles se développent rapidement, puis restent
stationnaires, et au bout d’un temps variable , souvent de plusieurs mois,
elles rétrogradent peu à peu, soit spontanément, soit sous l’influence du
traitement ; en même temps d’autres nerfs sont intéressés, et de nouvelles
paralysies se manifestent pendant que les premières disparaissent. Ces
symptômes s'accompagnent de vertiges, de vomissements, de céphalalgie
avec exaspérations nocturnes. Quand les accidents surviennent dans les
périodes anciennes de la syphilis, ils ont un autre caractère ; souvent ils
peuvent s’expliquer par l’existence d’une seule tumeur ; les attaques épi¬
leptiformes sont plus fréquentes ; quelquefois il se produit une hémi¬
plégie, soit par compression de la sylvienne, soit par lésion directe
des corps striés ou du faisceau moteur; les symptômes sont encore
mobiles, mais leur évolution est plus lente. Pour toutes ces produc-
186
ENCÉPHALE. — tumeurs.
lions, l’action du traitement spécifique est la véritable pierre de touche.
Parmi les productions accidentelles, les tumeurs parasitaires ont pu
seules être reconnues dans certains cas ; elles siègent presque toujours
dans la couche grise des circonvolutions, et elles sont presque constam¬
ment multiples : de là quelques particularités dans leur symptomatologie :
elles s’annoncent souvent par des attaques épileptiformes, dont l’intensité
et la fréquence augmentent progressivement ; rarement il se produit des
paralysies des nerfs crâniens : l’hémiplégie s’observe quelquefois, mais
dans la dernière période de l’affection; les troubles psychiques peuvent
prendre rapidement un caractère grave ; ce sont surtout des phénomèpes
de dépression. Ces tumeurs apparaissent habituellement vers l’àge de
40 ans. Si l’on constate la coïncidence des différents signes que nous
venons d’énumérer, on peut considérer comme probable l’existence
de cysticerques : on a pu ainsi diagnostiquer avec succès ce genre de
tumeurs.
Enûn quand on est arrivé à éliminer les différentes tumeurs que nous
venons d’énumérer, on peut se rattacher de préférence à l’hypothèse d’un
sarcome, car c’est de tous les néoplasmes accidentels celui que l’on ob¬
serve le plus fréquemment', la production d’attaques apoplectiques serait
en faveur de la même opinion, car ces tumeurs sont susceptibles d’aug¬
menter soudainement de volume par suite d’hémorrhagies intersti¬
tielles, et elles peuvent mieux que d’autres rendre compte de ces
symptômes.
Pronostic. — Les tumeurs cérébrales, à l’exception des néoplasies
syphilitiques, se terminent presque constamment parla mort; mais la
durée de leur évolution offre de grandes différences qui sont surtout en
relation avec leur siège et leur nature. Les tumeurs développées dans
les parties tolérantes de l’encéphale peuvent durer des années avant
de provoquer aucun trouble morbide; on trouve quelquefois à l’au¬
topsie d’individus morts en peu de jours d’accidents survenus soudaine¬
ment des tumeurs volumineuses qui sans aucun doute ont été longtemps
silencieuses. Au contraire les tumeurs de la protubérance et surtout
celles du bulbe donnent lieu rapidement à des symptômes graves et amè¬
nent d’ordinaire la mort en peu de temps. Les tumeurs de la partie
moyenne de la base ont moins de gravité que les précédentes; mais leur
pronostic est très-fâcheux en raison de la gravité des troubles sensoriels
et particulièrement de l’amaurose qu’elles causent habituellement, de
la précocité et de l’intensité des troubles intellectuels. Relativement à la
nature de la tumeur, les plus rapidement mortelles sont les cancers; les
anévrysmes sont également d’un pronostic grave, car ils ont dans cette
région une tendance toute particulière à se rompre et ils peuvent ainsi
amener la mort presque subitement ; les tubercules sont fatalement
mortels, les enfants succombent soit aux attaques épileptiformes, soit au
développement d’une méningite secondaire, soit aux lésions viscérales
concomitantes. La durée de la maladie varie de quelques semaines à
cinq ou six ans.
ENCÉPHALE. — tümeürs. 187
On a attribué aux néoplasies syphilitiques un caractère relativement
bénin; le traitement spécifique en triompherait le plus souvent. Cela est
vrai pour les néoplasies qui se développent dans les périodes récentes de
la maladie; mais il n’enestplus de rtiême quand il s’agit de tumeurs gom¬
meuses ; deux fois l’un de nous a vu ces tumeurs entraîner la mort malgré
la médication appropriée. C’est qu’en effet les gommes exercent, comme
nous l’avons vu, une action irritante sur le tissu qui les environne, qu’au
bout de peu de temps elles déterminent à leur périphérie des lésions ir¬
réparables et que le traitement spécifique, tout puissant contre la néo¬
plasie syphilitique, est sans action sur les altérations secondaires dont
elle a été le point de départ.
Les tumeurs accidentelles suivent, le plus souvent, une marche très-
lente; la vie peut se prolonger pendant plusieurs années, mais le pronostic
n’en reste pas moins grave, car les malades sont généralement condamnés
à l’existence la plus pénible.
Traitement. — Dans la plupart des cas, la médication ne peut être
dirigée que contre les symptômes. Les congestions encéphaliques seront
combattues par les révulsifs cutanés et intestinaux; on s’adressera de
préférence aux drastiques, tels que l’eau-de-vie allemande; il ne faut pas
craindre, si l’individu est robuste, de recourir à l’application de sangsues
derrière les oreilles, ou de ventouses à la nuque. La céphalalgie atteint
quelquefois une telle violence, qu’elle nécessite une intervention active et
promptement efficace; l’application sur la tête de compresses trempées
dans une solution faible de cyanure de potassium, amène quelquefois un
soulagement rapide. D’autres fois la douleur est calmée par l’application
continue sur la tête d’une vessie remplie de glace; les injections sous-
cutanées de morphine à dose faible, les pilules de belladone, ont été
également employées avec succès. Si la paralysie persistait malgré ces
moyens, on pourrait pratiquer des injections sous-cutanées de sulfate
d’atropine, mais en commençant par des doses minimes, 2 ou 3 milli¬
grammes., par exemple, et en usant de grandes précautions, car il suffit,
chez certains sujets, de quelques milligrammes pour amener des accidents
graves. Dans les cas de céphalalgie violente et opiniâtre, nous avons
obtenu les meilleurs résultats du bromure de potassium. On peut élever
sans crainte la dose jusqu’à 5 ou 6 grammes par jour; il est rare qu’au
bout de deux jours la douleur ne soit pas apaisée. Dans le cas contraire,
on peut aller jusqu’à 8 ou 10 grammes; constamment alors il se pro¬
duit un soulagement. Il survient, il est vrai, quelques accidents, de
Tincerlitude des mouvements , de l’incontinence d’urine , de la somno¬
lence, mais ils se dissipent au bout de peu de jours sans laisser de traces,
et l’amélioration persiste. On a souvent cherché à enrayer l’évolution de
la tumeur en appliquant à la nuque des cautères ou des sétons ; il est bien
reconnu aujourd'hui que cette médication pénible et douloureuse n’offre
aucun avantage. On administre fréquemment, dans le même but et avec
peu de chance de succès, l’iodure de potassium.
Quand il s’agit d’une tumeur syphilitique, il faut combattre énergique-
188 ENCÉPHALE. — tümeübs.
ment la maladie générale par le traitement approprié, associer le trai¬
tement mercuriel à l’iodure de potassium. Si le danger est pressant,
dans les cas, par exemple, où des attaques épileptiformes se succèdent à
courts intervalles, il faut donner d’emblée de fortes doses d’iodure ; on
peut ainsi obtenir en peu de jours une amélioration considérable. Il est
urgent, en pareil cas, de seconder l’action des spécifiques par l’usage
d’une médication révulsive énergique. On peut ainsi prévenir ou arrêter
le développement des complications phlegmasiques que provoquent si
fréquemment les tumeurs gommeuses.
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EBfCÉPHAUTE DIFFESE. Voy. Paralysie générale.
EMCÊPHAIjOCÈEE. — On désigne sous le nom d’encéphalocèle,
la hernie d’une partie plus ou moins considérable du cerveau ou de ses
enveloppes à travers la boîte crânienne. Cette définition aussi large que
possible s’applique, comme on peut le comprendre, et à l’encéphalocèle
proprement dite et à l’affection que l’on a appelée méningocèle; elle
comprendrait aussi à la rigueur les hernies du cerveau consécutives à des
lésions traumatiques : aussi, bien que nous n’ayons ici en vue que l’eri-
cephalocèle congénitale, consacrerons-nous quelques lignes à l’encépha¬
locèle traumatique.
Des cas extrêmement curieux de hernies de l’encéphale, consécutives
aux plaies par armes à feu ont été relatés par les auteurs du Compendium;
c’est, disent-ils, dans les ble.ssures de cette espèce que l’on voit le cerveau
se soulever, s’échapper par les ouvertures sous forme de champignons
fongueux, noirâtres, gangrenés et tomber par morceaux représentant une
masse considérable de matière cérébrale. Le plus bizarre est que la mort
n’a pas toujours été la conséquence de semblables lésions, et l’on trouve
dans les Mémoires de l’Académie de chirurgie deux faits qui confirment
la possibilité d’une guérison malgré la suppression d’une portion notable
de l’encéphale hernié. En 1861, Houzé de l’Aulnoit, pour donner issue à
un abcès du cerveau consécutif à une fracture du temporal, détacha une
très-large esquille de cette région. Peu de temps après se produisit une
hernie du cerveau qui ne tarda pas à acquérir le volume d’une orange.
Contre toute attente, celte tumeur s’atrophia et finit par disparaître. Le
malade guérit et conserva toute son intelligence. Ils s’agissait d’un enfant
de 14 ans. Je dois rapprocher de ces faits relatifs à la hernie traumatique
du cerveau, le cas dont j’ai donné la description à l’article Crâne du Nou¬
veau dictionnaire de rnédecine, et que j’ai observé dans ma clientèle par¬
ticulière; l’encéplialocèle reconnaît, eu effet, évidemment ici une cause
traumatique, puisqu’elle est consécutive à une application de forceps ; et
encore n’est-elle pas immédiate, elle ne se produit que plusieurs jours
après et consécutivement à la chute de l’eschare jiroduite : de plus elle ne
se produit que lentement, progressivement. Ainsi que je me suis attaché
à le faire comprendre dans la description de ce phénomène qui s’est len¬
tement manifesté sous mes yeux, les méninges ont d’abord fait hernie
sous ta forme d’un petit tube légèrement renflé à son extrémité, puis s’é¬
panouissant légèrement et simulant assez bien une corolle ; la matière
cérébrale ne se trouvait qu’à la base de ce tube, et ce n’est qu’après un
ENCÉPHALOCÈLE. — encéphalocèle cosgénitale. 191
temps qu’il est possible d’évaluer à quinze jours que l’encéphale s’enga¬
geant petit à petit dans cet orifice et le dilatant, est arrivé à constituer à
l’extérieur du crâne une masse du volume d’une tomate. Ce cas, des plus
curieux, semble donc relier d’une manière bien nette les cas de hernie
du cerveau par cause traumatique, avec les cas d’encéphalocèle congé¬
nitale qui doivent surtout nous occuper. Aussi ai-je cru nécessaire de si¬
gnaler ici les phénomènes les plus saillants du fait que j’ai rapporté in
extenso.
Encêphalocèle congénitale. — Cette affection peut être consi¬
dérée comme un rudiment de l’ encêphalocèle et de la pseudencéphalie ;
dans ces derniers vices de conformation, en effet, on trouve presque tout
l’encéphale, ou même cet organe en totalité à l’extérieur de la boîte crâ¬
nienne; au lieu que dans l’affection qui nous occupe, on trouve en de¬
hors du crâne une petite portion, ou du cerveau, ou du cervelet accom¬
pagnée des méninges et d’une quantité variable de liquide. Bien qu’on
trouve dans les Archives générales de médecine deux cas d’encéphalocèle
se faisant jour par le trou occipital déformé et agrandi considérablement
par son bord postérieur, on peut dire que généralement cette hernie
se produit dans la région occipitale, soit au milieu même de l’os, soit
sur la suture lambdoïde; plus rarement dans la région frontale (cas
cité par M. Guersant, dans lequel la tumeur s’était fait jour entre l’un-
guis et le frontal), presque exceptionnellement dans la région tempo¬
rale (cas cité par Billard), dans lequel la portion écailleuse manquait
complètement. Tirman a observé une encêphalocèle sur un enfant de
9 ans. La tumeur est conjonctivale, et occupe la partie interne de
la cavité orbitaire gauche. Tirman signale surtout comme symptôme
important un bruit de souffle continu avec renforcement que l’on en¬
tendait au niveau de la tumeur; un souffle analogue s’entendait sur le
trajet de la carotide. Il s’agissait sans doute d’un bruit de souffle ané¬
mique. Ce malade a été opéré par Gosselin au moyen du petit trocart
de Pravaz, et l’ouverture pratiquée a donné issue à du liquide céphalo¬
rachidien.
En 1863, Dolbeau a observé une encêphalocèle aux Enfants-Assistés
au niveau de la suture fronto-nasale. Elle était de la grosseur d’un œuf
de poule. L’extrémité antérieure du lobe droit faisait hernie. Le corps cal¬
leux refoulé était à l’état d’une lamelle blanchâtre. L’épaisseur des parois
était énorme. L’origine même de l’ encêphalocèle a beaucoup préoccupé
les chirurgiens. La plupart ont pensé qu’elle ne pouvait se produire qu’au
niveau d’une suture ; quelques-uns n'ont même pas été arrêtés par les cas
où l’encéphalocèle se produisait au centre même de l’occipital, et ont ex¬
pliqué le fait par la multiplicité des points d’ossification admise par
Meckel ; de sorte que ce serait encore au niveau d’une suture reliant les di¬
verses pièces de l’os que la hernie encéphalique se serait produite. Quoi
qu’il en soit, nous ne pouvons que constater le fait de l’issue du cerveau
par la partie moyenne de l’os. D’après Holmes, le siège ordinaire est dans
la région occipitale, et de plus la tumeur fait hernie à travers la portion
192 ENCÊPHALOCÈLE. — EJSCÉPHALOCÈLE COiNGÉNITALE.
élargie de l’os. Dans le cas que nous représentons (fig. 17), la tumeur a
fait saillie à travers la partie membraneuse centrale qui correspond à la
Fig. 17. — Méningocèle de la région occipitale, d’après un moule qui est déposé au musée de
Saint-Georges-Hospilal. La 0gure représente très-fidèlement l’apparence sous laquelle se
montre ordinairement le méningocèle de la région occipitale ; la distance qui existe entre le
pédicule de la tumeur et la nuque cervicale indique la distance probable entre le collet du
sac et le trou occipital ; la hauteur du front et le volume relativement considérable du crâne
par rapport à celui de la face révèlent la présence du liquide dans les ventricules. (Holmes.)
région de la protubérance occipitale et, par conséquent, à la réunion des
quatre parties qui doivent constituer l’occiput.
Causes. — Nous ne nous arrêterons pas aux effets attribués à l’imagi¬
nation maternelle. Un examen sérieux et approfondi des faits a complète¬
ment fait justice de toutes ces erreurs. Les violences extérieures exercées
sur le ventre de la mère durant la grossesse ne nous paraissent guère plus
admissibles; quant au travail de l’accouchement, nous serions disposé à
croire avec Delpech qu’il n’est que pour peu de chose dans la production
de l'encéphalocèle, si le fait observé par nous et cité au commencement
de cet article n’ébranlait un peu notre opinion à cet égard. Pourquoi ne
pas admettre, en effet, que les désordres produits par une application
malheureuse du forceps, ne puissent se manifester également à la suite
d’une compression énergique et prolongée sur l’angle sacro-vertébral par
exemple ? Il nous paraît toutefois rationnel d’admettre que le défaut d’os¬
sification, l’arrêt de développement des os du crâne d’une part, une for¬
mation irrégulière ou plutôt une malformation de l’encéphale, d’autre
part doivent être considérés comme les véritables causes de l’affection
qui nous occupe.
Anatomie pathologique. — Ce que nous avons dit plus haut au sujet du
siège, nous dispense d’insister beaucoup sur l’ouverture qui livre passage
à la hernie. Fibreuse ou osseuse suivant son siège, elle ne permet dans
aucun cas la réduction de la masse herniée. Examinons maintenant la
partie herniée. Dans quelques cas exceptionnels, la dure-mère a été
éraillée et la tumeur n’a alors d’autres enveloppes que le péricrânetrès-
aminci et la peau ; dans d’autres cas, c’est la peau qui manque et la dure-
ENCÉPHALOCÈLE. — escépiialocèle CONGÉNITALE. 19Ô
mère est la seule enveloppe ; le plus souvent la tumeur est recouverte par¬
la peau tendue, lisse, dépourvue de cheveux au sommet de la tumeur, le,
tissu cellulaire et lepéricrâne, et enfin la dure-mère et l’arachnoïde. L'ad¬
hérence interne de ces différentes couches rend leur dissection très-diffi¬
cile ; et cette difficulté est, d’après les auteurs du Compendium, rendue plus
grande encore par la présence de kystes assez fréquents. Lorsque les en¬
veloppes de la tumeur ont été incisées, on trouve le plus souvent une as¬
sez grande quantité de liquide (jusqu’à 500 grammes), surtout dans les
cas de hernie comprenant la partie postérieure d’un ventricule latéral ;
puis la tumeur elle-même qui appartient le plus souvent au cerveau plus
rarement au cervelet, plus rarement encore au cerveau et au cervelet.
Nous ne citons que pour mémoire les cas dans lesquels la tumeur ne con¬
tenait que du liquide. C’était alors une méningocèle et non point une encé-
phalocèle.
L’encéphalocèle a été si fréquemment l’objet d’erreurs de diagnostic
considérables qu’on ne saurait trop insister sur ses symptômes les plus
saillants. Disons-le cependant; ces symptômes ne sont point constants et
l’embarras devient extrême. Le plus souvent l’encéphalocèle se présente à
nous sous la forme d’une tumeur molle variant du volume d’une noisette
à celui d’un œuf de dinde, pédiculée, fluctuante et par conséquent en
partie réductible, le plus souvent translucide et offrant à la palpation des
pulsations isochrones. Les bosselures que l’on constate à sa surface, sont
dues à des brides, à des adhérences profondes ou à des éraillures du
derme, et non, comme on l’a avancé, aux circonvolutions cérébrales, la
couche liquide qui les entoure rendant leur perception complètement im¬
possible. Cette tumeur comprimée donne lieu aux phénomènes de com¬
pression cérébrale, (nausées, convulsions, coma, etc.). Elle peut rester
stationnaire, mais c’est fort rare; le plus souvent elle se développe, donne
lieu à des accidents de plus en plus marqués ; et l’affection se termine par
une méningite déterminée par action directe, ou par la gangrène des en¬
veloppes de la tumeur. Ainsi, bien que des cas aient été cités d’individus
porteurs d’cncéplialocèles atteignant l’âge de 17, de 25, de 35 ans, peut-
on affirmer que les sujets atteints de cette affection succombent habituel¬
lement dans les premières années. L’encéphalocèle a été confondue avec
une loupe (cas de Lallement, cité par Cloquet). Il s’agissait d’une jeune
fdle de 17 ans. La tumeur était molle, fluctuante, non transparente et ne
pulsaitpas. Elle fut incisée, et peu de jours après une méningite emporta
la malade. Un cas analogue, relaté dans le mémoire de Dezeimeris, eut
une issue moins funeste : la malade guérit de l’opération. Chassaignae
cite un cas dans lequel il prit une encéphalocèle pour un kyste séreux, et
l’incisa. La tumeur était molle, fluctuante, transparente ; mais n’offrant
ni expansion, ni battements. Bien que l’on donne comme signes dia¬
gnostics de l’encéphalocèle sa transparence et ses- battements, pour la
distinguer des loupes et des kystes, une foule de circonstances, telles que
l’épaisseur considérable des membranes, les petits diamètres de l’orifice,
peuvent rendre le diagnostic très-obscur. Aussi ne doit-on faire entrer en
KODV. DICT. aÉD. ET CHilt. XIII. — 13
194 ENCÉPHALOCÈLE. — emcéphalocèle congénitale.
ligne de compte que l’ancienneté de la tumeur qui remonte à la naissance
et la rareté extraordinaire des kystes séreux dans cette région. Le dia¬
gnostic avec le céphalœmatome reposera surtout sur le siège de l’affection
(d’après M. Chassaignac, la région pariétale où l’on trouve le plus souvent
le céphalœmatome n’aurait jamais été le siège de l’encephalocèle) et en¬
suite la persistance, voire même la progression de la tumeur, le contraire
ayant lieu dans le céphalœmatome. Ce sont, croyons-nous, les meilleurs
signes : car la transparence, l’expansion, la pulsation, laréductihilité sont
soumises à trop de causes d'erreur. — La tumeur érectile se distin¬
guera de l’encéphalocèle par sa coloration, sa réductibilité complète et
dans le cas célèbre présenté par Guersant à la Société de chirurgie, cas
dans lequel le diagnostic fut partagé entre une encéphalocèle et une tu-
tumeur érectile, l’autopsie prouva qu’il y avait coïncidence des deux affec¬
tions.
Bien que le pronostic soit toujours fâcheux, puisque la méningite vient
toujours terminer la scène, il y a cependant des degrés dans la gravité
des cas. Les plus sérieux sont sans contredit ceux qui se rapportent aux.
encéphalocèles dépourvues de peau. Viennent ensuite les plus volumi¬
neuses. Les encéphalocèles d’un très-petit volume, étant moins exposées-
aux violences extérieures, auraient une gravité moindre.
Quelle que soit la gravité du pronostic, un traitement palliatif doit
seul être conseillé dans l’encéphalocèle ; les traitements prétendus cu¬
ratifs ayant tous été sans exception suivis d’une mort plus ou moins
rapide. Si nous les passons en effet en revue, nous trouvons que : 1“ la.
ligature pratiquée 5 fois seule, 1 fois combinée par Velpeau avec l’exci¬
sion, a fourni 4 cas de méningite suivie de mort ; 2“ l’incision a donné
une moyenne moins déplorable, 3 cas de guérison sur 7 ; mais encore
faut-il s’entendre, le mot guérison veut dire ici que les malades n’ont
pas succombé à l’opération; mais nous n’avons pas besoin d’ajouter que
le liquide seul a été évacué et que la hernie encéphalique n’a pas été
réduite ; 3“ l’excision exposant encore bien plus que l’incision aux acci¬
dents inflammatoires doit être rejetée.
Nous devons dire cependant qu’en 1 866 Broca appela l’attention de la-
Société de chirurgie sur un travail de Béiin (de Colmar), relatif à l’exci¬
sion d’une tumeur congénitale située sur la petite fontanelle. Le malade
avait conservé, longtemps après l’opération, un écoulement de liquide
céphalorachidien par sa plaie, mais avait fini par guérir.
Ce qui serait peut-être le plus rationnel consisterait à pratiquer d’abord
une ponction, puis à exercer une compression sur la tumeur. La ponction
aurait en effet donné de bons résultats entre les mains d’Adams, à con¬
dition d’être pratiquée au moyen d’un instrument très-ténu, une aiguille
par exemple; et d’être répétée aussi souvent qu’il serait nécessaire.
Entre chacune des ponctions, la compression serait pratiquée. S'il est, en
effet, tout à fait absurde d'employer la compression conime moyen cura¬
tif, puisque l’on peut tout au plus amener par elle la réduction du li¬
quide, mais non de la masse cérébrale herniée, il est très-logique de l’em-
ENCÉPHALOCËLE. - DE LA MÉiMSGOCÈLE. 195
ployer comme palliatif et surtout comme adjuvant de la ponction, soit
au moyen d’un bandage analogue aux brayers, soit à l’aide d’une plaque
de plomb, de cuir bouilli ou de gutta-percha. Cette méthode a, au reste,
pour avantage immédiat de protéger la tumeur contre les agents exté¬
rieurs, notamment contre les chocs et les frottements de toute nature, et
peut-être ne serait-il pas impossible qu’elle s’opposât à un accroissement
de volume de la tumeur.
Spring a cherché à établir les différences diagnostiques qui séparent
l'encéphalocèle de la méningocèle; outre le peu d’importance clinique
que présente cette distinction, il paraîtrait certain, d’après un travail fort
intéressant de Houel dont nous allons donner l’analyse (1859), qu’il est
tout à fait impossible d’admettre l’existence de la méningocèle pure.
Suivant Houel, il y aurait en effet toujours une concordance ou plutôt
une concomittance entre les deux affections. L’opinion de ce chirurgien
aurait d’autant plus d’intérêt qu’elle s’écarte en plusieurs points des
idées émises par les auteurs du Compendium de chirurgie.
Houel veut surtout, dans ce travail, élucider quelques points restés
obscurs dans le sujet. H n’envisage que les hernies congénitales. Ledran
le premier aurait cru à l’existence d’une encéphalocèle de la région parié¬
tale ; mais il aurait pris un céphalœmatome pour une hématocèle. Plus
tard, Corvinus Ferrand, Cloquet, Langenbeck, les auteurs du Compendium,
ont traité cette question. Les tumeurs herniaires du cerveau sont fort loin
d’être identiques; delà, des variétés considérables de succès et de revers,
résultat de telle ou telle thérapeutique. Spring les a très-nettement distin¬
guées en méningocèles et encéphalocèles.
De la méningocèle. — Elle est formée par la dure-mère et le
feuillet pariétal de l’arachnoïde contenant de la sérosité {hydrocéphale
externe de Wepfer; poche arachnoïdienne de Rokitanshy). Simple ou
compliquée, la méningocèle peut encore être distinguée en congénitale,
de l’enfant, de l’adulte. La méningocèle congénitale est la plus com¬
mune. Celle de l’enfance ne se manifeste qu’après un ou plusieurs mois,
parfois quelques années. Enfin la méningocèle de l’adulte ne se montre
qu’après l’ossification de la boîte crânienne et nécessite pour se produire
un état pathologique beaucoup plus considérable.
Causes. — La plupart des auteurs admettent comme cause primor¬
diale une hydrocéphalie chronique arachnoïdienne qui, distendant les
méninges, fait céder la boîte crânienne. H faudrait pour que cela fût vrai,
démontrer d’une manière irrécusable cette hydrocéphalie ; or Legendre,
Barthez et Piilliet admettent que les hydrocéphalies sont consécutives à
une hémorrhagie dans l’arachnoïde et que la séreuse normalement lubré-
fiée par une sérosité peu abomlante n’a que peu de tendance à une hy-
dropisie chronique essentielle.
Anatomie pathologique. — Spring a publié 24 observations qu’on peut .
diviser en 4 groupes. La première série de 10 comprend les méningocèles
congénitales simples, les plus communes d’après lui : 7 fois la hernie
était occipitale, 2 fois au sommet de la tête, 1 fois au niveau de la foiita-
196 ENCÉPIIALOCÈLE. — ekcéphalocèle co.ngésitai.e,
nelle antérieure. L’examen de la poche ne permet, dans aucun cas, de
conclure d’après l’observation à une méningocèle simple sans la présence
d’une lamelle de tissu cérébral. La compression aurait guéri 4 de
ces cas. Cette appréciation se trouve confirmée par deux cas de ménin¬
gocèles observés par Holmes à Saint-Georges Hospital, à Londres. Dans
un de ces cas, la tumeur située derrière la tête avait à la naissance le vo¬
lume d’une noix, puis grossit au point de mesurer huit pouces un quart
en longueur et six pouces en largeur. Elle se tendait au moment de
l’effort et se réduisait en partie. Plusieurs ponctions suivies d’injec¬
tions iodées furent pratiquées, et l’on put observer plusieurs alterna¬
tives de diminution et d’augmentation. On pouvait cependant espérer un
heureux résultat lorsque l’enfant succomba à la suite d’une broncho¬
pneumonie. A la dissection, la tumeur présenta l’aspect que retracent lés
figures 18 et 19. La tumeur extérieure que représente la figure 18 est
multiloculaire; elle communique par une très-petite ouverture avec la
cavité crânienne. Le pédicule est formé par le trou occipital et l’arc an¬
térieur de l’atlas rempli par une membrane. Les ventricules latéraux sont
très-élargis ; mais le quatrième ventricule ne l’est que très-légèrement.
L’intérêt de cette observation repose d’une part sur l’étroitesse extrême
du canal de communication avec la cavité crânienne, d’autre part sur l'in¬
nocuité relative des injections iodées dans la méningocélie.
La deuxième série comprend les méningocèles simples de l’enfant
(3 faits) : 2 à l’occiput, 1 au sommet de la tête. L’étude attentive de
ces faits ne permet point de croire à une méningocèle, pas plus que les
2 cas de la troisième série qui ont trait à la méningocèle chez l’adulte.
Une observation de Paul Dubois, dans laquelle la méningocèle parais¬
sait exister seule, mais où le cervelet manquait; elle inspire également des
doutes.
D’après ces faits, la méningocèle est rare, si même elle existe ; et cette
lésion n’est pas encore suffisamment démontrée, pour que l’on puisse en
tracer les symptômes et le diagnostic même de la méningocèle.
De l’encêpha-locèle. — Tantôt la hernie est produite par une partie
du ventricule distendu par la sécrétion, tantôt cette dernière manque, La
première variété a été désignée par Corvinus sous le nom à’hydrencé-
fhaloeèle. La seconde constitue Vencéphalocèle simple. Cetle division
incontestable étant admise, il paraît certain que l’hydrencéphalocèle est
de beaucoup la variété la plus commune.
Anatomie pathologique. — 1° Siège. — Le front, la partie antérieure
de la base du crâne et l’occiput sont les lieux d’élection de la maladie
qui noua occupe. Région occipitale, 56 observations. Cette variété com¬
prend deux sous-variétés. Les sus-occipitales (contenant les lobes céré¬
braux), les sous-occipitales (contenant le cervelet) et enfin les tumeurs
volumineuses appartenant plutôt à la tératologie qu’à la pathologie et
dans lesquelles la plus grande partie du cerveau et du cervelet étaient
comprises.
Hernie occipitale {notencéphale de Geoffroy 8aint-Hilairc). — Le siège
198 EINCÉPHALOCÈLE. - ESCÉPHALOCÊLE CONGÉNITALE.
de l’ouverture occupe les régions sus et sous-occipitales et réunit les deux
précédents. La tumeur contient la partie postérieure des lobes cérébraux
et le cervelet. Houel en a réuni 16 observations, dont 1 à P. Dubois et 1 à
Depaul.
Région du front et de la partie antérieure de la base du crâne.
— Hernies fronto-nasales {proencéphale de Geoffroy Saint-Hilaire) . —
Le plus souvent l’ouverture qui leur donne passage est à l’union du
frontal avec les os nasaux, rarement dans le frontal.
Hernie de la partie antérieure de la base du crâne. — Le pédicule de
la hernie est loin de sortir toujours du même point : tantôt au niveau de
l’os unguis, d’autres fois en arrière du globe oculaire et par la fente sphé¬
noïdale, tantôt enOn par la fente spbéno-maxillaire.
Enfin, l’ouverture herniaire peut être creusée à travers le corps du
sphénoïde, ou la partie interne des grandes ailes, ou bien la lame cribléé
de l’ethmoïde.
Les fontanelles et les sutures sont généralement regardées comme
étant les points par lesquels se produisent les hernies. Malgaigne rejette
du cadre des encéphale cèles toutes les tumeurs ne siégeant pas à ce ni¬
veau. Les auteurs du Cdmpendium font même entrer en ligne de compte
les sutures rudimentaires qui séparent les points d’ossification.
Éléments constituants de la tumeur herniaire. — Peau. — Plus ou
moins amincie, elle s’enflamme pourtant exceptionnellement. Les che¬
veux nuis au sommet entourent la base, puis finissent par disparaître
tout à fait.
Tissu cellulaire. — Lamelle mince contenant parfois des kystes.
Aponévrose. — Lamelle plus forte dans les hernies occipitales et for¬
mée par l’aponévrose épicrânienne.
Parties contenues. — Bure-mère. — Elle est rarement éraillée et pré¬
sente un aspect bosselé dû en partie à la propulsion des sinus en dehors
du crâne, de l’autre à des brides de renforcement. — L’arachnoïde est
souvent le siège d’une exhalation séreuse, donnant naissance à un kyste
volumineux. — Les centres nerveux, quand ils appartiennent aux ven¬
tricules, sont distendus, amincis, et souvent réduits à l’épaisseur d’une
lamelle excessivement mince.
Causes. — Houel croit avec Spring que dans l’encéphalocèle l’ou¬
verture qui donne passage à la hernie est accidentelle et reconnaît
pour cause l’hydropisie ventriculaire. L’hyperthrophie du cerveau, invo¬
quée par Heshmann ne s’appuie sur aucun fait positif. L’hydropisie
ventriculaire est une cause beaucoup plus plausible en ce sens que l’hy-
drencéphalocèle ne se produit que là où il y a des ventricules.
Svmptômes; volume. — Depuis le volume d’un pois jusqu’au volume
du poing. Ces tumeurs semblent parfois une tête surajoutée comme dans
les deux modèles en cire donnés au Musée par Dupuytren. L’encéphalo¬
cèle est toujours pédiculée, lisse ou bosselée.
Coloration. — Coloration normale, quelquefois légèrement bleuâtre à
l’occiput. Dans la région frontale, elle affecte parfois une coloration rou-
ENCÉPHALOCÈLE. — bibliographie.
199
;geâtre qui peut la faire confondre avec une tumeur érectile, et qui serait
-due à un surcroît de circulation artérielle ou plutôt à une anastomose de
la circulation artérielle crânienne avec la circulation superficielle.
La fluctuation est un signe constant, mais la transparence est un signe
■trompeur en ce sens qu’elle peut faire croire à une méningocèle simple,
alors qu’une couche mince de cerveau est interposée entre le liquide et
le bistouri.
L’irréductibilité a paru la règle à Houel ; de même que les pulsations
et l'expansion lui ont semblé manquer souvent.
Résdjié. — L’hydrocéphalie arachnoïdienne simple n’existe pas, à
l’exception de celle qui succède à l’hémorrhagie méningée. Le liquide
s’accumule toujours à l’intérieur des ventricules.
La méningocèle de Spring ne paraît pas prouvée et doit rentrer dans
l’hydren cép halo cèle .
L’hydrencéphalocèle est la variété la plus commune. Le siège de ces
hernies concorde toujours avec le siège des cavités ventriculaires. Les
hernies frontales et de la partie antérieure de la base du crâne seraient
plus fréquentes qu’on ne croit.
Le siège de ces tumeurs est, avec leur forme pédiculée, le meilleur
signe diagnostique.
La coloration de ces tumeurs à la région fronto-nasale paraît due,
d’après Breslau, à une anastomose entre les vaisseaux crâniens et ceux
de la face.
Le traitement chirurgical paraît dangereux à cause de la connaissance
incomplète que l’on a de ces tumeurs.
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L’auteur y a réuni les observations de Forest, Schneider, Fried, Thiébault, Held, Robert
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L. A. DE Saint-Geiîm.4in.
ENCÉPHAlLOIDE. Voy. C.ANCEB, t. VI, p. 157.
EIVCHONDROME. Voy. Chokdrome, t. VU, p. 498.
EKfCEA.VEMEIV'ir. Voy. Accouchement et Dystocie, t. XII, p. 126.
EIVPÉMÏE. — Maladies endémiques (de h o-qiAsg). A propre¬
ment parler : maladies qui sont propres à un peuple ou à une localité ;
on dirait de même : maladies de pays ; en allemand : Landskrankheiten
Le mot endémie a un sens vague ; il comprend en effet des objets va¬
riés et différents. Pris dans son acception la plus générale, il embrasse
l’ensemble des circonstances multiples qui engendrent ou entretiennent
des maladies spéciales dans les différentes contrées du globe. On peut
concevoir l’idée d’un pareil plan, mais sans espoir de le réaliser. A notre
époque, les expressions d’ethnographie et de géographie médicale ont
été imaginées pour répondre à deux chapitres détachés de cet ensemble.
Avant d’examiner la question historiquement ou plutôt dans ses ori¬
gines premières, il convient d’en indiquer les limites et d’en montrer la
vaste étendue. Tout d’abord on a dû classer les maladies des peuples-
comme les peuples eux-mêmes d’après des caractères extérieurs très-ap¬
parents, sans pouvoir donner la raison de ces caractères. Le cantonne¬
ment des peuplades, la barbarie qui y maintenait immuables les habi¬
tudes les plus contraires à la santé, l’absence de tout progrès dans les
mœurs et dans l’hygiène, l’immobilité imposée à des sociétés à peine
ébauchées, parla tyrannie de la religion et des superstitions de toute
sorte, nous expliquent comment, à l’origine, les foyers de maladies spé¬
ciales étaient nettement circonscrits. On peut dès lors imaginer que des.
ENDEMIE. - MALADIES E^’l)ÉMIQIiES. 20l
causes innombrables et d’ordres différents pouvaient être invoquées pour
expliquer les endémies. Quelques-unes de ces causes étant plus appa¬
rentes, plus grossières, ont dû attirer d’abord l’attention des premiers
observateurs, si tant est que le mot d’observation pris aujourd’hui dans
un sens étroitement scientifique puisse être appliqué à ces récits prove¬
nant le plus souvent de voyageurs peu éclairés. Le climat, à lui seul, com¬
prend une si grande complexité d’éléments qu’on ne saurait le définir
exactement aujourd’hui que la science s’est faite plus scrupuleuse. A l’o¬
rigine, on définissait le climat en quelques traits : plaine ou montagne,
froid ou chaud, sec ou humide, exposition d’un lieu au sud, au nord, au
levant ou au couchant. La race était de même décrite superficiellement.
Pour les habitudes, le régime, les produits du sol, les descriptions n’é¬
taient pas moins laconiques. Quant à la météorologie, c’est une science
à peine naissante. Les maladies tenant à l’éducation, à l’état social et
politique des nations, ont été encore peu étudiées. Pour ce qui est des
maladies' parasitaires, elles ont été à peine connues des auteurs anciens.
On remonte volontiers à Hippocrate comme à la source de toute science
médicale. Il n’a point écrit à proprement parler sur les endémies, mais
on a loué beaucoup son Traité des airs, des eaux et des lieux. Quelque
respect que doive inspirer ce livre qui a fait l’admiration de tant de gé¬
nérations et servi d’exemple jusqu’en ces derniers temps, il faut avoir
le courage d’avouer que les enseignements qu’on y puise sont plutôt
philosophiques que médicaux. On y trouve, à la vérité, comme un exposé
de la méthode qu’il faudra suivre. Le point de départ en est juste, le
principe est posé, mais les observations sont rares et manquent de réa¬
lité : c’est une conception idéale. Un pareil plan suppose connu ce qui
est inconnu, à savoir : la géographie, l’astronomie, la météorologie; en
un mot, la physique du globe. 11 faut savoir distinguer un tableau d’une
ébauche. Rien n’est complet comme une ébauche; or ce plan à peine
esquissé par Hippocrate ne saurait être réalisé, même aujourd’hui. On
comprend comment les livres hippocratiques ont tenu le monde sous le
charme pendant deux mille ans; ils semblaient répondre à tout, comme
les livres sacrés, et l’on n’osait ni les contredire ni les contrôler.
Hippocrate dit que le médecin doit, en arrivant dans une ville, en étu¬
dier la position topographique, l’exposition par rapport au soleil et aux
vents ; qu’il doit examiner si le sol est sec ou boisé, si les eaux sont la¬
custres ou rocheuses, se rendre compte du climat, des habitudes et du
régime des habitants, et qu’il pourra ensuite prévoir la constitution fu¬
ture de l’année. Il semble que les astrologues du moyen âge se soient
conformés à ces préceptes qui renferment la vérité, mais une vérité qu’il
s’agit d’extraire, ce à quoi n’ont pas encore suffi deux mille ans. Il n’y a
pas quarante ans qu’on voit enfin apparaître la météorologie scientifique.
Lorsque, sortant du vague des préceptes, Hippocrate entre sur le ter¬
rain des réalités de détail, il perd son prestige; on en pourra juger par
les passages suivants : « Dans des lieux exposés aux vents chauds, dit-il,
les eaux seront abondantes, saumâtres, les habitants ont la tête humide
202 ENDÉMIE. — maladies endémiques.
et pituiteuse. Quant aux maladies endémiques, les femmes sont maladives
et exposées aux écoulements, elles avortent facilement... Dans les villes
exposées aux vents froids, les hommes sont robustes et secs, ils ont des
pleurésies et toutes les affections dites aiguës..., ils mangent beaucoup
et boivent peu. » On ne reconnaît pas là l’étude, mais bien plutôt des as¬
sertions faites a priori. Le chapitre des eaux nous montre quelques ob¬
servations justes égarées au milieu de notions imparfaites ou contesta¬
bles : « Les eaux des marais sont, en été, chaudes, épaisses, de mauvaise
odeur; elles sont malsaines... et propres à augmenter la bile... Ceux qui
en font usage ont toujours la rate volumineuse et dure, le ventre res¬
serré, émacié et chaud, les épaules et les clavicules décharnées. En effet,
les chairs se fondent au profit de la rate, et c’est là la cause de la mai¬
greur de ces hommes...; en outre les hydropisies, dans ces pays, sont
très-fréquentes, ainsi que les dysenteries, les fièvres quartes, etc. Les
meilleures eaux sont celles dont la source regarde le levant. . . » (Hippo¬
crate, Des airs, des eaux et des lieux, t. II, p. 15 et suiv., traduction de
Littré.)
Les observations hippocratiques sur les saisons et. sur la météorologie
sont vagues et beaucoup trop générales; on n’y trouve aucun élément de
statistique, aucun moyen de contrôle.
Quant aux notions tirées des habitudes, du climat, delà race, des ins¬
titutions politiques, elles ont été fort louées, dans Hippocrate, et avec
raison, par les philosophes et les littérateurs. Sans doute la concep¬
tion du plan est philosophique, mais la médecine ne trouve dans ces
morceaux de style aucun renseignement positif ni pratique. Le pro¬
blème est à peine indiqué, et il est résolu par approximation. S’il était
permis d’indiquer par avance la marche que suivra prochainement la mé¬
decine scientifique, on pourrait dire que bientôt les observations faites
en différents points du globe se multiplieront assez pour fournir les élé¬
ments d’une géographie médicale complète. Déjà des éléments épars ja¬
lonnent ce vaste champ et forment comme les linéaments indicateurs de
cette science nouvelle qui procède plus encore de l’hygiène que de la no¬
sologie proprement dite. L’expérimentation même trouve ici sa place,
en ce sens que certaines maladies endémiques naissent à coup sûr dans
certaines conditions déterminées qui sont aujourd’hui bien connues, et
que les médecins signalent sans avoir la puissance de prédication néces¬
saire pour aider les autres hommes à s’y soustraire. Certains climats
meurtriers prélèvent sur ceux qui y pénètrent de trop nombreuses vic¬
times. Certaines circonstances artificielles font naître de toutes pièces des
maladies infectieuses qui sévissent sur les agglomérations d’hommes.
Le fait est connu, mais l’intérêt cupide ou la politique contraignent les
hommes à s’y exposer. C’est par ce côté, qui a sa grandeur, que la méde¬
cine prendra dans les sciences sociales la part légitime qui lui revient.
La statistique montre, suivant une expression anglaise, quelle énorme
proportion de mortalité est due à des maladies évitables.
Si l’on réfléchit à l’immense quantité de circonstances extérieures te-
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES. 205
nant au sol, à l’air, à la température, à la Flore et à la Faune, en un mot
au milieu ambiant, et qui peuvent influer sur la santé des hommes de
toute une contrée ou d’une région circonscrite; si l’on ajoute à cela l’in¬
fluence du régime, des mœurs, des passions, de l’état social, etc., de la
race, on aura réuni toutes les circonstances où nous pouvons puiser les
notions nécessaires pour la connaissance des causes des maladies. Ce n’est
plus alors une partie de la médecine, c’est la médecine tout entière que
comprendrait un pareil travail. Il faut ajouter encore que les progrès de
l’industrie humaine ont engendré une foule de professions qui créent des
aptitudes, des habitudes, des régimes, des atmosphères artificielles, et
par suite une foule de maladies pour ainsi dire endémiques que l’on
pourrait appeler artificielles ou professionnelles.
L’étude de ces différentes circonstances doit nécessairement se répartir
5ur un grand nombre d’articles différents et ne saurait appartenir en
propre à cet article.
Mortalité selon les lieux. — Les statistiques sont partielles et ont rap¬
port à une population spéciale. La plupart du temps elles ont été faites à
l’occasion de quelque grand événement perturbateur comme une épi¬
démie et qui a motivé une enquête, ou bien elles procèdent des comités
spéciaux de la guerre ou de la marine. L‘e plus souvent les statistiques
sont faites en vue d’éclairer les questions de commerce et d’occupation
d’un pays étranger par des conquérants, par exemple en vue de la santé
des Anglais dans l’Inde ou des Français en Algérie. Ce sont là des éléments
spéciaux, trop particuliers pour servir de base à un tableau général de la
mortalité à l’état normal dans les différents pays. La question de l’accli¬
matement joue ici un rôle important et que nous n’avons pas à examiner.
La race joue aussi un rôle considérable dans les tables de mortalité,
c’est-à-dire que les différentes races mises aux prises avec les difficultés
d’un même climat ne se comportent pas de même, les unes étant plus
accessibles à certaines maladies, d’autres s’y montrant réfractaires. De
là la possibilité de répartir les différentes races sur la terre suivant leurs
aptitudes ; il peut naître de là une science économique importante.
Répartition des maladies sur le globe (d’après Boudin). — « Sem¬
blables aux plantes dont plusieurs se rencontrent sur presque tous les
points du globe, tandis que d’autres ne se montrent que d’une manière
■endémique dans quelques localités, les maladies de l’homme sont, elles
aussi, ou répandues sur toute la surface du globe, ou liées à certaines
zones, ou enfin restreintes à des localités plus ou moins circonscrites. On
peut donc dire avec une parfaite exactitude, des maladies considérées
au point de vue géographique, comme des végétaux, qu’elles ont leurs
habitats, leurs stations, leurs limites, sous le triple rapport de la lati¬
tude, de l’altitude, et même de la longitude géographique. Ces habitats,
ces stations, ces limites géographiques des maladies, sont plus ou moins
subordonnés à des conditions météorologiques ou telluriques ; quelque¬
fois cependant, les causes de la présence ou de l’absence des espèces
nosologiques échappent à l’appréciation de la science.
SO-i ENDÉMIE. — maladies endémiques.
« La limite septentrionale du choléra se trouve en Europe, à Archangel
par 64 degrés de latitude nord; en Amérique, il a pénétré jusqu’au Ca¬
nada ; jusqu’ici il a épargné l’Islande, le Groënland et la Sibérie. Dans
l’hémisphère sud, il ne s’est montré que très-exceptionnellement, et il y
a atteint sa limite méridionale à Bourbon par 21 degrés de latitude. Le
Cap et l’Australie ont été épargnés jusqu’à ce jour (1857) ; la portion de
l’Amérique qui s’étend dans l’hémisphère sud n’a été envahie que vers la
fin de 1855. La fièvre typhoïde ne se rencontre guère que dans la zone
tempérée et froide de l’hémisphère nord ; elle paraît faire défaut dans la
région tropicale, et meme dans la région tempérée de l’hémisphère süd.
Elle commence à devenir très-rare à partir de la ligne isotherme de
16 degrés centigrades, et l’on peut lui assigner pour limite méridionale
l’isotherme de 20 degrés.
« Le domaine de la pellagre endémique est compris entre le 46® et le
42® degré de latitude nord ; celui du bouton d’Alep entre 38 et 35 degrés
nord; celui du béribéri entre 20 et 16 degrés nord. Les fièvres palu¬
déennes qui cessent de se manifester dès le 57® degré de latitude nord,
s’élèvent en Russie, jusqu’au 59®, et elles vont même en Suède jusqu’au
63® degré. Des limites analogues s’observent sous le rapport de la longi¬
tude géographique; ainsi la fièvre jaune ne s’est rencontrée, jusqu’ici
qu’entre Livourne et Acapulco, sur la côte occidentale de l’Amérique ;
les verugas, espèce de frambœsia ne se trouvent au Pérou que sur le ver¬
sant occidental des Andes, jamais sur le versant oriental, et toujours
entre 600 et 1000 mètres d’altitude. (Tschudi.) Dans la péninsule Scan¬
dinave, on voit la radesyge, principalement à l’est, et la spedalshed, à l’ouest
des monts.
« Diverses maladies peuvent se manifester des mois et des années en¬
tières après que l’homme a quitté le foyer de leur endémicité. A Marseille,
nous avons vu des fièvres pernicieuses chez des militaires qui avaient
quitté r.Algerie depuis un, deux, et même depuis trois mois; en France,
le bouton d'Alep paraît s’être montré chez des individus qui avaient
quitté la Syrie depuis des années. Pour d’autres maladies, au contraire,
la période d’incubation est très-courte; celle de la peste paraît ne pas
excéder huit jours ; selon Mathei, celle de la fièvre jaune ne dépasserait
jamais quatre jours.
« Quelques formes pathologiques semblent n’appartenir qu’à des locali¬
tés très-circonscri tes; telles sont les verugas au Pérou; la maladie appelée
pinta ou mal de los pintos, au Mexique, sur le versant occidental des Cor¬
dillères ; le caak en Nubie ; la plique en Pologne ; le bouton de Bishra en
Algérie ; les hydatides du foie, en Islande. D’autres affections s’observent
sinon exclusivement dans certains pays, du moins avec une fréquence
exceptionnelle ; telles sont ; le tænia, en Abyssinie ; le croup en Suède
sur le lac de Wen ; le trismus des nouveau-nés dans l’île Westmannoë
près de l’Islande ; la gangrène du rectum au Brésil ; le pemphigus, en
Irlande; l’idiotie, aux îles Feroë, etc.
« Par contre, divers pays se font remarquer par l’absence de certaines.
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES.
205
affections. Ainsi la pellagre manque en Sicile et en Sardaigne; la Suisse,
l’Islande et les Feroë ont été jusqu’ici épargnées par le choléra; la phthisie
est presque inconnue en Islande, aux Feroë et dans les steppes des Kirghis ;
les fièvres intermittentes rares à Saint-Pétersbourg et à l’île Maurice,
manquent complètement au cap de Bonne-Espérance. Le crétinisme semble
inconnu en Amérique ; le goitre est très-rare au Pérou, au Brésil, en
Nubie et en Égypte ; les scrofules qui trouvent en Suède leur limite septen¬
trionale, par 62 degrés nord, ne se rencontrent presque pas aux Feroë et
manquent complètement en Islande.
« Plusieurs maladies se montrent plus ou moins dépendantes d’un
certain degré de température, et cette dépendance se révèle par leur pré¬
dilection pour des conditions déterminées de latitude, d’altitude et de
saisons. C’est ainsi que la fièvre jaune semble exiger une température
d’au moins 20 degrés centigrades, pour revêtir la forme épidémique,
tandis que la peste épidémique tend à disparaître, au moins en Égypte, dès
que le thermomètre approche de 28 degrés. »
Histoire d'une endémie disparaissant devant les progrès de la médecine.
— Colique sèche. Cette maladie était endémique par excellence. Ja¬
mais elle ne fut généralisée sous forme d’épidémie, jamais elle ne fut
réputée contagieuse. Cantonnée en un espace limité, tantôt dans une pro¬
vince de France (colique du Poitou), tantôt dans les pays intertropicaux
(colique sèche des pays chauds), tantôt dans une île (Madagascar), ou
dans l’intérieur d’un navire, la colique sèche a tenu un certain rang
parmi les préoccupations des médecins depuis deux siècles. Son rôle est
fini, sa cause dévoilée, elle change aujourd’hui de nom, perd ses nom¬
breuses appellations, et en même temps qu’elle est réduite à un unique
facteur le plomb, elle est aussi chassée de tous les lieux où, étant mise
à découvert, elle peut être détruite dans sa cause même si facilement
accessible. Quelques mots d’historique feront comprendre mieux le ta¬
bleau de cette maladie destinée à disparaître entièrement et qui peut
servir d’exemple. .Au dix-septième siècle Sydenham disait : «Apud insulas
Caribum notissima est colica pictorum. (Voir pour cet historique l’excel¬
lent traité d’A. Lefèvre, 1859.) En 1685 Dellon décrivant les coliques
éprouvées à Madagascar par les équipages de la flotte, les comparait aux
coliques du Poitou. En 1717, Mouson Smith signalait la même maladie
accompagnée de paralysies (thèse, Leyde) ; et il rapprochait cette maladie
de celle des plombiers et des potiers. En 1765, Fermin, à Amsterdam,
signalait, parmi les maladies de Surinam, une colique qu’il croyait n’être
pas autre chose que la colique des peintres. En 1777, le médecin anglais,
David Macbride exprimait une opinion identique. En 1780 et 1784, les
médecins français. Poissonnier Desperrières et Gardanne signalaient la
même cause. Depuis lors,- les ouvrages publiés sur cette maladie se sont
•extrêmement multipliés ; mais, en même temps, l’opinion de plusieurs
médecins s’égara sur d’autres objets et la vraie cause de la maladie fut
perdue de vue. Mérat et Segond (1837) défendirent l’idée d’un mal spé¬
cial que Segond définissait dans le titre même du livre qu’il publiait sur
206 ENDÉMIE. — sialadies ekdémiques.
ce sujet : Essai sur la névralgie du grand sympathique, maladie connue
sous les noms de colique végétale, de Poitou, de Devonshire, de Madrid,
de Surinam, de Barbier, de Béribéri, etc... Tanquerel des Planches a
réfuté cette opinion. Enfin il était réservé à Lefèvre, l’éminent directeur
du service de santé de la marine, de dissiper tous les doutes, de grouper
les cas épars, d’analyser et de ramener à un élément commun les faits
contenus dans des observations particulières, en démontrant d’une façon
certaine que le plomb, le plomb seul était la cause de ces maladies. Le
mode principal d’intoxication provenait de l’eau conservée dans des ré¬
servoirs ou passant par des tuyaux en plomb ; là surtout comme pour la
colique du Poitou et autres lieux où des vases de plomb ou vernis au
plomb renfermaient des liquides acides (cidre, vins aigres, etc.) qui for¬
maient avec le plomb des composés solubles (acétate, citrate, etc.) ou de
l’eau, soit altérée, soit mêlée pour être mieux conservée, à des liquides
acides. A. Lefèvre a poursuivi partout cet agent toxique, et en réformant
totalement les habitudes et l’outillage des marins, a amené une réforme
qui s’étend, se généralise, et fera bientôt disparaître cette espèce morbide
endémique qui tenait une place si importante dans la nosologie. — C’est
ainsi que prend fin une maladie signalée, poursuivie et combattue par
l’hygiène.
Nous avons voulu montrer par l'exemple qui précède combien le mot
endémie comprend d’objets différents, et comment une maladie endé¬
mique peut disparaître lorsqu’elle est attaquée dans sa source même.
Nous allons passer en revue rapidement un certain nombre de circon¬
stances physiques qui sont comme les conditions nécessaires de quelques
maladies endémiques.
Altitude. ■ — Influence de la pression de l’air diminuée. — Mal des
montagnes. ■ — Anémie des altitudes. — Dacosta, dès le quinzième siècle,
signalait le mal des montagnes, et en 1745, Bouguer, dans la relation de
son voyage au Pérou, décrivait les mêmes symptômes. Ces phénomènes
ont été, depuis, bien analysés par un grand nombre d’observateurs, soit
dans l’ascension des hautes montagnes, soit dans des ascensions en
ballon. (Saussure, Biot, Bixio, Gay-Lussac, Clarke, Ch. Martins, Le Pileur,
de Ilumboldt, Boussingault, etc.)
Bécemment des expériences directes ont été faites dans des appareils
artificiels, où l’on pouvait condenser ou raréfier l’air (Yivenot, devienne),
et la question est entrée définitivement dans la voie de l’expérimentation
scientifique.
Boudin résume ainsi l’action physiologique de l’ascension sur les
hautes montagnes : vertiges, céphalalgie, somnolence, dyspnée, accélé¬
ration de la respiration , traiissudation du sang par les surfaces mu¬
queuses, tendance syncopale, palpitation, accélération du pouls, nausées,
soif, douleurs musculaires, suppression de la transpiration, cyanose de la
face. (Boudin, t. I, p. 185.)
On a décrit, sous le nom d’anémie des altitudes (Jourdanet), un
ensemble de symptômes morbides, consistant dans un état de faiblesse
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES CAUSÉES PAR UN VICE DE l’ ALIMENTATION. 207
générale produite par un séjour plus ou moins prolongé sur de hauts
plateaux (au delà de 3,000 mètres). II existe au Mexique une maladie qui
frappe les indigènes et qui se nomme matlazahuatl. Elle consiste en
symptômes nerveux qui ont quelque analogie avec ceux de la méningite.
D’après Tschudi, les verugas, espèce de frambœsia endémique sur le
versant occidental des Andes du Pérou, ne se rencontrerait qu’entre
2,000 et 5,000 pieds au-dessus du niveau de la mer.
L’altitude paraît favorable en ce sens qu’elle met les hommes à l’abri
de certaines maladies (fièvre jaune, fièvres paludéennes). Cette obsei'va-
tion a été mise à profit pour les maisons de santé des troupes européennes
dans certaines contrées intertropicales.
Maladies ENDÉraQUES causées par un vice de l’alimentation. — Certaines
substances, certain mode d’alimentation, doivent être considérés comine
donnant lieu à des endémo-épidémies dont le caractère est constant. De ce
nombre sont les intoxications connues sous le nom à' ei'gotisme, àe pellagre.
Ergotisme. — Il est produit , à certaines époques et dans certaines
régions, par l’ergot de seigle. On reconnaît pour formes principales de
cette maladie, Y ergotisme convulsif et Y ergotisme gangréneux.
Les premières notions sur l’ergotisme convulsif remontent à l’épi¬
démie qui régna en Allemagne (Hesse), en 1596. En 1736, J. A. Srink
en observa un grand nombre de cas en Silésie.
L’ergotisme gangréneux fut observé d’abord en 1709 par Noël, dans
l’Orléanais et le Blaisois; depuis, des épidémies semblables ont été décrites
dans notre pays par Vetillart (1770), dans le Maine, et par Bouchet et
Janson (de Lyon), de 1818 à 1820.
Pellagre. — La pellagre fut signalée en 1730, en Espagne, par don
Gaspar Casai, sous le nom àemal de larosa. Plus tard cette maladie fut ob¬
servée en Lombardie, dans l’État de Venise, et dans le centre de l’Italie, dans
les provinces méridionales de l’Autriche, puis en France, en Valachie, etc.
La pellagre a donné lieu à de nombreux travaux et à des discussions qui
n’ont pris fin que dans ces dernières années. Elle reconnaît pour point
de départ l’alimentation par le maïs. L’altération de cett® substance
(Venderame) a été signalée tout d’abord comme l’origine de la maladie.
Elle n’atteindrait que les populations qui font usage de cette substance
pour leur nourriture. C’est en Lombardie qu’on en a observé les plus
graves épidémies ; cependant , l’alimentation insuffisante et l’extrême
misère en sont les causes les plus certaines. C’est, suivant une expression
moderne, un mal de misère. (La pellagre sera l’objet d’un article spécial
dans ce dictionnaire.) On doit rattacher à la même cause, c’est-à-dire
à l’inanition, à l’alimentation insuffisante, à la famine progressive,
certaines épidémies de typhus des armées, des villes assiégées, Hunger
typhus d’Allemagne, typhus d'inanition de l’Irlande, de l’Algérie, etc.
Le scorbut se rapproche des maladies qui précèdent par un de ses élé¬
ments : l’alimentation insuffisante ou de mauvaise qualité.
Scorbut. — Le scorbut est une maladie qui a fait de grands ravages
et a occupé une grande place parmi les maladies endémo-épidémiques
208 ENbÉMIE. — maladies endémiques.
dans les temps anciens et à quelques époques encore peu éloignées de
nous. Cette maladie aujourd’hui est réduite à de faibles proportions et
n’entre pour ainsi dire que pour une part infime dans les préoccupations
des hygiénistes modernes. Le scorbut, sous différents noms, paraît avoir
été connu des plus anciens auteurs {üenes, stomacaee). On a cru en trou¬
ver une description plus ou moins exacte dans Hippocrate (Prédictions),
dans Celse, Cælius Aurelianus, Avicenne, etc. C’est à partir du quinzième
siècle que se déclarent pour nous les grandes endémo-épidémies de scor¬
but. Cette époque, en effet, est celle des longues expéditions maritimes
et aussi des campagnes maritimes aventureuses et de la grande misère des
gens de mer. Vasco de Gama, en 1498, vit mourir du scorbut cinquante-
cinq de ses compagnons sur son navire, à la côte d’Afrique. Une épidé¬
mie meurtrière se montra aussi pendant l’expédition de Cartier en 1555,
et sur la flotte française, à la fin du seizième siècle, au Canada, de 1740 à
1744, sur la flotte anglaise commandée par Dellon, dans un voyage au¬
tour du monde, et dans l’expédition anglaise de 1773 sur les côtes d’Al¬
gérie. Le scorbut a été longtemps considéré comme une maladie qui sé¬
vissait presque exclusivement sur les hommes embarqués.
Cette maladie a été observée sur la terre ferme, sous forme de graves
épidémies, au commencement du seizième siècle, au nord de l’Allemagne
et dans les provinces Scandinaves : Wier, Fabricius, Albertus, Eugalenus,
Lennox, ont traité du scorbut dans leurs ouvrages et en ont cherché la
cause et la nature. Sydenham, Hoffmann, en un mot, presque tous les
médecins illustres des siècles passés, ont été tentés par cette maladie
longtemps inexpliquée. Les plus graves épidémies en ont été observées
dans les pays du Nord (Allemagne, Suède, Pays-Bas, Danemark, Finlande,
Prusse, Hongrie, Canada, Russie, Angleterre et Irlande). Cependant on
trouve des récits d’épidémies survenues en Turquie, en Italie, dans l’Inde,
à Alger, et quelques apparitions de la maladie dans les climats tempérés
(France, Paris, Strasbourg, Boulogne et Saint-Omer, Roanne).
Cette maladie ne peut pas être considérée comme endémique en France;
elle ne s’y est jamais montrée qu’à l’état de courte épidémie (en 1699,
à Paris ; en 1 7’76, à Évreux ; en 1840, à Clairvaux ; en 1847, à Paris et à
Givet; en 1855 et 54, à Strasbourg; en 1853 et 56, à Aix; en 1855, à
Boulogne ; en 1856, à Roanne). On en a observé des cas en Espagne, mais
les récits de ces faits sont vagues et incomplets. Quelques épidémies ont
été signalées en Californie, au Brésil.
Le scorbut de mer a été observé avec soin et étudié dans ses causes de¬
puis le commencement de ce siècle. On a d’abord observé qu’il se mon¬
trait surtout sur les navires qui montaient vers les pôles et atteignaient
les régions glaciales (Williamson, Scorbut observé ml 855 sur les côtes
de l’Amérique du Nord; Armstrong, Expédition de l’ Investigator au pôle
Nord); puis le scorbut a été étudié sous d’autres latitudes (Hardy, en
mars 1838, à bord du Palimnus, sur la côte orientale d’Afrique; Du-
troulau, à bord de la Belle-Poule, en 1846; Coale, pendant un voyage
sur les côtes de Chine).
ENDÉlMlE. - MALADIES ENDÉMIQUES CAUSÉES PAU l’iNFI.UENCE DU SOL. 209
Influence du climat et des saisons. — Sur 68 épidémies relevées par
Hirsch dans les climats tempérés, on en trouve 37 au printemps, 21 en
hiver, 8 en été et 2 en automne. Les relevés de la Russie et de l’Alle¬
magne du Nord donnent la plus grande fréquence de la maladie en hiver,
entre février et mars. Le froid paraît donc jouer un rôle considérable dans
la production du scorbut; cela est incontestable pour les expéditions ma¬
ritimes, et si le scorbut tend à disparaître aujourd'hui, cela tient au meil¬
leur aménagement et aux meilleurs moyens de protection que les hommes
embarqués trouvent dans l’hygiène des bâtiments où ils sont enfermés.
. A terre, le froid et l’humidité ont été signalés de tout temps comme les
deux causes climatériques les plus évidentes du scorbut (Monro, 1758, à
Brême; Giinsburg, 1854, à Breslau ; Scoutteten, 1845, àGivet; Perrin,
1855, en Crimée).
Conditions sociales. — Le scorbut est une maladie des navires, des
camps, des prisons et des hôpitaux. La misère, la mauvaise nourriture,
sont des causes également importantes. Dans diverses épidémies, on a vu
mourir les soldats dans une très-grande proportion alors que les officiers
étaient épargnés. Ces circonstances semblent exclure l’idée de l’endémi¬
cité climatérique. Il est constant cependant que le scorbut est endémique
dans certaines contrées, notamment dans les provinces est du nord de la
Russie. ■
Le scorbut de mer a surtout été observé chez les marins affaiblis par
une longue navigation pendant la saison froide et sous des climats froids,
et lorsque les aliments étaient insuffisants, soit par la quantité, soit par
la qualité (défaut de légumes et de viandes frais). Les grandes et meur¬
trières épidémies ont toujours réuni ces conditions. Ces observations',
faites au dix-huitième siècle (expédition de l’amiral Hosier en 1726; de
brd Anson en 1741), ontété confirmées à notre époque (Foltz, le Scorbut
de la flottille américaine dans l'été de 1846, dans le golfe du Mexique,
par le manque de nourriture).
Les mêmes circonstances se rencontrent dans les épidémies ou endé¬
mies de scorbut observées sur la terre ferme (steppes de Saratow, Kam-
schatka, Laponie).
Maladies endémiques causées par l’influence du sol. — Goître et
crétinisme. — Le goître et le crétinisme associés se montrent dans
certains pays d’Europe dont la constitution géologique a été bien étudiée.
Le terrain où se rencontrent les calcaires magnésiens (dolomie), dans les
Alpes notamment, produit le goître endémique. On trouve cette même
endémie dans les Pyrénées, sur les calcaires du lias et sur les calcaires
magnésiens qui se trouvent sur la zone d’éruption des ophites, sur le
trias dans les Vosges, sur le lias dans le Jura, les hautes et les basses
Alpes; sur les calcaires dolomitiques de l'époque carbonifère en Angle¬
terre, en France et en Belgique; sur le trias dans le Wurtemberg, la
Saxe; sur les dolomies dans le Tyrol. D’après Escharich ('1843), sur le
muschelkalk et le terrain keuprique de la Souabe inférieure, on compte
annuellement de 129 à 155 exemptions du service militaire pour cause de
210 E>’DÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d'oRIGI-NE PAUASITAIRE.
goitre, sur 1,000 jeunes gens. Boudin a donné une carte géologique du
goitre pour la France. D’après Chatin, le goitre proviendrait de l’absence
d’iode dans les eaux potables. Lunier s’est rallié à cette opinion {vay. Cré-
TEiisME, t. X, p. 225), mais elle n’est pas acceptée par tous les médecins.
L’influence des eaux peut être considérée comme jouant, par rapport
aux. maladies endémiques, un certain rôle, à coup sûr moindre que celui
que supposaient des traditions anciennes et des croyances populaires. Les
eaux peuvent être malsaines par les matières qu’elles tiennent en disso¬
lution, et agir d’une façon toxique (eaux arsenicales d’Afrique); elles
peuvent engendrer le goitre (terrains dolomitiques), et certaines condi¬
tions, telles que l’évaporation des eaux stagnantes et la décomposition
de matières végétales spéciales, peuvent souvent entraîner la production
d’effluves d’où naissent les fièvres intermittentes.
L’influence des vents ne saurait être méconnue, mais, sous ce rapport,
la science est encore peu avancée. Ils peuvent modifier considérablement
la température, et surtout y amener des variations brusques. L’étude des
vents, par rapport au climat, est d’une importance capitale en hygiène.
Il n’est pas douteux non plus que les vents puissent être les véhicules de
matières septiques, et propager au loin certaines maladies épidémiques
et contagieuses {choléra).
Boudin a tenté d’étahlir l’idée d’un antagonisme existant entre cer¬
taines maladies en un même lieu, par exemple, entre la phthisie pulmo¬
naire et la fièvre intermittente , tandis que d’autres maladies vont de
pair, telles que le goitre et le crétinisme, ou la fièvre paludéenne et la
fièvre jaune, lesquelles diminuent avec l’altitude et cessent à une certaine
élévation. {Voy. Antagonisme.)
Maladies endémiques d’oeiginte parasitaire. — Nul doute que le parasi¬
tisme ne joue un rôle d’une certaine importance parmi quelques popu¬
lations, non-seulement à l’état sauvage, mais même dans un état de
civilisation avancée.
Le nombre des parasites de l’homme est considérable; quelques-uns
n’atteignent que ses téguments et y développent, soit une action passa¬
gère, soit une lésion plus ou moins profonde; les uns n’y sont que
tangents, d’autres y pénètrent et y habitent, soit pendant toute la durée
de leur vie, soit pendant une période nécessaire à leur développement, à
l’incubation de leurs œufs, à l’évolution ou à la métamorphose de la
larve, etc. Nous indiquerons brièvement la nature et le siège de quelques-
uns de ces parasites, ne nous attachant qu’à ceux qui sont positivement
endémiques, c’est-à-dire que l’homme ne contracte que dans certaines
régions bien limitées, soit par le fait même du milieu (air et eau), soit
par suite d’une alimentation spéciale.
Tous les végétaux ou animaux parasites de l’homme sont passés en
revue aux articles Entozoaires et Parasites. Il suffira d’indiquer ici ce
fait qu’à l’état sauvage l’homme est la proie de tous les parasites que le
défaut de soin, le mauvais état des habitations, l’absence de vêtements,
entretiennent sur son corps. Il en est dont les soins de propreté peuvent
211
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d’ ORIGINE PARASITAIRE.
nous débarrasser, d’autres qui se développent et se multiplient dans
•certains climats, et ne peuvent être complètement évités.
Le tænia dont les transformations ont été si bien étudiées dans ces
dernières années (Leuckart, Steenstrup, Siebold, van Beneden, Kûchen-
meister, Davaine) et qui a été suivi dans le corps des animaux et d’un
animal à l’autre à l’état de cysticerque hydatique, de cænure, d’échino-
coque, de tænia, se développe d’une façon endémique chez l'homme. On
peut citer des régions où ce parasite se multiplie extrêmement, d’autres
-qui en sont à peu près exemptes. Les deux espèces principales, tænia so¬
lium et botriocéphale n’habitent pas les mêmes contrées. A l’est de l’Eu¬
rope, on trouve le botriocéphale, et à l’ouest le solium. Le botriocéphale
est très-répandu à Genève où une notable partie (un quart d’après Odier)
delà population en serait atteinte. En diverses contrées de notre pays on
trouve des habitants qui contractent le tænia. On rencontre le tænia solium
en Italie, en Grèce, en Portugal, en Allemagne, en Hollande, en France
et en Angleterre, et le botriocéphale en Russie, en Suisse, en Belgique et
dans les États du nord de l’Europe.
Le tænia est fréquent en Arabie, dans l’Inde, la Syrie (Alep) . On a
observé qu’à Java les nègres en sont atteints beaucoup plus que les Euro¬
péens. En Afrique, le tæmia est très-commun. En Abyssinie, la population
se divise en deux parties, dont l’une a le tænia jet l’autre non, cela tient
au régime; une partie de la population mangeant de la viande crue ou de
la viande de porc que l’autre se refuse à manger. En Russie, le tænia est
devenu plus commun depuis l’usage de la viande crue pour guérir la
diarrhée infantile.
Le dragonneau ou filaire, encore appelé ver de Guinée ou de Médine
■{venu Medinensis, Fertit, Naru, etc.); on le rencontre surtout en Éthiopie,
dans la Nubie (Sennaar et Kartum), dans le Darfour, à Cordovan, dans le
Soudan, à Tuggurt, dans la Sénégambie, le golfe de Guinée, le long du
Gabon ; ce ver ne se rencontre pas ou du moins ne se contracte pas
en Égypte, il n’y est qu’importé par des voyageurs venant d’autres
parties de l’Afrique. On le trouve à Khiva, sur les bords de la mer Cas¬
pienne, à Bokhara (Asie) et dans les steppes des Kirgis. On en a constaté
de véritables épidémies sur les troupes anglaises dans l’Inde. On ne sau¬
rait énumérer ici les nombreuses contrées de l’Afrique et de l’Asie où le
filaire se rencontre sur l’homme.
Ce ver a son siège habituellement dans les parties inférieures du corps
(jambes et pieds) ; il occupe ordinairement le tissu cellulaire sous-cutané
quelquefois le tissu cellulaire inter-musculaire, rarement les organes pro¬
fonds ; cependant Primer en a observé un dans le mésentère. Sur 1 33 cas
•observés par Lorimer, le filaire occupait :
Les pieds ou le bas de la jambe . 80 fois.
La jambe . 39 —
La cuisse . 6 —
Le scrotum . 2 —
Le pénis. . . 1 —
L’avant-bras . . . . S —
(Lorimer, Madras quart, med. Journal, 1839, 1.)
212 ENDÉMIE. — maladies esdémiqües d'obigi.ne inconnue.
Nous ne faisons que mentionner le makaqiie qui se loge sous la peau
(le l’homme, surtout du nègre à Cayenne. Cet insecte décrit par Thion de
la Chaume se rencontre surtout aux extrémités inférieures du corps.
La chique {chigoa, pulex penetrans, ton, toriga, dermatophilus pene-
trans, sarco-psglla Mygor, etc.) a été bien décrite par G. Bonnet, mé¬
decin de la marine (Paris, 1867). Cet animal parasite habite exclusive¬
ment là zone torri(le des deux Amériques; d’après d’Azara, elle ne
dépasserait pas le 29® degré de latitude sud. Il en est à peu près de
même pour l’hémisphère nord. D’après G. Bonnet, « elle est excessi¬
vement commune au Brésil, à la Guyane, au Mexique ; on la rencontre
aussi dans toutes les républiques équatoriales du nouveau monde et dans
les nombreuses îles du golfe du Mexique. Les puces pénétrantes semblent
extrêmement multipliées dans les lieux chauds et secs habités par les
nègres ; cependant elles peuvent exister en quantité innombrable dans
des lieux inhabités. »
La chique attaque l’homme et quelques animaux domestiques. Toutes
les espèces d’hommes en sont atteints ; ceux qui marchent nus y sont na¬
turellement plus exposés. Les femmes, et les enfants en sont plus particu¬
lièrement atteints que les hommes aciultes. [G. Bonnet. {Voy. Parasites:
Animaux.)]
Le distome est un ver qui se rencontre sur l’homme. Il appartient à
la classe des trématodes. Une partie de la population des Fellahs et des
Coptes en Égypte en serait atteinte. (Griesinger et Bilharz.) On le trouve
dans le tronc et les branches de la veine porte, dans la veine splénique,
les veines mésentériques et le plexus veineux du rectum et de la vessie.
On a rencontré ses œufs sous la muqueuse de la vessie, du rectum et
dans le foie. Il produit une inflammation avec hypertrophie de la mu¬
queuse vésicale. (Foi/. Entozoaires.)
Nous ne pouvons énumérer ici les parasites cutanés ou les entozoaires
qui constituent de nombreuses maladies. Ce ne sont point là à proprement
parler des endémies ; tout au plus pourrait-on considérer quelques-unes
de ces maladies parasitaires comme épidémiques (trichinose) ; mais il
nous paraît préférable de laisser à ces maladies leur vrai nom ; parasi¬
taires, et de renvoyer le lecteur à ce mot et à l’article Entozoaires.
M.ALADIE ENDÉMIQUE d’origine INCONNUE. — L’ éléphantiosis est une ma¬
ladie qui se rencontre sur toute la surface du globe, mais qui atteint
particulièrement certaines races, sous certains climats. Elle est endémique
dans l’Inde, sur la côte du Malaliar, au Bengale, à Ceylan, dans les Phi¬
lippines, en Chine, à Shanghaï et Canton, au Japon, dans la Polynésie,
à Taïti, à la Nouvelle-Calédonie, aux îles Sandwich, en Australie. Cette
maladie a été signalée parmi les Arabes dès la plus haute antiquité. Dans
les îles Maurice, de la Réunion, Séchelles, à Madagascar, en Abyssinie,
en Égypte, elle est très-commune. Elle paraît complètement inconnue
dans certaines contrées africaines. Elle est commune chez les Berbères.
En Europe, il n’y a point d’endémie d’éléphantiasis ; on en trouve seule¬
ment quelques cas isolés dans le midi delà France, en Corse, à Lisbonne,
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d’oIUGINE MIASMATIQUE.' 213
à Gibraltar. Dans le nord de l’Amérique, l’éléphantiasis n’existe qu’à
l’état de cas rares. On l’observe plus fréquemment dans l’Amérique cen¬
trale et du Sud, et aux Antilles, là où abondent les nègres importés. Au
Brésil et au Pérou, la maladie est véritablement endémique et sévit sur
une grande quantité d’hommes.
Si l’on considère le climat, l’éléphantiasis paraît avoir ses conditions
d’existence, surtout dans les pays intertropicaux.
Quant aux races, il semble que les nègres et les hommes à peau forte¬
ment pigmentée, y soient plus aptes que les blancs pour lesquels existe
une immunité relative. {Voy. Éléphantiasis, par Barrallier, t. XII.)
Maladies endémiques d’origine miasmatique. — La dysenterie est une ma¬
ladie de tous les pays, mais elle se montreà l’état endémique dans quelques-
uns, principalement dans les pays chauds. C’est là, suivant l’expression
de Rufz de Lavison « le vrai fléau des pays chauds ; jeunes ou vieux,
acclimatés ou non, sobres ou tempérants, hommes ou femmes, soldats,
matelots, tous y sont exposés. » En même temps que l’élévation de la
température, on a signalé comme cause physique, les brusques variations
de la température. C’est' dans la zone intertropicale 'que la dysenterie est
vraiment endémique. Cependant, d’autres contrées différentes de celles-
ci à tous les points de vue, sauf peut-être la variabilité de la température,
sont aussi remarquables par les épidémies de dysénterie, tels sont le
Groënland, la Laponie, le nord de la Russie. On ne peut expliquer la dysen¬
terie par des raisons tirées de la nature du sol. Les saisons ont une in¬
fluence marquée sur la dysenterie, du moins a-t-on observé qu’elle
sévissait surtout en été et en automne. D’après Hirsch, sur 546 épidémies,
15 seulement auraient eu lieu en hiver. (T. II, p'. '224.)
Les documents statistiques fournis par l’administratioji de .la guerre et
de la marine en Angleterre, permettent de juger- des ravages faits par la
dysenterie dans les pays chauds où cette nation' a ses 'côlônîes l’un de
ces tableaux est donné par Boudin. .
MALADIES DÉCÈS
SCR 1000 HOMMES. SUR 1000 HOMMES.
Antilles et Guyane .
Jamaïque .
Gibraltar .
. . 205,9
. . 95,2
44,0
15,7
3,6
1,0
3,0
0,2
0,5
29,8
1,9
7,8
Cap de Bonne-Espérance .
Sainte-Hélène .
Maurice .
62', 7
. . 83,7
Ceylan .
. . 2H 0
11,5
f’rovince de Tenasserim .
. . 214,1
28,0
17.6
10.7
8.5
p. 442.)
Madras .
Bengale .
Bombay .
(Boudin, Géograph. et
. . 209,9
. . 135,0
. . 106,0
statut, méd; t. II, ]
De 1850 à 1845, on a compté dans la Méditerranée, sur un effectif
214 ENDÉMIE. — maladies endémiques d’origine miasmatique.
général de 100,464 marins et de 102,214 soldats, pour la dysenterie r
MABINE. SOLDATS.
Malades . 1152 5688
Morts . 32 157
La dysenterie sévit en France, principalement dans les provinces du
centre (Berry), où elle atteint surtout les enfants.
Hépatite des pays chauds. — Parmi les maladies qui déciment
les Européens transportés dans les pays chauds, l’hépatite tient une grande
place. C’est dans les régions tropicales qu’elle sévit principalement.
L’hépatite a pour résultat habituel de produire des ahcès du foie. Des
tableaux fournis par l’Amirauté et la Guerre, en Angleterre, permettent
de comparer les différents climats des colonies anglaises sous le rapport
de la mortalité par les maladies du foie.
TABLEAU DES ADMISSIONS A l’hÔPITAL ET DES DÉCÈS CAUSÉS PAR LES MALADIES DU FOIE
PARMI LES TROUPES ANGLAISES :
Antilles et Guyane . 86,661
Jamaïque . 51,567
Gibraltar . 60,269
Malte . 40,826
Iles Ioniennes . 70,293
Bermudes . 11,721
Nouveau-Brunswick et Nou¬
velle-Écosse . 46,442
Canada . 64,280
Afrique occidentale . 1 , 843
Cap de Bonne-Espérance. . . . 22,714
Sainte-Hélène . . . 8,975
Maurice . 30,515
Ceylan . 42,978
Tennasserim . 6,818
Madras . 31,627
Bengale . 38,136
Bombay . 17,612
(Boudin, Géograplne et
20 ans.
20 —
19 —
20 —
20 —
20 —
20 —
20 —
18 —
19 -
19 —
20 -
10 —
5 —
5 —
5 —
statistique médicales,
ADMIS ADX MOI
HÔÏITADÏ. 1000
22.4
10.4
12.5
21,2
16.6
15,1
8,2
7,6
81,4
21,1
18,1
79,2
102,0
71,6
72,4
t. Il, p. 442.)
0,9
0,3
1,1
0,7
0,5
0,2
0,1
6,0
1,1
2,7
4,9
4,1
L’élévation de la température n’est pas la seule cause des maladies du-
foie. Le maximum de la mortalité s’observe sur la côte occidentale d’Afri¬
que, dans l’Inde, à Ceylan et à Maurice.
D’après d’autres documents anglais relevés par Boudin, les pertes aug¬
mentent enraison de la durée du séjour des Européens dans les pays chauds.
\j influence delà race est aussi à considérer; ainsi, d’après les mêmes
documents, tandis que la mortalité du blanc ne varie que de 0,9 à 6,0
décès, celle du nègre varie de 0,3 à 9,0. Bien que le nègre semble devoir
supporter mieux que le blanc les climats tropicaux, l’expérience prouve
que la mortalité du nègre par hépatite est quatre fois plus élevée que
celle du blanc à Bahama et à la Jamaïque, et cinq fois plus élevée dans
les Antilles et à la Guyane. Quant au soldat cipaye, il paraît jouir, dans
l’Inde, d’une immunité relative par rapport aux maladies du foie. Celles-
ci feraient 16, 50 et 70 fois plus de victimes parmi les Européens que
parmi les indigènes.
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d'ORIGI.NE MIASMATIQUE. 215
Étiologie. — Tous les auteurs sont d’accord pour reconnaître une
grande analogie entre la dysenterie et l'hépatite endémique, ces deux
maladies sévissant aux mêmes lieux et en même temps ; ce fait pourtant
n’est pas constant.
Influences climatériques . — Aucune maladie, suivant l’expression de
Hirsch ne mérite mieux d’être appelée tropicale. Il est reconnu que le
transport d’un climat tempéré dans un climat très-chaud accroît beaucoup
la sécrétion biliaire et amène une suractivité fonctionnelle du foie (poly-
cholie) .
Il se produit donc en pareil cas une hypérémie du foie avec toutes ses
conséquences (dyspepsie, diarrhée bilieuse, etc.). Haspel a observé en
Algérie et Pruner en Égypte que le foie, chez les Européens, augmentait
souvent de volume. Néanmoins la température étant considérée comme la
cause essentielle, il n’en reste pas moins vrai que toutes choses égales
d’ailleurs, certaines contrées sont plus favorables au développement de
cette hépatite.
Quant aux saisons, ce n’est pas en été, c’est plutôt à la fin de l’été et
au commencement de l’automne que se produit surtout la maladie. Du-
troulau donne la statistique suivante pour les cas d’hépatite observés aux
Antilles françaises, de 1846 à 1851. Sur 558 cas, il y en a en
De j.nnvier à mars. . . 74 cas.
D’avril à juin. . . 74 —
De juillet à septembre. . ................ 100 —
D’octobre à décembre . . . 90 —
(Dutroulau, Mémoires de l'Académie de médecine, ISSo, t. XX.)
Les modifications brusques de la température ne seraient pas sans
influence. Au Bengale, dit Murray, quand les jours sont chauds et les
nuits froides, ou quand les transitions de la température sont brusques et
grandes, on observe davantage d’hépatites que lorsque la température est
uniformément élevée...
Des circonstances d’une autre nature tenant au climat ont aussi été
invoquées comme cause de l’hépatite: «La rareté de l’hépatite à Cayenne,
dit J. Laure, ainsi que sa fréquence au Sénégal, dépend de circonstances
opposées dans les deux climats. A la Guyane, où le sol couvert de forêts
est inondé pendant huit mois, une belle végétation maintient partout
l’humidité ; la température moyenne annuelle de 28 degrés centigrades
préserve également de l’excès de chaleur et des transitions brusques ; on
doit à ces conditions le repos du foie et la guérison des dysenteries. A
Saint-Louis, et à Gorée, le terrain sablonneux ne conservant pas l’humidité,
l’air sec et brûlant contient plus de poussière que de vapeur d’eau; la
température du jour est extrême ; la nuit, elle est froide à cause du
rayonnement. Des mouvements de l’atmosphère et des variations thermo-
métriques résultent chaque jour des suppressions de sueur et des engor¬
gements... l’hépatite est endémique et se mêle à toutes les maladies. »
(Jules Làure, Maladies de la Guyane.)
Le régime paraît exercer une influence notable sur la prédisposition à
216 ENDÉMIE. — maladies ekdémiqdes d’origine miasmatique.
l’hépatite. Cette question a été étudiée principalement par les auteurs
anglais dans l’Inde. Annesley s’exprime ainsi à ce sujet ; « Parmi les
influences variées qui occasionnent le plus directement l’inflammation du
foie, il n’y en a pas de plus énergique que l’usage immodéré des liqueurs
spiritueuses. » La même observation a été faite en Algérie, aux Antilles, à
Ceylan, au Pérou.
Typhus {Typhus exanthématique, fièvre récurrente). — Le typhus
paraît avoir existé en Europe depuis les temps les plus reculés. Quel¬
ques auteurs pensent en retrouver la trace dans les écrits qui traitent
de la guerre du Péloponèse ; Thucydide, Aetius, Zacutus Lusitanus, fe¬
raient mention d’une maladie qui ne peut être que le typhus. C’est au
quinzième siècle pendant la grave épidémie des Flandres, puis en Italie
pendant les guerres qui occupèrent la fin de ce même siècle, que le
typhus fut décrit avec tous ses caractères. (Fracastor, Lyon, 1554.) Au
commencement du seizième siècle, de grandes épidémies de typhus se
montrèrent dans toute l’Europe, en Allemagne, en France, en Espagne...
et la maladie y fut décrite sous différents noms.
Le typhus paraît avoir été endémique en Irlande, depuis les temps les
plus anciens. Depuis trois siècles, les épidémies les plus graves de cette
maladie n’ont cessé de s’y montrer. L’épidémie de 1817 y atteignit
800,000 personnes, dont 45,000 moururent. La famine doit être comptée
pour quelque chose dans .ce résultat. La maladie du reste ne cesse de
donner lieu à une mortalité relativement élevée dans les lies Britanniques.
Le typhus exanthématique est endémique aussi en Russie et en Po¬
logne, et dans certaines parties du nord-est de la Prusse, en Suède, en
Norwége. Il n’est qu’à l’éiat passager et épidémique dans les autres pays
du Nord tels que la Hollande et le Danemark, et la Belgique. En France,
le typhus n’a jamais paru qu’accidentellement et d’une façon épidémique,
1829, 1835, 1845 et 1851 au bagne de Toulon ; en 1827, à Beaulieu;
en 1839, à Reims; en 1856, sur quelques troupes venant d’Orient. En
réalité, le typhus ne s’acclimate point en France.
Dans le sud de l’Espagne, à Gibraltar, le typhus a exercé de fréquents
ravages sur les troupes anglaises.
En Italie le typhus a été endémique, et ce pays a vu les plus graves
épidémies de cette maladie jusqu’au commencement du dix-neuvième siè¬
cle (1814). Depuis il s’est montré quelques épidémies, à Brescia, 1828
et 1829; en Lombardie, 1834 et 1835: à Naples, 1841. En Hongrie,
Valachie, Turquie, le typhus s’est montré souvent à l’état d’épidémies
graves. L'Asie du Sud et l’Afrique paraissent exemptes de cette maladie.
Le typhus sévit habituellement dans l’Amérique du Nord, et s’y est
produit plusieurs fois, de 1817 à 1856- sous la forme d’épidémies éten¬
dues ; dans l’Amérique centrale on ne l’y observe qu’à l’état d’épidémie,
du moins les cas .sporadiques y sont-ils relativement peu nombreux.
Le typhus rentre dans les jnaladies endémiques si l’on considère que,
géographiquement, il se tient à l’état habituel dans certaines contrées
(nord de l’Europe) et qu’il ne s’est jamais acclimaté dans les autres. Ce
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d’oUIGINE MIASMATIQUE. 217
caractère suffit à justifier l’idée d’endémie. En outre, le typhus présente
ce caractère d’être limité et confiné, même en temps d’épidémie, dans un
lieu étroit, dans des bâtiments, des camps, des casernes, des vaisseaux,
et quelquefois de ne pas rayonner au loin. C’est par excellence une ma¬
ladie épidémique locale, et tenant à des causes tout à fait spéciales, à
un milieu artificiel. Le typhus, comme le scorbut, doit disparaître, c’est
une maladie évitable. 11 appartient à ces fléaux qu’engendrent la guerre
et un mauvais état social. Ses deux causes principales sont la famine et
l’encombrement.
Fièvre typhoïde (Typhus abdominal). — La fièvre typhoïde a été
longtemps confondue avec le typhus. Elle n’est bien décrite comme espèce
séparée que depuis le dix-huitième siècle. Cette maladie est endémique
et épidémique dans presque toute l’Europe du Nord, soit isolée, soit mar¬
chant de pair avec le typhus vrai ou typhus exanthématique. Elle a porté
d’abord le nom de typhus sporadique en Allemagne, puis le nom de do-
thiénenterie (Bretonneau) en France. Elle est moins commune dans le
nord de l’Europe et en Angleterre et en Irlande que le typhus vrai. Elle
existe à l’état endémique en Italie, en Russie, mais elle se montre sur¬
tout à l’état épidémique dans ces pays ; elle est plus rarement observée
en Turquie, elle ne l’est presque jamais en Syrie; on en observe quelques
cas dans l’Inde anglaise. Sur la côte occidentale d’Afrique (Sénégal), on
a vu plusieurs fois de petites épidémies de fièvre typhoïde, et en Algérie
plusieurs épidémies graves en ont été observées depuis l’occupation fran¬
çaise.
En Amérique, dans les États du Nord, la fièvre typhoïde est rare et pa¬
raît de date récente; en 1847, plusieurs provinces des États-Unis ont é(é
visitées par une épidémie de cette maladie. On en a observé d’assez nom¬
breux cas aussi dans l’Amérique du Sud, depuis quelques années.
En France, la fièvre typhoïde est endémique presque partout; à Paris
elle forme une des endémies les plus accusées, et elle procède souvent
par épidémies. 11 n’est pas rare de la voir atteindre à Paris plusieurs
milliers de personnes en une année ; elle y est généralement bénigne.
On a observé que cette maladie acquérait quelquefois une gravité excep¬
tionnelle principalement dans de petites localités, en province, et dans
des conditions qui ne peuvent être interprétées comme rentrant dans le
cadre des causes d’insalubrité. Ces faits sont inexpliqués jusqu’ici.
Lsl fièvre à rechute (typhus reeurrens, relapsing fever)., s’est montrée
en 1842 et 1845, dans plusieurs villes d’Écosse sous la forme épidé¬
mique. Griesinger a montré que cette fièvre devait être rapportée au
typhus, dont elle serait l’une des formes.
Dès le dix-huitième siècle, pendant une épidémie de typhus en Irlande,
Rutty avait signalé le caractère particulier de la maladie, qui consistait
en des rémittences marquées avec rechutes. Depuis, un certain nombre
d’auteurs anglaisent signalé le même caractère dans diverses épidémies
de typhus (Barker, Rogan, Horty, Graves, O’Brien, Bateman, etc.). Depuis
1842, à la suite de l’épidémie irlandaise, la relapsing fever a été observée
218 ENDÉMIE. — maladies endémiques d’origine miasmatique.
sur un grand nombre de points du Royaume-Uni. En 1847, on la décri¬
vait (Dùmmler et Bærensprung) dans la haute Silésie et la Galicie, et de¬
puis elle a été observée sur un grand nombre de points de l’Europe du Nord.
Peste (Peste à bubons, Beulen-Pest) . — ^La peste qui a été l’effroi
des peuples de la Méditerranée pendant plusieurs siècles, semble dis¬
paraître ou se cantonner du moins au lieu de son origine; et en tout
cas elle n’entre plus dans les préoccupations des hygiénistes de notre
époque. On fait remonter la première apparition en Europe de la peste,
venue d’Orient en 543 ; la maladie après avoir parcouru l’Égypte et l’Asie
Mineure, entra à Constantinople et de là se répandit sur notre continent.
On trouve des traces de description se rapportant à cette maladie dans
les écrivains anciens qui ont relaté les épidémies de l’Orient et de l’A¬
frique. La dernière épidémie importante, la peste en Europe, a eu lieu aa
dix-huitième siècle. Il y en a eu une apparition nouvelle mais plus limitée
en Russie, de 1826 à 1829.
Le siège endémique de la peste est l’Asie Mineure et l’Égypte d’où elle
a souvent rayonné jusqu’à Constantinople, et sur les côtes de la mer
Noire. Smyrne a été souvent visitée par la peste, ainsi que Trébizonde,.
Erzerum ; elle s’est montrée plusieurs fois dans l’ouest de la Perse.
Nous donnons ici les conclusions du rapport dePrus [Acad. roy. deméd.
Paris, 1846, t. XI, p. 839) relativement aux conditions d’endémicité de
la peste : « 1" On a vu la peste naître spontanément, non-seulement en
Égypte, en Syrie et en Turquie, mais encore dans un grand nombre
d’autres contrées d’Asie, d’Afrique et d’Europe. 2“ Dans tous les pays où
l’on a observé la peste spontanée, son développement a pu être ration¬
nellement attribué à des causes déterminées agissant sur une grande
partie de la population. Ces causes sont surtout l’habitation sur des ter¬
rains d’alluvion ou sur des terrains marécageux, près de la Méditerranée
ou près de certains fleuves, le Nil, , l’Euphrate et le Danube ; des maisons
basses, mal aérées, encombrées ; un air chaud et humide, l’action de
matières animales et végétales en putréfaction, une alimentation mal¬
saine et insuffisante, une grande misère physique et morale. 3° Toutes
ces conditions se trouvant réunies chaque année dans la basse Égypte, la
peste est endémique dans cette contrée, où on la voit presque tous les
ans sous la forme sporadique, et, tous les dix ans environ, sous la forme
épidémique. 4° L’absence dans l’ancienne Égypte de toute épidémie pesti¬
lentielle pendant le long espace de temps qu’une administration éclairée
et vigilante et une bonne police sanitaire ont lutté victorieusement contre
les causes productrices de la peste, justifie l’espérance que l’emploi des
mêmes moyens serait suivi des mêmes résultats. 5° L’état de la Syrie, de
la Turquie, de la régence de Tripoli, de celle de Tunis et du Maroc étant
à peu près le même qu’aux époques où des épidémies de peste s’y sont
montrées spontanément, rien n’autorise à penser que des épidémies sem¬
blables ne pourraient pas y éclater encore. 6“ La peste spontanée paraît
peu à craindre pour l’Algérie, parce que d’une part, les Arabes et les
Kabyles vivant les uns sous la tente, les autres dans des demeures placée
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉ31IQDES d’oRIGIKE MIASMATIQUE. 219
au sommet ou dans les flancs des roches, ne peuvent engendrer la ma¬
ladie, et, d’autre part, parce que l’assainissement de plusieurs parties
marécageuses et les améliorations vraiment remarquables déjà apportées
dans la construction et la police du' petit nombre des villes existantes,
semblent une garantie suffisante contre le développement spontané de la
peste. 7“ Les progrès de la civilisation et une application générale et
constante des lois de l’hygiène, peuvent seuls nous fournir les moyens
de prévenir le développement de la peste spontanée. 8“ Lorsque la peste
a sévi avec violence en Afrique, en Asie et en Europe, elle s’est toujours
montrée avec les principaux caractères des maladies épidémiques.' 9° La
peste sporadique diffère de la peste épidémique, non-seulement par le
petit nombre d’individus atteints de la maladie, mais encore et surtout
parce quelle ne présente pas les caractères appartenant aux maladies
épidémiques. 10° La peste se propage à la manière de la plupart des ma¬
ladies épidémiques, c’est-à-dire par l’air et indépendamment de l’in¬
fluence que peuvent exercer les pestiférés. 11° L’inoculation du sang tiré
de la veine d’un pestiféré ou du pus d’un bubon pestilentiel n’a fourni
que des résultats équivoques ; l’inoculation de la sérosité prise dans la
phlyctène d’un charbon pestilentiel n’a jamais donné la peste: il n’est
donc pas prouvé que la peste puisse se transmettre par inoculation. 12° Un
examen attentif et sévère des faits contenus dans la science établit, d’une
part, que dans les foyers épidémiques le contact immédiat de milliers de
pestiférés est resté sans danger pour ceux qui l’ont exercé à l’air libre ou
dans des endroits bien ventilés ; et d’une autre part, qu’une observation
rigoureuse ne démontre pas la transmissibilité de. la peste par le seul
contact des malades. » (Bulletin de l’Académie deméd., t. XI, p. 841.)
Ces conclusions que nous ne reproduisons pas dans leur entier montrent
combien on s’est donné de peine à une époque encore voisine de la nôtre,
pour démontrer que des maladies épidémiques et contagieuses par excel¬
lence n’étaient pas contagieuses ni spécifiques. Quant aux règles d’hygiène
véritablement insuffisantes, dont on se contentait à l’époque où a paru le
rapport précédent, elles ne doivent être relatées qu’à titre de document
historique. Quoiqu’il en soit, la peste a été et reste une maladie endé¬
mique sujette à des exacerbations épidémiques, mais dont l’intensité pa¬
raît décroître de jour en jour.
Choléra. — Cette maladie porte en général le nom du lieu d’où elle
provient : choléra asiatique ou indien. Le choléra est donc une maladie
endémique dans l’Inde. La commission sanitaire réunie à Constantinople
en 1866, à l’occasion de la dernière invasion du choléra en Europe, a adopté
à l’unanimité la conclusion suivante ; « Le choléra asiatique, celui qui, à
diverses reprises a parcouru le monde, a son origine dans l’Inde où il a
pris naissance et où il existe en permanence à l’état endémique. » Cette
même commission tout en admettant comme incontesté que nul autre
pays que l’Inde n’a donné lieu à l’endémie et aux épidémies cholériques,
a cru cependant devoir examiner attentivement cette question par rap¬
port aux provinces limitrophes de l’Inde, c’est-à-dire l’Indo-Chine, la
220 ENDÉMIE. — maladies e.ndémiqdks d'oi\igise miasmaïiüue.
Chine, les îles de l’archipel indien, l’Afghanistan et une partie de la pé¬
ninsule arabique où de nombreuses épidémies ont eu lieu depuis quel¬
ques années. Il est résulté de cette enquête qu’on ne pouvait pas absolu¬
ment exclure l’idée d’une endémie directement développée dans ces pays.
Quant à l'Europe, à la Turquie d’Asie, au nord de l’Afrique et à
l’Amérique, il paraît certain que le choléra n’y naît point et y a toujours
été importé. La commission de Constantinople a donc adopté la conclu¬
sion suivante : « Le choléra asiatique envahissant ne s’est jamais développé
spontanément et n’a jamais été observé à l’état à’ endémie dans aucun des
pays ci-dessus nommés, et il y est toujours venu du dehors. »
Quant au foyer constant du choléra, au lieu où il est étroitement ren¬
fermé, à son origine, quant aux .circonstances locales qui contribuent à
sa production, voici comment s’exprime Eauvel : « L’existence du choléra
dans l’Inde, de temps immémorial est un fait si bien établi par les nom¬
breuses recherches faites à ce sujet qu’il est inutile de le confirmer. De
même, de nombreux documents avaient établi que, jusqu’à notre époque,
cette maladie était restée confinée en quelque sorte sur les lieux où elle
prenait naissance.
« Les épidémies signalées dans l’Inde au siècle dernier en font foi. Elles
sévissaient tantôt sur un point, tantôt sur un autre de la superficie de
l’Inde, sans envahir les contrées voisines.
« Ces épidémies avaient même cessé de se reproduire depuis plus de
vingt ans, lorsque se déclara la grande manifestation de 1817. A partir
de ce moment, le choléra apparaît avec un caractère qu’on ne lui con¬
naissait pas, il devient envahissant, il sort de ses foyers habituels , et de
l’Inde, il se propage au loin.
« Telle est l’origine des épidémies qui, à trois reprises différentes, ont
envahi l’Europe, en 1830, en 1845 et en 1865 .
« L’endémicité du choléra dans l’Inde est un fait hors de contestation.
L’opinion vulgaire voulait même que l'endémie cholérique eût pour foyer
exclusif le delta du Gange, et pour causes les miasmes provenant des
alluvions de ce fleuve ; d’où la conséquence qu’en assainissant cette région
par des travaux hydrauliques, on éteindrait le choléra .
, « ...Il est certain que le choléra n’est véritablement endémique que sur
des points limités de l’Inde, dont les principaux se trouvent en eflet dans
la vallée du Gange, mais dont plusieurs autres occupent des régions qui
en sont très-éloignées. Tels sont Arcot, près de Madras, et Bombay, sur
la côte de Malabar. Toutefois il est impossible, dans l’état actuel des con¬
naissances à ce sujet, d’assigner des limites bien précises aux foyers con¬
nus d’endémie, ni même d’affirmer qu’en dehors des points signalés
comme tels, il n’y en ait pas d’autres. De ces notions incomplètes ressort
cependant ce fait considérable que la vallée du Gange n’est pas le théâtre
exclusif de l’endémie cholérique.
« Outre les foyers permanents du choléra, il y a dans l’Inde ce qu’on
peut appeler les foyers périodiques ; ce sont certains lieux de pèlerinage
où, chaque année à l’époque de l’affluence des pèlerins , le choléra règne
ENDÉMIE. — maladies endémiques D’oniciNE hiasm.atique. 221
épidémiqueraent. A part ces deux ordres de foyers, il résulte des docu¬
ments anglais qu’en définitive, dans la majeure partie de l’Inde, et sur¬
tout dans les provinces nord-ouest, le choléra ne fait apparition qu’à des
époques indéterminées et sous forme épidémique .
« Il eût été d’un immense intérêt de pouvoir saisir dans ces foyers la
cause spéciale à laquelle on peut, avec probabilité, attribuer l’endémicité
du choléra. Malheureusement, il n’a pas été permis à la conférence d’ar¬
river à autre chose qu’à un résultat négatif. Aucune des suppositions
faites à ce sujet, ni les alluvions du Gange, ni la coutume d’abandonner
les cadavres au cours du fleuve sacré, ni la ruine des grands travaux hy¬
drauliques édifiés autrefois pour l’aménagement et la distribution des
eaux, ni les conditions du sol, ni le climat, ni les habitudes, ni l’alimen¬
tation, rien, en un mot, des circonstances invoquées n’a pu résister à un
examen approfondi.
« Aujourd’hui donc encore on n’a aucune donnée positive sur la cause
spéciale ou l’ensemble de causes d’où résulte l’endémie cholérique; on n’en
connaît que certaines circonstances adjuvantes. Et cependant la permanence
du choléra dans certaines localités depuis une époque récente, ne permet
pas de douter que quelque condition spéciale et nouvelle ne se soit pro¬
duite dans ces localités mêmes.
« L’importance des pèlerinages indiens, de ces agglomérations périodi¬
ques dont quelques-unes réunissent, à un moment donné, jusqu’à un
million d’hommes ne saurait être méconnue. Ces agglomérations où toutes
les conditions d’insalubrité se trouvent réunies, sont la plus puissante de
toutes les causes qui favorisent le développement et l’extension des épi¬
démies de choléra dans l’Inde. Elles y sont à la fois des foyers de renfor¬
cement et des foyers propagateurs de la maladie. » (Fauvel, p. 13 à 17.)
Guette miliaire [Suelte des Picards, fièvre miliaire). — Cette
maladie ne paraît pas avoir été nettement décrite par les anciens auteurs.
Elle affecte habituellement la forme épidémique, mais elle se localise
dans certaines contrées ; c’est en cela qu’elle peut rentrer dans la classe
des endémies. Les premières descriptions de la suette épidémique remon¬
tent à la fin du quinzième siècle (1486) et au commencement du seizième
(1506, 1528. Londres). C’est au dix-huitième siècle, surtout, qu’elle a
sévi principalement en France et dans quelques parties de l’Allemagne.
Sur 129 épidémies observées en France, de 1715 à 1856, et qui ont
sévi sur 43 départements , on trouve que le plus grand nombre se sont
montrées dans la Franche-Comté, l’Alsace, la Lorraine, la Champagne, la
Picardie, la Normandie, Seine-et-Oise, Seine, etc.; plus rarement la
maladie est apparue dans les départements du Centre et du Sud-Ouest.
En Allemagne, la suette s’est montrée à la fin du dix-septième siècle et
au commencement du dix-huitième, puis au commencement du dix-
neuvième, 1828, 1836, 1838 et 1839.
En Italie, elle est apparue, de 1715 à 1720, à Turin, et, dans les
années qui suivirent, elle sévit sur différentes provinces des États sardes;
222 ENDÉMIE. — maladies e.ndémiques d’okigike miasmatique.
en 1829 il y en eut une épidémie en Lombardie; en 1836, en Toscane,
En Espagne (Biscaye) il y en a eu une épidémie en 1849.
Cette maladie paraît inconnue en Amérique ; elle n’a pas été étudiée
en Asie ni en Afrique.
Influence des saisons. — Si l’on consulte la statistique, on trouve que
cette influence est manifeste; ainsi, sur 130 épidémies, dont Hirsch a fait
le relevé, on en trouve 44 au printemps, 60 en été, 20 en hiver, et
6 seulement en automne.
Quant à la constitution géologique et à l’élévation , on ne peut tirer
aucune conclusion des épidémies observées, attendu qu’elles ont sévi
dans les pays les plus divers et les moins comparables quant au sol et
quant à l’altitude.
Il en est de même de l’habitation et des conditions sociales. La maladie
paraît avoir sévi principalement dans les petites localités, dans les villages,
dans les habitations isolées, en pleine campagne, et non dans les villes ni
dans les agglomérations d’hommes ; elle ne reconnaît pour cause ni
l’insalubrité des habitations, ni l’encombrement, ni la misère.
. On a observé plusieurs fois la coïncidence des épidémies de suette et
des épidémies de choléra.
Fîêvpe jaune (Vomito negro, Yellow fever, fièvre bilieuse d’Amé¬
rique, typhus amarille, etc.). — . Cette maladie, éminemment infectieuse
et contagieuse , qui procède par épidémies et constitue l’un des plus
grands fléaux de l’espèce humaine, appartient en propre au nouveau
monde et ne peut s’acclimater dans l’ancien.
D’après l’historien Herrera, d’après Rochefort, 1667 ; Dutertre, 1667 ;
Raymond Breton , 1655 ; la fièvre jaune a été observée aux Antilles depuis
que ces îles sont connues des Européens. Les Espagnols l’y trouvèrent à
l’état endémique parmi les naturels du pays. D’après Webster, 1 799, la
fièvre jaune sévissait sur le continent américain parmi les Indiens de¬
puis la côte est jusqu’ au Massachusetts de 1618 à 1623. Depuis, on observe
périodiquement ou constamment la fièvre jaune à l’état en déni o -épidémi¬
que au Mexique, à la Nouvelle-Grenade, à Venezuela et sur tout le littoral
de l’Amérique centrale et du Sud.
D’après Boudin, le théâtre habituel de la fièvre jaune est représenté
par tout le littoral du golfe du Mexique et de la mer des Antilles ; cepen¬
dant elle a été observée aussi sur le littoral américain de l’océan Pacifique
et à Acapulco, en 1833, et même au Pérou et au Chili, en 1854. Hirsch
donne de nombreux tableaux des épidémies qui ont régné dans les diverses
contrées'de l’Amérique depuis le siècle dernier jusqu’à nos jours. La ma¬
ladie paraît avoir été observée pour la première fois à la Guyane, en 1793 ;
à Surinam, en 1836 ; à Cayenne, en 1802 et en 1850; au Brésil, en 1849.
La fièvre jaune a été, à diverses reprises, importée par des navires en
Europe, principalement en Espagne, à Cadix, en 1730 ; à Malaga, en 1741 ;
à Cadix de nouveau, en 1764 et 1780 et en 1800, d’où elle se répandit
dans l’intérieur du pays jusqu’à Séville. En 1810,1a fièvre jaune semontra
de nouveau en Espagne, à Cadix, Carthagène et Gibraltar. En 1819, elle
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d’oMGIKE MIASMATIQUE. 223
.fut de nouveau importée et sévit sur plusieurs villes d’Espagne, Cadix,
Xérès, Séville, Malaga, et, en 1821, à Barcelone et en Catalogne; en 1828,
à Gibraltar. Lisbonne a été ravagée par la fièvre jaune, en 1723 et en
1857. On l’a vue apparaître accidentellement en France, à Brest, en
1857, et à Saint-Nazaire en 1861. (Mêlier.) Elle s’est montrée également
dans quelques villes du littoral de l’Angleterre, à Portsmouth; en Italie,
à Livourne, etc.; sur la côte occid&ntale d’Afrique , aux îles Canaries.
Certaines conditions paraissent favoriser le développement de la fièvre
jaune (Hirsch, d’après les documentS'anglo-américains et français) : 1° elle
sévirait davantage sur les individjûs non acclimatés et, parmi ceux-ci,
principalement sur ceux qui sont nés et ont été élevés dans les provinces
plus septentrionales. 2° La réceptivité de l’étranger serait en raison de la
durée de son séjour dans la zone de la fièvre jaune.
Un étranger, même acclimaté, n’est jamais sûr de ne pas contracter la
lièvre jaune.
Les indigènes, qui sont bien moins exposés à la maladie que les étran¬
gers, contractent une susceptibilité analogue à celle de ceux-ci lorsque
après avoir quitté leur pays pour voyager ou résider dans des contrées
lointaines, surtout dans des pays plus froids , ils retournent au lieu de
leur naissance.
Race. — Les nègres jouissent d’une immunité spéciale par rapport à
la fièvre jaune, même ceux qui sont récemment importés de la côte d’A¬
frique et qui ne sont pas acclimatés.
Influence de la saison. — Dans un relevé de 6(f’épidémies de fièvre
jaune observées aux Antilles, fait par Hirsch, on trouve qu’il y en a eu
5 en janvier, 6 en février, 4 en mars, 5 en avril, 4 en mai, 8 en juin ,
5 en juillet, août et septembre, 8 en octobre, 4 en novembre et 3 en dé¬
cembre. On ne saurait rien conclure de ces chiffres, quant à l’influence
des saisons.
Dans d’autres tableaux empruntés à des auteurs qui ont observé les
épidémies de l’Amérique du Nord, on trouve que la maladie s’est mon¬
trée le plus souvent à la fin de l’été et pendant l’automne.
Vinfluence de la température paraît mieux établie. Toutes les observa¬
tions faites jusqu’ici montrent que la fièvre jaune ne se développe guère
qu’avec une température dépassant 22“ centigr. Une chaleur humide pa¬
raît favoriser le développement de cette maladie.
Parmi toutes les circonstances locales que l’on a signalées comme
étant importantes au point de vue de la préservation de la fièvre jaune,
il n’en est pas de mieux démontrée que celle de l’élévation du ter¬
rain. Un terrain élevé préserve de la fièvre jaune. Les côtes basses ,
humides et chaudes, au contraire, favorisent le développement de cette
maladie.
On a voulu trouver une analogie entre les conditions qui font naître la
fièvre jaune et celles qui engendrent les fièvres intermittentes ; mais les
arguments fournis pour soutenir cette manière de voir ne sont pas de na¬
ture à entraîner la conviction.
224 ENDÉMIE. — maladies endéhiqces d’omgise miasmatique.
Fièvre intermittente (fièvre de marais, fièvre paludéenne, au¬
tomnale, périodique, malaria, etc.). — C’est une des maladies les plus ré¬
pandues à la surface du globe, soit à l’état endémique soit sous forme
épidémique ; aucune maladie ne dépend plus directement du sol, et par
conséquent n’est plus franchement endémique. L’influence de l’hygiène
sous la forme de grands travaux agricoles spéciaux, est telle par rapport à
cette maladie, qu’on la peut faire disparaître complètement d’une contrée.
La diffusion de la fièvre intermittente est si grande, que l’on ne saurait
dans un court exposé passer en revue tous les pays où elle réside. Aussi
n’indiquerons-nous que les principales régions de son domaine.
C’est entre les tropiques quelle sévit surtout et dans l’hémisphère
boréal, moins dans l’hémisphère austral. La côte ouest d’Afrique, c’est-
à-dire le Sénégal, la baie de Guinée, les îles du Cap-Vert, sont des pays
où la maladie sévit en permanence et avec une gravité particulière. Cette
côte est couverte de marais formés par les embouchures du Sénégal, du
Niger ou de la rivière de Gambie. La côte orientale de l’Afrique, Mozam¬
bique et Zanzibar, Madagascar, sont également le siège de la fièvre in¬
termittente qui est presque inconnue aux îles de France et de la Réunion.
La partie haute de l’Abyssinie en est exempte, une grande partie du
continent africain du Nord y est au contraire fort exposé. En Égypte, les
débordements du Nil la font apparaître d’une façon périodique. Dans la
régence de Tripoli elle est endémique. La fièvre intermittente est la ma¬
ladie principale de l’Algérie, et elle a été l’un des obstacles les plus for¬
mels opposés à la colonisation; elle s’y rencontre à l’état endémique dans
la province d’Alger (Mitidjah), dans celle d’Oran, dans celle de Constantine
(Bone), à Philippeviüe, dans l’oasis de Biskra.
Sur le continent américain, les fièvres intermittentes sont rares dans la
partie sud, malgré la présence de grands marais et de grands fleuves dont
les débordements sont périodiques. Cependant cette immunité n’est pas
telle qu’on le pensait, et la fièvre intermittente fait de grands ravages au
Brésil, ainsi qu’en Bolivie, dans la république de l’Équateur et au Pérou.
Elle sévit aussi dans la Guyane, et elle est endémique aux Antilles, Ja-
ma'ique, Saint-Domingue, Dominique, Puertorico, Martinique, Trinidad,
Saint-Thomas. Dans 1 Amérique centrale, la fièvre intermittente sévit sur
les côtes bases de l’océan Atlantique, et épargne les hauts plateaux.. Au
Mexique, la partie est, comme la partie ouest, est exposée à cette maladie.
Dans l’Amérique du Nord, la fièvre intermittente est endémique dans
les pays situés sur le golfe du Mexique (Texas, Louisiane, Mississipi, Ala-
bama. Floride, prairies de l’Ouest) ; elle est moins répandue dans la
Colombie et sur les rives du Rio Colorado, etc. Ces différents États
ne sont comparables ni par l’altitude ni quant aux caractères du sol.
Les côtes du Pacifique (Californie) ne sont pas exemptes de la fièvre
intermittente.
Europe. L’Espagne et le Portugal ont la fièvre intermittente à l'état en-
démo-épidémique ; on l’observe surtout dans l’Andalousie, dans la Cas¬
tille et l’Estramadure, à Valence, à Barcelone, à Malaga, rarement à
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d’oRIGINE MIASMATIQUE. 225
Gibraltar. Elle règne habituellement aux îles Winorques, de Sardaigne cl
de Corse, tant sur les côtes que dans l’intérieur du pays.
L’Italie est, en Europe, la terre classique de la fièvre intermittente
(Piémont, Turin, Asti, Alexandrie, Vercelli, Novare, la Lombardie et les
Etats de Venise, Mantoue, Padoue) ; Gênes jouit sous ce rapport d’une
sorte d’immunité. La Toscane avec ses marais, Livourne, tout le sud de
l’Italie (Naples), ont la fièvre intermittente permanente. C’est surtout dans
la campagne romaine qu’elle règne endémiquement et avec un caractère
de gravité excessive, enserrant la ville de Rome de plus en plus, au point
d’en rendre quelques quartiers inhabitables pendant l’été et l’automne
(mal’aria). (Voy. Fièvre intermittente. Géographie médicale )
En Sicile, la fièvre intermittente est très-répandue et très-grave ; elle
est rare au contraire à Malte. Elle est très-commune à Corfou, et dans
toutes les îles de la Grèce, sur le continent grec et en Turquie, en Mol¬
davie, en Valachie, Bulgarie, dans les provinces danubiennes.
En France, la fièvre intermittente est très-répandue. Suivant le cours de
la Loire, ellerègne à l’état endémo-épidémique dans la Touraine et l’Anjou,
dans la Sologne (pays de marais), dans une partie du Berry. La côte de
l’Océan depuis l’embouchure de la Loire jusqu’à la limite pyrénéenne pré¬
sente un grand nombre de marais où se développé la fièvre intermittente
(Vendée, Charente-Inférieure, les landes de Gascogne, Bordeaux). Le
Languedoc jusqu’à Marseille est également le siège de la fièvre intermit¬
tente (Narbonne, Béziers, Celte, Montpellier, et surtout la Camargue, le
Delta du Rhône). Entre le Rhône et la Saône existe un pays où la fièvre
est endémique, pays de marais, c’est la Bresse, la Bombes (Ain). La
fièvre intermittente est aussi endémique aux pieds des monts Auvergnes
dans la Limagne.
En Allemagne, la fièvre intermittente est peu répandue dans les pays du
Nord et de l’Ouest. Elle est plus fréquente dans les régions Danubiennes
et le Tyrol. Elle est commune en Hongrie, en Esclavonie et en Croatie
(terrains marécageux), en Istrie et en Dalmatie. En Istrie, la maladie a
une telle gravité qu’on lui a quelquefois attribué une part de d/5 dans la
mortalité totale du pays.
La Hollande, eu égard à sa situation exceptionnelle, à son terrain bas
et conquis, sur la mer, à ses canaux, semblait prédisposée plus que tout
autre pays à la fièvre intermittente, et cependant cette maladie y est re¬
lativement rare.
L’Angleterre jouit dans la plus grande partie de son territoire d’une
complète immunité par rapport à la fièvre intermittente.
Dans les États du Nord (Suède, Norwége, Danemark), la fièvre inter¬
mittente se montre assez souvent à l’état endémo-épidémique ; elle est
très-rarement observée dans les provinces du nord de la Russie.
Asie. — Presque toutes les côtes de l'Asie Mineure présentent la fièvre
intermittente à l’état endémique. Elle règne avec une grande intensité
sur les bords du golfe Persique, à Mascate et dans l’intérieur des terres ,
sur les bords du Tigre, en Mésopotamie. On la rencontre sur les bords
Koev. MCI. MÊD. ET CHIR. XIII. - 15
226 ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES D ORIGI-NE MIASMATIQUE.
de la mer Caspienne; elle est endémique dans l’Afghanistan, et dans
presque toute l’Inde anglaise. Elle règne endémiquement et avec une
gravité extrême à Ceylan, dans l’archipel Indien, Java, Bornéo,. Su¬
matra, aux Moluques, etc.
La fièvre intermittente règne endémiquement étalés caractères les plus
graves sur les côtes sud et sud-ouest de la Chine, à Canton, Hong-Kong,.
Chusan.
Dans les îles australiennes, la fièvre intermittente est presque complè¬
tement inconnue malgré les conditions en apparence les plus favorables à
sa production (chaleur et marais) .
La fièvre intermittente est donc la plus répandue de toutes les mala¬
dies, et elle mérite bien d’être appelée pandémique, c’est-à-dire de tous
les pays.
Quant aux différentes formes de la maladie , la fièvre intermittente
simple est surtout observée en dehors des pays intertropicaux et princi¬
palement en Europe ; la rémittente, la fièvre pernicieuse surtout dans les
pays intertropicaux, en Sénégambie, Zanzibar, à Madagascar, dans le
nord de l’Afrique, en Algérie, dans la haute Égypte, au sud de la Nubie,
dans les parties marécageuses du Rio-de-Janeiro, dans les États voisins
du golfe du Mexique ; en Europe, sur les côtes de Corse, en Sardaigne,,
dans certaines parties de l’Italie et de la Sicile, en Hongrie, et en Asie,
dans l’Inde. Il n’y en a en France que des cas isolés.
Nous trouvons le type quotidien et tierce doublé principalement dans
les pays tropicaux et en général dans les pays chauds (côtes occidentales
d’Afrique, Algérie, Brésil, Guyane, Antilles, Texas, Corse , Corfou , Tur¬
quie, Indes anglaises, Syrie). Le type tierce est le plus répandu principa¬
lement dans les pays tempérés, le type quarte est plus rare, ainsi que les
autres types à retours éloignés.
Races. — ^ Il n’y a point de races ni de nationalités qui jouissent d’une
immunité particulière par rapport à la fièvre intermittente. Cependant la
race nègre y paraît beaucoup moins disposée que les autres, non-seulement
dans'son pays natal (Afrique), mais lorsqu’elle est transportée dans d’au¬
tres pays où règne la fièvre intermittente.
Quant à l’acclimatation, elle n’existe point à proprement parler; il
est certain que les races étrangères transportées à titre de colons ou de
soldats dans les pays où règne la fièvre intermittente y sont plus exposées-
que les indigènes.
L’influence de la saison est très-réelle, mais la fièvre intermittente sévit
en des saisons différentes suivant les pays ; d’après Hirsch, en Sénégambie
et sur les côtes de Guinée, la fièvre se montre au mois de juin, septembre et
octobre ; en Sierra-Leone, au commencement et à la fin des pluies ; en
Zanzibar, aux changements des moussons, de mars à mai et d’octobre à
décembre ; en Abyssinie , en Nubie , dans les provinces nord-ouest de
l’Inde, dans l’archipel indien et la Chine, la fièvre se montre après les
pluies et dure jusqu’à la saison froide; dans l’Amérique centrale, au Bré-
ENDÉMIE. - MALADIES ENDÉMIQUES d’oRIGISE MIASMATIQUE. 227
sil, au moment de la sécheresse ; elle dure ici de novembre à mai et là
d’avril à juin.
En Égypte, à Alger, dans l’Amérique du Nord, en Syrie, en Asie Mi¬
neure, Perse, Caucase, Hongrie, Turquie, Grèce, Italie, Espagne , le Sud
de la France, la fièvre sévit surtout au milieu de l’été, entre juin et août,
plus rarement en septembre, etc.
L’influence de l’état atmosphérique semble se résumer dans la pro¬
position suivante : les épidémies de fièvres intermittentes sont d’autant
plus graves qu’un été plus chaud succède à un printemps très-pluvieux
ou qu’un été très-chaud est suivi de grandes pluies automnales.
L’influence de la chaleur est évidente; nous l’avons montré par l’endé¬
micité et la gravité spéciale de la maladie dans les pays intertropicaux ,
elle se montre aussi dans ce fait que dans les pays tempérés la maladie
cesse toujours au commencement de l’hiver.
L’élévation peut jouer un certain rôle dans quelques contrées, mais il
n’y a point que les pays bas et humides qui soient exposés à la fièvre
intermittente; les plus hauts plateaux n’en sont point exempts, témoin le
Mexique, le Pérou, etc. L’influence de la constitution géologique n’est
guère plus prouvée. Les pays marécageux dans lesquels le sous-sol est
peu perméable, et où la putréfaction végétale s’opère sous l’influence
de la chaleur ont été de tous temps considérés comme fournissant les
conditions les plus favorables au développement de la fièvre intermit¬
tente ; on a cru trouver la, cause directe et spécifique de cette fièvre dans
certains végétaux. D’autre part, le mélange de l’eau douce et de l’eau de
mer dans certains marais des côtes paraît favoriser particulièrement le
développement de la fièvre intermittente. Diverses théories et explications
ont été proposées pour expliquer ce fait. Dans l’état actuel de la science
et après les grandes enquêtes qui ont été faites sur les différentes parties
du globe, aucune de ces explications n’a paru susceptible d’être généralisée.
Léon Colin a établi, par des démonstrations irréfutables, que les fièvres
intermittentes dépendaient non pas seulement des miasmes des marais,
mais aussi et surtout des influences telluriques.
Grîesinger [Traité des maladies infectieuses) avait dit déjà, en par¬
lant des pays intertropicaux : « A peine peut-on trouver dans ces pays
quelque lieu élevé ou quelque formation géologique particulière qui en
soit complètement à l’abri. » Léon Colin propose donc de remplacer
l’expression ü! intoxication palustre par celle d’intoxication tellurique, en
se fondant sur les raisons suivantes : « L’apparition des fièvres intermit¬
tentes n’est, dit-il, subordonnée : 1° ni à l’existence de foyers marécageux
dans la zone tropicale, surtout là où le sol est assez riche et assez échauffé
par le soleil pour suffire à la production du miasme fébrigène le plus
énergique ; 2“ ni aux conditions géologiques locales, puisque ces fièvres
peuvent apparaître sur des terrains de formations très-diverses; 5° ni enfin
à la distribution géographique de certaines plantes, puisque les plus
grandes différences peuvent exister entre les espèces végétales de régions
également atteintes.
228
ENDÉMIE. — MALA
VIRULENTES.
D’ailleurs les marais ne produisent les fièvres intermittentes que là où
existe une température assez élevée ; aussi les marais sont-ils inoffensifs au
nord du 60® degré de latitude nord, constamment nuisibles sous les
tropiques, et nuisibles seulement dans la saison chaude, dans les climats
tempérés. Cette influence tellurique ne peut s’étendre que de la surface,
et non des profondeurs de la terre. Il n’y a point de danger de cette
nature à pénétrer dans les couches profondes, et les mineurs sont bien
moins exposés à la fièvre intermittente que les ouvriers employés au
défrichement de la terre.
L’aménagement du sol sans aération et sa culture sont les principaux
obstacles à opposer au développement de la fièvre intermittente.
Nous avons indiqué brièvement quelques-unes des circonstances clima¬
tériques et météorologiques qui influent sur les endémies. Il nous reste à
parler des maladies de nature virulente.
Maladies VIRULENTES. — Parmi les maladies qui se transmettent d’homme
à homme, ou des animaux à l’homme, if en est quelques-unes qui appar¬
tiennent à l’ensemble de l'humanité et qui sont cosmopolites. Telles sont
les maladies éruptives exanthématiques, rougeole, scarlatine, variole, qui
ne sont point de provenance spéciale et n’appartiennent point actuelle¬
ment à une contrée en particulier. Originairement elles ont pu être et
demeurer longtemps cantonnées; historiquement on les a vu apparaître
à un moment donné sous la forme de grandes et nouvelles épidémies,
mais actuellement elles sont pandémiques et procèdent par exacerbations
épidémiques. 11 en est de même de la coqueluche, des angines diphthé-
riques. Il n’y a point de pays où ces maladies stationnent et résident
constamment, et les circonstances de milieu qui en favorisent le dévelop¬
pement échappent à notre appréciation.
D’autres maladies contagieuses échappent également à toute tentative
de cantonnement géographique artificiel, et ne sauraient être réputées
endémiques dans le sens littéral du mot. Telles sont les maladies transmises
par les animaux à l’homme, et connues sous le nom de morve, farcin,
pustule maligne. Leur origine bien connue, les agents de leur trans¬
missions, qui n’ont plus rien de mystérieux, les circonstances de saisons,
de climat, qui les engendrent, offrent sans doute un intérêt particulier,
mais cependant bien inférieur à celui des maladies graves infectieuses
vraiment endémo-épidémiques que nous avons citées plus haut.
Quelques maladies virulentes spéciales méritent une description
particulière, à cause de leur diffusion en certaines circonstances et de
leur caractère endémo-épidémique manifeste. Telle est, par exemple,
Vophthalmie purulente.
Ophthalmie. — Certaines maladies des yeux peuvent être considérées
comme étant endémiques dans des contrées spéciales ; d’autres ont
fourni nombre d’épidémies sévissant sur une population particulière et
dans des lieux déterminés, se rapprochant ainsi des conditions propres
aux endémies. Parmi ces affections, celle qui a donné lieu aux remar¬
ques les plus importantes et motivé les plus sérieuses enquêtes , est
ENDÉMIE. - MALADIES VIRDLEKTES.
£29
ou l’oplithalmie conjonctivite purulente. L’historique de celte question a
été exposé avec le plus grand soin par Laveran et Lustreman (1857), d’a¬
près les documents recueillis au congrès ophthalmologique de Bruxelles.
D’après ces auteurs, au commencement de ce siècle, on vit se développer
successivement, en Europe, dans l’armée anglaise, dans les régiihents
italiens, dans les armées prussienne, autrichienne, russe, belge, une
ophthalmie très -grave se propageant avec une extraordinaire facilité.
On ignorait son origine, qu’on faisait remonter à l’expédition d’Égypte,
en 1798.
Cette maladie endémo- épidémique des troupes militaires reçut les
noms les plus divers : ophthalmie d'Egypte, des Orientaux, épidémique,
purulente, contagieuse, blennorrhée oculaire , conjonctivite purulente ou
granuleuse.
Les différentes épidémies dont on a conservé des récits sont , pour
l’ar-mée anglaise, celles d’Égypte (1798), de Malte (1802) et de Gibral¬
tar. Cette maladie était connue dans l’armée anglaise et en Angleterre,
même avant la fin du siècle dernier, sous le nom de ocular diseuse.
En 1840, 2,507 soldats anglais furent atteints de cécité absolue. Ce n’est
pas seulement sur les soldats, c’est aussi dans les asiles d’enfants et dans
les asiles consacrés à la misère en général que l’ophthalmie a sévi en An¬
gleterre. En 1809, se produisit une grave épidémie d’ophthalmie dans le
military Asylum de Chelsea, consacré aux enfants, 392 en furent atteints ;
en 1808, il y en eut 230 cas, en 1809, 240.
Dans les workhouses d’Irlande on a compté, de 1849 à 1853,
134,838 cas d’ophthalmie épidémique; sur ce nombre il y eut 1363 ma¬
lades privés d’un œil, 578 atteints de cécité complète.
Des faits analogues ont été observés dans plusieurs armées étrangères.
En Italie (1808), une épidémie d’ophthalmie atteignit 80 hommes sur
1700 à Yicence. D’autres villes présentèrent de semblables foyers (Pa-
doue, Parme, Mantoue, Vérone). En 1812, l’épidémie atteignit 179 ma¬
lades à Vérone, au mois d’août. La maladie se maintenait dans certains
régiments à l’état permanent(endémique). Ainsi l’ophthalmie régnait dans
le 6® de ligne depuis sept ans : « Elle avait suivi ce régiment en Espagne,
attaquant les recrues, les nouveaux soldats qui étaient incorporés , alors
que, dans les mêmes garnisons, les autres régiments étaient épargnés.
On faisait remonter l’existence de ce foyer au contact que les soldats ita¬
liens avaient eu avec les soldats français revenant d’Égypte. De 1822 à
1848, diverses épidémies se montrent tant sur les troupes italiennes que
sur les autrichiennes tenant garnison en Italie. »
Prusse. L’armée prussienne fut atteinte , dans une grande proportion :
par l’ophthalmie, en 1813, surtout à Mayence, pendant le blocus. En 1817,
1818 et 1819, de graves épidémies se montrèrent.
L’armée russe eut près de 5,000 hommes atteints d’ophthalmie pen¬
dant la campagne de Érance. En 1817 et 1819, il y eut de grandes épi¬
démies de cette maladie dans les troupes russes en Pologne, et, en 1832,
à Pétersbourg.
250
ENDÉMIE. - MJS.LADIES VIRULEMES.
De tout temps, l’ophthalmie purulente existe à l’état endémique, en Fin¬
lande et en Crimée, et dans d’autres provinces de la Russie.
L’armée autrichienne a eu aussi ses épidémies (1817 et 1848). L’oph¬
thalmie purulente règne endémiquement dans les provinces danubiennes,
Servie et Illyrie.
Cette maladie semble régner endémiquement dans le sud de l’Espagne,
comme en Égypte et en Algérie. Elle a donné lieu plusieurs fois à des
endémo-épidémies qui ont sévi principalement sur les militaires réunis
en troupes. Le docteur Cervera en compte, de 1851 à 1856 , 20,516 cas
dans l’armée espagnole, dont 2,069 furent réformés (1,862 dans la Pénin¬
sule, les îles Baléares et Canaries, et 207 dans Cuba et Porto-Rico).
Dans les Pays-Bas (Hollande, Belgique et Danemark), en Hongrie, en
Portugal, la maladie n’est pas endémique et elle est considérée comme
ayant été importée accidentellement et concentrée dans certains milieux
artificiels. C’est en 1814 qu’elle fut introduite par les armées prussienne
et française en Belgique. En 1826, sur une armée de 40,000 hommes, on
comptait 4,159 ophthalmies.En 1853, 6,888 en furent atteints. En 1855,
on trouvait en Belgique un aveugle sur 1000 habitants ; et sur le chiffre
total de 4,11 7,960 ou 1 sur 482 avaient perdu la vue par le fait de l’oph¬
thalmie militaire.
France. C’est aussi dans les armées ou dans des agglomérations spé¬
ciales que l’ophthalmie s’est montrée en France à l’état épidémique.
Les premières relations de ces épidémies se trouvent dans les auteurs qui
ont écrit sur les maladies des soldats français en Égypte, où régnait l’oph¬
thalmie.
A diverses reprises, elle se montre dans des- casernes, en France, ou
dans des asiles consacrés à l’enfance (Paris, 1832).
L’ophthalmie est-elle endémique en France? D’après van Roosbrœck
(de Gand), elle n’est pas rare parmi les populations ouvrières du nord de
la France (Roubaix, Lille, Tourcoing).
Dans les possessions françaises d’Afrique (Algérie), il existe une oph-
thalmie purulente endémique qui attaque surtout la population indigène
des villes et les Arabes des oasis, habitant dans des lieux humides. Elle
paraît épargner l’Arabe qui vit sous la tente. Elle atteint quelquefois lès
colons des villages bas et humides, et elle s’est montrée plusieurs fois à
l’état épidémique dans l’armée française.
En Égypte, l’ophthalmie purulente est endémique et sévit avec une
gravité particulière. Il en serait de même pour toute la côle africaine de
la Méditerranée, et pour les pays asiatiques qui sont bordés par cette mer.
L’ ojihthalmie purulente des enfants doit être placée à côté de celle des
armées ; elle se développe aussi dans des endroits où existe l’encombre¬
ment et procède par endémo-épidémies dans les hôpitaux et les asiles, et
dans les pensionnats. Cette question rentre plutôt dans les chapitres de la
contagion et de l’épidémie que dans celui de l’endémie proprement dite.
Les conclusions du congrès ophthalmologique de Bruxelles relatives aux
causes prédisposantes de l’ophthalmie purulente, sont ainsi conçues :
251
ENDÉMIE. - MALADIES VIRULENTES.
<( Uâge : on a remarqué partout, dans les armées, que ce sont les recrues
•qui fournissent le plus grand nombre d’ophthalmiques ; . . . on sait du reste
avec quelle facilité l’ophthalmie purulente se déclare chez les nouveau-
nés...
- Les variations atmosphériques : les temps orageux, les vents d’automne
froids et humides, les chaleurs de l’été surtout, les veilles, les fatigues,
■ont été signalés... D’après les observations faites en Egypte et répétées
•dans d’autres contrées, les mauvaises conditions hygiéniques et le refroi¬
dissement dans une atmosphère humide, semblent les causés initiales
essentielles de l’ophthalmie.
Syphilis. — La syphilis a donné lieu à de nombreux travaux relatifs
•à son origine et à ses manifestations endémiques. Les divers noms qu’a
portés successivement cette maladie indiquent qu’elle a été observée à
l’état endémo-épidémique en divers lieux et peut-être avec des formes
variées {mal napolitain, mal français, mal castillan, pian, etc.). On trou¬
vera aux articles Syphilis, Contagion, Épidémie, réponse aux diverses
questions qui ont été posées à ce sujet. Les erreurs historiques abondent
dans l’histoire de la syphilis, et ses différents noms cachent plus de mé¬
prises que de variétés réelles de la maladie. Cependant il existe quelques
endémies syphilitiques plus particulièrement célèbres et sur lesquelles nous
fournirons de courtes explications, en nous reportant au chapitre consa¬
cré par nous à ces maladies dans le Guide du médecin praticien (1866,
p. 410 et suiv.).
Sous le nom de maladie de Brunn, Thomas Jordan décrivit en 1578
une épidémie de syphilis locale.
En 1800, le docteur Camhieri publiait une histoire de la. maladie dite de
Séherlièvo ou de Fiume, qui avait atteint plusieurs milliers de personnes.
Un hôpital spécial a été fondé à Portore pour éteindre cette endémie sy¬
philitique qui dura de 1800 à 1862. Il en est de même de l’épidémie de
Facaldo (Facaldina). Le sibbens d' Écosse on yaws décrit par Gilchrist en
1771, puis par B. Bell, doit être également rattaché à la syphilis. Il existe
en Norwége une maladie endémique, la radezyge, dont le docteur Boeck a
donné une description en 1860. Cette radezyge (littéralement mal im¬
monde), débuta en 1710, à la suite du séjour d’un vaisseau russe à Sta-
vanger. Observée en 1758 par Honoratius Bonnevie, elle se propageait
rapidement par le coït, le contact des nourrissons avec les nourrices et
réciproquement. En 17 71, une commission médicale en reconnut la na¬
ture syphilitique. Des hôpitaux spéciaux furent fondés et de nombreux
travaux publiés sur cette question. La même maladie s’est montrée à l’é¬
tat endémo-épidémique dans l’Esthonie et le Jutland.
En Afrique, la syphilis a pu régner endémiquement et affecter cer¬
taines formes spéciales, tel est le mal kabyle ou syphilis du Djurjura,
décrit par Vincent (1862), Deleau et C. J. Daga.
Il en est de même du mal de la baie de Saint-Paul (Canada), qui, à la
date de 1785, avait atteint 5,800 personnes, et qui n’était que la syphilis
à l’état endémo-épidémique.
232
ENDÉMIE. - BIBLIOGRAPHIE.
Il faut rattacher à la même maladie le -pian Ab la côte occidentale
d’Afrique. Ain.si, la syphilis a pu porter différents noms et même affecter
des formes variées, régner endémiquement, être méconnue, ce ne sont
pas là, à proprement parler, des endémies vraies.
Nous renvoyons le lecteur aux articles traitant des maladies sui¬
vantes :
Maladies endémiques parasitaires : articles Parasites, Tejg:\es, Gale,
Ektozoaibes, animaux et végétaux [tænia, ses variétés. Dragonneau, ma-
kaque, chique, cysticerquc et hydatides. Trichinose, distome, œstres, etc.]
Maladies endémiques Jocales : articles Béribéri, Bouton d’Alep, de
Biskba, d’Amboine, Éléphaktiasis, Crétinisme et Goitre, Ulcère de Mozam¬
bique.
Maladies virulentes ; articles Syphilis, Ophthalmie, Morve.
Maladies miasmatiques: articles Choléra, Peste, Dysenterie, Foie (Aepa-
tité). Typhus, Fièvre typhoïde. Fièvre jaune, Suette.
Maladies telluriques et paludéennes : article Fièvres intermittentes.
Maladies tenant à des causes d’insalubrité évitables: articles Scorbut,
Pellagre, certaines formes de Typhus.
Maladies des pays chauds : articles Acclimatement, Climat, Géographie mé¬
dicale, Races humaines. Contagion, Épidémie, Constitutions médicales, etc.
L’index bibliographique ne contient que les noms d’un petit nombre d’auteurs qui ont traité
des endémies en général ou que nous avons consultés plus particulièrement. Quant aux auteurs
qui ont rapporté des exemples de maladies endémo-épidémiques, le nombre en est infiniment
grand. Les plus modernes sont cités dans les articles énumérés ci-dessus.
Hippocrate, Des airs, des eaux et des lieux, in Œuvres complètes, trad. Littré. Paris, 1840,
t. IL
Hmsen (.Aug.), Handbucb der historisch-geographischen Pathologie. Erlangen, 1859-1864, 2 Bande.
Laveras et Lüstremas, Rapport sur l’oplitbaltnie militaire (Recueil de -mémoires de médecine
et de chirurgie militaires. Paris, 1857, t. XX).
Boudix (J. Ch. M.), Traité de géographie et de statistique médicales et des maladies endémiques
Paris, 1857, 2 vol. in-8.
Lefèvre (A.), Recherches sur les causes de la colique sèche observée sur les navires de guerre-
français, particulièrement dans les régions équatoriales, et sur les moyens d’en prévenir le
développement. Paris, 1859, in-8. — Nouveaux documents concernant l’étiologie saturnine
de la colique sèche des pays chauds. Paris, 1864, in-8.
Valleix, Guide du médecin praticien, 5“ édition, 1866, art. Svpnius, par P. Lorain.
Griesisgek, Traité des maladies infectieuses. Maladies des marais, fièvre jaune, maladies ty¬
phoïdes (fièvre pétéchiale ou typhus des armées, fièvre récurrente ou à rechutes, typhoïde bi¬
lieuse, peste), choléra, traduit d’après la 2' édition allemande par G. Lemattre. Paris, 1868,
in-8.
Dütrodead, Traité des maladies des Européens dans les pays chauds. Climatologie et maladies-
communes, maladies endémiques; 2« édit. Paris, 1868, in-8.
Fadvel (S. .A.), Le Choléra, origine, endémicité, transmissibilité, propagation, mesures d’hy¬
giène, mesures quarantainaires, et mesures à prendre en Orient pour prévenir de nouvelles
invasions du choléra en Europe. Exposé des travaux de la Conférence sanitaire internationala
de Constantinople. Paris, 1868, in-S.
CoLix (Léon), Traité des fièvres intermittentes. Paris, 1870, in-8.
Paul Lorain.
ENDERMIQÜE (méthode). 233
EIVDERMIQUE (Méthode). — On entend par cette expression l’ap¬
plication de substance médicamenteuses sur la surface de la peau privée
de son épiderme. Cette définition exclut de notre cadre toutes les applica¬
tions extérieures qui sous le nom do friction, badigeon, ou fomentation
se superposent à l’épiderme. Elle exclut également la méthode plus ré¬
cente qui, sous le nom à' hypodermique, consiste à porter l’agent curateur
jusqu au-dessous delà peau dans la couche celluleuse (î;oî/. Hypodermique).
Les avantages qui recommandent la métliode sont les suivants : 1° l’ab¬
sorption est directe, le médicament endermiquo passe dans les voies cir¬
culatoires sans être altéré parla digestion, ce qui est important surtout
pour quelques agents énergiques qui appartiennent au règne animal
comme par exemple, le curare; 2" celte voie directe a pour conséquence
la rapidité et la sûreté de l'action, ce qui, dans certains cas urgents ne
manque pas d’importance; 5“ par la meme raison lorsqu’il s’agit de dou¬
leurs extérieures ou superficielles, le médicament est plus directement
rais en contact avec le point douloureux.
La médication agit donc de deux façons distinctes : en premier lieu par
application immédiate sur les éléments organiques, qu’il s’agit de modifier
et secondement par voie d’absorption. Ainsi, par exemple, dans une né¬
vralgie faciale portant sur les filets superficiels comme le nerf frontal,
l’application endermique delà morphine délermineun soulagement tel¬
lement instantané, qu’il y a lieu de l’attribuer au contact direct. Dans les
douleurs profondes, au contraire, il est rationnel de penser que l’absorp¬
tion et le passage de l’agent thérapeutique dans le sang, sont les condi¬
tions de son efficacité. Les expériences de Cl. Bernard semblent justifier
cette opinion. Il faut ajouter cependant, ainsi que le relate Trousseau et
que nous l’avons observé nous-mêmes, que la morphine appliquée sur une
surface dénudée détermine presque immédiatement des phénomènes de
somnolence.
Indications. — La nécessité d’avoir pour chaque administration ender¬
mique une surface fraîchement dénudée, la difficulté plus grande encore
de calculer la quantité absorbée, et par suite d’arriver à un dosage exact,
limitent singulièrement le cercle d’indications de la méthode. Elle ne
comporte pas un traitement à longue échéance et doit se borner de plus
à des médicaments très-actifs sous un petit volume comme les alcalo’ides.
Cette restriction a été notablement augmentée encore dans ces derniers
tempspar la prépondérance delaméthode hypodermique (uoi/. ce mot). Bien
autrement expéditive et rigoureuse. On peut dire en effet que ce dernier
procédé l’emporte presque dans tous les cas où a prévalu jusqu’ici la mé¬
thode endermique; seulement celle-ci pouvant se passer de toute inter¬
vention instrumentale restera toujours une ressource à conserver.
L’indication de la thérapeutique endermique prévaut principalement
contre les hyperesthésies et les spasmes superficiels et localisés; les dou¬
leurs péri-crâniennes, les névralgies intercostales, dentaires, faciales, les
tics douloureux, les spasmes et contractures hystériques, limités à quel¬
ques muscles, les douleurs rhumatiques aiguës et restreintes. On en usera
23i ENDERMIQÜE (méthode).
d’autant plus volontiers dans ces cas s’il existe déjà un vésicatoire anté¬
rieurement appliqué dans une intention révulsive.
L’indication peut devenir plus étendue si les voies gastro-intestinales,
])ar une cause quelconque, sont réfractaires ou inaccessibles au traite¬
ment intérieur : dans le délire, la folie, les vomissements incoercibles, les
maladies de l’estomac et de l’œsopbage, etc.
Le procédé pour l’application de l’agent thérapeutique consiste à sou-
■ lever l’épiderme par une substance vésicante. On peut se servir, soit de
vésicatoires ordinaires, soit de l’ammoniaque caustique, sous forme de
pommade de Gondret ou d’un morceau de laine imbibé d’ammoniaque
caustique et maintenue sous un verre de montre; soit enfin à l’aide
de l’eau bouillante où l’on tremperait le marteau de Mayor ou tout autre
corps métallique. Dans ce cas, la vésication est presque instantanée; par
l’ammoniaque quinze minutes suffisent. On peut aussi à l’aide d’une lan¬
cette trempée dans une solution médicamenteuse concentrée, inoculer le
médicament.
L’épiderme une fois soulevé on le rompt, puis on le récline, on étanche
la surface dénudée, et on y applique la substance médicamenteuse, ordi¬
nairement pulvérulente qu’on peut recouvrir, soit de l’épiderme récliné,
soit de taffetas gommé. L’application d’un corps quelconque sur le derme
fraîchement dénudé, détermine une cuisson assez vive, mais très-passa¬
gère, suivie plus tard d’un exsudât qui forme avec le reste de la substance
non absorbée, une légère croûte adhérente qui empêche toute absorption
ultérieure sur le même point. Il est bon, à cet effet, étant donné un vési¬
catoire de ne dénuder successivement que les petites surfaces nécessaires
à chaque application pour se réserver les autres places.
En tout cas, l’absorption n’est certaine que sur une surface fraîche trop
sèche ou déjà suppurante, la perméabilité devient restreinte, l'action dou¬
teuse.
Par une raison analogue, les substances caustiques ou coagulantes ne
peuvent entrer dans la thérapeutique endermique. Ainsi les procédés au¬
trefois usités de Serres, pour cautériser par voie sous-cutanée les pustules
varioleuses (méthode ectrotique) , ou ceux qui consistent à traiter les bubons
par le sublimé appliqué sur le derme dénudé (méthode Malapert) n’ap¬
partiennent pas à la médication que nous étudions. Les médicaments en-
dermiques doivent-ils être nécessairement solubles? Nous ne saurionsfaire
à cette question une réponse absolue. Il est probable que les corps entiè¬
rement insolubles comme les poudres métalliques, par exemples, n’âu-
raient que peu d’action, mais d’un autre côté, les substances habituelle¬
ment employées, la morphine, la strychnine, l’atropine n’ont pas une
grande solubilité.
Hip.tz.
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
255
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — Les rapports des alté¬
rations de l’endocarde avec les thromboses intra-cardiaques et avec les
lésions valvulaires, ont été étudiés par Raynaud dans son excellent article
(voy. Cœük, t. VllI, p. 249) ; nous n’avons à décrire ici que les diverses
formes d’endocardite.
Endocardite aiguë. — Considérations historiques. — L’expression
d’ endocardite n’a été introduite que récemment dans la science pour dé¬
signer l’inflammation aiguë ou chronique de la membrane interne qui
tapisse les cavités du cœur, et plus particulièrement l’appareil valvulaire.
Vainement, en effet, on chercherait dans les traités classiques français ou
étrangers publiés au commencement de ce siècle, une description didac¬
tique de la phlegmasie de l’endocarde. Cependant à cette époque les
médecins les plus célèbres de cinq nations ont enrichi presque en même
temps l’histoire des maladies du cœur par des ouvrages remarquables qui
ont servi à préparer la voie à nos contemporains. Ce sont : Corvisart et
Laennec, en France; Baillie, Farre, Allan Burns, Hogdson, H. Reeden,
■en Angleterre; J. Warren, en Amérique; Testa, en Italie; Kreysig et
Puchelt, en Allemagne.
Dans son article spécial sur le carditis, Corvisart confond sous cette
dénomination l’inflammation du tissu musculaire et du tissu séreux du
cœur : « Les membranes séreuses, dit-il, sont en général si intimement
unies aux organes qu’elles recouvrent, que leurs affections intéressent
presque toujours les tissus de ces organes eux-mêmes et réciproquement. »
Laennec, dans la première édition de son Traité de l’auscultation
médiate, ne distingue pas non plus l’endocardite delà cardite.
Dans une édition ultérieure (1857), Laennec consacre un chapitre
à l’inflammation de la membrane interne du cœur, qu’il considère
comme une affection fort rare; mais à cette époque il connaissait l’ou¬
vrage de Bertin et Bouillaud, paru en 1824. Andral ajoute à cet article
-une note intéressante dans laquelle nous remarquons le passage suivant:
« 11 y a longtemps que j’ai tracé les caractères anatomiques de l’inflam¬
mation de la membrane interne du cœur, et que j’en ai indiqué les symp¬
tômes.
« Je ne doute pas que ce ne soit par un oubli tout à fait involontaire
que, dans l’historique qu’il a donné des travaux publiés sur l’inflammation
de la membrane interne du cœur, Bouillaud n’a pas mentionné ce que j’en
ai dit dans le troisième volume de la première édition de ma Clinique, qui
a paru en 1826. Quoi qu’il en soit, je me hâte de reconnaître que c’est à
Bouillaud que l’on doit d’avoir tout récemment appelé l’attention d’une
manière toute particulière sur cette phlegmasie , que j’avais appelée
■cardite interne, et à laquelle il a donné la dénomination plus heureuse
'd’endocardite. Je ne doute pas que cette affection, longtemps inconnue
ou à peine aperçue, ne soit beaucoup plus commune qu’on ne l’avait
pensé, je ne doute pas non plus qu’elle n’exerce réellement une très-
grande influence sur la production d’un certain nombre d’affections orga¬
niques du cœur. »
236 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — esdocardite aigüë.
L’histoire de l'endocardite peut se diviser en trois périodes correspon¬
dant assez exactement aux phases successives par lesquelles a passé cette
maladie avant de prendre rang dans le cadre nosologique.
Complètement ignorée d’abord, ou confondue avec les autres phleg-
masies du cœur et de ses enveloppes , à peine entrevue et mentionnée
ensuite par quelques rares observateurs, l’endocardite n’a été décrite d'une
façon précise que dans le premier quart de notre siècle. Les travaux de
Bouillaud ont marqué une ère nouvelle dans la pathologie cardiaque, et
c’est à lui que revient l’honneur d’avoir tracé la description clinique des
altérations diverses de la membrane interne du cœur, auxquelles il a
appliqué, le premier, la dénomination générique d'endocardite. En 1824
et en 1826, il étudia d’abord l’endocardite dans les fièvres graves; plus
tard, en 1832, il établit, dans son Traité du rhumatisme articulaire aigu,
la coïncidence de l’endocardite avec les inflammations des articulations,
de la plèvre et des poumons ; mais ce ne fut qu’en 1835, dans la première
édition du Traité clinique des maladies du cœur, qu’il présenta le tableau
complet et détaillé de l’endocardite.
Quels que soient le mérite et la supériorité de l’œuvre de Bouillaud, il
ne faut pas, pour le rehausser, effacer jusqu’au souvenir de ses prédé¬
cesseurs, qui ont contribué à établir les premiers fondements de cette
étude; mais on ne doit pas, toutefois, exagérer l'importance de leurs
travaux, comme semblent le faire certains auteurs modernes. Les uns, en
effet, s’efforcent de remuer la poussière du passé pour trouver, dans
quelques passages obscurs d'ouvrages inconnus, la trace d’une descrip¬
tion de l’endocardite; d’autres, animés sans doute par un orgueil na¬
tional légitime, mais exagéré, revendiquent énergiquement, pour leurs
compatriotes, le mérite exclusif de la découverte contestée. Il convient
d’éviter ces deux fautes ; mais il est juste de rétablir la filiation réelle
des faits.
Bouillaud, le premier, a décrit en France l’inflammation de l’endo¬
carde, et indiqué la commune origine des inflammations articulaires et
cardiaques ; mais la première mention du fait appartient incontestable¬
ment à Kreysig. Dix ans, en effet, avant la publication des premiers
travaux de Bouillaud, il avait démontré l’existence de l’inflammation
de l’endocarde, à laquelle il avait donné le nom de cardite pohjpeuse,
dans son Traité des maladies du cœur, publié en 1815, à Berlin.
Kreysig a posé nettement les premières bases de la pathologie endocar-
diaque, en faisant déjà dériver d’une origine inflammatoire les épaissis¬
sements, ulcères, perforations et anévrysmes des valvules du cœur. Il a
reconnu, en outre, l’influence de ces lésions sur le fonctionnement du
cœur, aussi bien que sur l’organisme tout entier, et a essayé d’en tracer
la symptomatologie sur le vivant; mais l’insuffisance des moyens de dia¬
gnostic devait rendre cette tentative stérile jusqu’au jour où l’immortelle
découverte de l’auscultation allait la féconder. Ajoutons, enfin, que
Kreysig a indiqué très-explicitement la. corrélation du rhumatisme et des
affections inflammatoires du cœur, mentionnée, du reste, avant lui, pour
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite
257
la première fois, par David Pitcairn, qui avait créé le mot de rhumatisme
du cœur (1788), et plus tard par Saillie (1797), Odier (1800), Wagtstaffe
(1803), Dundas (1806), Wells (1812). Il est vrai que la plupart des faits
relatés par ces observateurs se rapportent à la péricardite, sauf une des
observations du mémoire de Wells, dans laquelle il est parlé de végéta¬
tions verruqueuses développées à la face interne du cœur gauche.
En résumé, en comparant sans prévention ni parti pris, les travaux
de Kreysig avec ceux de Bouillaud, on doit reconnaître qu’ils sont soli¬
daires d’une œuvre commune ; mais c’est à ce dernier que revient in¬
contestablement le mérite de la 'première description complète.
Depuis plus de trente années, l’endocardite se trouve constituée en tant
qu’entité morbide, et, depuis cette époque, les cadres restés vides se sont
remplis, les observations se sont multipliées, les recherches anatomiques
entreprises récemment sur l’endocarde, aussi bien que l’application du
microscope à l’étude des lésions inflammatoires de cette membrane, ont
modifié, en les complétant, le premiers résultats anatomo-pathologiques.
Les conditions étiologiques ont été mieux précisées, les formes morbides
étudiées avec soin dans ces dernières années, ont éclairé d’un nouveau
jour les points restés obscurs; enfin, grâce aux nouveaux moyens d’in¬
vestigation et aux progrès de la physiologie, l’étude de cette maladie a
atteint un remarquable degré de perfection et d’e.xactitude.
Plus récemment, l’attention des médecins a été appelée sur une
forme spéciale de l’endocardite, ou, plus exactement, sur une lésion
particulière de l’endocarde, avec laquelle on a vu souvent coïncider des
symptômes généraux qui ont une terminaison rapide et fatale. Cette
forme morbide, qui a reçu le nom d'endocardite ulcéreuse, typhoïde,
pyohémique, semble avoir été, pour la première fois, indiquée par
Senhouse Kirkes, en 1852. On ne peut contester à cet auteur le mérite
d’avoir fait ressortir la relation qui existe entre les ulcérations de l’en¬
docarde et les phénomènes généraux graves qui se développent chez les
malades.
Le mémoire de S. Kirkes, en signalant les effets toxiques de quelques
parcelles fibrineuses, porta certains observateurs à revenir sur des faits
précédemment observés par eux et dont l’interprétation était restée obscure;
c’est ce que fit Charcot pour une observation publiée un an auparavant.
En recherchant dans les auteurs, on trouve qu’il y est parfois fait men¬
tion d’ulcérations de l’endocarde, à l’autopsie, de sujets ayant présenté
pendant la vie des phénomènes typhoïdes, mais ces symptômes n’étaient
pas regardés comme subordonnés aux lésions cardiaques. Bouillaud men¬
tionne très-formellement l’endocardite typhoïde, mais sans lui donner sa
légitime signification. « L’endocardite, dit cet auteur, nous apparaît
sous deux grandes formes : la première de ces formes constitue une affec¬
tion purement inflammatoire : telle est l’endocardite qui éclate sous l’in¬
fluence des grandes vicissitudes atmosphériques, c’est là ce que nous
pouvons appeler l’endocardite simple.
« La seconde forme est celle qui se rencontre dans les maladies dites
258
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocakuite
typhoïdes (septiques ou putrides). Nous lui donnerons le nom d’endocar¬
dite typhoïde, ayant bien soin de prévenir nos lecteurs que par cette
dénomination, nous entendons uniquement désigner une endocardite
modifiée par la coïncidence avec un état typhoïde, et non une endocardite
qui donne lieu par elle-même, à des phénomènes typhoïdes, » et en note
l’auteur ajoute « l’endocardite gangréneuse pourrait constituer cette
espèce morbide, mais que savons-nous de bien positif sur l’endocardite
gangréneuse? »
En 1854, Simpson publia dans le deuxième volume de ses « Obstetric
Memoirs » un travail remarquable sur l’endocardite puerpérale appuyé
sur certain nombre d’observatTons.
Deux ans plus tard, en 1856, Virchow entreprit de remarquables tra¬
vaux sur ce sujet et signala la fréquence de l’endocardite ulcéreuse dans
l’état puerpéral. L’éminent professeur de Berlin dans plusieurs publica¬
tions successives a présenté une analyse complète et détaillée du proces¬
sus pathologique de l’endocardite, en insistant plus particulièrement sur le
mode de formation des ulcérations de l’endocarde, et sur la constitution
histologique des infarctus viscéraux qu’elles entraînent à leur suite. Ces
recherches consciencieuses et fécondes imprimèrent un nouvel élan à
ces études. En juin 1862, Charcot et Vulpian, et, quelques mois après,
Lancereaux, publièrent dans la Gazette médicale leurs recherches sur
les principales formes symptomatiques que peut revêtir l’endocardite
ulcéreuse. Ces travaux que leurs auteurs ont accrus et complétés dans
des publications ultérieures, ont attiré l’attention sur un sujet resté pres¬
que complètement inconnu en France jusque dans ces derniers temps,
quoique complètement traité déjà en Allemagne et en Angleterre depuis
plus de dix années. Et l’attrait instinctif de la nouveauté, en stimulant le
zèle des observateurs, en a bien vite augmenté le nombre. Ainsi s’est
promptement répandue et vulgarisée l’étuded’une forme morbide, naguère-
ignorée des uns, et considérée par d’autres comme une singularité patho¬
logique.
Nous aurons l’occasion dans le courant et à la fin de notre travail de-
citer les noms des auteurs qui dans ces huit dernières années sont venus
apporter leur contingent à l’œuvre commune, nous ne mentionnerons-
que pour mémoire les intéressantes observations de Lesouef, Cenouville,
Luys, Duguet et Hayem en France; Dickinson, Paget, Wilks, Edemans-
son, en Angleterre; Schivardi, Mastrorelli, en Italie; Westpbal, Oppolzer,
Bumke, Yolkmann, etc., en Allemagne. Quelques-uns de ces travaux sé^
trouvent en partie résumés dans trois thèses récentes de Wast, Butaud et
Decornière. Bucquoy, J. Simon et Bail dans leurs thèses d’agrégation
ont traité incidemment de ce sujet. Enfin, Martineau a essayé de pré¬
senter, dans une thèse de concours, une description didactique des en¬
docardites.
Telles sont les annales, toutes modernes, on le voit, de l’endocardite
aiguë. Quatre grands noms dominent cette histoire; ce sont ceux de
Kreysig, Bouillaud, S. Kirkes et Virchow,
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — e.ndocakdite aigüë.
259
Synonymie. — Divisions. — L’inflammation de l’endocarde a été succes¬
sivement dénommée: rhumatisme du cœur (B. Pitcairn, Wells, Mathey,
Johnson, Guilbert). Carditis folyposa (Kreysig) car dite interne (Andral),
enfin endocardite (Bouillaud). Ce dernier auteur a encore proposé le nom
de cardi-valvulite pour désigner spécialement l’inflammation de cette
partie de la membrane interne du cœur qui tapisse les valvules. Cette
phlegmasie ainsi localisée a été également appelée endocardite partielle
(Simonnet), endocardite valvulaire. Comime toutes les inflammations en
général, celles de la membrane interne du cœur peut exister à l’état aigu
et à l’état chronique. La plupart des auteurs ont eu le tort de confondre
dans une même description ces deux formes morbides le plus souvent
connexes, mais qui présentent des différences très-importantes au point de
vue de leur marche, de leur évolution et de leurs conséquences pour ne
pas être étudiées séparément. Les lésions chroniques de l’endocardite
ainsi que les altérations valvulaires qu’elles déterminent, ayant été déjà
traitées dans un précédent article (voy. t. VIII), nous bornerons notre
étude à la description de V endocardite aiyuë.
L’endocardite aiguë présente deux formes morbides basées sur l’évo¬
lution différente des produits phlegmasiques ; tantôt ils persistent et le
travail inflammatoire ne va pas au delà de la période de formation;
tantôt ils sont détruits par régression et l’inflammation aboutit à l’ulcéra¬
tion de l’endocarde; de là, la forme simple, plastique ou végétante et la
forme ulcéreuse.
Les différences dans le processus des lésions anatomiques ne suffiraient
pas à elles seules pour légitimer une séparation complète entre ces deux
formes morbides, si les conditions individuelles des malades et des cir¬
constances étiologiques particulières en imprimant un caractère spécial à
ces deux modalités pathologiques , ne justifiaient cette distinction que la
clinique vient en outre confirmer. Nous nous efforcerons dans le cours de
notre description de mettre en relief ces deux formes primordiales de
l’endocardite aiguë sans négliger toutefois les types intermédiaires qui
peuvent leur servir de point de départ, de transition ou de dernier
terme.
Genèse et étiologie. — L’inflammation de l’endocarde réalise, avec
une inégale fréquence , l’ensemble des conditions étiologiques inhérentes
au processus inflammatoire en général. Tantôt elle est idiopathique et
primitive, tantôt, et le plus souvent, elle constitue une lésion secondaire
dans le cours de diverses maladies générales ou constitutionnelles. Elle
peut être simple, ou bien coïncider avec la phlogose des autres tissus qui
entrent dans la composition du cœur. Parfois, enfin, elle s’associe à des
maladies analogues occupant des organes différents qui n’ont avec le cœur
que des rapports de voisinage. Ces deux dernières formes ont attiré dès
l’abord l’attention des médecins , et la plupart des auteurs considéraient
autrefois l’inflammation de la membrane interne du cœur comme consé¬
cutive à la myocardite. Quant aux recherches modernes, l’attention des
observateurs s’est portée plus particulièrement sur l’étude des causes de
240 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — eindocardite aiguë.
l’endocardite et en a multiplié le nombre. Aussi, dans ces dernières
années, a-t-on tenté de séparer de ce groupe morbide cerlaines formes
d’endocardite présentant une communauté d’origine; mais, si celte dis¬
tinction offre une certaine importance pour les différentes formes ana¬
tomo-pathologiques de la maladie, nous ne croyons pas qu’il puLsse en
être de même pour les diverses espèces étiologiques, car il est impossible,
par la seule constatation des signes physiques, de reconnaître une endo¬
cardite rhumatismale, scarlatineuse, varioleuse, puerpérale, etc., en
dehors des phénomènes concomitants et de tout commémoratif.
U endocardite jmmitive est rarement de cause externe et traumatique;
les traités de pathologie externe ne font pas mention de l’inflammation
de l’endocarde à la suite des plaies du cœur. Jamain signale comme
assez fréquente la péricardite traumatique, mais passe sous silence les
complications endocardiaques. Il rapporte cependant l’ohservation d’un
jeune nègre chez lequel on trouva trois chevrotines dans lé ventricule
droit et deux dans l’oreillelle. Piorry, dans une leçon clinique cite un
cas d’endocardite traumatique produite par une aiguille implantée dans
la cloison du cœur.
Mühlig a publié une observation intéressante au point de vue de sa
terminaison. Il s’agit d’un maçon ayant reçu un coup de stylet dix ans
auparavant, et à l’autopsie duquel on trouva, entre autres lésions, les
traces d’une endocardite ancienne sur les valvules mitrales et sigmoïdes.
Ramberger a cité deux cas d’endocardite traumatique accompagnée de
myocardite.
Cependant , en parcourant les observations de Laugier , Barbier
(d’Amiens) et David, et celles plus récentes de Biffi(de Milan, 1869), et
de Tillaux, on est frappé de l’innocuité du séjour souvent prolongé de
corps étrangers dans le cœur.
Lebert a fait deux expériences qui semblent confirmer ces données.
En introduisant des corps étrangers dans les cavités du cœur, il a es¬
sayé d’irriter et de déchirer la membrane interne, mais dans aucun cas
il n’a trouvé trace d’endocardite à l’autopsie.
Cependant, au dire de Bouillaud, Desclaux aurait pu faire naître l’en¬
docardite sur des lapins en enfonçant une aiguille dans le cœur, mais
l’extrême fréquence de cette maladie chez ces animaux pourrait bien
infirmer les résultats de l’expérience.
Dans d’autres circonstances, rares à la vérité, l’endocardite surgit isolée
et indépendante de toute manifestation rhumatismale antécédente ou
actuelle, à la suite de l’impression du froid. Cette endocardite a frigore,
qui est l’analogue de la pneumonie, de la pleurésie et de la péricardite, de
même origine, a été mise en doute par certains auteurs et vivement
contestée par d’autres, qui ne veulent admettre que des endocardites
rhumatismales et secondaires.
La genèse de cette affection est déjà plus complexe que celle de la
variété précédente. On ne peut nier l’influence de la cause externe, qui est
le froid, mais cette cause est purement occasionnelle, et elle ne devient
ENDOCARDE. — ENCOCARDITES. — endocardite aigdë.
241
efficace que chez les individus prédisposés, en état d’opportunité morbide.
C’est pour cela que cette forme d’endocardite, comme toutes les maladies
a frigore, peut être dite spontanée.
De même, en effet, que l’influence nocive extérieure est néee.ssaire pou
mettre en jeu la prédisposition, pour susciter le travail pathologique et
transformer en acte la maladie jusqu’alors en puissance, de même cette
transformation est le résultat d’un acte spontané de l’organisme, qui crée
l’état morbide et le localise sur la partie prédisposée {pars rninoris
resistentiæ) .Deux éléments également indispensables, l’un externe, l’aütre
interne, concourent à la genèse de la maladie. Aussi, cette phlegmasie a
frigore constitue-t-elle, en réalité, une transition naturelle entre l’in¬
flammation de cause externe, et l’inflammation de cause interne.
L’endocardite a frigore peut revêtir tous les caractères d’une endo¬
cardite aiguë franche, et frapper des individus en parfait état de santé,
comme le témoignent les faits de Rilliet et Barthez, et de Aug. Voisin,
cités dans la thèse de Martineau; mais elle est surtout observée chez les
sujets dont l’organisme est altéré par des conditions hygiéniques mau¬
vaises qu’entraînent la misère et l’ivrognerie, chez des individus épuisés
par de grandes fatigues et plongés dans un état de débilité profonde.
Dans ces cas elle revêt presque constamment la forme ulcéreuse. Senhouse
Kirkes considère cette misère physiologique comme une des principales
conditions du développement de l’intoxication du sang, qu’il invoque en
pareil cas : « Cette destruction ulcérative, dit- il, et les effets si graves qui
l’accompagnent dans certains cas, arrivent le plus souvent chez des sujets
très-affaiblis , qui ont mené une vie intempérante, ou qui sont sous le
coup d’une cachexie. »
II. L’ endocardite secondaire est de cause interne, mais il y a lieu, au
point de vue pathogénique, de diviser les faits en deux groupes.
1° Dans l’un, la cause génératrice est l’inflammation préalable de quel¬
qu’un des organes qui sont en rapport de contiguïté ou de vascularisation
avec l’endocarde, et ce dernier ne s’enflamme que par extension du travail
pathologique de voisinage. A ce groupe appartiennent, en premier lieu,
les endocardites qui accompagnent la myocardite, la péricardite et
l’aortite, et, en second lieu, celles qui sont produites par les pneumonies
ou les pleurésies, et en particulier celles du côté gauche.
2° Dans un second groupe, l’endocardite est provoquée par une maladie
générale dont elle est une des déterminations possibles. Tantôt, alors,
l’endocarde est touchée en raison des rapports histologiques qu’il pré¬
sente avec les tissus frappés par la maladie première (inflammation des
parties similaires); comme pour la péricardite, le rhumatisme articulaire
aigu tient ici la première place. Tantôt la membrane interne du cœur est
directement modifiée par un poison morbide ou par une substance irri¬
tante ou septique qui circule avec le sang; l’inflammation est dite alors
dyscrasique, toxique ou septicémique.
Cette dernière forme est observée dans les fièvres éruptives, particu¬
lièrement dans la var.ole et la scarlatine, dans les typhus, dans les raala-
KOEV. DICT, MÉI). ET CHIP. XÎII. - 16
242 END0C4RDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
dies pyogéniques, surtout dans la septicémie puerpérale, dans le mal de
Bright aigu ou chronique ; enfin, mais plus rarement, dans la cachexie
tuberculeuse et cancéreuse ; en un mot, dans toutes les maladies, soit
virulentes, soit infectieuses, et dans les affections septiques et dyscra-
siques.
A côté de ce groupe pourraient se placer les endocardites toxiques
produites par certains poisons minéraux : l’acide arsénieux, le sublimé,
par exemple.
1“ Endocardites secondaires par propagation. — L’endocardite, dans
le cours des phlegmasies thoraciques, serait assez fréquente d’après cer¬
tains auteurs. Bouillaud ne croit pas exagérer en disant que les séreuses
du cœur se prennent dans un tiers ou dans un quart des cas de violente
pleurésie ou de pleuro-pneumonie gauche. Selon Legroux, les inflam¬
mations pulmonaires se propageraient avec une extrême facilité au cœur.
« Parmi ces phlegmasies, dit cet auteur, la pneumonie et la pleurésie
doivent être citées en premier lieu; mais, il faut qu’on le sache bien, la
bronchite elle-même peut réagir sur le cœur de manière à y provoquer
une phlegmasie. Le catarrhe épidémique, désigné sous le nom de
grippe, a dû présenter souvent cette grave complication, car il a laissé
chez bon nombre de personnes des traces profondes de son passage sur
le cœur.
Grisolle professe au contraire une opinion toute opposée et n’admet
la possibilité de cette propagation que dans des cas très-rares. (Pneu¬
monie, 2® édit., p. 469.) D’après Niemeyer, une inflammation du pou¬
mon ou de la plèvre se communique très-rarement à l’endocarde. Frie-
dreich ne fait même pas mention de cet ordre de causes.
F. L. Barthélemy, en réunissant les observations d’endocardite aiguë
rapportées par Bouillaud, Martineau et Decornière, a trouvé que sur
44 cas d’endocardite de forme et de gravité variables, il y avait eu 15 fois
pneumonie ou pleuro-pneumonie. Mais ce chiffre peut tout au plus in¬
diquer la coïncidence fréquente des deux affections, mais ne permet pas
de tirer de conclusion rigoureuse sur leur relation étiologique, car dans
ce nombre comparativement assez restreint, l’endocardite a tantôt joué
le rôle de cause, tantôt d’effet ou de complication de la phlegmasie tho¬
racique. Le plus souvent les deux inflammations se développent simulta¬
nément ou à quelques jours de distance, sous l’influence des mêmes
conditions pathogéniques, et doivent par conséquent être considérées
comme une coïncidence de deux maladies a frigore. L’endocardite,
qui se joint à la péricardite, à la myocardite ou à l’aortite, peut être
considérée comme propagée par continuité de tissu. Joy fait remarquer
à ce propos que la transmission de l’inflammation est plus fréquente
du péricarde à l’endocarde que de cette dernière membrane à la pre¬
mière.
Cette transmission peut avoir lieu parfois dans les deux ou trois pre¬
miers jours, d’autres fois un peu plus tard, vers la fin de la première se¬
maine.
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — EiNdocardite aigüë.' 243
Ailleurs l’endocardite se montre en même temps que la péricardite,
plus rarement enfin elle la précède.
Dans ces cas comme précédemment, le développement de ces deux af¬
fections est dû à la même influence : celle du froid et bien plus fréquem¬
ment encore celle du rhumatisme.
L’aortite coexiste souvent avec l’endocardite et constitue avec elle
Y angiocardite de Bouillaud. Tantôt l’inflammation de l’aorte précède
eelle du ventricule gauche, tantôt elle l’accompagne ou lui succède, et
dans tous les cas les deux lésions relèvent de la même cause dont nous
allons maintenant étudier les effets.
2“ Endocardite rhumatismale. — Le rhumatisme articulaire aigu tient
en effet la première place dans l’étiologie de l’endocardite. La coïncidence
fréquente des affections aiguës du cœur avec le rhumatisme articulaire est
aujourd’hui une vérité bien établie et admise sans contestation par tous les
observateurs, mais la fréquence de l’endocardite a été longtemps exagérée,
car le rhumatisme, plus que toute autre maladie fébrile, peut produire des
bruits de souffle systoliques indépendamment de toute lésion inflamma¬
toire de l’endocarde ; et l’on comprend comment la constatation de ce phé¬
nomène morbide a pu en imposer à certains observateurs qui ont porté
au bilan de l’endocardite des cas qui devaient en être soigneusement éla¬
gués. Une autre cause d’erreur peut encore tenir à ce que les malades
sont déjà anémiques avant leur attaque de rhumatisme, et présentent
par conséquent un bruit de souffle qu’il faut bien se garder d’attribuer
à une complication endocardiaque. Ces considérations expliquent en ma¬
jeure partie lès résultats contradictoires obtenus par les divers observa¬
teurs.
Tandis que Bouillaud, Fuller, Latham et Budd admettent la coïnci¬
dence de l’endocardite avec le rhumatisme articulaire aigu dans la moi¬
tié ou même les deux tiers des cas. Basse, Bamberger, Hamernjk, Duchek
évaluent à 20, 22 et 25 pour 100 le rapport de fréquence.
Quelques auteurs se sont élevés contre cette estimation, qui leur parut
• exagérée. Ainsi Roth réduit cette proportion à 12 pour 100 (79 cas),
et Tl^nderlich à 10 pour 100 (108 cas), Vaîleix enfin n’admettait la
coïncidence que dans un neuvième des cas, et Brockmann la considère
comme très-rare. Ces derniers chiffres sont bien inférieurs à ceux que
nous ont fournis nos observations personnelles, nous sommes en effet ar¬
rivé au rapport de 25 à 28 pour 100.
La divergence de ces résultats me paraît dépendre de deux causes
principales : en premier lieu, dans des statistiques qui fournissent des
chiffres très-élevés, on a sans doute englobé, sous le nom d’endocar¬
dites, bon nombre de cas dans lesquels les troubles fonctionnels et les
signes physiques se rattachaient soit à l’anémie antérieure ou rhumatis¬
male, soit à une ancienne affection du cœur, et, d’autre part, dans les
estimations inférieures à la nôtre, on n’a probablement pas tenu compte
du degré d’intensité du rhumatisme.
11 résulte en effet des recherches de Fuller que la fréquence de l’endo-
244 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
cardite est directement proportionnelle à l’intensité de l’attaque rhu¬
matismale.
Les chiffres donnés par cet auteur justifient nettement cette proposi¬
tion : sur 246 cas de polyarthrite violente, il a trouvé 75 fois l’endo¬
cardite récente, tandis que sur 153 cas de rhumatisme subaigu, il n’en
a rencontré que 14 exemples. (Fuller, Lebert.)
Quant au rhumatisme monoarticulaire, il est universellement admis
qu’il se complique très-rarement d’inflammations cardiaques. La fré¬
quence relative de l’endocardite et de la péricardite dans le rhumatisme
articulaire aigu a été diversement interprétée par les auteurs. Bail, dans
sa thèse d’agrégation, a dressé le tableau des relevés statistiques emprun¬
tés à certains auteurs et arrive aux résultats suivants : c’est que l’endo¬
cardite est plus fréquemment observée que l’endopéricardite, la péricar¬
dite ne viendrait qu’en troisième ligne ; elle se montrerait dans un peu
moins d’un cinquième des cas de rhumatisme articulaire aigu. Cette es-\
timation, qui se rapproche de celle de Duchek (16 pour 100), nous sem¬
ble insuffisante, et la proportion indiquée par Bouillaud (50 pour 100)
nous paraît la plus exacte, à condition toutefois qu’on tienne compte,
ainsi que je le fais moi-même; des manifestations péricardiaques les plus
légères. La péricardite rhumatismale serait donc, à notre sens, près de
deux fois plus fréquente que l’endocardite; il est certain, en effet, que
c’est elle qui se présente le plus souvent à l’observation journalière.
L’endocardite peut prendre naissance pendant toute la durée du rhu¬
matisme, mais il résulte des recherches de Lebert que son maximum de
fréquence appartient à la seconde semaine de la maladie articulaire, de
même que pour la péricardite, ainsi que l’ont démontré Ormerod et
Bamberger. La première semaine vient ensuite, la troisième en dernier
lieu; enfin, après le vingtième jour, l’inflammation de l’endocarde n’est
plus à redouter, pas plus du reste que celle du péricarde.
S’il est beaucoup plus commun de voir l’endocardite se développer
en même temps que le rhumatisme articulaire aigu ou quelques jours
après son apparition, il est cependant des cas bien constatés, dans les-*
quels l’ordre habituel des phénomènes est renversé et l’endocardite peut
alors précéder de quelques jours les accidents articulaires.
La précession des inflammations cardiaques, quoique assez rarement
indiquée, a cependant été notée par un certain nombre d’observateurs :
Graves, Latliam, Stokes, Hope, Wilson, Fuller, Gubler et Trousseau, etc.
« Dans l’immense majorité des cas, dit ce dernier auteur, l’endocarde
s’affecte après les articulations; mais il arrive parfois et d’une façon tout
exceptionnelle, que la phrase symptomatique est renversée et que la loi
de M. Bouillaud se trouve vérifiée en sens inverse, c’est-à-dire que le
rhumatisme frappe d’abord l’endocarde, puis les articulations. Nous
avons eu trois exemples de ce fait dans l’année 1864. »
Hallez, dans une thèse toute récente (1870), en relevant la plupart
des faits consignés par les auteurs, arrive aux conclusions suivantes :
Les 27 cas de maladies aiguës du cœur, qui à des intervalles variables
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë. 245
ont précédé l’inflammation articulaire dans le rhumatisme aigu, se répar¬
tissent ainsi :
Péricardites . II
Endocardites . 5
Endopéricardites . 11
L’endocardite se serait donc montrée soit simple, soit combinée avec
la péricardite, 16 fois avant les accidents articulaires. Quant à l’époque
dé leur apparition elle a été extrêmement variable, mais le plus souvent
c’est du deuxième au neuvième jour après le début de l’endocardite que
les manifestations articulaires du rhumatisme se sont déclarées. Ainsi que
l’on en peut juger par le tableau qui va suivre, dans lequel nous avons
réuni les cas dans lesquels la nature des accidents et l’époque de leur
début avaient été nettement indiquées. Cependant l’arthrite rhumatismale
peut survenir à une époque plus avancée de l’évolution de la phlegmasie
cardiaque. J’ai eu en effet l’occasion d’observer une endocardite d’emblée
qui avait précédé de 15 jours une attaque de rhumatisme articulaire aigu.
J’ai consigné ce fait dans une note de la clinique de Graves (t. I, p. 554).
On a enfin cité (fes cas dans lesquels l’endocardite s’est montrée plusieurs
mois, un an et plus avant la lésion articulaire (Roger, 4 mois, 1 an; Gu-
bler, 2 ans ; Trousseau, 5 ans).
Ces observations ne doivent pas être comptées ici, car elles rentrent
dans un autre ordre d’idées. Elles ont trait en effet à la diathèse rhuma¬
tismale qu’elles annoncent et non à V attaque qu’elles commencent. Peut-
être ne seraient-elles aussi que des endocardites primitives simples sur¬
venues fortuitement sous l’influence d’un refroidissement et à ce titre
elles devraient rentrer dans notre première classe des endocardites a
frigore.
Nous ne ferons donc figurer dans ce tableau que les cas d’endocardite
offrant des relations trop intimes avec les manifestations articulaires pour
que l’on ne puisse mettre en doute leur commune origine rhumatismale.
Il
ÎNDICATIONS BIBLIGGRAPHIOÜES
DE LA MALADIE
ARTICDLAIRES '
BüNEiO.
Edinburgh medic, and surgic. Journal
for 1816.
Ëndopéricardite et
pneumonie.
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Watsox.
Practice of physic, t. Il, p. SU, 1857.
Ëndopéricardite.
3 jours.
Foller.
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Ëndopéricardite.
7 jours.
i
WlESOM.
On the true character of acute rhumatism
in référencé to its treatmenl by medi-
cine (The Lancet, vol. Il, p. 217. 1860).
Ëndopéricardite.
8 jours.
5
Jaccocd.
CUnigue de Graves, 1. 1, p. 548, noie, 1862.
Endocardite.
15 jours.
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdi
1
1
1
1
1
1
La pathogénie de l’endocardite d’emblée aussi bien que celle de toutes
les inflammations cardiaques d’origine rhumatismale a été diversement
interprétée par les auteurs.
Selon Gendrin, on peut dans ce cas attribuer l’inflammation de la sé¬
reuse du cœur à la cause qui a produit le rhumatisme lui-même ou à une
cause accessoire ; ainsi le refroidissement subit, le corps étant en sueur,
provoque une endocardite ou une péricardite, après l’invasion ou vers la
terminaison de laquelle, le rhumatisme articulaire survient avec sa forme
normale.
L’inflammation rhumatismale du cœur a été considérée par Bouillaud
comme un élément du rhumatisme articulaire, et pour que le rapproche¬
ment fût aussi intime que possible, il a comparé le péricarde et l’endo¬
carde à des cavités articulaires et leur inflammation à une sorte d’ar¬
thrite.
• Pour Stokes et Graves, l’inflammation de l’appareil cardiaque a des
rapports plus étroits avec la fièvre rhumatismale qu’avec la phlogose des
articulations.
Fuller, après avoir observé des cas d’inflammation primitive des sé¬
reuses du cœur, attribue également une grande importance à la fièvre
rhumatismale, mais il propose une théorie nouvelle pour expliquer son
mode pathogénique : la fièvre rhumatismale, angioténique devient pour
lui un empoisonnement du sang qui agira sur l’économie tout entière et
fera que les lésions débuteront par les organes qui le contiennent et dans
lesquels il circule. « Dans les cas, dit-il, où l’affection cardiaque se montre
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë. 247
la première et reste pendant quelque temps le seul symptôme local, la
théorie de la métastase fait complètement défaut : la seule explication pos¬
sible paraît être que le cœur est affecté par suite de l’action du sang, qui
par une cause quelconque est devenu malade et a acquis des propriétés
irritantes. » (Introduct., p. 12.)
Je n’insisterai pas plus longtemps sur les innombrables interpréta¬
tions auxquelles la nature du rhumatisme a donné lieu ; les doctrines
anciennes de la métastase et de l’indépendance des manifestations nous
paraissent aujourd’hui suffisamment jugées ; nous croyons préférable de
voir simplement dans les actes morbides dont le cœur est le siège, des
déterminations du rhumatisme, sans autre rapport avec les manifestations
articulaires que celui de la cause, et souvent aussi de la modalité patho¬
logique. -En d’autres termes, l’endocardite rhumatismale, d’emblée ou
consécutive aux inflammations articulaires, doit être considérée comme
l’une des déterminations d’une affection générale fébrile dans laquelle
rentrent des lésions et des symptômes multiples, dont les uns ou les
autres peuvent manquer et qui réunis ou séparés affirment leur nature
rhumatismale par leur union même ou par leur modalité.
5“ Endocardite secondaire dyscrasique. — Si nous avons aussi longue¬
ment insisté suy la variété précédente, c’est que le rhumatisme occupe le
premier rang dans l’étiologie de l’endocardite et qu’il domine aussi toute
la pathologie cardiaque. Après le rhumatisme, mais avec une fréquence
infiniment moindre, viennent certaines maladies générales qui ont pour
caractère commun de produire une altération profonde du sang. Plusieurs
d’entre elles sont en outre virulentes ou infectieuses. En premier lieu nous
mentionnerons les fièvres éruptives et les typhus.
Bouillaud a déjà depuis longtemps noté la coïncidence de l’endocardite
avec les fièvres éruptives, en particulier avec la rougeole et la scarlatine.
Quelques années après lui, Pigeauxla mentionne explicitement dans les
lignes suivantes : « Dans presque toutes les fièvres exanthématiques de
mauvaise nature, dont la terminaison est funeste, on reconnaît pendant la
vie des symptômes d’irritation du cœur et à l’autopsie, dans quelques cas,
on trouve des traces évidentes d’inflammation commençante siégeant sur
la membrane interne de cet organe. » (Pigeaux, 1. 1, p. 538.) L’endo¬
cardite ne se montre pas avec une égale fréquence dans toutes les fièvres
éruptives. Du reste, les opinions des auteurs diffèrent à cet égard.
Wunderlich considère la rougeole comme la cause la plus fréquente de
l’endocardite après le rhumatisme articulaire aigu.
Trousseau, AVest, H. Roger, s’accordent au contraire à placer la scar¬
latine en première ligne dans l’ordre de fréquence. L’endocardite peut
survenir dans le cours de l’éruption scarlatineuse ou se montrer dans la
convalescence.
Tantôt elle est légère et disparaît sans laisser de traces, d’autres fois
elle persiste et peut exposer ainsi les malades à tous les accidents qui
accompagnent les lésions chroniques de l’endocarde. Martineau a rap¬
porté cinq observations à’ endocardite scarlatineuse (1864). Il les divise
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
en deux groupes : le premier comprend les cas où l’endocardite est sur¬
venue dans le cours de la scarlatine, en dehors de toute autre complica¬
tion, et dans le deuxième groupe il place celles qui se sont montrées en
même temps que les douleurs articulaires.
Or, pour ces dernières, si l’on admet, avec Trousseau, la nature rhu¬
matismale des douleurs articulaires qui surviennent dans la scarlatine,
il est aisé de les rattacher au rhumatisme scarlatineux au même titre que
l’endocardite qui complique si fréquemment le rhumatisme articulaire
aigu.
Mais cette explication pathogénique n’est plus applicable pour les cas
où l’endocardite a existé en dehors de toute lésion articulaire. Doit-on
l’attribuer à la jirésence d’un exanthème scarlatineux qui aurait lieu
aussi bien sur le système séreux que sur le tégument externe et interne?
Ou bien faut-il admettre avec Alison etNoirot, des composés cristallisables
qui, se formant en excès et n’étant pas enlevés à temps par les reins,
‘donneraient lieu à l’inflammation de la membrane interne du cœur? Jus¬
qu’à présent nous ne connaissons aucun fait qui permette d’établir la
réalité de cette hypothèse, et même en la supposant confirmée, on com¬
prendrait difficilement la localisation morbide sur un seul point du système
circulatoire.
Nous rapprocherons de ces faits, Y endocardite qui se montre dans le
cours de Vérysipèle; Fuller la range parmi les phlegmasies érysipéla¬
teuses des séreuses. Nous avons récemment observé un bel exemple d’en-
dopéricardite survenu au huitième jour d’un érysipèle de la face. Pour
ces cas comme pour les précédents, les mêmes considérations sont appli¬
cables.
Certains auteurs admettent en effet une connexion intime entre l’érysi¬
pèle et le rhumatisme. Selon Trousseau, il n’y a pas seulement analogie
morbide entre ces deux affections, qui n’ont, dit-il, d’inflammatoire que
l’apparence, il y a corrélation. Elles n’ont pas seulement le même génie
migrateur, elles peuvent se remplacer l’une l’autre et, par exemple, le
rhumatisme peut succéder à l’érysipèle. Il cite à l’appui de son opinion
l’observation d’une jeune fille qui fut prise dans la convalescence d’un
érysipèle grave de la face, de douleurs rhumatismales et chez laquelle
apparut deux jours après une endocardite.
A ce propos Trousseau ajoute : « Il m’est impossible de ne pas rappro¬
cher un instant ce que nous observons ici après l’erysipèle de ce qui se
voit si souvent après la scarlatine et plus rarement il est vrai, après
V érythème noueux. Je vous ai dit combien il était fréquent de voir appa¬
raître le rhumatisme articulaire aigu et même la péricardite ou l’endocar¬
dite dans la convalescence de la scarlatine. Or l’érysipèle, affection dans
laquelle la peau est intéressée comme dans la scarlatine, l’érysipèle qui
présente bien plus d’affinité avec les fièvres qu’avec les phlegmasies,
possède comme la scarlatine et l’érythème noueux de la tendance à être
suivi de rhumatisme avec endocardite. »
L’endocardite a également été notée dans la rarioZe- mais cette complica-
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë. 249
tion plus rare ici que dans les autres fièvres éruptives. Duroziez (1867) a
décrit d’une façon spéciale V endocardite varioleuse. La cruelle épidémie
qui règne à Paris depuis plusieurs mois a permis d’observer l’influence
qu’exerce la variole sur la séreuse du cœur. En février dernier, notre excel¬
lent ami Desnos a constaté, dans son service des varioleux à l’hôpital La¬
riboisière, onze cas de complications cardiaques (endocardites, endopéri-
cardites, péricardites, ramollissements du cœur), dans le cours des varioles
discrètes ou confluentes, mais il n’en a jamais observé dans les vario-
loïdes.
Les affections typhoïdes,\e lyphns épidémique (exanthématique et pété¬
chial) et la fièvre typhoïde se compliquent souvent de troubles cardiaques
et de bruits de souffle qui ne doivent que rarement être imputés à l’en¬
docardite. Doit-on invoquer, pour expliquer ces faits, une condition par¬
ticulière de l’innervation cardiaque, ou bien une altération matérielle des
fibres musculaires ou de leur tissu conjonctif? Selon Stokes, le cœur
jouirait au point de vue de l’inflammation d’une immunité singulière,
comparé aux autres organes placés sous l’influence du poison typhique. Il
appuie son opinion sur une statistique d’Andral où, sur 86 cas de mort
survenue dans les fièvres graves, 13 fois seulement le cœur présentait des
lésions et il est fort douteux, dit-il, qu’on puisse en trouver le point de
départ dans un travail inflammatoire. Il invoque, pour expliquer la fai¬
blesse de l’impulsion du cœur, un ramollissement du cœur dû à l’infiltra¬
tion de son tissu musculaire par une sécrétion particulière.
Graves repousse cette interprétation et dit au contraire que dans le
typhus fever, le cœur est soumis à l’influence de la même cause qui affai¬
blit le système musculaire tout entier, « c’est l’abattement général de la
force nerveuse. » Quant au ramollissement cardiaque constaté chez les
sujets morts du typhus, il attribue cette altération à la putréfaction toujours
si prompte après les maladies malignes.
Les recherches micrographiques récentes sont venues éclairer ces faits
restés longtemps obscurs en démontrant l’existence d’altérations muscu¬
laires dans les fièvres graves, dans la fièvre typhoïde et la variole en
particulier. (Zenker, Waldeyer, Rindfleisch, È. Hoffmann et Hayem.)
Hoffmann a eu l’occasion d’examiner six fois le système musculaire dans
la variole, et dans tous les cas il y a trouvé des lésions très-manifestes et
très-étendues. Hayem vient de publier tout récemment une intéressante
étude sur les myosites symptomatiques, dont il a constaté l’extrême fré¬
quence dans la variole et la fièvre typhoïde (variole, 22 fois sur 24 au¬
topsies ; fièvre typhoïde, 19 fois sur 21 cas).
Les altérations peuvent frapper la fibre cardiaque au même titre que
le reste du système musculaire, et rendent compte ainsi de la plupart des
troubles cardiaques observés dans les affections typhiques aussi bien que
dans la variole ; mais il ne faut pas pour cela exclure la possibilité de
l’endocardite dans le cours de ces affections.
Griesinger mentionne un cas remarquable d’endocardite récente de la
vilvule mitrale avec végétation, chez un malade arrivé au plus haut
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite
degré de la fièvre typhoïde et mort après des manifestations d’un col-
lapsus intense et prolongé.
Skoda fait dépendre le collapsus typhique et les bruits systoliques qui
l’accompagnent d’une tuméfaction de l’endocarde ou des valvules. Mais,
dans ses publications ultérieures, il décrit en outre une insuffisance
valvulaire transitoire qu’il rapporte à la paralysie des muscles papillaires
du cœur.
Enfin, Bouillaud a décrit, comme une forme spéciale d’endocardite,
celle qui se développe pendant le cours des fièvres éruptives et des ma¬
ladies typhoïdes : « Sans doute, dit-il, dans cette forme, l’élément inflam¬
matoire est comme dans la précédente l’élément essentiel mais cet
élément est tellement modifié par l’élément typhoïde surajouté qu’il
convient réellement de ne pas confondre l’endocardite de cette espèce avec
l’endocardite simplement inflammatoire, et pour l’en distinguer, nous lui
donnerons le nom d’endocardite typhoïde, ayant bien soin de prévenir que,
par cette dénomination, nous entendons uniquement désigner une endo¬
cardite modifiée par sa coïncidence avec un état typhoïde, et non une
endocardite qui donne lieu par elle-même à des phénomènes typhoïdes. »
A côté de ces maladies infectieuses pouvant produire l’endocardite, doivent
se ranger ici les affections pyohémiques, et en première ligne nous place¬
rons la septicémie puerpérale qui en est une des causes les plus fréquentes.
Ce n’est que depuis quelques années seulement que l’attention a été
spécialement dirigée sur ce sujet. Mais depuis que Simpson, (1854), Vir¬
chow (1856), de Lotz (1857) et AVestphal (1861) ont publié leurs intéres¬
santes recherches sur l’endocardite puerpérale, le rmmbre des cas s’est
considérablement accru et est venu démontrer la fréquence de cette
complication dans le cours de la puerpéralité.
Cette affection paraît sedévelopper,dit J. Simon (1866),sousl’influence
du mauvais état général dans lequel se trouve placée la femme en couches,
aussi bien avant la parturition qu’après le travail, c’est-à-dire sous l’in¬
fluence des altérations profondes de son économie, produites successive¬
ment par l’état puerpéral.
L’endocardite peut en effet se développer aussi bien pendant la gros¬
sesse qu’après l’accouchement, mais c’est surtout après la parturition
qu’elle acquiert son maximum de fréquence. Quoique la plupart des
auteurs modernes s’accordent à reconnaître l’influence de cette cause
puissante, l’interprétation de son mode pathogénique est encore le sujet
de nombreuses controverses. Virchow, à ce propos, fait remarquer que
l’endocardite puerpérale survient d’emblée, sans qu’on puisse invoquer
une maladie générale, infection purulente ou autre, sans que l’utérus
ou ses annexes soient lésés. Pour lui, l’endocardite serait une forme
de la maladie puerpérale qu’il faudrait placer à côté de la forme périto¬
néale.
Simpson, qui le premier a signalé cette forme d’nndocardite, l’attribue
à une altération du sang. « Dans ce cas, dit-il, le sang est plus ou moins
vicié, les caractères sont plus ou moins semblables à ceux de ce liquide
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
251
dans le rhumatisme articulaire aigu et l’albuminurie chronique ; ainsi
on constate une diminution des globules rouges, augmentation du sérum,
excès de fibrine. — Une autre cause serait la rétention de l’urée et de l’a¬
cide lactique, substances toutes deux irritantes. — De plus, dans l’état
puerpéral, le sang est chargé de nouveaux matériaux. Toutes ces causes
réunies vicient le sang et par suite du contact de ce liquide ainsi altéré,
il peut survenir une endocardite. »
Nous aurons occasion de revenir sur cette interjirétation qui a été
étendu à la plupart des cas d’endocardite.
Enfin certains auteurs, Peter, Decornière et Simpson lui-même seraient
assez portés à considérer l’endocardite puerpérale comme une manifestation
rhumatismale. Ils appuient leur opinion sur l’existence d’antécédents
rhumatismaux dans un certain nombre de cas. Dans ceux où il n’existait
pas de manifestations rhumatismales antérieures à l’endocardite, ils con¬
sidèrent cette affection comme la première manifestation de la diathèse
rhumatismale elle-même . « Il y a certainement, dit Decornière (1 869 , p . 5 7) ,
de grandes probabilités en faveur de la nature rhumatismale de l’endo¬
cardite puerpérale. Pendant l’état puerpéral, la femme se trouve dans
les mêmes conditions que celle qui est soumise à la diathèse rhumatis¬
male. Elle aune augmentation de fibrine du sang plus considérable en¬
core que dans le rhumatisme.
(Le sang dans l’état puerpéral contient en effet 7 à 8 p.IOOO de fibrine,
tandis qu’il n’en contiendrait que 4 à 5 p. 1000 dans le rhumatisme au
lieu de 5 (chiffre normal). L’on conçoit donc,que les deux influences réu¬
nies ne peuvent manquer de favoriser la production de l’endocardite.
Si l’endocardite peut se montrer dans tout le cours de la puerpéralité,
il faut reconnaître qu’elle revêt des formes différentes suivant l’époque
de son apparition. C’est en effet pendant la grossesse que paraissent de
préférence les formes simples de la maladie (endocardite. simple ou végé¬
tante); tandis que la forme dite ulcéreuse est liée de préférence à la pé¬
riode qui suit ou accompagne la parturition. Niemeyer paraît ne pas avoir
observé d’endocardite puerpérale en dehors de ce qu’on appelle la fièvre
puerpérale. Dans ces cas, qui sont de beaucoup les plus fréquents, les
diverses formes de pyémie ou de septicémie puerpérales impriment un
cachet spécial à l’endocardite qu’elles déterminent et qui vient à son tour
les compliquer.
Pour terminer la liste déjà longue des affections, dans le cours des¬
quelles peut se développer l’inflammation de l’endocarde, nous citerons
enfin la maladie de Briyht. En Angleterre, Taylor, Walshe et Ormerod
ont signalé la coïncidence des inflammations thoraciques dans l’albumi¬
nurie ; mais leurs travaux ont trait surtout à la péricardite qu’ils consi¬
dèrent comme plus fréquente que l’endocardite dans le cours du mal de
Bright.
D’après les faits recueillis par Chambers et Bergson, le cœur aurait été
malade à peu près dans le tiers des cas (416 fois sur 536 cas).
En parcourant les relevés statistiques donnés par les auteurs, on est
252
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdb.
frappé de la divergence de leurs résultats ; cela tient à ce qu’ils ont réuni
et confondu toutes les altérations cardiaques qui peuvent accompagner la
néphrite parenchymateuse.
Si nous réunissons les 100 faits de Bright, les 292 de Frerichs et les
114 de Rosenstein ; nous avons un total de 506 cas avec autopsie. Sur ce
nombre, l’hypertrophie du cœur est notée 177 fois. Ce chiffre se décom¬
pose ainsi ;
Hypertrophie avec lésions valvulaires . 83 cas.
Hypertrophie pure . 94 cas.
Si l’on ne fait entrer en ligne de compte que les cas dans lesquels la lé¬
sion des reins est arrivée à la période d’atrophie, les résultats sont singu¬
lièrement différents : la proportion, d’aprèsTraube, est alors de 95 p. 100.
Ainsi l’hypertrophie spéciale manque dans la première période de la mala¬
die, se manifeste dans la seconde, et est presque constante, si la néphrite
atteint sa période atrophique. En premier lieu, l’hypertrophie cardiaque
doit donc soigneusement être écartée aussi bien que la péricardite qui a
été constatée par Frerichs et Rosenstein 40 fois sur 406 cas (9,85 p. 100),
si l’on veut arriver à une appréciation rigoureuse de la part de fréquence
qui revient aux altérations valvulaires. Or, si l’on a soin de séparer l’hy¬
pertrophie ventriculaire pure des lésions d’orifice proprement dites, les
506 faits de Bright, de Frerichs, et de Rosenstein comprennent 85 cas
de lésions cardio-aortiques; c’est une proportion de 16,4 p. 100, soit sen¬
siblement un sixième. Mais ces lésions valvulaires sont à vrai dire plutôt
une coïncidence qu’une complication véritable. Quand on réfléchit d’une
part au rôle capital que jouedans l’étiologie de lanéphriteparenchymateuse
le rhumatisme articulaire et d’autre part à la fréquence des localisations de
cette maladie sur l’endocarde, on comprend que le mal de Bright coexiste
souvent avec une lésion valvulaire du cœur. — Ce sont deux effets indé¬
pendants l’un de l’autre, mais issus d’une même cause et pouvant lui
survivre. Simple coïncidence si l’on n’en considère que la genèse, la lé¬
sion cardiaque est une véritable complication au point de vue des sym¬
ptômes et du pronostic.
Cependant dans certains cas, rares à la vérité, l’endocardite peut se dé¬
velopper en tant qu’affection secondaire, dans le cours d’une néphrite pa¬
renchymateuse. Rosenstein n’en a observé que trois exemples qu’il rap¬
porte dans son ouvrage. Dans deux de ces cas, l’endocardite affectait la
forme végétante.
J’ai observé, chez une jeune malade actuellement encore dans mon
service, une endocardite survenue au troisième jour d’un mal de Bright
aigu, sans aucun antécédent de rhumatisme.
Deux jours après l’apparition du souffle systolique à la pointe du cœur,
survint un gonflement douloureux des articulations du membre supérieur
droit qui disparut au bout de peu de temps. Au moment de son entrée,
cette jeune fille était atteinte d’une pleurésie gauche avec épanchement
et, depuis six semaines qu’elle est dans nos salles, elle ne conserve plus
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — E^DocA.BDITE aigoë. 255
qu’une albuminurie persistante et un souffle râpeux au premier temps.
Ces faits témoignent donc de la possibilité du développement d’une en¬
docardite aiguë dans le cours de la néphrite brightique. Mais dans la ma¬
jorité des cas, ces deux maladies ont une commune origine et sont sous
la d^endance d’une affection primitive, du rhumatisme qui leur a donné
naissance.
.Après avoir successivement passé en revue les conditions étiologiques
de l’endocardite, et indiqué pour chacune d’elles leur mode pathogénique,
il nous resterait encore à rechercher sa cause prochaine; mais ici, comme
pour toutes les autres maladies en général , nous ne pouvons invoquer
que des hypothèses plus ou moins ingénieuses, des théories séduisantes,
sans doute, mais trop incertaines encore pour qu’il soit permis de fonder
sur elles les premières hases solides d’une pathogénie exacte et posi¬
tive.
Envisagée d’une façon générale, l’endocardite secondaire se présente
dans deux conditions différentes : soit sous la dépendance du rhumatisme,
dont elle doit être regardée comme une des plus fréquentes localisations,
soit liée à des maladies générales fébriles, le plus souvent infectieuses ou
septiques, qui altèrent profondément la crase sanguine. Il était donc
naturel de rapporter à l’altération primitive ou secondaire du sang dans
ces cas , la cause première de l’inflammation cardiaque. Cette idée n’est
pas nouvelle, et l’on en trouve le germe dans quelques auteurs qui ont
écrit sur ce sujet.
Déjà avant 1839, Pigeaux, après avoir énuméré les causes les plus fré¬
quentes de l’endocardite, s’exprimait ainsi :
« Une source non moins abondante, et pourtant fort peu exploitée, des
causes propres à développer l’endocardite, est assurément l’altération du
sang. C’est peut-être la seule qui agisse certainement ; comme elle sévit
directement sur la membrane interne du cœur, peut-être même toutes les
autres causes ont-elles besoin de l’intermédiaire de celles-ci pour réagir
sur le cœur.
« Elles n’en sont peut-être même qu’une ou plusieurs variétés moins
connues.
« Dans presque toutes les fièvres exanthématiques de mauvaise nature,
l’altération constatée du sang est probablement encore la cause de l’en¬
docardite. Dans les résorptions purulentes, quand on injecte des matières
putrides dans les veines, dans l’empoisounementœrgoté, dans le charbon,
chez les animaux surmenés, on observe encore les mêmes résultats.»
Roche va plus loin, et il attribue le développement de l’endocardite aux
altérations du sang, même dans les cas de pneumonie, de pleurésie et de
rhumatisme. Cette cause avait déjà été signalée par Piorry, qui considé¬
rait l’hémite (état couenneux du sang) comme la cause la plus fréquente
de l’endocardite.
Il est assez rationnel d’admettre que le sang est à l’endocarde ce qu’est
l’urine à la muqueuse vésicale, ce que sont les boissons et les aliments à
la muqueuse gastrique.
254 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. •— endocardite aigdë.
A chaque organe son stimulant naturel. Tant que ce stimulant se trouve
dans des conditions normales, il n’a sur les surfaces en rapport aucune
action nocive ; mais est-il altéré dans ses qualités ou mélangé avec des
substances irritantes , ou bien a-t-il subi, soit primitivement, soit secon¬
dairement une de ces altérations encore inconnues dans leur nature, mais
qui paraissent être un des principaux éléments de certaines maladies; il
devient alors pour son réservoir une cause d’altérations pathologiques.
Todd, ayant constaté que la sérosité épanchée dans le péricarde à la
suite de péricardite rhumatismale, offrait une réaction due à la présence
de Tacide lactique, avait émis l’hypothèse que l’accumulation de cet acide
dans le sang suffisait pour déterminer l’inflammation de l’endocarde.
Prout, Williams, Schônlein et Simpson, acceptèrent sans contrôle cette
théorie, que Richardson essaya de confirmer par des recherches expérimen¬
tales (1859). Il produisit une endocardite chez des chiens en leur injectant
dans le péritoine une solution au dixième d’acide lactique. Mosler et
Rauch répétèrent la même expérience, et arrivèrent aux mêmes résultats.
Ils se crurent donc autorisés à conclure que l’accumulation d’acide lac¬
tique dans le sang suffisait pour produire l’inflammation de l’endocarde;
mais les recherches ultérieures de G. Reylier, entreprises sous la direc¬
tion de Virchow, sont venues, infirmer ces premiers résultats en montrant
que ces dépôts fibrineux sont très-fréquents chez les chiens et les mammi¬
fères auxquels on ne fait aucune injection d’acide lactique. Albaum a
également rencontré, sur des chevaux qui n’avaient pas été soumis aux
injections d’acide lactique, les désordres trouvés sur les chiens par
Reyher. L’acide lactique n’a donc pas la valeur étiologique qu’on lui avait
attribué , et la séduisante théorie de Richardson et de Rauch doit être
abandonnée, tant que des expériences nouvelles ne seront pas venues lui
prêter un nouvel appui.
Nous avons déjà mentionné l’opinion d’Alison et de Noirot, qui admet¬
tent l’existence, chez les scarlatineux, de composés cristallisahles qui, se
formant en excès et n’étant pas enlevés à temps par les reins, donne¬
raient lieu, tantôt à la péricardite ou à l’inflammation de toute autre
séreuse, tantôt au rhumatisme et à la goutte.
Cette dernière hypothèse serait appuyée à la fois par les recherches de
Garrod,qui ont établi qu’en général l’acide urique existe dans le sang des
individus atteints de la forme chronique de la maladie de Rright, et par
les expériences de Zalesky, montrant que la ligature des uretères, en
s’opposant à l’excrétion urinaire , amène, chez les oiseaux en parti¬
culier, des dépôts uratiques dans plusieurs viscères , et notamment à la
surface ou dans l’épaisseur des valvules cardiaques.
« Il y aurait peut-être lieu d’admettre, dit Lancereaux (1869), une
endocardite consécutive aux lésions rénales, dont le mode de formation
ne différerait pas essentiellement de celui de cette endocardite, que,
dans leurs expériences, Richardson, Mosler et autres auteurs, prétendent
être arrivés à produire chez le chien en lui injectant de l’acide lactique dans
le péritoine. Par conséquent, malgré la rareté de l’endocardite dans la goutte
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — eî^docardite
255
€t la maladie de Briglit, où le sang est généralement chargé d’acide urique,
nous devons reconnaître qu’il y a des recherches intéressantes à faire
sur ce sujet, et, tout en regrettant qu’une analyse du sang n’ait pas eu
lieu dans notre cas, nous désirons vivement qu’il puisse être le point de
départ d’observations approfondies. »
Notons, enfin, les récents travaux de Gerhardt et Wagner, qui font
ressortir la coïncidence fréquente du carcinome (notamment celui de
l’estomac et de l’utérus) avec l’endocardite, et sont portés à admettre,
dans ces cas, une irritation chimique de l’endocarde, que l’on peut
rapprocher des faits précédents.
Quoi qu’il en soit, si les adultérations du sang sont inconnues dans
leur essence, il ne nous semble pas trop prématuré de conclure qu’elles
peuvent jouer un rôle important dans la pathogénie de l’endocardite,
et il est permis de supposer que lorsque la pathologie humorale sera
mieux connue, elle jettera sans doute quelque lumière sur l’étiologie de
cette affection.
4° L’endocardite chronique est ordinairement le reliquat de la forme ai¬
guë et reconnaît alors les mêmes causes ; cependant elle peut se développer
d’emblée comme processus irritatif lent. Ces faits méritent d’autant plus
l’attention, que l’altération de l’endocarde peut rester longtemps silen¬
cieuse et ne se révéler que lorsqu’elle a produit des désordres irréparables
dans les orifices et les valvules. Il arrive assez souvent que, malgré l’in¬
terrogatoire le plus minutieux, on ne peut faire remonter l’origine de
lésions valvulaires à une endocardite aiguë, rhumatismale ou autre; c’est
alors l’endocardite chronique d’emblée et latente qui est la source du
mal. Nous savons peu de choses sur les causes de cette forme particulière;
l’impression habituelle du froid humide, l’alcoolisme, les phlegmasies
des organes broncho-pulmonaires, la syphilis, sont les conditions étio¬
logiques les plus connues de cette affection, dont on trouvera la des¬
cription dans un précédent article du Dictionnaire. (Voy. Cœur, t. YIII,
p. 555.)
111. Avant d’entrer dans la description des lésions anatomiques de l’en¬
docardite aiguë, il nous reste encore à examiner l’influence que l’âge, le
sexe et les autres causes prédisposantes, peuvent exercer sur la produc¬
tion de l’endocardite.
Sexe. — Le sexe ne paraît pas avoir une grande influence sur la pro¬
duction de l’endocardite; si l’homme est prédisposé à contracter l’endo¬
cardite rhumatismale ou a frigore, il faut, d’autre part, reconnaître que
la parturition , en exposant la femme à l’endocardite puerpérale, tend à
rétablir l’équilibre de fréquence dans les deux sexes. En réunissant
^8 observations empruntées à Bouillaud, Hope et Grisolle, et qui peuvent
se rapporter à l’état aigu, on trouve qu’il y a un même nombre de femmes
que d’hommes : 14. (Valleix.)
Age.— L’âge, au contraire, introduit des différences capitales; avant la
trentième année, l’endocardite est très- fréquente. Elle est également assez
commune dans l’enfance, mais chez les vieillards elle perd de sa fré-
256
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — esdocaedite aiguë.
quence et de son intensité, et ne se présente que comme une poussée
inflammatoire aiguë entée sur des processus chroniques antérieurs.
Dans le premier âge, l’endocardite offre, dans son évolution et dans ses
diverses formes symptomatiques , des caractères particuliers qui la sépa¬
rent nettement de la même maladie chez l’adulte.
Chez les enfants, la forme aiguë est beaucoup plus fréquente et plus
accentuée; mais, grâce à un heureux privilège, les inflammations légères
de l’endocarde peuvent quelquefois disparaître sans laisser de traces ap¬
préciables.
D’un autre côté, il existe dans l’enfance des conditions étiologiques
nouvelles qui impriment à l’endocardite des moditications particulières,
et qui, par leur multiplicité, peuvent en accroître la fréquence.
C’est surtout à un âge peu avancé que l’on observe l’endocardite aiguë
primitive et l’endocardite dite d’emblée.
Mais les inflammations secondaires de l’endocarde n’en conservent ms
moins le premier rang dans l’ordre de fréquence. /
Leur étiologie est moins, compliquée qu’aux autres périodes de la vie ;
cependant, des maladies spéciales aux premières années de la vie consti¬
tuent de nouvelles causes prédisposantes à cette affection. Mais, d’un
autre côté, les diathèses et la plupart des états pathologiques de nature
à agir sur le centre circulatoire, n’acquièrent leur opportunité que pen¬
dant la période d’état de l’organisme ou dans une période plus avancée de
son évolution.
Une des conditions qui favorisent le plus spécialement l’endocardite de
l’enfance est assurément Vaffection rhumatismale, dont les complications
cardiaques sont beaucoup plus fréquentes qu’à toute autre époque de la
vie. C’est ce que démontrent péremptoirement les recherches entreprises
par West à l’hôpital des enfants de Londres.
Sur 32 cas d’affections cardiaques chez des enfants au-dessous de 15 ans,
le rhumatisme a pu être invoqué comme cause 9 fois ; la lésion était chro¬
nique dans 3 cas, et aiguë dans 6 cas ; 5 fois il s’agissait d’une endopé-
ricardite, 4 fois d’une endocardite simple. Cette fâcheuse tendance du
rhumatisme à se localiser de préférence sur les séreuses cardiaques est
heureusement contre-balancée par la fréquence moindre de cette affection
dans l’enfance et par son extrême rareté dans les premières années de la
René Blache, dans son consciencieux et intéressant travail sur les ma¬
ladies du cœur chez les enfants, a mis en relief l'influence que les diverses
manifeslations du rhumatisme exercent sur les cardiopathies infantiles.
« 11 semble, dit-il, que le rhumatisme soit doué dans les jeunes orga¬
nismes d’un pouvoir d’imprégnation et de diffusion plus considérable
qu’aux autres périodes de la vie, et qu’il soit apte à susciter des états pa¬
thologiques plus'nombreux et plus variés. Ce qui prouve bien qu’il en est
ainsi, c’est que les manifestations les plus atténuées et les mieux loca¬
lisées du rhumatisme, comme le torticolis et l’érythème noueux, par
exemple, souvent se compliquent d’une endopéricardite. Pour n’être pas
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
257
commun, ce fait n’en est pas moins incontestable ; mais ce qui n’est pas
rare, c’est de voir survenir une cardiopathie dans le cours.d’une chorée.
Là, le vice rhumatismal a pris une physionomie singulière, il s’est mani¬
festé sous la forme d’une chorée ; cependant il n’est resté que trop fidèle
à lui-même en attaquant le cœur. »
La chorée joue un rôle important dans l’étiologie des maladies du cœur
chez les enfants et en particulier de l’endocardite. Dès 1855, Bright
avait indiqué la relation de la chorée avec les affections aiguës du cœur
et du péricarde et avait consigné six observations où cette coïncidence
est positivement indiquée. Plus tard G. Sée, Roth, Botrel et récemment
enfin H. Roger ont établi d’une façon péremptoire la nature rhumatismale
de la chorée dans la majorité des cas et ont noté la fréquente coïnci¬
dence des inflammations cardiaques dans cette affection; ils désignent
cette complication sous le nom de chorée cardiaque (Roger) ou rheumo-
cardiaque (Roth). L’endocardite se montrerait d'après ces auteurs dans
près d’un tiers des cas de chorée. L’influence pathogénique de la chorée
sur les affections cardiaques ayant été étudiée avec soin (art. Cœur,
p. 568), nous n’insisterons pas plus longuement sur cette condition
étiologique.
Parmi lés maladies propres à l’enfance et exerçant une certaine in¬
fluence sur le développement de l’endocardite, nous citerons i’ostéo-
myélite aiguë et la périostite phlegmoneuse, dans lesquelles cette com¬
plication a été observée quelquefois.
Giraldès, Louvet (1867), Droin (1868) et R. Blache (1869), ont
rapporté des cas où cette coïncidence se trouve indiquée ; j’ai eu l’occa¬
sion moi-même d’observer une endocardite aiguë survenue dans le cours
d’une ostéomyélite suppurée.
L’inflammation secondaire de l’endocarde dans ces cas doit-elle être
rapportée à l’influence du rhumatisme, qui a été rangé parmi les causes
de la périostite phlegmoneuse diffuse par un certain nombre d’observa¬
teurs (Chassaignac, Schützenberger, Verneuil), ou bien faut-il la rapporter
à la pyémie qu’entraîne après elle cette redoutable affection? Les deux
hypothèses sont également admissibles, mais il n’est pas permis d’élever
une théorie pathogénique sur des faits encore si peu nombreux.
Quant aux fièvres éruptives, leur extrême fréquence chez les enfants,
apporte un nouveau tribut à l’étiologie de l’endocardite. La scarlatine à
cet égard doit être placée en première ligne.
■ Les enfants semblent enfin moins prédisposés que les adultes à cette
forme spéciale d’endocardite, dite ulcéreuse, si l’on en juge par le petit
nombre de cas qui en ont été rapportés (Seuhouse Kirkes, garçon de
14 ans ; Duguet et Hayem, enfant de 15 ans).
L’endocardite peut également se montrer chez les nouveau-nés et
même chez le fœtus. U endocardite fœtale serait même assez fréquente
d’après Rauchfous (de Saint-Pétersbourg). Dans une communication ver¬
bale faite récemment à la société des médecins de Dresde, Rauchfous dé¬
clarait avoir rencontré depuis quelques années plus de 800 endocardites
HODV. DICT. UÉD. ET CHIE. XIII, — 17
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
fœtales. Sur ce nombre les lésions siégeaient 192 fois à droite et 15 fois-
seulement dans'le cœur gauche.
Fôrster avait déjà mentionné la fréquence de l’endocardite fœtale dans
le cœur droit, et Friedreich qui signale aussi ce siège d’élection, lui.
assigne de préférence les valvules sigmoïdes de l’artère pulmonaire ; cette
circonstance peut être attribuée à la pression prépondérante que subit
cette partie du cœur pendant la vie intra-utérine.
L’endocardite fœtale localisée sur les valvules sigmoïdes de l’artère-
pulmonaire, serait d’après Friedreich, la cause des rétrécissements con¬
génitaux de cette artère. Ferber, de Hambourg, attribue à des endocar¬
dites de la vie intra-utérine, la plupart des affections organiques et des
maladies bleues dont on cherche vainement la cause.
h’ endocardite des nouveau-nés est rare et le plus souvent dépend
d’une endocardite fœtale. Ne pourrait-elle pas aussi accompagner dans
certains cas les myocardites ou les péricardites purulentes qui, d’après
Weber, ne sont pas rares à la suite de l’inflammation du cordon (1852).
Steiner et Neuretter, dans leurs Mélanges sur les maladies des enfants, ont
également signalé les rapports qui existent entre certains états de suppu¬
ration et la myocardite.
L’endocardite semble bien plus rare chez les nouveau-nés que la pé¬
ricardite qui serait pour Billard, une cause fréquente de mort des enfants
à la mamelle (1828). L’inflammation de l’endocarde paraît affecter de
préférence chez eux la forme végétante, à en juger par les cas rapportés-
par R. Blache, Bednar, Massmann (1854). Telles sont les modifications
qui peuvent ressortir de l’âge.
Nous ne reproduirons pas ici la longue série de causes banales que la-
plupart des auteurs se complaisent à répéter ; disons toutefois qu’il est
certaines conditions qui paraissent exercer une certaine influence sur le-
début et sur l’évolution de l’endocardite, et que l’on peut partant consi¬
dérer comme des causes prédisposantes à cette affection : telles sont les
conditions hygiéniques mauvaises qu’engendrent la misère et l’ivro¬
gnerie. Ajoutons enfin pour terminer, que toutes les conditions physio¬
logiques qui ont pour résultat de déterminer un excès d’activité del’organe
de la circulation, le prédisposent ainsi directement à la phlegmasie en
faisant pour ainsi dire converger sur lui les effets de toutes les causes
qui peuvent provoquer une inflammation. Il suffît dans cet état de la
cause accessoire la plus légère, pour qu’une endocardite se développe.
Anatomie et physiologie pathologiques. — Le ventricule gauche est,'
chez l’adulte, le siège ordinaire de l’endocardite. Mais l’inflammation
est presque toujours partielle et limitée aux régions des valvules. La mi¬
trale est le plus souvent atteinte, les sigmoïdes aortiques ne viennent
qu’en second lieu. Dans bon nombre de cas, les valvules sont prises en
totalité, insertions, lames membraneuses, tendons, tout est lésé ; d’autres
fois l’inflammation se restreint à un endroit très-limité, et n^ttaque
qu’une seule valve. Pour la valvule mitrale, c’est surtout la valve la plus^
voisine de l’orifice aortique qui est atteinte la première.
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
259
Lorsque l’endocardite est plus restreinte, c’est toujours la face valvu¬
laire tournée vers la colonne sanguine (face centrale) qui est la plus al¬
térée, parfois même la face opposée (face pariétale) conserve les caractères
de l’état normal. Cette disposition est la conséquence de ce fait général
que le travail inflammatoire porte sur les points qui sont le plus exposés
aux influences mécaniques de pression ou de distension. C’est pour ce
motif que l’endocardite fœtale occupe surtout les cavités droites où la
tension est beaucoup plus considérable que dans le cœur gauche. Les
orifices de communication entre les ventricules provenant de la vie intra-
utérine peuvent également devenir le siège de l’endocardite. Chez les
vieillards, dont la circulation pulmonaire est depuis longtemps' embar¬
rassée, les valvules tricuspide et sigmoïdes pulmonaires présentent assez
souvent des altérations qui résultent en général d’un travail inflamma¬
toire chronique.
Les oreillettes peuvent enfin être affectées et d’après quelques auteurs
elles le seraient plus souvent que les ventricules. Von Dusch dresse en
effet le tableau suivant, d’après l’ordre progressif de fréquence.
Oreillette gauche, oreillette droite, ventricule gauche, ventricule droit,
cloison interventriculaire, infundibulum.
Parfois le tissu musculaire lui-même est aussi enflammé et cette myo¬
cardite est tantôt primitive, tantôt consécutive à la phlegmasie de l’en¬
docarde.
Les lésions de l’endocardite siègent, avons-nous dit, de préférence sur
les valvules, c’est-à-dire sur la partie la plus épaisse de l’endocarde et en
même temps celle qui est la plus éloignée des vaisseaux. Les recherches
de Luschka ont en effet démontré l’existence d’un fin réseau vasculaire
dans l’épaisseur de la valvule mitrale, mais la vascularisation des valvules
sigmoïdes est encore contestée. Or, comment donc expliquer la fréquence
de l’endocardite dans ce lieu d’élection?
Peter a cherché à en donner la raison et son explication lui a fourni
l’occasion d’émettre une théorie générale qui rend compte des phéno¬
mènes inflammatoires dans les tissus dépourvus de vitalité propre. «Là
vitalité obscure de ces tissus, dit Peter, ne leur permet pas de résister à
des causes de destruction sans cesse renaissantes, comme le frottement du
sang, dans le cas qui nous occupe; ils s’usent constamment, et sont par
conséquent en voie de prolifération et de rénovation incessantes. La répa¬
ration, à l’état normal, est justement égale à la perte subie. Que sous
l’influence d’un trouble, d’une irritation quelconques , l’usure vienne à
augmenter, la prolifération augmente dans une proportion égale comme
pour rétablir l’équilibre.
- « Mais sur quels points portera plus spécialement cette prolifération
exagérée? Sur ceux qui sont soustraits à l’influence des lois organiques,
sur les valvules qui réunissent au plus haut degré ces deux conditions ,
puisqu’elles n’ont que quelques vaisseaux à la base, bien loin de leurs
bords, et qu’elles sont incessamment battues sur leurs deux faces et agi¬
tées par le courant sanguin. »
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
Nous sommes loin, on le voit, des théories deGendrin qui, croyant l’en¬
docarde plus vasculaire que la membrane interne des vaisseaux, expliquait
par cet excès de vascularité la. fréquence plus grande de l’endocardite.
L’explication de Peter, conforme aux données anatomiques et physiolo¬
giques modernes, nous paraît rendre suffisamment compte de la fréquence
relative de l’inflammation dans cette partie du système circulatoire où le
sang, mû par une force d’impulsion considérable vient se heurter avec
violence contre les valvules et les innombrables anfractuosités de l’endo¬
carde qui multiplient les frottements.
Les lésions de l’endocarde sont essentiellement celles de l’inflammation
parenchymateuse. L’exosmose vasculaire n’y prend qu’une très-faible
part et les éléments propres du tissu endocardiaque sont primitivement
et principalement atteints. Le processus consiste essentiellement dans la
prolifération plus ou moins rapide des cellules du tissu conjonctif qui forme
la couche profonde de l’endocarde et dans la formation de nouveaux élé¬
ments qui s’organisent ou dégénèrent. Tantôt, en effet, l’activité formative
qui leur a donné naissance n’a pas dépassé les moyens de nutrition de la
partie enflammée et leur existence est assurée ou du moins leur organi¬
sation ou leur disparition sont possibles ; tantôt au contraire leur abon¬
dance est telle que leur nutrition devient insuffisante, ils dégénèrent et se
détruisent. Cette seconde phase n’est plus sans doute l’inflammation ,
c’est-à-dire un processus aigu et rapide, mais elle en est la conséquence,
l’inévitable résultat et l’en séparer serait méconnaître à la fois son origine
et sa nature.
Les périodes initiales du travail pathologique sont les mêmes ; les dif¬
férences ne commencent à s’accentuer qu’après la phase d'irritation nu¬
tritive. A partir de ce moment, elles deviennent si nettes et si accusées
qu’elles doivent être étudiées séparément.
La plupart des auteurs signalent, au début de l’endocardite , une rou¬
geur plus ou moins vive. On a beaucoup discuté sur le caractère inflam¬
matoire ou non de la rougeur observée à la surface interne du cœur
que déjà Galien avait remarquée et que, jusqu’à ces derniers temps, on
attribuait généralement à l’imbibilion du sang.
Cette rougeur offre diverses nuances : tantôt elle est d’un rouge vif,
écarlate ; d’autres fois, d’un brun foncé, violet, lie de vin. Ces dernières
colorations s’observent plutôt dans les cavités droites que dans les gau¬
ches. Rarement disposée uniformément sur toute l’étendue d’une ou plu¬
sieurs cavités, elle est souvent bornée à certains points, et se présente
sous formes de ponctuations, de tacbes miliaires ou de fines arborisations
vasculaires; lorsque la fluxion est intense, elle peut même aller jusqu’à
la production de petites taches ecchymoliques, de véritables hémorrha¬
gies punctiformes.
La rougeur de la surface interne du cœur est loin de caractériser l’en¬
docardite, car, dans bien des cas, Timbibition cadavérique peut revendi¬
quer sa part dans sa production. Le sang s’imbibe en effet à travers les
parois vasculaires, comme la bile à travers les parois de sa vésicule et
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — e.ndocardite aigdb.
261
colore en rouge livide les premières, comme la bile colore les secondes en
jaune verdâtre, La coloration de l’endocarde n’est alors qu’un phénomène
purement physique, qu’un effet mécanique de l’imbibilion favorisé par
l’altération du sang et par la décomposition du cadavre. La rougeur
inflammatoire diffère de celle-ci en ce qu’elle n’est pas modifiée par les
frictions et qu’elle résiste aux lavages. Elle est en effet due à l’hypérémie
de la couche sous-séreuse qui rattache l’endocarde à la charpente muscu¬
laire du cœur, ainsi que de la couche de tissu cellulaire réunissant l’une
à l’autre les deux lamelles des valvules.
En pratiquant une coupe sur l’endocarde enflammé , il est facile de
s’assurer que l’injection vasculaire est bien bornée aux couches profondes,
et à l’examen microscopique on peut voir les capillaires du tissu sous-
séreux gorgés de globules sanguins.
La rougeur d’imhibilion n’atteint au contraire que les couches superfi¬
cielles et peut, dans bien des cas, se joindre à la précédente.
Du reste, cette distinction n’est pas aussi importante qu’on le pourrait
croire, car on a rarement l’occasion d’observer l’injection vasculaire ,
inflammatoire qui, en tant que phénomène initial, échappe le plus souvent
à l’examen et fait bientôt place aux lésions plus facilement appréciables
en même temps que plus importantes qui frappent les éléments propres
du tissu.
Un des principaux phénomènes de l’inflammation est une tuméfaction
et une diminution de consistance causée par l’infiltration parenchyma¬
teuse des éléments du tissu conjonctif et de la substance interstitielle. Les
corpuscules conjonctifs, écartés par l’exsudât interstitiel qui tend à les
dissocier, sont gonflés par l’exsudât qui a lieu dans leur intérieur (exsudât
parenchymateux) et, par suite, l’endocarde perd son éclat, son aspect
poli et sa transparence. 11 paraît trouble et hyalin.
11 est très-probable qu’une exsudation semblable est déversée à la sur¬
face libre de l’endocarde, mais il est impossible de constater l’existence
de ce produit qui doit être immédiatement emporté par le courant sanguin.
En même temps que les éléments du tissu conjonctif de l’endocarde se
troublent et se tuméfient par une intersusception cellulaire plus abon¬
dante, ils subissent une multiplication endogène plus ou moins riche qui
a pour premier effet l’épaississement de la membrane.
Cette prolifération a lieu par division des noyaux à l’intérieur et par
scission des cellules. Les éléments plasmatiques grossis, perdent peu à peu
leur forme étoilée; ils se gonflent, deviennent arrondis et se résolvent
bientôt en une masse d’éléments plus petits , résultant de la scission de
leurs noyaux. Cette prolifération est d’autant plus abondante que le pro¬
cessus est plus rapide et plus actif. Les éléments qui en résultent sont
des corps ronds, globuleux, contenant à leur centre un noyau, rendu ap¬
parent par l’addition d’acide acétique.
Par suite de leur abondante prolifération, ces corps sont pressés les uns
contre les autres ; la matière intercellulaire, qui séparait les cellules plas¬
matiques, tend de plus'eh plus à disparaître et il en résulte un tissu com-
262
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ekoocardite aiguë.
posé uniquement d’éléments globuleux d’une adhésion extrêmement
faible et glissant les uns sur les autres à la moindre pression. N’ayant pas
une nutrition suffisante, ces éléments subissent à la longue la dégéné¬
rescence granulo-graisseuse et se transforment en un détritus dans le¬
quel, à une période avancée, on ne reconnaît plus trace d’organisation.
Les premières phases de la prolifération cellulaire donnent lieu à un
tissu mou, gélatineux, imprégné d’un liquide offrant une réaction ana¬
logue à celle du mucus. Cette multiplication d’ailleurs n’étant pas égale
sur tous les points malades de l’endocarde, donne lieu à des granulations
molles, gris rougeâtres, qui s’élèvent au-dessus de sa surface, en par¬
ticulier sur les valvules. Le tissu devient rugueux, inégal et comme
chagriné. L’endocarde n’est plus seulement grisâtre, opaque et tur¬
gescent, il est hérissé de petites villosités, de mamelons, de saillies
lamelliformes qui ont été désignées sous le nom de végétations. Or
ces lésions premières ont pour effet de modifier les rapports d’attrac¬
tions entre le sang et le tissu, et les inégalités de la surface endocar-
diaque sont autant de points d’appel pour la coagulation de la fibrine, qui
forme, en se précipitant au sommet de chacune de ces excroissances mor¬
bides, comme autant de stalactites verruqueuses. Les coagula fibrineux,
incessamment battus par l’ondée sanguine, sont parfois détachés par elle,
mais souvent accrus aussi par la superposition de couches nouvelles. Ils
constituent de véritables thromboses en miniature , qui sont susceptibles
de toutes les transformations propres aux coagulations sanguines; elles
peuvent être reprises par absorption, ou dissociées et emportées par le
sang, avec ou sans embolies consécutives, ou bien encore elles persistent
en produisant, sur l’endocarde, des modifications irréparables; elle peu¬
vent enfin subir le ramollissement simple.
Le ramollissement commence toujours par les parties les plus an¬
ciennes ; les éléments centraux sont dissociés, et l’on trouve là une petite
cavité grandissant peu à peu vers la périphérie, qui est remplie par un
liquide de la consistance d’une bouillie plus ou moins épaisse, d’une colo¬
ration blanche ou d’un blanc jaunâtre. Au début,' ce liquide est bien
circonscrit dans la cavité qui le contient, mais, un peu plus tard, il fuit
dans les couches périphériques, qu’il imbibe ; de sorte que la masse tout
entière participe bientôt au ramollissement, et l’ancien caillot fibrineux,
ainsi dissocié, peut, après sa liquéfaction complète, aller se perdre dans
le torrent de la circulation,
Il arrive parfois que la bouillie centrale du coagulum renferme, sous
forme de particules granuleuses, des débris des couches fibrineuses dis¬
sociées; mais cette disposition est temporaire, ces débris ne tardent pas à
se dissoudre eux-mêmes, et la partie centrale, complètement ramollie,
présentant alors une homogénéité parfaite, offre l’aspect d’une bouillie
blanchâtre puriforme qui ressemble, à s’y méprendre, à du pus véritable,
et a été longtemps considérée comme tel. Ce n’est pourtant pas du pus,
mais bien un mélange de molécules protéiques, de gouttelettes graisseuses
et de globules sanguins rouges et blancs, tantôt normaux, plus souvent
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë. 263
■altérés. Par l’addition d’eau, cette masse puriforme se coagule, mais au
bout d’un certain temps le coagulum se dissout, l’acide acétique y déter¬
mine d’abondants précipités, la réaction est variable. (Virchow.)
Tels sont les phénomènes qui caractérisent le premier stade de l’in¬
flammation de l’endocarde. Les éléments cellulaires des valvules se
troublent, augmentent de volume; la scission des noyaux conduit à la
multiplication endogène des cellules, et donne naissance à une grande
quantité de corps fusiformes (cellules embryonnaires, embryoplastiques,
plasmatiques) , qui sont souvent entourés d’une substance homogène,
comme hyaline, et dans lesquels se voit un noyau après addition d’acide
acétique.
Cette prolifération conjonctive de l’endocarde est accompagnée, au
■début, d’un semblable travail dans la couche épithéliale, mais ces élé¬
ments superficiels ont la plus grande tendance à se dissocier et à se
■détacher des couches sous-jacentes.
Les fibres élastiques contenues dans la valvule, et servant de séparation
entre les couches superficielles et profondes , deviennent granuleuses et
■disparaissent. (Cornil et Ranvier.)
D’après ces deux habiles micrographes, le processus inflammatoire débute
toujours par la couche de cellules aplaties, à la face supérieure ou auricu¬
laire des valvules mitrale et tricuspide, à la face inférieure des valvules
artérielles, et c’est toujours dans la partie la plus superficielle de cette
couche interne que la prolifération est la plus active.
Les lésions se produisent habituellement sur la partie de la valvule
privée de vaisseaux au niveau de leurs bords libres.
Telle est la première phase des lésions. Jusqu’à ce point la phlegmasie
peut encore se terminer par résolution, et l’endocarde recouvrer son inté¬
grité première, sans conserver aucune trace de l’atteinte momentanée que
sa nutrition a subie; mais, à une période plus avancée, la restitution
■ad integrum n’est plus possible, et dans les cas même où la terminaison
est le plus heureuse, les valvules subissent toujours des modifications
plus ou moins profondes et irrémédiables.
L’évolution ultérieure varie, d’ailleurs, suivant que la maladie prend
.la forme végétante ou la forme ulcéreuse.
1“ Forme plastique ou végétante. — Cette forme pathologique est
essentiellement caractérisée par la persistance des éléments nouveaux,
engendrés par l’inflammation. La lésion varie dans ses caractères objectifs,
suivant qu’on l’observe à telle ou telle période de son évolution, mais l’élé-
■ment fondamental est toujours le même; c’est une néoplasie conjonctive.
Sous l’influence de l’irritation nutritive qu’ils ont subie, pendant la
•période initiale de l’inflammation, les corpuscules conjonctifs interstitiels
■de l’endocarde sont entrés en prolifération; puis, comme la résolution fait
défaut, le travail formateur continue. Les éléments cellulaires, parcou¬
rant leur évolution ascendante, aboutissent, en dernière analyse, à une
production souvent colossale de tissu conjonctif qui occupe les mêmes
, points que le tissu normal, mais qui, en raison de son abondance, donne
264 ENDOCAÏIDE. — ENDOCARDITES. — ekdocardite aiguë.
aux valvules une dureté et une rigidité toutes spéciales. Le tissu nouveau,
produit par cette formation conjonctive exubérante, acquiert la propriété
de rétractilité , et, par son retrait, détermine un rétrécissement pro¬
gressif de l’orifice ou une insuffisance persistante, et souvent ces deux
effets en même temps; en un mot, l’exagération de toutes les modifi¬
cations vicieuses préexistantes.
Tant que la transformation conjonctive n’est pas achevée, et que l’in¬
flammation n’est pas éteinte, les parties malades peuvent contracter des
adhérences anormales ; les lames valvulaires se soudent entre elles ou avec
la paroi ventriculaire; elles perdent leur mobilité, et quand la période de
rétraction arrive, elles peuvent être réduites, par ratatinement graduel,
sans perte de substance, à un bourrelet épais et inégal qui tapisse la cir¬
conférence de l’orifice; dans d’autres cas les lames ne sont pas effacées,
mais soudées entre elles et rigides ; elles figurent une sorte d’appendice
immobile dont la forme rappelle celle d’un entonnoir; le sommet de
l’infundibulum est une ouverture à diamètre immuable; elle est ordinai¬
rement semi-lunaire à l’orifice mitral, et plutôt triangulaire aux orifices
artériels. Si l’adhérence a lieu entre la valvule et la paroi ventriculaire ou
artérielle, l’occlusion rhythmique de Torifice n’est plus possible, ce n’est
plus qu’un orifice toujours béant. Quelquefois, cependant, il se produit des
compensations, ainsi que Jacksch (1860) l’a très-bien montré. Le raccour¬
cissement d’une des valvules sigmoïdes de l’aorte, par exemple, laisse un
vide qui se trouve quelquefois comblé par l’allongement des deux autres,
et l’élément mécanique de la lésion peut être réparé de celte manière.
Quelle que soit l’origine de l’endocardite, c’est aux orifices du cœur, sur
les valvules que se produisent le plus souvent les lésions. Cependant,
l’inflammation peut avoir exceptionnellement son siège sur les parois
ventriculaires ou auriculaires, et la transformation conjonctive des élé¬
ments proliférés peut entraîner , soit des épaississements partiels, des
callosités étendues et diffuses, de larges taches blanchâtres (Lambl ert
Lôschner, 1860), ou même un épaississement général de la membrane
interne d’une ou de plusieurs des cavités du cœur; c'est cet état que
Fërster a décrit sous le nom d’hypertrophie de l’endocarde.
L’endocarde peut avoir conservé son poli, mais souvent il est ridé et
comme crépu. L’épaississement, d’ailleurs, peut être variable; dans
l’oreillette gauche, il est en général plus considérable que dans les
ventricules. La surface interne de cette cavité présente alors une teinte
blanchâtre, jaunâtre, opaque, et l’endocarde auriculaire semble avoir
doublé et même triplé d’épaisseur.
Dans le ventricule, l’épaississement est plus rare et moins considé¬
rable que dans l’oreillette, souvent il est borné au sommet de quelques
colonnes charnues; d’autres fois il se remarque sur l’une ou l’autre face
ventriculaire, plutôt vers la base qu’au sommet. Au lieu d’un épaississe¬
ment, il n’y a quelquefois qu’une teinte blanchâtre, laiteuse, de l’endocarde.
L’endocardite peut siéger au niveau des cordages tendineux et des
muscles papillaires; au début, les cordes tendineuses se gonflent, s’épais-
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — eadocardite aigdë.
265
sissent,inais en augmentant d’épaisseur, elles deviennent en même temps
plus friables, et, comme d’autre part la contraction des muscles pa¬
pillaires est exagérée par l’excitation fébrile du cœur, toutes ces condi¬
tions réunies favorisent leur rupture, et l’on conçoit aisément que ces
déchirures totales ou partielles doivent sérieusement compromettre le jeu
régulier de la lame valvulaire correspondante.
Les extrémités déchirées et inégales du petit cordage, appendues à leurs
points respectifs d’implantation, flottent ainsi dans la cavité ventriculaire,
et sont bientôt recouvertes de dépôts fibrineux.
Lorsque l’inflammation se propage des valvules à la partie supérieure
de la cloison, elle peut atteindre précisément ce point du septum dé¬
pourvu de fibres musculaires, et où la cloison est constituée par le simple
adossement de l’endocarde gauche et droit. La résistance à la pression du
sang est beaucoup moindre en ce point , on le conçoit, et, lorsque le
début du travail inflammatoire vient diminuer la cohésion et la résistance
du tissu, il peut se laisser forcer et se rompre, d’où résulte une commu¬
nication anormale entre les deux ventricules. (Tliurnam, Hauschka,
Scbleimann, Virchow, Peacock.) Pareille communication serait assez
fréquente, d’après Friedreicli, chez le fœtus, dans les inflammations des
valvules sigmoïdes pulmonaires, et servirait à expliquer la plupart des
cas de perforations congénitales de la partie supérieure du septum, ac¬
compagnées des signes d’une endocardite éteinte de l’orifice pulmonaire.
Cette lacération n’a point la signification des ulcérations qui caracté-
l’isent l’endocardite ulcéreuse; c’est un fait quasi mécanique résultant de
la localisation particulière de la lésion.
Les déchirures analogues à celles que nous venons de mentionner,
peuvent également se produire sur les autres parties de l’endocarde et
sur les valvules elles-mêmes. Il est très-rare que l’endocarde cède sur
quelques points de la paroi musculaire du cœur, et, dans ce cas, si la
fibre cardiaque participe à l’inflammation, le sang peut pénétrer dans la
crevasse et se créer une loge dans la substance charnue du cœur, et
constituer ainsi un anévrysme aigu du cœur. Le mode de formation de cet
anévrysme n’est pas toujours le même ; il faut bien distinguer entre celui
qui est produit par une myocardite simple et celui qui résulte d’une en¬
docardite pariétale avec myocardite; dans ce dernier cas, l’endocarde
peut être rompu au niveau de la poche, ainsi que cela avait lieu sur une
pièce que j’ai présentée en 1865 à la Société médicale des hôpitaux. 11
s’agissait d’un anévrysme ventricule aortique, suite d’endocardite; la ca¬
vité communiquait d’une part avec le ventricule gauche, de l’autre avec
l’aorte, et servait dé voie collatérale à l’ondée sanguine, qui pouvait à
peine passer par l’orifice aortique extrêmement rétréci. Quelquefois les
valvules se déchirent de la même façon et suivant que la rupture porte sur
une de ses faces ou atteint toute l’épaisseur de la valvule, il peut se pro¬
duire de même un anévrysme valvulaire ou un détachement plus ou
moins complet de la valvule. Ces déchirures, purement mécaniques de
l’endocarde, sont extrêmement rares et doivent soigneusement être dis-
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite
tinguées des ruptures consécutives à l’endocardite ulcéreuse, que nous
allons bientôt décrire.
Il nous reste auparavant à mentionner une des conséquences les plus
fréquentes de l’endocardite aiguë, nous voulons parler des végétations.
Si la marche de l’inflammation est subaiguë, elle s’arrête à la proliféra¬
tion du tissu conjonctif sur laquelle nous avons déjà précédemment insisté.
Cette néoformation exubérante se transforme en un tissu muqueux, mou,
gélatiniforme abondamment pourvu de cellules embryoplastiques. Ce tissu
se condense et se solidifie plus tard, et constitue enfin les végétations
endocarditiques qui se présentent tantôt sous forme d’un fin duvet comme
velvétique, tantôt, et le plus souvent, sous forme de villosités granu¬
leuses, d’excroissances déchiquetées, de mamelons verruqueux. Ces végé¬
tations siègent le plus souvent sur les valvules à la face opposée à la di¬
rection du courant sanguin. Cependant Bellingham prétend que la valvule
mitrale présente ordinairement ces altérations sur la face auriculaire.
Dans les valvules sigmoïdes, elles affectent une disposition toute spéciale
lorsque la lésion n’est pas trop avancée; elles sont rangées en guirlande,
parallèlement au bord libre des valvules et au niveau du point où la par¬
tie opaque de la valvule se confond avec son bord mince et transparent,
c’est-à-dire le long du double croissant qui sert de limite au feuillet
fibreux intermédiaire né de la circonférence de l’orifice artériel.
Watson (t. II, p. 193), qui s’attribue la découverte de cette disposition
pathologique, prétend qu’elle se rencontre plus spécialement chez les su¬
jets morts de bonne heure.
Barlow (1836) avait signalé cette disposition, dont on trouve un bel
exemple dans la thèse de Bail (pl. II, fig. 1).
Les végétations, dans certains cas, sont groupées en amas irréguliers
au niveau des nodules et forment, en ce point, des saillies, plus ou moins
analogues à celles des condylomes, qui ont été comparées à des crêtes de
coq, des choux-fleurs, des framboises, etc.
On peut aussi les rencontrer sur les tendons des muscles papillaires ou
en d’autres points de la paroi cardiaque, surtout des oreillettes.
Laennec divisait ces végétations en deux espèces : les globuleuses et
les verruqueuses. Bouillaud a accepté cette division, changeant seulement
le nom des premières, qu’il appelle albumineuses ou fibrineuses. Voici,
du reste, la description qu’il en a donnée ;
« l'’Les végétations albumineuses ou fibrineuses sont molles, faciles à
écraser comme de l’albumine concrète ou un fragment de pseudo¬
membrane fibrineuse à demi organisée. Leur couleur est d’un blanc gri¬
sâtre ou jaunâtre, mêlé quelquefois d’une teinte rosée ou tout à fait rouge.
Elles se détachent par une traction assez légère. Ces granulations m’ont
paru avoir une grande analogie avec celles que l’on trouve quelquefois
à la surface de la plèvre, du péricarde ou du péritoine enflammés. 2“ Les
végétations verruqueuses, très-analogues aux poireaux vénériens, contrac¬
tent avec les parties sur lesquelles elles sont implantées une telle adhé¬
rence, qu’elles font, pour ainsi dire, corps avec elles. Le tissu de ces
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ekdocakdite aigdë.
267
•végétations est comme corné ; il crie sous le scalpel à l’instar du fibro-
cartilage. »
La nature de ces productions a diversement été interprétée par les au¬
teurs. Laennec les regardait commç de simples concrétions fibrineuses
produites à l’occasion d’un trouble circulatoire et pouvant s’organiser par
la suite ; mais il ne trouvait pas de rapport bien manifeste entre la phleg»
masie de l’endocarde et le développement de ces concrétions. Cette opi¬
nion, formellement contredite parKreysig, Bertin, Legroux et Bouillaud,
a été reprise en Angleterre, dans ces derniers temps, par Simon (1850),
et complètement adoptée par Fuller ; mais elle a trouvé en Bellingham un
terrible adversaire (part. II, p. 340).
Bouillaud et la plupart des auteurs français ont, il est vrai, reconnu
l’origine inflammatoire de ces produits, mais en ont donné une fausse
interprétation. Ils les considèrent, en effet, comme des dépôts de lymphe
plastique, sécrétés par la surface elle-même de l’endocarde.
Tout autre est l’explication donnée par les auteurs allemands. « Les
éléments cellulaires, dit Virchow, se remplissent d’une grande quantité
de matériaux nutritifs ; le point correspondant devient inégal et rugueux.
Quand le processus est lent, il se produit, soit une excroissance, soit un
condylome, ou bien l’épaississement forme une saillie mamelonnée qui
peut devenir plus tard le siège d’un encroûtement calcaire. »
Nous avons suffisamment insisté sur le mode de production de ces vé¬
gétations pour qu’il ne soit pas nécessaire de nous appesantir plus lon¬
guement sur leur structure. Nous avons dit, en effet, qu’elles sont con¬
stituées par une production exubérante des éléments du tissu conjonctif
de l’endocarde, et que leur surface villeuse sert de point d’appel à la
coagulation de la fibrine. Les végétations valvulaires de l’endocarde ré¬
sultent donc de l’inflammation des tissus eux-mêmes et du dépôt consé-
■cutif d’une couche fibrineuse.
Nous ne citerons que pour mémoire les opinions émises par Corvisart
et plus récemment par Julia (1845) relativement à la nature syphilitique
■de| ces produits.
Indépendamment des végétations dont les valvules du coeur peuvent
■devenir le siège, elles peuvent offrir dans certains cas une vascularité assez
prononcée. On comprend, d’après cela, que le processus inflammatoire soit
analogue à celui qu’on rencontre dans des tissus vasculaires; mais ce
n’est que dans des cas exceptionnels et à une période déjà avancée du
travail phlegmasique que se développent les vaisseaux de nouvelle forma¬
tion. L’irritation nutritive des cellules est toujours l’acte fondamental et
primitif de l’inflammation de l’endocarde.
Mais cette vascularisation secondaire et pathologique des valvules peut
ultérieurement modifier la constitution des produits inflammatoires et en
faciliter peut-être la résorption ou déterminer leur désorganisation com-
, plète.
Deux cas d’arborisations vasculaires des valvules mitrales et sigmoïdes
figurent dans le travail de Bail (pl. I, fig. 1 et 2). Parmi les états patho-
26S
ENDOCAlïDE. — ENDOCARDITES. .ekdocardite
logiques qui favorisent celte disposition , la diathèse rhumatismale semble,
d’après cet auteur, occuper le premier rang.
Les lésions que nous venons de décrire et qui caractérisent la deuxième
phase de l’évolution inflammatoire tendent incessamment à devenir per¬
manentes et à produire des désordres irréparables. L’ endocardite chronique
fait suite à ce premier état, sans transition et sans différences bien mani¬
festes; dans celle-ci, en effet, la lésion ne diffère de l’état aigu que par la
condensation, la dureté, la rétraction plus grande des éléments nouveaux.
Il n’y a là qu’une question d’âge et non une question de nature. Aiguë
ou chronique, l’endocardite végétante est essentiellement une inflamma¬
tion scléreuse. La lésion varie dans les caractères objectifs suivant qu’on
l’observe à telle ou telle période de son inflammation, mais le caractère
fondamental est toujours le même, c’est une ne'oplasie conjonctive.
Nous ne parlerons pas ici des transformations ultimes propres à l’état
chronique, telles que l’incrustation calcaire et la dégénérescence graisseuse
des produits inflammatoires que l’on trouvera décrite dans un précédent
article (t. VIII, p. 555 et suiv.).
V embolie est une des suites possibles de l’endocardite aiguë, aussi bien
que de la forme chronique ; dans les deux cas l’embolus est constitué, soit
par des dépôts fibrineux dissociés, soit par des débris de valvules, soitenfin
pardesvégétationsdétachées. Les excroissances polypeuses n’adhèrent quel¬
quefois à leur point d’insertion que par un pédicule étroit et mince que
le choc du courant sanguin peut aisément briser. Cette rupture amène le
détachement des particules végétantes qui sont transportées par la circu¬
lation dans les points les plus divers et produisent des désordres plus ou
moins étendus et graves, suivant la dimension et l’importance du vaisseau
sanguin qu’elles viennent obstruer. Ces lésions secondaires emboliques
seront étudiées dans le chapitre suivant, à propos de la forme ulcéreuse
dont elles sont une des plus graves et des plus fréquentes conséquences.
II. Forme ulcéreuse. — Si l’on appliquait la qualification d’ulcéreuse à
toute endocardite qui peut amener la solution de continuité de la mem¬
brane, les formes précédentes pourraient, dans bien de's cas, mériter
cette désignation, mais ce n’est point dans ce sens large qu’elle doit
être entendue.
On appelle endocardite ulcéreuse une forme d’endocardite aiguë qui
est caractérisée par la genèse et l'élimination rapides des produits inflam¬
matoires ; or, comme ces produits sont intra-cellulaires et interstitiels,
cette élimination a nécessairement pour conséquence une destruction
proportionnelle du tissu malade. Les lésions initiales sont, comme nous
l’avons dit précédemment, celles de l’endocardite plastique ; même in¬
jection, même imbibition inlercellulaire, même turgescence des cellules
conjonctives; mais, à partir de ce moment, tout change. Les cellules plas¬
matiques et le tissu cellulaire intermédiaire de l’endocarde infiltrés par
l’exsudât parenchymateux sont distendus et tuméfiés; puis ils se ramol¬
lissent, se dissocient et se résolvent enfin en un détritus de consistance
pultacée par leur mélange avec l’exsudât ramolli et avec le liquide inter-
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
269
cellulaire de coloration gris sale ou jaunâtre. Cette bouillie sanieuse, opa¬
que, finement granuleuse, résiste à peu près absolument aussi bien à l’ac¬
tion de l’acide acétique que de la soude. La production de cet exsudât
étant d’ailleurs très- rapide et très-abondante, amène promptement une
décomposition moléculaire nécrobiotique de l’endocarde avec perle de
substance. L’examen microscopique de la masse finement grenue formée
par l’exsudât parenchymateux et les éléments cellulaires tombés en déü-
quium y révèle la présence de fibrine à l’état fibrillaire avec quelques
rares noyaux oblongs, des éléments fusiformes plus rares encore, des
granulations graisseuses très-nombreuses et très-fines et quelques corps
granuleux, mais pas de leucocytes ni de globules pyoïdes.
L’élimination de ce détritus inflammatoire laisse après elle une perte de
substance plus ou moins profonde, une ulcération que sa précocité et
son évolution permettent de regarder comme une ulcération aiguë. Cette
ulcération pathologique doit, en effet, être essentiellement distinguée de
celles qui se présentent accidentellement dans la forme plastique ou
consécutivement à la dégénérescence des coagulations fibrineuses et de
celles qui se montrent parfois dans l’endocardite chronique. C’est aux
premières que Friedreich a appliqué la dénomination d’ulcérations di-
phthéritiques ou malignes en opposition aux ulcérations dites bénignes
qui succéderaient au ramollissement graisseuxdesvalvules.il existe enfin
«n dernier mode de formation des ulcérations de l’endocarde, à la vérité
extrêmement rare, nous voulons parler des cas où la phlegmasie aboutit
à la suppuration de l’endocarde. Les abcès qui en résultent ne se vident
pas toujours dans la cavité cardiaque et ne déterminent pas par consé¬
quent d’une façon constante l’ulcération de l’endocarde ; il peut arriver
en effet que les abcès s’enkystent comme dans les cas rapportés par
Millard (1855) et par Vidal (1854). Ces kystes purulents doivent soi¬
gneusement être distingués de ces petites cavités remplies d’une bouillie
de matière albumineuse, n’ayant pas la moindre analogie de composition
avec le pus. (Cruveilher, Lebert, Ahrcbow.) Mais la tendance la plus na¬
turelle de ces abcès, qui siègent presque toujours sur les valvules, est de
s’ouvrir et la rupture a lieu en général du côté sur lequel le sang exerce
son effort et qui, par cela même, est le moins résistant. Il se fait un petit
orifice, une fissure par laquelle le pus vient sourdre et va se mélanger au
•courant sanguin. (Pelvet, Lancereaux, Chalvet.)
Le cœur gauche paraît être le siège de prédilection des ulcérations,
■elles se rencontrent quelquefois sur la paroi ventriculaire, mais bien plus
fréquemment elles occupent l’une ou l’autre face des valvules, soit auriculo-
ventriculaires, soit aortiques. La valvule mitrale est atteinte le plus sou¬
vent.
Dans 22 cas d’endocardite ulcéreuse, relevés par Butaud (1869), la
lésion portait quatorze fois sur les valvules ; sur ce nombre, onze fois la
«valvule mitrale était seule altérée et trois fois les sigmoïdes de l’aorte
«participaient à la lésion. Ces ulcérations n’ont pas toutes la même étendue
«ni le même aspect; leurs dimensions varient depuis celle d’une tête d’é-
270 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdb.
pingle jusqu’à celle d’un grain de maïs ; tantôt la perte de substance est
circulaire, à bords nettement découpés et comme taillés à pic ; tantôt elle
présente des contours irréguliers, à bords déchiquetés ou comme fran¬
gés. Il n’est pas rare de trouver autour de l’ulcération des végétations
verruqueuses qui la circonscrivent et semblent en augmenter la profon¬
deur. Dans quelques cas même, il existe au voisinage d’une perforation
ulcéreuse, une végétation polypiforme susceptible de l’obturer en jouant
le rôle de soupape.
Lorsque Tulcération siège sur l’endocarde pariétal, elle constitue une
solution de continuité dont le fond est formé par des tissus mous et fria¬
bles ; car il est très-rare que, dans ce cas, les fibres musculaires les plus voi¬
sines ne participent pas à l’inflammation et au ramollissement. Le sang
s’engage dans cette plaie, la creuse, la dilate et bientôt y forme une ca¬
vité anévrysmatique plus ou moins circonscrite. Ainsi se produit ïané-
vrysme partiel aigu dont les observations de Virchow et celle de Herzfelder
(1860) offrent deux beaux exemples. Dans le premier cas, il s’agit d’une
endomyocardite aiguë développée sous l’influence de la syphilis. La paroi
postérieure du cœur droit présentait une ulcération profonde qui s’était
convertie en un anévrysme partiel. Dans le second, la paroi du ventricule
gauche était excavée à sa face interne et présentait une dilatation ampul-
laire que Rokitansky assura être un anévrysme partiel. Il faut bien se
garder de confondre ces lésions avec celles qui résultent de la myocardite
suppurée primitive ; celle-ci avons-nous dit, peut en effet produire des
résultats analogues, quoique Thurnam, Peacock et Cruveilhier n’en aient
pas observé d’exemples, et malgré l’opinion de Pelvet qui n’en admet la
possibilité qu’avec une extrême réserve. Dittrich, au contraire, regarde la
myocardite comme la lésion primitive et principale dans la majorité des
cas, tandis que l’endocardite serait, d’après lui, presque toujours consé¬
cutive.
Cette assertion est, il est vrai, trop exclusive ; la preuve en est dans le
siège fréquent de l’anévrysme dans la partie supérieure du septum qui ne
renferme pas de fibres musculaires. La myocardite ne peut donc pas être
invoquée ici comme lésion première.
L’anévrysme ne se forme en ce point que si l’ulcération endocardiaque
est peu profonde ; le sang pénètre alors dans la perte de substance, refoule
les tissus sous-jacents, décolle souvent les bords de l’ulcération et fuse
entre les deux feuillets adossés de l’endocarde en constituant un véritable
anévrysme disséquant. D’autres fois la lame endocardiaque sur laquelle
repose le fond de l’ulcération se laisse distendre en un petit sac qui proé-
mine dans le ventricule du côté opposé et forme ainsi un petit anévrysme
dont la rupture amène une communication intra-ventriculaire. [Murchi-
son (1865), Lemaire (1863), Hope (1839), Dittrich, Todd (1846).]
Mais lorsque l’ulcération primitive de l’endocarde est plus profonde,
et c’est le cas le plus commun, le septum est immédiatement rompu
et la perforation a lieu sans laisser à l’anévrysme le temps de se pro¬
duire.
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë. 271
Dans la majorité des cas, les valvules sont le siège de l’ulcération ; lors¬
que celle-ci est profonde, elle peut les perforer ou bien en détacher des
fragments ; mais si elle est superficielle, la valvule peut résister encore ;
son feuillet encore intact forme godet pour ainsi dire sous l’influence de
la pression du sang, et cette dépression a pour conséquence un anévrysme
valvulaire dont l’orifice est toujours tourné du côté sur lequel le sang
exerce son effort, tandis que la poche se développe sur la face opposée.
Ainsi pour les sigmoïdes, le sac proémine dans le ventricule et l’orifice re¬
garde le vaisseau ; pour les valvules auriculo-ventriculaires, la poche fait
saillie dans l’oreillette et l’orifice siège à la face ventriculaire. Ces ané¬
vrysmes siègent de préférence dans le cœur gauche et en particulier sur
la valvule mitrale ; les valvules aortiques paraissent en être moins souvent
atteintes. Sur vingt-trois observations rassemblées par Pelvet, seize fois
l’anévrysme occupait la mitrale et sept fois seulement les sigmoïdes aorti¬
ques.
L’orifice d’entrée de ces petites tumeurs est situé sur la face inférieure
de la valvule pour les auriculo-ventriculaires, sur la face pariétale pour
les artérielles. Il n’est pas rare de le trouver garni à son pourtour de
villosités et de végétations qui peuvent par leur volume en rétrécir le ca¬
libre. Les anévrysmes valvulaires ont, en général, la forme depetites ampou¬
les globulaires, ou de cupules hémisphériques; parfois ils sont allongés
et cylindriques en forme de doigts de gant. Leur volume varie depuis les
dimensions d’une tête d’épingle jusqu’à la grosseur d’une noisette ou d’un
marron (Rokitansky, Fôrster, Thurnam); le plus souvent il ne dépasse
pas celui d’un petit pois.
Les parois du sac anévrysmal sont formées principalement de tissu élas¬
tique et sa cavité est souvent remplie de caillots qui peuvent se dissocier
plus tard et donner lieu à des embolies, mais lorsque l’orifice est large,
la coagulation du sang n’a pas lieu. Les anévrysmes valvulaires pour peu
qu’ils soient volumineux, causent le rétrécissement de l’orifice auquel ils
correspondent ; mais ils peuvent aussi en empêchant la valvule de se
fermer et de s’opposer au reflux du sang produire en même temps une
insuffisance
Cette dernière est le plus souvent déterminée par la rupture de l’ané¬
vrysme et la perforation consécutive delà valvule.
Toutes les lésions que nous venons de décrire déterminent la chute de
certaines particules à la face interne du cœur que le courant sanguin en¬
traîne et transporte au loin dans les points les plus divers du système
circulatoire.
Dans la forme subaiguë ou végétante de l’endocardite, ce sont des frag¬
ments de végétations, des parcelles de fibrine coagulée, parfois même des
lambeaux valvulaires qui produisent les oblitérations vasculaires.
Dans la forme ulcéreuse, les embolies succèdent à l’évacuation des
foyers endocardiaques; les dépôts métastatiques qui en résultent, sont for¬
més par des tissus altérés par l’inflammation, par une masse de détritus
nécrosés, finement granulés, quelquefois par du pus ou des fragments de
27iJ ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
fibrine, parfois enfin par des morceaux de valvules détachés et emportes
par le courant.
Ces dépôts emboliques reflètent et reproduisent les caractères du foyer
originel : l’observation démontre ici deux modalités différentes ; tantôt les
effets sont purement mécaniques, il n’y a que les désordres locaux pro¬
duits en toute circonstance par l’obturation d’un ou de plusieurs ra¬
meaux artériels ; tantôt avec ces effets mécaniques locaux coïncident des
accidents d’infection, d’empoisonnement général et les foyers à distance
présentent, non plus les caractères de la nécrobiose simple, mais bien ceux
des infarctus hémorrhagiques avec suppuration ichoreuse et putride. Aux
effets mécaniques communs, se sont ajoutés des effets infectieux spécifi¬
ques ; et comme ces dépôts métastatiques sont le produit d’un foyer uni¬
que, force est bien de rapporter à ce générateur l’influence toxique géné¬
rale et d’admettre que, dans un cas, le foyer endocardiaque verse dans le
sang des éléments indifférents, à propriétés purement mécaniques, tandis
que, dans l’autre cas, il jette dans la circulation des éléments toxiques,
dont chaque débris emporte au loin la spécificité infectieuse qu’il tient de
son origine.
Ces données ont une conséquence qui a été méconnne; ce qui caracté¬
rise en effet l’endocardite ulcéreuse, ce qui la spécialise au point d’en
faire une forme distincte, ce n’est pas le fait brut de l’ulcération de l’endo¬
carde et des embolies secondaires. Tout cela peut exister dans les endo¬
cardites rhumatismales aiguës, qui n’ont point le cachet clinique de la
forme dite ulcéreuse ; la caractéristique n’est pas dans l’ulcération, elle
est dans la septicité des produits éliminés et dans les phénomènes symp¬
tomatiques tout particuliers qui en découlent.
Il résulte de là que la dénomination d’endocardite ulcéreuse est mau¬
vaise, parce qu’elle prête à l’équivoque ; en fait, une endocardite peut
être ulcéreuse (anatomiquement parlant), sans présenter le tableau clini¬
que auquel le médecin reconnaît cette forme spéciale ; il vaut mieux dès
lors abandonner cette désignation et, pour qualifier la maladie par un
caractère à la fois constant et exlusif, je propose de la nommer endocar¬
dite SEPTIQUE ou INFECTIEUSE.
En raison de sa grande importance pratique, je tiens à rappeler ici
une proposition que j’ai déjà formulée : cette endocardite est propre aux
individus surmenés, mal nourris, alcoolisés, cachectiques ; elle éclate pri¬
mitivement ou dans le cours d’une autre maladie, mais, en tout cas, c'est
du mauvais état de l’organisme que les formations inflammatoires tirent
leurs propriétés nocives, les malades s’infectent eux-mêmes par les pro¬
duits qu'ils engendrent. Le processus pathologique de cette affection pour¬
rait [donc être défini par l’expression d’auto-septicémie qui en résume
pour ainsi dire les traits essentiels et caractéristiques.
Lésions second.aires. — Les formes anatomiques de l’endocardite aiguë
que nous venons de décrire peuvent produire deux ordres de lésions
secondaires et éloignées suivant le volume des particules détachées de la
paroi cardiaque.
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ei^docardite aigüë. 275
Le transport de concrétions ou de végétations volumineuses peut en¬
traîner l’oblitération des vaisseaux de premier ordre et donner ainsi lieu
à la production de véritables embolies artérielles.
Le plus souvent les corps migrateurs sont constitués par des petites
parcelles granuleuses ou par des détritus inflammatoires de l’endocarde
qui, pénétrant plus avant dans les voies circulatoires, produisent, au
sein ou à la surface des organes, des dépôts métastatiques désignés sous
le nom à'infarctiis.
1“ Embolies artérielles. — Nous serons brefs sur cette lésion secon¬
daire dont on trouvera la description à l’article Embolie (t. Xll). D’après
Friedreich, les embolies sont plutôt le résultat de l’endocardite chronique
que de l’état aigu. Les blocs erratiques qui les déterminent sont consti¬
tués soit par des fragments de végétations polypeuses détachées de l’endo¬
carde, soit par des lambeaux des valvules elles-mêmes. Leurs effets dif¬
fèrent suivant l’artère qu’ils viennent obturer. Mais ces dépôts doivent
avoir un certain volume pour arrêter la circulation dans les vaisseaux
assez larges.
« On a vu, dit Charcot, la fémorale et même l’iliaque externe devenir
subitement imperméables au torrent sanguin, par suite d’un caillot vo¬
lumineux parti du cœur. »
Lorsque les artères des membres inférieurs se trouvent ainsi oblitérées,
il en résulte une ischémie qui se termine ordinairement par la gangrène.
Watson, Tufnell, Goodfellow et plusieurs autres auteurs en ont rapporté
des exemples dans l’endocardite rhumatismale.
Lancereaux a également cité un cas d’embolie fémorale consécutive à
une endocardite verruqueuse. {Anat. path., p. 444.)
D’autres fois, l’embolus s’arrête dans une artère d’un moindre calibre.
Les artères cérébrales ont souvent été vues oblitérées :
Dans un cas de Senhouse Kirkes (1863) l’artère cérébrale moyenne et
ses principales branches étaient obstruées par des caillots fibrineux. Le
corps strié, réduit à un état de bouillie pâle, présentait un ramollissement
blanc-.
Lancereaux(A?iat.pat/i.,p.221) rapporte l’observation d’une femme qui
fut tout â coup frappée d’apoplexie avec hémiplégie gauche et chez laquelle
il trouva une obstruction de l’artère sylvienne droite produite par une vé¬
gétation papilliforme, détachée de la face ventriculaire de l’une des val¬
vules aortiques; une végétation semblable se retrouvait sur la valvule
voisine.
Les lésions de cet ordre sont tellement fréquentes à la suite des car¬
diopathies rhumatismales que Lancereaux, dans sa thèse, attribue à cette
cause plus de la moitié des faits pathologiques qu’il a rassemblés (1862).
Une lésion bien plus rare encore est l’atrophie aiguë du foie qui , dans
les deux cas cités par Virchow et Oppolzer a pu être rapportée avec une
pleine évidence à l’embolie de l’artère hépatique.
Le fait cité par Luys (1865) pourrait bien reconnaître une semblable
origine.
Xin. — 18
274
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ekeocakdite aiguë.
Nous citerons enfin les embolies des artères rénales, spléniques et plus
rarement des artères mésentériques, thyroïdiennes, ophthalmique.
Les vaisseaux obturés par les embolies appartiennent le plus souvent
au département de la grande circulation, puisque l’endocardite a son
siège de prédilection dans le ventricule gauche.
Lorsque l’endocardite siège dans le cœur droit, il peut se produire des
embolies pulmonaires qui déterminent quelquefois une mort presque
subite. Tel est le cas mentionné par Cohn (obs. V, p. 260).
Tel est aussi celui de Goddard Rogers (1865) , rapporté par Char¬
cot (1867). Dans le cours d’un rhumatisme articulaire aigu avec endo¬
cardite, le malade fut pris au quinzième jour d’un accès d’orthopnée
qui amena la mort dans l’espace de dix minutes. — A l’autopsie, on
trouva l’artère pulmonaire oblitérée par un caillot volumineux parti du
cœur droit.
2“ Infarctus. — Les infarctus sont les lésions secondaires les plus fré¬
quemment observées dans le cours de l’endocardite.
Les parcelles emboliques détachées delà surface interne du cœur sont ‘
en effet rarement assez considérables pour oblitérer le calibre des grosses
artères, mais leur volume ne leur permet pas de franchir les artères de
2' ou de 3° ordre ; elles s’arrêtent donc au niveau des artérioles, et pro¬
duisent des désordres variables suivant l’étendue du territoire vasculaire
de l’artère embolisée et suivant l’organe atteint.
Les effets immédiats de cette obstruction sont, en premier lieu, une
diminution de l’afflux sanguin pouvant aller jusqu’à la suspension totale,
en d’autres termes, une anémie locale ; en second lieu , dans la zone
voisine, une congestion fluxionnaire ou active, une véritable hypérémie
collatérale et compensatrice. L’augmentation de pression dans les vais¬
seaux perméables en amène la dilatation et, dans bon nombre de cas, cette
distension produit la rupture de quelques rameaux plus ou moins volu¬
mineux, de là des hémorrhagies de la région congestionnée.
Quelle que soit la modification définitive de la circulation locale com¬
promise par l’embolie, le premier et constant effet de celle-ci est la for¬
mation de ces deux zones à peu près concentriques, dont l’intérieure est
en état d’ischémie ou d’anémie, dont la périphérique est en état d’hypé-
rémie hémorrhagipare.
Les phénomènes ultérieurs diffèrent selon qu’il s’établit 'ou non une
circulation collatérale suffisante pour compenser l’ischémie. Dans le pre¬
mier cas, l’embolie n’a pas d’autre suite anatomique que la lésion parié¬
tale du vaisseau obstrué; mais si la circulation compensatrice est insuffi¬
sante ou nulle, l’ischémie persistante produit dans le tissu embolisé une
altération irréparable.
Cette altération est une sorte de mort locale par l’absence de maté¬
riaux nutritifs; mais les caractères de ce processus nécrobiotique varient
avec le siège de l’embolie. Dans les viscères, l’ischémie produit des foyers
limités de nécrose, caractérisés par le ramollissement et la régression
graisseuse des éléments histologiques avec ou sans hémorrhagies péri-
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ■ endocardite aiguë. 275
phériques. Nous ne nous étendrons pas plus longuement sur ces sortes
d’infarctus qui se présentent dans le cours de l’endocardite aiguë. Leur
description a été déjà faite complètement (art. Embolie, t. XII).
3° Embolies capillaires. — Les embolies capillaires se rencontrent le
plus souvent dans la forme ulcéreuse. Elles constituent une des lésions
secondaires les plus constantes de la maladie, mais n’en sont pas la ca¬
ractéristique. Elles ont des effets multiples en rapport avec la nature de
l’altération qui leur a servi de point de départ et forment deux groupes
distincts : tantôt les substances charriées par le sang n’ont qu’une action
mécanique et ne déterminent d’autre effet que celui qui résulte de l’obstruc¬
tion d’un certain nombre de capillaires ; tantôt les débris détachés de
l’endocarde emportent avec eux la spécificité infectieuse qu’ils tirent de
leur origine et dans ce cas, à leurs effets mécaniques s’ajoutent une ac¬
tion spéciale sur les tissus au sein desquels ils ont été transportés.
Les embolies capillaires, partant du cœur, peuvent prendre toutes les
directions ; on peut en découvrir dans tous les tissus, dans les viscères et
les membranes. Dans ces dernières, elles déterminent des ecchymoses,
qui peuvent suppurer ou se résorber. Dans les viscères, elles donnent lieu
à des lésions dont le premier terme est l’infarctus hémorrhagique, le
dernier Tabcès infarctueux.
L’infarctus consécutif aux embolies capillaires est toujours hémorrha¬
gique, parce que la rupture des capillaires est presque forcée, vu la min¬
ceur de leurs parois d’une part, les efforts du sang sur les bouchons
d’autre part. (Feltz.)
Après cette première période caractérisée comme toujours par un mé¬
lange d’anémie et d’hypérémie et par la production d’hémorrhagies ca¬
pillaires, le rétablissement de la circulation prévient la mort locale qui
était imminente et le tissu irrité par les dépôts métastatiques et par le
sang extravasé, subit les altérations caractéristiques de l’inflammation
depuis l’exsudation fibrineuse constatée plusieurs fois par Virchow, jus¬
qu’à la suppuration.
Nous n’avons pas à énumérer ici les embolies capillaires qui peuvent
se présenter dans tous les organes ; les plus fréquentes sont celles de la
rate, des reins et de l’encéphale. Dans des cas plus rares, on les observe
dans l’intestin grêle et les lésions qu’elles déterminent, ayant quelque
analogie avec celles de la fièvre typhoïde, peuvent ainsi entretenir, à l’au¬
topsie, une erreur diagnostique souvent commise pendant la vie du ma¬
lade.
Ces altérations consistent en ulcérations disséminées en nombre varia¬
ble, sur une longueur plus ou moins grande de l’intestin ; de forme assez
■nettement circulaire, d’un diamètre qui est généralement compris entre
■1 et 3 centimètres, ces ulcérations peuvent pénétrer jusqu’à la tunique
musculeuse ; leurs bords ne sont pas taillés à pic, le fond est d’un gris
sale, piqueté de rouge ; elles diffèrent des ulcérations typhoïdes par plu¬
sieurs caractères importants ; elles ne sont pas bornées au segment infé¬
rieur de l’intestin grêle et ne sont pas limitées au bord opposé à l’inser-
276 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
tion du mésentère ; elles n’affectent aucun rapport constant avec les glandes
intestinales; enfin, elles présentent à leur pourtour une fluxion capillaire
intense avec hémorrhagies punctiformes. Ces faits ne sont pas communs
quoique Colin semble en avoir observé plusieurs cas ; j’en ai vu moi-même
un exemple très-net à l’hôpital Saint-Antoine, il y a quelques années.
On a souvent parlé des cécités subites observées dans le cours des af¬
fections cardiaques, de l’endocardite ulcéreuse en particulier, et on les ex¬
pliquait par l’embolie de l’artère ophthalmique. (Von Graefe, Liebreich,
Blusig, Schneller.) Certaines ophthalmies purulentes à évolution rapide
ont été attribuées à cette cause. (Virchow, Lancereaux, Vast, Lefeuvre.)
Mais les infarctus hémorrhagiques peuvent se montrer sur la rétine et
succéder à des embolies capillaires. Tel est le cas observé par Virchow
sur une femme de 54 ans atteinte d’une endocardite puerpérale qui avait
déterminé des infarctus métastatiques des reins, de la rate et du foie en
même temps que des foyers métastatiques siégeant entre la rétine et la
choroïde. Ces dernières avaient été le point de départ d’une ophthalmie
interne généralisée. ^
Les poumons sont assez rarement le siège d’embolies capillaires par
suite de la localisation plus fréquente de l’endocardite à gauche. On
q pu cependant les y observer quelquefois ; ces organes présentent
assez souvent à leur surface de petites taches ecchymotiques ; à la
coupe, on trouve ici des infarctus hémorrhagiques, là des abcès mé¬
tastatiques.
Vulpian et Charcot ont signalé, dans une de leurs observations, de pe¬
tits abcès de diverses dimensions, mais dont les plus volumineux ne dé¬
passaient pas la grosseur d’une petite noisette ; les plus petits avaient une
forme sphéroïdale, les plus grands offraient une configuration irrégulière
et leurs parois étaient tapissées d’une fausse membrane assez épaisse. Le
liquide contenu dans ces abcès offrait une teinte gris jaunâtre et l’on y
trouvait de très-nombreux globules purulents et pyoïdes ainsi que d’assez
nombreuses cellules à plusieurs noyaux.
Les embolies capillair^ de la rate, du foie et des reins ont été fort bien
décrites dans la thèse a’Hermann (1854).
Nous n’insisterons pas plus longtemps sur ces lésions secondaires qui
ont toutes pour commune origine le transport de différents détritus mi¬
grateurs détachés des parois enflammées de l’endocarde. Ces lésions
multiples varient suivant le volume et le siège des dépôts emboliques
et suivant aussi la nature de la lésion endocardiaque primitive; leurs
effets sont tantôt purement mécaniques et consistent en désordres pure¬
ment locaux produits par l’obturation vasculaire; tantôt, aux effetsméca-
niques locaux, s’ajoutent des accidents d’infection générale et les foyers
à distance présentent alors, dans ce cas, les caractères des infarctus hé¬
morrhagiques avec suppuration ichoreuse ou putride. Dans cette dernière
foi*me qui caractérise l’endocardite ulcéreuse septique, on peut admettre
avec vraisemblance que le foyer endocardiaque verse dans la circula¬
tion une substance ichoreuse ou putride particulière qui vient imprégner
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë. 277
les débris emboliques et qu’ainsi se produit rapidement une viciation
générale de la crase sanguine.
Ces propriétés infectantes et toxiques ne peuvent être encore démon¬
trées d’une façon péremptoire et l’examen microscopique ne permet pas
jusqu’à présent de distinguer les produits inflammatoires infectieux des
exsudais indifférents et inoffensifs. L'inoculation du détritus des valvules
à des animaux pourrait seule éclairer sur la septicité de ces produits.
Mais les expériences entreprises par Gaspard (1822), Trousseau et Du-
puy et les recherches toutes récentes de Stich, Panum, Bergmann, Vir¬
chow, Billroth, 0. Weber et Roser en Allemagne, ont suffisamment éta¬
bli l’existence d’une intoxication générale de l’économie par l’absorption
ou la pénétration directe dans le sang des éléments altérés de nos tissus
pour qu’il nous soit permis d’admettre par analogie une infection sep¬
tique de l’organisme résultant d’une altération spéciale des produits in¬
flammatoires de l’endocarde.
L’altération du sang existe donc certainement dans l’endocardite sep¬
tique, mais elle n’est pas encore chimiquement démontrée, Virchow a
constaté dans quelques cas que ce liquide présentait une réaction acide
et renfermait de grandes quantités de leucine et de tyrosine ; malheu¬
reusement dans le fait observé par cet auteur, l’endocardite était com¬
pliquée d’ atrophie aiguë du foie et il est probable que cette dernière lésion
était la cause de la modification remarquable du sang.
Le liquide sanguin a été examiné avec soin dans un cas rapporté par
Chalvet (Mémoire de Lancereaux, 1862, obs. IV) ; « A part deux caillots
fibrineux de petit volume et très-mous situés dans l’un et l’autre ventri¬
cule, le sang dans ce cas, dit Chalvet, est partout noir, fluide, légèrement
gluant, visqueux et parsemé de points brillants. A l’examen microsco¬
pique, les globules rouges sont plus déformés et plus irréguliers qu’on
ne le voit généralement dans les mêmes conditions cadavériques; il existe
de nombreuses cellules sphériques et granuleuses contenant un ou
deux noyaux et qui ne sont vraisemblablement que des globules blancs
du sang un peu modifiés ; mais on trouve, en outre, des cellules allon¬
gées, irrégulières et plus volumineuses avec un noyau très-granuleux, des
corpuscules déformés et presque uniquement composés de granulations
(corpuscules granuleux) ; des globules de graisse, de nombreuses granu¬
lations élémentaires et quelques rares débris de fibres fines de tissu con¬
jonctif. Ces mêmes particules étrangères se rencontrent encore dans les
concrétions fibrineuses des artères de la rate, du foie et des reins. Ces
éléments comme ceux qui font partie du*petit foyer siégeant encore dans
l’épaisseur de la valvule mitrale, pâlissent sans se dissoudre sous l’in¬
fluence des acides ; ils sont inattaquables par les alcalis. Ces caractères
chimiques viennent par conséquent s’ajouter aux caractères physiques
pour démontrer l’origine réelle des corps étrangers rencontrés dans le
sang. »
Frerichs admet bien une infection du sang en pareil cas, mais, au lieu
de la rapporter aux lésions de l’endocarde, il l’attribue plutôt à l’altération
278
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
de la rate consécutive aux foyers emboliques. Dans les. cas très-rares à
la vérité d’endocardite suppurée, l’adultération du sang est incontestable
et aboutit à une véritable intoxication purulente. Et l’on pourrait se de¬
mander si la plupart des faits de pyohémie spontanée ne pourraient pas
reconnaître une semblable origine.
I. Symptômes et marche. — Endocardites aiguë et suraiguë. — Au
point de vue clinique, il est important de distinguer l’endocardite
valvulaire de l’endocardite pariétale; car si la première a des signes-
propres qui en révèlent l’existence, la seconde au contraire peut à peine
être soupçonnée, et nos connaissances à ce sujet sont encore si bornées,
qu’il est à peu près impossible de déterminer si l’inflammation siège uni¬
quement sur la membrane interne des ventricules ou si elle attaque en
même temps la fibre cardiaque.
L’endocardite valvulaire est la plus fréquente et donne lieu à des phé¬
nomènes bien plus importants que l’endocardite pariétale (auriculaire ou
ventriculaire). C’est donc à la cardio-valvulite que se rapporteront plus
spécialement les détails dans lesquels nous allons entrer. Nous avons déjà
vu que l’endocardite était rarement primitive, simple et isolée. Le plus
souvent elle est sous la dépendance d’une affection générale aiguë anté¬
rieure ou bien elle est associée à d’autres phlegmasies qui peuvent en
partie la voiler. Ces diverses circonstances modifient la symptomatologie
de l’endocardite, et ne permettent pas d’en présenter une description gé¬
nérale applicable à tous les cas. Nous essayerons cependant de tracer l’es¬
quisse de la forme la plus habituelle, sauf à indiquer les modalités les
plus importantes qu’elle peut offrir à son début ou dans son cours.
Début. — L’endocardite primitive simple peut présenter au début le
cortège habituel à l’invasion de toutes les maladies aiguës ; la fièvre,
l’anorexie, la courbature, l’insomnie, etc. Ce mode de début est très-net,
mais il est aussi très-rare, comme l’endocardite primitive elle-même.
Le début de l’endocardite secondaire et, en particulier, de celle qui sur¬
vient dans le cours d’un rhumatisme articulaire aigu est. souvent annoncé
par une recrudescence notable du mouvement fébrile ; les contractions
cardiaques deviennent irrégulières et tumultueuses, le pouls s’accélère
et la température générale du corps s’élève brusquement d’un demi-degré
à un degré et plus.
Lorsque, chez un rhumatisant, dit Vernay, on observe une accélération
du pouls allant jusqu’à 120, 125 ou 140 pulsations par minute, et ne
s’expliquant pas par l’intensité, des manifestations articulaires, ou s’il
survient des palpitations et une véritable ataxie du cœur, on est en
droit de diagnostiquer une endocardite même en l’absence de bruit de
souffle.
Graves, dans sa leçon sur la péricardite, signale aussi ce fait, que les
troubles fonctionnels du cœur précèdent de plusieurs jours les bruits
anormaux caractéristiques.
Ce qui domine, ce qui frappe, c’est la force et l’accélération des bat¬
tements du cœur, le pouls dur et vibrant. Tout se borne en général à ces
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ekdocakditb aîgdê. 279
symptômes d’excitation du cœur, mais ceux-ci sont souvent éphémères
et parfois si légers qu’ils échappent à l’observation. On doit -donc se
garder d’accorder une valeur exagérée à des signes incertains, passagers
et inconstants, qui n’ont d’autre importance que d’attirer l’attention du
médecin sur des complications qui pourraient sans cela passer inaper¬
çues. Un des phénomènes prodromiques qui nous semble devoir mériter
une mention spéciale, est l’élévation brusque de la température; cosigne
nous a souvent permis de prédire quelques jours à l’avance l’invasion
prochaine d’une inflammation cardiaque dans le cours d’un rhumatisme
articulaire aigu, alors qu’aucun trouble ne s’était encore manifesté dans
l’organe central delà circulation. Lorsque le thermomètre appliqué dans
le rectum ou dans l’aisselle, s’élève brusquement de plus d’un degré au-
dessus du niveau habituel du cycle thermique, cette ascension qui dé¬
passe l’étendue de l’exaspération vespérale est vraiment caractéristique
en ce sens qu’elle indique d’une façon presque certaine l’invasion d’une
phlegmasie nouvelle, et qu’elle impose l’obligation d’un examen appro¬
fondi des organes. Mais cette recrudescence peut manquer ou n’être que
trop faiblement accusée, et cela, même dans le rhumatisme ; de sorte
que la conduite la plus sûre à tenir est d’examiner tous les jours le cœur
des rhumatisants, bien qu’ils ne présentent encore aucun phénomène
suspect.
Le m,ême précepte s’applique à toutes les autres maladies aiguës sus¬
ceptibles de déterminer l’endocardite, et l’examen direct du cœur, prati¬
qué tous les jours, peut seul déceler cette inflammation commençante.
Car, dans ces cas, plus que dans tout autre peut-être, l’endocardite aiguë
secondaire manque de signes caractéristiques et révélateurs. La fièvre
en effet n’éveille aucune inquiétude, parce qu’elle est le fait de la ma¬
ladie antécédente, et qu’elle ne subit souvent aucune modification appré¬
ciable au moment de la phlegmasie secondaire ; tout phénomène subjectif
faisant alors défaut, l’endocardite peut ainsi rester longtemps voilée et
ne se démasquer enfin que lorsqu’il est déjà trop tard pour la guérir.
L’endocardite subaiguë est le plus souvent silencieuse dans son inva¬
sion et reste latente si l’observateur ne va pas à sa découverte. La forme,
chronique d’emblée, affecte également ce mode de début.
Au total, abstraction faite de quelques cas exceptionnels, l’endocardite
est du nombre des maladies qni ne se dénoncent pas elles-mêmes ; elle
veut être cherchée et n’est vraiment saisie que par l’exploration directe ;
aussi le médecin doit-il toujours avoir l’oreille au guet, pour ainsi dire,
afin d’être averti de son approche et de la reconnaître à son premier
signe.
1° Symptômes généraux et fonctionnels. — La fièvre de l’endocardite
aiguë n’a rien de caractéristique. — Dans la forme primitive et a frigore
elle affecte le type subcontinu ou rémittent, sans présenter d’ailleurs au¬
cune particularité qui la distingue. Le mouvement fébrile est au maximum
dès les deux premiers jours. Dans la forme secondaire, elle paraît bien
plutôt influencée par la maladie primitive que par l’inflammation endo-
280 E^'DOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë.
cardiaque elle-même. L’élévation de la température est généralement
médiocre ; il est rare qu’elle dépasse 39 degrés dans la forme plastique;
en revanche dans la forme septique ou putride, on peut observer les
chiffres de 40, 41 degrés qui appartiennent à toutes les maladies infec¬
tieuses. — La fièvre n’obéit dans ses allures à aucun cycle défini et l’en¬
docardite aiguë n’a pas en réalité de symptômes thermiques propres. Elle
peut suivre son cours sans modifications bien notables de la température
ou présenter parfois des élévations et des recrudescences qui ne sont
soumises à aucune règle fixe.
Lorsque l’endocardite est légère, subaiguë, bénigne, les malades n’ac¬
cusent ordinairement anmn phénomène subjectif. Mais si l’endocardite a
une certaine intensité, ils éprouvent assez souvent une sensation vague
à’ oppression précordiale; plus rarement c’est une sensation de chaleur
derrière le sternum ou dans le creux épigastrique; mais il n’y a pas de
douleur proprement dite ; la sensibilité obtuse de la membrane interne
du cœur en donne l’explication, et si on la constate dans quelques cas,
on doit la rapporter à une péricardite ou à une pleurésie concomitante.
A l’anxiété précordiale, à cette sensation de gêne, de malaise ou de pe¬
santeur dans les régions épigastrique ou cardiaque, se joignent habiiuelle-
ment des palpitations plus ou moins violentes appréciables pour le malade
et pour le médecin. Tantôt continues ou à rémissions très-courtes, elles
augmentent ou se reproduisent au moindre mouvement, à la moindre
émotion, et, dans certains cas, elles se montrent plus fréquentes la nuit,
troublent le sommeil des malades en produisant chez eux de pénibles
cauchemars ou de douloureux réveils en sursaut.
L’action du cœur et les caractères du pouls sont très-variables. Tantôt
le cœur bat avec une remarquable énergie, les contractions sont percep¬
tibles à la vue, et la main, appliquée sur la région précordiale, peut sentir
un frémissement vibratoire assez marqué.
Le pouls est alors plein, dur, ample et fréquent; parfois il conserve sa
régularité, mais le plus souvent il présente des intermJttences plus ou
moins complètes et prolongées qui ne se retrouvent pas dans les contrac¬
tions cardiaques. Ces intermittences fausses par rapport au cœur sont
produites par la difficulté qu’éprouve le sang à franchir l’orifice aortique.
Aussi ne se retrouvent-elles qu’à une période déjà plus avancée de l’en¬
docardite, lorsqu’il s’est formé des concrétions fibrineuses, des végéta¬
tions valvulaires ou autres productions accidentelles, toutes circonstances
qui, malgré l’énergie des battements du cœur, s’opposent à ce qu’une
large ondée sanguine soit projetée dans le système artériel. (Bouillaud.)
Les intermittences du pouls coexistent souvent avec celles du cœur,
et Pigeaux attribue une grande valeur à ce double signe, qu’il regarde
comme un indice presque certain d’endocardite.
Simonet (1824) a signalé un caractère remarquable du pouls qui pour¬
rait avoir une certaine importance séméiologique, s’il n’était si inconstant
et s’il ne se retrouvait dans d’autres maladies que l’endocardite; c’est
une sorte de crépitation du pouls, qu’il désigne sous le nom de frottement
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë. 281
globulaire. Le sang qui circule dans l’artère radiale semble divisé en une
infinité de petites molécules qui laissent sur le doigt l’impression de leur
passage successif et difficile.
Le pouls présente quelquefois une intéressante particularité indiquée
par Legroux : « Dans un cas, dit cet auteur, étudié avec soin et constaté
par une observation attentive, continuée pendant plus d’une heure, le pouls
était insensible aux artères des membres supérieurs, tandis qu’il était
large et plein dans les autres artères. Le cœur était agité de palpitations
violentes et tumultueuses. Après une large saignée générale et une émis¬
sion sanguine locale, les palpitations se calmèrent et les battements
reparurent dans les artères radiales. Nous signalons ce fait, ajoute-t-il,
sans en donner l’explication. »
L’activité anormale du cœur, qui se révèle au début de l’endocardite
par la force d’impulsion, par les battements exagérés des carotides et
l’accélération du pouls, a été attribuée, par certains auteurs, à l’excitation
produite sur le muscle cardiaque par le travail phlegmasique auquel les
fibres les plus intimes prendraient une certaine part; selon d’autres, la
fréquence du pouls serait le résultat d’une irritation des ganglions ner¬
veux logés dans les parois du cœur. Sans nous arrêter à ces explications
purement hypothétiques, nous allons examiner l’influence que le trouble
de la circulation cardiaque exerce sur les autres fonctions.
L’éréthisme cardiaque du début retentit assez souvent sur la circulation
encéphalique. Ainsi s’expliquent la céphalalgie, les éblouissements et les
tintements d’oreille, que l’on voit notés dans un certain nombre d’ob¬
servations.
Mais c’est sur la circulation pulmonaire que les troubles cardiaques
produisent leur premier et principal effet. L’étroite relation pathologique
qui existe entre le cœur et les poumons, n’avait pas échappé à la judi¬
cieuse observation de Gendrin ; « L’appareil vasculaire des poumons , dit
cet éminent clinicien, est, plus que toute autre partie du système circula¬
toire, sous la dépendance immédiate des fonctions du cœur. En effet, les
vaisseaux des poumons s’ouvrent directement, par leurs troncs princi¬
paux, dans les cavités cardiaques. L’appareil vasculaire est court, l’in¬
fluence de la pesanteur y est relativement moindre, tandis que l’activité
musculaire locomotrice y exerce une action énergique. Les conditions
dynamiques qui président à la circulation pulmonaire se dérangent avec
facilité, et dans de larges limites, dans les maladies du cœur.
« Aussi la circulation pulmonaire est plus rapidement troublée que
la grande, C’est en elle qu’on trouve le point de départ, comme c’est en
elle qu’on trouve les premiers indices de tous les accidents les plus graves
des maladies du cœur » (1842).
Valleix insiste également sur la fréquence des troubles respiratoires
dans l’endocardite. Sur 11 cas rassemblés par lui, la respiration ne fut
libre qu’une seule fois. Dans tous les autres, elle était plus ou moins gê¬
née, fréquente, avec oppression et étouffement.
L’influence de l’endocardite aiguë sur la respiration serait au contraire
282 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
presque nulle, d’après Bouillaud, dans les cas où la circulation se fait
assez librement à travers le cœur. Mais en revanche, ajoute ce savant
professeur, toutes les fois qu’un grand obstacle s’oppose au cours du
sang dans les cavités du cœur, les malades sont en proie à la plus déchi¬
rante oppression ; ils étouffent, comme ils le disent, restent assis plutôt
que couchés dans leur lit, ne goûtent aucun moment de sommeil, et cher¬
chent vainement, au milieu d’une jactitation perpétuelle, quelque position
qui leur permette de satisfaire le pressant besoin de respirer qui les tour¬
mente. »
La dyspnée est fréquente, mais elle peut manquer; elle résulte en
effet, non pas du processus phlegmasique lui-même, mais de la lésion
valvulaire aiguë qu’il détermine. Le dérangement subit de la circulation
cardio-pulmonaire en est la cause véritable ; aussi lorsque la maladie,
traînant en longueur, permet le développement d’une dilatation ou d’une
hypertrophie suffisante, la dyspnée diminue peu à peu et disparaît si la
compensation est parfaite.
L’ éréthisme cardiaque du début est le plus ordinairement transitoire;
les battements du cœur peuvent bien conserver leur fréquence, mais ils
perdent leur intensité, et le pouls qui, au début, était dur et résistant,
devient ensuite mou, faible, parfois même irrégulier. — Cet affaiblisse¬
ment secondaire de l’action du cœur est d’autant plus précoce que l’exci¬
tation initiale a été plus violente ; il manque complètement dans les en¬
docardites légères, et apparaît au contraire après un très-court délai, dans
les formes intenses de la maladie. Quelle est la cause de ce phénomène?
Doit-on l’attribuer aux modifications produites dans la contractilité des
fibres musculaires cardiaques par leur participation à la phlegmasie (Ha-
mernjk), ou au simple épuisement paralytique de ces fibres (Stokes), ou
bien aux troubles fonctionnels de l’appareil nerveux qui commande le
rhythme du cœur (ganglions cardiaques et nerfs vagues). Faut-il invoquer
enfin, avec Rokitansky et Niemeyer, l’infiltration œdémateuse du tissu con¬
tractile? Quoi qu’il en soit, tous ces processus ont pour dernier terme la
diminution de la contractilité de l’organe, et l’on conçoit aisément qu’une
altération étendue des parois cardiaques, frappant d’inertie les fibres
musculaires, puisse déterminer un ralentissement de l’action du cœur, et
même une véritable parésie de cet organe. Cette parésie cardiaque, à son
tour, tient sous sa dépendance la plupart des troubles fonctionnels qui
surviennent dans le cours de l’endocardite.
Il n’est pas rare en effet d’observer à une certaine période de la ma¬
ladie, une tendance marquée aux syncopes. — Les malades éprouvent
souvent des sentiments de défaillance et même des lipothymies plus ou
moins complètes.
Si une cause fortuite, une émotion un peu vive, un effort musculaire
énergique vient alors agir sur l’appareil nerveux d’un cœur déjà atténué
dans son action, il est aisé de concevoir qu’une syncope pourra prompte¬
ment s’ensuivre. Avec la parésie cardiaque apparaissent constamment les
troubles de la respiration par défaut d’hématose. — Deux causes puis-
ENDOCARDE. : — ENDOCARDITES. — endocardite aigdb.
285
santés viennent en effet concourir à gêner considérablement la circula¬
tion pulmonaire et à favoriser la stase sanguine dans ces organes. D’une
part, les lésions des valvules qui s’opposent au libre cours du sang, d’au¬
tre part, l’affaiblissement de la contractilité du cœur, devenu impuissant
à surmonter l’obstacle.
Nous ne pouvons passer sous silence un type spécial de dyspnée que
Stokes considère comme un signe presque pathognomonique de l’affaiblis¬
sement du cœur et sur lequel Barthélemy a également insisté. — « Il con¬
siste dans une série d’inspirations de plus en plus fortes, jusqu’à un ma¬
ximum d’intensité après lequel elles diminuent progressivement d’étendue
et de force, et finissent par une suspension en apparence complète de la
respiration. Le malade peut rester dans cet état pendant assez longtemps
pour que les personnes qui l’entourent croient à sa mort, puis une pre¬
mière inspiration faible, suivie d’une deuxième inspiration mieux mar¬
quée, commence une nouvelle série de mouvements respiratoires analo¬
gue à celle que nous venons de décrire. » (Stokes.)
Cette dyspnée, il est vrai, ne se montre que dans les formes très-
graves et compliquées le plus souvent de myocardite, et dans les quelques
jours qui précèdent la mort.
D’autres désordres, assez importants parfois pour dominer la scène
morbide, ressortissent en majeure partie de l’affaiblissement de la con¬
tractilité cardiaque ; tels sont les éblouissements, la céphalalgie, les ver¬
tiges, les bourdonnements d’oreilles, la jactitation, le délire, les spasmes,
mouvements convulsifs ou même convulsions véritables, tous phéno¬
mènes résultant de la stase encéphalique; mais nous verrons plus tard
que les désordres cérébraux ou pulmonaires ne sont pas seulement sous
la dépendance des troubles circulatoires de l’encéphale ou des poumons,
mais qu’ils peuvent aussi être dus à des lésions secondaires de ces or¬
ganes (embolie, infarctus, ischémie, œdème, apoplexie, ramollisse¬
ment, etc.).
On peut voir, par ce qui précède, que c’est la parésie du cœur qui fait
le danger actuel de l’endocardite, comme les lésions valvulaires en font
le danger ultérieur. 11 résulte aussi de cet exposé que les troubles fonc¬
tionnels et les symptômes subjectifs de l’endocardite, n’ont rien de ca¬
ractéristique, et que la plupart d’entre eux se présentent, soit isolés,
soit réunis dans les autres maladies du cœur et de ses enveloppes, soit
même dans les affections d’organes éloignés.
C’est donc sur les signes physiques que devra se fonder le diagnostic,
car les symptômes précédents ne peuvent fournir que des présomptions
sur la nature et le siège de la lésion. Gomme le fait remarquer Stokes,
les symptômes de la péricardite et de l’endocardite se ressemblent telle¬
ment qu’on ne peut souvent distinguer ces affections que par l’ausculta¬
tion et la percussion.
2“ Signes physiques. — Ces signes sont fournis par l’inspection, la pal¬
pation, la percussion et l’auscultation.
Vinspection fait découvrir quelquefois une légère voussure à la région
284 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiclE.
précordiale, mais ce signe fait défaut dans l’endocardite simple, et n’ap¬
paraît que lorsqu’il existe une péricardite concomitante, à laquelle doit
se rapporter exclusivement la saillie anomale du thorax.
On peut aussi, dans certains cas, apprécier parla vue l’impulsion
énergique et puissante du cœur, ainsi que le nombre de ses battements.
Ces derniers signes sont encore beaucoup plus sensibles à la palpation.
— Le cœur semble «parfois tout à fait superficiel, et la main appliquée
sur la région précordiale est fortement repoussée par la violence des
battements qui l’ébranlent. Ces véritables palpitations aiguës se font sen¬
tir dans une étendue plus considérable qu’à l’état normal, et ce phéno¬
mène forme un contraste, dit Niemeyer, avec le pouls petit et mou que
l’on retrouve dans les cas où la substance musculaire, pénétrée d’une
infiltration séreuse, se contracte d’une manière peu efficace, malgré l’ac¬
tion tumultueuse du cœur: Hopefait remarquer que lorsque la circulation
reste intacte, l’action du cœur, stimulée par l’irritation inflammatoire,
devient violente et brusque, et c’est à cette violence même qu’il attribue
l’étendue plus considérable dans laquelle se perçoit l’impulsion du cœur,
tandis que Bouillaud explique cette circonstance par la turgescence in¬
flammatoire de l’organe.
C’est aussi par la palpation que l’on constate le frémissement vibra¬
toire, qui indique déjà l’existence d’une affection valvulaire.
La percussiora précordiale ne fournit d’ordinaire aucun signe avant la
production des bruits de souffle ; mais lorsque les souffles, c’est-à-dire
les altérations d’orifices sont constitués, alors les résultats de la percus¬
sion changent en peu de temps, en raison de la dilatation aiguë qu’en¬
traîne le développement rapide et souvent brusque de la lésion valvu¬
laire.
L’ectasie porte sur le cœur droit dans les lésions mitrales, sur le ven¬
tricule gauche dans les lésions aortiques. Dans le premier cas, la matité
précordiale est accrue dans le sens transversal ; dans l’autre, elle prédo¬
mine dans le sens vertical. Selon Bouillaud, la matité reconnaîtrait une
toute autre cause, elle serait produite par la congestion et la turgescence
du cœur et non par la stase sanguine dans ses cavités.
Cette matité se distingue aisément de celle qui appartient à un épan¬
chement dans le péricarde, en ce que cette dernière se montre d’habitude
au début de l’endo-péricardite, tandis que la première n’apparaît que
dans le cours d’une endocardite simple. Dans le cas d’épanchement péri-
cardiaque, l’impulsion du cœur est peu distincte, ondulatoire et non
isochrone au pouls, tandis que dans le second cas, les battements sont
superficiels, visibles, très-sensibles à la main.
L’ auscultation est de tous nos m.oyens d’investigation celui qui nous
permet d’arriver à la connaissance des signes vraiment pathognomoni¬
ques de l’endocardite aiguë, mais ils n’existent ordinairement que dans
V endocardite valvulaire et ne deviennent caractéristiques que lorsque la
lésion en altérant les valvules ou les orifices, en a dérangé les fonctions.
L’auscultation pratiquée dès le début ne fait souvent entendre qu’un
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — EKDocAnDiiE aigdë.
285
tintement métallique qui accompagne le premier bruit ; le plus souvent
les bruits valvulaires sont sourds et voilés ; ces changements sont évidem¬
ment dus au boursouflement de l’endocarde qui revêt les valvules. Si ce
boursouflement devient plus considérable et qu’il se fasse un dépôt de
coagulations fibrineuses, le premier bruit peut alors ne plus être entendu
et se trouver remplacé par un murmure léger, un souffle ordinairement
doux; mais qui, au bout de quelque temps, peut devenir plus intense,
se prolonger pendant tout le petit silence, offrir tous les caractères des
bruits de râpe, de scie, de lime et même s’accompagner d’un véritable
bruit musical.
Ces bruits de souffle en eux-mêmes n’ont rien qui les distingue des
souffles propres aux lésions valvulaires chroniques, ils n’ont de spécial
que la soudaineté, que l’acuité de leur apparition dans le cours d’une
maladie fébrile.
Le siège et le moment de ces souffles varient suivant le siège de la lé¬
sion et suivant le désordre qu’elle cause dans la circulation intra-car-
diaque.
Comme l’inflammation affecte de préférence la valvule mitrale, on
s’explique comment les bruits morbides sont le plus souvent systoliques.
Ils peuvent aussi, mais plus rarement, être diastoliques dès le début.
Duchek a même prétendu que toute endocardite mitrale violente serait
accompagnée d’un souffle diastolique.
Le bruit anormal est au premier temps et à la pointe si la valvule
mitrale est devenue insuffisante, au second temps et à la pointe si
l’orifice correspondant a été rétréci par les produits phlegmasiques ;
dans ce dernier cas le souffle peut être interposé entre le second temps
et le premier qui le précède : c’est ce que l’on appelle le souffle présysto¬
lique.
La lésion a-t-elle, au contraire, dérangé les sigmoïdes aortiques, le
souffle est à la base et au premier temps si la sténose de l’orifice est le
fait dominant ; à la base et au second temps si l’ouverture ne peut plus
être dûment fermée par les valvules devenues insuffisantes.
Lorsque l’endocardite valvulaire frappe le cœur droit, ce qui du reste
est fort rare, de semblables phénomènes pourront avoir lieu ; les souffles
présenteront les mêmes caractères au point de vue du temps, mais ils
différeront quant à lenr siège.
On devra, en effet, rechercher les bruits morbides dans les foyers
d’auscultation des orifices droits, c’est-à-dire à la base et à droite de l’ap¬
pendice xyphoïde pour l’orifice auriculo-ventriculaire, sur la troisième
articulation synchondro-costale gauche pour l’orifice de l’artère pulmo¬
naire.
Les lésions pouvant être multiples, les souffles peuvent eux-mêmes être
combinés de diverses façons.
Nous n’insisterons pas sur la cause et le mécanisme de ces divers bruits
de souffle qui reconnaissent tons pour origine soit une modification des
valvules elles -mêmes ayant altéré leur souplesse et diminué l’amplitude
286 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
de leurs vibrations, soit des changements dans la forme et les dimensions
des orifices.
« L’apparition d’un souffle, tout à fait au début de l’endocardite aiguë,
pourrait, d’après Stokes, faire supposer que les valvules présentent quel¬
quefois des altérations, dues à d’autres causes, que l’épaississement in¬
flammatoire, ou les dépôts de lymphe plastique à leur surface ; il est
possible que les faisceaux musculaires des valvules participent eux-mêmes
à la phlogose de l’endocarde ou en subissent les effets: alors soit qu’il
y ait exagération de la contractilité ou spasme, soit qu’il y ait affaiblis¬
sement, comme dans la paralysie inflammatoire, la valvule ne serait plus
dans des conditions normales et il pourrait s’y développer un murmure,
avant même qu’il y ait désorganisation de son tissu, » et l’auteur ajoute
en note : « Tout en croyant à la possibilité de l’existence de la paralysie,
j’attribue une plus grande valeur à un état tout opposé dans la production
d’un bruit de souffle au début de la maladie. »
Bamberger (1859) insiste également sur la contraction spasmodique
et la paralysie des muscles papillaires et admet que ces deux états con¬
traires des piliers tenseurs de la valvule mitrale peuvent produire son in¬
suffisance. Hamernyk avait déjà, en 1840, mentionné l’insuffisance des
valvules auriculo-venlriculaires consécutive à l’inflammation des muscles
papillaires, et plus récemment enfin Bernheim, dans son excellent et con¬
sciencieux travail sur la myocardite (1867), a défendu cette théorie.
« Lorsque les piliers charnus se contractent incomplètement et laissent
la valvule mitrale insuffisante, soit qu’ils soient malades eux-mêmes, soit
que leurs parois d’insertion affaiblies n’offrent plus un appui assez solide
pour que la contraction de ces muscles devienne efficace, cette insuffi¬
sance fonctionnelle de la valvule peut expliquer souvent des souffles que
l’examen des orifices et des valvules du cœur ne paraît pas justifier. »
Demme a noté dans trois cas un souffle systolique à la pointe qu’il in¬
terprète de la même manière.
Or, si l’on admet avec Bamberger, Duchek et Niemeyer que l’endocar¬
dite aiguë est toujours accompagnée de l’inflammation des couches mus¬
culaires sous-jacentes, ne pourrait-on pas, dans ce cas, pour expliquer les
souffles du début, invoquer ces perturbations imprimées aux tenseurs
valvulaires par la phlegmasie elle-même ? Cette ingénieuse théorie servi¬
rait également à expliquer les souffles de l’endocardite pariétale des ven¬
tricules. Malheureusement les bruits anormaux sont fort rares dans la
myocardite indépendante de toute complication endocarditique, et il
est même possible, suivant Stein (1861), que l’inflammation du tissu
musculaire du cœur, lorsqu’elle s’associe aux altérations valvulaires
les plus intenses, efface presque complètement tous les bruits nor¬
maux.
Nous aurons du reste à revenir sur ce point en traitant du diagnostic
de ces deux maladies, et, sans nous étendre plus longuement sur ces ap¬
plications ingénieuses, si nous nous contentons de rapprocher tous ces
faits et d’en dégager ce qui est vraiment significatif, nous arriverons à
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aigdë.
287
cette conclusion : L’endocardite aiguë simple est caractérisée par Vappa-
rition rapide ou brusque des phénomènes d' auscultation et de percussion
qui sont propres aux lésions valvulaires chroniques.
En cette formule est résumée pour ainsi dire la symptomatologie de
l’affection qui nous occupe. On peut cependant ajouter que les lésions
mitrales sont plus fréquentes que les lésions aortiques, et l’on s’explique
ainsi comment les bruits de souffle ayant leur maximum d’intensité à
la pointe du cœur sont le plus souvent systoliques ; car, parmi les lésions
mitrales, c’est l’inocclusion qui est le plus communément produite. De
sorte que le développement rapide ou brusque des symptômes de l’insuffi¬
sance mitrale est le signe le plus net de V endocardite aiguë.
Les altérations de l’orifice mitral (sténose ou insuffisance) sont celles
qui troublent le plus promptement et le plus sérieusement la circulation
pulmonaire ; elles ont pour effet immédiat d’augmenter la résistance au
cours du sang dans l’artère pulmonaire; or toutes les fois que celte
condition existe, la pression rétrograde de la colonne sanguine au mo¬
ment de la diastole devient plus énergique et, par suite, les sigmoïdes
retombent avec une force et une brusquerie bien plus grandes qu’à l’état
normal ; ce changement est révélé par l’intensité inusitée du second bruit
perçu dans le foyer d’auscultation de l’artère pulmonaire. Ce phénomène
connu en séméiologie sous le nom de renforcement ou accentuation du
second ton pulmonaire est fréquent dans l’endocardite ; il suit de peu
l’apparition des signes de la lésion mitrale et il permet de distinguer
avec une certitude absolue les souffles résultant d’altérations matérielles
des valvules {souffles organiques), des souffles anorganiques produits par '
l’anémie et la fièvre.
Les symptômes divers que nous venons d’énumérer s’accompagnent,
se succèdent et se continuent d’une façon très-variable.
L’endocardite aiguë, telle que nous l’avons décrite n’est pas une ma¬
ladie cyclique comme la pneumonie, par exemple, parcourant ses
diverses phases avec une constante régularité. Elle est souvent au con¬
traire irrégulière et capricieuse dans son cours, variable et changeante
dans ses formes et dans ses degrés. Tantôt rapide, passagère et subai¬
guë ; tantôt lente, progressive et irrémédiable dans ses conséquences ;
parfois soudaine dans son début, franche dans ses allures et accessible
dans son cours; le plus souvent insidieuse, obscure et comme larvée,
silencieuse dans son évolution, presque fatale dans ses effets.
Tels sont en quelques mots les différents aspects que peut revêtir cette
forme morbide qui échappe par sa complexité même à toute description
générale.
Dorée et terminaison. — La durée de l’endocardite aiguë est va¬
riable et subordonnée à de nombreuses influences qui peuvent la mo¬
difier ; telles sont la nature et l’intensité des causes de la maladie,
son étendue, la disposition individuelle des sujets qu’elle attaque et
les complications fréquentes qui l’accompagnent. De quelques jours
seulement, dans les cas légers, elle arrive à une ou deux semaines
288 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endoc.^rdite aiguë.
dans les cas graves, mais elle dépasse rarement ce terme en tant que
forme aiguë.
La terminaison, de beaucoup la plus fréquente, est le passage à l’état
chronique : la fièvre cesse, les troubles circulatoires périphériques peu¬
vent eux-mêmes s’amender par le fait d’une bonne compensation, mais
les signes d’auscultation et de percussion subsistent ; l’endocardite aiguë
a conduit à une lésion valvulaire irréparable. Bien souvent même cette
transition est pour ainsi dire insensible et graduelle, si bien que dans ce
cas, la distinction de l’endocardite en aiguë et chronique ne saurait être
qu’artificielle. Hardy et Béhier ont très-bien indiqué cette forme: «Il
existe une véritable endocardite chronique dont les symptômes partici¬
pant à la fois de ceux de l’endocardite aiguë et de ceux des affections
chroniques du cœur, sont assez difficiles à isoler, quoi qu’on en ait pu
dire. »
Les lésions chroniques et persistantes que laisse à sa suite l’affection
primitive, peuvent souvent dans leur longue évolution se compliquer de
nouvelles recrudescences aiguës. L’endocardite semble ainsi traverser
une longue série de processus alternativement lents et rapides.
Quand l’endocardite aiguë est mortelle, elle tue tantôt par l’affaiblis¬
sement des contractions cardiaques et l’asphyxie qui en est la suite;
tantôt par des coagulations intra-cardiaques ; tantôt enfin, par des em¬
bolies viscérales, notamment par embolie cérébrale, comme nous en
avons déjà précédemment cité des exemples. Il importe en effet de se
mettre en garde contre une erreur grave et trop commune ^que Ton ne
saurait donc trop prévenir : c’est à tort, nous le répétons, que l’embolie
est regardée comme propre à la forme infectieuse ; elle est observée, bien
plus rarement dans la forme commune.
Dans d’autres cas, la mort n’est point le fait de l’endocardite, mais le
résultat d’une complication. Les plus communes sont la péricardite, la
myocardite et les phlegmasies pleuro-pulmonaires.
Ces maladies développées sous la même influence que l’endocardite,
coïncident le plus souvent avec elle, mais elles peuvent parfois lui succé¬
der et apparaître dans son cours ; dans ces cas on doit les considérer
comme de véritables complications ; car non-seulement elles peuvent en¬
traver la marche régulière de la maladie primitive ; aggraver son pro¬
nostic et retarder la guérison ; mais souvent aussi par les désordres
qu’elles déterminent dans l’appareil cardio-pulmonaire, provoquer promp¬
tement l’issue léthale.
La péricardite précède le plus souvent l’inflammation de l’endocarde,
mais elle peut aussi venir la compliquer. Selon Latham, sur 90 cas d’af¬
fections cardiaques liées au rhumatisme articulaire aigu, la péricardite
compliquait 11 fois l’endocardite et celle-ci existait 63 fois seule. Nous
reviendrons bientôt sur cette fréquente coïncidence et sur les signes qui
permettent de la reconnaître.
Une autre complication fréquente est l’inflammation de la substance
charnue du cœur; jusque dans ces derniers temps, les auteurs ont con-
ENDOCAHDE. — EiSDOGAUDlTES. — E^uocAiiDiTE aigdë. 289
fondu ensemble les deux affections qu’ils décrivaient sous le nom de car-
dite. Quand la myocardite s’ajoute à la phlegmasie de l’endocarde, elle
détermine d’ordinaire un certain nombre de phénomènes alarmants qui
permettent de soupçonner la présence de cette complication : le malade
en effet accuse des symptômes plus marqués : des accès fréquents de
syncope, une anxiété précordiale plus vive avec irradiations douloureuses
dans les épaules ou dans les bras, une dyspnée intense avec exacerba¬
tion, des sueurs froides, avec un refroidissement considérable des extré¬
mités; un pouls faible, petit, mou, parfois irrégulier. Le choc du cœur
est extrêmement affaibli, presque nul; les bruits atténués et sourds,
finissent souvent par disparaître. L’angoisse et le désespoir du malade
atteignent leurs dernières limites et la mort survient par paralysie du
muscle cardiaque.
La pleurésie peut se développer en même temps que paraît l’endocar¬
dite et naître alors d’une façon isolée, individuelle en quelque sorte, sous
l’influence du froid qui a produit la phlegmasie cardiaque. Elle occupe
alors presque toujours le côté gauche. Dans d’autres cas, au contraire,
la pleurésie se manifeste pendant l’existence et quelque temps déjà après
le début de l’endocardite, comme si la sympathie des tissus similaires
jouait alors un rôle dans le développement de cette complication. (Hardy
etBéhier.)
La pneumonie ne complique point généralement les endocardites fran¬
ches, mais les endocardites de mauvaise nature, soit consécutives elles-
mêmes à l’état puerpéral ou à la fièvre typhoïde, soit se présentant sous
la forme grave dite ulcéreuse. Le début de la pneumonie est marqué sur¬
tout par des frissons et une recrudescence de dyspnée. La douleur de
côté paraît peu vive ; les crachats sont plutôt sanglants que rouillés, et
les signes physiques ne sont pas en général très-bien accusés. Ce qui
domine c’est la gêne de la respiration qui est courte, précipitée, sus¬
picieuse. La mort arrive au milieu d’une anxiété extrême. (Barthélemy.)
Dans les cas où l’inflammation s’est propagée de l’endocarde à l’aorte,
le diagnostic de cette complication est fort incertain ; dans ce cas on
trouverait, d’après certains auteurs, des battements impétueux de la
crosse de l’aorte, visibles à la partie inférieure du cou, un bruit de
souffle se prolongeant dans le vaisseau et perceptible le long de la co¬
lonne vertébrale. Le mouvement fébrile serait aussi très-intense ; mais
il faut bien le dire, Vaortite aiguë n’a pas en réalité de symptomato¬
logie propre et, dans la plupart des observations, on ne trouve aucun
phénomène imputable à l’appareil circulatoire lui-même et l’on ne peut
lui attribuer une part quelconque dans la production des symptômes
observés.
Telles sont les diverses complications qui peuvent se montrer dans
l’endocardite aiguë ; mais nous devons toutefois remarquer qu'elle peut à
son tour compliquer une foule d'autres affections dans le cours desquelles
elle se présente et, à ce titre, la forme ulcéreuse doit être placée au pre¬
mier rang.
XIII. — 19
290
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ekdocardite aigdë.
La guérison complète sans lésion persistante est possible dans les cas-
légers, mais cette terminaison est positivement rare.
Il en est une autre qui est néanmoins favorable, quoique n’aboutissant
pas à la restitutio ad integruin; je veux parler des cas dans lesquels l’en¬
docardite ne laisse après elle qu’un simple épaississement des valvules-
sans en détruire la souplesse ; il se peut bien alors que les bruits nor¬
maux du cœur restent altérés, mais la fonction des soupapes demeure
intacte, et le malade échappe aux accidents graves des lésions organi¬
ques.
Diagnostic et pronostic. — • Les phénomènes complexes qui résultent
des altérations valvulaires peuvent être répartis en trois groupes : ce sont
des effets mécaniques sur le cœur et sur la circulation générale; des
troubles fonctionnels, et des lésions anatomiques, issus le plus souvent
du désordre mécanique; enfin des sigties physiques qui sont saisissables-
par l’examen direct de l’organe. C’est sur l’étude approfondie de ces
phénomènes que repose tout entier le diagnostic de l’endocardite valvu¬
laire ; il doit être distingué en général et spécial : le diagnostic" général a
pour but de reconnaître l’existence de l’endocardite et de la lésion
d’orifice qu’elle produit ; le diagnostic spécial en détermine le siège et le
sens (insuffisance et rétrécissement).
L’endocardite aiguë simple est essentiellement caractérisée, comme
nous l’avons dit, par des bruits de souffle analogues à ceux des lésions
valvulaires chroniques , mais qui s’en distinguent par l’acuité et la sou¬
daineté de leur apparition dans le cours d’une maladie fébrile.
Si les murmures intracardiaques n’existaient que dans ces deux cas, le-
diagnostic général serait extrêmement facile; mais des souffles persistants
peuvent être produits sous l’influence des anémies, et le diagnostic
différentiel est d’une haute importance, mais il n’est nécessaire que pour
les cas où le souffle est systolique (tous les souffles diastoliques et présys¬
toliques appartenant aux lésions d’orifices). Or, entre une anémie et une
endocardite valvulaire à souffle systolique, les signes distinctifs sont les
suivants ; il n’y a pas d’hypertrophie ventriculaire dans l’anémie ; elle
existe à gauche ou à droite dans l’autre cas; si le souffle suspect siège à
la pointe où à l’appendice xyphoïde, on ne le retrouve pas au cou dans
la lésion d’orifice; on l’y entend, au contraire, dans l’anémie ; les lésions
valvulaires à souffle systolique rendent le pouls petit, irrégulier; il est
faible, ample et plein dans l’anémie; enfin le souffle anémique n’est
jamais accompagné de l’accentuation du deuxième ton pulmonaire"; ce
phénomène est presque constant dans l’endocardite à souffle systolique.
Nous insistons d’autant plus sur cette distinction, que l’endocardite se
montre de préférence dans le rhumatisme articulaire aigu. Or, plus
que toute autre maladie fébrile, le rhumatisme peut produire des bruits
de souffle systolique liés à l’état anémique des malades.
L'état fébrile peut aussi déterminer un murmure qui se distingue
du souffle endocardiaque par sa faible intensité et sa prompte dispa
rition.
ENûOGàRDE. — ENDOCARDITES. — endocardite aiguë. 291
Il existe enfin des bruits extracardiaques qui peuvent être confondus
avec les souffles de l’endocardite.
Le diagnostic de cette affection et de la péricardite sèche est préci¬
sément fondé sur les caractères différentiels des bruits de frottement et
des souffles intracardiaques; les éléments d’appréciation sont fournis par
le timbre et le siège, par la propagation, par la persistance, et par les
modifications artificielles des bruits : le frottement est un bruit d’attri-
tion, de roulement, de craquement; c’est un bruit inégal et aplati. Le
sonffle endo cardiaque est souvent doux, filé, uniforme et arrondi, rappe¬
lant le bruit produit par l’émission aphone de la dipbthongue ou, tandis
que le frottement ressemble au bruit que Ton produit par l’expiration
gutturale des lettres krr; mais, dans d’autres circonstances, ce souffle
endocardiaque présente un timbre tellement râpeux, que les caractères
intrinsèques du bruit ne peuvent suffire pour le distinguer. Il faut alors
recourir à d’autres éléments.
Quelque étendue que soit la sphère d’un souffle, il y a toujours un
point où il présente un maximum d’intensité, et ce point correspond
toujours à l’un des quatre foyers d’auscultation du cœur; le bruit de
frottement est parfois très-limité, et le point où on l’entend ne correspond
à aucun des orifices cardiaques. Quant au temps, ce souffle est en général
franchement systolique ou diastolique, et, s’il est double , il reproduit à
l’oreille le rliythme des bruits du cœur, séparé par le petit silence ; le
frottement est beaucoup plus irrégulier, coïncidant avec l’un des bruits
du cœur, il le dépasse en durée, ou bien, commençant avant ou après le
bruit, il se termine avec lui, ou bien enfin, il n’occupe que le petit
silence. Cette irrégularité capricieuse des bruits péricardiaques est un de
leurs meilleurs caractères.
^e souffle endocardiaque se propage à distance, suivant des directions
bien déterminées et distinctes pour les souffles de la pointe et pour ceux
de la base.
Le frottement ne se propage pas ; il meurt où il est né ; il augmente de
force sous l’oreille, si, pendant qu’on'ausculte, on accroît la pression du
stéthoscope ; il augmente aussi lorsqu’on place le malade dans la station
assise, le tronc fortement incliné en avant. Or aucun de ces procédés ne
modifie l’intensité des souffles; il résulte, au contraire, des recherches
de Sydney Ringer, que les souffles sont plus éclatants et plus rudes dans
la position horizontale.
Tels sont les signes différentiels des frottements et des souffles ; dans
certains cas, la distinction est des plus simples ; dans d’autres , on n’aura
pas trop de la totalité des caractères pour établir le diagnostic.
Après avoir reconnu l’existence d’un souffle valvulaire, on n’est cepen¬
dant pas en droit d’affirmer, d’une façon certaine, l’existence d’une
endocardite aiguë. Il existe, en effet, assez souvent chez des malades
atteints de rhumatisme articulaire aigu, des lésions valvulaires anciennes
produisant des souffles organiques qui pourraient en imposer pour une
endocardite récente. Ces cas ne sont nullement rares d’après Niemeyer.
292 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocahdite aiguë.
« Peu de maladies montrent, dit cet auteur, une disposition aux réci¬
dives aussi grande que le rhumatisme articulaire; on rencontre même des
malades qui, à partir de la première atteinte, en ressentent de nouvelles
plus ou moins longues presque chaque année. Si l’on n’a pas vu, et, par con¬
séquent, pas examiné ces malades auparavant, et que appelé à les traiter
d’un nouveau rhumatisme, on entende un bruit de souffle systolique près
de la pointe du cœur, que l’on trouve la matité plus large, le second bruit
plus fort dans l’artère pulmonaire, on restera dans le doute, à moins que
les symptômes de dilatation du ventricule droit ne s’élèvent à un degré
qui ne peut évidemment pas dépendre d’une insuffisance aiguë. »
Si l’examen attentif et répété du cœur fait reconnaître des modifications
dans les phénomènes stéthoscopique, tels que des changements brusques
et rapides du siège et du rhythme des souffles, l’endocardite sera, dans
ces cas, très-probablement aiguë et récente.
Une anamnèse exacte lèvera tous les doutes et mettra à l’abri de
l’erreur.
Par contre, il peut se faire qu’une inflammation aiguë vienne s’enter
sur des lésions valvulaires préexistantes. Dans ce cas, l’aggravation des
anciens symptômes, ou l’apparition de signes nouveaux, tels, par exemple,
qu’un bruit de souffle se montrant dans un point ou dans un temps du
cœur, où jusqu’alors on n’en avait pas entendu, permettent de faire ce
diagnostic.
D’après les observations de Traube, une endocardite aiguë recrudes¬
cente des valvules déjà malades se manifesterait dans le cours d’un
rhumatisme articulaire par de légers frissons.
Lorsque l’ataxie motrice du cœur est très-accusée, que les battements
sont à la fois inégaux, irréguliers et précipités, les souffles, bien que réels,
peuvent être peu accentués ou même inappréciables. En pareille situation
il ne faut jamais prononcer d’après un premier examen ; on doit laisser le
malade au repos, le soumettre à l’action de la digitale, et, dès que l’action
du cœur se régularise, on ausculte de nouveau; s’il y a un souffle, on
l’entend alors avec facilité, et, si l’on n’en perçoit pas, on peut alors en
affirmer l’absence; conclusion qui ne permet jamais l’examen du cœur en
ataxie.
Les bruits de souffle peuvent également s’effacer ou même disparaître
dans des conditions tout opposées. Dans les cas où la parésie cardiaque est
étendue et l’ondée sanguine si faible qu’elle est impuissante à faire
vibrer les valvules. La disparition progressive ou soudaine d’un souffle
antérieurement perçu, permettra de soupçonner cette complication , qui
peut dépendre, soit de l’affaiblissement fonctionnel, de la débilité complète
du muscle cardiaque, telle qu’on l’observe dans la myocardite {endomyo-
cardïté) ; soit de la distension exagérée des cavités du cœur par des cail¬
lots sanguins {thrombose cardiaque) .
Les bruits de souffle endocardiaques peuvent être également masqués
par une péricardite concomitante avec épanchement {endopéricardite) . Le
diagnostic, en pareil cas, est à peu près impossible et l’endocardite ne
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ' E^LOCARB^E aigüë. 295
se révèle alors qu’après la disparition de l’épanchement. 11 existe enfin
certaines formes d’endocardite dans lesquelles, pendant quelque temps
du moins, il ne se produit pas de bruit de souffle. 11 est probable même,
dit Stokes, que l’endocardite sans murmure, particulièrement au début de
la maladie, est plus commune qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Cette fréquence
rendrait compte, d’après lui, de l’apparition et des progrès des murmures
valvulaires, après la guérison de la péricardite. Cette absence de bruits de
souffle doit être attribuée à deux causes : l’inflammation peut n’avoir pas
atteint les valvules et être resté localisée sur la face pariétale des oreil¬
lettes ou des ventricules (endocardite pariétale), ou bien s’être propagée
aux valvules, mais n’avoir produit encore sur elles que des lésions insi¬
gnifiantes et trop légères pour troubler le jeu de ces replis membraneux.
La marche ultérieure de la maladie viendra bientôt éclairer le diagnos¬
tic un instant suspendu.
En résumé, en l’absence de tout bruit de souffle valvulaire, l’endocar¬
dite aiguë ne peut être que soupçonnée. Mais, nous le répétons, l’ap¬
parition brusque d’un bruit de souffle intracardiaque, et, en particu¬
lier, le développement rapide des symptômes de l’insuffisance mitrale,
dans le cours d’une maladie fébrile, permettront d’alfirmer, avec
une certitude presque complète, l’existence d’une phlegmasie endocar-
diaque.
Ainsi se trouve établi le diagnostic général et différentiel de l’endocar¬
dite valvulaire. Reste à préciser exactement son siège.
Ce diagnostic spécial, que certains observateurs regardent encore
comme impossible dans la majorité des cas, doit se fonder-sur l’examen
minutieux et attentif des signes différentiels fournis par le siège de la
dilatation cardiaque, par les caractères du pouls et les phénomènes que
présentent les artères et veines périphériques, enfin et surtout par le siège
et le temps des souffles. Pour utiliser ce dernier ordre de signes, il est
indispensable de connaître les points précis où l’on doit chercher les
bruits afférents à chaque orifice : et si l’on veut substituer à la notion
empirique l’interprétation rationnelle des bruits morbides intracardiaques,
il n’est pas moins essentiel de connaître le nombre et la genèse des tons,
normaux. J’ai représenté, dans deux tableaux reproduits dans un pré¬
cédent article (voy. Coeüb, p. 525), la dissociation des bruits cardiaques
en leur huit composants et la répartition de ces derniers entre quatre
foyers distincts. Les résultats fournis par cette analyse physiologique des
phénomènes stéthoscopiques me semblent être les deux guides les plus
sûrs de l’appréciation clinique.
Le diagnostic de la nature, des causes, de la forme morbide , des acci¬
dents secondaires ou consécutifs et des complications, ressort assez clai¬
rement de la description que nous nous sommes efforcé de tracer , pour
qu’il nous semble superflu d’y insister davantage ; nous aurons du reste
occasion de mentionner les particularités les plus importantes relatives à
la seconde forme de l’endocardite aiguë dont nous allons maintenant es¬
sayer de tracer le tableau.
294 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ekdocardite septique.
II. Endocardite septiqüe ou infectieuse. — Plus insidieuse, plus la¬
tente encore, si elle n’est pas attentivement cherchée, cette forme ne
présente aucune particularité qui lui soit propre en ce qui concerne
les phénomènes cardiaques ; c’est par les caractères de la fièvre, par la
prostration générale et par la gravité des accidents secondaires , qu’elle
s’affirme comme une maladie de mauvaise nature. L’auscultation du cœur
peut seule en faire découvrir le siège. Si cet examen est omis, l’origine
du mal est fatalement méconnue et le diagnostic oscille, incertain et er¬
roné, entre une fièvre typhoïde grave et une infection putride ou puru¬
lente indépendante de tout traumatisme. Ce sont là, en effet, les modalités
cliniques que revêt le plus souvent l’endocardite infectieuse à laquelle, en
conséquence, on reconnaît deux formes ; la typhoïde et la pyémiqiie. Ces
deux formes ne sont pas toujours nettement tranchées ; tantôt elles alter¬
nent, tantôt leurs symptômes se mêlent et s’enchevêtrent pour ainsi dire.
Dans certains cas même les symptômes cardiaques font complètement dé¬
faut ou éveillent à peine l’attention.
« Les symptômes locaux, d’après Charcot et Vnlpian, sont ceux de l’en¬
docardite aiguë, avec cette différence que le processus morbide , accom¬
plissant dans un espace de temps généralement plus court son œuvre de
destruction, une observation attentive et souvent répétée peut parfois en
suivre les progrès pour ainsi dire jour par jour. »
Les battements du cœur sont accélérés, superficiels , parfois précipités
et tumultueux ; les palpitations fréquentes, la dyspnée intense, l’anxiété
extrême.
L’auscultation permet de constater tantôt un souffle au premier temps
qui a son maximum à la pointe (obs. XIII, thèse de Vast), tantôt un souffle
rude, râpeux, à chaque systole, s’entendant dans une grande étendue de
la région précordiale. Dans d’autres cas, le deuxième bruit est remplacé
par un bruit de souffle qui s’entend sur le trajet de l’aorte et dans les deux
carotides. Sur d’autres malades, enfin, on a constaté le redoublement du
second bruit très-marqué au niveau de la base avec souffle aspiratif. Cer¬
tains observateurs ont constaté la disparition brusque d’un souffle anté¬
rieurement entendu; ou bien le développement rapide d’un bruit au se¬
cond temps, succédant à un souffle au premier. (Fritz, Charcot et Vulpian.)
Ces variations brusques du souffle cardiaque se présentent dans les cas
où des végétations pédiculées, siégeant sur les valvules, peuvent ainsi ob¬
turer leur perforation.
Ces symptômes cardiaques précèdent toujours les phénomènes géné¬
raux ; « Nous ne leur connaissons jusqu’à présent, dit Lancereaux, aucun
caractère suffisamment important pour nous instruire du danger que
courent les malades en pareilles circonstances. »
Les symptômes généraux donnent, nous le répétons, à la maladie, son
cachet particulier et la différencient de l’endocardite simple. Ces phéno¬
mènes morbides offrent une assez grande variété et diffèrent assez nota¬
blement, suivant les cas ; aussi a-t-on voulu distinguer dans cette affec¬
tion plusieurs formes secondaires fondées sur la prédominance de tel ou
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite septiqde. 295
tel groupe de symptômes (c’est ainsi qu’on a admis des ■variétés : typhoïde,
pyémique, cholérique, intermittente, ictérique). Il nous paraît juste de
conserver les deux premières formes, bien qu elles présentent des mani¬
festations communes.
Les phénomènes généraux qui caractérisent ces formes morbides se
présentent d’ordinaire dans le cours d’états pathologiques antérieurs (rhu¬
matisme articulaire aigu, fièvres éruptives, fièvre typhoïde, ostéomyé¬
lite, etc.) ou surviennent quelques jours après l’accouchement, quelque¬
fois même dans les derniers mois de la grossesse, d’autres fois à la suite d’un
état cachectique, d’une affection cardiaque de date ancienne ou récente.
Ils peuvent enfin se montrer spontanément chez des individus affaiblis ,
épuisés par des conditions hygiéniques mauvaises, par des fatigues pro¬
longées, par la misère et les excès. Ces phénomènes , comme le fait avec
raison remarquer Lancereaux, que la plupart des auteurs se complaisent
à rattacher simplement à l’acuité du processus inflammatoire, ont leur
raison d’être dans la nature de la cause morbifique et dans les conditions
générales des individus affectés, dont les éléments morphologiques de
nouvelle formation sont peu disposés à vivre et tendent fatalement à se
nécroser.
Le syndrome typhoïde ou pyémique est dans tous les cas un phéno¬
mène de seconde date , toujours précédé par l’affection de l’endocarde
qui peut seule en expliquer le développement et à laquelle il paraît se
rattacher à titre d’affection secondaire. (Charcot et Vulpian.)
1“ Formé typhoïde. — Dans la forme typhoïde, le début a lieu le plus
souvent par un frisson unique, après quoi la fièvre présente d’emblée
l’élévation thermique extrême qui appartient aux maladies infectieuses. La
température générale subit en effet une augmentation si prompte et si
■considérable qu’elle peut atteindre même dès les premiers jours 40“, 41“ et
même 41°, 5. Le pouls s’accélère d’abord et, après avoir battu 1 50, 140 et
150 fois, il peut, dans certains cas, retomber subitement à 80 ou 90. Ce
frappant et brusque ralentissement du pouls, joint à son excessive fai¬
blesse et à ses irrégularités, doit toujours être considéré comme un signe
du plus fâcheux augure.
La prostration des forces est précoce et rapide, et, dès le troisième ou
quatrième jour , le malade présente une adynamie aussi complète que
celle qui est observée au second septénaire d’un typhus grave.
L’irritation encéphalique se traduit par de l’agitation, de l’excitation
intellectuelle , souvent aussi par du subdelirium ou un délire intense ;
phénomènes qui font bientôt place à la somnolence, à la stupeur, à un
•état demi-soporeux et bientôt à la torpeur et au coma.Westphal a observé
dans un cas d’endocardite puerpérale, des accès présentant tous les carac¬
tères de la manie aiguë.
La langue est sèche et fuligineuse, les narines pulvérulentes, les diges¬
tions sont troublées dès le début, le catarrhe et les ulcérations de l’in¬
testin produites par les embolies mésentériques (voy. p. 275) provoquent
une diarrhée abondante, souvent incoercible, avec ballonnement du
296 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ESBOCARDiTE sebtique.
ventre. En même temps que ces évacuations alvines abondantes, on
a noté, dans certains cas, très-rares à la vérité, l’existence de cram¬
pes, le refroidissement des membres, l’altération des traits, l’extinc¬
tion de la voix et tous les signes d’une véritable algidité cholérique.
(Trousseau.)
Parfois il se développe un catarrhe bronchique qui détermine de la
toux, de la dyspnée et des râles sous-crépitants de nombre et de grosseur
variables. Il n’est pas rare de voir survenir des complications pleuro-pul-
rnonaires qui se reconnaissent aisément à leurs symptômes propres (pleu¬
résie, pneumonie). Les sueurs sont très-abondantes, avec des sudamina.
La ressemblance déjà si grande de ces phénomènes ataxo-adynamiques
avec le typhus abdominal est souvent accrue par la tuméfaction de la rate
et par des éruptions rosées ou pétéchiales à la surface du corps. Le pre¬
mier de ces symptômes que Ton retrouve dans la plupart des maladies
septiques est dû tantôt à l’hyperplasie de la pulpe splénique (Friedreicli),
tantôt à la formation d’infarctus dans l’épaisseur de l’organe.
Quant aux éruptions rubéoliformes, hémorrhagiques ou même puru¬
lentes (Duguet et Hayem), elles sont plus rares et on les attribue généra¬
lement à l’embolie diffuse des capillaires cutanés.
En cette situation, on le conçoit, la confusion avec une fièvre typhoïde
est aisée, surtout au début de la maladie, et cette erreur, qui a sans doute
été souvent commise', ne peut être évitée que par l’auscultation du cœur,
qui révèle des bruits de souffle dont le siège et le temps varient avec le
siège de la lésion et avec la nature du désordre qu’elle produit dans le jeu
des valvules (rétrécissement ou insuffisance).
Comme cette endocardite tend surtout à la destruction des valvules, le
souffle siège le plus souvent à la pointe et au premier temps (insuffisance
de la valvule mitrale) ou à la base et au second temps (insuffisance des
sigmoïdes aortiques). Par ces caractères, par la rapidité de leur formation
et par leur variabilité même, ces souffles diffèrent du souffle systolique
diffus que produit quelquefois le mouvement fébrile lui-même.
Dans la plupart des cas, le diagnostic n’a pas d’autre point de repère
que ces signes stéthoscopiques.
Les divers signes différentiels indiqués par les auteurs n’ont qu’une va¬
leur infiniment moindre et le plus souvent nulle : ainsi , on a prétendu
que, dans cette forme de la maladie, la langue sèche ne se présente pas-
avec ces fuliginosités que l’on remarque dans la dothiénenthérie, que la
face n’offre pas la stupeur caractéristique ; elle est pâle avec une teinte
ictérique et non injectée. (Decornière. ) Dans l’endocardite à forme typhoïde,
enfin, la rate augmenterait plus vite de volume, le ventre serait plus
promptement ballonné, les râles sibilants de la poitrine feraient défaut.
(Butraud.) Quant aux épistaxis et aux taches rosées lenticulaires, elles
manquent, il est vrai, le plus souvent, cependant les unes et les autres
ont été constatées dans un certain nombre d’observations. (S. Kirkes,
Charcot et Vulpian, Lancereaux, Œdemanson, Voisin, Ilabran.)
Pour compléter ces analogies, nous ajouterons encore que l’on a par-
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite septique. 297
fois observé, dans le cours de l’endocardite à forme typhoïde, des paroti-
dites suppurées. (Senhouse Kirkes, 1863.) On comprend donc qu’en l’ab¬
sence de symptômes cardiaques, le diagnostic de ces deux affections soit
à peu près impossible. — Les circonstances étiologiques et les conditions
même de l’individu affecté pourraient seules au début fournir quelque
présomption, mais jamais de certitude.
La tuberculisation miliaire aiguë, lorsqu’elle revêt la forme ty¬
phoïde, peut-elle être confondue avec cette variété d’endocardite ? Le
début généralement brusque, marqué par un frisson plus ou moins vio¬
lent, le mouvement fébrile intense, la céphalalgie, la stupeur, le subde¬
lirium, et souvent aussi le délire qui lui succède, sont autant de signes
communs aux deux affections. — Mais l’absence de phénomènes cardia¬
ques et abdominaux, d’une part, et la marche toute spéciale et caracté¬
ristique de la température dans cette maladie, éloigneront bientôt l’hy¬
pothèse d’une endocardite.
Si dans bon nombre de cas, le diagnostic ne peut être fondé que sur
l’examen attentif et minutieux des symptômes cardiaques, il est aidé,
dans d’autres circonstances, par l’apparition subite de phénomènes étran¬
gers à la fièvre typhoïde aussi bien qu’à la phthisie aiguë, et qui résultent
d’obturations artérielles. Ces processus emboliques sont d’une précieuse
utilité pour le diagnostic, à moins qu’ils ne se dérobent eux-mêmes à
l’observation. Nous avons suffisamment insisté précédemment sur ces lé¬
sions secondaires, pour qu’il ne nous paraisse pas nécessaire de nous
étendre longuement sur ce point. Nous ne mentionnerons ici que les phé¬
nomènes qui, par leur brusque apparition, permettent dès l'abord d’as¬
surer un diagnostic resté jusque-là obscur ou douteux : telle est l’hémi¬
plégie soudaine produite par embolie cérébrale ; plus rarement Tamau-
rose par embolie des vaisseaux choroïdo-rétiniens, avec endophthalmite
consécutive. (Virchow.) Nous aurons bientôt l’occasion de revenir sur ces
lésions secondaires emboliques et sur leurs conséquences, en décrivant la
seconde forme de l’endocardite infectieuse.
Ces dépôts emboliques, le plus souvent multiples, ne paraissent cepen¬
dant pas constants, et il est digne de remarque que la mort peut survenir
par le progrès de l’adynamie, sans accidents métastatiques ; ce fait ne
permet donc pas d’attribuer la gravité de la maladie uniquement à la
diffusion des produits endocardiaques, et il conduit à voir dans ce com-
plexus morbide, un état général primitivement grave, qui résulte sans
doute d’une altération du sang, comme la fièvre typhoïde elle-même, avec
laquelle il offre une si étroite analogie symptomatique.
2° Forme pyémique. — Dans la forme pyémique, les choses se pas¬
sent autrement, les foyers métastatiques sont constants, la gravité semble
croître selon leur siège et leur nombre; il semble que le malade s’infecte
lui-même secondairement par les produits viciés que ses organes reçoi¬
vent de l’endocarde altéré , bref, la situation est de tous points semblable
à l’infection purulente traumatique ; seulement la source du poison est
dans le cœur, au lieu d’être à la surface d’une plaie extérieure. Et, je le
298 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — ekdocaedite septique.
répète, peut-être bien n’est-ce pas trop s’avancer que de dire que plusieurs
des faits publiés comme exemples d’infection purulente spontanée, ap¬
partiennent, en réalité, à la forme pyémique de l’endocardite ulcé¬
reuse.
Dans cette forme comme dans la précédente, le début est ordinaire¬
ment brusque, mais au lieu d’un frisson unique à l’iuvasion de la fièvre,
il y a, pendant les premiers jours des frissons répétés, dont le retour
n’a d’ailleurs rien de régulier ; tantôt, en effet, ils se montrent deux fois
dans le courant de la même journée, tantôt tous les jours, ou bien, mais
plus rarement, ils laissent entre eux plusieurs jours d’intervalle. — Par¬
fois leur répétition est si régulière, que l’on pourrait croire à une fièvre
intermittente. Le frisson est suivi d’une chaleur vive et de sueurs parfois
abondantes, mais le plus souvent modérées. — La durée est très-variable.
Schnitzler (1865) a vu la mort survenir pendant un accès de frisson qui
durait depuis 4 heures. Dès le début, la fièvre est intense, l’accroissement
de chaleur excessif; on peut observer à partir du second jour 40°, 41° et
même 41°5. Le cycle thermique de cette forme morbide offre de grandes
analogies avec celui de l’infection purulente elle-même. Il est en effet es¬
sentiellement caractérisé par des variations et des irrégularités considé¬
rables, entre des élévations extrêmes et des abaissements profonds.
La fréquence du pouls est, en général, plus grande que dans la forme
précédente ; il dépasse habituellement 120, 130 et peut atteindre 140 et
même 160. (Hérard, 1865.) Il n’est pas rare de voir ses oscillations cor¬
respondre assez exactement à celles que présente le thermomètre appliqué
dans le rectum ou sous l’aisselle.
Le pouls est quelquefois dicrote, les pulsations peuvent même être
réunies trois à trois, quatre à quatre, chaque groupe de pulsations res¬
tant séparé par un intervalle régulier. — Assez souvent le pouls devient
bondissant et revêt tous les caractères du pouls de Corrigan. — Vers les
derniers jours, il présente de grandes irrégularités jointes à une extrême
faiblesse.
Les traits sont altérés, la face est jaunâtre et terreuse. La teinte icté-
rique des conjonctives et de la peau est un symptôme à peu près con¬
stant.
Dès ce moment, l’examen du cœur révèle l’existence d’une endocar¬
dite, qui est le seul caractère différentiel de cette maladie et de la pyémie
traumatique. Puis surviennent, avec une rapidité variable, les phénomènes
indicateurs des foyers secondaires : la respiration est fréquente et pé¬
nible, et les malades accusent de l’oppression et une angoisse souvent
excessive; les crachats peuvent être sanguinolents etécumeux; il y a par¬
fois des râles disséminés dans les poumons, plus rarement un souffle
bronchique manifeste. (Lancereaux.) — Cette dyspnée accompagnée des
signes de pneumonie catarrhale, doit être imputéeàla présence d’infarctus
dans les poumons. Le gonflement et la douleur de la région splénique se
montrent le plus habituellement et sont produits par des infarctus de la
rate.
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — endocardite septiqde. 299
C’est aussi dans cette forme d’endocardite que l’on a observé les symp¬
tômes de V atrophie aiguë du foie « et il est à peine douteux, selon Vul-
pian et Charcot, que quelques faits qui ont été rattachés à l’ictère gi'ave
appartiennent en réalité à l’endocardite ulcéreuse aiguë. » Nous avons vu
déjà précédemment qu’il est permis d’attribuer, dans la majorité des cas,
cette complication à l’obturation du tronc ou des rameaux de l’artère
hépatique.
Un ictère plus ou moins prononcé a été signalé dans plusieurs obser¬
vations (Lancereaux, 3 fois sur 11 cas ; Luys, Frerichs, Oppolzer, Budd,
Virchow). Indépendamment de la matière colorante de la bile, et de l’al¬
bumine qu’elle renferme ordinairement, l’urine contient alors de la leu-
cine et de la tyrosine. « Dans les cas, dit Lancereaux, où l’ictère fait
partie du cortège des accidents de l’endocardite ulcéreuse, l’erreur est
facile toutes les fois que les symptômes du début de l’infection viennent
à échapper, ainsi qu’il arrive fréquemment dans les hôpitaux ; et alors
c’est avec l’ictère grave ou typhoïde que l’on confond l’endocardite ulcé¬
reuse. Mais si, prévenu par la coïncidence des signes d’une affection car¬
diaque, on remonte aux antécédents, le diagnostic devient facile. L’ictère
grave débute en effet, d’une façon insidieuse et, quand apparaissent les
phénomènes auxquels il doit sa dénomination, déjà la teinte jaune des
muqueuses et des téguments existe depuis plusieurs jours. C’est le con¬
traire qui a lieu dans les cas qui nous occupent, car l’ictère est toujours
précédé de symptômes alarmants, tels que des frissons, des vomissements,
une diarrhée abondante, de l’anxiété, de l’angoisse, etc... les hémorrha¬
gies d’ailleurs y paraissent assez rares . »
L’infarctus des reins se révèle par des douleurs dans les lombes, irra¬
diant jusque dans les aines et dans les testicules, bientôt suivies d’héma¬
turie et d’albuminurie.
Nous avons déjà mentionné les attaques apoplectiformes etl’hémiplégie
liées à Vinfarctus cérébral. Si ce dernier occupe les régions hémisphéri¬
ques, il peut être absolument silencieux, ainsi que je l’ai déjà observédeux
fois.
Les abcès articulaires ne sont pas rares; ils se forment avec une grande
rapidité, ne provoquent pas de douleurs, même dans les mouvements, et
ne sont reconnaissables qu’aux signes physiques, tels que le gonflement,
la déformation de la jointure, parfois la fluctuation. Tandis que ces phé¬
nomènes de métastase se succèdent et se combinent de diverses manières,
la fièvre persiste avec les mêmes caractères ; le malade est dans le délire
ou dans une torpeur semi-comateuse; il a des soubresauts des tendons; la
langue et les gencives sont parcheminées et fuligineuses et il est tué, soit
par l’aggravation de l’état général, soit par une embolie, soit par l’œdème
pulmonaire ou bien par une coagulation intra-cardiaque.
Les phénomènes qui indiquent la formation des caillots intra-cardia-
ques peuvent être observés à plusieurs reprises dans le cours de la maladie ;
quand les premières coagulations se forment dans le cœur, cet organe
a assez de force pour les dissocier et les expulser par ses contractions ; il
300
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — tiuitejiest.
s’en débarrasse en effet aux dépens de l’arbre artériel et ces alternatives
de lutte et de repos sont une des causes les plus intéressantes de l’irré¬
gularité que présentent souvent dans leur marche l’endocardite infectieuse
et même l’endocardite simple.
Après avoir esquissé les deux formes principales d’endocardite infec¬
tieuse, si nous les comparons entre elles au point de vue de leur marche
et de leur gravité, nous trouvons que l’une et l’autre ont le plus souvent
une terminaison fatale et prompte.
La mort est plus rapide dans la forme pyémique que dans la typhoïde, -
dans la première, il est rare que la vie se prolonge au delà de huit à dix
jours ; dans la seconde, elle peut persister durant trois ou quatre semai¬
nes, avec une série de rémissions it d’aggravations; Friedreich a même
vu un malade qui n’a succombé que dans la septième semaine.
Ici doit s’arrêter ce que nous avons à dire sur cette forme morbide
qui n’a été jusqu’ici qu’assez rarement observée, mais, comme le font
avec raison observer Vulpian et Charcot, à mesure qu’on apprendra à
les mieux connaître, les faits de ce genre se multiplieront inévitablement
dans la clinique. Vouloir parler du pronostic, ce serait se borner à dire
que, jusqu’ici, les cas qui ont été publiés ont tous été suivis de l’examen
nécroscopique qui, assez souvent, est venu donner l’explication de phéno¬
mènes restés obscurs pendant la vie et plus rarement conCrmer un dia¬
gnostic habilement porté.
III. Endocaedite chrokiqce., — Cette forme n’a pas de symptomatologie
propre; quand elle n’affecte pas les valvules, elle est latente; quand elle
est valvulaire, elle ne se manifeste qu’en raison du désordre qu’elle
produit dans les fonctions des soupapes ; son histoire se confond avec
celle des lésions valvulaires dont on trouvera, dans un précédent volume
du dictionnaire, la description complète et détaillée. (Voy. t. vin,p. 575.)
Traitement. — Envisagé d’une façon générale, le traitement de l’en¬
docardite présente de nombreuses indications que nous ne pouvons pas
toutes passer en revue. Les unes sont communes à toutes les affections
inflammatoires du cœur et de son enveloppe, elles ont été déjà étudiées
à propos de la thérapeutique des maladies du cœur en général (t. VIII,
p. 446 et suiv.), et l’on trouvera dans cet article un examen approfondi
des « diverses médications applicables aux affections cardiaques. » Nous
n’aurons donc pas à revenir sur ce sujet.
D’autres indications thérapeutiques ressortissent plus spécialement de
l’endocardite et de ses différentes formes et variétés. C’est sur ces der¬
nières que se portera plus particulièrement notre attention.
Il est le plus souvent impossible de remplir l’indication causale dans
le traitement de l’endocardite. « Quel que soit, dit Niemeyer, le nombre
des médicaments et des méthodes curatives proposés contre le rhuma¬
tisme articulaire aigu, leur infidélité n’en est pas moins patente. Nous
sommes tout aussi impuissants en face de l’albuminurie, des exanthèmes
aigus et des autres maladies d’infections qui déterminent l’endocardite
ou y prédisposent. »
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — traitemest.
301
Tout en reconnaissant dans certains cas la vérité de cette triste asser¬
tion, nous croyons toutefois qu’il serait aussi dangereux que blâmable de
rester dans une inaction stérile, en présence d’accidents que l’on peut du
moins amoindrir sinon dissiper. Il ne faut jamais oublier que le rhuma¬
tisme comporte dans tous les cas un double pronostic : l’un se rattache
à la guérison de la maladie articulaire actuelle, l’autre embrasse la des¬
tinée ultérieure de l’individu ; toutes les fois que l’endocarde a été tou¬
ché, ce pronostic à longue distance doit être sérieux, parce que la resti¬
tution ad integrum des orifices et des valvules est positivement rare ; le
malade tient ainsi de son rhumatisme tout ce qui est nécessaire pour
constituer une lésion valvulaire ; vienne alors une cause occasionnelle ou
simplement l’involution naturelle des tissus, la maladie organique du
cœur apparaît, elle éclate avec ses conséquences fatales.
C’est donc à prévenir cette irrémédiable terminaison que doivent
tendre tous les efforts de la thérapeutique. J’ai déjà, depuis plusieurs
années, appelé l’attention sur les bons effets de la médication alcaline
dans le traitement du rhumatisme articulaire aigu et de ses principales
manifestations. {Ga%ette hebdomadaire, 1862.) Les alcalins, administrés à
haute dose dans le rhumatisme aigu, m’ont paru être d’une réelle utilité,
non-seulement par leur effet sédatif sur la fièvre et les souffrances,
parfois horribles des malades, mais surtout au point de vue de détermi¬
nations cardiaques, qu’ils préviennent dans une certaine mesure, ainsi
qu’il résulte des tableaux statistiques de Garrod et de Dickinson. Sous
l’influence de cette médication, instituée dès le début, les accidents du
côté du cœur m’ont toujours paru considérablement atténués. Les pro¬
priétés antiplastiques des alcalins rendent bien compte de cette action
spéciale, et l’on comprend aisément qu’en conservant au sang sa flui¬
dité ils puissent s’opposer ainsi à la formation des coagulations intra¬
cardiaques, complication si fréquente et si funeste de toute endocar¬
dite.
Cette médication me semble donc remplir toutes les indications propres
à l’endocardite rhumatismale; non- seulement elle amène une prompte
détente dans le mouvement fébrile et une sédation salutaire des phéno¬
mènes douloureux, mais prévient, dans une certaine mesure , les lésions
ultérieures des valvules en empêchant, autant que possible, la formation
des dépôts plastiques, dont elle peut même, dans certains cas, favoriser
la résorption, ainsi que celle des exsudais interstitiels.
Cette indication, tirée de la nature inflammatoire de la maladie, pourrait
également être remplie par le tartre stibié. Déjà, depuis plusieurs années,
j’ai eu recours à cette médication dans le traitement de l’endo-péricardite
rhumatismale, et j’en ai toujours retiré d’excellents effets. Dès que je
saisis chez un rhumatisant les premiers indices de la péricardite, je donne
immédiatement le tartre stibié à hautes doses, désirant ainsi produire une-
action puissamment évacuante. J’administre dans une potion gommeuse
ordinaire, sucrée avec du sirop simple, 40 centigrammes d’émétique
{30 centigrammes seulement chez la femme). Cette potion est prise par
302 ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — tr-uteme.-it.
cuillerées à bouche toutes les heures; après quelques cuillerées, quel¬
quefois dès la seconde, des selles et des vomissements copieux sont
produits et se répètent avec une fréquence variable. On poursuit néan¬
moins l’administration du remède; les dernières cuillerées déterminent
d’ordinaire des évacuations moins abondantes. Le lendemain je laisse
reposer le malade, je lui fais prendre de l’eau vineuse, un peu de vin de
Bordeaux, du bouillon, et, le jour suivant, je redonne une dose égale ou
moindre de tartre stibié, selon l’effet obtenu.
Dans les cas légers, dès le second jour du traitement, on constate la
diminution, ou même la disparition des phénomènes stéthoscopiques et
des symptômes subjectifs dans la région précordiale; dans les cas plus
sérieux, ce n’est qu’après la seconde ou la troisième potion que la rétro¬
cession des accidents est en bonne voie, et j’ai souvent été surpris
moi-même de la rapidité de ces remarquables et heureux résultats.
Mais chez les sujets faibles, débilités, et en particulier chez les femmes
et les enfants, cette méthode, au moins dans son application complète, est
formellement contre-indiquée. Dans les cas où il y aurait danger à re¬
courir à cette médication, en raison de son action hyposthénisante, les
alcalins à haute dose devront être préférés.
Ce qui précède ne s’applique qu’à l’endocardite du rhumatisme articu¬
laire aigu , avec ou sans q)éricardite concomitante. Il est vraisemblable,
cependant, que les mêmes effets seraient obtenus dans l’endocardite pri¬
mitive et dans celle qui se développe dans le cours de la pneumonie ou
de la pleurésie; mais ce n’est là qu’une présomption que notre expérience
personnelle ne nous a pas encore permis de confirmer.
Hope, Stokes et Graves ont préconisé l’emploi des mercuriaux pour
diminuer la plasticité du sang. Ces agents ont aussi été employés autrefois
en Allemagne. D’après Puchelt, il faudrait surtout avoir recours au calomel
chez les enfants rachitiques et scrofuleux; il conseille de le donner à la
dose de 2 à 5 centigrammes, quatre fois par jour, et d’en commencer
l’usage à partir du troisième ou du quatrième jour dè la maladie. Kreysig:
prescrivait aussi ce médicament, qu’il associait à plusieurs autres, tels que
le kermès minéral, la magnésie et le nitrate de potasse.
Le calomel à doses fractionnées et les applications d’onguent mercu¬
riel sur la région du cœur ne m’ont jamais donné les résultats favorables
qui leur ont été attribués. Du reste, en Angleterre même, on en a, depuis
quelques années, notablement restreint l’emploi , et les médecins allemands
de nos jours s’accordent à les proscrire formellement comme inefficaces
et dangereux.
On a longtemps cherché à remplir l’indication qui relève de l’élément
inflammatoire de la maladie par les saignées générales ; mais il est pru¬
dent de les laisser de côté, parce que la spolation agit bien plus sur le
malade que sur l’endocarde et que 'l’on court le risque de favoriser la
parésie cardiaque, qu’il faut au contraire s’efforcer de prévenir. En fait,
la saignée n’est indiquée que dans les cas tout à fait exceptionnels où
la maladie produit d’emblée des accidents de stase cérébrale ; elle agit
EiNDOCARDE. — ENDOCARDITES. — traitement. 503
alors mécaniquement en diminuant la quantité du liquide en circulation
et il y a bien rarement lieu de la répéter.
Si l’oppression précordiale est très-marquée, l’application de ventouses
scarifiées en nombre proportionnel à la force de l’individu et à son état
de santé antérieur, est un moyen très-utile qui diminue la fluxion car¬
diaque et délivre le malade d’un symptôme très-pénible. Ne pouvant
réagir directement contre le processus inflammatoire de l’endocarde,
nous sommes réduits, dans la majorité des cas, à un traitement indirect et
symptomatique ; abattre la fièvre, calmer les phénomènes douloureux,
modérer l’excitation cardiaque, prévenir ou combattre les complications,
soutenir enfin les forces du malade.
Telles sont les indications que l’on doit s’efforcer de remplir, en pré¬
sence d’une endocardite aiguë ; mais il importe avant tout de se souvenir
que l’état de la contractilité cardiaque commande toute la thérapeutique,
et loin de suivre les indications décevantes fournies par le pouls, c’est
au cœur lui-même qu’il faut s’adresser peur trouver la cause véritable des
accidents, et ce n’est que par ce moyen que l’on peut arriver à les con¬
jurer.
Au début de la maladie, l’éréthisme cardiaque est le phénomène do¬
minant et capital ; or la digitale est ici l’agent héroïque par excellence.
L’indication en est d’autant plus nette que la fièvre est plus intense et la
suractivité du cœur plus violente. Ce remède abaisse la température, mo¬
dère la combustion pyrétique et, en ralentissant les battements cardiaques,
il augmente le travail utile parce que les contractions sont plus com¬
plètes et mieux ordonnées. Par le ralentissement même de l’action du
cœur, la digitale a en outre ici une utilité particulière ; elle peut, en effet,
prévenir dans une certaine mesure la dissociation des produits phlegma-
siques de l’endocarde et les embolies consécutives.
Le meilleur mode d’administration de ce précieux médicament est, se¬
lon moi, l’infusion de feuilles à la dose de 50 centigrammes à 1 gramme
par jour, pour 125 grammes d’eau édulcorée avec 25 grammes de sirop
simple de manière à faire ainsi une potion de 150 grammes, qui sera
prise par cuillerées à bouche d’heure en heure.
L’action de cette substance est certaine ; souvent, dès le premier jour,
les battements du cœur sont moins violents, l’oppression par conséquent
moins pénible, le pouls se ralentit à son tour et, au bout de quarante-huit
à soixante-douze heures, le malade éprouve une amélioration considé¬
rable ; mais, en présence de ces merveilleux et prompts effets, on ne doit
point toutefois s’endormir dans une fausse sécurité. Comme tout agent
actif et puissant, la digitale a ses dangers, qu’il importe de connaître,
soit que l’on donne d’emblée une dose trop forte, soit que l’on prolonge
outre mesure l’administration de la dose maxima ; à l’action thérapeu¬
tique salutaire, succède promptement l’action toxique funeste.
Cette médication exige donc une surveillance incessante et attentive. Il
faut examiner plusieurs fois par jour l’impulsion du cœur, tenir compte
aussi du mode de la respiration et de l’état de la face et, au premier signe
304
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — traitebekt.
de faiblesse ou de cyanose, suspendre le médicament ou en diminuer la
quantité; dans certains cas, le pouls faiblit sans diminuer de fréquence,
l’indication est formelle ; il faut, sur-le-champ, renoncer à la digitale.
L’emploi de cet agent sera secondé par les boissons acidulés, par une
diète modérée et par quelques laxatifs légers, s’il y a de la constipation.
Par suite de je né sais quelle idée théorique, on a vanté Vaconitine,
comme succédané de la digitale ; mais les expériences de van Praag ont
prouvé que ce médicament est absolument infidèle.
Des observations faites en Allemagne, celles de Friedreich entre autres,
ont établi l’utilité des applications de glace sur la région précordiale;
lorsqu’elles sont faites méthodiquement et continuées sans interruption
jour et nuit, elles ont pour effets de diminuer l’angoisse thoracique, de
ralentir l’action du cœur et peut-être même de prévenir la propagation
au tissu musculaire de l’organe. Lorsqu’il y a de l’insomnie et de l’agita¬
tion, une petite dose de poudre de Dower (0,30 à 0,50 centigrammes),
sera donnée avec avantage.
Tel est le traitement général que l'on pourra mettre en usage dans les
premières périodes de l’endocardite aiguë, lorsque celle-ci débute avec
des phénomènes d’excitation cardiaque et que le sujet, robuste d’ailleurs,
n’est pas sous le coup d’une maladie adynamique.
Le traitement est tout différent, on peut le pressentir, à une période
plus avancée de la maladie, alors que se montrent les phénomènes de
parésie cardiaque. Si dans le cours d’une endocardite aiguë les battements
du cœur deviennent peu énergiques, si l’impulsion s’affaiblit, et que l’on
constate en même temps une dyspnée croissante et souvent des désordres
cérébraux, la compensation est imparfaite et la parésie du cœur immi¬
nente.
Dans ce cas, l’indication est unique; il faut soutenir les forces du ma¬
lade, la médication stimulante permet de la remplir. L’extrait de quin¬
quina à la dose de 2 à 3 grammes par jour, le vin rouge, les alcooliques
en quantité proportionnelle aux habitudes et aux conditions de l’individu
sont les agents auxquels il convient de recourir. Les accidents prennent
parfois une violence inquiétante, on ne peut alors attendre les effets tou¬
jours un peu lents de la médication précédente; il faut recourir à des
stimulants plus énergiques et plus prompts : l’éther, la liqueur d’Hoff¬
mann (à la dose de dix à douze gouttes, répétée selon l’effet produit), l’a¬
cétate d’ammoniaque (4 à 8 grammes dans 120 grammes de julep édul¬
coré avec du sirop d’éther) ; enfin l’esprit ammoniacal de Sylvius (30 à
40 gouttes dans une tasse d’infusion de menthe) sont alors particulière¬
ment indiqués. Une fois que les accidents sont amendés, on cesse l’usage
de ces excitants, pour revenir à la médication tonique sagement réglée.
Ces moyens seront efficacement secondés par l’application d’un large «e-
sicfltoire volant sur la région précordiale, ou d’un vésicatoire ammoniacal
et même du marteau de Mayor, si le danger est pressant. C’est dans ce cas
aussi que les ventouses sèches trouvent leur emploi, mais il faut les ap¬
pliquer en grand nombre (trente ou quarante à la fois) et répéter l’opé-
ENDOCARDE. — ENDOCARDITES. — bibliographie.
305
ration matin et soir. On les placera sur les membres inférieurs, s’ils ne
sont pas œdématiés ; dans le cas contraire, on les mettra en ceinture à
la base de la poitrine. Les révulsifs cutanés seront formellement indiqués
dans tous les cas où la dyspnée est extrême et l’asphyxie imminente; on
pourra aussi recourir avec avantage à ces moyens, pour combattre cer¬
tains symptômes fonctionnels pénibles, tels que l’oppression, les palpita¬
tions, l'anxiété précôrdiale, etc...
Les diverses variétés d’endocardites secondaires présentent les mêmes
indications ; dans les formes dyscrasiques , les conditions générales des
individus frappés amènent, dans ce cas, l’impuissance précoce du muscle
cardiaque, et c’est aussi à soutenir l’énergie défaillante du cœur que
doivent principalement s’adresser les efforts de la thérapeutique. J'ai
l’habitude d’employer dans la pneumonie, dans la fièvre typhoïde, dans
toutes les maladies adynamiques, une potion composée qui réalise au
plus haut degré l’action stimulante. Voici la formule que j’ai adoptée :
Vin rouge . 150 gramm.
Teinture de cannelle . 8 —
Sirop d'écorces d’oranges amères . 40 —
Mêlez et ajoutez :
Acétate d’ammoniaque. . . . . . 10 gramm.
Extrait de quinquina . 4 —
Rlium ou cognac vieux . 40 à 100 gramm. (Selon le cas.)
Cette potion, qui résume en elle la médication stimulante, me rend
journellement d’importants services dans les maladies que je viens de
citer; elle m’a été également fort 'Utile dans les cas où ces affections
étaient compliquées de péricardite ou d’endocardite.
Dans l’endocardite infectieuse, l’adynamie fournit l’indication fondamen¬
tale. Dans cette forme, comme dans la précédente, le traitement général
l’emporte de beaucoup sur les moyens locaux. Il convient de donner
d’emblée les toniques et les stimulants, savoir ; le quinquina, le vin,
l’alcool. On peut administrer concurremment le sulfate de quinine et
l’alcoolature d’aconit, dont l’emploi est aussi rationnel ici que dans les
autres maladies toxémiques ; mais ces efforts sont ordinairement stériles
dans la forme typhoïde, ils le sont toujours dans la forme pyémique.
Il nous paraît inutile de rappeler les divers agents qui ont été employés
dans ces cas, tels que l’opium, l’acide phosphorique, le castoréum, la
digitale; leur emploi se trouve jugé par leur inefficacité même.
Nous ne pourrions mieux terminer qu’en reproduisant les paroles
mêmes de Lancereaux : « Nous ignorons si d’autres moyens seront plus
avantageux, mais il est présumable, en se fondant sur l’analogie, qu’il
sera toujours difficile de combattre les symptômes d’infection profonde,
déterminés dans certains cas, par l’endocardite ulcéreuse. »
La bibliographie étendue de l’article Cœor et celle qui trouvera place à l’article Péricardite
réduisent les indications qu’il est utile de donner ici.
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Dubourg; E. ulcéreuse; 1865, p. 383, René Blaehe; E. ulcéreuse des valvules .sigmoïdes,
infarctus des reins, mai 1865, Lamare. \
Yoy. en outre la bibliographie des articles Embolie, Rhomatisme, etc.
Jaccocd.
ENDOSCOPE (Ivoov, dedans ; a-AOTCiv, regarder). — Instrument-des-
tiné à re.xatnen des conduits et des cavités du corps dont l’ouverture étroite
ne permet que l’introduction d’une sonde de faible diamètre.
Si la cavité d’un organe présente un très-petit diamètre et une pro¬
fondeur considérable, comme l’urèthre, le col utérin, l’œsophage, elle
ne peut admettre le spéculum si petit qu’il soit et la lumière naturelle
ou produite par les procédés ordinaires ne peut y pénétrer. C’est à ce
genre d’organe qu’est destiné V endoscope ; son domaine commence où
finit celui du spéculum,.
ENDOSCOPE.
309
L’endoscope, qui doit fournir la lumière et la projeter dans la direc¬
tion convenable, est nécessairement assez compliqué, et cependant il faut
qu’il soit assez léger et assez peu volumineux pour pouvoir être aisément
manié d’une seule main.
fta. 20. — Théorie de l’endoscope. Fig. 21. — Coupe de l’endoscope.
L’endoscope (fig. 20) se compose d’une lampe dont la flamme est si¬
tuée au centre de courbure d’un réflecteur concave sphérique ; d’une
lentille qui reçoit la lumière directe et celle qui est renvoyée par le ré¬
flecteur, et la concentre sur le point à éclairer; d’un miroir plan, percé
au centre et qui, recevant le faisceau lumineux sous un angle de 45 de¬
grés, le réfléchit à angle droit dans la direction d’jme sonde introduite
dans les parties à examiner.
510 ENDOSCOPE.
Telles sont les parties essentielles de Tendoscope, dont la coupe est re¬
présentée dans la figure 21, ainsi que la marche des rayons lumi¬
neux. Les pièces sont montées dans un appareil que nous allons décrire.
La lampe s’adapte, au moyen d’une virole de baïonnette , à la partie infé¬
rieure d’un cylindre qui porte, à sa partie supérieure, une cheminée des¬
tinée, comme les Terres des lampes , à augmenter l’intensité de la com¬
bustion et la production de la lumière par le tirage qu’il produit tout en
cachant entièrement la lumière à l’œil. Vers le milieu de sa hauteur, au
niveau de la flamme de la lampe, ce cylindre est pourvu de tubulures ,
placées en face l’une de l’autre, et recevant , la première , le miroir con¬
cave , et la seconde, l’ajutage d’un tube qui confient le miroir oblique
percé au centre. Le tube lui-même se termine, d’un bout par une bague
fendue pour recevoir l’extrémité des sondés, et, de l’autre bout , par un
diaphragme ou œilleton, auquel on peut au besoin substituer une petite
lunette de Galilée à court foyer, si on veut grossir les objets pour en mieux
voir les détails. Cette lunette peut encore servir aUx myopes ou aux
presbytes dont les yeux ne s’adapteraient pas à la longueur de l’in¬
strument; aussi, pour cet usage, on a deux lunettes de portées diffé¬
rentes.
La lampe qui fournit la lumière à l’instrument mérite une attention
particulière. 11 faut qu’elle ait un pouvoir éclairant considérable sous un
petit volume, et qu’elle soit d’un emploi facile, c’est ce qui m’a fait rejeter
l’éclairage électrique et lalumièredeDrummond.La lampe dont je me sers
est alimentée par le gazogène (liquide composé de quatre parties d’ alcool
rectifié et d’une partie d’essence de thérébenthine purifiée), elle donne
une lumière bien suffisante à toutes les distances où on peut employer-
l’instrument.
Les sondes qui s’adaptent à l’endoscope présentent une partie cylindri¬
que qui doit être reçue dans la douille de l’instrument. Le reste de la
longueur de ces sondes varie suivant l’organe auquel on les destine. Pour
le rectum, elles sont cylindriques et offrent partout le même diamètre qu’à
l’extrémité qui s’adapte à l’instrument.
Les sondes uréthrales , se rétrécissent de façon à présenter dans la»
partie qu’on introduit dans l’organe, un diamètre de 6 à 8 millimètres ,,
sur 15 centimètres de longueur; elles sont munies d’un em.bout pour
en faciliter l’introduction, et présentent, dans leur partie conique,,
une ouverture qui se termine par une longue fente, pour l’introduc¬
tion des instruments destinés à agir sur les parties qu’on explore
(fig. 22).
Parmi ces instruments les plus fréquemment employés sont des tiges d’ar¬
gent, terminées par une extrémité tordue sur laquelle on fixedu coton pour
absterger les parties, ou pour y porter des caustiques liquides (fig. 25).
Si on veut employer le nitrate d’argent solide, on peut le fondre sur le
bout d’un stylet, ou le placer dans un petit porte-nitrate, porté à l’extré¬
mité d’une tige coudée. Pour explorer l’orifice d’un rétrécissement ou
de quelque autre objet qu’on peut apercevoir dans l’endoscope, on se sert
ENDOSCOPE.
311
d’un stylet d’argent terminé par une extrémité coudée (fîg. 24) ; enfin
pour pratiquer des incisions et en particulier l’uréthrotomie , on fait
Fie. 22. ■ Fig. 25. Fig. 24. Fig. 25. Fig. 26.
Sonde et embout. Tige porte-coton. Stylet. Uréthrotome. Sonde prostatique.
usage de petits bistouris boutonnés, à longue tiges ou uréthrotomes dont
la vue peut diriger -l’action (fîg. 25).
La sonde uréthrale que je viens de décrire s’emploie également dans la
cavité utérine, dans les fosses nasales, dans les fistules où l’on veut re¬
chercher des corps étrangers. Pour l’exploration de l’œsophage il faut des
sondes delà même forme, mais plus grandes dans toutes leurs dimensions.
Je m’en suis ser^i dans plusieurs cas de rétrécissements œsophagiens, et
le professeur Eussmaul les a appliqués au diagnostic du cancer de l’œso¬
phage. Il les a même portés jusque dans l’estomac.
Pour l’exploration de la vessie, on fait usage d’une sonde coudée à ex¬
trémité arrondie (fig, 26), et dont la longue portion est hermétiquement
512
ENDOSCOPE.
bouchée par un verre. De la sorte, le liquide contenu dans la vessie est
retenu par le verre qui laisse passer librement la lumière. Cette sonde
rend de grands services pour l’étude des affections de la vessie et de
la prostate. Elle donne sur l’état de ces organes et sur les calculs qui
peuvent s’y rencontrer des notions qu’on ne pourrait se procurer par
aucun autre moyen.
Dans quelques cas, surtout dans les fosses nasales , on peut porter la
sonde dans l’organe après l’avoir fixée à l’instrument. Mais habituellement
Fig. 27. — PosUion de l’endoscope pendant l’application.^
on l’introduit isolément, et c’est lorsqu’elle est en place qu’on fixe sur
elle l’endoscope, comme on le voit dans la figure 27.
Desobueaux, De l’endoscope et de ses applications au diagnostic et au traitement des affections
de l’urètlire et de la vessie, leçons faites à l’hôpital Necker. Paris, 1865, in-8 avec 3 pl.
chromolithogr.
WoiLiEz, Dictionnaire de diagnostic médical, 2“ édition. Paris, 1870, in-8.
WuNDT, Traité élénieniaire de physique médicale, traduit de l’allemand, avec des additions par
Ferdinand Monoyer. Paris, 1871. in-8.
Gadjot et SpiLLMANK, -Irsenal de la chirurgie contemporaine. Paris, 1871, t. II.
Ant. Desormeaux.
ÉNnÉORÊDIE. Voy. Urine.
EIVFANCE. Voy. Age, t. 1, p. 407, et Croissance, t. X, p. 291.
ENGELURE. — synonymie. — étiologie.
313
EBïGELiURE. — On appelle engelure une tuméfaction rouge vio¬
lacé, modérément douloureuse, plus ou moins circonscrite, avec ou
sans destruction de l’épiderme, qui résulte de l’action du froid sur nos
tissus.
Syuonymîe. — Pernio , bugantia des Latins ; Erythema pernio
(Bazin); ydgÆ.o des Grecs; angl., Kibe or Chïlblain; ail., Frostbeule;
Congelatio. — Engelure dérive de gelu, gelée; quant au mot pernio, on
le fait provenir de pernicies, ruine, dommage, ou de péroné, le péroné,
parce que les engelures occupent souvent la partie inférieure de la
jambe, le talon. Dans cette dernière région, le vulgaire les désigne quel¬
quefois sous le nom de mules.
Quand on envisage les lésions produites par l'action du froid sur
nos tissus, on peut, avec Callisen, reconnaître trois degrés : le pre¬
mier est caractérisé par une rougeur avec tuméfaction légère; dans
le second l’épiderme est détruit, ou soulevé sous forme de bulles par
une sérosité claire ou roussâtre ; le troisième degré enfin est constitué
par la mortification des tissus dans une épaisseur plus ou moins grande.
Il existe, comme on le voit, une grande analogie entre les effets du
froid et ceux du calorique; aussi la classification de Callisen corres¬
pond-elle précisément à celle que Boyer a adoptée pour les brûlures;
rubéfaction, vésication, mortification; seulement, tandis que le calo¬
rique a une action immédiate et directe, le froid au contraire agit
d’une manière indirecte et médiate, par la réaction qui survient dans
les tissus refroidis. 11 suffit donc que cette réaction soit contenue dans
des limites modérées pour éviter la plupart des accidents qu’on peut
avoir à redouter, ce qui mène à des conséquences thérapeutiques d’une
importance incontestée.
Rayer désigne collectivement sous le nom d’engelures toutes les lé¬
sions produites par le froid, de sorte qu’il admet ; 1° l’engelure érythé¬
mateuse ; 2" l’engelure bulleuse avec ou sans excoriation ; 5“ l’enge-
gelure gangréneuse. Nous ne saurions adopter cette manière de voir :
seuls les deux premiers degrés constituent l’engelure ; quant au troisième,
il ne se rattache point à notre sujet et a été décrit autre part. {Voy.
Congélation, t. IX.)
Étiologie. — La cause essentielle des engelures est le froid, car on
n’en observe ni dans les climats chauds, ni pendant les chaleurs de
l’été. Dans nos pays, chez quelques sujets prédisposés, elles se mon¬
trent dès le début de l’hiver et se perpétuent jusqu’au printemps.
Nous avons fait remarquer que le froid seul ne suffit pas à les pro¬
duire : c’est plutôt l’exposition subite d’une partie échauffée à une tem¬
pérature froide, et surtout celle d’une partie engourdie par le froid à
une forte chaleur. Aussi voit-on souvent les engelures se manifester
après un froid rigoureux, au moment où le thermomètre se rapproche
de zéro ou même s'élève à quelques degrés au-dessus.
Les engelures se produisent par un mécanisme qu’il est, jusqu’à un
certain point, possible d’expliquer : l’excitation produite par le froid
314
ENGELURE, — symptômes.
détermine une contraction excessive des petits vaisseaux, ce qui amène
l’alanguissement de la circulation et la pâleur des tissus ; puis, si cette
excitation cesse brusquement, à la contraction permanente succèdent
l’atonie des parois vasculaires et une congestion très-vive, qui a pour
conséquence un exsudât séreux dans l’épaisseur de la peau et du tissu
conjonctif sous-cutané. C’est donc à la congestion et à l’inrillration de
sérosité que sont dus la rougeur et le gonflement qui accompagnent
l’engelure.
Les régions à découvert ou peu couvertes, celles qui sont éloignées
du centre circulatoire ou qui, d’un petit volume, n’offrent au refroi¬
dissement qu’une résistance médiocre, sont naturellement celles qui
présentent le plus souvent ce genre de lésion. C’est pour ces différents
motifs qu’on rencontre les engelures plus spécialement aux mains et
aux pieds, aux oreilles, au nez; mais on peut les observer en d’autres
points, tels que les coudes, les genoux, etc _ Aux membres supérieurs,
c’est à la face dorsale des mains et surtout aux doigts qu’elles sont le
plus communes ; aux pieds, elles occupent presque toujours les orteils
et quelquefois le talon.
Elles sont beaucoup plus fréquentes pendant l’enfance qu’à tout autre
âge ; cependant on en voit aussi chez les adultes, et certaines personnes
en souffrent même toute leur vie.
Les femmes y semblent plus sujettes, ce qui n’a rien de surpi’enant,
puisque les constitutions chétives y sont prédisposées. C’est pour ce
motif également que les scrofuleux en sont si souvent atteints; et, chez
eux, elles offrent une ténacité et un développement exceptionnels.
Certaines professions et habitudes ne sont pas sans influence. L’action
de plonger souvent les mains dans de l’eau à une température variable,
comme on peut le remarquer chez certains ouvriers, parliculièi'ement
les blanchisseuses, un exercice musculaire insuffisant, de mauvaises
conditions hygiéniques, en sont des causes très-évidentes ; mais rien
n’y expose plus que l’habitude de réchauffer à l’ardeur d’un foyer les
parties engourdies par le froid.
Symptômes. — Quand une partie devient le siège de l’engelure,
à l’engourdissement et à la pâleur produits par le froid, succède un
sentiment de chaleur et de tension douloureuse accompagné d’une rou¬
geur mal limitée, qui prend une teinte d’un bleu violet. Le tissu cellu¬
laire sous-cutané se tuméfie, s’engorge, se durcit, et les surfaces dor¬
sales des mains et des pieds présentent souvent un volume double ou
triple de celui qui leur est naturel. Cette tuméfaction est ferme, mais
elle cède et se laisse un peu déprimer sous une pression soutenue
pour reprendre bientôt sou volume. La température s’élève et dépasse
généralement le degré normal de la région, ce qui achève de donner
à la partie malade les caractères d’une inflammation qui ne diffère du
premier degré de la brûlure que par la coloration bleuâtre.
A une basse température, les engelures sont peu douloureuses ; mais
quand elles s’échauffent, soit par le séjour au lit, soit par le voisinage
ENGELURE. — symptômes. 315
d’un foyer, elles deviennent le siège d’une recrudescence de couleur
avec tension plus marquée, et occasionnent des démangeaisons, des
picotements insupportables, des douleurs brûlantes et pulsatives ca¬
pables de troubler le sommeil. Les mouvements eux-mêmes peuvent
être gênés à un degré suffisant pour rendre difficile l’exercice de la
marche et les fonctions de la main.
Tels sont les caractères et les conséquences des lésions produites par
le froid quand elles se bornent au premier degré ou rubéfaction. Ce
degré est de beaucoup le plus commun, dans nos climats du moins.
Mais sous l’influence d’un froid plus vif, ou chez certains sujets
dont la constitution offre moins de résistance, on peut observer le
soulèvement de l’épiderme, une vésication véritable : c’est le second degré
de l’engelure. Cette destruction du revêtement épidermique se présente
sous deux aspects : ce sont tantôt des bulles, des phlyclènes, contenant
une sérosité jaunâtre ou sanguinolente; d’autres fois des fissures
superficielles, des crevasses, qui semblent se produire par le fait de l’ex¬
cessive distension de la peau. Les bulles sont le plus souvent situées
à la face palmaire des dernières phalanges des doigts, à la face plan¬
taire des orteils ou à la partie postérieure du talon ; la peau voisine
est livide ou rouge bleuâtre.
A la destruction de l’épiderme succèdent des ulcérations grisâtres,
très-douloureuses, qui sécrètent une sérosité puriforme, sanguinolente
et ne se cicatrisent qu’avec difficulté. Elles peuvent même, mais cela est
rare, avoir une marche envahissante et creuser assez profondément les
tissus.
Il peut arriver que les ongles, soulevés comme l’épiderme par un épan¬
chement séreux, se détachent entièrement et tombent. Je connais un
malade qui, à plusieurs reprises, a ainsi perdu les ongles de la plupart
des doigts et des orteils ; ses ongles ont repoussé, mais ils conservent
une forme défectueuse.
Legouest a vu en Crimée les bulles des engelures, soulevées par du
sang pur, offrir une teinte d’un noir foncé. Ces bulles occupaient surtout
la face inférieure du pied et des orteils ou le talon ; à la chute de l’épi¬
derme, qui se faisait attendre longtemps, on trouvait tantôt la couche
épidermique régénérée, tantôt le derme mis à nu et ulcéré.
Il est, enfin, un état que Legouest a décrit sous le nom d’engelure
chronique et qui est une forme du premier degré. Le derme est alors,
comme le tissu cellulaire sous-cutané, épaissi, coloré en rouge brun et
privé de sensibilité. Le malade marche sans ressentir l’impression du sol
et quelquefois l’insensibilité persiste pendant cinq à six mois. C’est l’in¬
fluence prolongée du froid humide, qui est la cause habituelle de ces
accidents .
Chez la plupart des sujets atteints d’engelures, même chez ceux qui
en souffrent pendant toute la mauvaise saison, une guérison complète
survient au printemps. Chez quelques-uns cependant, les engelures lais¬
sent à leur suite ces ulcérations rebelles, dont nous avons parlé et dont
516
ENGELURE. — traitement.
le chirurgien ne peut avoir raison qu’à l’aide de pansements variés ou
d’applications locales énergiques. Quelques malades, entachés du vice
scrofuleux, conservent un engorgement chronique et une induration lents
à disparaître. Parfois, enfin, on a vu les capillaires, paralysés par l’action
du froid, rester dilatés d’une façon définitive et parmanente. Billroth
raconte avoir traité à Berlin un jeune homme qui, sous l’influence d’un
froid rigoureux, avait conservé le nez d’un rouge bleu foncé et qui ne
put guérir de cette difformité par aucun moyen.
Le diagnostic des engelures est rarement difficile, si l’on a égard à la
cause qui leur a donné naissance, à leur siège, à leur couleur violacée,
et, enfin, aux picotements douloureux et aux démangeaisons qu’elles font
éprouver. .4u nez et aux oreilles, le lupus érythémateux et Vacné rosacée
sont à peu près les seules affections avec lesquelles on pourrait les con¬
fondre ; mais le lupus est une lésion fixe et présente çà et là des points
cicatriciels, et dans l’acné rosacée l’élément pustuleux, qui prédomine,
permet d’éviter la confusion. Les ulcérations et l’induration consécutives
aux engelures seront rapportées à leur véritable cause par l’étude des
antécédents.
Traitement. — Bien qu’il s’agisse d’une lésion vulgaire et sans gra¬
vité, on voit par ce qui précède que les engelures méritent d’être prises
en considération ; aussi le praticien est souvent consulté, et toujours on
lui saura gré de pouvoir donner un bon conseil au sujet d’une affection
que l’on regarde généralement comme sans remède.
Et d’abord, le traitement préventif ne doit pas être négligé. Chez les
personnes prédisposées aux engelures et qui tous les hivers en ont à
souffrir, il y a à remplir des indications générales et locales. Le plus
souvent ces malades sont des sujets débiles, parfois disposés aux scro¬
fules et dont il faut modifier la constitution, à l’aide des préparations to¬
niques les mieux appropriées à l’état individuel : les amers, les ferru¬
gineux, l’huile de morue, les médicaments indiques, peuvent, à divers
titres, être mis à contribution; et, quand les engelures existent déjà, ils
sont nécessairement encore indiqués. Une alimentation réparatrice, une
habitation salubre, l’usage de vêtements chauds et secs, l’exercice, ont
également une heureuse influence.
Il convient, en outre, de fortifier les parties qui deviennent le siège
habituel des engelures, par des frictions stimulantes et des lotions astrin¬
gentes ou aromatiques : l’eau-de-vie simple ou l’alcool camphré, la dé¬
coction de tan, une solution de 50 grammes d’alun dans un litre d’eau,
sont les liquides qui peuvent être employés avec le plus d’avantage. Il
faut éviter d’y faire des applications tièdes et relâchantes: on doit, au
contraire, aguerrir les tissus par l’usage constant de l’eau froide pour
les soins de la toilette, et même par des frictions avec de la neige.
Si une partie quelconque est engourdie par l’action d’un froid un peu
vif, il faut bien se garder de la réchauffer brusquement, soit par l’immer¬
sion dans l’eau tiède, soit par l’approche du feu, puisque, comme nous
l’avons dit, les engelures sont moins le résultat immédiat du refroidisse-
ENGELURE. — iiibliographie.
ment que celui d’une réaction trop vive et trop rapide ; on doit alors ré¬
chauffer graduellement la région engourdie , soit à l’aide de frictions
faites avec de la neige, soit par des lotions avec de l’eau très-froide, ou,
enfin, par des frictions sèches.
Quand l’engelure existe et que l’épiderme est intact (premier degré),
les lotions avec des substances alcooliques et aromatiques ou astringentes,
sont le moyen le plus propre à rendre aux petits vaisseaux la tonicité
qu’ils ont perdue et à favoriser la résorption du liquide infiltré dans l’é¬
paisseur du derme. En outre des liquides signalés plus haut, on pourrait
citer un très-grand nombre de préparations, qui ont été employées dans
ce but et dont voici les principales : le baume de Fioravanti, les tein¬
tures de benjoin ou de gaïac, le baume du Pérou, le vin aromatique, le vin
chaud, le liniment oléo-calcaire, le sous-acétate de plomb en pommade
ou en solution, une solution de sublimé au 300® ou au 1000® (Bazin),
l’acide chlorhydrique dilué. Des frictions avec le jus de citron, une pom¬
made au précipité blanc (2 grammes pour 30 d’axonge) peuvent avoir
également de l’avantage. Marjolin employait volontiers une pommade
composée de blanc de baleine, d’huile, de cire, de baume du Pérou et
d’acide chlorhydrique. On voit que les moyens sont nombreux; beaucoup
ont une efficacité réelle.
Au second degré des engelures, on se trouve en présence d’ulcérations
grisâtres, souvent rebelles et douloureuses, qui pourront par exception
réclamer l’emploi de moyens calmants, tels que le cérat opiacé ou les ca¬
taplasmes émollients et narcotiques arrosés de sous-acétate de plomb, mais
auxquelles sont le plus souvent applicables la plupart des préparations
stimulantes et toniques, mentionnées pour le pansement des engelures au
premier degré. Ici conviennent plus particulièrement le baume du Com¬
mandeur, le styrax, un digestif animé, la glycérine, Une solution légère
d’azotate d’argent ou une pommade à l’oxyde de zinc. Lisfranc dit s’être
bien trouvé de panser ces ulcères avec un linge fenêtré enduit de cérat et
recouvert de charpie trempée dans une solution de chlorure de chaux.
Enfin, quand un engorgement notable accompagne les engelures, ou
persiste après leur disparition, le moyen le plus efficace est une compres¬
sion bien faite, soit avec une petite bande de toile, soit avec dés bande¬
lettes de sparadrap commun ou mieux de sparadrap de Vigo, surtout
quand des ulcérations compliquent l’engorgement. Le petit appareil
est renouvelé aussi souvent qu-’il est nécessaire, et, sous son influence,
on est quelquefois surpris de la rapidité avec laquelle la région malade
reprend son volume. C’est ici surtout qu’il importe d’instituer une médi¬
cation interne tonique, car cette complication ne se rencontre guère que
chez les sujets scrofuleux.
Celse, De re medica, lib. V, sect. xxviii, § 6.
Ploücqüet, Litteratura medica digesta, art. Peenio.
Aïues, Dissertation sur les engelures. Montpellier, 1813.
JouEDAN, Dict. des sciences médic., l. XII, p. 318, Paris, 1815.
Callisen, System der neueren Chirurgie. Hamburg, 1822.
318 ENGHIEN.
Lisfkaxc, Observations d’engelures traitées et guéries par le chlorure de chaux [Revue médi¬
cale, 1826, t. I, p. 210).
Thomson, Traité médico-chirurgical de l’inflammation, trad. de Jourdan et Boisseau, p. 656. Pa¬
ris, 1827.
Bégin, art. Congélation du Dictionnaire de médecine et de eliirurgie pratiques, t. V, p. 409.
Paris, 1830.
Gemt, Mémoire sur l’influence du froid sur l’économie animale [Journal hebdomadaire, t. YIII,
1830).
Boïer, Traité des mal. chirurg. 4» édit., t. XI, p. 60. Paris, 1831.
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Legodest, Des eongélations observées à Constantinople pendant l’hiver de 1854 à 1855 [Mém. de
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Valette (Tharsile), Sur les congélations des pieds et des mains (même recueil, t. XIX).
Follin, Traité élémentaire de pathologie externe, t. I, p. 537. Paris, 1861.
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Billroth, Éléments de pathologie chirurgicale générale, traduction française, p. 308. Paris,
1868.
Alfred Heurt aux.
EXCtHLBElV (Seine-et-Oise, arrondissement de Montmorency). — Alti¬
tude, 48 mètres. — Eaux sulfurées, calciques froides. — Température
variant de 10 à 14“ centigrades; 12 degrés paraît être le chiffre le plus
constant. — A 11 kilomètres de Paris, ligne du chemin de fer du Nord.
La station d’Enghien occupe un rang élevé parmi les eaux sulfurées
calciques de France. Sa proximité de la capitale, l’importance d’un éta¬
blissement de construction récente, les conditions favorables du site
qu’elle occupe, doivent figurer au nombre des principaux éléments du
succès qui la favorise actuellement.
Cinq sources principales alimentaient l’établissement à l'époque où fut
publié l’important travail de de Puisaye etLeconte (1853) : Source Cotte,
source Deyeux, source Péligot ou de la Rotonde, source Nouvelle ou
source Rouland, source de la Pêcherie.
Depuis cette époque, trois nouvelles sources sont venues s’ajouter aux
précédentes, ce sont celles du Lac, des Roses et Lévy. La première jaillit
au milieu du lac dont elle a tiré son nom. Parfaitement captée, elle verse
son eau dans le réservoir de la Pêcherie.
D’une odeur rappelant franchement celle de l’hydrogène sulfuré, d’une
saveur identique, si l’odorat et le goût s’exercent simultanément, mais
douceâtre, fade et légèrement alcaline, si le goût senl intervient après
l’interception préalable du passage de l’air à travers les fosses nasales,
l’eau des cinq premières sonrees a été soumise à une analyse consignée
dans le mémoire de de Puisaye et Leconte. Ces sources diffèrent peu les
unes des autres par leur composition. Voici les résultats qu’a donnés aux
auteurs que nous venons de citer l’eau de la source Cotte.
ENGHIEN. 319
Gaz. — Azote, 19 milligrammes; acide carbonique libre, 119 milli¬
grammes ; acide sulfhydrique libre, 25 milligrammes.
Substances fixes. — 510 milligrammes de minéralisation; carbonate
de chaux 0®'',217, de magnésie O^^OIO ; sulfate de potasse O^^OOS,
de soude 0®',0507 ; sulfate de chaux 0''',319, de magnésie O^^OOO, d’a¬
lumine 0®'',039; chlorure de sodium 0®'',039 ; acide, silicique 08',028 ;
oxyde de fer, traces ; matière organique indéterminée.
Les trois sources du Lac, des Roses et Lévy ont été de la part de Reveü,
l’objet de recherches ultérieures (1864). Les résultats obtenus par lui
n’infirment en aucune façon ceux qui viennent d’être indiqués et s’en
rapprochent par beaucoup de points en les complétant. Aux substances
dont la présence a été déterminée par Leconte, il faut ajouter, d’après
Reveil, des traces d’iodure de sodium, d’arséniate de soude, de borates,
de phosphates, de manganèse et surtout de lithine.
Quant aux composés de cæsium et de rubidium dont la présence dans
les eaux minérales s’allie si souvent à celle de la lithine, ni les efforts de
l’analyse chimique, ni ceux de la spectroscopie, d’après la méthode de
Bunsen etKirchhoff, n’ont pu en déceler l’existence dans le résidu de l’é¬
vaporation de 300 litres d’eau.
L’état du soufre à l’état d’hydrogène sulfuré libre dans les eaux d’En-
ghien, constitue un des traits caractéristiques de leur composition chi¬
mique.
L’opinion généralement acceptée, celle que partagent Reveil, les au¬
teurs du Dictionnaire des eaux minérales, c’est que la sulfuration des eaux
d’Enghien provient des sulfates ferreux, dont sont chargées des eaux qui en
passant à travers des terrains contenant des matières organiques, de la
tourbe par exemple, sont décomposées par celles-ci. L’oxygène des sul¬
fates se combine avec les matières organiques pour faire de l’acide carbo¬
nique et de l’eau, en laissant du sulfure de calcium. Une partie de l’acide
carbonique formé, déplace du sulfure en produisant du carbonate de
chaux, et laisse en dissolution ou déplace de l’hydrogène sulfuré. Dans
cette façon d’envisager la question, on peut considérer ces eaux comme
prenant naissance dans des zones relativement superficielles. Telle n’est
pas la manière de voir de dePuisaye et Leconte qui assignent à l’eau d’En¬
ghien une origine beaucoup plus profonde dans les couches inférieures du
terrain parisien, au-dessous du gypse ou dans les terrains crétacés. R est
juste de reconnaître que de de Puisaye et Leconte restent à peu près isolés
dans cette opinion longuement développée par eux, mais qui ne s’appuie
que sur des hypothèses.
Les eaux d’Enghien s’emploient à l’intérieur à la dose d’un demi-verre
à quatre ou six verres par jour, et à l’extérieur sous toutes les formes
indiquées par les perfectionnements de la balnéation moderne.
Reconstruit récemment d’après les plans de Bouillon et Muller, et sous
les inspirations de de Puisaye, le nouvel établissement d’Enghien qui
fonctionne depuis 1863, figure au nombre des mieux installés. Il pos¬
sède quatre-vingts baignoires, la plupart en fonte émaillée ; toutes sont à
520
E.NGHIEN.
trois robinets, l’un d’eau froide sulfureuse, l’autre d’eau ordinaire froide,
le troisième d’eau ordinaire chaude. Ce système d’aménagement, joint
à un certain nombre de baignoires à double fond, munies d’un ser¬
pentin traversé par un courant de vapeur, permet selon les nécessités
thérapeutiques, d’alimenter les baignoires avec de l'eau à des degrés
très-variables de sulfuration. Le bain chauffé à la vapeur marque 16 à 17
divisions au sulfhydromètre ; il présente donc une sulfuration considé¬
rable; partant il devient très-excitant et ne pourrait être d’un usage
journalier pour la plupart des malades. Le bain préparé avec un tiers
d’eau ordinaire à 80 degrés, marque encore 9 divisions sulfhydfomé-
triques. Il offre une sulfuration qui répond à un très-grand nombre des
besoins de la pratique. Des douches à haute et à basse pression, peuvent
être associées aux bains ou données à l’exclusion de ceux-ci . Elles sont
descendantes ou ascendantes, rectales, vaginales. Des ajutages de toutes
sortes, permettent d’en varier la forme.
Les cabinets de bains sont précédés d’un vestiaire servant également de
cabinet de toilette, donnant tous sur la galerie vitrée; disposition qui a
l’avantage d’offrir aux malades une salle d’inhalation naturelle où l’atmo¬
sphère sulfurée se l’enouvelle incessamment.
Des appareils spéciaux, entre autres ceux de Mathieu (de la Drôme)
pour bains d’eau pulvérisée, deux bains de vapeur complets, des douches
écossaises, des bains russes et des caisses pour bains d’air chaud et fumi¬
gations de toutes sortes complètent cet appareil balnéothérapique, digne
des stations thermales les plus considérables.
Une mention spéciale est due à la salle de pulvérisation qui contribue
pour une large part au traitement d’un certain nombre d’affections.
Elle mesure un espace de 5'“,45 de large sur 7“‘,90 de long et 5“,60de
hauteur. Son centre est occupé par une grande table de forme ovale, al¬
longée de 0”,70 de large sur 4 mètres de long, autour de laquelle les
malades sont assis ; au milieu s’élèvent cinq grands appareils de pulvé¬
risation. Autour d’une des murailles on a disposé dix petits instruments
de formes diverses pour douches buccales et pharyngiennes. L’eau ser¬
vant à la pulvérisation, arrive directement du réservoir sans avoir subi
d’altération. Une machine à vapeur et une pompe à double effet, rempla¬
çant le moteur à bras et la pompe à simple effet de l’installation primi¬
tive, permettent d’effectuer la pulvérisation dans les meilleures condi¬
tions possibles. Malgré l’énorme déperdition du principe sulfureux qui
résulte toujours de la pulvérisation, l’atmosphère de la salle d’inhalation
d’Enghien présente encore, d’après les expériences de dePuisayeetReveil,
un degré suffisant de sulfuration.
ll'Les malades sont soumis, dans cette salle à la double action d’une pul¬
vérisation proprement dite et d’une véritable inhalation gazeuse et, par
conséquent plongés dans un milieu sulfuré, dont la portée physiologique
et thérapeutique ne saurait être méconnue.
Les eaux minérales, au point de vue de leurs effets physiologiques,
peuvent, d’une manière générale, être divisées en deux grandes classes.
ENGHIEN.
321
suivant qu’elles provoquent dans l’organisme des phénomènes d’excitation
et de remontement, ou bien qu’elles exercent au contraire une action
hyposthénisante, en rapport avec leur composition chimique ou leur mode
d’administration. Comme un grand nombre d’eaux sulfureuses, celles d’En-
ghien appartiennent à la première catégorie. Données isolément ou si¬
multanément à l’intérieur et à l’extérieur, elles produisent, après un
temps variable, suivant les idiosyncrasies et la manière dont elles sont
administrées, de l’accélération du pouls pouvant s’accompagner d’éléva¬
tion de la température, et arriver jusqu’à un degré d’état fébrile fort ac¬
cusé, une sensation de bien-être, de réveil des forces inusitée, une aug¬
mentation de l’appétit et de la puissance digestive, suivie parfois de phéno¬
mènes de catarrhe gastro-intestinal.
Leur action sur les muqueuses et particulièrement sur celle des bron¬
ches forme un des traits saillants de l'histoire des eaux d’Enghien. Les
expériences de Claude Bernard, en nous montrant la muqueuse respira¬
toire comme la voie d’élection de l’élimination des principes sulfureux in¬
troduits dans l’organisme, nous permet de saisir cette spécialisation.
La peau, surtout dans les cas où l’on fait usage des bains, ressent vi¬
vement l’influence du traitement hydro-minéral. Cette impression qui se
traduit souvent par une diaphorèse inaccoutumée, ou par le rétablisse¬
ment d’une transpiration habituelle, accidentellement supprimée, peut
aller jusqu’à produire un certain nombre d’éruptions, depuis une simple
miliaire, un érythème fugace, jusqu’à l’acné, l’ecthyma, ou des furon¬
cles plus ou moins nombreux. Les éruptions connues sous le nom de
poussée, telles qu’on les voit près de certaines stations thermales, et no¬
tamment à Louesche, ne s’observent qu’exceptionnellement à Enghein.
Lorsque les malades sont soumis à l’usage de l’eau pulvérisée, quelques
modifications se produisent dans la genèse et l’enchaînement des phé¬
nomènes physiologiques. Contrairement à ce qui arrive lorsque ces eaux
sont prises à l’intérieur, l’action excitative sur les organes immédiatement
en contact avec l’eau pulvérisée, se fait sentir d’abord et, parfois après un
temps très-court, avant de retentir sur l’économie en général. Le séjour
dans l’atmosphère de la salle de pulvérisation, exerce, en outre, sur le
cœur une sédation qui , principalement au début de la séance, peut
abaisser notablement le chiffre des pulsations, cette sédation du pouls ac¬
compagnée, quelquefois d’une céphalalgie particulière, occupant spéciale¬
ment les deux régions temporales, doit être rapportée à l’action toxique de
l’hydrogène sulfuré. Cette action toxique s’observe dans plusieurs stations
où l’inhalation de ce gaz est en usage; elle pourrait avoir en certains cas,
des conséquences sérieuses; le médecin doit en être averti.
Parmi les affections tributaires des eaux d’Enghien, ou du moins parmi
celles que réclament plus instamment les médecins qui pratiquent près
de ce poste hydro-minéral, il faut placer les affections catarrhales des
différentes muqueuses. Le catarrhe, des bronches, qu’il soit proto-pa-
thique ou consécutif à une maladie aiguë, telle que la rougeole, la coque¬
luche, ou bien encore qu’il relève de quelqu’un de ces étals diathésiques
KODV. mcT. UÈD. El CUIB. XIII. — 21
522
ENGHIEN.
et notamment de l’ herpétisme, contre lesquels les eaux sulfureuses sont
indiquées, est au premier rang des inflammations des muqueuses'qui res¬
sortissent à la médication d’Engliien. 11 y a toutefois des réserves à établir,
ainsi que nous le verrons, relativement au traitement de la bronchite dont
l’existence se lie à celle de la tuberculose pulmonaire.
La chronicité ou, pour parler plus exactement, l’absence actuelle d’un
état aigu, est une condition importante de l’opportunité thérapeutique.
L’introduction de l’eau par les voies digestives , représente la base du
traitement, dont les bains sont un adjuvant utile, en produisant sur le té¬
gument externe, une dérivation qui s’exerce au bénéfice des muqueuses.
Ils sont d’autant plus indiqués, que les fonctions de la peau ont pu être
entravées par la .suppression d’anciennes éruptions ou par l’influence de
la diathèse rhumatismale.
Administrée de la manière qui vient d’être dite, l’eau d’Enghien,
après un temps variable, suivant les susceptibilités individuelles et la
façon dont le traitement est dirigé, amène l’amélioration ou la guérison
de l’état catarrhal. Celles-ci peuvent s’effectuer sans autre acte organique
appréciable que l’amendement des symptômes. D’autres fois, et plus sou¬
vent peut-être, on observe des phénomènes d’excitation qui se traduisent
d’abord par une sensation de sécheresse, de chaleur, de douleur même sur
le trajet du larynx, de la trachée, des bronches, et suivie d’une sécrétion
abondante de matières, muqueuses, transparentes, puis opaques, muco-
purulentes. Ce travail d’excitation qui est souvent la condition nécessaire
de la guérison, doit être surveillé. 11 peut prendre des proportions suffi¬
santes pour nécessiter la suspension du traitement minéral ou une inter¬
vention thérapeutique plus ou moins active.
L’adjonction de la pulvérisation à l’eau donnée en bains et en boisson,
concourt puissammeiat à modifier la vitalité de la muqueuse.
Il est permis de rapprocher, sinon sous le rapport de leurs causes et de
eur nature, au moins par leur localisation, V asthme et la coqueluche du
catarrhe bronchique. Bien que les observations de de Puisaye, relative¬
ment à ces deux maladies, ne soient pas encore en nombre suffisant, ainsi
qu’il est le premier à le faire remarquer, nous devons reconnaître qu’il
est parvenu, dans un certain nombre de cas, à en atténuer singulièrement
les symptômes. La salle de pulvérisation dans la coqueluche et dans
l’asthme, les douches révulsives dans l’asthme, lui ont été particulière¬
ment utiles. 11 a constaté qu’administrées en l’absence de l'accès, les dou¬
ches déterminent son apparition ; qu’elles en diminuent au contraire l’in¬
tensité ou même le font disparaître entièrement si on les donne lorsqu’il
est à son maximum d’intensité.
L’histoire nosologique et thérapeutique de la pharyngo-laryngite chro¬
nique, de l’angine glanduleuse (voy. art. Angine, t. Il), du coryza posté¬
rieur, voire même du catarrhe chronique ou ulcéreux, de l’ensemble de
fosses nasales, est unie à beaucoup de points de vue par des liens in¬
times à celle de la bronchite chronique. Aussi les eaux d’Enghien sont-
elles depuis longtemps en possession du traitement de ces affections. De-
ENGHIEN.
325
puis que des douches pharyngiennes à jet très-fin, des inhalations d’eau
pulvérisées qui agissent si directement, en ce cas, sur les organes ma¬
lades, ont été ajoutées à la médication par l’eau en boisson et en garga¬
risme, le chiffre des résultats favorables s’est élevé, et le traitement de
l’angine glanduleuse, est aujourd’hui une des spécialisations importantes
de cette station. Le traitement du coryza postérieur se confond le plus or¬
dinairement avec celui de l’angine glanduleuse ; celui de l’inflammation
des parties moyennes et antérieures des fosses nasales, peut réclamer en
outre l’usage d’irrigations continues à travers les cavités nasales avec de
l’eau sulfureuse pure ou mitigée , d’après un procédé que nous avons
décrit ailleurs. (Foî/.art. Coryza, t. IX, p. 556.)
Vient ensuite, mais sur un plan plus secondaire l’appropriation des
eaux d’Enghien, au catarrhe de différents autres organes.
Le catarrhe de la muqueuse utérine, quelle que soit sa cause, simple
ou accompagné d’un certain degré d’inflammation chronique du paren¬
chyme de la matrice, est parfois traité à Enghien. L’application des eaux
n’est pas sans donner des résultats favorables, mais les difficultés qui en¬
tourent la thérapeutique des affections utérines, près d’un grand nombre
de stations thermales se retrouvent ici. (Voy. ütértis.) Du reste, les mé¬
decins d’Enghien semblent réserver, au traitement hydro-minéral, le
rôle d’une médication surtout adjuvante des autres moyens thérapeutiques.
Nous trouvons le catarrhe vésical parmi les maladies qui peuvent être
heureusement modifiées à Enghien. Nous acceptons cette donnée, mais en
rappelant combien il faut se mettre en garde contre l’irritabilité de la
vessie dans cette maladie, et peut-être, lorsque la médication sulfureuse
est indiquée, accorderions-nous la préférence à des eaux d’une tolé¬
rance plus facile, telles que Olette, Molitg, la Preste.
Les dermatoses, avons-nous dit, forment un contingent considérable des
maladies adressées à Enghien. Cependant, ni la lecture des observations,
ni les faits acquis à la thérapeutique générale des maladies de la peau par
les eaux minérales ne justifient pleinement cette notoriété. Laissant de
côté les doctrines relatives à la pathogénie des maladies cutanées, et
faisant abstraction des syphilides, nous ferons remarquer, à un point de
vue tout pratique, que les dermatoses considérées dans leurs rapports
avec les eaux minérales peuvent être divisées en affections de peau pro¬
fondes, sèches, moins irritables, telles sont le lichen, le psoriasis; et en
affection plus superficielles, humides, essentiellement irritables, dont
l’eczéma est le type. Pour les premières, les eaux d’Enghien peuvent être
insuffisantes, et il peut y avoir lieu de leur préférer des eaux plus puis¬
santes, telles que Louesche, Schinznach.
L’eczéma, au contraire, réclame les plus grandes précautions ; il ne
doit être traité par les eaux sulfureuses que lorsque toute acuité a dis¬
paru, à la période squameuse; souvent encore, on voit survenir des re¬
tours de la maladie, qui, loin de se restreindre, comme on le croit trop
généralement dans des limites thérapeutiques, entraînent de véritables
rechutes et des aggravations regrettables.
324
ENGHIEN.
On irait au delà de noire pensée en croyant que nous nions d’une façon
absolue, l’utilité que peuvent présenter les eaux d’Enghien dans quelques
eczémas. Nous désirons seulement qu’on soit Lien en garde contre les in¬
convénients qu’elles peuvent avoir , et que la question d’opportunité
d’application soit étudiée avec tout le soin convenable. {Voy. Dartres,
t. X, p. 714.)
Quant au pityriasis versicolor, maladie parasitaire, liée à la présence du
microsperon fui'fur, inscrite sur les tableaux de guérison de de Puisayc,
elle disparaît trop facilement par les préparations sulfo-alcalines et les
bains sulfureux artificiels, pour qu’on ne comprenne pas les modifica¬
tions favorables que lui imprime l’eau d'Enghien.
Il n’est pas douteux que les affections diathésiques et leurs diverses
expressions ne soient avantageusement combattues par des eaux sulfureuses
d’une valeur thérapeutique très-formelle comme celles d’Enghien. Tou¬
tefois il ne faut pas oublier qu’à des affections qui étreignent aussi étroi¬
tement l’organisme que les diathèses, dont la portée pathogénétique est si
profonde, il faut opposer des médications essentiellement énergiques et ra¬
dicales. Sous ce rapport, les eaux sulfurées calciques sont inférieures aux
sulfurées sodiques, leur action est plus superficielle.
Ces réflexions s’appliquent particulièrement à la scrofule. Déjà en trai¬
tant de quelques stations sulfureuses sodiques, du groupe des Pyrénées,
nous n’avons pas dissimulé nos préférences pour les chlorures so¬
diques dans le traitement de cette diathèse. Elles subsistent tout entières
en ce qui concerne Enghien, tout en reconnaissant l’excellent parti qu’on
en peut tirer, lorsqu’on n’a pas le choix de la station, où l’on peut
adresser un malade. Le lymphatisme, simple prédisposition morbide,
simple acheminement à la diathèse scrofuleuse, est encore plus facilement
justiciable des eaux d’Enghien, bien que, ainsi qu’on en a fait la re¬
marque, il n’y ait pas de parité à établir entre l’habitation dans une cam¬
pagne aux environs de Paris et un séjour dans les Pyrénées.
Les tubercules pulmonaires et surtout le catarrhe bronchique qui s’y
rattache souvent et en est parfois la première et l’unique manifestation,
sont traités avec bénéfice parles eaux d’Enghien. Celles-ci ont d’autant plus
d’énergie, que la phthisie se trouve greffée sur une constitution scrofu¬
leuse ou lymphatique. De Puisâye insiste sur la convenance qu’il y a à
attendre la deuxième période de la tuberculose pulmonaire pour substi¬
tuer le traitement. Il redoute la période de début, celle des hémoptysies,
des bronchites aiguës en un mot, la période marquée pour les conges¬
tions actives initiales. L’eau est surtout administrée en boisson. Les demi-
bains, les douches révulsives sur les extrémités inférieures, ne doivent
pas être négligés comme moyens adjuvants ; ils sont utiles pour combattre
ou prévenir les phénomènes congestifs vers les organes thoraciques.
Au même titre, le séjour dans la salle d’inhalation, rend des services
en raison de l’action sédative de l’atmosphère d’eau pulvérisée sur la cir¬
culation. Cependant si les hémoptysies sont conjurées ou amendées par ce
procédé, la toux, loin d’être calmée, peut être augmentée, c’est là un des.
ENGHIEN.
325
inconvénients de la pulvérisation qui, d’ailleurs, d’après de de Puisaye,
ne produit dans le traitement de la phthisie, que des effets analogues à
ceux qu’on obtient par les anciens modes d’administration des eaux.
Le rhumatisme chronique sous toutes ses formes, dans toutes ses loca¬
lisations, à l’exception de celles qui se font vers les séreuses du cœur, les
arthropathies rebelles qui peuvent en être la conséquence aussi bien que de
la scrofule, fournissent aux eaux d’Engbien une source d’applications heu¬
reuses. Un rôle important est réservé dans ces affections, à la balnéation
et aux douches. H n’y a rien là, du reste qui diffère de ce qu’on obtient
par d’autres eaux sulfureuses auxquelles leur haute thermalité constitue
une supériorité marquée.
Malgré la présence de la lithine, il est vrai qu’il n’y en a que des traces,
ce que nous disons du rhumatisme 'ne doit pas être étendu à la goutte.
Les médecins d’Enghien en répudient le traitement. La médication hydro¬
minérale, n’a pas, d’après eux, d’action curative, et elle peut provoquer
l’explosion non-seulement d’accès de goutte articulaire, mais ce qui est
plus grave d’accès de goutte viscérale. Quelques observations de de Pui¬
saye sont concluantes à cet égard.
Les indications d’Enghien dans la syphilis ne diffèrent pas de celles des
autres eaux sulfureuses; elles sont relatives aux ressources adjuvantes que
les eaux minérales offrent à la médication spécifique lorsqu’elle devient
insuffisante ou difficilement tolérée par l’économie. Elles peuvent encore
s’adresser à des cas de diagnostic incerlain où le traitement thermal fait
apparaître des éruptions caractéristiques longtemps après l’époque à la¬
quelle elles devaient normalement se développer. Ce n’est pas le lieu
d’insister davantage sur l'importante question du traitement de la sy¬
philis par les eaux minérales. (Voy. art. Syphilis.)
Quant à la chlorose, aux anémies, à quelques névropathies inscrites sur
lalistedes maladies traitées avec succès à Enghien,ce n’est que dans des
conditions restreintes qu’elles doivent y être adressées. 11 n’est pas dou¬
teux que les qualités toniques de ces eaux ne puissent les rendre efficaces
dans les cas où ces affections sont greffées sur un organisme débilité
avec prédominance de lymphatisme ou do scrofule. Mais chez des malades
très-excitables, il faut leur préférer les eaux sédatives, peu minéralisées,
dites eaux indifférentes au point de vue chimique.
De celte étude, il ressort que les eaux d’Enghien répondent à la plupart
des besoins thérapeutiques auxquels satisfont un grand nombre d’eaux
sulfureuses. Le nombre peu considérable d’eaux minérales dans la région
qu’elles occupent, leur voisinage d’un grand centre de population les placent
dans une condition spéciale. Ellçs rendent de grands services à ceux
que des raisons d’intérêt ou de toute autre nature empêchent de quitter
Paris, et surtout aux malades que leur état empêche d’entreprendre un
voyage de quelque durée, celui des Pyrénées, par exemple. A côté de ces
avantages, il existe pourtant un écueil contre lequel il faut prémunir les
malades. Il est réservé au repos physique et moral, une part indéniable
dans les résultats du traitement thermal. Il faut s’élever contre cette pré-
326 ENTOZOAIRES.
teation de quelques personnes de se rendre journellement de Paris à
Enghien pour y suivre la cure. Plusieurs m’ont avoué que des tentatives
de ce genre exécutées par elles en dépit des conseils médicaux leur avaient
été plus nuisibles qu’utiles par suite de la fatigue qu’elles en éprouvaient.
L’eau d’Enghien transportée est l’objet d’une exploitation considérable.
D’après les recherches de Reveil, cette eau embouteillée d’après les pro¬
cédés perfectionnés aujourd’hui en usage et placée à l’abri de la lumière,
ne s’altère qu’après un temps assez long. Dans quelques circonstances
particulières, son degré sulfurométrique peut être augmenté, probable¬
ment par la transformation de sulfate dé chaux en sulfure de calcium au
moyen des matières organiques qui y sont accidentellement mêlées.
Une installation hydrothérapique importante est annexée à l’établisse¬
ment hydro-minéral.
'Dodlasd (Pierre), Etudes sur les propriétés physiques, chimiques et médicinales des eaux
d’Enghien. 1850.
De PuisAYE et Lecoste, Eaux d’Enghicn au point de vue chimique et médical. 1853.
Reveil, Analyse des sources du Lac, des Roses et Lévy {Annales de la Société d'hydrologie
médicale de Paris, t. XI, 1864-1865).
De Puisaye, De l’inhalation sulfureuse et de la pulvérisation dans le traitement des voies res¬
piratoires {Annales de la Société d'hydrologie médicale de Paris, t. XI, 1864-1865).
L. Desnos.
EimOTIEllIENT. Voy. Voix.
EBITÉRAEGIE. Voy. Intestin.
EIVTÉRÏTE. Voy. Intestin.
EIVTÉROTOMIE. Foî/. Anus contre nature, t. II, p. 702; Hernie
et Intestin.
El^TORSE. Voy. Articulation, t. Ill, p. 280.
ENTOZOAIRES. — Le terme Entozoaire, dans son acception la plus
générale et dans le sens propre du mot, devrait s’appliquer à tous les animaux
que l’on rencontre dans le corps de l’homme et des autres êtres qui s’en
rapprochent; c’est ainsi qu’il a été entendu par les anciens en opposition
aux Epizoaires comprenant les parasites extérieurs. Cette classification,
peu naturelle en ce qu’elle comprend sous une même dénomination des
animaux très-éloignés les uns des autres par leur organisation et qui
n’ont de commun que leur habitat, est généralement abandonnée; toute¬
fois, en en restreignant la compréhension, on se sert en médecine de ce
terme pour désigner l’ensemble des vers intestinaux du sous -em¬
branchement des Vers, Helmintha, qui se rencontrent chez l’homme et
les autres animaux. On en retranche donc les Œstres et les Linguatules
[voy. Parasites (animaux)] appartenant à l’embranchement des Annelés,
mais à la division des Annelés proprement dits.
Ainsi compris, les Entozoaires forment un groupe plus homogène, ca¬
ractérisé par l’absence de soies et de cils vibratiles, mais qui cependant
ENTOZOAIRES. — kem\toidea.
327
n’est pas parfaitement naturel et ne peut réellement être admis qu’au
point de vue restreint de la pratique médicale.
Les différents vers parasites de l’homme se rangent sous trois divisions
faciles à reconnaître, les Nematoïdes, dont le plus connu est l’Ascaride
lombricoïde, les Trésiatodes, comme la Douve du foie surtout fréquente
chez le Mouton, les Cestoïdes, dont le Taenia, Ver solitaire, peut être re¬
gardé comme le type. Le tableau suivant indique les caractères distinctifs
saillants de ces trois ordres.
Premier ordre. — Nematoidea.
Les Nématoïdes (vr,[;.a, fil ; etooç, forme ; Nematoidea, Rudolphi ; Vers
cylindriques à cavité viscérale, Moquin-Tandon) ; sont des Vers à sang
toujours incolore, sans soies, allongés, cylindriques, distinctement anne-
lés, à sexes séparés (excepté le Pelodites liermaphroditus A. Schn. pa¬
rasite de l’Escargot). Ce groupe a été subdivisé en plusieurs familles, dont
une seule, celle des Nématoïdes proprement dits, comprend des espèces
parasites de l’homme, les Gordiacés (Dragonneaux, Gordüis seta Millier)
n’ayant jamais été trouvés qu’accidentellement et parmi les Acanthocé-
phalés, l’Echinorhynque géant {Echinorhynchus gigas Gœze), qui en est
le type, étant propre au Porc domestique. Les Nématoïdes proprement
dits se distinguent des deux autres familles par leur tube digestif à deux
ouvertures.
L’organisation de ces Vers étudiée d’abord par Rudolphi, Cloquet, Du¬
jardin, etc., a été l’objet de travaux importants dans ces dernières années,
et l’on peut dire qu’à l’exception du développement, qui présente, au point
de vue des migrations, quelque obscurité, le reste de l’organisation est
suffisamment bien connu. L’Ascaride lombricoïde, comme le plus fré¬
quent, est celui que je choisirai pour donner une idée générale de l’ana¬
tomie de ces animaux.
Ce vers est médiocrement allongé, relativement à quelques autres Né¬
matoïdes voisins, la longueur étant à la largeur comme 50 ou 52 est à 1
(Dujardin), suivant les sexes. Le corps est régulièrement cylindrique,
atténué aux deux extrémités, tronqué antérieurement, en pointe à la
partie postérieure qui est cylindro-conique et droite chez la femelle, tandis
qu’elle est aplatie au côté ventral et recourbée chez le mâle, particularité
en rapport avec l’acte de la copulation. La couleur est d’un blanc rosé ou
jaunâtre, on remarque quatre lignes plus pâles équidistantes qui s’é¬
tendent de la partie antérieure à la partie postérieure. La peau est très-
distinctement et finement striée en travers et doublée de fibres musculaires
formant deux couches, une externe annulaire, l’autre, interne longitudi-
528
ENTOZOAIRES. — nematoidea.
nale, entremêlées d’un grand nombre de fibres obliques. L’appareil ner¬
veux se compose d’un anneau entourant l’œsophage d’où partent en avant
six nerfs et deux en arrière ; ces derniers se prolongent fort loin, sans
doute jusqu’à la partie caudale en suivant les deux lignes latérales. L’ap¬
pareil digestif commence à la partie antérieure par la bouche qui forme
la troncature signalée plus haut et se continue dans toute la longueur du
corps pour aboutir à un anus situé à la partie inférieure un peu en avant
de la pointe caudale. La bouche présente trois lobes arrondis, sortes de
papilles molles désignés par Dujardin sous le nom de valves, médiocre¬
ment grandes et surtout faciles à apercevoir quand on examine directe¬
ment de face l’extrémité antérieure de l’animal (fig. 40, 41), de ces
lobes, l’un est supérieur, les deux autres sont latéro-inférieurs ; en re¬
marquant par suite de cette disposition que la ligne pâle dorsale doit
correspondre au milieu du lobe supérieur, la ligne ventrale à l’intervalle
qui sépare les deux autres lobes, il est possible de mettre l’animal en po¬
sition. On doit remarquer que cette armature buccale met réellement les
ascarides dans l’impossibilité d’attaquer les tissus et de les perforer comme
on l’a à tort admis. La bouche conduit dans un" œsophage (fig. 29) mus¬
culeux un peu triangulaire, lequel débouche dans un tube gastro-intestinal
qui se continue sans dilatation ni changement notable de calibre, jusqu’à
la partie postérieure et vient s’ouvrir au dehors par l’anus dont on a plus
haut indiqué la position un peu en avant de la pointe caudale. Le sys¬
tème circulatoire décrit et figuré par Émile Blanchard dans une espèce
voisina, l’As, megalocephala, Cloquet, est peu distinct et très-rudimen¬
taire.
L’appareilde la génération est le plus développée! aussi le plus impor¬
tant à connaître. Les individus sontunisexués et assez différents d’aspects,
pour qu’on puisse aisément les distinguer par l’apparence extérieure. Les
mâles beaucoup moins nombreux et plus petits que les femelles, ont la
queue recourbée en crochet (fig. 28). Les organes génitaux se composent
d’un long tube testiculaire très-atténué à son extrémité profonde, qui est
en cul-de-sac simple, on peut souvent le voir au travers de la peau ; il
grossit progressivement pour atteindre un diamètre uniforme d’environ
0“““,5 qu'il conserve sur tout son parcours ; cet organe, replié autour
de l’intestin, remplit les deux tiers postérieurs du corps, sa longueur
est considérable, mais difficile à apprécier d’une manière absolue par
suite de la quasi-impossibilité qu’on éprouve à le développer d’une
manière complète. Ce tube se rend à la partie postérieure du corps
dans un organe de même forme, mais d’un beaucoup plus grand dia¬
mètre ; c’est un réservoir spermatique atténué en arrière, et se conti¬
nuant dans les organes copulateurs, qui sortent par l’ouverture anale.
Ceux-ci se composent de deux pièces cornées, spiculés (fig. 28), aplatis,
un peu courbes, longs d’environ 2 millimètres, contenus dans une gaîne
musculaire; un seul de ces spiculés est creux et constitue réellement le
pénis, c’est par lui qu’est versé le sperme, l’autre sert l’organe d’adhé¬
rence au moment de la copulation et doit être regardé comme l’homo-
ENTOZOÂIRES. — nematoidea.
529
logue dégradé des appareils désignés sous le nom d’armures
qui, chez les Insectes en
particulier, atteignent un
si haut degré de complica¬
tion. M. Anton Schneider
a aussi indiqué sur la face
ventrale, aplatie, de petites
papilles et une très-petite
bourse, peut-être une ven¬
touse, qui sont également
sans doute des organes
d’adhérence.
L’appareil femelle (fig.
29) a, pour l’aspect et la
composition, des rapports
très -frappants avec celui
qu’on vient de décrire ,
seulement les organes sont
doubles dans les parties
profondes. Il y a deux tu¬
bes ovariens, grêles, ter¬
minés en cul-de-sac à leur
partie profonde, excessi¬
vement longs, contournés
irrégulièrement autour de
l’intestin, comme l’était le
testicule ; ils sont aussi
ordinairement visibles au
travers de la peau sur cer¬
tains points chez l’animal
frais. Ces ovaires se diri¬
gent en avant pour abou¬
tir à deux réservoirs ayant
environ la moitié de la lon¬
gueur du corps de l’ani¬
mal, et qui résultent de la
dilatation graduelle du
tube ovarien sans qu’il y Fi„ 28. — Ascaris lombricoides (mâlp). a, Têle. —
ait brusque changement Extrémité caudale (elle est figurée g rossie au-dessous
J J. ° , avec les deux spiculés sortis). — c, c', L’intestin enlevé
de diamètre comme cela entre ces deux points pour montrer les reçlis multipliés
a lieu dans les rapports du tube testiculaire s’insérant en cf sur le réservoir sper-
du testicule avec le reser- pjg. 29. — ^scam lombricoides (femelle). — a, Tête avec
voir spermatique ; les œufs trois valves buccales. — b, Extrémité caudale en avant
, ^ ^ J de laquelle se trouve l’anus — c. Vulve. — d, d. Deux
S accumulent dans ces ^Jes lignes latérales. — c, e, Tultes ovariens refdiés un
deux poches , désignées nombre de fois autour du tube digestif se_ dilatant
V ’ i> - remon'jint en avant pour former les deux utérus qui
êOUS le nom a. utérus. se réunissent en un court canal avant d’aboutir à la vulve.
330
ENTOZOAIRES. — nematoidea.
Enfin ces organes se réunissent sur un conduit commun, long de
10 à 20 millimètres, infundibuliforme, s’ouvrant à l’extérieur par
un orifice très-petit, vulve, situé sur la ligne ventrale, vers la réu¬
nion du tiers antérieur aux deux tiers postérieurs du corps dans
V Ascaride lombricoide dont il est ici question, cette position va¬
riant beaucoup suivant les espèces et donnant de bons caractères dis¬
tinctifs.
La fécondation est copulative comme l’indique anatomiquement la
disposition des organes. Le mâle place sa partie postérieure en regard
de la vulve en l’enroulant autour du corps de la femelle la courbure de
sa partie caudale, son aplatissement ventral (un grand nombre d’espèces
sont en outre pourvues de prolongement latéraux qui augmentent cet apla¬
tissement), les papilles, la ventouse, le spiculé plein introduit dans les
organes femelles, favorisent et assurent l’adhérence. On n’a point de
données sur la durée de l’accouplement, ni non plus sur le fait de sa
multiplicité, un mâle devant peut-être féconder plusieurs femelles, c’est
au moins ce que fait supposer la différence de nombre des individus de
chaque sexe, les premiers étant près de dix fois moins fréquents que les
secondes. Cependant il faut avoir égard à ce fait que la génération pourrait
peut-être avoir lieu par parthénogenèse sans le concours du mâle,
comme peuvent porter à le faire croire les observations faites sur quel¬
ques animaux voisins tels que le Rhabditis tm’icoZa, Dujardin. (Ferez,
1866.)
Les produits des organes génitaux, soit mâles, soit femelles, pren¬
nent naissance dans l’extrémité profonde des culs-de-sac testiculaires ou
ovariens, sous forme de cellules si semblables entre elles dans leur as¬
pect, qu’il est absolument impossible, en ce point, de distinguer les pro¬
duits de l’un et de l’autre sexe. C’est en cheminant dans les tubes que
ces cellules se développent, sè complètent, pour donner naissance,
d’une part, aux cellules-mèreS des spermatozoïdes, d’autre part, aux
ovules.
Les éléments mâles des nématoïdes offrent une apparence extérieure
tout à fait exceptionnelle, comparés à ce qu’ils sont chez la grande majo¬
rité des animaux; au lieu d’être composés d’une tète globuleuse, munie
d’un prolongement caudal ou d’un filament, et d’être doués de mouve¬
ments vibratiles, ce sont de simples cellules qui se meuvent lentement à
la manière des Amibes.
L’œuf (fig. 42) est ovoïde, entouré d’une substance albumineuse
irrégulièrement distribuée autour de l’enveloppe propre et teintée, comme
les fèces, par les matières contenues dans l’intestin. L’enveloppe propre,
débarrassée de cette couche albumineuse, ou l’œuf pris dans les organes
génitaux femelles est lisse ; la présence de ces corps dans les excréments
fournit un bon élément de diagnostic, les diverses espèces offrant, sous le
rapport de la forme et des dimensions des œufs, des différences faciles à
apprécier.
Les œufs pondus et rejetés hors de l’intestin sont doués d’une résistance
ENTOZOAIRES. — nematoidea. 351
vitale extrême à toutes les causes de destruction. Les recherches de diffé¬
rents helminthologistes montrent que le développement se fait à l’extérieur
dans les endroits humides. Le vitellus subit ordinairement un fraction¬
nement dans sa totalité (fig. 30), cependant il paraît y avoir quelques
Fig. 30. — Développement de V Ascaris lombficoides. — a kk, Fractionnement.
— l k O, Formation de l’embryon. — ji, Le petit sorti de l’œuf.
exceptions; lorsqu’à la suite de ce travail le vitellus est revenu à son état
d’homogénéité, l’embryon s’y dessine par une sorte de fente découpant
la masse et représente à l’état imparfait, mais d’une manière reconnaisr
sable, la forme de l’adulte. Ce développement s’effectue, au moins dans
le cas particulier de l’observation avec une extrême lenteur; l’embryon
peut rester sous son enveloppe pendant plus d’un an. Chez d’autres
Nématoïdes le développement et l’éclosion ont lieu dans le corps de la
mère, c’est-à-dire qu’il y a ovoviviparité ; c’est ce qui a lieu pour la Tri¬
chine et la Pilaire.
Le mode de propagation de ces vers en général est encore peu connu,
et ce .sujet, qui paraissait fort bien élucidé il y a quelques années, devient
plus obscur depuis la connaissance d’un certain nombre de faits démontrant
chez ces êtres des migrations qu’on était loin de soupçonner. On admet,
en ce qui concerne V Ascaris lombricoides, que les œufs rejetés avec les
matières fécales sont entraînés par les pluies dans les cours d’eaux, les ci¬
ternes, les puits, etc., où l’embryon achèverait son développement, restant
sous la coque de l’œuf jusqu’à ce que celle-ci fût dissoute lors de son
332
ENTOZOAIRES. — nematoidea.
introduction dans le tube digestif avec les boissons. La remarque que les
Ascarides sont plus fréquents dans les campagnes que dans les villes, dans
les lieux où on n’a pas l’habitude de filtrer les eaux à boire , vient à
l’appui de cette opinion ; mais on peut dire que la preuve complète est
encore à faire.
En admettant la réalité de ce développement, on voit que l’animal
adulte habiterait en parasite l’intestin, s’y reproduirait, mais à l’état
embryonnaire serait libre. L’inverse a été observé; ainsi les embryons de
petits nématoïdes, les Mermis, nés d’œufs déposés dans la terre humide,
pénètrent, après leur éclosion, dans le corps de certains insectes pour y
achever leur développement en dehors il est vrai de l’intestin , car ils se
trouvent alors entre les muscles ou les organes dans la cavité viscérale ;
puis les animaux adultes sortent au bout d’un certain temps pour s’ac¬
coupler dans le sol et y déposer de nouveau leurs œufs.
Enfin, dans un Ver parasite de certains animaux domestiques et de
l’homme, la Trichine, on observe une nouvelle combinaison dans les
différentes stations, cet être, à l’état adulte comme à l’état de larve, pou¬
vant habiter un seul et même hôte, mais dans des points différents. Les
individus mâles et femelles complets se trouvent dans le tube digestif, c’est
là qu’a lieu l’accouplement et la ponte. Le développement- et l’éclosion
se font avec rapidité, les embryons libres percent les parois intestinales
et, remontant dans le tissu cellulaire le long des vaisseaux, se rendent
dans les muscles, s’enkystent à l’état encore imparfait, attendant qu’une
circonstance favorable les ramène dans les organes digestifs, où l’ac¬
tion des sucs intestinaux les met en liberté. Ils achèvent alors de com¬
pléter leur organisation, deviennent sexués et le cycle recommence. On
peut, artificiellement, faire parcourir ces différents stades sur une seule
et même espèce ; ainsi, en infectant des rats ou des cochons d’Inde, on
peut reprendre la chair de ceux-ci, et, l’introduisant dans d’autres
individus, reproduire la maladie. Dans la nature c’est le plus souvent à
une autre espèce que sont pris les embryons; ainsi les porcs en parti¬
culier, qui deviennent fréquemment trichineux dans certaines contrées,
les prendraient, a-t-on dit, des rats qui eux-mêmes seraient atteints en
mangeant les issues des abattoirs. Pour l’homme, les observations ont
péremptoirement démontré que l’infection avait lieu par la chair du
porc.
Les vers nématoïdes en définitive ne paraissent pouvoir se développer
qu’en subissant des migrations moins compliquées peut-être que celles
des Cestoïdes, comme on le verra plus loin, mais absolument du même
ordre.
Les Nématoïdes de l’homme appartiennent à sept genres et, avec
les douteuses, comprennent une dizaine d’espèces ; le tableau suivant en
fera reconnaître la disposition et les principaux caractères zoologiques. On
a supprimé toutefois le Spiroptera hominis qui, suivant une remarque de
M. A. Schneider dont il sera fait mention plus loin, ne peut plus être
admis comme espèce réelle.
ENTOZOAIRES. — nematoidea. 335
Les caractères sont tirés surtout dè la disposition des organes génitaux
mâles, tantôt le pénis est placé tout à fait à la partie postérieure du corps
{Acrophalli, fig. 36 d) ou un peu avant celle-ci à la partie ventrale
{Hijpophalli, fig. 28); il peut y avoir des organes de copulation affectant
la forme de cupules ou de pinces, le pénis accessoire destiné à faciliter l’ad¬
hérence lors du coït manque parfois, enfin le mode d’armature de la bouche
varie et peut être employé pour la distinction. Il faut avouer que l’appré¬
ciation de ces caractères est difficile et a suitout le grave inconvénient
de faire entrer pour une grande part l’étude des mâles qui sont précisé¬
ment les individus qu’on rencontre le moins, mais chez tous ces animaux
le plan d’organisation est si homogène, l’apparence exléiieure offre de si
minimes différences qu’on est forcé pour les distinguer de descendre
dans les détails les plus minutieux. Dans la pratique médicale, il peut
être utile, pour reconnaître les espèces, de suivre une autre marche
et d’avoir recours à la considération du lieu où se rencontrent ces
Yers; un second tableau indique cet habitat, je dois faire observer
qu’on n’y a pas fait figurer deux espèces problématiques marquées
chacune d’un point de doute dans le premier tableau. Ces c'iiactèi'es
empiriques, joints à la considération de la taille, permettent facile¬
ment la détermination. Je ferai encore remarquer que, dans le pre¬
mier tableau, plusieurs genres sont placés en raison de caractères
empruntés à des espèces étrangères à l’homme, car, par exemple,
pour ce qui concerne les Pilaires les mâles nous sont encore in¬
connus, dans les deux espèces citées.
TABLEAU I.NDIQUAKT
LES CARACTÈRES
VERS MÉMATÛÏDES
Aschïlostomum Dubini.
1. A. duodenale Du-
Strongïlus Müller. ,
2. S. gigas Rudolphi.
3. S. longevagina-
tus Diesing ?
Tricbocephalos Gœze.
i. T. Rudolphi.
Tbicbina üwen.
5. T. spiralis Owen.
Ascaris Linné.
6. A. lumbricoides L.
7. -^.ato«Bellingbam?
OxTOBis Rudolphi.
8. 0. vermicularis h.
Filaria Müller.
9. F. medinensis L
10. F. oculi Ivumani
Nordmann. .
334
ENTOZOAIRES. — nematoidea.
TABLEAB INDIQUANT t’ HABITAT DES PBINCIPADX VEES NÉMATOÏDES
OBSERVÉS CHEZ l’hOMME
Ascaris lumbricoides. 6
Anchylostomum duo-
de,mle i
] le cæcum . Trichocephalusdispar. 4
I le rectum . Oxyuris vermicularis. 8
I les reins . Strongylus gigas. 2
lie tissu musculaire. . Trichina spiralis (état
1 embryonnaire). S
hors du tube digestif. ( , gous-cutané. Filaria medinensis. 9
I cellu- I sous-con-
I laire 1 jonctival. . Filaria oculi humani. 10
Genre Anchtiostomim. — Vers Nématoïdes, régulièrement cylindriques, ayant la bouche
armée et soutenue par un appareil corné denté; chez le mâle, une cupule caudale, soutenue
par des rayons de son centre, sort un pénis double très-long.
Genre établi en 1843 par M. Dubini et ne comprenant jusqu’ici qu’une seule espèce.
1. ANCHYLOSTOMD.M DüODENALE, Dubini. — Ce veFs (fjg. 31 et 52), dé¬
couvert en Italie en 1843, a été retrouvé depuis en Égypte (Bilharz et
^ ^ Griesinger), en Islande (Es-
chricht), à Mayotte (Grenet,
Monestier) ; il est long de 5
à 13 millimètres, les femelles
sont très -peu plus grandes
que les mâles. La tête est ar¬
rondie, séparée du corps par
un léger étranglement for¬
mant une sorte de cou ; la
bouche, obliquement placée
à la face inférieure du corps,
est soutenue par une sorte
d’appareil corné de nature
chitineuse, denté surtout en
bas où l’on distingue quatre
saillies nettes; cette armature
p^^ g2 buccale, caractéristique de la
. ... ^ famille des Sdérostomidés,
Fig. ol. — Anchylostomum duodenale mêle. — A, De ... , . • j
grandeur naturelle. — B, Le même grossi; a, extré- indique la supériorité de ces
milé céphalique ; 6, extrémité caudale. — C, Extré- êtres SUr les autres Néma-
mite caudale fortement grossie pour montrer la dispo- _ L’extrémité posté-
sition de la cupule et des rayons qui la soutiennent. . . , -i
„ .... AT, rieure du corps chez le male
Fig. o2. — Anchylostomum duodenale femem. — A, De , j-, .. ^ ,
grandeur naturelle. — B, La même grossie ; a, extré- GSt dilatée en une CUpulemem-
mité céphalique ; b, extrémité caudale; c, orifice vul- braneuse soutenue par des di-
vaire. - C, Extrémité céphalique fortement grossie ijations au nombre de Onze,
pour montrer la disposition de 1 armature buccale. o >
dont une médiane impaire,
plus grosse et bifurquée; c’est un appareil d’accouplement, du milieu
duquel sort un pénis long, double, terminal. La femelle, au contraire,
ENTOZOAIRES. — mematoidea. . 335
est atténuée en arrière, la vulve se trouve située un peu au delà du milieu
du corps.
Ce vers habite le duodénum de l’homme, je l’ai rencontré également
chez un gibbon. Il se trouve fixé sur de petites papilles' ecchymoïiques
produites sans doute par la succion de son appareil buccal ; sa fréquence
paraîtrait jusqu’ici plus grande dans les pays chauds, mais il est pôssible
que sa petitesse seulement l’ait dérobé à l’observation. On lui a attri¬
bué dans ces derniers temps les désordres observés dans la maladie
connue sous le nom de mal de cœur, cachexie africaine, opilaciôn, dirt-
eatings. (Grenet et Monestier ; Wucherer.)
Nous ne possédons aucun renseignement sur la forme et le volume des
œufs, non plus que sur les migrations de ce parasite.
Genre Strongtlus. — Vers Nématoïdes, régulièrement cylindriques, à bouche inerme,
pourvue de simples valves; chez le mâle, une cupule caudale, arrondie, avec ou sans
rayons; de son centre sort un pénis simple avec [Strongylus Diesing, char, emend.) ou
sans (Eustrongylus Diesing) gaine.
Genre établi par Millier, en 1788, pour deux espèces qui en ont été retranchées
pendant longtemps, mais, dans ces 'dernières années, M. Anton. Schneider lui a rendu
sa véritable signifieation en y faisant rentrer l’animal type. Les deux genres dans lesquels
l’a démembré M. Diesing méritent ’ d’être admis, cependant, au point de vue médical et
pour ne pas multiplier les subdivisions, je crois pouvoir le conserver tel que l’avait limité
Rudolphi. 11 renferme une trentaine d’espèces qui .habitent différents organes,. rarement
l’intestin, des Mammifères et dés Oiseaux.
2. Strongylüs GiGAs, Rudolphi (Strongle géant; Eustrongylus gigas ,
Diesing). — Ce vers, dont l’épithète exprime fort bien le caractère le
plus frappant, est en effet le géant de tout le groupe, cette parti¬
cularité aussi bien que son habitat, ne pouvaient manquer de le signaler
depuis longtemps à l’attention des médecins, Blasius (1674) paraît être
l’un des premiers qui en ait fait mention. Les femelles peuvent atteindre de
20 centimètres à 1 mètre de long sur 4 à 12 millimètres de large, et les
mâles (fig. 33) de 14 à 40 centimètres sur 4 à 6 millimètres. La forme
est assez régulièrement cylindrique, atténuée à l’extrémité antérieure.
Celle-ci présente six nodules de petite dimension (fig. 54, a) au centre
desquelles se trouve la bouche. L’ouverture anale est placée tout à fait à
l’extrémité terminale du corps. La couleur est rougeâtre.
Le mâle est pourvu à la partie postérieure d’une cupule d’adhérence
(fig. 34, b) membraneuse, non festonnée, ni soutenue par des rayons ;
de son centre, sort un pénis simple sans gaîne. Ce sont ces caractères de
la cupule et l’absence de gaîne du pénis qui ont engagé Diesing à former
de cette espèce et de quelques autres présentant les mêmes particularités,
le genre Eustrongylus.
La femelle a la partie postérieure du corps simple, la vulve est située
très en avant vers le point où cesse l’œsophage. Les œufs (fig. 35) sont
ovoïdes lisses mesurant 0““,075 sur 0'”“,040 de large.
Ce nématoïde, dont l’existence chez l’homme n’est pas parfaitement dé*
montrée, bien que très*probable, a été rencontré chez un très-grand
ENTOZOAIRES.
KEMàTOlDEA.
nombre d’animaux : plusieurs espèces de chiens domestiques ou sau¬
vages, le glouton, différentes martres, le phoque, le cheval. Il habite
ordinairement le rein
Idont il détruit la sub¬
stance, est-ce active¬
ment, est- ce par sa
seule présence? c’est
ce qu’on ne sait pas
d’une manière posi-
lon- tive.
Comme pour le vers
dû précédent, on ignore
s encore le mode de pé¬
nétration dans l’éco¬
nomie; on sait cependant, par les récentes recher¬
ches de, Balbiani (1869), que le développement est
54. — Slrongylm
■ a, Extrémité céph
>nt les six nodules qi
bouche. — b, Exti
concentré
ullus apparent. {D/
lent et que le petit doit probablement subir des mi-
grations plus ou moins compliquées avant de par¬
venir dans son hôte définitif.
KfduU , Stroxgylüs LONGE vaginatos, Diesing. (Strofigle
au tiers environ de la à longue gaîne) . — Cette seconde espèce n’est connue
grandeur naturelle. q^g fPaprès un cas observé en Transylvanie, à Ciau-
diopolis, par Jorlsits, qui en trouva plusieurs dans
le parenchyme des poumons d’un enfant de six ans, les échantillons re¬
cueillis furent remis à Rokitansky. D’après la description de Diesing, ces
vers sont longs de 12 à 14 millimètres pour les mâles, les femelles attei¬
gnent 26 millimètres, leur couleur est d’un blanc grisâtre, la bouche est
pourvue de 4 à 6 papilles. L’extrémité du corps chez le mâle présente une
cupule membraneuse bilobée, chacun des lobes étant soutenu par trois
rayons ; le pénis est enveloppé par une gaîne composée de deux valves et
si développée, qu’elle atteint à peu près la moitié de la longueur du corps ;
ces caractères font rentrer cette espèce dans le genre Strongylus propre-
ENTOZOAffiES.
«EMATOIDBA.
337
ment dit, tel qu’il est limité par l’auteur précité. Chez la femelle, la partie
postérieure est au contraire atténuée, l’ouverture vulvaire se trouve pla¬
cée un peu au-dessus de l’extrémité caudale.
Ces nématoïdes seraient vivipares.
Genre Trichocephalüs. — Vers nématoïdes, filiformes en avant, renflés brusquement en
arrière ; à bouche inerme ayant les valves peu saillantes ; chez le mâle une cupule cyâ-
thiforme simple, de son centre sort un pénis simple.
Genre établi en 1804 par Gœze, et comprenant une dizaine d’espèces exclusivement
propres aux mammifères dont elles habitent le tube digestif.
4. Trichocephalüs dispar, Rudolphi (Trichocéphale de l’homme). ~
C’est à Rœderer et Wagler (1761) qu’est due la connaissance de cette es
pèce, fort commune d’ailleurs, mais que sa petitesse et son innocuité ont
toujours fait négliger. Sa forme singulière (fig. 36, a, b) ne permet de la
confondre avec aucune autre, les
deux tiers ou les trois cinquièmes
antérieurs sont amincis, filifor¬
mes, tandis que la partie posté¬
rieure est renflée, cylindrique;
pour le mâle, la longueur totale
est de 37 millimètres, dont
22 millimètres formant la partie
atténuée; celle-ci, chez la fe¬
melle, peut aller jusqu’à 33 mil¬
limètres, le corps entier mesu¬
rant 50 millimètres ; la largeur
de la partie dilatée varie, suivant
les sexes, de 0““,5 à 0“““,7;
Fis. 36. — Tnc/iocephalus di$par. — a, Mâle de
grandeur naturelle. — h, Femelle de grandeur
naturelle. — c, Extrémité céphalique grossie, mon¬
trant la petitesse des valves buccales. — d. Extré¬
mité caudale du mâle grossie. — e, Œuf.
antérieurement , elle n’atteint
guère que 0'“'“,15 à 0“'“,20. La couleur du corps est brunâtre, les stries
très-fines qui l’ornent sont fort nettes, on observe une bande longitu¬
dinale chargée de petites papilles bien visibles lorsqu’on examine l’ani¬
mal de côté. La bouche nue, c’est-à-dire à valves peu marquées ou nulies,
conduit dans un œsophage ovoïde auquel fait suite un intestin rappelant
par sa forme celle du corps, c’est-à-dire dilaté seulement en arrière, l’anus
est terminal.
Chez le mâle, la partie postérieure du corps (fig. 36, d) est fortement
tordue en spirale formant deux ou trois tours. De sa partie terminale
sort un prolongement épineux, évasé à sa partie libre en une cupule du
centre de laquelle sort un pénis corné droit représentant le spiculé creux
des Ascarides.
Les femelles ont la partie renflée simplement courbée, la vulve est
placée au point de jonction de la partie filiforme avec la portion posté¬
rieure, elle conduit à un oviducte charnu dans lequel débouche un
ovaire simple, contrairement à ce qui a lieu chez bon nombre de néma¬
toïdes, en particulier chez Y Ascaris lombricoides, dont la description a
XIII. — 22
338 ENTOZOAIRES. — kematoidea.
servi de type. La forme des oüufs (fig. .57), qu’on rencontre très-fré¬
quemment dans les matières fécales, est des plus caractéristiques : ils sont
sont ovoïdes allongés mesurant
0“‘“,053 sur 0“‘“,24 et présen¬
tent, aux extrémités du grand
axe, deux renflements en bou¬
lon, particularité tout à fait spé¬
ciale à ce vers parmi ceux qui
se trouvent également chez
l’homme.
Les Trichocéphales se ren¬
contrent dans le cæcum, souvent en très-grande abondance sans qu’il
paraisse en résulter aucune incommodité pour celui qui en est porteur.
Rudolphi en a trouvé fOOO sur une femme; en examinant les matières
fécales chez un grand nombre d’individus, M. Davaine aurait vu des
œufs dans la moitié des cas au moins. On a admis qu’il était plus fré¬
quent chez les individus atteints de fièvre typhoïde, mais il est plus que
])robable que s’ils ont alors été plus souvent observés, cela tient à ce que
dans ce cas on examine le tube intestinal avec plus d’attention que dans
beaucoup d'autres maladies.
Nous ne possédons sur les migrations de ce vers, qui habite également
l’intestin de plusieurs espèces de singes et peut-être celui du porc (Gre-
plin), aucune indication ])récise.
Genre Triciiina. — Vers nématoïdes, régulièrement cylindriques ou se renflant progres¬
sivement et régulièrement d’avant en arrière, à bouche inerrae, sans valves appréciables;
chez le mâle, une pince copulalrice, pas de spécule pénial.
Genre établi en 1835 par Owen et comprenant peut-être un assez grand nombre d’es¬
pèces, mais la seule bien étudiée jusqu’il i est la Trichina npiralis de l’homme et de
quelques Vertébrés à sang chaud.
5. Trichina spiralis, Owen (Trichine spirale). — C’est de toutes les es¬
pèces de Nématoïdes la plus tristement célèbre et elle a donné lieu dans
ces dernières années à un nombre considérable de travaux d’une très-
grande importance. Elle fut décrite pour la première fois en 1835, par
Owen, sur des échantillons qui lui furent remis par Wormald et Paget ; on
ne connaissait alors et l’on ne connut pendant longtemps que les individus
incomplètement développés, enkystés dans le tissu cellulaire des muscles
de la vie animale et certains auteurs les regardèrent même comme l’état
jeune du Trichocephalus dispar (Küchenmeisler, Weinand, Leuckart) . mais
les études ultérieures faites par Virchow, Leuckart lui-même, Pagenste-
cher, Zenker, ont démontré que cette opinion n’était pas exacte et qu’il
fallait y voir une espèce bien distincte.
A l’état adulte (fig. 38), qu’on observe rarement parce qu’il est en
quelque sorte transitoire et ne dure que jusqu’au moment de la ponte, ces
vers sont allongés, cylindro-coniques, atténués en avant; les mâles sont
longs de d à 3 millimètres, les femelles atteignent de 2 à 5 millimètres;
ENTOZOAlPiES. — jüematoidea.
559
ils sont blanchâtres, transparents. Le tube digestif peu visible et couvert
de granulations, commence par une ouverture buccale simple et présente
une ampoule termi¬
nale.
Le mâle se recon¬
naît facilement à la
présence d'une sorte
de pince charnue,
pince copulatrice, pla¬
cée à la partie posté¬
rieure du corps,
les deux branclr
lacpudlc se trouve une
cupule servant aussi
d’organe d’accouple¬
ment comme la pince
elle -meme suivant
loulc vraisemblance.
Ordnùpz a signalé
pénis terminal, mais
cet auteur ne parait
avoir observe que dos
individus incompléle-
rnont développés ; le
testicule est simple
dans un vagin étroit ;
on peut distinguer dans les parties profondes un utérus, un oviducte
et un ovaire placés à la suite l’un de l’autre. La seconde de ces parties
forme un tube étroit, tandis que les deux autres sont dilatées. Ces ani¬
maux sont vivipares.
11 serait fort utile de pouvoir reconnaître la présence de la trichine à
l’étal adulte, sa position dans le tube digestif la rendant alors plus acces¬
sible à nos moyens thérapeutiques, tandis qu’une fois dans ses migrations
ou enkystée elle échappe jusqu’ici à notre action. Malheureusement c’est
sous ce dernier état qu’on l’observe en général. On trouve alors de pe¬
tits kystes ovoïdes de0““,8àl millimètre sur 0'““,5 renflés en boutons
340
ENTOZO AIRES. — hematoidea.
aux extrémités du grand diamètre, formés d’une matière transparente,
mais douée d’une grande râs*atance à l’action des réactifs, de manière à
former pour l’animal inclus un abri
contre les différentes causes de des¬
truction ( fîg. 39 ) . Le petit qui
s’y trouve renfermé a l’apparence
d’un petit ver blanchâtre , long de
0““,8 à 1 millimètre, large de
0“‘“,008 à0““,020, se renflant as¬
sez régulièrement d’avant en ar¬
rière. On reconnaît fort bien dans
sa cavité viscérale la position et la
forme de l’appareil digestif, mais
les autres organes ne sont pas en¬
core développés; cependant, d’a¬
près Ordonez, il serait possible dès
cette époque de reconnaître les
sexes, les mâles présentant un pénis
terminal (?), tandis que les femelles
offrent, vers la partie moyenne du
/àra-a embryon- cbrps, un amas granuleux qui, sui-
iscie (cubital anté- yant cet auteur, serait le rudiment
yste de Trichines - 2, Poyaire.
fste grossi 20 fois conte- • . Vt- i
icaire. — 4, Kyste conte- Un a VU, aux généralités sur les
5, Trichine grossie 200 Nématoïdes, les migrations de ce
(D’après Richaud Oweh.) ver, 1 uu des mieux etudies SOUS ce
rapport, et sur lequel on peut dire
qu’il nous reste peu à apprendre, car l’animal a été suivi pas à pas
dans sa marche compliquée. Le développement complet de l’embryon
parvenu dans le tube digestif et débarrassé de son enveloppe sous l’ac¬
tion des sucs intestinaux, demande environ deux jours; au sixième
jour on rencontre des femelles contenant des petits. Ceux-ci une fois
en liberté, après avoir traversé les parois intestinales, cheminent le
long du mésentère. On estime qu’au bout de quatorze jours il sont déjà
enkystés.
Les Trichines, en cet état, se trouvent dans tous les muscles rouges, à
l'exception du cœur ; c’est particulièrement par les muscles du tronc,
diaphragme et muscles intercostaux, par la langue, que l’enkystement
paraît débuter. On remarque également que, dans les muscles des mem¬
bres, le lieu d’élection est le point rapproché de l’insertion tendineuse, ce
qui est peut-être en rapport avec la proximité des gaines de tissu lami-
neux, voie qui semble être celle par laquelle progressent ces vers. Pour
l’homme, il n’est pas douteux que l’infection n’ait toujours été causée, dans
les cas observés, par l’ingestion de viande de porc trichinée. Cet animal
paraît, en effet, un terrain très-favorable au développement de ces Néma-
toïdes, et Leuckart estime que 4 grammes de chair infectée peuvent
ENTOZOAIRES. — nematoidea.
341
renfermer, dans certains cas, près de 40,000 kystes. On n’est pas aussi
assuré du moyen d’introduction chez le porc lui -même; on avait cru
d'abord que cela était dû aux vers de terre (Langenbeck), à l’usage de la
betterave comme nourriture (Stein); il y a eu là confusion évidente avec
d’autres Nématoïdes qui n’ont aucun rapport avec les Trichines. L’opinion
qui attribue le fait aux rats, animaux fort avides de chairs, et chez lesquels
l’affection se développe avec beaucoup de facilité, paraîtrait plus pro¬
bable, si l’on remarque également que les porcs se montrent très-friands
de ces rongeurs, mais on doit dire que jusqu’ici, à l’état sauvage, ces
derniers ne paraissent que rarement atteints de la trichinose.
Ce Némaloïde, considéré pendant longtemps cômmé'Tôrt raéè, paraît
beaucoup plus fréquent qu’on ne l’avait cru; il a été observé dans un
grand nombre de pays, mais particulièrement en Allemagne, où l’usage
lie la viande crue est assez habituellement usité dans l’alimentation. C’est
là qu’ont eu lieu les épidémies les plus considérables ; cependant on en a
observé également des faits en Angleterre, en Amérique, en Suisse, dans
les Indes. Il est probable que sa présence passe souvent inaperçue, cai
lorsque les Trichines nées dans l’intestin sont en nombre peu considé-
l’able, les désordres qu’elles causent sont assez peu importants pour ne
pas éveiller l’attention, et les animaux qui en sont porteurs n’en éprou¬
vent que peu ou pas d’incommodité; dans ce cas, la guérison spontanée
peut se produire, les embryons enkystés meurent au bout d’un certain
temps et ne tardent pas à subir la transformation crétacée.
Genre Ascaris. — Vers nématoïdes, régulièrement cylindriques, à bouche inerme,
pourvue de trois valves plus ou moins saillantes; extrémité caudale du mâle simple ou
ornée de prolongements latéraux soutenus ou non par des rayons chitineux, pénis subter-
niinal, double.
Genre établi en 1767 par Linné, et qui comprenait 'a cette époque à peu près tous les
vers nématoïdes connus; malgré les démembrements qu’il a subis, il renferme encore ün
nombre considérable d’espèces (174 d’après Diesing, avec les espèces douteuses) qu’on
rencontre chez beaucoup de Vertébrés, peut-être chez quelques Mollusques, dans le tube
digestif principalement.
6. Ascaris lombricoides, Linné (Ascaride lombricoïde. Ver lombric des
enfants, vulg. Lombric). — Ce Nématoïde ayant servi de type pour la
description du groupe, je renvoie
aux généralités pour les détails,
me bornant à rappeler ici les ca¬
ractères spécifiques de ce ver, ob¬
servé le plus fréquemment et
connu de toute antiquité.
Sa taille varie, suivant les sexes,
de 10 à 30 centimètres; le rap-
port de la longueur
est environ de un à cinquante ou
cinquante-deux. L’ouverture buc¬
cale présente trois valves saillantes bien visibles (fig. 40 et 41); l’ou
verture anale est placée avant la terminaison du corps.
_ Extrémité cé- Fig. 41. — Bouche
la largeur phahque de V Ascaris àeV Ascaris lombri-
lombricoides fortement coides grossie, vue
grossie, vue de côté. de face. '
342 ENTOZOAIRES. — nematoidea.
Le mâle, plus petit que la femelle, est un peu courbé en arrière sur
sa partie ventrale (fig. 28) , qui est aplatie ; l’ouverture où débouche l’anus
donne en même temps passage à deux spiculés cornés de 1 à 2 millimètres
de long; la femelle est simplement atténuée en arrière, la vulve s’ouvre
vers le tiers antérieur (fig. 29). En ce point existe, sur une longueur de
quelques millimètres, un léger rétrécissement qui paraît toutefois man¬
quer dans un grand nombre de cas. Les œufs, longs de 0“"“,075, larges
de 0““,058, sont arrondis et entourés d’une matière albumineuse teintée
par les sucs intestinaux; cette enveloppe leur donne un aspect bosselé
(fig. 42).
On suppose que le dévelop¬
pement se fait à l’extérieur et
que les embryons sont avalés
avec les boissons, mais la preuve
directe n’a pas encore été don¬
née.
L’Ascaride lombricoïde est le
a, GrossHOT fois. — b, Grossi 340 fois. plus Commun des vers intesti¬
naux de l’homme, ses dimen¬
sions empêchant qu’il échappe à l’examen même le plus superficiel ;
on le rencontre surtout chez les enfants, mais aussi chez l’adulte et
le vieillard. Il existe parfois en nombre considérable, et les auteurs
rapportent des cas où un malade, dans un temps variable, a pu en éva¬
cuer plusieurs centaines (500, cas de Brassavole ; 2,500, cas de Petit).
C’est dans l’intestin grêle qu’habite normalement ce ver, mais on le
voit parfois remonter dans l’estomac, l’œsophage, la bouche, les na¬
rines, descendre dans le gros intestin; dans ces différents cas, il ne
tarde pas à être évacué; on l’a de plus rencontré également à l’état
erratique dans une multitude d’organes : le pancréas, le foie, l’oreille,
les voies lacrymales, la trachée, les poumons, enfin dans le péritoine. Ces
dernières observations ont fait'supposer que ces nématoides étaient capa¬
bles de percer l’intestin et de causer ainsi des désordres graves; on peut
se convaincre que l’armature buccale explique mal cette perforation
active, et comme dans presque tous les cas rapportés il s’agit de fièvres
typhoïdes, de péritonites tuberculeuses, on doit admettre que la perfora¬
tion intestinale ayant été produite par la maladie, c’est plus tard que les
Ascarides s’y sont engagées. Ceci s’explique d’autant mieux, qu’aussilôt
après la mort le refroidissement graduel du cadavre, peut-être d’autres
causes, comme l’inertie des intestins, la cessation delà circulation, pa¬
raissent gêner ces vers qu’on voit s’agiter et chercher à s’échapper; c’est
au moins ce qu’on peut observer sur des animaux récemment tués, comnae
les chevaux chez lesquels une autre espèce du même genre, l’Ascaris me-
galocephala (Cloquet), est très-fréquente et très-abondante.
L’Ascaride lombricoïde se rencontre encore chez le porc, au moins la
plupart des auteurs (Diesing, Schneider) n’admettent pas la distinction
que Dujardin a cru devoir établir entre l’Ascaris suilla et celui qui nous
ENTOZOAIRES. — nematoidea. ô45
occupe ici. Bremser l'a rencontré également dans le bœuf; est-ce bien la
même espèce?
7. Ascaris ALATA (Bellingham). — Ce Nématoïde est des plus douteux,
il n’a été observé qu’une fois en Irlande par
Bellingham (1844), et n’a pas été retrouvé depuis.
Cet auteur a décrit deux femelles longues de
88 millimètres , larges de l'““,05 en avant, de
1““,57 en arrière, caractérisées par la présence
à l’extrémité antérieure infléchie de deux ailes
membraneuses longues dc3““,16 élargies en ar¬
rière, de sorte que l’ensemble a une forme trian¬
gulaire. Cette description se rapporte si exacte¬
ment, sauf le très-léger renflement postérieur,
à V Ascaris mystax (Zeder) (fig. 43) des chats,
qu’il est difficile de ne pas croire, avec Dujardin
et M. Cobbold, que c’est le même animal.
Diesing émet l’opinion qu’on pourrait avoir af¬
faire là à un Ascaris îombricoicles dont l’épiderme
de la tête aurait été accidentellement soulevé,
cette particularité s’observe en effet assez fré¬
quemment sur presque tous les Nématoïdes, mais
la description est réellement trop précise pour
qu’on puisse croire qu’on ait commis cette erreur.
L’ Ascaris alata habiterait l’intestin de l’homme;
comme il n’a pas été observé de nouveau depuis Fi®- 45. — Ascans myuao
Bellingham, malgré les nombreuses recherches il“6*’îufemèil7— cTexI
faites dans tous les pays par un grand nombre pansions aiiformes de i’ex-
d’helminthologistes , on ne peut le porter que trémité antérieure, vues de
sous toute réserve au catalogue des vers para vTs bLeLs!)^* (Gervais et
sites de l’homme.
Genre Oxüris. — Yers nématoïdes, régulièrement cylindriques ou légèrement atténués
en arrière chez les femelles; extrémité caudale du mâle simple, un seul pénis subter-
Genre établi en 1819 par Rudolphi pour certains vers appartenant précédemment au
genre Ascaris; on en compte une dizaine d’espèces qui habitent surtout le gros intestin
de quelques Mammifères, on en a signalé également chez certains reptiles et un in¬
secte.
8. OxYORis vERMicüLARis, Brcmscr [Ascaris vermicularis Linné, vulg.
Ascaride). — L’Oxyure vermiculaire, l’un des plus petits des vers de
l’homme, est cependant l’un de ceux qui cause les désordres les plus ap¬
préciables, et cette raison peut faire supposer que c’est bien lui qu’Aristote
désigne sous le nom d”Aay.ap':S£ç, en opposition aux vers ronds, nom qui
se rapporte sans doute à l’Ascaride lombricoïde. Linné réunissait ce vers
aux précédents dans le genre Ascaris, et cette opinion a été reprise par
quelques helminthologistes modernes (Diesing), il est même probable que
c’est à cette espèce que songeait l’illustre naturaliste en adoptant le dérivé
344
ENTOZOAIRES. — nematoidea.
du verbe làwapîÇstv, sauter, qui convient jusqu’à un certain point à la vi¬
vacité de l’Oxyure que nous examinons souvent dans ses conditions nor¬
males et doué d’une grande vivacité, tandis que l’Ascaride lombricoïde
n’est guère jamais vu qu’à l’état inerte soit rejeté naturellement, soit sur
le cadavre déjà froid.
Ce Nématoïde (fig. 44) est long de 2““,5 à 5™“,4 pour les mâles qui
sont très-rares peut-être à cause de celte
petitesse qui les dérobe aux regards ; les
femelles, au contraire, atteignent 9 à
10 millimètres, sur une largeur de 0““,5 ;
les premiers sont obtus postérieurement
et plus ou moins tournés en spirale, les
secondes, au contraire, sont atténuées en
pointe et droite; c’est donc à elles que fait
allusion le nom de genre (c?àç, aigu ; cùpâ,
queue) . La tête est ornée de deux ailes arron¬
dies, surbaissées, qui, pour la plupart des
auteurs, ne sont que la vue en coupe d’un
bourrelet transparent, régnant tout autour
Fig. U. — Oxyuns vemiculans.— ggjfg partie du corps. La bouche porte
а. Male de «{randeur naturelle- — . . i «i i V- , \
б, Femelle de grandeur naturelle— trois nodules faiblement accuses ; apres un
c, Fortion céphalique grossie mon- œsophage court, se voi t une véritable dila-
trant les prolongements aliformes tation stomacale, suivie d’un intestin qui se
latéraux. — d, Portion caudale du „ , , . ... , ^
mâle grossie, montrant la terminai- renfle a la partie posteneure du corps en
son obtuse et la forme recourbée.— une ampoule rectale. Par analo<rie, on sup-
g^os^fe''. - Æt pose que le mâle ne doit présenter qu’un
spiculé comme les espèces du même genre,
mais en réalité sa petitesse et sa rareté font que le fait n’a jamais été
bien observé. Chez la femelle la vulve se trouve vers le quart antérieur
du corps et conduit dans un va¬
gin court et qui paraît d’autant
plus étroit, que les utérus sont
énormément dilatés, les ovaires
■sont aussi remarquablement peu
allongés. Les œufs retirés de l’u¬
térus n’ont que 0‘”“,053 de long
sur 0'"“,028 de large, la coque est
lisse et leur forme ne permet de
les confondre avec ceux d’aucune autre espèce, car ils ne sont pas symé¬
triques, l’un des côtés présente un aplatissement (fig. 45).
Le développement et les migrations de ces vers nous sont inconnus, il
est possible que la propagation ait lieu sur place, c’est-à-dire que les œufs
se développent là même où vivent les parents. Des observations portent
également à admettre qu’on peut être atteint de ce parasite par la cohabi¬
tation avec un individu infecté ; ce vers se trouvant à l’état normal,
presque à l’extérieur du corps, dans le rectum et entre les plis de la
Fig. 45. — Œuf de VOxyuris vermicularis. —
a, Grossi 70 fois. — b, Grossi 340 fois.
545
ENTOZO AIRES. — nematoidea.
marge de l’anus, on comprend qu’il puisse passer facilement d’individu à
individu, soit par des échanges de vêtement, soit et c’est ce qui a lieu le
plus ordinairement lorsqu’on partage le même lit. Dans ce dernier cas, les
circonstances sont d’autant plus favorables, que les Oxyures sont surtout
actifs le soir, ce qu’indiquent suffisamment les démangeaisons incom-r
modes ressenties à cet instant par les malades, douleurs provoquées sans
doute par les mouvements de ces petits vers. Lorsqu’on les observe sur
les excréments fraîchement rendus, les Oxyures s’agitent avec une très-
grande vivacité, mais leur activité décroît au fur et à mesure du refroi¬
dissement; il est donc possible que ce soit à la chaleur du lit qu’il faille
attribuer leur activité vesprine.
On rencontre, comme je viens de le dire, les Oxyures dans la partie
tout à fait terminale du tube digestif; il est très-douteux qu’on les ait ob¬
servés, commeon l’a dit, dans l’estomac (Brera, Franck); à l’état erratique
ils ne sont malheureusement pas rares dans les parties avoisinant l’anus,
par exemple les organes génitaux surtout chez les petites filles et le prurit
qu’ils excitent, peut consécutivement amener de fâcheuses complications.
Genre FiLARtA. — Vers nématoïdes, régulièrement cylindriques, à bouche inerme, ayant
les valves plus saillantes; extrémité caudale du mâle simple, un seul pénis suLterminal.
Genre éiabli par Millier et comprenant une soixantaine d’espèces, mais bon nombre mal
connues ; on les rencontre chez différents Vertébrés, quelques Mollusques, toujours en
dehors du tube digestif.
9. Filaria medinensis, Gmelin [Gordius medinensis Linné ; Dragon¬
neau, Ver de Médine ou de Guinée). — Les désordres bizarres et apparents
causés par ce Nématoïde, ne pouvaient manquer d’attirer sur lui l’atten¬
tion et il en est fait mention d'après Agatharchide par Plutarque, mais
l’éloignement des régions où ce
ver se rencontre a été cause que
pendant longtemps les observa¬
tions ont été mises en doute jus¬
qu’à ce que des faits parfaitement
suivis, même dans nos climats,
fussent venus en confirmer la réa¬
lité.
Sous le point de vue anatomi¬
que, la connaissance de laFilana
medinensis laisse beaucoup à dé¬
sirer, on ne connaît que les fe¬
melles et encore à un état de dé¬
veloppement trop avancé pour
qu’on en ait pu examiner l’orga¬
nisation. Ce qui frappe le plus
dans cet animal, c’est sa longueur
démesurée, il atteint souvent 3 et 4 mètres, sur 1 millimètre de large, on
en a observé cependant qui n’avaient que 50 centimètres, ce qui donne
Fig. 4ü. — Coupé en travers du corps de la Filaria
medinensis grossie 20 fois. — a, a, La peau. —
b, b, Masses musculaires longitudinales formées
de fibres aplaties, longitudinales, insérées à la
peau comme des feuilles au dos d’un livre. —
c, c, Deux lames musculaires minces offrant une
disposition de cellules à noyau revêtant les té¬
guments dans l’intervalle des masses muscu-
iaires longitudinales. La portion des téguments
revêtue par cette lame apparaît extérieurement
comme deux lignes larges longitudinales plus
foncées. (Davaike.)
346
ENTOZO AIRES.
NEMATOIDIÎA.
toujours pour les deux dimensions le rapport 1 : 500 au moins ; ce ca¬
ractère joint au siège, ne permet pas dans la pratique de le méconnaître.
La couleur est Olanche avec deux lignes opposés plus transparentes, ce qui
est dû à la disposition des fibres musculaires ; celles-ci (fig. 46) forment
deux faisceaux épais, longitudinaux, séparés par deux coucïies minces de
même nature. On distingue en avant une bouche simple et l’extrémité
postérieure, un peu atténuée en pointe, est légèrement crochue. La peau
et les couches musculaires circonscrivent une cavité centrale dans
_ laquelle on n’observe aucune trace d’organes di¬
gestifs ou génitaux et qui est remplie par une ma¬
tière crémeuse, blanchâtre, exclusivement formée
de jeunes embryons en nombre incalculable.
Ceux-ci (fig. 47) ont été parfaitement étudiés
par M. Robin (1854). Ils mesurent 0“““,75 à
0““,76 de long sur 0"”“,01 de large ; le corps fine¬
ment strié, est atténué antérieurement, la bouche
présente des valves à peine visibles, l’anus est
suivi d'un prolongement caudal remarquablement
aminci, qui fait près du tiers de la longueur totale.
La Pilaire de Médine se rencontre dans le tissu
cellulaire sous-cutané, surtout au membre infé¬
rieur; d’après un relevé de 172 cas fait par
Grégor, ce vers aurait été rencontré 124 fois aux
pieds, 53 fois aux jambes, 11 fois à la cuisse,
_ 2 fois au scrotum, 2 fois aux mains. On Ta d’ail-
Fio. 47. — Füaria medi- leurs observé dans beaucoup d’autres parties du
net^ (à l’état embryon- corps, mais très-rarement. C’est dans les contrées
rodt’^u^de^t^pt'^sMs chaudes exclusivement, qu’il se rencontre à l’état
doute après la sortie de normal ; les quelques cas observés en Europe l’ont
l’œuf.— B, Individu eten- toujours été sur des individus revenant de pays
du. — a. Portion cepha-
lique. b, Anus situé OU il est endemique ; dans ces pays meme, il pa-
vers le point de réunion paît affectionner Certaines localités, ainsi dans les
caudal?^ portion Bombay, où cette affection est fré¬
quente , les habitants de l’île de Coulabah qui
n’en est qu’à une petite distance, n’en sont pas atteints. Un autre fait
d’une grande importance est aussi le rapport qui paraît exister entre le
développement épidémique de cette maladie et certaines circonstances
climatériques. Lors de l’expédition envoyée en 1820, dans leCordofan,
par Méhémet-Ali, le docteur Maruchi n’observa aucun cas de Pilaire de
Médine pendant les deux premières années, mais la troisième, à la suite
de pluies très-abondantes, une épidémie si violente de ces animaux se
déclara que le quart des soldats en était atteint, lui-même en fut atta¬
qué sur vingt-huit points du corps.
De ces faits il est permis de conclure que les migrations de la Pilaire de
Médine doivent être fort analogues à celles des Mermis dont j’ai parlé
dans les généralités. (Voy. p. 332.) On peut conjecturer que, par les
ENTOZOAIRES. — hematoidea.
347
abcès auxquels donnent lieu les femelles adultes logées sous la peau, les
petits embryons qu’elles contiennent sont expulsés au dehors où ils con¬
tinuent leur développement à la faveur de l’humidité ; les expériences de
M. Robin ont démontré que les petites Pilaires possèdent la propriété de
réviviscence, comme les rotifères, les tardigrades et tant d'autres animaux
inférieurs dont la liste grossit tous les jours, c’est-à-dire que desséchés
depuis plusieurs heures et même plusieurs jours, ils reprennent toute
leur activité dès qu’ils se trouvent de nouveau humectés. Cette observa¬
tion fait comprendre l’importance du fait j’apporté par le docteur Ma-
ruchi. Quant à la voie par laquelle pénètrent ces animaux, d’après le lien
d’élection sur les membres inférieurs et la fréquence d’autant plus
grande, qu’on se rapproche plus des extrémités, on peut croire que,
comme pour les Mermis, la pénétration doit se faire directement au tra¬
vers de la peau dans laquelle s’insinuent les embryons. Certains auteurs
prétendent cependant que l’infection a lieu par les boissons, mais en l’ab¬
sence d’expériences directes, les faits parlent moins en faveur de cette
hypothèse que de la précédente. Une fois dans les tissus, le développement
de l’animal marche sans doute avec une grande lenteur, c’est ce qu’on
peut croire d’après la longueur du temps qui sépare le moment où l’in¬
fection prohahle a eu lieu de celui où la maladie est confirmée par
les symptômes classiques, c’est-à-dire la présence du ver plein d’em¬
bryons sous la peau. Ainsi, il est bien connu des médecins militaires des
régions équatoriales, que les soldats ne sont attaqués de la Pilaire que deux
ou trois ans après leur séjour dans les pays chauds, d’autres observations
faites à bord d’un navire qui avait seulement touché dans un pays où cet
helminthe est endémique et sur lequel on n’a vu l’affection éclater dans
l’équipage qu’au bout de plusieurs mois (8 mois 1/2, peut-être 4 mois.
Obs. de Paton) viennent à l’appui de cette idée. (Davaine.)
L’accouplement des Pilaires a-t-il lieu à l’extérieur du corps pendant la
vie errante de ces animaux dans les endroits humides, ou bien lorsqu’ils
pénètrent sous la peau? C’est ce qu’il est impossible de décider, la com¬
paraison avec les Mermis est en faveur de la première hypothèse, c’est
évidemment la plus vraisemblable. Une fois arrivé sous la peau, l’animal
continue son évolution. Comme chez bon nombre d’autres Némato'ides, la
production des petits a lieu en si grand nombre qu’ils atrophient, font
disparaître, peut-être dévorent, les organes de la mère, et celle-ci réduite
à ses enveloppes cutanées n’est plus qu’une sorte de Sac contenant les
embryons, c’est sous cette forme seulement que la Pilaire de Médine nous
est connue à l’état adulte.
En général, les désordres causés par ce Nématoïde sont moins graves
qu’on ne pourrait le penser : la plupart des individus affectés ne paraissent
en souffrir que comme d’une incommodité gênante, et la mort ne sur¬
vient que chez les individus déjà affaiblis par des maladies antérieures.
Lorsque, dans les manœuvres qui ont poûr but d’extraire ce ver et qui
consistent, après en avoir saisi un fragment par une incision cutanée, à
l’enrouler avec précaution autour d’un objet cylindrique, il arrive qu’on
548
ENTOZOAIRES. — kematoidea.
rompt le corps, le fragment qui reste se retire plus profondément, les em¬
bryons se répandent dans les tissus et il en résulte des phlegmons, qui peu¬
vent ne pas être sans gravité, mais il ne faut voir là que les effets de corps
étrangers dont l’organisme veut se débarrasser, les petites Pilaires causent
peut-être par leurs mouvements quelque irritation, en tout cas elles sont
certainement incapables de subir leur évolution à cette époque et n’ont
jamais produit de nouveau l’infection, ce qui confirme les vues générale¬
ment admises sur les migrations de cet helminthe.
10. Filaria ocüia homani. — Je crois, à l’imitation de M. Davaine, devoir
réunir ici sans noms spécifiques, plusieurs vers bien distincts par leur
siège au point de vue médical, mais qui zoologiquement sont trop mal
connus pour être différenciés non-seulement entre euK, mais même de
l’espèce précédente. L’une a été rencontrée dans le cristallin et a été ap¬
pelée par Diesing Filaria lentis, la seconde mieux connue surtout depuis
les travaux de Guyon, a reçu de cet auteur le nom de Filaire sous-conjonc-
tivale, sous toute réserve d’ailleurs, les détails anatomiques manquant,
cet auteur est porté avec assez de raison à regarder cette espèce comme
n’étant qu’un état jeune de la Filaire de Médine.
La Filaire sous-conjonctivale habite, comme son nom l’indique, dans le
tissu cellulaire qui sépare la conjonctive de la sclérotique; la transparence
de la première membrane permet d’étudier ses mouvements et de la voir,
suivant les cas, avancer ou reculer. La longueur peut être assez grande et
aller jusqu’à 15 centimètres. Ces vers sont très-minces, et, en l’absence
de détails réellement satisfaisants sur leur structure intime, ce caractère,
joint à l’habitat, engage à les faire rentrer dans le genre Filaria.
Cet helminthe n’a d’ailleurs été observé jusqu’ici que dans les contrées
où la Filaire de Médine est endérnique ou sur des personnes venant de
ces mêmes contrées.
Spiroptera homikis Rudolphi. — Si je fais mention de cette espèce
déjà indiquée avec doute par Rudolphi, c’est pour exposer les raisons
qui doivent définitivement la faire rayer du catalogue des helminthes
de l’homme. Ce ver fut observé par Barnett, à Londres, sur une jeune
fille de vingt-quatre ans, qui les rendit par les urines; il semble¬
rait même, d’après l’observation, qu’une partie au moins d’entre eux
(cette femme en expulsa plus de 1,000) furent rendus sous les yeux du
médecin lui-même. Trois fioles contenant des échantillons furent en¬
voyées à Rudolphi; celui-ci ne reconnut cependant avec certitude des vers
intestinaux que dans une d’entre elles, les autres lui parurent contenir
des agrégats fibro-albumineux (concrementa lymphatica) . Dans ces der¬
nières années, Anton. Schneider (1865) eut l’occasion d’examiner ces mê¬
mes pièces; les vers lui ont paru devoir être rapportés à un Nématoïde que
l’on rencontre fréquemment enkysté dans différentes parties de la cavité
viscérale des poissons, la Filaria piscium Rud. Dans un des autres flacons
se trouvent des corps arrondis qu’on peut rapporter avec toute certitude
à des œufs de poissons; enfin le troisième renferme des filaments allongés
indéterminables. Ces vers n’ayant pas été rencontrés depuis l’observation
ENTOZOAIRES. — trematoda.
349
de Barnett, le Spiroptera hominis doit, très-probablement, être relégué
avec les nombreux cas d’belminthiasis simulés par lesquels trop souvent
la bonne foi des médecins a été surprise.
Second ordre. — Trematoda.
Les Trématodes (Tpîip.a, trou, Trematoda Rudolphi) sont des Vers apla¬
tis, ordinairement courts (la longueur iTétant le plus souvent égale qu’à
cinq ou six fois la largeur), à peau nue, sans soies., ni cils vibratiles,
non distinctement annelés, pourvus d’organes d’adhérence ou ventouses
eu nombre variable, ayant un tube digestif à une seule ouverture, les
sexes réunis (quelques exceptions, voy. Gynæcophorus hæmatobius). Ce
groupe a été regardé par Rudolphi comme de valeur égale à celui des
Nématoïdes. Aujourd’hui beaucoup d’auteurs le rapprochant des Hirudi-
nées et des Cestoïdes, entre lesquels les êtres qui y rentrent forment une
transition très-naturelle, les réunissent en un seul grand ordre des Co-
tylidés. (Van Beneden.)
Leur aspect extérieur les avait fait depuis longtemps distinguer, mais
c’est seulement dans ces dernières années que les travaux de Siebold,
Blanchard, Van Beneden, etc., ont bien fait connaître leur organisa¬
tion , beaucoup plus compliquée qu’on n’aurait pu le supposer, eu
égard à la dégradation de ces animaux. La peau est excessivement
mince, réduite à une fine cuticule, privée de soies et de cils vibratiles;
ce dernier caractère peut servir à les distinguer des Planaires, avec
lesquelles ces vers ont de grands rapports. Sous cette cuticule existe
une sorte de parenchyme dans lequel se trouve superficiellement des
fibres musculaires difficiles à reconnaître, et dont la disposition n’est pas
encore parfaitement connue. Plus profondément on voit les différents
organes digestifs et génitaux plongés dans ce même parenchyme sans
qu’on puisse distinguer de vide constituant une cavité viscérale. Il existe
parfois à la surface du corps des appareils à fibres musculaires rayon¬
nantes et concentriques qui servent d’organes d’adhérence en agissant
comme ventouse; la Douve du foie (fig. 52) en présente une sur la
partie ventrale, assez près de l’extrémité antérieure; il peut y en avoir
davantage, comme dans le Polystoma integerrimum Rud. de la Grenouille
rousse.
Le système digestif (fig. 48) communique avec l’extérieur par un
orifice entouré de fibres musculaires, formant la ventouse orale, organe
d’adhérence comme ceux dont je viens de parler. La similitude entre ces
appareils est telle, que les anciens anatomistes, les confondant, avaient
pris chacun d’eux pour une véritable bouche, ou tout au moins les regar¬
daient comme perforés en leur centre, d’où les noms de Monostomes, de
Distomes, de Tristomes, de Polystomes, etc., qu’ils ont donnés aux
différents genres ; cette manière de voir est tout à fait erronée ; la ven¬
touse orale seule est réellement ouverte. On peut la comparer à la ventouse
céphalique des Hirudinées, tandis que les autres sont assimilables à la ven¬
touse caudale de ces dernières; leur emploi pour la progression çst d’ailleurs
350
ENTOZO AIRES. — trematoda.
absolument le même. La bouche conduit dans un œsophage tantôt allongé,
tantôt globuleux, et, dans ce cas, pourvu de fibres musculaires Irès-
développées. Le tube digestif
se divise ensuite en deux bran¬
ches constituant \' estomac,
lesquelles s’étendent jusqu’à
l’extrémité postérieure, où
elles se terminent, en cul-de-
sac; ordinairement ces bran
elles stomacales sontsimples;
dans la Douve du foie, par
exception, elles sont rarni-
liécs, c’est-à-dire que les deux
grands culs-de-sac présen-
lent des diverticulums laté¬
raux subdivisés eux -mêmes
(lig. 52).
On remarque dans toute
l’ctenduedu corps un système
de canaux ramifiés {i, k, h,
d’abord très-fins, se réunis¬
sant ensuite progressivement
sur des troncs plus gros à la
manière d’un réseau vascu¬
laire. Ces vaisseaux, pourvus
intérieurement de distance en
distance de long cils vibrati-
les ou fouets vibratiles qui
favorisent le mouvement du
liquide, sont disposés symé¬
triquement de clia pie côté
du corps, et le dernier gros
tronc {Kj finit par se rendre à
pUCer la figure). — e, Cul-de-sae terminal de l’esto- l’extrémité caudale dans une
mac. — g, Orifice de la vésicule pulsatile. — k. Canal
commun sur lequel se réunissent les canaux ramifiés.
— i, k, l, Système des canaux ramifiés (ceux du côté
gauche ont été enlevés). — m, n, Vitellogène. — O,
Vitelloducte. — p, Germigène se continuant .dans le
Germiducte pour se réunir en g au Vitelloducte. —
vésicule pulsatile animée de
mouvements rhythmiques ;
cette vésicule communique
avec l’extérieur à la partie
r. Poche copulatrice. — s, Oviducte. — t. Utérus, postérieure du COrpS (g).
— «.Vagin. Testicules.— Kl, Canaux déférents, m . . „ été rp-
Vésicule séminale.-*, Pénis. (D’après VAN appareil a ete re-
Beneden.) gardé par les uns comme
étant l’analogue du système
vasculaire (Blanchard), d’autres y voient un système d’excrétion (van
Beneden), il est possible qu’il cumule ces deux fonctions (Milne Edwards).
En tout cas on est porté à le regarder comme l’homologue du système
des vaisseaux rouges des Hirudinées.
351
ENTOZOAIRES. — trematoda.
Mais de tous les appareils, les plus complexes sont certainement les
appareils de la reproduction ; ceux de l’un et de l’autre sexe sont réunis
sur le même individu, mais, étant parfaitement distincts, ils peuvent être
étudiés isolément. .
L’appareil mâle se compose de deux testicules en forme de réservoirs
arrondis (r), dans lesquels se trouvent des spermatozoïdes filiformes, puis
viennent deux canaux déférents (w) se dirigeant d’arrière en avant pour
se réunir dans une vésicule séminale (æ, y). Celle-ci, à parois souvent
épaisses et musculeuses, se continue en un tube susceptible de se retour¬
ner en doigt de gant pour constituer le pénis (;j) ; sa surface interne
qui, par conséquent, devient externe au moment de l’érection, est sou¬
vent garnie de petites épines, organes d’adhérence lors du coït.
Les organes femelles, dans leur partie profonde, comprennent un
vilellogène (m, n) formé de deux masses étendues longitudinalement de
chaque côté du corps, réunies par une communication transversale, vi-
telloducte (o), ce qui donne à l’ensemble assez exactement la forme d’un
H; on trouve ensuite un germiyène, vésicule arrondie (p), qui, par un
court canal germiducte, vient se réunir sur le vitelloducte. La matière
qui remplit le vitcllogène est granuleuse, opaque, aussi apparaît-elle sur
l’animal, vu par transparence, comme une masse noire, on admet qu’elle
représente le vitellus nutritif; le germigène, qui renferme de petites cel¬
lules nucléées, donnerait la partie germinative de l’œuf. Après leur réu¬
nion, les organes profonds se continuent en avant, et un canal oviducte
(s), qui présente très-près de son origine une dilatation, poche copula-
trice (r), où est déposé le sperme lors de l’accouplement, plus loin il
s’élargit considérablement, surtout à l’époque de la reproduction, pour
contenir les œufs qui s’y accumulent en nombre considérable, on lui
donne en ce point le nom d'utérus (t); enfin l’extrémité de ce tube, ou le
vagin (u), vient s’ouvrir à l’extérieur, très -près et en arrière de l’orifice
mâle.
Voici comment on interprète le rôle physiologique de ces différentes
parties. D’après les faits positifs que l’on a pu observer, l’accouplement
exige le concours de deux individus : l’hermaphrodisme n’est donc pas
complet. Il paraît prouvé qu’au moment du rapprochement sexuel il y
a fécondation réciproque et simultanée et l’on a admis que pour l’intro¬
mission des pénis dans les vulves, les deux Trématodes devaient se pla¬
cer l’un en face de l’autre en position renversée, la tête de l’un dirigée
vers l’extrémité caudale de l’autre, c’est ce que semble indiquer la posi¬
tion des orifices génitaux ; mais d’après les faits observés sur les Sangsues,
les Planaires, et même un Trématode, le Diplozoon, chez lequel l’accou¬
plement est en quelque sorte permanent par suite de la soudure des deux
individus qui a lieu à ce moment, il est plus que douteux que ce fait, si lo¬
gique en apparence, soit cependant exact. En même temps, dans les organes
femelles, l’ovule formé par le germigène est, au sortir du germiducte, en¬
touré du vitellus nutritif qu’apportent les vitelloductes, c’est à ce moment
qu’a lieu, à proprement parler, la fécondation, la poche copulatrice ver-
552 ENTOZO AIRES. — trematoda.
sant. au fur et à mesure du passage des œufs, le sperme qui y a été
déposé. Plus tard se forme la coque fournie par les parois de roviducte
et les œufs complets s’accumulent dans l’utérus. Ces œufs (fig. 55) sont
généralement ovoïdes; lors de la maturité il se sépare chez beaucoup d’es¬
pèces un segment de la coque qui se soulève comme une sorte de couvercle,
laissant une ouverture par laquelle se fait la sortie de l’embryon ; on peut
effectuer expérimentalement cette division en faisant agir sur les œufs pris
dans l’utérus différents réactifs, particulièrement la potasse caustique.
Le développement des Trématodes qu’on rencontre dans l’espèce hu¬
maine ou chez les animaux voisins, en particulier celui de la Douve du
foie, nous est fort incomplètement connu ; mais pour d’autres espèces,
comme, par exemple. Distomes de quelques oiseaux d’eau, Distoma mi-
lilare du canard, les migrations et les transformations ont été étudiées
avec grand soin et fort bien décrites dans les tra¬
vaux de Siebold et surtout de van Beneden. On sait
qu’au sortir de l’œuf, le petit embryon affecte la
forme d’un petit vers (fig. 49) (Redia des anciens
auteurs ; Proscolex van Beneden) qui se meut dans
l’eau à la manière des infusoires au moyen de cils
vibratiles dont son corps est couvert. Ces êtres se
tiennent habituellement à la surface de la peau de
certains mollusques aquatiques, lymnées oii pla-
norbes. Bientôt apparaît dans leur intérieur un corps
d’abord arrondi, puis ovoïde, enfin prenant la forme
d’une masse allongée terminée par trois prolonge¬
ments dont un médian plus développé rappelle une
queue, tandis que les latéraux très-courts semblent
être des sortes de membres avortés; cet animalcule a
^'iâ ^Fas~ indépendants de l’embryon cilié qui
(D’aprèriEucKAM^^^ lui a donné naissance par bourgennement et dans le¬
quel il est contenu ; il devient libre après la mort et
la destruction du proscolex et nage, au moyen de son prolongement cau¬
dal , pour venir se placer dans les organes respiratoires des lymnées
sur leurs branchies. Ce nouvel individu , auquel on a donné le nom
de Sporocyste et qu’on désigne plus ordinairement aujourd’hui sous le
nom de Scolex, présente à son entier développement un enfoncement
en cul-de-sac qui représente un tube digestif rudimentaire. Plus tard
(fig. 50) des modifications, analogues à celles dont l’embryon cilié
a été le théâtre, se produisent dans la cavité viscérale ; on y voit ap¬
paraître plusieurs corps qui, en se transformant , donnent de petits
animaux connus depuis longtemps sous le nom de Cercaires (fig. 51),
composés d’une partie renflée et d’une queue, ce qui leur donne une
certaine ressemblance avec les têtards de grenouille. Ces Cercaires sortent
également du Scolex, comme celui-ci était sorti de l’embryon cilié,
percent les téguments des lymnées et vont se loger dans la profondeur
de leurs organes où ils s’enkystent après avoir perdu leur appendice
ENTOZOAIRES. — trematoda.
355
caudal désormais inutile. Ils sont alors pourvus d’une ventouse orale,
conduisant dans un tube digestif à deux branches, d’une ventouse ven¬
trale et d’un système de vaisseaux ramifiés,
en un mot, ressemblent absolument à de
véritables Distomes moins les organes géni¬
taux. Mais si les Lyrnnées viennent à être
ingérées par les Canards, les cercaires en¬
kystés devenant libres sous l’action des sucs
digestifs, achèvent dans l’intestin de ceux-ci
leur développement et reproduisent l’indi¬
vidu primitif. Dès lors le cycle recommence :
ces Distomes donnent des œufs d’où sortent
des proscolcx produisant par gemmation un
scolex d’où sortent, par le même procédé,
les cercaires se métamorphosant en Distomes.
Ces deux derniers états, qui n’en font qu’un
puisqu’il s’agit d’un seul et même individu,
sont réunis sous le nom commun de pro-
glottis, habituellement employé pour indi¬
quer l’état sexué dans ces générations com¬
pliquées, dites généralions alternantes, où
l’on rencontre successivement et alternati-'
vement des reproductions asexuées (pro- Fig. ûo. — Spo o- l ie. 5i. — Cer-
scolex donnant le scolex et celui-ci les pro- cysie du/;„«o...a ca..edj j)ts-
, . , . eckinatum, mon- toma relu--
glollis) et de reproduction sexuee (proglottis trant les cercaires su/K.(D’après
reproduisant le proscolex) . contenus dans son vasBe.>iedek.)
En éliminant les espèces trop douteuses, vA^BESEDL^f^**
les Trématodes de l’homme se répartissent en
quatre genres dont le tableau suivant indique les caractères principaux :
I1ramiGés. Fasciola Linné, char, emend.
1. F. liepatwa Linné,
simples. Distoma Betzius.
2. D. lanceolatum Mehlis.
S. B. helerophyes Siebold.
4. Z). ociiZt Aumani Gesclieidt?
dioïques. . . Gïnaîcoi'boeds Diesins;.
5. G. lueniatobius Bilharz .'p.
n’ayant que la ventouse orale. . . Festucaria SchranU.
6. F. Zentis Kordniaim spl?
Genre Fasciola. — Vers trématodes, munis d’une ventouse orale et d une seule ven¬
touse ventrale, ayant le tube digestif à ramifications multiples, les sexes réunis sur un
même individu.
Genre établi en 1767 par Linné, et qui comprenait, non-seulement presque tous les Tré¬
matodes alors connus, mais encore les Planaires et autres animaux voisins; caractérisé
comme il vient de l’être, il ne renferme plus qu’une seule espèce.
1. Fasciola hepatica, Linné {Distoma hepaticum, Abildgaard; Douve du
foie, Douve hépatique). — C’est le ïrématode le plus connu et le plus
fréquent de tous chez l’homme, bien qu’il y soit cependant rare. Décrit
KODV. DlCT. MÉD. ET CHIR. ',XIU. — 27
554
ENTOZOAIRES. — trematoda.
par Linné, Müller, etc., sous le nom de Fasciola hepatica, il fut ensuite
désigné sous celui de Distoma hepaticum. Suivant
la remarque d’Émile Blanchard, il est convenable
de lui re.stituer son nom primitif en réservant celui
de Distoma pour les Trématodes qui ont les bran¬
ches du tube digestif simple.
Ce vers (fig. 52) est long de 20 à 30 millimètres,
large de 4 à 13 millimètres, aplati, sa plus grande
épaisseur n’atteignant pas plus de 1 millimètre à
1™“,5 ; la forme est ovale lancéolée, très-variable
d’ailleurs, l’animal étant contractile dans toutes ses
parties. Les deux ventouses sont très-rapprochées,
la distance qui les sépare atteint à peine 2 milli¬
mètres, la ventouse ventrale est large de l‘““,5 ;
l'autre n’a que 1 millimètre environ. Le seul ca¬
ractère anatomique que je croie devoir rappeler
Fig. 52. — Fasciola he- ici est la disposition ramifiée du tube digestif sur
Bene^ • laquelle est basée la distinction générique déjà
mentionnée. Ce caractère s’observe avec la plus
grande facilité sur l’animal frais en le comprimant entre deux lames de
verre et le regardant au jour par transparence ; on voit alors l’intestin
apparaître en noir pu opaque sur le reste du tissu, attendu qu’il est
presque toujours rempli par la hile dont se nourrit cet être.
Les œufs (fig. 53), longs de 0““,i3 sur 0““,09, se trouvent assez fré¬
quemment dans les selles des animaux atteints
de cachexie aqueuse; ils sont jaunâtres, demi-
transparenls, operculés.
Le développement et les migrations proba¬
bles de ce vers nous sont malheureusement
Fig. 55. — Œuf de hi Fasciola inconnus. M. Leuckart a figuré l’embryon cilié
Iwpatica grossi tO? fois el Jg proscolex (fig. 49).
traite par la potasse caustique * °
pour en séparer l’opercule. Ce vers se rencontre, mais exceptionnelle-
(D’après Davaike.) ment, dans les voies biliaires de l’homme ; par
contre, il est commun chez certains Ruminants,
tels que le Bœuf et le Mouton, chez lesquels il détermine, croit-on, la
cachexie aqueuse. Celte affection frappe d’une façon épidémique certains
troupeaux qui paissent dans des endroits humides et marécageux ; en se
rappelant ce qu’on connaît des migrations des Distomes du Canard, il est
difficile de ne pas voir là une véritable relation de cause à effet.
Genre Distoma. ■ — Vers trématodes, munis d’une ventouse orale et d’une seule ven¬
touse ventrale, ayant le tube digestif à deux cEecums simples, les sexes réunis sur un
même individu.
Genre établi en t78fi par Retzius pour les Fasciola de Linné habitant en parasites les
animaux et pourvus de deux ventouses ; il comprend encore plus de deux cents espèces
qu’on rencontre dans différents organes, mais surtout dans le tube digestif et ses annexes,
chez beaucoup de Vertébrés.
ENTOZOAIRES. — trematoda.
555
2. Distoma lahceolatum, Mehlis (Fasciola lanceolata, Rudolphi). — Ce
ver est connu depuis longtemps sans doute, mais avait été confondu avec
la Douve hépatique dont, suivant les auteurs, il aurait représenté l’état
jeune. Cette opinion ne peut guère être admise, la présence d’organes gé¬
nitaux parfaitement développés doit, jusqu’à nouvel ordre, le faire re¬
garder comme adulte.
Il(fig. 54) est long de 4“““,5 à 9 millimètres, large de 2 à 3 millimètres,
aplati, renflé d’avant en arrière, sa plus grande largeur répondant envi
ron à la réunion des quatre cinquièmes an¬
térieurs au cinquième postérieur, la cou¬
leur est blanche, maculée de taches brunes
lorsque les œufs développés remplissent l’u¬
térus; la peau est lisse. Les ventouses orale
et ventrale sont à peu près d’égal diamètre,
mesurant environ 0““‘,5. L’intestin avec deux
cæcums stomacaux simples ( caractère du
genre), présente un bulbe œsophagien mus¬
culeux et un œsophage cylindrique bien vi¬
sible. Les deux orifices génitaux sont placés
Kig. 55. — (Euf lie Üisluma lanceulalum. —
a. Grossi 107 lois. — b, Grossi 340 fuis. —
c, Traité par la potasse caustique qui rend la sé
paration de l’opercule plus facile. (D’après Da-
un peu en arrière de la bifurcation de l’œsophage, par conséquent entre
les deux ventouses et très-rapprochés l’un de l’autre.
Dans cette espèce les œufs (fig. 55) ont le plus grand rapport pour la
forme et l’aspect avec ceux de la Douve hépatique, mais sont notable¬
ment plus petits puisqu’ils ne mesurent que 0““,04 sur 0““,02.
Ce vers habite les mêmes organes chez les mêmes animaux que la
Fasciola hepatica, ce qui peut expliquer le rapprochement qu’on avait
fait des deux espèces. Nous n’en connaissons pas les migrations ni les
métamorphoses.
3. Distoma heterophyes, de Siebold. — Le Distome héterophie n’a en¬
core été observé que deux fois en Égypte par M. Bilharz.
C’est un petit ver ovale, aplati, long de 1 millimètre à 1““,5, de moitié
moins large, blanchâtre, couvert de petites épines dirigées en arrière. La
ventouse buccale est petite, la ventrale, située un peu en avant de la
moitié du corps est douze fois plus grande. Le pénis, placé en arrière de
cette dernière, présente une gaine épineuse; les œufs ont une coque rouge.
356 ENTOZOAIRES. — trematoda.
Le Distome hétérophye a été trouvé eu très-grand nombre dans l’intes¬
tin grêle d’un enfant.
4. Distoma oculi hümani, Gescheidt {Distoma ophthalmobium, Diesing.
— Cet entozoaire est du nombre de ceux que leur rareté rend plutôt cu¬
rieux qu’utiles à connaître, il a été observé et décrit par Gescheidt et Am-
mon sous le nom de Distoma oculi humani.
Il est ovale, lancéolé, déprimé, contractile; sa longueur varie de 0”“,5
à I millimètre, la largeur étant de 0'““‘,3 ; la ventouse veptrale, plus
grande d’un tiers que la ventouse orale est sub-centrale avec une ouverture
circulaire (?).
Il a été trouvé à Dresde sous la capsule du cristallin d’un enfant de
cinq ans, affecté de cataracte congéniale, il en existait quatre individus.
L’absence de détails anatomiques peut faire penser qu’il s’agit là d’un
Trématode erratique observé dans des conditions anormales; suivant l’u¬
sage admis dans la nomenclature helminthologique le nom spécifique
proposé par Diesing doit être provisoirement rejeté jusqu’à ce que de
nouvelles recherches viennent nous apprendre ce qu’on doit penser de ce
parasite.
Genre Gïnæcophorus. — Vers trématddes, munis d’une ventouse orale et d’une seule
ventouse ventrale, tube digestif avec un seul cæcum simple en arrière, résultant de la fu¬
sion des deux branches de l’oesophage ; sexes séparés.
Genre établi en 1858 par Diesing, il ne comprend encore qu’une seule espèce.
5. Gïnæcophorus hæmatobius, Diesing {Distoma liæmatobium, Bilharz;
Schistosoma hæmatobium, Weinland ; Thecosoma hæmatobium, Moquin).
— C’est l’un des Trématodes les plus singuliers au double point de vue de
son habitat et des particularités anatomiques qu’il présente. 11 a été dé¬
couvert en 1 851 , par Bilharz qui le fit entrer dans le genre Distome.
Weinland pensa avec raison qu’il était plus convenable de l’en séparer et
proposa le nom de Schistosoma, malheureusement déjà employé par
Geoffroy Saint -Hilaire dans sa tératologie; Moquin-Tandon y a substitué
le nom de Thecosoma (1862), mais précédemment Diesing avait institué
pour cette espèce le genre Gynæcophorus, cette dernière dénomination
doit donc être préférée.
Par exception à ce que l’on connaît pour la généralité des Trématodes,
les sexes, chez cet animal, sont séparés, et l’apparence du mâle très-
différente de celle de la femelle (fig. 56). Le premier, de couleur
blanchâtre, est allongé, arrondi en avant du côté dorsal, un peu aplati
sur le ventre, en ce point la peau est lisse; en arrière au contraire il
est très-élargi, très-peu épais et couvert, sur le côté dorsal, de papilles
pilifères (?), la longueur est de 7 à 9 millimètres; la partie antérieure
équivaut à environ le huitième ou le neuvième de la longueur totale. La
partie postérieure large et plate se recourbe, du côté ventral, de manière
à former une gouttière, canal gynécophore, lisse à sa partie moyenne,
hérissé d’épines très-petites sur les côtés. Les ventouses sont d’égales
dimeusions, la buccale triangulaire, la ventrale arromlie, située vers la
ENTOZOÂIRES. — trematoda.
357
limite des portions antérieure et postérieure; toutes deux couvertes de
granules serrés et très-petits. Le tube digestif présente une disposition
exceptionnelle; après s’être divisé comme _
d’habitude en deux branches en avant de la
ventouse ventrale, il se réunit de nouveau
derrière elle en un seul conduit terminé en
cul-de-sac postérieurement.
La forme de la femelle est plus simple
que celle du mâle; elle est mince et grêle,
ruhannée, très-atténuée en avant ; la dispo¬
sition des ventouses et du tube digestif est
la même que dans l’autre sexe. L’orifice
sexuel est placé juste en arrière de la ven¬
touse ventrale; les œuls sont ovales, pro¬
longés en pointe d’un côté.
Il serait à désirer qu’on pût avoir sur l’a¬
natomie des organes génitaux de ce vers,
des détails plus complets. Moquin-Tandon
a émis l’idée que l’on avait confondu les _
sexes et que le plus grand des deux in- Img üG.—Gynœcopkorus kcmiato-
dividus devait être la femelle , portant le ~ individus ; mâle
male dans sa gouttière ventrale; la dos- — a, Partie antérieure de la le-
cription des œufs, si exactement donnée, melle. — ÿ, u. Sa partie posté-
ne permet guère d’admettre cette hypo- st%Trne‘
thèse. placée, comme à l’état normal, dans
Ce ver n’a été jusqu’ici observé qu’en le canal gynécophore. —e,/', Ca¬
ri , • nal gynécophore à la partie ven-
Egypte; il n y est pas rare, puisque sur jrale <iu nfâie. - h%, Sesli-
363 autop'sies, Griesinger l’a trouvé '117 fois. mites antérieures et postérieures.
On le rencontre surtout dans les veines hé- ^7 “
patiques et leurs conduits, mais aussi dans
le tronc et les ramifications des autres veines abdominales, celles des
parois de la vessie en particulier. Dans ce dernier cas, et en général
lorsque les animaux ou les œufs , obstruent les vaisseaux d’un petit
volume, leur présence peut occasionner des désordres variés.
Genre Festdcaeia. — Vers trématodes, n’ayant qu’une ventouse orale; tube digestif à
deux cæcums simples, les sexes réunis sur un même individu.
Genre établi en 1788 par Schrank, mais qui a plus ordinairement été désigné sous le
nom de Monostoma, créé plus tard par Zeder, suivant les lois de la nomenclature, cette
dernière dénomination doit, comme l’a fait remarquer Moquin-Tandon, être abandonnée.
Les espèces qu’il renferme sont assez nombreuses, une quarantaine peut-être, et se trou¬
vent chez beaucoup de Vertébrés dans différents organes, mais surtout dans le tube di¬
gestif et ses annexes.
6. Festdcaria lentis, Moquin [Monostoma lentis, Nordmann). —
Ce ver doit encore être rangé avec ceux qui ont été trop peu observés
pour être admis sans quelque réserve. C’est un petit Trématode long
d’environ 0““,2, observé par Nordmann, en 1 832, dans le cristallin d’une
358
ENTOZOAIRES. — cestotdea.
femme âgée, atteinte de cataracte commençante; il en existait huit indi¬
vidus. Cet helminthe n’a pas depuis été rencontré de .nouveau; il est
probable qu’il s’agit là de quelque entozoaire erratique à rapprocher du
Bistoma bcùli humàni sous ce rapport.
, Troisième ordre. — Cestoidea.
Les Vers éestoidès {•/.te-zoz, ceinture, Lumhrici lati des anciens auteurs;
Vers plats, "Vers rubahnés des auteurs modernes), ont, au point de vue
médical, une importance au moins égale à celle des Nématoïdes, et si
à l’état parfait ils constituent souvent une incommodité plutôt qu’une
maladie grave, à l’état de larve ils peuvent devenir la cause d’accidents
redoutables^ ' ■
Ce sont des anîmaiix d’une apparence singulière, et, comme ils ne
sont pas ‘rares, ils ont frappé de tous temps l’attention des observateurs,
c’est ce que témoignent les écrits d’Aristote. Pour en faire l’histoire je
prendrai pour type ‘Celui qu’on rencontre le plus habituellement chez
l’homme en France,, Je Tænia solium, pour l’étudier tel qu’il se pré¬
senté à robseryaticn,du médecin, lorsqu’il est évacué en entier par les
malades, le considérant comme un animal unique; en analysant ses mi¬
grations et sou développement, on verra plus loin ce qu’il faut penser
de cette manière de voir, la seule admise pendant longtemps, mais que
la plupart des zoologistes abandonnent aujourd’hui.
Dans son ensemble, le ver solitaire se présente sous la forme d’une
sorte de long ruban (fig. 67), large en arrière, très-atténué antérieure¬
ment, se renflant en un petit bouton terminal, auquel on donne le nom
de tête, là partagé en anneaux dans la portion élargie ou corps. Entre la
tête et le corps se trouve une partie qui se fond insensiblement avec ce
dernier, mais où les anneaux ne sont pas distincts, on la désigne sous
le nom de cou.
La tête (fig. 66, A) présente des caractères très-fra|)pants. Elle a la forme
d’une sorte d’octaèdre régulier, arrondi sur les arêtes et antérieurement,
se continuant en arrière par le cou. Aux quatre angles latéraux existent
quatre ventouses à fibres musculaires, les unes concentriques, les autres
rayonnantes; elles sont comparables pour l’aspect à la ventouse ventrale
des Distomes et sont également imperforées. La partie antérieure porte
le nom de trompe ou proboscide, c’est une sorte de mamelon hémisphé¬
rique susceptible de faire saillie plus ou moins suivant le besoin de
l’animal, à sa base se trouve une double couronne de crochets, les uns
extérieurs plus grands, les autres plus petits, plus intérieurs (fig. 66, B).
On distingue dans ces crochets trois parties, l’une obtuse à son extrémité
libre, le manche, l'autre aiguë, la lame, et enfin, au point de réunion de
toutes deux, une espèce de talon, d’apophyse, appelée garde. Le manche
et- la garde sont plongés dans le tissu de la trompe, en rapport sans
doute avec des fibres musculaires qui , en agissant sur elle, meuvent en
différents sens la lame, laquelle est libre à l’extérieur.
Le cou est plus ou moins allongé, lisse antérieurement, présentant à la
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
359
partie postérieure des rides transversales d’abord légères, mais s’accen¬
tuant de plus en plus pour donner naissance aux anneaux ou article», de
sorte que la limite postérieure de cette partie est tout à fait arbitraire,
comme je l’ai déjà fait remarquer plus haut. On observe dans le cou
quatre canaux transparents longitudinaux qui se prolongent en arrière
dans le reste de la longueur du corps, où il sont souvent réduits à deux;
ces canaux latéraux, d’abord considérés par Émile Blanchard comme
représentant le tube digestif, sont aujourd’hui assimilés . aux vaisseaux
ramifiés des Trématodes par tous les anatomistes.
La forme et la constitution (fig. 67) des anneaux varient beaucoup sui¬
vant qu’ils occupent les régions antérieures ou postérieures de la chaîne ; en
avant ils sont très-larges proportionnellement à leur longueur, plus loin
les deux dimensions tendent à devenir égales, enfin en arrière le rap¬
port est tout à fait changé, la longueur étant presque double de la
largeur. Ces modifications dépendent du développement des articles, qui
sont beaucoup plus petits en avant qu’au milieu et en arrière, et sont
aussi en corrélation avec l’évolution des organes. Bien que dès la partie
moyenne les articulations soient nettement accusées, cependant on
observe que les anneaux sont d’autant plus faiblement unis entre eux
qu’ils sont plus postérieurs ; tout à fait en arrière , ils se séparent même
spontanément les uns des autres. Ce sont eux qui sont évacués par les
malades et qu’on a désignés sous le nom de cucurbitains, de leur res¬
semblance avec des grains de courge. Ces anneaux sont formés d’une
enveloppe, cuticule, renfermant un parenchyme parsemé de granula¬
tion de nature calcaire, et contenant aussi dés fibres contractiles diver¬
sement dirigées. On remarque sur chacun d’eux, sur l'un des bords,
une cupule à bords saillants là où aboutissent les orifices des organes
reproducteurs , organes très-importants* qui remplissent à peu près fout
l’anneau.
Ceux-ci sont mâles et femelles dans le même article et offrent, avec ce
qu’on connaît chez les Trématodes, des rapports très-frappants, que les
deux figures schématiques, empruntées aux travaux de van Beneden,
peuvent faire ressortir (fig. 48 et 57). Lés organes mâles sont consti-
luées par une multitude de testicules globuleux (a), répandus en très-
grand nombre dans tout l’anneau vers sa partie superficielle ; les ca¬
naux efférents de ces glandes (b), se joignent les uns aux autres et
se réunissent en définit’ve dans un canal déférent [c] qui, après avoir
présenté souvent une dilatation, ttesicu/e séminale, dans laquelle le sperme
s’accumule, aboutit à un organe de copulation on pénis (d), susceptible
de sortir ou de_ s’invaginer sur lui-même à la volonté de l’animal, dans
la bourse du pénis (e).
L’appareil femelle, plus compliqué comme chez les vers de l’ordre pré¬
cédent, se compose d’une première glande dans laquelle se produisent les
vitellus germinatifs, ou les ovules {t), c’est le germigène (i), d’uiie seconde,
ou plutôt de deux, car cet organe est pair, les vitellogènes (o), placées sur
les côtés de l’anneau; toutes ces glandes sont pourvues de canaux excré-
ENTOZOÂIRES. — cestoibea.
teur^, le germiducte (l), pour la première, les vitelloductes {n), pour les
secondes, qui se réunissent en un canal commun (m). Ce dernier se
continue en un long tube, le vagm {g), qui débouche à l’extérieur dans
la cupule génitale, très-près
du pénis, par V ouverture vul¬
vaire (f), vers son origine pro¬
fonde; il présente deux diver-
ticulums, l un simple, où est
déposé le sperme après la co¬
pulation, poc/ie copulatrice (h) ,
l’autre composé d’un canal
vecteur, oviducte (p), et d’un
réservoir, utérus (q), dans le¬
quel s’accumulent les œufs.
Il est essentiel de remarquer
que cette description n’est pas
absolument conforme à ce que
nous montre la nature, car
on ne pourrait rencontrer à la
fois , dans un même anneau,
tous ces organes, ils n’y ap¬
paraissent que successivement.
En effet , dans les anneaux
antérieurs, sauf les conduits
longitudinaux , il n’y a pas
trace d’organisation apprécia¬
ble, le parenchyme est tout à
fait homogène ; ces articles, au
point de vue de la génération,
Fig. 57. — Cestoïde idéal à l’état de proglottis. — Sont neutres. Un peu pluS BU
a. Testicules (pour simpliBer la figure on n’en a re- arrière, apparaissent les Orga-
présenté qu’un peütnou.br^e). -6, Canaux effé- génitanx mâles, d'abord
rents des testicules. — c, Canal déférent. — d, Pé- o . I. i ,
nis. — e. Bourse du pénis. — f, Orifice vulvaire, par leur partie proioude, les
— g, Vagin. — h, Poche copulatrice. — i, Germi- testicules ; leS CanaUX vecteurS
gène. — i, Germiducte. - ffl, Confluent du germi- . , «Aminal n’an
ducte etduviteiioducte.— n, Viteiioductes.— o,vi- reservoir séminal nap-
tellogènes. — p, Oviducte. — q. Utérus. — r, Ca- paraissent que plus tard avec
naux latéraux au nombre de deux dans cet anneau. Jg énis et sa büurse. A Cette
— Cuticule. — t, Ovules germinatifs renfermes , ^
dans le germigène. — v, Utérus. (D’après va« epoque les ditterentes parties
Beseden.) de l’appareil femelle sont tout
à fait rudimentaires ou in¬
distinctes; ces articles sont mâles. Plus loin encore, le germigène et
les vitellogènes se dessinent en même temps que le vagin et la poche
copulatrice, à celte époque les organes mâles commencent à s’atrophier
et à disparaître, en commençant par les testicules, qu’on ne peut plus
reconnaître. C’est vers cette époque qu’a lieu le passage du sperme de la
vésicule séminale dans la poche copulatrice. Par suite de cette disparition des
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
361
organes mâles on a des articles femelles. A partir de ce moment les œufs
descendus du germigène, puis enveloppés du vitellus nutritif fourni par le
vitellogène, sont successivement fécondés et s’accumulent dans l’utérus.
Le fait d’atrophie qu’on a vu se produire dans les organes mâles se
continue dans les organes femelles, successivement ils disparaissent, cri
sorte que dans les derniers anneaux il ne reste plus que l’utérus énor¬
mément développé et ayant passé de la forme d’un canal simple, puis
d’un sac un peu bosselé, à celle d’un organe à nombreuses ramifications
(fig. 68) rempli de plusieurs centaines d’œufs. C’est alors que l’article
devenu mûr se détache et est expulsé avec les fèces; c’est le cucurbi-
tain.
La fécondation ne paraît pas avoir lieu chez les Cestoïdes comme chez
les Trématodes par le concours de deux individus, on rencontre fré¬
quemment sur un même anneau le pénis directement engagé dans le va¬
gin; il y aurait donc hermaphrodisme complet. Il est possible cependant,
dans les replis que peut former le Tænia sur lui-même, qu’il y ail parfois
copulation entre deux anneaux voisins, dans ce cas, qui n’a pas d’ailleurs
été observé positivement que je sache, on devrait regarder ces anneaux
comme androgynes c’est-à-dire hermaphrodites incomplets, en admettant
la théorie qui va être exposée sur l’individualité des articles. .
L’étude du développement et des migrations du Tænia offre un grand
intérêt scientifique et pratique; les travaux de Küchenmeister, van Be-
neden, Leuckart, etc., nous ont fait connaître en grands détails ces faits
importants. L’œuf du Tænia solium (fig. 69) est sphérique avec une
enveloppe épaisse, parfois double ; dans son intérieur se trouve une masse
homogène finement granuleùse qui constitue un embryon, à la surface de
celui-ci on voit très-distinctement, surtout après l’action de la potasse
caustique, six petits crochets aciculaires, d’où le nom d’embryon hexa-
canthe sous lequel il est ordinairement désigné. Les anneaux mûrs rejetés
à l’extérieur se détruisent promptement et les œufs qu’ils contiennent,
mis en liberté, sont disséminés çà et là; comme chez beaucoup des
Vers précédemment étudiés, ils paraissent jouir d’une remarquable ré¬
sistance aux différentes causes de destruction. Lorsque, par suite de cir¬
constances favorables ou expérimentalement, les œufs sont introduits
dans le tube digestif d’un animal convenable à l’espèce donnée de ver,
la coque se rompt et l’embryon hexacanthe se sert de ses crochets pour
perforer les parois de l’intestin; la manœuvre consiste à réunir leurs
pointes en avant en une sorte d’éperon, que le petit être pousse fortement,
puis à les écarter en dehors de façon à élargir la voie et à répéter ainsi de
suite plusieurs fois ce mouvement, Davaine a fort bien indiqué ces faits
sur le Tænia proglottina du Coq domestique où l’observation est très-
facile. Quelle est la voie ultérieurement suivie par l’embryon? c’est ce
qui n’est pas encore parfaitement connu. Certains observateurs pensent
(ju’il traverse les parois des vaisseaux et est emporté dans le torrent
circulatoire. Un fait qui viendrait à l’appui de cette opinion est l’abondance
des larves qui proviennent des Tænias dans les organes parenchymateux où
362 ENTOZOÂIRES. — cestoidea.
la circulation capillaire est très-développée, tels que le foie, le poumon, le
cerveau. Mais, d’un autre côté, les expériences de Baillet ont montré que,
à la surface de ces organes et souvent en d’autres points du corps, existent
dans les cas d’infection expérimentale des sillons très-évidemment creusés
par les embryons en migration. H est possible que, suivant les cas ou plutôt
suivant les espèces de Tænias, l’un ou l’autre moyen de transport ait son
application.
On n’est pas encore absolument fixé sur les transformations que subit à
ce moment l’embryon hexacantbe; il produit, pour le Tænia solium, dans le
tissu cellulaire intermusculaire où il a pénétré, un être désigné depuis
longtemps par les anciens auteurs sous le nom de Cysticerque ladrique,
Cysücercus cellulosæ, Rud., qu’on rencontre surtout en abondance chez
les porcs et qu’on considérait comme une espèce à part. Mais est-ce par
simple métamorphose? est-ce par une gemmation nouvelle que le Cysti¬
cerque dérive du petit embryon? c’est ce que l’on ne sait pas encore d’une
manière certaine. Cependant, comme on le verra plus bas à propos des
échinocoques , chez lesquels
le développement en cela est
mieux connu, la seconde hy¬
pothèse est la plus probable.
A l’état de Cysticerque, l’ani¬
mal a la forme d’une vésicule
(fig. 58) blanchâtre, ovo’ide,
de 6 à 10 millimètres de dia¬
mètre, percée sur un de ses
côtés d’un petit pertuis, d’où
peut sortir, en se retournant
comme un doigt de gant, un
appendice allongé de 6 à
9 millimètres, aplati, renflé à son extrémité, qui représente si exac¬
tement la tête d’un Tænia, avec ses ventouses, sa double couronne de
crochets, et jusqu’à la forme et aux dimensions de ceux-ci, que l’assimi¬
lation a été faite par les premiers observateurs qui eurent occasion de
l’examiner; quelques-uns émirent l’idée que cette tête de Tænia, suivie
d’une vésicule, devait être considérée comme due à l’altération patholo¬
gique d’un de ces vers placé dans des conditions anormales. (Dujardin.)
Le Cysticerque peut rester dans les tissus un temps plus ou moins consi¬
dérable sans subir aucune transformation, mais, si la chair de l’animal
dans lequel il habite est ingérée par un autre animal d’une certaine espèce,
mis en liberté par la digestion, il perd sa vésicule, se fixe avec ses ven¬
touses et ses crochets aux parois de l’intestin et l’évolution s’achève. A la
partie postérieure du prolongement qui l’unissait à l’ampoule de petites
rides, premiers rudiments des anneaux, s’accusent déplus en plus; l’animal
grossit par l’absorption directe des matières alibiles, toutes digérées, au
milieu desquelles il Hotte ; à la partie postérieure de ce qui consliiue alors
le cou, se produisent toujours de nouvelles rides donnant naissance à de
Fjg. 38. — CysUcercus cellulosæ du porc. — A, Cys¬
ticerque inclus dans sa vésicule. — B, Cysticerque
dont la tête fait saillie hors de sa vésicuie. — C, Têle
et cou isolés et grossis. — D, L’un des crochets.
ENTOZOÂIRES. — cestoidea.
563
nouveaux anneaux, ceux-ci, s’interposant entre la tête elles premiers for¬
més, font reculer de plus en plus ces derniers qui continuent à se déve¬
lopper et passent chacun successivement par les états d’article neutre,
mâle, femelle, etc.
Arrivés à l’état le plus avancé, lorsqu’ils ne renferment ptus que les
œufs, les articles mûrs se détachent, mais
ils ne sont pas immédiatement rejetés; ils
vivent pendant un certain temps à l’état libre
dans l’intestin, continuant de grossir et doués
de mouvements très-nets (fig. 59), Dans cet
état, ils ont été décrit par Dujardin sous le
nom de Proglottis, et rappellent assez l’ap¬
parence extérieure des Trématodes pour
que la confusion ait été faite plusieurs fois.
Enfin, les anneaux et les œufs' étant rejetés
à l'extérieur, le cycle recommêûce. F'g- 59-— au trait d'un Pro-
Ea résumé, nous rojon, I» Jim sofcm
donner successivement les étâfâ' d’embryon mode de progression, —a, Indi-
Hexacanthe,deGYsticerque, dePfoglottis. L’é- grande protrae-
tude du développement nous conduit en effet .rressivement d’avant en arrière et
à admettre que le Tænia entier, tel qüel’ont amenant ainsi l’extrémité posté-
considéré les anciens naturalistes 'et que -vieure, a : la mauiere çlu ver de
, , , , • , . .1,11 terre. ID apres Da vaine. i
nous 1 avons étudié tout d abord, ne con¬
stitue pas un animal unique; il est formé par la tête du Cysticerque,
de laquelle dérivent par bourgeonnement les anneaux, qui doivent être
regardés chacun comme un être isolé, puisqu’on réalité ils n’emprun¬
tent rien aux articles qui les avoisinent et jouissent, par rapport à eux,
d’une vie indépendante. Il est également facile de saisir le rapport qui
unit le mode de développement du Tænia à celui que l’on a décrit
plus haut pour les Trématodes et de le rattacher à la génération alter¬
nante : l’embryon hexacanthe correspond à l’embryon cilié ou proscolex,
le Cysticerque au sporocyste ou scolex, enfin l’article à l’animal sexué
ou proglottis; les derniers de ces noms sont usités également chez tous
ces animaux, c’est même à la nomenclature des Cestoïdes, comme on le
voit, qu’a été emprunté le nom de proglottis. On appelle strobile la
chaîne formée par la réunion du scolex et des proglottis.
Avant de donner les caractères des différentes espèces de Cestoïdes de
l’homme, j’ajouterai quelques mots sur le développement de quelques
autres espèces de Tænia pour montrer comment celui-ci peut encore se
compliquer par l’intercalation d’autres générations agames, c’est-à-dire
par bourgeonnement entre l’embryon et la formation du strobile; c’est ce
ue nous ont appris les recherches faites sur le Cœnure cérébral et. les
chinocoques, en joignant à ces derniers les hydatides ou acéphalocystes.
Le Cœnure dérive d’un Tænia qui vit à l’état strobilaire dans l’mtes-
tin du chien, le Tænia cœnurus, et à l’état de larve dans les agneaux.
Les œufs, rejetés avec les excréments, parviennent dans l’intestin de ces
ENTOZOÂ[RES.
CESTOIDEA.
derniers, soit par les boissons, soit avec les herbes sur lesquels ils peu¬
vent se trouver déposés. L’embryon hexacanthe, qui en sort après avoir
percé l’intestin, arrive dans la cavité cérébrale à la surface du cerveau, et
là, subissant une trans-
formation , se développe
en une sorte de vésicule
atteindre
le volume d’un œuf ou
S d’une pomme. Bientôt sur
la membrane d’enveloppe
apparaissent une multi¬
tude de ponctuations dont
chacune finit par former
une tête comparable à
celle contenue dans la
vésicule unique du Cys-
ticerque, c’est-à-dire un
scolex susceptible, s’il ar¬
rive dans l’intestin du
chien, de se développer
en un Tænia complet.
La différence principale
mton,pro>colexetsec- “tre Ce qui se passe
nie, proscolex, chargée ici et Ce que nOUS
î-làçossie pour mon- le
letedun scolex mon- , ,,
et des crochets. (D’a- soliuiifi , c est que 1 em¬
bryon hexacanthe donne
naissance, très-clairement
par bourgeons, à un grand nombre de scolex.
Pour le Tænia echinococeus , on observe des faits analogues. On
trouve parfois chez l’homme et quelques mammifères, dans le foie, les
poumons, le cerveau, etc., des vésicules hyalines composées d’une en¬
veloppe anhyste blanchâtre renfermant un liquide citrin ou opalin. On
leur donne le nom à'Hydatide. Dans le cas normal, la tunique est dou¬
blée d’une seconde membrane d’aspect granuleux, désignée par Robin,
auquel on en doit la découverte, sous le nom de membrane fertile. Le tout
est souvent entouré d’une autre membrane blanche, plus ou moins
épaisse et résistante, mais qui ne dépend pas de l’hydatide elle-mêm ':
c’est l’analogue de cette production pouvant entourer tout corps étran¬
ger qui séjourne d’une manière anormale dans l’économie. La grosseur
de la vésicule varie du volume d’un pois à celui d’une orange et davan¬
tage. Lorsque le développement est normal, on voit apparaître çà et là,
sur la face interne de la membrane fertile, de petites élévations résultant
d’un épaississement de cette couche, elles deviennent de plus en plus sab¬
lantes dans l’intérieur delà cavité; plus tard apparaissent (fig. 61) dans
un enfoncement creusé au sommet de l’élévation quatre ventouses et ui e
ebralis
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
365
couronne de crochets, et par un retournement qui rappelle la manière dont
sort la tête du Gysticerque, ces parties se développent en formant une
Développemen
! echinococcus
l’Echuiocu(j>i
, Échinocoqü(
membrane fertile par leur funicule;
366 ENTOZOAIRES. — cestoidea.
très (fig. 62), on leur donne le nom d'Aeéphalocystes; elles manquent de
membrane fertile qui les tapisse intérieurement, et par conséquent ne
produisent pas d’échinocoques.
Ces acéphalocysles peuvent'être l’origine d’hydatides fertiles, souvent
en effet on voit une vésicule mère' renfermant en elle un grand nombre
d’autres vésicules dans lesquelles sont des échinocoques. Dans ce cas, il
faut admettre que l’embryon, au sortir de l’œuf, après s’être développé
en acépbalocyste, a produit les hydatides, qui elles-mêmes ont donné
l’écbinocoque, d’où dérive, un Tænia sexué. Cette étude des acéphalo-
cystes, faite d’abord par Laennec et, dans ces dernières années, par
Davaine, demanderait, au; point de vue expérimental, à être reprise soi¬
gneusement. Il : existe, - à. i cet égard, dans les recherches médicales
anciennes une très-grande confusion, un grand nombre de productions
morbides, très-différentes quant à leur origine et à leur structure, ayant
été indifféremment décrites toutes sous. les noms d’hydatide ou d’acépha-
locyste et ces deux noms ayant été souvent employés l’un pour l’autre abu¬
sivement ; un examen attentif est toujours nécessaire pour bien recon¬
naître la nature de ces corps, en ce qui concerne en particulier la recher¬
che des échinocoques.
En résumé, on voit que si, pour le Tænia solium, provenant du Cysti-
eercus ceUulosæ, un embryon ne donne naissance qu’à un scolex, d’où dé¬
rivent les proglottis, pour le Tænia cœnurus, provenant du Cœnurus ce-
rebralis, un seul embryon produit une multitude de scolex; enfin, dans le.
Tænia ecUnococcus , l’embryon peut par l’acéphalocyste se multiplier
une première fois en donnant les bydatides fertiles, qui elles-mêmes pro¬
duisent en grand nombre les échinocoques, lesquels sont le scolex, d’où
dérive la forme sexuée.
En réfléchissant au nombre incalculable d'œufs auxquels le Tænia so¬
lium, par e.semple, peut donner naissance (le nombre des anneaux dé¬
passe souvent mille, sur lesquels on peut admettre que la moitié au moins
arrivent à maturité), et à la multiplication à laquelle donne lieu encore
le bourgeonnement du scolex, on est effrayé de la fécondité d’un sem¬
blable animal. 11 faut remarquer que, par suite des migrations auxquelles
l’être est soumis, les chances , de réussite sont très-amoindries ; ainsi un
grand nombre d’œufs ne parviennent pas dans l’intestin d'un animal
convenable, si les embryons, devenus Cysticerques ou bydatides, séjour¬
nent trop longtemps dans les organes où ils se sont développés , ils meu¬
rent et, après avoir subi différentes transformations, disparaissent, enfin
lorsque, après avoir évité ces causes de destruction, le Cysticerque passe
dans un nouvel hôte, si l’eSpèce n’est pas précisément celle qui convient
à son développement, il meurt encore sans se reproduire. On voit qu’ici,
comme toujours, cette fécondité n’a pour objet que d’assurer la conser¬
vation de l’espèce au milieu de toutes les causes de destruction qui l’en¬
tourent.
Les Cestoïdes parasites chez l’homme se rapportent à deux genres
dont voici les caractères :
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
567
TABLEAU INDIQUANT LES CARACTÈRES DES GENRES DE VERS CESIOÏDES
OBSERVÉS CHEZ L HOMME.
(Tête armée de quatre ventouses , orifices gé¬
nitaux latéraux . Tœnia Plater.
Tête avec deux fentes latérales, orifices géni¬
taux sur le milieu de l’anneau. ..... Bothriocep/ialusKudolçhi.
Les caractères des espèces sont tirés de la forme des anneaux et, chez
les Tænias, de la disposition des orifices génitaux, ainsi que de la pré¬
sence ou de l'absence des crochets. Le tableau suivant pourra, dàprès
ces données, aider à la connaissance des espèces qu’on rencontre chez
l’homme sous un de leurs états de développement au moins.
CESTOIDEA
V - 'Batsch.
Corps marqué d’une tache jaune sur chaque article. . . d. :2]..fl(ivopunclata
Genre Tænia. — Vers cestoïdes, à tête munie de quatre ventouses [acetabula], inerme
OU avec une proboscide avant un ou plusieurs rangs de crochets, orifices génitaux placés
sur les côtés amincis des anneaux.
Genre établi en 1 603 par Plater, renfermant une énorme quantité d’espèces, près de
deux cents, qui habitent le tube digestif d’un grand nombre de Vertébrés, particulière¬
ment les Mammifères et les Oiseaux.
1. Tænia mediocanellata, Küchenmeister {Tænia inermis, Moquin-
Tandon). — Le Tænia inerme (fig. 65) n’est bien connu que depuis peu
d’années, mais il est probable qu’il avait été observé longtemps aupara¬
vant, car il n’est pas rare dans plusieurs contrées de l’Europe ; son carac¬
tère différentiel avait seulement été mal interprété. Il est absolument
identique, pour l’aspect général du strobile, au Tænia solium, dont on
trouvera ci-après la description; mais la tête (fig. 64), ou scolex, est
comme tronquée en avant, par suite de l’absence de proboscide, et, ce
qu’on doit regarder comme un caractère non moins important, elle n’est
point armée de la double couronne de crochets. L’utérus (6g. 65) pré¬
sente des branches nombreuses parallèles, terminées en culs-de-sac sim¬
ples ou biBdes, rarement ïamiBés. Les proglottis mûrs se détachent avec
ENTOZOAIRES.
CESTOIDEA.
fort incommodes
ngeaisons pénibles
facilité et sont doués de mouvements (
les malades, parce qu’ils produisent ains
le rectum, et sortent même pen¬
dant l’intervalle des garde-robes,
poSr moyenne. Anneaux^îlo^fe de « ^st presque Certain qu’il faut
la portion postérieure. (D'après Davaine.) rapporter à cette espèce les cas de
Tænias dépourvus de crochets cités
par les anciens auteurs, entre autres Bremser. On la rencontre surtout
dans certaines parties de l’Allemagne, le Wurtemberg, la Bavière, mais
elle se trouve aussi, bien que plus rarement, en Danemark, en Belgique,
en France, etc. Comme le suivant, ce Cestoïde habite, à l’état de strobile,
l’intestin grêle de l’homme.
Les expériences de Leuckart ont démontré qu’en administrant à de
jeunes veaux des proglottis du Tænia mediocanellata, il se développe chez
ceux-ci, dans le tissu cellulaire de différents organes, des Cysticerques
offrant dans leur portion céphalique les caractères de troncature et d’ab¬
sence de crochets de la tête du Tænia inerme. L’expérience faite sur des
porcs et des moutons n’a amené aucun résultat. Les Cysticerques pris chez
les veaux et administrés à des chiens ne se sont pas développés dans l’in¬
testin de ceux-ci . On peut donc regarder comme certain que les migra-
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
'369
tiens de ces vers se passent de l’homme au bœuf, et que c’est chez ces
deux êtres que toutes les métamorphoses s’accomplissent.
2° Tænia so'liüm, Linné [Tænia secunda P lateri des anciens auteurs, Ver
solitaire). — Le ver solitaire a reçu ce nom d’Andrys,mais avait été parfai¬
tement distingué longtemps auparavant cette dénomination, quoique
généralement adoptée, est d’ailleurs inexacte, les cas dans lesquels on ren¬
contre plusieurs de ces animaux sur un même sujet n’étant pas très-rares.
La longueur du strobile est considérable, communément de 7 à 9 mè¬
tres, on cite des cas où elle atteignait 40 mètres , il est possible qu’on
ait, dans ces observations, regardé plusieurs indivi¬
dus comme n’en formant qu’un seul. Par suite du
fait de développement qui amène la séparation des
proglottis, on n’a jamais le strobile entier, et, pour
mesurer un Tænia, il faut additionner les fragments
rendus par le malade avant et après la médication.
11 est facile de comprendre dès lors comment l’er¬
reur peut avoir lieu, si plusieurs vers existent à la
fois. La couleur est d’un blanc jaunâtre.
La tête (fig. 66) est large de 0““,5 à 0““,7,
avec quatre ventouses bien visibles, un rostre peu
saillant et une double couronne de crochets : les
uns extérieurs longs de 0““,16 à 0““,18, les autres
intérieurs et alternant avec
les précédents , ces der¬
niers ne mesurent que
Les anneaux antérieurs
(fig. 67) sont élargis, ayant
environ 1 millimètre do
long sur 2 millimètres de
large; ceux de la partie
moyenne sont presque car¬
rés ou, plus exactemenl,
en trapèzes, le bord an- i-
térieur étant un peu plus
étroit que le postérieur,
leurs deux dimensions sont
d’environ 8 à 10 millimè¬
tres; enfin, à la partie pos¬
térieure, la dimension lon¬
gitudinale l’emporte de
beaucoup sur la largeur,
runeatteignant20à50mil-
limètres, tandis que la seconde n’est que de 6 à 7 millimètres. Les pores
génitaux sont indifféremment et irrégulièrement situés de chaque côté,
sans qu’il soit possible de saisir aucune apparence de symétrie unilaté-
Nonv, dict. hêd. eï chie. XIII. — 24
- lêle (sculex) du
Tænia solium. — A, Tête ou
scolex; a, d, trompe ou pro-
boscide; h, Ventouses; c, Cou¬
ronne de crochets ; e, Cou (il
est ordinairement beaucoup
plus allongé que ne le repré¬
sente cettetigure, voy. lig. 67);
f, Premiers anneaux du corps.
— B, Crochets isolés; a, Map-
che; b, Garde; c, Lame. (D’a¬
près Moaum-TANDON.)
Lig. G7. — Port ons dr s'io-
bile du Tænia solium de
grandeur naturelle. — a,
Tête et cou (scolex) avec
6, c, d, Anneaux larges
de la portion antérieure.
— e, f, Anneaux carrés
de la portion moyenne.
— g, Anneaux allongés
delà portion postérieure.
(D’après Davaixe.)
570
ENTOZOAIRES. — cestoideà.
raie ou alterne dans leur disposition. Les proglottis, détachés, ne pa-
raissent pas doués de mouvements aussi actifs que ceux du Tænia
mediocanellata , l’utérus (fig. 68) a des branches
moins nombreuses et plus habituellement ramifiées.
Ce dernier caractère peut servir à diagnostiquer
l’espèce sur des fragments rendus avec les fèces; pour
bien l’apprécier, il convient, comme pour le système
digestif de la Douve du foie, d’examiner l’anneau au
jour en le comprimant entre deux morceaux de verre;
Fig. 69. — Œuf iaTœnia solium. — a, Grossi 7Ü fois. — Grossi
8 — Proglottis du 54'J fois. — c, Même grossissement et traité par une solution
’ïœnia solium. (D'a- de potasse caustique pour rendre apparent l’embryon hexa-
près Ledckart.) canthe qu’il renferme. (D’après Davaine.)
la disposilion de l’utérus apparaît alors avec une grande netteté. Les
œufs (fig. 69) sont arrondis, leur diamètre est de 0““,035.
Dans les généralités sur les migrations des Cestoïdes {voy. p. 361), je
suis entré dans des détails étendues sur le dé¬
veloppement de ce ver. Je me bornerai à rap¬
peler que les œufs se développent normalement
en Cysticercus celliilosæ dans le porc, lorsqu’ils
sont en grand nombre, celui-ci est atteint de ce
qu’on appelle la ladrerie, les muscles sont alors
farcis de ces Cysticerques. C’est dans les ani¬
maux ladres que l’homme prend les germes du
ïænia, dont le cycle est ainsi complété. On trouve
aussi, accidentellement, des Cysticerques chez
l’homme, dans le tissu cellulaire intermuscu¬
laire comme chez le porc ladre (fig. 70); il a
dû, dans ce cas, y avoir ingestion d’œufs. Dans
l’intestin qui renferme les proglottis, jamais on
ne voit ceux-ci donner lieu à l'infection ladrique,
il faut qu’ils soient expulsés et ingérés de nou-
Fig. 70. — Cysiicerques dans veau ; Cela peut s’expliquer par l’action du suc
les muscles de l’homme. gastrique, qui seul pourrait dissoudre la coque
de l’œuf et en débarrasser l'embryon ; il faut
d’ailleurs remarquer que dans l’intestin les œufs sont rarement en li-
berlé, mais plus souvent renfermé dans le proglottis, qui, en tant qu’être
vivant, peut résister à l’action des sucs digestifs.
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
3® Tænia nana, von Siebold. — Petit Cestoïde (fig. 71) long de 13 à
21 millimètres, ayant une tête pourvue d’un rostellum armé d’une cou¬
ronne de crochets bifides ; les articles , très-
nombreux , sont au moins quatre fois aussi
■ larges que longs et les pores génitaux sont tous.
situés du même côté.
Les migrations de cette espèce sont encore
inconnues, elle a été trouvée une fois en Égypte, /
entrèsTgrand nombre, par Th. Bilharz, dans l’in- m /
testin grêle d’un jeune homme mort de ménin- m
Je crois devoir citer ici un Cestoïde décrit et
figuré dans les Archives de médecine navale par
Davaine (1870) sous le nom de T. madagascarien- ■
sis, mais encore imparfaitement connu par des
fragments de strobiles et des proglottis.
D’après cet auteur, tes anneaux moyens me- '
surent 0““, 8 de long sur 2“““,2 de large, les -
anneaux postérieurs sont carrés ; les proglottis '
comparables, pour la forme, à des pépins de ;; '
pomme, ont de 3 à 4 millimètres. Les pores gé- ■
nitaux sont unilatéraux. Ce qu’il y a de plus re- ■
marquable dans ce Yer, c’est que les œufs sont
contenus dans des sortes de poches , de cap- -
suies au nombre de 120 à 150 par proglottis,
chacune renfermant de 300 à 400 œufs. L’em-
bryon est pourvu de six crochets.
C’est surtout par la disposition des œufs que
ce Tænia peut être distingué du T. nana; mais '
il faut remarquer qu’en ce qui concerne ce der-
nier, des renseignements précis nous manquent,
et c’est sur le silence de l’auteur qui l’a décrit
qu’on peut se baser pour admettre que, dans .
cette espèce , ils ' ne sont pas réunis dans des .
capsules. ■
Ce Tænia n’a jusqu’ici été observé que deux
fois à Mayotte (Cornores) sur deux enfants, l’un n. _ strobiie du
de dix-huit mois, l’autre de deux ans par Gre- nana grossi. (D’après Led-
net. Lorsqu’on aura eu l’occasion de voir ce
Cestoïde en entier, il est possible qu’il doive former non-seulement une
espèce, mais, suivant Davaine, un genre à part.
4° Tænia echinococcds, von Siebold. — Cette espèce (fig. 72) est en¬
core plus petite que la précédente, car le strobile entier n’atteint pas plus
de 3““,5 , cependant Krabbe en a observé de 6“”,5. Le nombre des an¬
neaux n’est, en général, que de trois ; Les deux premiers peu nettement
séparés et le dernier, qui forme à peu près la moitié de la longueur to-
372
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
taie, étant seul pourvu d’organes génitaux. La tête est armée, à la base du
rostellum, d’une couronne de trente-huit crochets alternativement grands
et petits et remarquables par la forte saillie de la
garde, laquelle, ainsi que le manche, sont propor¬
tionnellement beaucoup plus développés que la lame.
L’anneau mûr montre un pénis saillant.
A l’état de proscolex, ce vers forme les kystes hy-
datides à la surface interne desquels se développent
en grand nombre les échinocoques, comme on l’a vu
aux généralités. {Voy. p. 364.) Cette multiplication
considérable, par bourgeonnement, peut être regardée
comme contre-balançant le petit nombre d’embryons
émis par le strobile, puisqu’il n’offre qu’un pro-
glottis à la fois. Les échinocoques ont absolument
les caractères de la tête du strobile, seulement les
crochets sont d’ordinaire incomplets et réduits à la
lame.
^'Tœnia~e^M^coccm Tætiia echiiiococcus adulte habite l’intestin grêle
grossi (D’après Led- du Chien en nombre énorme lorsqu’il s’y rencontre ;
à l’état d’hydatide, on le trouve chez l’homme et
aussi chez les animaux domestiques ruminants, le bœuf et le mouton,
également chez le porc ; le foie est le lieu le plus habituel de son dé¬
veloppement. Assez rare dans l’espèce humaine en France et dans la
plus grande partie de l’Ëui’ope, il règne d’une façon souvent épidémique
en Islande ; Krabbe a fort bien démontré qu’il fallait en chercher les rai¬
sons dans la cohabitation avec les chiens et l’absence des soins de pro¬
preté.
5“ Tænia elliptica, Batsch. — Le Tænia elliptique est long de 100 à
300 millimètres et large de 2 à 3 millimètres à
sa partie postérieure. La tête est armée de cro¬
chets très-petits, irrégulièrement placés sur
trois ou quatre rangs. Mais ce qui empêche de
le confondre avec les autres espèces de l’hom¬
me, c’est que les articles mûrs (fig. 73), de
forme elliptique et à peu près deux fois aussi
long que large, présentent de chaque côté, en
leur milieu, un orifice génital. Les œufs ont une
double enveloppe.
Ce ver, très -commun dans l’intestin des
Chats, est assez voisin du Tænia cucumerina du
Chien pour que certains auteurs aient cru de¬
voir les réunir en une seule espèce. Quant à
sa présence chez l’homme, elle paraît hors de
doute, bien qu’on n’en connaisse que trois ou
quatre cas. Dans les observations un peu com¬
plètes, c’est toujours chez de jeunes enfants que ce ver a été rencontré
Fig. 75. — Proglottis du Tænia
elliptica (Tænia canina van
Beneden). — a, Œufs. — c,
Canal déférent. — d, Gaine
du pénis. — e, Vagin. . — f,
Parenchyme qui remplit la
cavité viscérale et dans lequel
se trouvent plongé.» les diffé¬
rents organes. (D’après van
Beneden.)
ENTOZOilRES. — cestoidea.
375
(Weinland, enfant de treize mois; Kuster, enfant de treize semaines;
Krabbe, enfant de trois mois) . 11 est bon de remarquer qu’à cette époque
le régime est celui des carnivores.
Les migrations du Tænia elliptique sont encore inconnues. Les recher¬
ches récentes de N. Melnikow (1869) ont montré que pour le T. cucume-
rina le ver, à l’état de scolex, habite un Insecte de la famille des Ricins,
le Trichodectes canis, qui, comme son nom l’indique, vit lui-même sur
l’hôte dans l’intestin duquel se développe le strobile. Si l’on admet l’iden¬
tité des deux espèces, c’est là qu’il faudrait rechercher les causes d’infec¬
tion.
6“ Tænia flavopünctata, Weinland. — Le Tænia à taches jaunes est très-
incomplétement connu, puisqu’il n’a été observé qu’une fois au Massa¬
chusetts par Palmer et encore sur un fragment d’environ 30 centimètres,
sans tête. Ce qui le rend surtout remarquable, c’est la présence sur chaque
anneau d’une tache jaune très-apparente, les articles eux-mêmes; sont
élargis et assez régulièrement quadrilatères, sauf les postérieurs qui
sont rétrécis en avant de manière à former des triangles. Les pores géni¬
taux unilatéraux rapprochent cette espèce du Tænia nana, mais jusqu’à
ce que nous ayons des renseignements plus complets, il est convenable de
laisser le TæMa flavopünctata hors rang.
Ce fragment avait été rendu par un enfant de neuf mois, sevré à six.
Genre Bothriocephalüs. — Vers cestoïdes, à tête munie de deux fentes {bothria) laté¬
rales, inerme, sans | roboseide distincte, orifices génitaux placés sur le côté large des
anneaux.
Genre établi en 1819 par Rudolphi et renfermant une vingtaine d’espèces qui habitent
le tube digestif de différents vertébrés et un mollusque.
7“ Bothhiocephalus laids, Bremser {Tænia prima Plateri ; Tænia lata,
Rudolphi; Dibothrium latum, Diesing; Tænia large, Ver rubanné large).
— C’est, avec le Tænia solium, le plus important des vers cestoïdes de
l’homme. Plater le premier, en 1603, l’a nettement indiqué ; il avait
sans doute été observé auparavant, car il n’est pas rare dans les contrées
où il se rencontre, mais on le confondait avec le ver solitaire ordinaire,
dont cependant il est facile à distinguer.
La longueur du strobile est de 6 à 20 mètres (Dujardin), sa couleur est
d’un gris sale. La tête (fig. 74) est remarquablement allongée, ovoïde,
sans trace de rostellum ni de crochets, et munie latéralement de deux
fentes longitudinales profondes, qui remplacent les ventouses, mais dans
lesquelles la disposition des fibres musculaires est moins nette.
Les premiers anneaux (fig. 75) sont faiblement accusés comme de lé¬
gères rides, les moyens sont à peu près carrés, les postérieurs sont beau¬
coup plus larges que longs, le rapport des dimensions étant souvent comme
un est à cinq ou six. Les anneaux n’ont pas, au même degré que chez les
Tænias, la tendance à se séparer les uns des autres en cucurbitains, ce qui
est peut-être en rapport avec la structure des organes génitaux et la
ponte.
374
ENTOZO AIRES. — cestoidea.
En effet, ces organes présentent d’assez notables différences ; comparés
à ceux qui ont été décrits plus haut comme type, ils n’ont été bien connus
que dans ces dernières années, par les recherches de Ludwig Stieda,
Fig. 74. — h, i. Tète (scolex)du Bothriocepha-
lus latus de l’homme prossie six fois et vue
sous deux aspects. — k, Tête du Bothrio-
céphale du Turbot grossie douze fois ; coupe
en travers faisant voir la disposition des
fentes latérales. (D’après Davaine. )
Fig. 75. — Portions de slrobile du Bothrioce-
phalus lcdus de grandeur naturelle. — a,
Tête et cou. — b, c, Articles moyens à peu
près carrés. — d, e, f. Articles postérieurs
élargis. — g. Articles terminaux vides et flé¬
tris. (D’après Davaise.)
A l’extérieur, on observe sur l'une des faces de chaque anneau, face ven¬
trale, une sorte de cupule (fig. 76 et 77, pj), ç’est l’analogue du pore
génital des Tænias, et l’on trouve au fond deux ouvertures (fig. 77i, une,
antérieure (c), par laquelle sort le pénis, l’autre, immédiatement placée
en arrière, orifice vaginal [d) ; les bords de la cupule sont garnis d’une
quantité de papilles (e) dont l’usage n’est pas parfaitement connu; en
outre, plus en arrière, vers le centre de l’anneau, existe un autre orifice
simple {ou) en rapport avec la terminaison du canal utérin. Voici quelle
est, d’après l’auteur précité, la disposition des organes internes mâle et
femelle et leurs rapports avec ces différentes ouvertures.
Les testicules, au nombre de 300 à 400, sont disséminés dans les par¬
ties latérales de l’anneau et se réunissent sur un canal déférent commun
qui se rend dans une gaîne du pénis {a b) bilobée, musculeuse et suscep-
ENTOZOÂIRES. — cestoidea. gijg
tible, en se retournant, de former l’organe copulateur; cet appareil génital
mâle ne diffère - - ’ ' ' °
Pénis esl ré-
li- progloLtis suivant). — b. Orifice vaginal destiné à la copulation .
du proglottis, ou voit l’orifice utérin par lequel s’effectue la
antéro-postérieure médiane d’un proglottis du Sothriocepha-
latus. — p.g. Cupule génitale. — e. Papilles qui l’entourent. — c. Canal déférent se
rendant au pore génital. — d. Ouverture vaginale. — a.b. Gaîne du pénis. — c.v. Vagin.
r.sp. Poche copulatrice. — sp.d. Sperniiducle. — g. Coupe de la hranche transversale du
germigène. — r d. Vitelloducte. — g.d. Germiducte. — g.p. Glande pelotonnée. — t.p. Tube
pelotonné. — c.u. Utérus. — o.u. (jrifice utérin. — h. Cuticule. — m.l. Couche de fibres
musculaires longitudinales. — ma. Couche de fibres musculaires annulaires. — (Dans celle
coupe les lesticules, les branches latérales du germigène, les vitellogènes qui occupent les par¬
ties latérales, n’ont pu naturellement être représentées. (D’après L. Stied.4.)
chez le Tænia. L’appareil femelle présente d’abord, en partant de l’orifice
'vaginal, un long lube, le îiogm (cti), qui se dilate en une ampoule ou pocJie
copulatrice (r. sp) destinée, comme toujours, à recevoir le sperme après
l’accouplement et à le conserver en réserve; ce réservoir communique.
376
ENTOZOAIRES. — cestoidea.
par un canal spécial, le spermiduete {sp d), avec les organes femelles
proprement dits. Ceux-ci comprennent un germigène (g) en forme d'H,
et des vitellogèues globuleux, en grand nombre, situés de chaque côté de
la ligne moyenne, se réunissant sur un canal commun médian {r d) ou
vitelloducte. Le germigène, lui aussi, est muni d’un canal vecteur, ger-
miducte {g d), et c’est sur ce canal que se réunissent également le sper-
miducte et le vitelloducte; cette disposition fait comprendre comment
le germe, le vitellus nutritif et la liqueur séminale, se trouvant réunis,
l’œuf est formé et fécondé. Les trois canaux, après s’être rendus dans un
organe encore énigmatique, laglande pelotonnée {g p), versent enfin leur
produit dans l’ntérus (eu), où les œufs s’accumulent jusqu’à ce qu’ils
soient rejetés à l’extérieur par l’orifice utérin (ou). C’est la présence de ce
dernier qui donne aux organes femelles du Bothriocéphale leur caractère
particulier, chez le Tænia, en effet, il manque complètement et l’on ne
trouve que le tube destiné à la copulation. Cette différence anatomique
est en rapport avec ce fait, que, chez le second, les œufs sont habituelle¬
ment mis en liberté par la destruction du proglottis, tandis que chez le
premier, il y a ponte naturelle; c’est à cela sans doute que tient éga¬
lement cette différence signalée plus haut, que les articles, chez le Ver
solitaire, se détachent sponta¬
nément et facilement les uns
des autres à leur maturité,
tandis que , dans l’espèce qui
nous occupe actuellement, ils
sont fortement unis, et, sou¬
vent, après la ponte, restent
flétris , ratatinés à la partie
Fig. 78. — Œafda Bothriocephalus latus. — a, Grossi postérieure du Strobile.
70 fois. — b, Grossi 34 > fois. — c, Traité par l’a- t r j d .^l * l
eide sulfurique concentré qui fait apparaître Toper- œufs du BotuTlOCepha-
cule. (D’après Davaine.) luS lutUS (fig. 78) sont OVOÏ-
des, longs de 0‘°“,068, larges
de 0““,044 (Davaine); ils ont une coque simple, peu épaisse, et, lors
de la sortie de l’embryon, présentent un opercule, ce qui rappelle les
œufs de certains Trématodes. L’action de la potasse caustique ou de l’a¬
cide sulfurique permet, sur les œufs qu’on recueille dans les selles, de
séparer l’opercule.
Le développement de ce ver a donné lieu, dans ces dernières années,
à plusieurs travaux importants de la part de Knoch, Bertholus, Leuckart;
mais ces savants n’ont pu cependant encore élucider complètement la
question. On sait fort bien qu’après les premiers phénomènes de l’évolu¬
tion d.ins l’œuf, lesquels ne durent pas moins de six mois, l’être qui sort
est une sorte de larve ciliée renfermant un embryon hexacanthe qui de¬
vient bientôt libre à son tour (fig. 79) et se meut, suivant les observa¬
tions de Leuckart, à la manière de l’embryon du Tænia. Mais que devient-il
ensuite? c’est ce qu’on ne sait pas avec précision. Knoch pense, d’après
quelques expériences faites sur des chiens, qu’il peut se développer di-
ENTOZOÂIRES. — cestoidea..
577
rectement dans l’intestin de ceux-ci, mais les faits invoqués ne sont pas
à l’abri de tout réproche, attendu que des Bothriocéphales peuvent nor¬
malement se rencontrer dans l’espèce ca¬
nine, d’ailleurs, comme le fait remarquer
Leuckart, on ne comprendrait pas dans
ce cas l’utilité des crochets de l’embryon.
Suivant Bertholus , le petit s’enkysterait
dans le tissu cellulaire de certains poissons
du genre saumon, et y donnerait naissance
aux Ligula nodosa, Rudolphi, qui seraient
par conséquent les scolex du Bothriocepha-
lus latus; la confirmation expérimentale de
cette opinion manque. Il paraît cependant
résulter d’observations depuis longtemps Fre. 79. — Embryon du Boihrio-
faites, que c’est sur les bords de .certains latus sortant de l’en-
, ^ ^ veloppe ciliee.
lacs, de certains neuves que cette espece est
commune, les eaux ou leurs habitants peuvent donc jouer un rôle dans
la propagation de cet animal.
Le Bothriocéphale large, est, en quelque sorte, complémentaire duTænia;
là où l’un est rare, l’autre est fréquent, et réciproquement. C’est surtout
en Suisse, en Russie, en Pologne et dans quelques parties de l’Allemagne
qu’on le rencontre, il a aussi, dit-on, été observé à Ceylan.
8“ Bothriocephalüs cordatüs, Leuckart. — Ce ver est trop rare et trop
peu connu encore, malgré les observations de Leuckart et Krabbe, pour
que je croie devoir m’y arrêter longtemps. Sa tête est (fig. 80) for
dilatée, cordiforme dans
certains états de con¬
traction. Le corps s’é¬
largit très - rapidement
pour atteindre sa dimen¬
sion normale, qui est
d’environ 7 à 8 milli¬
mètres. A une très-petite
distance de l’extrémité
antérieure , les articles
sont sexués; leur lon¬
gueur (fig. 81) dans cet
état est de 5 à 4 mil¬
limètres, les dernières
atteignent jusqu’à 6 millimètres. Les œufs, de même forme que ceux
du Bothriocéphale large, ont 0“'”,075 de grand diamètre.
Ce Cestoïde n’a jusqu’ici été rencontré qu’au Groënland, chez l’homme,
le chien, le phoque barbu et le morse; il en existe habituellement plu¬
sieurs individus sur un même sujet.
Fio. 80. — Portion antérieure du Fig. 81 — Projrlottisd
strobile du Bothriocephalüs cor- Bothriocephalüs cor-
datus. (D’après Ledckart.) datus. ( D’après Leu-
Dojabdin, Histoire naturelle des Helminthes. Paris, 1845.
378 ENTOZO AIRES (pathologie),
Blaschaed, Recherches sur l’organisation des Vers (Ann. des se. nat., 3* série, t. XI, 1849,
e.i. Atlas du règne animal, de Cuvier, Zoophytes).
Dieslag, Systema Helminlhum, Vienne, 1850-1851, et Révision der Mizhelminthen : Tremato-
den, 1858.
Baillet, Expériences sur l’organisation et la reproduction des Cestoïdes du genre Tænia (An¬
nales des sciences naturelles, 4« série, t. X, 1858).
Van Beneden, Mémoire sur les vers intestinaux (Supplément aux comptes rendus des séances
de l’Académie des sciences. Paris, 1858).
Davaine, Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l’homme et des animaux domes¬
tiques. Paris, 1860.
Oedonez, Note sur la distinction des sexes et le développement de la Trichina spiralis (Ann. des
SC. nat. 4= série, t. XVIII, 1862).
CoBBOLD, Remarks on ail the Human Entozoa (Proceed. of Zoolog. Soc. of iondon,'1862).
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Stieda (Ludwig), Sur l’anatomie du Bothriocephalus latus (Arckiv fur AnaJt. u. Phys., 1864,
traduit in Ann. des sc. nat. 1865).
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Peeez, Recherches sur l’anguillule terrestre (Annales des sciences nat., 5' série, t. VI, 1866).
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Balbiaxi, Recherches sur la propagation et le développement du strongle géant (Compt. rend,
de l'Acad. des sciences, t. LXIX, 1869).
Léon Vaillant.
PATHOLOGIE.
Les Entozoaires ont pour le médecin une signification tout autre que
pour le naturaliste. Celui-ci, se mettant au point de vue exclusif du para¬
site, considère ses caractères zoologiques, son origine, son développe¬
ment, ses migrations, sa reproduction, et ne voit dans l’être qui lui sert
de support qu’une question de milieu et d’habitat. Le pathologiste, au
contraire, a égard avant tout à ce dernier; il observe comment il est af¬
fecté par son hôte ; il apprécie les inconvénients qui en résultent pour
lui, les accidents auxquels il est exposé par cette présence, et recherche
les moyens propres à l’en délivrer.
Causes. — Dans ces conditions, le rôle de l’entozoaire, par rapport à
celui qu’il habite, est purement étiologique : c’est un corps étranger qui
séjourne dans les organes, à la façon d’un calcul, d’un épanchement
sanguin ou d’un néoplasme, qui en gêne les fonctions, et qui en l’irritant
éveille les sympathies les plus multijiliées.
On conçoit donc que la considération de l’organe où se rencontre le
parasite est pour nous supérieure à la connaissance de son espèce même.
Cependant il faut tenir compte de ce fait, que cei tains entozoaires ont une
prédilection en quelque sorte pour tel ou tel organè : l’ascaride lombri-
coïde habite l’intestin, la douve se voit dans le foie, le cœnure dans le
cerveau, etc. On trouvera, à propos de chaque organe et appareil décrits
en particulier dans ce Dictionnaire, la mention des entozoaires dont ils
peuvent être affectés spécialement, et les altérations qui en sont la suite.
D’un autre côté, l’animal, envahi par le parasite, offre à celui-ci des
conditions plus ou moins favorables à son développement. 11 existe réel¬
lement une prédisposition au parasitisme vermineux ; l’âge, le sexe, la
constitution, la race, le régime, la saison, le climat, l’hérédité même
ENTOZOAIRES (pathologie). 579
ont parfois une influence très-marquée, que nous constaterons à l’occa¬
sion de chaque espèce de vers étudiée séparément.
Il arrive souvent que les entozoaires se manifestent avec une intensité
exceptionnelle, et qu’ils se multiplient avec une rapidité extrême et sans
qu’on puisse de longtemps en débarrasser l’économie. De là sont venues
ces expressions : affection vermineuse, diathèse vermineuse, helminthia-
sis. On a également admis des fièvres vermineuses, des épidémies vermi¬
neuses, dans des circonstances qui semblaient justifier cette manière de voir.
Il ne saurait cependant être question de nos jours de soutenir l’idée
de la génération spontanée des helminthes ; car on connaît pour la plu¬
part de ceux-ci leur origine et leur mode de reproduction ; on sait
comment ils pénètrent dans les cavités viscérales et jusque dans les pa¬
renchymes les plus éloignés; on a vu enfin que leur séjour dans tel
animal ou dans tel organe n’est souvent qu’une phase de leur existence,
et qu’ils doivent pour quelques-uns changer de milieu avant d’atteindre
l’état adulte et se reproduire de nouveau. Mais on comprend très-bien
aussi que, suivant la nature et la quantité des sucs dont ils se nour¬
rissent, leur développement et leur multiplication soient entravés ou exci¬
tés ; c’est une loi commune à tous les êtres vivants, même aux parasites.
La trop grande tendance au parasitisme implique en général une con¬
dition d’infériorité pour celui qui en est infesté ; c’est chez les enfants
chétifs et lymphatiques à l’excès que les entozoaires pullulent; c’est dans
le cours des fièvres continues avec exagération et stagnation des flux
muqueux qu’ils se montrent avec exubérance. L’épidémie de maladie
muqueuse si bien observée par Rœderer et Wagler, durant les an¬
nées 1760 et 1761, en est un exemple remarquable ; la plupart des
malades atteints par cette épidémie présentèrent en abondance des lom¬
brics et des trichocéphales. Il est bien entendu que l'apparition des vers
dans ces circonstances n’est nullement primitive, et qu’elle est un simple
épiphénomène; aulrement la question changerait d’aspect.
Cette catégorie de faits étant admise, il faut convenir que dans un
grand nombre de cas le développement des entozoaires n’est subordonné
qu’au seul dépôt de leurs germes, œufs ou larves, dans les organes du
support. Il suffit d’avoir mangé une fois de la chair de porc Irichinée
pour être affecté de trichinose. Un seul cysticerque ladrique avalé vivant
avec les aliments peut devenir pour tout individu l’origine d’un tænia
armé. Il s’agit là d une autre forme de parasitisme, qu’on peut appeler
le parasitisme nécessaire; tandis que le précédent n’était que condi¬
tionnel. Voyez, du reste, comme complément de ces données, l’article
Pabasites.
Symptômes. — Relativement aux effets déterminés sur l’économie par
les vers, il y a dans rap[)réciation des médecins deux tendances irès-
oppo.sées. Les uns ne sont pas éloignés de croire à l’innocuité parfaite
de ces parasites ; ils concluraient volontiers à leur utilité même, comme
pour certains épizoaires. D’autres, au contraire, obéissant à un courant
différent des préjugés vulgaires, voient l’intervention des helminthes
380 ENTOZOAIRES (pathologie) .
partout, et principalement pour ce qui est de la pathologie de l’enfance.
Entre ces deux extrêmes, il y a place pour la vérité.
Il est positif que la présence des entozoaires passe souvent inaperçue;
non-seulement parce qu’elle est méconnue, mais aussi parce que ces pa¬
rasites ne provoquent en réalité aucun accident notable. Les trichocé-
phales se rencontrent sur un très-grand nombre de cadavres, sans que
rien les ait signalés pendant la vie. Il est peu d’enfants, même très-bien
portants, qui ne soient atteints d’ascarides lombricoïdes. Les hydatides
restent longtemps ensevelies dans les parenchymes, avant qu’on en
puisse constater l’existence d’une manière certaine. 11 arrive même que
dans quelques cas les helminthes exercent une influence avantageuse au
profit de leur support. Zimmermann raconte dans son Traité de l’expé¬
rience, d’après Pechlin, le fait d’un enfant qui avait une faim in.^tatiable,
une mémoire extraordinaire et un génie plus que médiocre, et qui perdit
le tout après qu’on l’eut débarrassé de lombrics dont il était affecté. Les
Abyssiniens, qui sont presque tous atteints de tænia, lui attribuent le
mérite d’entretenir leur appétit.
En somme, il en est ici comme pour les calculs biliaires qui demeu¬
rent longtemps et même quelquefois toujours ignorés. La phase patholo¬
gique ne commence réellement, pour les helminthes comme pour eux,
que lorsque leur présence occasionne des malaises ou entraîne tout à
coup quelque accident grave.
Les symptômes qu’on a mis sur le compte des entozoaires sont très-
variés. Ils dépendent soit de l’espèce de vers, soit surtout de l’organe
qu’ils ont envahi. Cependant, il existe, de l’aveu des praticiens, une ap¬
parence générale en rapport avec la présence des vers au sein de l’éco¬
nomie. 11 y a, comme on dit, un fades vermineux ; Teint terreux ou
verdâtre, pas.sant alternativement de la pâleur à la rougeur, visage légè¬
rement bouffi, yeux cerclés de noir, pupilles dilatées , physionomie triste
et abattue. A cela, il faut ajouter : le prurit des narines, des épistaxis
fréquentes, la fétidité de l’haleine, la salivation, le pointillé rouge de la
langue, un appétit exagéré ou dépravé, le ballonnement du ventre, une
sensation de picotement et de gargouillement autour de l’ombilic, la
constipation ou la diarrhée, des démangeaisons insupportables à l’anus,
l’incontinence d’urine, la spermatorrhée, l’aménorrhée, des palpitations
de cœur, la tendance aux syncopes, une toux quinteuse ou convulsive,
et enfin les troubles cérébraux les plus variés.
Ces derniers accidents ont particulièrement attiré l’attention des ob¬
servateurs. Davaine, dans son excellent Traité des entozoaires, a groupé
avec beaucoup de patience tous les faits les plus authentiques qui se
rapportent à cet ordre de .symptômes. De son côté, Th. Heslop, en An¬
gleterre, a décrit, d’après lui et d’après différents auteurs, toute une
symptomatologie cérébro-spinale de la présence des vers, et notamment
du tænia, dans le tube digestif. On peut observer : la céphalalgie, le ver¬
tige, le délire, la folie, le coma, la perversion des sens, la paralysie de
la sensibilité générale, les convulsions, l’hystérie, l’épilepsie, la chorée.
ENTOZOAIRES (pathologie). 381
le grincement de dents, le bégayement, le strabisme, le trismus, le téta¬
nos, l’hydrophobie, le tremblement universel, etc. Ces symptômes sont
loin d'être fréquents; quand ils existent, ils doivent être mis sur le
compte d’adtions réflexes provoquées par la titillation des vers sur les
surfaces avec lesquelles ils sont en contact.
La plupart des phénomènes morbides que nous venons de parcourir
sont particuliers aux vers intestinaux. Le diagnostic de ces entozoaires est
d’ailleurs rendu assez facile par ce fait qu’ils sont souvent entraînés avec
les garde-robes, au milieu desquelles on peut les trouver en nature ; tel
est le cas pour les cucurbitins, ou anneaux détachés du tænia. En l’ab¬
sence du ver lui-même, ou d’un de ses fragments, on a encore la res¬
source de rechercher ses ovules parmi les matières rendues. Davaine
a fondé sur ce genre d’exploration une séméiologie complète d.es vers
intestinaux, en montrant que leurs ovules ont des caractères distinctifs
très-tranchés. On pourra s’assurer de l’exactitude de cette méthode par
les figures qui ont été reproduites dans la partie zoologique de cct
article.
On obtiendrait encore un diagnostic direct par l’examen microsco¬
pique de l’urine d’un individu qu’on supposerait atteint de strongle
géant. On devrait, d'après Davaine, y trouver en grand nombre les œufs
de ce parasite. La nature de certaines hématuries réputées vermineuses
serait aussi appréciée par le même procédé : tel est le cas pour une nou¬
velle forme d’hématurie intertropicale observée au Brésil par le docteur
0. Wucherer, et dont les détails se trouvent reproduits par Le Roy de Mé-
ricourt dans l’un des derniers numéros des Archives de médecine navale
(1870). De même, on reconnaîtrait, dans les mucosités rejetées par les
animaux affectés de bronchite vermineuse épidémique, les débris et
les larves du strongle particulier qui produit cette maladie. Enfin citons
les faits très-curieux de cysticerques découverts dans l’œil à l’aide de
l’ophthalmoscope, et de trichines vues au microscope sur des parcelles
de muscles recueillies sur des individus vivants.
Les entozoaires ne se prêtent pas toujours à un diagnostic aussi cer¬
tain. Les accidents dus à leur présence se confondent le plus souvent
avec les diverses maladies des organes où ils se rencontrent; et si l’on
vient à soupçonner l’existence d’une pareille cause, ce n’est qu’une pré¬
somption justifiée par l’observation de faits antérieurs et par l’expérience
acquise : tel est le cas pour le cœnure cérébral dans ses rapports avec le
tournis du mouton.
Indépendammentdesdésordresinhérents au développement des vers dans
l’organisme, il peut encore surgir comme conséquence de leur seule pré¬
sence les complications les plus inattendues et quelquefois les plus graves.
C’est ce qui arrive par le fait de leur migration naturelle ou accidentelle
au travers de l’économie ; ainsi un ascaride lombricoïde s’introduit dans
les voies biliaires et les obstrue, un kyste hydatique du foie se rompt
dans la plèvre et y provoque une pleurésie suraiguë, etc. Mais de sem¬
blables événements échappent à toute prévision, et n’éclairent pas beau-
382 ENTOZOAIRES (pathologie). — ascarides lombricoïdes.
coup sur la nature de ce qui la détermine. Exceptons cependant le cas
où des hydalides sont rendues avec les garde-robes, ou sont rejetées par
l’expectoration.
Traitement. — Le traitement des affections vermineuses lîe comporte
qü’une seule indication. Il s’agit toujours par un moyen ou par un autre
d’amener l’expulsion du parasite. On peut arriver au même but par plu¬
sieurs voies : tantôt par des procédés chirurgicaux, et tantôt à l’aide de
substances médicamenteuses. Les agents pharmaceutiques qui reçoivent
cette destination, prennent le nom de vermifuges ou à’anthelminthiques.
{Voy. Antuelminthiques, t. II, p. 553.) Ils constituent un groupe peu na¬
turel, et sont empruntés aux diverses sections de la matière médicale. Ils
n’ont de commun que l’objet pour lequel on les emploie; c’est ainsi que
se trouvent rapprochés des produits tels que : l’huile de ricin, le calomel,
le seinen-conti a, la mousse de Corse, l’essence de térébenthine, la fou¬
gère mâle, Lécorce de racine de grenadier, le kousso, etc., etc.
Parmi ces substances, il en est, comme l’huile de ricin, qui n’agissent
guère qu’en vertu de leurs propriétés purgatives et partant expulsives.
Mais il en est d’autres qui sontpre.sque spécifiques, et qui ne s’appliquent
efficacement qu’au traitement d’une seule espèce de ver. Tel est le cas de
la fougère mâle qui paraît plus efficace pour chasser le bothriocéphale
que le tænia solium ; tandis que celui-ci est détruit presque à coup sûr
par l’écorce de racine de grenadier et par le kousso. Ces différents agents
sont plutôt vermicides que vermifuges.
Il y a, du reste, dans l’emploi des anthelminthiques, certaines condi¬
tions à remplir qui ne seront bien appréciées que lorsqu’on se mettra en
présence des faits particuliers de l’helminthiasis, ou qu’en se reportant à
l’histoire spéciale des plantes etdes substances auxquellesils sontempruntés.
Notre intention ne saurait être d’examiner au point de vue patholo¬
gique chacune des espèces d’entozoaires dont il a été fait mention dans la
première partie de cet article. Les détails qui ont été donnés alors pour la
plupart d’entre eux sont très-suffisants sous tous les rapports. Nous de¬
vons nous borner aux helminthes qui appartiennent plus particulièrement
à l’homme, et même à ceux qu’on trouve le plus fréquemment dans nos
contrées; encore faudra-t-il qu’ils offrent un intérêt réel pour la pratique.
Parmi les nématoïdes, nous étudierons l’ascaride lombrico'ide, l’oxyure
vermiculaire, la filaire et la trichine.
Parmi les trématodes, nous devrions donner notre attention aux dou¬
ves du foie; mais ce que nous en avons dit ailleurs (voy. Biliaires : voies,
t. V, p. 91) nous dispense d’y revenir ici.
Parmi les cestoïdes, nous décrirons, comme cas pathologiques, le
cysticerque, V échinocoque et le tænia.
I. Ascarides lombricoïdes. — Ce sont les entozoaires dont la présence
est constatée le plus souvent chez l’homme; et cela à cause non-seulement
de leurs dimensions qui ne leur permettent guère d’échapper à l’observa¬
teur, mais encore de leur fréquence relative qui est réelle. Aussi servent-
ENTOZO AIRES (pathologie). — ascarides lombeicoïdes, 383
ils ordinairement de type dans les descriptions générales qu’on donne
des vers intestinaux, quant aux circonstances où l’on rencontre ces para¬
sites, aux effets qu’ils déterminent sur l’économie vivante, et aux moyens
qu’on emploie pour les détruire.
Causes. — Les lombrics habitent normalement l’intestin grêle : c’est là
qu’ils trouvent les conditions les plus favorables à leur existence; c’est là
leur véritable milieu. Lorsque, par hasard, ils remontent jusque dans l’es¬
tomac ou qu’ils descendent dans le gros intestin, ils ne tardent pas à être
rejetés par le vomissement ou avec les garde-robes.
Ces vers sont rarement isolés ; ils se montrent en plus ou moins grand
nombre à la fois; mais il y a peu d’intérêt à préi iser cette quantité par
des chiffres, puisqu’elle n’est subordonnée à aucune règle nécessaire, et
que pour tout dire, elle peut varier depuis 1 jusqu’à 1000 et même da¬
vantage. Souvent il arrive que les lombrics sont rejetés à des intervalles
assez rapprochés, et qu’on en trouve de cette façon une proportion consi¬
dérable; il y a lieu de supposer alors qu’ils se sont reproduits très-rapi¬
dement par une sorte de pullulation qui n’est pas sans exemple dans
l’histoire du parasitisme. Dans quelques cas, on a vu les ascarides remplir
complètement l’intestin et y occasionner des obstructions infranchis¬
sables.
Sexe. — Le jeune âge est particulièrement exposé aux vers lombricaux.
Néanmoins, ils sont rares durant la lactation, alors que l’enfant n’em¬
prunte point encore ses aliments au dehors, et avec eux les germes de ces
parasites. Ils deviennent ensuite très-fréquents jusqu’à l’âge adulte qui les
offre encore assez souvent ; on les trouve même jusque dans la vieillesse
qui n’est pas sans en être atteinte quelquefois. Ils paraissent plus communs
chez la femme que chez l’homme. On les croit propres aux constitutions
faibles, lymphatiques et vouées à la scrofule. De mauvaises conditions
hygiéniques, une alimentation peu convenable, surtout composée de lé¬
gumes, de fruits, de matières sucrées et féculentes, et dont sont exclus
les boissons fermentées et les condiments, favorisent, dit-on, leur déve¬
loppement. Suivant Hippocrate, ils sont plus fréquents en automne;
tandis que Sennert les observait surtout au printemps. Ces vers sont
cosmopolites : on les trouve dans les climats froids et humides du
Nord et dans les contrées torrides des tropiques. Ils sont très-nom¬
breux à Cayenne, aux Antilles, etc. Ils paraissent affectionner spéciale¬
ment la race nègre.
Quelquefois les ascarides lombricoïdes semblent se présenter sous
forme épidémique. On cite des épidémies graves de fièvres muqueuses et
de dysenterie, dans le.squelles on les a rencontrés en abondance, et aux¬
quelles ils ont communiqué des caractères particuliers. On trouvera dans
l’important ouvrage de Davaine sur les entozoaires la mention des prin¬
cipaux faits de ce genre. Ils se présentent avec un tel cortège de détails,
ils ont été observés par des hommes si dignes de foi, et enfin le traite¬
ment anthelminthique a joué un rôle si considérable dans ces cas, que la
science doit en admettre l’authenticité. La plus célèbre entre toutes ces
384 ENTOZOAIRES (pathologie). — ascarides lombricoïdes.
épidémies est celle qui a régné à Gœttingen, durant les années 1 760 et
i 761, et dont la relation nous a été laissée par Rœderer et Wagler.
Mais quelle part revient aux helminthes dans ces affections épidé¬
miques ? En sont -ils la cause essentielle, et, par la dissémination de leurs
germes, la raison de l’extension de la maladie parmi les habitants d’une
même localité? Ou bien ne sont-ils pas plutôt le produit de circonstances
maladives qui auraient préparé et favorisé leur développement ? La solu¬
tion de ces questions n’est pas douteuse. Il est plus que probable que,
toute idée de génération spontanée étant mise de côté, le concours de
plusieurs influences est ici nécessaire. Ce que l’on sait du mode de repro¬
duction des ascarides, de la quantité énorme de leurs ovules qui est re¬
jetée par les selles, de la résistance de ces ovules à la destruction, rend
un compte suffisant de la propagation de ces parasites chez un très-grand
nombre d’individus à la fois ou successivement, même en dehors de circon¬
stances vraiment épidémiques. D'un autre côté, il faut convenir que tout
moment n’est pas propice à l’éclosion des germes ainsi disséminés et à la
pullulation des helminthes. Des conditions hygiéniques mauvaises, un
état maladif antérieur, ou actùel, interviennent à leur tour, et expli¬
quent comment les vers se manifestent quelquefois avec tant d’exubé¬
rance et viennent à leur tour compliquer un mal qui existait déjà.
La voie que suivent les œufs d’ascarides dans leur dissémination en gé¬
néral paraît être l’eau employée comme boisson, et particulièrement l’eau
des ruisseaux stagnants, des mares à proximité des habitations, et des
puits dans lesquels les déjections humaines peuvent arriver par infil¬
tration. Davaine attache avec raison beaucoup d’importance à cet ordre
de faits. 11 fait remarquer que les vers sont plus communs parmi les
habitants de la campagne, qui font ordinairement usage d’eau non filtrée
et telle qu’ils la puisent autour de leur demeure, c’est-à-dire souillée de
toutes sortes d’immondices. Ils atteignent fréquemment aussi, et pour la
même raison, les nègres des colonies et les soldats réunis en corps d’ar¬
mée. L’emploi habituel d’une eau courante ou filtrée, la préférence que
l’on donne aux boissons fermentées ou aux infusions chaudes, telles que
le thé, éloignent au contraire les chances de l’helminthiasis. Ces divers
arguments, invoqués avec beaucoup d’autorité par Davaine, sont très-
valables. Il faut y ajouter que les aliments qui n’ont pas subi de coction,
comme les fruits, les salades et certains légumes, et qui ont été arrosés
avec de l’eau impure, peuvent aussi servir de véhicule aux germes des
lombrics.
En résumé, si favorables que soient les conditions pour le développe¬
ment des ascarides dans le corps de l’homme, il faut d’abord, et de toute
nécessité, que leur œuf y ait été porté. (Davaine.)
Symptômes. — La présence des ascarides lombrico'ides dans l’intestin
peut être longtemps méconnue, jusqu’à ce que l’un de ces vers se montrant
par hasard au milieu des évacuations décide l’observateur à lui attribuer, à
lui et à d’autres, des phénomènes morbides sur la nature desquels il demeu¬
rait incertain. Celte conclusion n’est pas toujours bien rigoureuse; cepen-
ENTOZOAIRES (pathologie). — ascarides lombricoïdes. 385
dant comme le signe en question est absolu et pathognomonique, il y a
lieu de lui accorder toute la valeur qu’il mérite, et de grouper autour de
lui tout ce qui peut légitimement lui être rattaché. Il faut savoir de plus
que l’apparition d’un lombric dans les selles ou dans les matières vomies
n’implique pas forcément qu’il y en ait d’autres dans l’intestin, mais doit
pourtant le laisser soupçonner. L’examen microscopique des matières fé¬
cales, en y démontrant des ovules d’ascarides, peut alors donner au dia¬
gnostic une très-grande précision, même lorsque des vers n’ont pas en¬
core été évacués en nature. La quantité de ces ovules chez les individus
atteints de lombrics est telle, suivant Davaine, que chaque parcelle de ma¬
tière grosse comme une tête d’épingle en renferme plusieurs.
Lorsque les troubles déterminés dans la santé par les ascarides sont
notables, ils sont précisément ceux que nous avons indiqués dans nos
généralités sur les entozoaires ; car, parmi les vers intestinaux, les lom¬
brics les accusent davantage et surtout le, plus fréquemment. Ces symp¬
tômes se résument dans le faciès vermineux, dans certains dérangements
des fonctions digestives, et enfin dans les divers accidents sympathiques
que nous avons signalés alors.
Le rôle pathogénique des ascarides a été jadis étendu beaucoup plus
loin. Des pneumonies, des pleurésies, des méningites, des apoplexies, etc. ,
ont été considérées comme étant de nature vermineuse, et cela par action
indirecte de ces vers contenus dans l’intestin. Des constitutions médicales
tout entières, des épidémies, ont été revêtues du même caractère, et avec
elles toutes les manifestations morbides par lesquelles elles se révélaient.
On a décrit une fièvre vermineuse affectant, comme les autres fièvres
essentielles les deux types dominants, inûammatoire et putride, et pou¬
vant présenter dans son cours des déterminations sur différents viscères.
Nous avons donné d’autre part, la signification de ces maladies dites
vermineuses, dans lesquelles l’apparition des lombrics ou d’autres ento¬
zoaires, ne se produit guère qu’à titre de coïncidence ou de complication.
Nous convenons toutefois que ces parasites deviennent alors un élément
important pour le pronostic et pour le traitement, et qu’il y a lieu d’en
tenir grand compte dans la pratique.
Afin d’échapper à la banalité d’une pareille symptomatologie, nous
nous bornerons à apprécier les désordres les plus évidents qui sont dus
à la présence des lombrics, soit dans l’intestin, soit dans les diverses
parties du corps où ils sont amenés par une sorte de migration, en main¬
tenant toujours un rapport très-direct entre cesvers et les affections qu’ils
paraissent provoquer.
Les ascarides contenus dans l’intestin ne sont pas sans exercer une
certaine action sur leur récipient. Parfois leur abondance extrême, ou
leur pelotonnement, amenant l’occlusion de l’intestin, pourrait à la ri¬
gueur donner lieu à quelques-uns des signes de l’iléus. Cependant cette
occlusion ne paraît pas devoir être jamais absolue, ni durable, au point
d’occasionner des accidents sérieux. On a vu aussi figurer les lombrics
dans les hernies, et on leur a attribué un rôle dans l’étranglement| her-
KODV. DICT. HÉD. ET CHIR. XIII. — 23
386 ENTOZOÂIRES (pathologie). — ascauibes losibbicoïdes.
niaire (G. Richter, Wedekind); mais Davaine pense avec raison qu’ijs n’ont
guère ici d’autre influence que les matières contenues ordinairement dans
les hernies, et qu’ils peuvent tout au plus produire de l’engouement.
Dans les circonstances habituelles, le contact de ces vers sur la mem¬
brane muqueuse de l’intestin ne détermine aucune irritation appréciable.
Il est des cas cependant où des lésions très-réelles semblent avoir été la
suite de la présence des lombrics dans le canal intestinal ; telles sont :
le catarrhe de l'intestin accusé pendant la vie par des selles muqueuses ;
l’entérite pseudo-membraneuse avec expulsion de fausses membranes
par les garde-robes (Tonné) ; l’érosion hémorrhagique pouvant aller de¬
puis la simple ecchymose de la muqueuse (Leroux) Jusqu’à l’ouverture
d’une artériole et l’hémorrhagie intestinale (Chafcellay, Halmagrand) ;
et enfin l’ulcération profonde de l’intestin et sa perforation. Ce dernier
accident a souvent pour résultat le passage des vers dans le péritoine, ou
bien la formation d’un abcès vermineux qui peut s’ouvrir en différents
points de l’abdomen et laisser à sa suite un anus contre nature.
11 ne faudrait pas prendre à la lettre ce tableau si chargé des altérations
anatomiques attribuées à l’action des vers lombricoïdes, ni supposer que
ceux-ci aient le pouvoir de la déterminer par une intervention en quelque
sorte volontaire. La théorie qui faisait appeler ces parasites vers effr ac¬
teurs ne saurait être soutenue de nos jours. Leur organisation ne leur per¬
met pas d’agir d’une manière traumatique sur l’intestin, et ils se nourris¬
sent bien plutôt des matières qui traversent le tube digestif qu’aux dépens
de celui qui leur sert d’habitat. Mais si l’on se refuse à admettre des effets
aussi étendus de leur part, on a pu soutenir avec quelque apparence de
raison que cette influence s’exerçait d’une façon plus discrète ou tout à
fait indirecte. Mondière (de Loudun) a soutenu cette double explication.
D’une part, il croit que les lombrics peuvent traverser les parois de l’in¬
testin en s’insinuant entre les fibres de ce conduit, sans les détruire, et
au point même que toute trace de leur passage disparaît quelquefois ; et
de l’autre qu’ils provoquent l’ulcération de ces parois par leur contact
prolongé. Davaine, qui a soumis tous les faits invoqués relativement à ces
deux points de vue à une analyse sévère, démontre qu’ils ne résistent
point à la discussion. Dans tous les cas, l’ulcération de la paroi intestinale
avait dû précéder la sortie de l’ascaride ; c’est ainsi qu’on a vu ces vers
se porter dans le péritoine au travers d’une perforation typhoïde de l'in¬
testin. 11 est aussi à remarquer que leur migration par les diverses per¬
forations du tube digestif est plus fréquente pour l’estomac que pour l’in¬
testin, lorsque Ton sait au contraire que c’est dans cette dernière portion
des voies digestives qu’ils ont leur séjour habituel. Les lombrics ont, d’ail¬
leurs, de la tendance à s’engager dans toute lacune, ou tout orifice, que
présente la cavité où ils logent : nous en aurons bientôt la preuve ; et
cette disposition est surtout accusée après la mort de celui qui les porte,
alors qu’ils cherchent une issue vers le dehors. Dans ces conditions, on
doit tout au plus admettre, avec Davaine, que dans un intestin ramolli,
aminci, et profondément ulcéré, la pression de la tête d’un ascaride es t
ENTOZOÂIRES (pathologie). — ascarides lombeicoïdes. 387
capable d’opérer la déchirure et de compléter la perforation de la paroi.
Ce n’est que lorsque cette effraction se produit après la mort qu’on s’ex¬
plique comment on a pu trouver des ascarides dans le péritoine, sans
qu’il y eût trace de péritonite ; car les matières intestinales, en s’échap¬
pant par le même orifice que le ver, n’auraient pas manquéde donner lieu
à cette grave complication.
L’issue des lombrics hors du tube digestif par une perforation de ce
conduit n’a pas toujours pour résultat une péritonite généralisée. Ces vers
peuvent se faire jour jusqu’au tégument, soit d’une manière directe , soit
par l’intermédiaire d’un phlegmon ou d’un abcès dit vermineux. C’est
dans les points de la paroi abdominale où se montrent le plus habituelle¬
ment les hernies, à l’ombilic, à l’aine, que cette sorte d’évacuation se fait
le plus souvent ; et cela dans les mêmes rapports de fréquence , relative¬
ment à l’âge, que les hernies elle-mêmes.Davaine voit très-justement dans
ce résultat un nouvel argument en faveur de la passivité de la migration
des lombrics.
Cependant les tnmeurs vermineuses ont aussi été observées dans d’au¬
tres régions du corps : le long de la ligne blanche, au bas-ventre, au pé¬
rinée, dans les régions sacrée et lombaire, dans les hypochondres, dans la
paroi thoracique, etc. On a vu des vers lombrics occuper la paroi même
de l’intestin, un sac herniaire, un abcès par congestion, et pénétrer jus¬
que dans le parenchyme pulmonaire au travers d’une ulcération de l’œso¬
phage, et jusque dans la vessie par la destruction des tissus intermédiaires.
On trouvera dans l’ouvrage de Davaine l’indication exacte de tous ces faits
qui ont été collectionnés par lui avec une minutieuse et saine érudition.
Dans ces différents cas, des adhérences ont toujours prévenu l’effusion des
matières intestinales dans les cavités avoisinantes , et l’ahcès s’est com¬
porté comme s’il s’agissait de tout autre corps étranger cheminant vers
l’extérieur. Du reste, ce n’est quelquefois que consécutivement qu’un as¬
caride pénètre dans un foyer qui a fait communiquer l’intestin avec le
tégument externe, comme cela se produit à la suite d’un phlegmon de la
fosse iliaque. Ajoutons, pour terminer, qu’un anus contre nature peut
persister après un pareil accident et donner issue ultérieurement à de
nouveaux lombrics.
Ces entozoaires peuvent conserver leur qualité de vers erratiques sans être
■effracteurs. Il suffit pour cela qu’ils quittent l’intestin grêle, leur demeure
normale, pour s’engager dans l’une des voies naturelles qui y aboutissent.
Leur pénétration dans les voies biliaires par l’orifice du canal cholédo¬
que n’est pas un événement très-rare. Nous avons constaté le fait, et nous
l’avons étudié dans tous ses détails à propos d’un autre article [voy. Bi-
iiAiREs (Voies), t. V, p. 89]; nous n’y reviendrons donc pas ici.
Par la même raison, rien n’empêche les ascarides de se porter dans
les voies pancréatiques. Davaine rapporte quatre exemples de ce cas, qu’il
a empruntés à Th. Bartholin, à Gmelin, à Hayner et à Bréra. Du reste, il
n’est guère possible de soupçonner l’existence de cette complication du¬
rant la vie, et ce n’est qu’à l’autopsie qu’on peut s’assurer de sa réalité.
5S8 ENTOZOAIRES (pathologie). — ascarides lohbricoïdes.
Lorsque les lombrics se laissent entraîner au travers de l’orifice iléo-
cæcal dans le gros intestin, ils sont bientôt expulsés avec les selles : c’est
là un fait des plus ordinaires et- qui a par lui-même plus d’avantages que
d’inconvénients.
La présence de ces vers dans l’estomac s’accompagne de symptômes
plus pénibles. Elle s’accuse par des picotements à l’épigastre, par de la
toux gastrique, par des nausées, et enfin par des vomissements au milieu
desquels le parasite apparaît souvent au grand effroi et au grand soulage¬
ment du malade.
Dans cette expulsion des ascarides par le haut, un ver peut s’introduire
dans l’un des orifices qu’il rencontre sur son passage. On a vu quelque¬
fois des lombrics être rejetés par les narines ; on en a vu pénétrer dans
la trompe d’Eustache (Winslow) , et, de là, dans la caisse du tympan, pour
sortir par le conduit auditif externe (Bruneau), on en a même vu traver¬
ser le canal nasal pour se montrer dans le grand angle de l’œil. (Amatus
Lusitanus, Vrayet.) Mais le cas le plus fâcheux est lorsque l’un de ces
vers pénètre jusque dans les voies respiratoires pendant la vie ; il en ré¬
sulte presque toujours une suffocation mortelle. Davaine rapporte qua¬
torze observations de ce fait empruntées à différents auteurs. Dans un
seul cas, l’expulsion du ver par la toux empêcha une terminaison funeste.
(Aronssohn père.) Le ver a été trouvé, le plus souvent, occupant encore
le larynx ou la trachée. Il serait même possible de s’assurer de sa pré¬
sence par l’inspection de l’arrière-gorge, et de le voir en partie engagé
dans le larynx, d’où il ne serait sans doute pas difficile de l’extraire.
Mais la cause de la mort n’est souvent dévoilée que par l’autopsie, et
après que la constatation d’autres vers de même espèce dans le tube di¬
gestif a éveillé les soupçons sur sa véritable nature. On pourrait aussi
objecter, comme cela a été fait, que le ver n’a pénétré dans le conduit
aérien qu’après la mort. Une pareille chose est possible; cependant la
réalité de la complication qui nous occupe est aujourd’hui trop bien éta¬
blie pour qu’on doive la mettre en doute. Le diagnostic pourra toujours
être fondé sur la soudaineté des accidents de suffocation, donnant l’idée
qu’un corps étranger occupe les voies aériennes, et sur l’exploration de
l’arrière-gorge qui révélera parfois la qualité de ce corps étranger.
Cet ordre de faits permet de comprendre comment la mort subite a pu
être rangée parmi les conséquences éventuelles de la présence des lom¬
brics chez un individu, mais sans qu’on en ait précisé le motif; autrement
cette terminaison d’une affection bénigne au fond demeurerait inexplicable.
Traitement. — Les moyens employés pour combattre les ascarides lom-
bricoïdes se composent de toutes les substances, et la liste en est longue,
réputées anthelminthiques. Nous nous bornerons à mentionner, parmi
celles-ci, celles qui sont les plus usitées et dont l’efficacité est la moins
douteuse.
La plupart des purgatifs sont vermifuges. Quand ils n’auraient que l’a¬
vantage d’entraîner quelques vers avec les selles, et de déceler ainsi l’exis¬
tence de ces parasites, ce serait déjà beaucoup. Mais ils peuvent les chas-
ENTOZO AIRES (pathologie). ^ — aecakides lombeicoïdes. 389
ser définitivement. Sous ce rapport, les huiles grasses, et particulièrement
l’huile de ricin, sont d’une utilité incontestable. Odier (de Genève) avait
déjà prouvé que cet agent peut expulser le tænia; à plus forte raison est-il
capable de détruire les ascarides. Il est bon, à cet effet, de dépasser les
doses ordinaires de ce purgatif, et d’en donner jusqu’à 60 grammes, et
même plus, à la fois.
Du reste, la médication purgative sera toujours associée d’une ma¬
nière avantageuse aux vermifuges proprement dits, soit qu’on la mette
en usage en même temps qu’eux, soit qu’on l’emploie après quelques
jours de leur administration et pour en compléter les effets.
Le calomel réunit en lui les deux qualités de vermicide et de vermi¬
fuge, et convient très-bien dans le traitement des ascarides. On le donne,
suivant les âges, depuis la dose de 5 centigrammes jusqu’à celle de
1 gramme, mêlé à un peu de miel ou à du sirop de sucre. Les tablettes,
connues sous le nom de tablettes vermifuges, en contiennent 5 centi¬
grammes ; elles sont au sucre ou au chocolat. Il entre également dans la
composition de biscuits vermifuges dans des proportions que le médecin
doit connaître et préciser. Enfin on l’associe souvent à certains autres
anthelminthiques que nous indiquerons par la suite.
Les diverses préparations mercurielles possèdent toutes des propriétés
vermifuges ; mais elles sont beaucoup moins usitées que le calomel dans
le but qui nous importe ici.
La sântonine est aussi très-efficace contre les ascarides. Elle est d’un
emploi commode dans la médecine des enfants, en raison de sa saveur
peu prononcée. On la donne à la dose de 5 à 40 centigrammes par jour,
pure ou unie au jalap, à la scammonée ou au calomel. On en fait des pas¬
tilles, des dragées, des biscuits, où elle figure ordinairement avec l’une
des substances que nous venons de nommer. Küchenmeister l’administre
dans l’huile de ricin. Sous cette forme, J. Brisbane lui attribue une éner¬
gie toute particulière, et la considère comme vraiment spécifique dans te
traitement des lombrics. Il la prescrit à la dose de 10 à 40 centigram¬
mes dans une quantité d’huile de ricin qui varie depuis une cuillerée à
café jusqu’à une cuillerée à bouche, suivant l’âge du sujet. 11 la donne le
soir, et le lendemain matin il administre une infusion de séné.
Le semen-contra était naguère encore le vermifuge le plus employé
contre les lombrics. Il doit à la sântonine qu’il contient une grande partie
de ses propriétés anthelminthiques; il agit aussi par une huile essentielle
qui lui est propre. Il se prend en poudre à la dose de 2 à 8 grammes par
jour, simplement délayé dans de l’eau ou dans du lait; on l’incorpore
aussi au sirop, au miel et au pain d’épices. Il entre enfin dans une foule
de préparations vermifuges plus ou moins complexes qu’il est inutile
d’énumérer ici. On le donne trois ou quatre jours de suite, puis on pres¬
crit un purgatif pour compléter le traitement.
Des plantes voisines de l’artemisia-contra, telles que l’absinthe ma¬
rine, la tanaisie, la camomille, la santoline, etc., jouissent également de
vertus anthelminthiques très-énergiques. On peut les ordonner à la dose
390 ENTOZOAIRES (pathologie). — oxydees -verhicdlaires.
de 4 à 16 grammes infusées dans 125 grammes d’eau ou de lait; on
sucre à volonté. On connaît, sous le nom de barbotine, un mélange des
semences de ces différentes plantes et de semen-contra, qui s’emploie aux
mêmes usages et aux mêmes doses.
La mousse de Corse vient ensuite dans l’ordre d’efficacité contre les
ascarides, mais à la condition d’être très-récente et de n’avoir pas été fal¬
sifiée. C’est un mélange d’un, très-grand nombre d’algues marines dans
lequel prédomine le fucus helminthocorton. Son principal mérite est d’a¬
voir une saveur peu prononcée et partant de convenir aux enfants. Elle
se prescrit en poudre à la dose de 2 à 4 grammes par jour, ou en infusion
à celle de 8 à 16 grammes pour une tasse d’eau ou de lait. On en fait
aussi un sirop (Boullay), et une gelée (Codex).
L’ai/, le camphre, Y essence de térébenthine, le pétrole, sont d’excellents
moyens pour détruire les lombrics; ils sont d’un usage pour ainsi dire
populaire. Le soufre en poudre et les sulfites alcalins sont aussi très-
utiles et très-peu dispendieux.
La spigélie, le figuier de Cayenne, le kamala, sont d’un emploi beau¬
coup plus restreint dans nos pays.
Les substances amères sont en général vermifuges ; aussi a-t-on quel¬
quefois prescrit, dans ce but, Yaloès, la noix vomique, le quinquina, le
simarouba, etc. Nous-même avons vu, dans un cas, l’extrait de quassia
amara provoquer l’expulsion d’un très-grand nombre de lombrics et faire
cesser des accidents dont l’origine nous était restée inconnue.
Laissant de côté une foule d’autres agents qui sont efficaces sans doute
comme anthelminthiques, mais dont l’emploi est dangereux ou qu’il est
difficile de se procurer, nous terminerons cette revue thérapeutique en
signalant les propriétés vermifuges très-remarquables que nous avons
reconnues à un composé de fluor, Yhydrofiuosilicate de potasse. Cette
substance est très-peu soluble dans l’eau, et cependant l’eau avec laquelle
elle a été en contact détruit très-énergiquement les animaux inférieurs
aquatiques, tels que les infusoires, les planaires, les sangsues, les mol¬
lusques, les crustacés, etc. Nous avons administré ce produit à des indi¬
vidus affectés d’ascarides, et nous avons obtenu facilement l’expulsion de
ces vers; nous le donnions en poudre, dans de l’eau sucrée ou dans du
sirop, depuis 5 centigrammes jusqu’à un 1 gramme, sans occasionner
d’autres accidents que quelques pincements d’estomac. Les effets de ce
moyen sont rapides, et il n’a pas besoin d’être continué longtemps. Il est
bon, comme pour les autres vermicides, de faire suivre son emploi d’une
purgation à l’huile de ricin.
IL Oxyures verïuculaires. — Les oxyures habitent presque exclusive¬
ment l’extrémité inférieure du gros intestin ; rarement on les rencontre
plus haut et jusque dans le cæcum. (Bremser.) 11 leur arrive parfois de
se porter à l’extérieur, pour, de là, remonter, chez la femme, dans le
vagin, et même dans l’urèthre et dans la vessie.
-Ces vers trouvent dans l’endroit qu’ils occupent habituellement les cir¬
constances les plus favorables à leur pullulation. Leur extrême petitesse.
ENTOZOAIRES (pathologie). — oxyures vermicdlaires. 391
les plis du rectum au milieu desquels ils se cachent, leur permettent
d’échapper en partie aux moyens qu’on emploie pour les détruire; et,
lorsqu’on croit en avoir débarrassé les malades, ils ne tardent pas à ma¬
nifester de nouveau leur présence par les symptômes les plus importuns.
Causes. — Ils sont particuliers à l’enfance; cependant ils existent aussi
chez l’adulte et chez le vieillard. Il peut arriver qu’un même individu en
soit affecté aux diverses époques de sa vie, soit en vertu d’une prédisposi¬
tion spéciale, soit parce qu’à la suite d’une première infection on n’a ja¬
mais pu parvenir à le délivrer entièrement de ces parasites.
Ils ont été observés dans tous les climats et sous toutes les latitudes. Ils
paraissent plus communs au printemps et à l’automne ; du moins c’est à
l’époque de ces deux saisons qu’ils accusent leur existence de la manière
la plus fâcheuse.
Ils pénètrent sans doute dans l’économie, comme les lombrics, par le
moyen de leurs œufs, qui sont mélangés aux aliments ou aux boissons.
Cependant ils peuvent aussi se transmettre par contagion directe, en
vertu de leur tendance à la migration extérieure, et par la cohabitation
avec des personnes qui en sont affectées.
Symptômes. — La présence de ces vers dans le rectum en très-grand
nombre à la fois a souvent pour résultat d’y provoquer une irritation très-
appréciable. La muqueuse se tuméfie, se ramollit, devient le siège d’une
sécrétion catarrhale abondante et peut même offrir des points ecchymo-
tiques ; il n’y a pas d’exemple que ces effets puissent aller jusqu’à l’ulcé¬
ration de l’intestin.
Maisy en dehors de ces lésions plus ou moins accusées, les oxyures dé¬
noncent leur existence par les symptômes les moins équivoques. Ce sont
d’abord des douleurs sourdes vers la partie inférieure du gros intestin,
puis un ténesme rectal qui se propage jusqu’aux voies urinaires, et par¬
dessus tout une démangeaison anale qui offre le caractère le plus saillant
de cette affection. Le prurit n’est pas continu; il s’exaspère à certains
moments, et notamment après les repas, et le soir sous l’influence de la
chaleur du lit. Cette sensation est parfois intolérable et peut provoquer
les accidents sympathiques de l’ordre de ceux que nous avons signalés
pour les lombrics, à savoir : les convulsions, la chorée, l’épilepsie, les
attaques hystériques, etc.
Du côté des organes génito-urinaires, on voit se produire les excitations
les plus fâcheuses : l’incontinence nocturne d’urine, l’onanisme, le saty-
riasis, les pertes séminales involontaires reconnaissent souvent pour
cause la présence des oxyures dans le rectum. Il est à peine nécessaire
d’insister sur les inconvénients qui en résultent pour la santé générale.
Lallemand a tracé le tableau le plus sombre de ces pollutions vermi¬
neuses, et en a parfaitement indiqué l’origine et le remède.
La meilleure démonstration que tout ce cortège de symptômes appartient
bien aux oxyures est dans la recherche directe de ces parasites. Souvent on
peut en voir quelques-uns au milieu d. s plis de l’anus; ils se montrent aussi
très-fréquemment dans les selles, où il est facile de les découvrir encore
392 ENTOZOAIRES (pathologie). — oxïdres vermicülaires.
vivants; enfin, dans les cas douteux, on prescrira un purgatif, ou mieux en¬
core on administrera un simple lavement d’eau froide, et un certain nom¬
bre de ces vers ne manqueront pas alors d’être entraînés à l’extérieur.
Traitement. — Les inconvénients quelquefois très-graves qui résultent
de l’action des oxyures sur l’économie, et la difficulté qu’on éprouve tou¬
jours à détruire ces vers d’une manière définitive, justifient le grand nom¬
bre de moyens qu’on a conseillés contre eux.
La plupart des remèdes anthelminlhiques que nous avons indiqués à
propos des ascarides lombricoïdes pourraient être employés avec avan¬
tage ici : les purgatifs huileux, le calomel, la santonine, etc., réussissent
quelquefois ; mais il est souvent indispensable de joindre à ces médicaments
pris par la bouche d’autres vermifuges portés directement dans le rectum.
Les lavements d’eau froide ont été préconisés par van Swielen. Ils doi¬
vent être assez abondants pour détacher et entraîner les oxyures; Lallemand
prescrivait même contre les pertes séminales involontaires occasionnées
par ces parasites de véritables douches ascendantes.
Les diverses plantes anthelminlhiques que nous avons énumérées plus
haut peuvent entrer dans la confection de lavements contre les oxyures.
Il en est de même de Vail et de Y asa-fœtida, etc.
Les mercuriaux, et particulièrement Y onguent gris (Cruveilhier) , ont été
introduits jusque dans le rectum. Cette dernière pommade y sera portée
directement avec le doigt, ou fondue dans une certaine quantité d’eau tiède.
On a encore employé des lavements de savon (Guérard), de sel marin
(Le Cœur), d’éther sidfurique à la dose de 4 à 8 grammes dans de l’eau
froide (Delasiauve) , d’eau sucrée, d’eau chargée d’huile empyreumatique
de Ghabert, de vinaigre, de suie de bois, d’acide arsénieux (1 centigramme
pour 40 grammes d’eau) , etc.
Les lavements huileux, et notamment d’huile d’olive, ont l’avantage de
calmer promptement les démangeaisons anales; Hervieux préconise Yhuile
de ricin.
Frœnkel a recommandé les lavements à Veau de chaux, à la dose de
90 grammes pour 30 grammes de décoction de guimauve.
Les eaux sulfureuses naturelles ont été employées par Lallemand;
Guersant prescrivait des lavements contenant 30 à 60 centigrammes de
sulfure de pofme pour 250 grammes d’eau. Les sulfites alcalins sont
également efficaces. (Polli.)
Schultz Bipont, dans les cas rebelles, donne des lavements d’azotate
d’argent, d’après la formule suivante :
Pr. : Azotate d’argent cristallisé . 50 à 75 centigrammes.
Eau distillée . 120 grammes,
pour un lavement.
On doit prendre trois de ces lavements à un jour d’intervalle. Le pre¬
mier, en général, n’est pas gardé ; il est bientôt rejeté avec un certain
nombre d’oxyures, les uns morts, les autres vivants. Les deux autres
lavements ne sont rendus qu’au bout de plusieurs heures, en entraînant
une grande quantité de vers morts.
ENTOZOÂIRES (pathologie). — oxyures veruicülaires. 393
Les différents moyens que nous venons d’indiquer, sans avoir épuisé la
liste de ceux qui ont été vantés contre les oxyures, doivent être employés
avec une certaine persévérance, si l’on veut obtenir un résultat définitif;
et bien souvent , alors qu’on croyait avoir réussi , on voit revenir les
parasites et les démangeaisons; Il faut, dans ce cas, faire de nouvelles
tentatives, en graduant les remèdes d’après la résistance qu’on éprouve à
débarrasser le malade d’une affection aussi incommode, et en commençant
par de simples irrigations d’eau froide pour finir par les lavements d’azo¬
tate d’argent.
III. Pilaire. — La filaire n’est observée que très-exceptionnellement
en France, et même en Europe.
Causes. — Les faits qui s’y rapportent se présentent tous dans des
circonstances semblables : ce sont des marins ou des voyageurs qui ont
fréquenté les contrées où la filaire est endémique, c’est-à-dire les ré¬
gions tropicales de l’Afrique ou de l'Asie, et qui, revenant ensuite dans
l’un de nos ports ou dans leurs pays d’origine, offrent, au bout d’un temps
plus ou moins long, les accidents propres à l’entozoaire qui nous occupe.
Et encore ces cas sont-ils assez rares : Da vaine, qui les a collationnés avec
soin dans son Traité des entozoaires, n’en a trouvé en tout que seize pour
l’Europe, dont cinq pour la France. Nous n’avons à y ajouter que le fait,
d’Alvarez, recueilli à Cadix, en 1856.
Voici le résumé de quelques-unes de ces observations ; il suffira pour
donner une idée de toutes les autres :
1“ Dans le fait de Maisonneuve, observé à Paris, en 1844, il s’agit
d’un homme de 28 ans, qui avait quitté le Sénégal depuis plus de quatre
mois ; il présentait au pied gauche une tumeur de laquelle on retira avec
assez de peine deux filaires. Le malade guérit.
2° Dans le fait de Malgaigne, vu également à Paris, en 1854, le malade
venait de Bombay. Deux mois après qu’il eut quitté l’Inde, et lors d’un
séjour qu’il fit à Paris, on constata chez lui, en arrière de la malléole
interne du pied gauche, l’existence d’une filaire qui fut extraite par
l’incision de la peau.
3° Le fait de Cézilly a été recueilli à Toulon, en 1857; il appartient à
un homme de 22 ans qui avait habité le Sénégal en 1855, et Bombay en
janvier 1857. H vint en France au mois de mars de cette dernière année;
il était affecté de filaires aux jambes.
4° Enfin le fait d’Alvarez étant le moins connu, nous le reproduirons
en entier : « David Kidney, âgé de 29 ans, marin à bord de la goélette
Edinhurgh-Packet, arrivant du Sénégal, entra à l’hôpital civil de Cadix
pour une douleur aiguë qu’il éprouvait à la partie inférieure interne de la
jambe gauche, quelques lignes au-dessus de la malléole. Cette région ne
présentait rien d’anormal, à l’exception d’un léger gonflement. On appliqua
un cataplasme émollient. Le lendemain, on s’aperçut qu'il s’était formé
une ouverture au centre de la tumeur, et qu’il en sortait un petit corps
blanc, très-délié, de 4 à 6 lignes de longueur. On crut d’abord que c’était
un filet nerveux ou tendineux; mais Alvarez, en l’examinant, reconnut que
394 ENTOZOAIRES (pathologie). — oxyures vermicul aires.
c’était un dragonneau ou filaire de Médine , espèce de ver filiforme dont
on a longtemps nié l’existence, et qui ne s’observe guère que dans les
contrées situées sous la zone torride. L’attention ayant été attirée vers ce
singulier entozoaire, on le vit exécuter de légers mouvements, sortant de
sa cavité ou y rentrant, suivant qu’on l’abandonnait à son instinct ou
qu’on le tirait à l’aide d’une épingle. On parvint à en faire sortir une
longueur de 1 pouce en arrosant la jambe avec de l’eau très-chaude,
au-dessus du point malade, mais on le rompit en tâchant de l’extraire.
Le fragment fut examiné au microscope solaire. C’était un corps tubu¬
laire, transparent, formé d’anneaux ou de cercles plus obscurs par inter¬
valles. Le sieur Kidney éprouva quelque soulagement et fut bientôt obligé
de se rembarquer. S’il fût resté plus longtemps à l’hôpital. Alvarez se pro¬
posait d’inciser la tumeur et d’y pratiquer des frictions mercurielles. »
Symptômes. — Ce qui frappe dans la plupart des cas de filaire observés
dans les conditions dont nous parlons, c’est la longue durée qui s’écoule
avant que cet entozoaire manifeste sa présence. Cette sorte d’incubation,
d’après les relevés de Davaine, n’est jamais moindre que deux mois. Elle
peut être d’un an, de quinze mois ; Kæmpfer cite même un individu chez
qui la filaire n’apparut que la troisième année après avoir quitté le pays où
-il avait pu en contracter le germe. Ce terme, au delà duquel les accidents
commencent à se produire, semble indiquer le temps qu’il faut à la fi¬
laire pour accomplir toute son évolution, et pour que ses embryons soient
eux-mêmes arrivés à maturité. Les signes par lesquels ce parasite accuse
alors son existence ne seraient que le résultat de sa tendance à la migra¬
tion vers l’extérieur.
Lorsque la filaire se trouve immédiatement sous la peau, dans une ré¬
gion où celle-ci est assez mince, elle s’y montre sous forme d’une tu¬
meur irrégulière et sinueuse, ressemblant assez bien à une veine vari¬
queuse : d’où le nom de veine de Médine par lequel la filaire a été
autrefois désignée. (Rhazès, Avicenne.) Cette tumeur reste plus ou moins
longtemps indolente et sans changement de coloration de la peau. Puis
elle devient le siège d’une légère démangeaison, et peu à peu elle s’en¬
flamme en prenant l’aspect d’un phlegmon ou d’un furoncle. Le ver
peut alors en sortir spontanément, en totalité ou en partie. Dans ce cas,
on le voit apparaître comme un filament nerveux ou tendineux, qui par¬
fois se rétracte et disparaît dans les tissus profonds. Des accidents plus
graves peuvent surgir : ce sont des suppurations étendues, des décolle¬
ments, de la gangrène (Clot-Bey) ; la mort en a été même dans quelques
faits la conséquence. Ces désordres assez sérieux se produisent surtout
lorsque, dans les tentatives que l’on fait pour extraire la filaire du foyer
qu’elle occupe, ce ver vient à être rompu. Cette circonstance passait au¬
trefois pour constamment mortelle; quoique très-fâcheuse par elle-même,,
elle n’est pas aussi redoutable qu’on l’a dit : les malades, à la suite de
suppurations de longue durée, finissent ordinairement par se rétablir.
Seuls, des individus affaiblis par des maladies antérieures ont succombé.
Il n’est pas besoin de dire que ces lésions locales s’accompagnent de-
ENTOZOAIRES (pathologie). — trichimes et TRicHiisosE. 395
fièvre, de céphalalgie, de nausées, et même à la longue de marasme.
A la suite de quoi les malades sont longtemps à se remettre, et en gar¬
dant quelquefois des rétractions incurables du membre qui a été le siège
de ces suppurations diffuses.
On se rend assez difficilement compte de l’étendue et de la gravité de
ces désordres. La présence seule de la filaire et l’ouverture du foyer
qu’elle habite ne suffisent pas pour tout expliquer. Il faut encore, avec
Davaine, attribuer une part très-grande à ces embryons innombrables
qui sont mis en liberté par la rupture de la filaire et qui, se répandant
au milieu des tissus, y agissent comme autant de corps irritants. Malgré
cela, il ne paraît pas que les jeunes filaires puissent infester l’économie;
pour pénétrer au sein de l’organisme et y vivre, elles doivent avoir été
puisées au dehors, et dans un état de développement qui n’est pas en¬
core connu.
Traitement. — Le traitement à opposer à la filaire est tout indiqué. Lors¬
que la tumeur dont ce ver détermine la formation est très-apparente, on
doit en pratiquer l’ouverture comme s’il s’agissait d’un abcès ou d’un furon¬
cle. L’incision simple est le plus souvent mise en usage. Dans le Cordofan
et le Sennaar on perce la peau à l’aide d’un fer rougi au feu. Mais la vé¬
ritable difficulté consiste à extraire ce ver long et fragile sans le rompre.
A cet effet, on est dans l’habitude de fixer la partie qu’on peut en saisir
avec un fil de soie, et de l’enrouler autour d’un corps cylindrique à me¬
sure qu’il se dégage pour ainsi dire de lui-même de son foyer et sans
exercer de tractions bien fortes. Cette dernière partie de l’opération dure
quelquefois assez longtemps, depuis quelques heures jusqu’à huit jours
et même un mois et six semaines.
Si dans ces tentatives la filaire vient à se rompre, on devra inciser
largement la tumeur, puis pratiquer sur les parties enflammées des dé-
bridements étendus et profonds. On fera ensuite des applications émol¬
lientes sur le tout.
Dans les pays où la filaire règne endémiquement, on emploie aussi un
traitement général contre elle, soit pour s’en préserver, soit pour la dé¬
truire lorsqu’on en est atteint. L’asa-fœtida jouit à cet égard d’une très-
grande faveur, et les individus qui en font habituellement usage pour
assaisonner leurs mets passent pour être exempts de la filaire. D’autres
substances, telles que l’ail, le poivre, le camphre, l’aloès, les mercuriaux,
le soufre, sont aussi réputées efficaces. Cette opinion, qui attribue une
vertu quelconque à un traitement général de la filaire, est trop répandue
pour n’avoir pas en partie sa raison d’être.
La filaire de 1 œil humain offre, au point de vue de la symptomatologie
et du traitement, des détails assez spéciaux, pour que nous en renvoyions
l’étude parmi les maladies des yeux. {Voy. ÛEm.)
IV. Trichines et trichinose. — Après que la trichine eut été décou¬
verte, classée et nommée par Richard Owen, en 1835, il s’écoula un
temps assez long pendant lequel l’histoire de ce parasite demeura sta¬
tionnaire Malgré les quatorze faits qui furent réunis dès le premier mo-
396 ENTOZOAIRES (pathologie). — trichines et trichinose.
ment par Owen lui-même, malgré un certain nombre d’autres cas qui
furent ensuite observés dans différents pays, comme les trichines n’étaient
jamais rencontrées que par hasard et dans les autopsies d’individus morts
de maladies diverses, on ignorait encore quelle était leur origine et par
quels symptômes elles accusaient leur présence dans l’économie. On était
presque disposé à les considérer comme un exemple démonstratif de
génération spontanée (Dujardin, 1845), et comme pouvant exister sans
donner lieu à aucun accident notable (Davaine, 1860).
Cependant, dès l’année 1847, J. Leidy, en Amérique, découvrit la
trichine chez le porc, et démontra par cela même que là sans doute
était la source de l’infection trichineuse de l’homme. Mais ce ne fut
qu’en 1860 que Zenker, à propos d’une observation mémorable, posa les
bases de la symptomatologie et du diagnostic de cette infection chez le vi¬
vant. A la même époque et avec le même fait pour point de départ, Vir¬
chow montra comment les trichines se propagent d’un animal à l’autre,
comment elles se reproduisent d’abord dans l’intestin, et quelle voie leurs
embryons suivent pour pénétrer ensuite jusque dans l’épaisseur des
muscles et s’y enkyster. Bientôt après des faits nombreux, de véritables
épidémies, delà maladie trichineuse furent observés, particulièrement
dans le nord de l’Allemagne; et peu à peu le groupe de toutes les no¬
tions relatives à la trichine fut constitué. La maladie qu’occasionne ce
parasite reçut, chez nos voisins, le nom de trichiniasis et en France
celui de trichinose. On a proposé (Pietra-Santa), à l’imitation de ce qui
a été fait dans des circonstances semblables, de l’appeler maladie de
Zenker, pour reconnaî.tre la part que le médecin de ce nom a eue à la
création de la nouvelle espèce nosologique. Mais, outre qu’une pareille
nomenclature n’est pas régulière, elle a souvent pour inconvénient de
consacrer une injustice à l’égard de ceux qui ont préparé une découverte
ou qui l’ont complétée : nous nous en tiendrons donc aux dénominations
que nous avons indiquées d’abord.
L’histoire naturelle de la trichine étant faite (p. 338), il nous reste à
traiter des conditions générales de son apparition, des signes qui accu¬
sent sa présence chez l’individu vivant, et des moyens dont on dispose
pour la combattre.
Causes. — C’est par l’usage de la chair de porc trichinée elle-même que
l’entozoaire, qui nous occupe, atteint l’homme. Or, la trichinose n’est pas
extrêmement rare chez le porc. Elle a été observée dans différents pays :
en Allemagne, en Hongrie, en Danemark, en Suisse, en Belgique, en
Hollande, en Angleterre et jusque dans les deux Amériques et dans les
Indes orientales. Par suite d’une immunité assez inexplicable, ou de re¬
cherches insuffisantes, on ne l’a pas encore rencontrée en France. La
fréquence relative de cette affection a pu être déterminée dans quelques
villes, grâce à des mesures sanitaires prises par les municipalités. A
Brunswick, sur 30,000 porcs examinés en deux ans, on en a trouvé
2 qui étaient trichinés. A Blaiikenbourg, la proportion a été de quatre
cas de trichinose sur 700 porcs tués. On a même constaté, dans d’autres
ENTOZO AIRES (pathologie). — trichines et trichinose. 317
localités, des chiffres plus élevés encore, comme celui de 1 pour 100 par
exemple ; mais ces résultats ne sont pas constants : ils varient nécessai¬
rement d’un moment à l’autre.
Quant à la cause d’une pareille affection chez le porc, elle n’est pas
parfaitement connue. Il est vraisemblable que cet animal en contracte le
germe par quelque circonstance de son alimentation. Les rats et les sou¬
ris de nos habitations sont assez fréquemment affectés de trichines, et
l’on sait que les porcs mangent volontiers ces animaux quand ils les
trouvent à leur portée. Ces rongeurs à leur tour ont pu s’infecter en
dévorant d’autres animaux trichinés ou les débris de porcs atteints de
cette même maladie. L’évolution est ainsi complète. Cependant il y a là
des points qui laissent beaucoup à désirer, et ce n’est pas sans raison
qu’on est allé chercher plus loin encore l’origine de cette série infec¬
tieuse; mais on n’est arrivé jusqu’ici qu’à des résultats contradictoires,
et la question reste toujours à l’étude.
Quoi qu’il en soit, nous répétons, en ce qui nous intéresse, que c’est
par l’usage dans son alimentation de chair de porc trichinée , que
l’homme contracte la trichinose. 11 faut savoir que, dans quelques pays et
notamment en Allemagne, la chair de porc, sous certaines formes, se
mange crue ou à peine cuite. On s’explique ainsi comment la contrée
que nous venons de nommer a fourni jusqu’ici le plus grand nombre de
cas de la maladie trichineuse. Cependant on aurait tort de croire que la
cuisson de ces mêmes mets préserverait de l’infection. Les trichines
résistent à une température assez élevée et elles ne sont tuées sûrement
qu’à 100 degrés. (H. Rodet.) Or, dans la cuisson de morceaux de viande
assez volumineux, le centre de la masse arrive à peine à 75° centi¬
grades. (Kûchenmeister . ) 11 paraît donc difficile de se prémunir, même par
la coction attentive des aliments, contre la trichine. La salaison, quand
elle n’est pas très-prolongée, ne fait pas périr cet entozoaire. (Haubner,
Leisering.) Une fumigation d’une certaine durée détruirait sa vitalité;
mais, comme aujourd’hui cette opération se pratique en peu de temps, la
surface des chairs soumises à la fumée est seule atteinte, et les parties
centrales échappent à son action. Les trichines résistent à un froid de
25° centigrades. (Rupprecht, Leuckart.) La putréfaction ne les tue pas, et,
plongées dans l’eau, elles ont pu y vivre jusqu’à cinq jours. (Pagenste-
cher.) Tous ces faits ont leur intérêt au point de vue dé l’étiologie de la
trichinose, et montrent combien sont grandes les chances de propagation
de cette maladie lorsqu’une fois elle s’est déclarée dans une localité.
Aussi les cas isolés de la maladie trichineuse ne sont-ils pas très-rares.
Nous avons vu comment Owen, en Angleterre, avait pu en grouper un
certain nombre en peu de temps. JSn Allemagne, la proportion des ca¬
davres trichinés serait de 2 à 4 et même 5 pour 100. La France n’a
fourni jusqu’ici que deux faits de trichinose ; l’un fut observé à Paris,
en 1852, par Cruveilhier, et l’autre à Strasbourg, en 1862, par Kœberlé ;
tous deux furent rencontrés par hasard à l’autopsie.
Mais l’affection trichineuse se manifeste aussi sous forme épidémiqve
598 ENTOZO AIRES (pathologie). — trichines et trichinose.
On comprend, en effet, qu’un seul porc, atteint de celte maladie peut la
communiquer à un très-grand nombre d’individus à la fois ; surtout si, au
lieu d’être consommé dans une même famille, il est débité par un char¬
cutier à tout un quartier d’une ville ou à tout un village. C’est encore
l’Allemagne qui nous offre les exemples les plus remarquables de cette
particularité. De l’année 1862 à l’année 1866, en quatre ou cinq ans, on
n’a pas relevé moins de vingt-trois épidémies de trichinose dans cette
contrée. Les plus importantes furent celles de Plauen (Bœliler et Kœ-
nigsdœrfer, 1862), de Galbe (Simon, 1862), de Leipzig (E. Wagner,
1864), de Hettstædt (Rupprecht, 1864), de Hedersleben (1865, 1866).
Tout récemment encore (1868), les journaux annonçaient que la trichi¬
nose avait fait son apparition à Schœnebek, près Magdebourg, que
soixante-deux personnes déjà en avaient été atteintes, que plusieurs en
étaient mortes, des femmes principalement.
Dans la plupart de ces épidémies, on a pu déterminer l’origine de la
maladie, et la rattacher à la présence des trichines dans des préparations
de chair de porc dont on avait fait usage pour l’alimentation. Il n’y a
point de conditions générales qui président au développement de l’affec¬
tion; la cause en est immédiate et bien connue : c’est une sorte d’empoi¬
sonnement qui n’est pas sans offrir quelque analogie avec celui que pro¬
duisait l’ancien Wurstgift (poison du saucisson), et que l’on connaissait
sous le nom de botulismus. Quelques auteurs même, Virchow entre au¬
tres, seraient disposés à admettre une assimilation complète pour les
deux cas. Toujours est-il que le terme d’épidémie, appliqué à ces faits
multiples mais groupés de trichinose, n’est pas entièrement accepta¬
ble, surtout si on le réserve pour les circonstances où semblent s’exer¬
cer des influences occultes, universelles, et auxquelles on ne saurait se
soustraire.
Symptômes. — Nous reproduirons l’observation de Zenker qui est la
première en date et qui résume très-bien les signes fondamentaux de la
maladie des trichines.
« Une servante de vingt ans fut reçue le 12 janvier 1860, à l’hôpital
de Dresde, dans le service de Walther ; elle était malade depuis Noël en¬
viron; sa maladie avait débuté par une grande fatigue, de l’insomnie, la
perte de l’appétit, de la constipation, de la chaleur et de la soif. A son
entrée à l’hôpital, elle présentait une fièvre très-vive ; le ventre était
ballonné et douloureux. On porta le diagnostic de fièvre typhoïde, mais
avec réserve, car il n’y avait ni hypertrophie de la rate, ni taches rosées.
A ces symptômes se joignit bientôt un endolorissement extrême de tout
le système musculaire, principalement des extrémités. La malade se plai¬
gnait jour et nuit. Il y avait aux genoux et aux coudes des contractures
qui la mettaient dans l’impossibilité d’étendre les jambes et les bras sans
de vives douleurs. Il survint ensuite un gonflement œdémateux de la
surface du corps, et surtout des jambes. Enfin des symptômes analogues
à ceux d’une pneumonie typhoïde se déclarèrent, la malade tomba dans
la torpeur le 26 janvier, et mourut le 27. — On ne trouva rien à l’au-
EiNTOZOAIRES (pathologie). — trichines et trichinose. 599
topsie qui dénotât une fièvre typhoïde ; mais en examinant avec soin les
muscles du bras, on observa avec étonnement un grand nombre de tri¬
chines roulées de diverses manières ou dans une position rectiligne.
Ces entozoaires donnaient spontanément des signes de vie très-marqués.
En continuant la dissection du cadavre, on trouva que tous les autres
muscles contenaient une énorme quantité de trichines. Ces vers en
étaient encore à leur période de cheminement au travers des muscles ;
ils n’étaient point enkystés ; les fibres musculaires étaient friables et
avaient perdu leur apparence striée. Le poumon gauche était affaissé,
avec quelques points d’hépatisation, les bronches étaient enflammées,
la membrane muqueuse de l’iléon était hypérémiée ; il y avait encore,
au milieu des mucosités du jéjunum, une masse de petits vers qui n’é¬
taient autre chose que des trichines.
« Les symptômes accusés par la malade et sa mort même furent attri¬
bués à l’existence de ces parasites. On apprit en effet que le 21 décembre
de l’année précédente, c’est-à-dire quatre ou cinq jours avant de tomber
malade, elle avait aidé à dépecer un porc qu’on avait tué chez ses maî¬
tres, et qu’elle en avait mangé. On examina un jambon provenant de cet
animal, et l’on constata qu’il renfermait un très-grand nombre de tri¬
chines enkystées. On se rappela en outre que parmi les personnes qui
avaient mangé de la m’ême viande, une avait éprouvé des crampes d’es¬
tomac, des lassitudes, de la céphalalgie, et qu’une autre avait eu un ca¬
tarrhe de l’estomac. Le boucher lui-même qui avait préparé la viande
avait été atteint d’une paralysie particulière des membres, qui n’avait
pas duré moins de trois semaines. »
Les points principaux de celte observation, relatifs à la symptomato¬
logie et qui ont été retrouvés plus ou moins accusés dans les faits ulté¬
rieurs, sont : 1“ au début, des signes d’une affection gastro-intestinale
éveillant l’idée d’une fièvre typhoïde ; 2° plus tard, des douleurs muscu¬
laires et des contractures qui auraient pu faire penser' à un état rhuma¬
toïde; 3“ ensuite, un gonflement œdémateux de presque tout le corps,
et surtout des jambes, qui n’était en rapport ni avec l’un ni avec l’autre
des deux diagnostics qu’on aurait pu successivement porter ; 4“ enfin,
des accidents adynamiques qui terminent la scène.
La première période, celle des phénomènes gastro-intestinaux, corres¬
pond à la présence des parasites dans l’intestin, à leur multiplication
et à la perforation de la paroi intestinale par les milliers d’embryons
qui vont gagner les muscles. Celte période n’est pas également accusée
chez tous les malades. Chez quelques-uns, elle débute peu après l’in¬
gestion des chairs trichinées ; les accidents marchent avec assez d’in¬
tensité pour faire croire à un empoisonnement, et peuvent entraîner
la mort en peu de jours. Chez le plus grand nombre, ce n’est qu’au
bout de trois ou quatre jours que les premiers signes de la trichinose
intestinale apparaissent. Ces signes varient depuis le simple embarras
gastrique, avec diarrhée ou constipation, jusqu’à simuler la forme abdo¬
minale de la fièvre typhoïde.
400 ENTOZOAIRES (pathologie). — TniciiiKES et trichikose.
Le diagnostic de cette première période pourrait être fondé sur la con¬
statation des trichines dans les garde-robes.
La seconde période, celle qui s’annonce par les douleurs rhumatoïdeg
et par la roideur des muscles, indique peu à peu, pour ainsi dire, la mi»
gration des jeunes trichines au milieu des tissus. Cet ordre de phéno¬
mènes avait frappé les premiers observateurs qui s’étaient occupés des
trichines ; et, dès l’année 1835, à la suite de la découverte d’Owen,Wood,
à propos d’un autre fait, avait émis l’idée que les symptômes de rhuma¬
tisme aigu, ou d’inflammation des muscles, qu’avait présentés son ma¬
lade avaient bien pu être produits par les trichines dont il constatait la
présence lors de l’autopsie. Les muscles le plus souvent atteints sont ceux
de la poitrine; à mesure qu’on s’éloigne du
tronc, les trichines deviennent plus rares,
moins confluentes, si l’on veut. Du reste , le
siège de la douleur, et la gêne fonctionnelle
marquent les progrès de l’invasion trichineuse.
La raucité de la voix montre que les muscles
du larynx sont pris ; la difficulté à mâcher, à
avaler, correspond à l’altération des muscles
qui servent à la mastication et à la déglutition;
la dyspnée annonce que les muscles respira¬
toires sont envahis, etc. Il suffit de savoir que
tous les muscles rouges, même le cœur (Har-
risson, Virchow), peuvent être atteints par les
trichines. Ajoutons qu’on les a également ren¬
contrées dans les cavités séreuses, notamment
dans le péritoine et dans le péricarde ; qu’on
les a vues dans les ganglions du mésentère et
dans la rate, etc. On conçoit dès lors la multipli¬
cité des symptômes et des lésions phlegmasi-
ques constatés pendant la vie et à l’autopsie.
.. . „ „ Le diagnostic, dans cette période, serait fa-
porte-piece histologique. — 2, Sa ^ ,
tige ouverte et une portion de cilement établi. Si 1 on Soupçonnait la nature
son manche. — 3 et 4., Sa tige (Je la maladie, par l’examen microscopique
d’une parcelle de muscle prise sur le vivant,
muscle enlevé par l’instrument. C’est ce qui a été fait dans le cas de Friedrich,
qui est remarquable à un double point de vue :
d’abord parce que l’affection trichineuse a été diagnostiquée d’une façqn
irréfragable, et ensuite parce que le malade a guéri. De petits instruments
ont été construits à cet effet ; tels sont ; le harpon ou le trocart à encoche
de Middeldorpff et l’emporte-pièce histologique de Duchenne (de Bou¬
logne) (fig. 82). Une simple incision au niveau du biceps brachial, ou au
mollet, suffirait à la rigueur.
Cette période des phénomènes douloureux erratiques se confond insen¬
siblement avec les périodes suivantes, et notamment avec le gonflement
œdémateux de tout le corps. L’œdème débute le plus souvent par la face,
ENTOZOAIRES (pathologie). — tmciiixes et trichinose. 401
et dans ces conditions constitue l’un des symptômes les plus constants et
les plus significatifs de la maladie. >
En même temps, ou quelques jours plus tard, se manifestent ; une
fièvre intense, avec élévation de la température, des sueurs profuses, de
la faiblesse, de l’amaigrissement, des signes d’hydrémie, etc. Puis, dans
les degrés extrêmes, de la diarrhée, des congestions pulmonaires, des
pneumonies lobulaires, des épanchements dans les cavités séreuses, des
éruptions miliaires, des furoncles, des eschares au sacrum. Le délire alterne
avec la stupeur et l’abattement, et la mort survient au milieu des progrès
de tous ces accidents.
L’ensemble de ces phénomènes successifs qui se sont montrés après
la période de la trichinose intestinale a une durée variable. On a vu la
mort survenir après cinq ou six jours ; elle a lieu le plus souvent entre
la troisième et la quatrième semaine. Quand la guérison doit suivre, la
maladie se prolonge pendant six semaines ou deux mois ; la convales¬
cence est longue et périlleuse ; les cheveux tombent pour ne repousser
que beaucoup plus tard ; la faiblesse et l’amaigrissement disparaissent
lentement, bien que l’appétit soit très-développé.
Le pronostic de la trichinose est très-grave ; néanmoins la proportion
des guérisons l’emporte de beaucoup sur celle des cas funestes. Voici ce
qui a été constaté dans diverses épidémies : à Plauen, sur 50 cas, il y eut
5 morts ; à Galbe, sur 38 cas, 8 morts; à Hettstædl, sur 158 cas, 27 morts;
à Burg, sur 50 cas, 11 morts; enfin à Hedersleben , sur 500 cas,
80 morts. Il y a donc des écarts de 10 à 27 pour 100 dans la mortalité
par l’affection trichineuse. Cette variabilité peut s’expliquer de plusieurs
manières, soit d’après la quantité des parasites ingérés, soit par la forme
sous laquelle l’aliment a été pris et par son degré de cuisson, soit enfin
par la résistance propre de celui qui est atteint. Le nombre relativement
considérable de ceux qui échappent aux conséquences de la trichinose,
nous rend compte de ces cadavres trouvés si souvent infestés de trichines,
en Allemagne du moins, alors qu’ils proviennent d’individus morts de
maladies bien déterminées, et longtemps après que ces individus ont pu
contracter le parasite en question. Nous avons vu que la proportion de
ces cas était de 2, 4 et même 5 pour 100. Zenker, sur 136 cadavres
dont il avait fait l’autopsie dans un espace de 8 mois, a rencontré 4 fois
des trichines.
La guérison de la trichinose est du reste plus apparente que réelle. Elle
ne correspond en somme qu’à l’enkystement des larves, et qu’à la tolé¬
rance qui se fait dans l’économie à leur égard. Mais l’animal reste vivant
longtemps encore : Virchow cite un cas de trichines encore vivantes huit
ans au moins après l’époque présumée de l’infection. Dans une autre
circonstance, ce temps a été de 13 ans et demi. Cependant Langenheck
a vu des trichines enkystées et mortes chez un individu qui les portait
très-vraisemblablement depuis 18 ans. Le dernier terme de la vitalité
chez les trichines paraît coïncider avec l’incrustation calcaire, non-seu¬
lement du kyste à trichine, mais aussi du parasite lui-même.
KOUV. BICT. MED ET CHIB. XIII. - 26
402 ENTOZOAIRES (pathologie). — tiüchi.nf.s et trichinose.
Traitement. — On conçoit, d’après ce que nous savons de l’évolution
des trichines, que le traitement de la trichinose ne doit pas être le même
pour toutes les périodes de la maladie. A vrai dire, le dernier stade, celui
de la capsulation du parasite, ne comporte aucun moyen curatif: c’est un
fait acquis; il n’a pas beaucoup d’inconvénients par lui-même; d’ailleurs
il reste presque toujours ignoré.
Il n’en est plus ainsi des débuts de l’affection trichineuse. Il importe
surtout d’agir lorsque les trichines sont arrivées depuis peu de temps par
la voie de l’alimentation dans l’estomac et dans l’intestin. Si l’on est pré¬
venu à temps, et si le diagnostic est certain, on aura recours à la médi¬
cation évacuante. Les éméto-cathartiques seront employés avec énergie,
comme dans le cas d’un empoisonnement véritable. Cependant on ne
réussit pas sûrement à empêcher par ce moyen le développement des
trichines. Il y en a toujours quelques-unes qui restent dans le tube di¬
gestif et qui suffisent pour amener l’infection de l’économie. On recom¬
mande alors l’usage des anthelminthiques ordinaires, et notamment les
purgatifs huileux. Malheureusement tous ces moyens, soumis au contrôle
de l’expérience directe, ont échoué. Les trichines vivent trente heures
dans l’essence de térébenthine pure, cinq heures dans le chloroforme,
vingt heures dans la liqueur deFowler, dix-huit heures dans une solution
de bichlorure de mercure, vingt-trois heures dans le vin aromatique,
seize heures dans le perchlorure de fer, etc. (Mosler, H. Rodet.) Il n’y
a qu’une substance qui, entre les mains de Leuckart et de Mosler, a paru
offrir une certaine efficacité contre les trichines, c’est la benzine. H. Ro¬
det, qui a vérifié les résultats des observateurs allemands, paraît accor¬
der de la valeur à cet agent, au moins pour ne qui est des trichines en¬
core contenues dans l’intestin. Un lapin et un chat auraient échappé à
la trichinisation par l’ingestion de la benzine. Pour l’homme, cette sub¬
stance serait donnée à la dose de dix gouttes dans une infusion de menthe,
de trois heures en trois heures ; on ne dépasserait pas quarante gouttes
pour la journée.
Lorsqu’on a lieu de présumer que les trichines, ayant percé l’intestin,
se sont déjà répandues dans l’épaisseur de tous les tissus, le traitement
devient encore plus incertain. On avait cru d’abord, d’après un fait heu¬
reux recueilli par Friedreich et dans lequel le diagnostic n’avait pas été
douteux, que le picronitrate de potasse [C”ff (AzO‘) =0,KO] avait une
vertu spécifique contre la trichinose. Mais Friedler n’a pas tardé à dé¬
montrer que cette substance n’a aucune action, même sur les trichines
intestinales, et qu’elle empoisonne plutôt les animaux auxquels on la donne
que de faire périr les trichines dont ils sont infectés. La benzine n’a pas
donné des résultats plus heureux; il en est de même du cuivre, du phos¬
phore, du soufre, du mercure, du camphre, etc. On en est donc réduit ici
à faire le traitement des symptômes, et à se comporter comme dans le cas
d’un rhumatisme aigu ou d’une fièvre typhoïde, pour employer bientôt les
toniques lorsque se manifestent les tendances à l’adynamie et à l’hydrémie.
L’impuissance de la thérapeutique contre l’affection trichineuse doit
ENTOZOÂIRES (pathologie). — crsiiCEr.QCES. 403
faire reporter les efforts du médecin vers les moyens préventifs. Ces
moyens sont de deux ordres : l’examen préalable de tous les porcs desti¬
nés à l’alimentation, et à tout hasard, le soin de pousser toujours très-
loin la cuisson de la chair de cet animal.
L’extension que la trichinose a prise en Allemagne depuis quelques
années, les épidémies graves de cette maladie qu’on a eues à constater
sur différents points, ont rendu nécessaires certaines mesures de salubrité
publique. Dans plusieurs villes, on a dû préposer un médecin ou un vé¬
térinaire à l’inspection des porcs destinés à être immédiatement abattus.
Comme rien ne traduit extérieurement l’infection trichineuse chez ces
animaux, c’est à l’examen microscopique qu’on a recours pour s’assurer si
elle existe ou si elle n’existe pas. Cette pratique suivie avec persévérance
dans certaines localités a révélé les proportions variables de la trichinose
chez le porc, et a donné les chiffres que nous avons rapportés d’autre part,
montrant ainsi quelles chances les habitants de ces villes avaient courues.
En France, la trichinose n’a point encore été signalée chez le porc, et
des épidémies semblables à celles de l’Allemagne ne paraissent pas y
avoir jamais régné. Tel est le résultat de l’enquête à laquelle se sont li¬
vrés, en 1866, au nom de l’Académie de médecine, Delpech et Raynal.
Dans ces conditions, le rapporteur de la commission conclut « qu’il n’y
a pas lieu d’organiser un système spécial de mesures d’hygiène publique,
et en particulier d’instituer une inspection générale et obligatoire des
viandes de porc par le microscope. Toutefois, ajoute-t-il. Une serait pas
sans utilité d’établir, dans un but d’étude ou d’examen, un service d’in¬
spection dans quelques villes pourvues d’abattoirs, pour constater d’une
manière formelle et par des relevés statistiques l’existence, l’absence ou
la proportion de la trichinose de la race porcine. » {Bulletin, t. XXXI.)
Mais la maladie pourrait nous arriver par les envois nombreux des
charcuteries et surtout des jambons de l’Allemagne, et de ce côté nous
ne sommes préservés que par une sollicitude toute individuelle.
Il est vrai que le mode de préparation et de cuisson de la chair de
porc a une très-grande influence sur la propagation de la trichinose.
L’habitude où l’on est en France, contrairement à l’Allemagne, de ne
faire usage que de charcuteries cuites nous est une garantie contre l’in¬
fection trichineuse. Le rapporteur de la commission académique assigne,
comme limite inférieure de la température à laquelle les trichines sont
infailliblement tuées, 75° centigrades; mais, d’après ce que nous savons,
il sera toujours plus prudent d’atteindre au moins 100° centigrades et de
soutenir cette température assez longtemps. Enfin nous noterons que la
salaison et la fumigation de la chair de porc n’ont d’efficacité contre les
trichines dont elle pourrait être infectée qu’à la condition d’avoir été suf¬
fisamment prolongées.
V. Gtsticerqües. — Le cysticerque ladrique ne constitue pas, à vrai¬
ment parler, une espèce particulière d’entozoaire, puisqu’il n’est qu’un
état transitoire du tænia solium, c’est-à-dire d’un ver cestoïde à existence
alternante. Cependant, nous devons, en pathologie, le considérer comme
404 ENTOZOAIRES (pathologie). — cysticerqdes.
une unité distincte, en raison de ce que, sous cette forme embryonnaire
de cysticerque, il a un habitat bien différent de celui qui lui conviendra à
l’état adulte, et que partant il accuse sa présence par des symptômes qui
sont en rapport avec cet habitat et qui lui sont propres en quelque sorte.
La nature de la ladrerie chez le porc, et par conséquent l’existence du
cysticerque qui occasionne cette maladie, furent exactement déterminées
pour la première fois par Gœze, en 1784. Deux ans plus tard le même
ver fut découvert chez l’homme par F. Werner. Parla suite, de nombreux
exemples des différents organes dans lesquels ce ver peut être rencontré
furent publiés ; cependant il demeura acquis qu’il ne prend jamais dans
notre espèce l’extension qu’il offre souvent chez le porc.
Causes. — On ignore quelle est exactement la cause des cysticerques.
Il paraît seulement probable, d’après le point auquel sont arrivées nos con¬
naissances sur le développement des vers cestoïdes, qu’ils doivent leur ori¬
gine à des œufs de fænia ingérés sans doute, comme ceux des ascarides
lombricoïdes, avec les aliments et avec les boissons. De cet œuf de tænia
naît, on le sait, un embryon hexacanthe qui perce l’intestin et se porte
vers tel ou tel organe, suivant la facilité qu’il trouve dans son chemine¬
ment, ou entraîné peut-être par le torrent de la circulation. C’est alors
qu’il se développe en cysticerque, en attendant qu’une circonstance for¬
tuite le ramène dans l’intestin d’un autre animal où il prendra la forme
définitive de tænia.
Le cysticerque ladrique a été observé dans différents pays, sous les
climats les plus opposés. Néanmoins, il paraîtplus fréquent dans certaines
localités. Virchow, cité par Davaine, l’aurait plus souvent rencontré, dans
ses autopsies, à Berlin qu’à Würzburg.
Aucune considération d’âge, de sexe ou de tempérament, ne se rat¬
tache à l’existence de ce ver.
Les parties les plus diverses du corps ont fourni des exemples de cys¬
ticerques. On les trouve plus particulièrement dans le tissu cellulaire
interorganique ; mais ils siègent également dans l’intimité des paren¬
chymes. Ils offrent sous ce rapport beaucoup d’analogie avec les hyda-
tides. Toutefois Davaine fait observer que les hydatides sont plus com¬
munes dans le foie, les poumons et les organes abdominaux ; et que les
cysticerques sont plus fréquents dans les parois du tronc, dans les mem¬
bres, dans le cerveau et dans l’œil. D’ailleurs ils se montrent ordinaire¬
ment disséminés dans plusieurs régions à la fois.
Davaine a réuni, dans son livre, les principaux faits de cysticerques,
connus jusqu’en 1860; voici le résumé de ce qu’il a constaté : parois du
tronc et membres, 22 cas ; face, 2 cas; langue, 1 cas; poumons, 4 cas;
cœur, 5 cas; substance du cerveau, 11 cas; méninges, 7 cas; plexus
choroïdes, 5 cas; sous la conjonctive, 11 cas; globe oculaire, 12 cas.
On voit que, sans comprendre tous les cas de cysticerques recueillis chez
l’homme, ce relevé n’indique pas une très-grande fréquence de l’ento-
zoaire en question.
Les Bulletins de la Société anatomique sont peu riches en faits de cette
ENTOZOAIRES (pathologie). — cysticerqdes. 405
nature : preuve nouvelle de leur rareté réelle. On s’est surtout attaché,
dans ces dernières années, aux exemples de cysticerques du cerveau et de
l’œil. Nous ne voyons à mentionner parmi les cas les plus récents qu’une
observation de Dolbeau sur un cysticerque de la région frontale chez une
jeune fille : il fut pris pour une loupe et opéré comme telle; plus un cas
de cysticerque de la paume de la main recueilli par B. Anger en 1869.
Symptômes. — Dans la plupart des circonstances où ils ont été rencon¬
trés, les cysticerques ne pouvaient accuser leur présence par aucun sym¬
ptôme appréciable. Ils forment tout au plus une petite tumeur de la gros¬
seur d’un pois ou d’une noisette, qui ne gêne en rien le jeu des organes,
surtout lorsqu’ils occupent l’épaisseur d’un muscle, voire même le pou¬
mon et le cœur. Sous la peau ils constituent simplement une légère sail¬
lie, dont la nature ne peut guère être reconnue qu’à la suite d’une inci¬
sion, comme dans le fait que nous avons cité plus haut. Lorsque le ver
Fig. 83. — Rapports de la tumeur avec les parties avoisinantes. — A, Tumeur. — B, Petite
cavité du cysticerque. (De Gkæfe, Clinique ophthalmolog.)
occupe la cavité du globe oculaire, on peut le reconnaître par l’inspection
directe, ou mieux à l’aide de l’ophthalmoscope (fig. 85). (Foi/, l’art. Œil.)
Les cysticerques de l’encéphale y déterminent des accidents très-va¬
riables. Ceux-ci se modifient nécessairement avec la région occupée par
le ver et avec la nature des lésions qui peuvent être le résultat de sa pré¬
sence. 11 semble même que dans quelques cas, cette présence n’ait eu
aucun inconvénient notable, les cysticerques ayant été trouvés à l’au¬
topsie chez des individus morts de maladies étrangères à l’encéphale. On
comprend en effet que quelques petites vésicules occupant les plexus cho¬
roïdes ou les méninges n’exercent pas une compression bien grande sur
les parties voisines. Lorsque des accidents apparaissent, ils sont de l’ordre
de ceux qui appartiennent à toute tumeur encéphalique agissant par com¬
pression ou comme corps irritant. Du reste cette question appartient à la
406 ENTOZOAIüES. (pathologie). — échikocoqües et kystes hydatiques.
pathologie cérébrale plutôt qu’à l’histoire des entozoaires. {Voy. Encé¬
phale, p. 163.)
Traitement. — Le traitement des cysticerques ne saurait nous arrêter
longtemps. Ces vers ne sont passibles que d’une action chirurgicale, et
encore faut-il qu’ils soient accessibles à une intervention quelconque.
C’est ce qui arrive lorsqu’ils siègent sous la peau, sous la conjonctive,
dans le globe de l’œil. Dans les deux premiers cas, la ponction ou l’inci¬
sion de la tumeur suffisent; dans le dernier, il faut avoir recours à une
opération des plus délicates qui a été tentée, qui a réussi, mais dont nous
n’avons pas à nous occuper ici. {Voy. Œil.)
VI. Eciukocoques et kystes hydatiques. — L’histoire des échinocoques
offre beaucoup de ressemblance avec celle des cysticerques. Comme ces
derniers, ce sont des larves d’un ver rubanné, qui n’acquièrent leur en¬
tier déY'eloppement que dans l’intestin d’un animal différent de celui d’où
elles proviennent, qui occupent l’épaisseur des parenchymes, et qui y
forment des vésicules (hydatides) plus ou moins volumineuses, compro¬
mettant dans une certaine mesure le jeu des organes où ils siègent et la
vie elle-même. Les principales différences entre les deux ordres de parasi¬
tes consistent dans ce que les échinocoques sont agglomérés en grand nom¬
bre dans une même vésicule, tandis que le cysticerque reste solitaire sur
la sienne, et en ce que les vésicules hydatiques sont aptes à se multiplier
sur place par voie de bourgeonnement endogène et exogène, tandis que
le cysticerque est toujours stérile. Il s’ensuit que le kyste hydatique
prend souvent un assez grand développement, que son diagnostic est
moins équivoque et que son traitement est soumis à des règles plus mé¬
thodiques que celui des autres vers vésiculaires.
Les hydatides se présentent sous une apparence trop remarquable pour
n’avoir pas été connues de tout temps pour ainsi dire. On les prit d’a¬
bord pour des hydropisies locales et plus tard pour des dilatations lym¬
phatiques. Leur animalité fut soupçonnée, pour la première fois, en 1685,
par Hartmann , qui semble avoir eu surtout en vue l’hydatide du cysli-
cerque. En 1766, Dallas distingua nettement l’hydatide à tête de tænia
(le cysticerque) de l’hydatide proprement dite. Il reconnut dans celle-ci
des granulations qui n’étaient autre chose que des échinocoques. Gœze en
mit l’existence hors de doute en 1782. La première hydatide ayant reçu de
Dallas le nom de Tænia hydatigena, la nouvelle espèce prit celui de Tænia
soeialis; la désignation A' échieonoque ne lui fut appliquée qu’ensuite par
Rudolphi (1808). Cependant toutes les hydatides ne renferment pas évi¬
demment des têtes de tænia; Laennec (18Ô4), qui les avait observées dans
ces dernières conditions chez le bœuf et chez le mouton, et qui ne les
avait pas retrouvées chez l’homme, créa à ce propos son genre Acéphalo-
cyste. Du reste, il ne contesta pas l’animalité de cette vésicule sans tète ;
il en reconnut même le mode de reproduction. Toutefois les échinoco¬
ques avaient été entrevus dans l’hydatide humaine par Gœze, par Zeder,
par Rudolphi et par Werner ; mais c’est à Bremser (1821) qu’on en at¬
tribue la découverte définitive. Dlus tard, en 1843, Livois chercha à éta-
ENTOZOÂIPiES (pathologie). — échinocoques et kystes hydatiques. 407
blir que les hydatides contiennent toujours des échinocoques. Cette con¬
clusion était trop absolue. La nature de la vésicule hydatique donna lieu
à des controverses nombreuses : elle paraît enfin fixée par les travaux de
Davaine (1856), qui la considère comme une phase du développement
d’un ver cestoïde, vivant par elle-même, se reproduisant par voie de bour¬
geonnement et sous la même forme pendant deux, trois et même quatre
génératians et finissant par donner naissance à sa surface interne et par
l’intermédiaire d’une membrane propre à des échinocoques. L’hydatide, ar¬
rêtée à un certain terme de son développement ou dépourvue par anoma¬
lie de sa membrane fertile, représente très-exactement l’acéphalocyste de
Laennec.
Causes. — L’origine des hydatides, chez l’homme, paraît aujourd’hui
établie sur des bases assez solides. D’après les recherches de von Siebold,
de Eschricht, de Leuckart, deKrabbe, etc., on peut les rattacher par une
filiation continue à l’existence du Tænia echinococcus (Siebold) qui est
particulier à notre chien domestique. Ce sont les œufs de ce tænia que les
hasards delà dissémination amènent dans les voies digestives de l’homme,
où ils éclosent, et d’où les embryons se portent au milieu des parenchymes
pour s’y développer sous cette forme d’hydatide qui nous occupe en ce mo¬
ment. Pour compléter le cycle, il faut savoir que le chien lui-même em¬
prunte, non pas à l’homme, mais à certains ruminants, tels que le mouton
et le bœuf, chez qui elles se rencontrent très-fréquemment, les hydatides
à échinocoques qui reproduiront dans leur intestin le tænia echinococcus,
terme extrême et fécond de la série. Sur ces données est fondée toute
l’étiologie de l’affection hydatique dans l’espèce humaine. Les consi¬
dérations d’àge, de sexe et de constitution ne jouent ici qu’un rôle très-
secondaire ; celles qui sont relatives à • la distribution géographique de
la maladie offrent plus d’intérêt.
Les hydatides ont été observées un peu partout ; cependant elles sont
rares dans l’Amérique du Nord. (Leidy. ) On les rencontre assez souvent
en France, mais avec une très-inégale répartition suivant les régions de
ce pays. Leudet les a trouvées beaucoup plus fréquemment à Rouen qu’à
Paris. Elles sont également communes en Allemagne et dans le nord de
l’Europe. Mais il y a une contrée où elles sont véritablement endémiques,
c’est en Islande. Tous les médecins qui ont pratiqué dans cette île sont
d’accord sur ce point ; ils diffèrent seulement sur la proportion des cas
observés. Thorstensen, qui a séjourné vingt ans en Islande, évalue à un
septième le nombre de ses habitants atteints de la maladie des hydatides
(cité par Krabbe). Cette estimation a été beaucoup réduite par les re¬
cherches ultérieures et plus précises de Hjaltelin, de Skaplason et surtout
de Jôn Finsen. Ce dernier auteur, dans un mémoire tout récent et très-
bien fait, compte en moyenne 1 individu affecté d’hydatides sur 43 ha¬
bitants, du moins pour le district d’Ofjord auquel il était spécialement
attaché. Un pareil chiffre est déjà considérable, surtout si l'on songe
qu’il ne s’agit ici que des cas déclarés et très-apparents. Il est en rapport, du
reste, avec la grande quantité de chiens qui existent en Islande. D’après
408 ENTOZOAIRES (pathologie). — échijnocoqdes et kystes hydatiques.
Krabbe, il n’y aurait pas moins de 15 à 20,000 cbiens pour une popu-
ation de 70,000 âmes; ce qui fait 1 chien pour 5 à 5 habitants. Ce que
l’on sait aujourd’hui du rôle que jouent les chiens dans la production des
hydatides chez l’homme explique la fréquence de cette affection en Islande.
Ces animaux, en effet, seraient atteints dans la proportion de 28 pour
100 du Tænia echinococcus, dont les œufs sont incessamment rejetés par
milliers avec les matières fécales. La propagation de la maladie est
d’ailleurs favorisée par la malpropreté des habitants, et par une coha¬
bitation presque forcée avec leurs chiens durant les temps froids.
D’autre part, les bestiaux que ces chiens sont destinés à garder sont eux-
mêmes infectés d’hydatides; leurs viscères remplis de ces entozoaires
sont mangés par les chiens et le mal se perpétue ainsi d’une manière in-
déflnie. Il est à remarquer que l’affection hydatique est particulière à la
population agricole et que les pêcheurs qui ont moins besoin de chiens
y échappent pour la plupart. Toujours est-il que les documents qui nous
viennent de l’Islande au sujet de la maladie des échinocoques sont les
plus précieux à consulter, en raison du nombre considérable des faits qui
y sont constatés.
Un premier résullat assez remarquable est celui-ci, c’est que les femmes
sont beaucoup plus sujettes que les hommes aux hydatides. J. Finsen
indique le rapport de 1 : 2,27 entre les malades des deux sexes. Il attri¬
bue cette différence « à ce que les femmes, plus confinées dans la maison
et chargées d’apprêter les repas , d’écurer la vaisselle, qui souvent est
léchée par les chiens, et de s’occuper d’autres soins domestiques, sont
plus exposées que les hommes à avaler les œufs du Tænia echinococcus
du chien. »
Relativement à l’âge, Finsen a reconnu que la maladie présente son
maximum de fréquence entre vingt et trente ans. Le pins jeune individu
qu’il ait traité avait quatre ans. Chez d’autres l’affection aurait, dit-on,
débuté dès l’âge de deux ans. Avant dix ans et après soixante ans, la pro¬
portion des cas est à peu près la même pour les deux sexes ; c’est entre dix
et quarante ans que le sexe féminin l’emporte surtout sur le sexe mas¬
culin. Cette fixation de l’âge est, du reste, difficile à obtenir, puisque
le mal a pu commencer longtemps avant de devenir apparent et d’être
diagnostiqué.
La maladie des hydatides n’est point héréditaire, comme on le croyait
autrefois en Islande. L’uniformité des conditions dans lesquelles vivent les
parents et leurs enfants permet de comprendre comment les uns et les
autres peuvent être atteints du même mal. On ne saurait non plus ad¬
mettre qu’une contusion en soit le point de départ. Cependant J. ‘Finsen
reconnaît qu’une maladie intercurrente, ou qu’une grossesse, est de na¬
ture à hâter la croissance d’une tumeur hydatique ; de sorte que celle-ci,
après avoir été longtemps ignorée, se manifeste tout à coup au malade et
à l’observateur. Mais aucune autre cause qu’un œuf d’un tænia spécial ne
peut réellement en être l’origine.
Les hydatides ont été rencontrées dans tous les organes et dans tousMes
ENTOZOÂIRES (pathologie). — échi.nocoqdes et kystes hydatiques. 409
tissus, même dans le système osseux; mais c’est avec une fréquence très-
inégale pour chacun d’eux. L’organe qui est de beaucoup le plus souvent
atteint est le foie. C’est au point que l’affection est désignée en Islande
d’après cette seule prédominance sous le nom de maladie du foie, Livrar-
veiki. Voici, du reste, des chiffres précis empruntés à J. Finsen ; ils por¬
tent sur un relevé de 255 cas de l’affection hydatique :
POIXT DE DÉPART.
Foie .
Reins . . . . .
Rate .
Cavité abdominale .
Poumons .
Tête . . .
Kuque .
Région sus-épineuse. . . .
— sous-claviculaire. . .
120 176 69,4
2 5 1,17
1 2 0,78
43 54 21,17
181 2:
7 2,7
4 1,5
1 0,39
2 0,78
1 0,39
2 0,78
1 0,39
1 0,39
1 0,39
En résumé la maladie a commencé au rnilieu des organes de l’abdo¬
men dans 92’pour'lOO des cas ; et sur ce totèd, l^oie do^e la proportion
de 69,4 pour 100. Les poumons n’ont fourni qi^un contingent de 2,7
pour 100. Il y a ici un contraste frappant a,vec œ que l’on observe en
Islande chez la vache et la brebis. C’est une exceptipn , dit Finsen,
que de ne point trouver d’hydatides chezMîes ruminants dès qu’ils ont at¬
teint un certain âge; et quand il en existe dans quelque point du corps que
ce soit, il y en a toujours dans les poumons en même temps. On voit au
contraire que, chez l’homme, les hydatides pulmonaires sont relativement
rares. Il ne faudrait pas compter sous ce titre les hydatides qui pro¬
viennent de kystes du foie rompus dans la poitrine et qui sont évacués
par les bronches. Finsen n’a pas rencontré d’hydatides des os ni de l’œil;
mais différents autres observateurs en ont recueilli de nombreux exemples.
Davaine, dans ses relevés, ne mentionne pas moins de 17 cas d’hydatides
de système osseux, et 12 cas de la même affection tant du globe oculaire
que de l’orbite. Le même auteur cite également d’une manière précise
des faits d’hydatides du cœur, du cerveau, du cervelet, de la moelle épi¬
nière, des capsules surrénales, du testicule, de l’ovaire, de la matrice,
etc. Ces faits, ne se rapportant pas à un total connu de malades, n’ont
qu’une valeur absolue pour prouver que tel ou tel organe peut être affecté
d’hydatides. Du reste, c’est à l’occasion de chaque appareil en particulier
que cette question de la localisation des hydatides sera le plus convena¬
blement appréciée.
Les rapports des hydatides avec les parties au milieu desquelles elles siè¬
gent sont établis à l’aide d’une membrane isolante, de nature conjonctive
et vasculaire, les constituant à l’état de véritable kyste. Cette membrane
prend le nom de kyste adventif; elle appartient au support, et sert de
410 EiNTOZOAIRES (pathologie). — éciiinocoques et kystes hydatiqdes.
cavité de réception, ou de matrice, à l’entozoaire. La surface interne de
la poche est unie et luisante, et présente l’aspect d’une séreuse ; il n’y
existe point d’épithélium manifeste.
Le kyste renferme les hydatides en plus ou moins grand nombre et un
liquide dont la proportion est très-variable. Nous savons en quoi cansiste
l’hydatide. Celle-ci est parfois solitaire et remplit le kyste à elle seule;
elle est alors assez volumineuse. Le plus souvent les vésicules sont mul¬
tiples, mais avec des dimensions moindres. On en a compté jusqu’à plu¬
sieurs milliers dans une même poche adventive; leur volume variant
depuis celui d’une tête d’épingle jusqu’à celui d’une orange. L’ensemble
de la tumeur peut, dans ces cas, acquérir la grosseur d’une tête d’acLulte.
Le liquide kystique, extérieur à l’hydatide, est ordinairement peu abon¬
dant. Lorsqu’on le recueille sur une tumeur qui n’a point subi d’altéra¬
tion régressive et qui est encore vivante, il offre les caractères chimiques
du liquide de la vésicule hydatique elle-même; c’est-à-dire qu’il est lim¬
pide, incolore, et non coagulable par la chaleur et par les acides. Il laisse
déposer par l’évaporation spontanée des cristaux de chlorure de sodium;
enfin on y a constaté, lorsqu’il provenait de kystes en rapport avec le
foie, la présence du glucose. (Ch. Bernardet Axenfeld.)
Lorsque les hydatides se développent dans une cavité séreuse naturelle,
elles ne s’entourent point de membrane adventive ; la séreuse leur en tient
lieu. C’est ainsi que des hydatides ont été trouvées libres dans la plèvre,
dans le péricarde, dans l’arachnoïde, dans les ventricules du cerveau,
dans la tunique vaginale, et jusque dans les milieux de l’œil et dans les
cavités du cœur et des vaisseaux. On n’en a pas rencontré dans les syno¬
viales articulaires ni tendineuses; et les corps étrangers de ces séreuses,
qui ont été qualifiés d’hydatides, ont été reconnus depuis longtemps
comme n’ayant aucun des caractères de l’animalité. Chez l’homme, les
hydatides ne semblent jamais s’être montrées libres dans le péritoine qu’à
la suite d’une rupture dans cette séreuse d’un kyste hydatique de l’un
des organes abdominaux. Il est probable que beaucoup d’autres faits
d’hydatides réputées libres doivent être interprétés delà même manière.
Il existe une certaine forme d’hydatides à échinocoques qui simule au
premier ahord un cancer colloïde. Cette affection n’a encore été rencon¬
trée que dans le foie ; sa nature a été reconnue par Luschka et Zeller, et
elle a été désignée par Virchow sous le nom à' échinocoque multiloculaire.
Dans ce cas-l’hydatide n’est pas enkystée, elle semble infiltrée ; Virchow
lui assigne comme siège les vaisseaux lymphatiques du foie distendus
très-inégalement par ce produit, et injectés pour ainsi dire par lui.
(Voy. Frerichs, Maladies du foie, 2® édition, p. 615.)
On ne trouve en général qu’une seule tumeur hydatique chez le même
individu; cependant on a aussi noté des cas de kystes multiples, soit dans
le même organe, soit dans différents points du corps. Chez les ruminants,
la multiplicité des kystes est au contraire la règle.
Symptômes. — Les signes par lesquels s’annoncent les kystes hydati¬
ques sont en rapport avec le degré de développement qu’ils ont acquis, et
ENTOZOAIRES (pathologie). — échikocoqües et kystes hydatiques. 411
jassi avec l’organe qu’ils ont envahi. Ils peuvent longtemps passer in¬
aperçus. Ce n’est que lorsqu’ils gênent quelque fonction, ou que lors¬
qu’une complication, telle que leur rupture, surgit tout à coup, que com¬
mence réellement leur rôle pathologique.
Lorsqu’ils sont accessibles à l’exploration directe, ils se manifestent sous
la forme d’une tumeur plus ou moins volumineuse, et rattachée plus ou
moins évidemment à l’organe auquel ils appartiennent. Cette tumeur est
dure, rénitente, élastique, présentant une fluctuation douteuse, mais offrant
parfois un signe important et caractéristique, le frémissement htjdatique.
Ce signe, entrevu par Blatin, en 1801, a été surtout rais en évidence
par Briançon (1828), qui en a bien apprécié les causes et la portée. Voici
•comment il s’exprime à cet égard : « Lorsqu’on applique une main sur le
kyste contenant des acéphalocystes, de manière à l’embrasser le plus exac¬
tement possible, en exerçant une pression légère, et qu’avec la main op¬
posée on donne un coup sec et rapide sur cette tumeur, on sent un
frémissement analogue à celui que ferait éprouver un corps en vibration :
c’est le frémissement hydatique. Si l’on réunit l’auscultation à la percus¬
sion, on entend des vibrations plus ou moins graves, semblables à celles
que produit une corde de basse. » (Briançon.)
Davaine indique un procédé un peu différent pour provoquer ces
ébranlements : « Appliquer, dit-il, avec une certaine pression sur la par¬
tie la plus saillante de la tumeur trois doigts écartés, et donner sur celui
du milieu un coup sec et rapide ; les deux autres doigts perçoivent le fré¬
missement d’une manière très-nette. Ce frémissement a beaucoup de rap¬
ports avec celui que donne un siège à élastiques qu’on frappe avec la main. »
D’autres auteurs ont comparé la sensation éprouvée au tremblotement
d’une masse gélatineuse que l’on agite.
Le signe qui nous occupe est loin d’être constant. La tumeur, pour le
produire, doit remplir certaines conditions que Briançon a cherché à
déterminer par des expériences directes. Il faut, en résumé, que le kyste
contienne du liquide, mais que la proportion des acéphalocystes soit con¬
sidérable; lorsque la quantité du liquide est trop grande, le frémisse¬
ment n’est plus perçu. Le phénomène ne paraît pas dépendre de la col¬
lision des hydatides entre elles, car on en a constaté l’existence dans un
cas où le kyste ne renfermait qu’une seule hydatide. (Jobert.) line saurait
avoir lieu lorsque la tumeur a subi la dégénérescence athéromateuse ; car
alors elle ne renferme plus aucun liquide et les hydatides flasques et
flétries restent agglutinées entre elles.
Dans les cas où la tumeur hydatique est facilement accessible à l’explo¬
ration, et que néanmoins on demeure incertain sur sa véritable nature,
on aura recours, pour s’éclairer, à la ponction exploratrice. Cette petite
opération est, en général, sans danger, même lorsqu’on est en présence
d’un kyste du foie et qu’il faut nécessairement traverser le péritoine :
Récamier ne craignait pas de la recommander et de la pratiquer dans
cette circonstance. Elle est, du reste, comme un essai du traitement que
comportent les hydatides. Si l’on a affaire à une maladie de ce genre,
412 ENTOZOAIRES (pathologie). — échinocoques et rïstes hydatiqdes.
le liquide qui s’écoule par le trocart explorateur, a les caractères que
nous connaissons déjà, et dont le plus saillant est qu’il n’est point albumi¬
neux. (Récamier.) De plus, il peut entraîner avec lui, soit des débris de
membrane hydatique, soit des crochets d’échinocoques, soit même l’un
de ces entozoaires tout entier. Nous avons vu enfin que , dans un cas
de kyste du foie observé par Ch. Bernard et Axenfeld, le liquide extrait
de cette façon contenait du sucre.
Nous ne pouvons, à l’occasion de ce qui précède, nous dispenser de
signaler un travail de Moissenet (1859), où se trouvent groupés un cer¬
tain nombre de cas dans lesquels la ponction exploratrice a été suivie
d’accidents sérieux et même mortels. Ces faits, quoique relativement
rares, doivent au moins rendre très-circonspect dans l’emploi du trocart
capillaire appliqué à la ponction des kystes hydatiques du foie.
Les tumeurs hydatiques, ayant en quelque sorte une existence propre,
naissent, s’accroissent et même finissent par mourir. La durée de leur
évolution est très-variable. On en rencontre parfois chez des malades qui
les portaient depuis fort longtemps, et souvent sans qu’ils en aient eu
conscience. Davaine cite des faits empruntés à différents auteurs, qui
fixent l’âge de certains kystes hydatiques à 10 ans, à 15 ans, à 50 ans, à
40 ans, et même à 65 ans. J. Finsen rapporte trois observations qui font
remonter le début de l’affection hydatique à 16 ans, à 18 ans, et à 52 ans.
Ces observations ont une valeur toute particulière, car elles ont été re¬
cueillies sur des Islandais qui avaient quitté leur pays depuis les époques
indiquées ci-dessus pour venir habiter des contrées où la maladie des
échinocoques est habituellement très-rare.
Mais il y a telle circonstance qui abrège la durée des tumeurs hyda¬
tiques, et notamment lorsqu’elles viennent à se rompre, soit à l’exté¬
rieur, soit dans l’une des cavités avec lesquelles elles peuvent être en
contact. Ce genre d’accident offre des particularités qui sont en rapport
avec chacune des déterminations possibles de l’affection hydatique;
nous ne voyons à signaler, comme ayant quelque intérêt pour nous, que
le fait remarqué par Finsen de l’apparition d’une urticaire générale à la
suite de la rupture de kystes hydatiques dans le péritoiné, et aussi très-
probablement dans la plèvre. Finsen démontre de plus que l’épanche¬
ment des hydatides dans la cavité de l’abdomen n’est pas une complica¬
tion nécessairement mortelle : sur six fois qu’il a constaté cet accident, il
n’a eu que deux cas de mort. Mais c’est à la condition, dit-il, que les échi¬
nocoques soient frais et que le liquide des kystes ne soit pas puriforme.
Il est bien entendu que l’évacuation d’hydatides par l’expectoration,
par le vomissement, avec les selles, avec les urines, par le vagin, etc.,
constitue un signe absolu éclairant d’une lueur subite le diagnostic de
tumeurs dont on ignorait la nature ; encore faut-il avoir bien présents
à l’esprit les caractères de ces singulières productions.
Nous avons dit que l’un des modes de terminaison des kystes hydati¬
ques était leur mort pour ainsi dire. Lorsqu’ils sont ainsi arrivés au
terme de leur évolution naturelle, ils subissent sur place des altérations
EiNTOZOAIRES (pathologie). — échinocoqdes et kystes hïdatiqdes. 413
remarquables. Bien souvent on trouve dans des autopsies des tumeurs
du foie, de la rate, ou de tout autre organe, et dont la constitution de¬
meure indécise au premier aspect. Ce sont des amas enkystés de matières
puriformes où athéromateuses, au milieu desquelles on voit des pelli¬
cules ressemblant à des grains de raisin écrasés. Au milieu de ces pro¬
duits dégénérés, le microscope fait reconnaître de nombreux corpuscules
amorphes donnant à la masse son aspect émulsif, des plaques rhom-
boïdales de cholestérine, des cristaux d'hématoïdine, des crochets d’é-
chinocoques, et enfin des débris de membranes hydatiques : ce sont là
pour la plupart les attributs de toute tumeur en voie de métamorphose
rétrograde. L’envahissement athéromateux du kyste peut précéder la
mort et l’affaissement de la vésicule hydatique; il paraît alors être le ré¬
sultat d’une sécrétion propre de la paroi kystique. Plus tard, la régres¬
sion s’empare des hydatides elles-mêmes et se complète : les liquides
sont résorbés, la masse prend un aspect caséeux ou tuberculeux, à ce
point qu’on a cru voir dans ces hydatides l’origine habituelle du tuber¬
cule proprement dit; enfin le tout peut passer à l’état crétacé, en même
temps que les parois kystiques subissent un travail d’ossification plus
ou moins complet. Dans ces conditions, les tumeurs perdent de leur vo¬
lume, s’affaissent et semblent guérir spontanément. De toute façon les
crochets des échinocoques restent là jusqu’au bout pour témoigner de
la nature première de l’affection.
Traitement. — Le traitement des kystes hydatiques est direct ou indi¬
rect. Le traitement indirect, ou médical, n’offre que des chances très-con¬
testables de succès; cependant quelques moyens réputés médicaux ont
été conseillés contre les hydatides par des hommes dignes de foi.
L’emploi du chlorure de sodium, jadis recommandé par Laennec, était
fondé sur ce fait que les moutons qui vivent dans les pâturages mari¬
times ne sont point atteints d’hydatides, et qu’on peut guérir ceux qui
présentent cette affection dans d’autres contrées en les amenant paître
dans les prés salés. Il est encore acquis que les marins, dont la nourri¬
ture se compose surtout de salaisons, sont très-peu sujets aux hydatides.
Nous savons enfin quelle opposition existe entre les pêcheurs et la po¬
pulation agricole de l’Islande sous le rapport de l’aptitude à contracter
les hydatides. Mais il serait bon, pour apprécier convenablement l’effi¬
cacité du moyen en question, de tenir compte de toutes les circonstances
qui peuvent, d’autre part, empêcher ou favoriser le développement des
échinocoques. L’origine de ces entozoaires, qui nous est aujourd’hui
assez bien connue, montre sur quelles bases doit reposer une pareille
appréciation. Davaine fait, du reste, remarquer que le liquide des hy¬
datides est très-riche en chlorure de sodium, et que par conséquent cette
substance ne paraît pas exercer sur elle une action bien délétère. Laennec
prescrivait particulièrement les bains d’eau salée.
Les mercuriaux ont aussi été essayés (Baumes) , mais sans utilité démon¬
trée (de la Berge et Monneret). Il en est de même pour l’iodure de potas¬
sium employé en Angleterre (Hawkins)- Frerichs a reconnu dans un cas que
414 ENTOZOAIRES (pathologie). — échiaocoques et kystes hyd.atiqoes.
ce sel n’avaitmêmepaspénéti'é jusque dans l’intérieur du kyste hydatique.
Le kamala, recommandé par Hjaltelin, médecin principal de l’Islande
pour le compte du gouvernement danois, a paru lui offrir quelques
avantages dans la maladie des écliinocoques. La raison de l’emploi de ce
médicament est fondée d’une manière spécieuse sur son efficacité contre
le tænia. 11 était donné sous forme de teinture alcoolique à la dose de
30 gouttes par jour pour les adultes ; on doit en continuer l’usage pen¬
dant un mois et plus. Ce remède est calmant et anodin, et les malades
le prennent volontiers ; mais on ne connaît pas de guérison authentique
de tumeur à échinocoques obtenue par ce moyen. (J. Finsen.)
On pourrait de même faire usage de toute substance anthelminthique,
pourvu qu’elle soit soluble et diffusible, dans l’espérance qu’elle péné¬
trerait, par voie d’endosmose, à l’intérieur du kyste, et qu’elle y ferait
périr les hydatides qu’il contient.
Il serait beaucoup plus sûr de porter directement dans la tumeur, à
l’aide d’un fin trocart, comme celui des seringues à injections hypoder¬
miques, une solution vermicide qui devrait, d’autre part, n’avoir aucun
inconvénient pour le support; la teinture d’iode, celle de kamala, etc.,
introduites de cette façon dans le kyste, seraient d’un emploi plus ra¬
tionnel que leur ingestion dans l’estomac. Les conséquences d’une tu¬
meur ainsi traitée seraient, d’abord, l’arrêt de son développement, puis
son ratatinement ultérieur, et peut-être sa disparition complète.
On a conseillé, dans le même but, de faire traverser la tumeur hyda¬
tique par un courant électrique. Un succès aurait été obtenu à l’aide de
ce procédé, en Islande, par Thorarensen (cité par Guérault) ; mais de¬
puis, on n’en a pas produit d’autres exemples.
Nous touchons ici au traitement direct, ou chirurgical, des kystes hy¬
datiques. Ce traitement comprend un assez grand nombre de moyens
d’action, tels sont : la ponction simple du kyste avec un trocart plus ou
moins gros, l’incision de la tumeur à ciel ouvert, son extirpation totale,
la ponction suivie d’une injection iodée, alcoolique, de bile, etc., l’ou¬
verture de la poche par le caustique en suivant la méthode de Réca-
mier, etc. Mais nous ne saurions développer ici ces divers procédés, afin
d’en apprécier les mérites respectifs ; chacun d’eux trouve son indication
dans un cas donné. C’est, du reste, à l’occasion des kystes hydatiques
du foie que cette étude pourra être faite le plus efficacement. (Foy. Foie.)
Les connaissances acquises au sujet de l’origine des hydatides chez,
l’homme sont de nature à inspirer certaines mesures d’hygiène publique
et privée. Le résultat des recherches faites en Islande par Krabbe l’ont
conduit à formuler quelques préceptes d’une utilité non douteuse. Il
conseille : 1“ de réduire le nombre des chiens au strict nécessaire pour
la garde des troupeaux ; '•1° d’éloigner autant que possible ces animaux
des habitations, et de n’avoir pas avec eux des contacts trop multipliés ;
3° de ne point leur faire manger les débris chargés d’échinocoques pro¬
venant du bétail abattu, et de détruire cette cause d’infection par l’en¬
fouissement ou par tout autre moyen; 4“ d’administrer périodiquement
ENTOZOAIRES (pathologie). — tænia. 415
aux chiens quelque substance vermifuge qui les débarrasse de leurs
tænias. Ces prescriptions auraient pour avantage de préserver des hyd'a-
tides, non-seulement rhomm,e, mais aussi les bestiaux qui sont une
source permanente et indirecte de cette maladie pour l’espèce humaine.
Elles rappellent les moyens préventifs qu’on a mis en usage pour ga¬
rantir les moutons du tournis, dont le germe sous la forme des œufs du
Tænia cænurus leur est incessamment communiqué par les chiens qui
les gardent. Les recommandations de Krabbe ont été répandues en Is¬
lande par les soins du gouvernement danois : elles seraient appliquées
avec avantage dans tout autre lieu, car l’affection hydatique est loin
d’être rare ailleurs que dans cette île.
VIL Tænia. — On peut observer plusieurs espèces de vers cestoïdes
vivant dans l’intestin de l’homme. Parmi les mieux déterminées nous
citerons ; le Tænia solium, le T. msdiocanellata et le Bothriocephalus
Mus. Les espèces rares ou douteuses comprennent : le Tænia nana, le
T. elliptica, le T. flavopunctata et le Bothriocephalus cordatus (voyez le
synopsis, p. 367).
Notre étude portera tout naturellement sur ceux de ces vers qu’on est
le plus exposé à rencontrer, dont l’origine est la mieux connue, et qui se
prêtent par conséquent à des mesures hygiéniques rationnelles. Du
reste, au point de vue où nous sommes placé, nous pouvons sans incon¬
vénient poursuivre simultanément l’histoire de tous ces entozoaires :
leurs effets sur l’économie sont à peu près les mêmes; leur diagnostic,
leur pronostic et leur traitement sont fondés sur des principes identi¬
ques; ils ne diffèrent que sous le rapport taxonomique; or leur distinc¬
tion a été convenablement établie d’autre part, de telle sorte que nous
n’avons plus à nous en préoccuper maintenant.
Les vers rubannés, ou cestoïdes, ont été connus des anciens, du moins
pour ce qui est des grandes espèces que l’on confondait entre elles.
En effet, Hippocrate mentionne trois sortes de vers intestinaux chez
l’homme ; l’ascaride lombricoïde (aXiAtv? GvpoyYéA-^]), l’oxyure vermicu-
laire (aezapt;), et le tænia (êXp.iv; lù.ctzv.a.) . Galien accepta cette division,
et ce fut lui qui nomma le tænia (vawia, ruban, bandelette). Les auteurs
arabes, et particulièrement Avicenne, considèrent comme ayant une
existence propre les cucurbitins, qui ne sont en somme, ce que Hippo¬
crate savait déjà, que des anneaux détachés du tænia, et rejetèrent l’exis¬
tence de cette dernière espèce de ver, qu’ils regardaient comme formé
par un groupement accidentel de cucurbitins. En 1602 , Félix Plater
distingua, chez l’homme, deux sortes de vers plats qui correspondent
très-bien à ce que nous savons aujourd’hui du bothriocéphale et du
tænia solium. On les désigna simplement d’abord sous les noms de
Tsenia prima et de Tænia secunda Plateri. Les observations ultérieures
de Spigel (1618) et celles de Nicolas Andry (1700) confirmèrent la sé¬
paration des deux espèces de vers plats. La dénomination de ver soli¬
taire appliquée à l’un de ces vers appartient à Andry. Linné constitua
et nomma l’espèce Tænia solium. C’est Breraser qui a créé pour
416 ENTOZOAIPiES (pathologie). — tæma.
l’autre ver plat de l’homme le genre Bothriocephalus (^cGptov, fossette).
La découverte du Tænia mediocanellata (Küclienmeister, 1854), et des
autres cestoïdes que nous avons énumérés plus haut, est contemporaine.
Il est même probable que des observations nouvelles ne feront que
grossir la liste de ces parasites. C’est ainsi que Davaine a donné tout
récemment, dans les Archives de médecine navale, la description d’un
nouveau tænia qui a été recueilli à Mayotte par le docteur Grenet, et au¬
quel il a assigné le nom de T. madagqscariensis . [Voy. p. 571.)
Causes. — L’origine des tænias commence à être assez bien établie, au
moins pour quelques-uns d’entre eux ; et pour les autres on peut prévoir
ce que la suite révélera à leur égard. Ce ne sont point des œufs ingérés
avec les aliments ou avec les boissons qui les produisent directement
dans l’intestin, mais bien des larves de vers à génération alternante et
déjà arrivés à la troisième phase de leur existence, celle de scolex. Sous
cette dernière forme ils étaient enfouis dans les organes parenchyma¬
teux de divers animaux; et ce sont les besoins de l’alimentation, ou toute
autre circonstance, qui les ont enfin amenés dans le lieu où ils doivent
acquérir leur état adulte et se reproduire. Le ver est alors un animal
complexe, dont l’ensemble forme un strobila, et dont chaque élément
distinct et fécondé prend le nom de proglottis ou de cucurbitin. (Voy. la
première partie, p. 368.)
Telle est la base sur laquelle doit être fondée l’étiologie. D’après cela,
les rapports se trouvent tout d’abord établis entre le tænia solium et le
cysticerque du porc, c’est-à-dire avec la chair de cet animal affecté de
ladrerie. Pour le tænia inerme, il est plus que probable que son scolex
existe à l’état de cysticerque dans la chair du bœuf et du veau. (Leuckart.)
Quant au bothriocéphale, son point de départ est incertain. Ce ver est,
comme nous le verrons, exclusif à certains pays; il paraît, à l’état de
larve ou d’œuf, avoir pour véhicule l’eau de quelques fleuves, ou lacs, et
les poissons qui les habitent.
La distribution géographique des trois grandes espèces de vers qui nous
occupent plus particulièrement est subordonnée à ces considérations, et
aussi aux usages propres à chaque peuple. La répartition du tænia
solium est très-étendue ; on a observé cet entozoaire dans presque toutes
les contrées du globe : en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique. Il
est beaucoup plus, commun en Algérie qu’en France (Tarneau); il est
également endémique en Syrie (Mauche); mais la terre classique du tænia,
c’est l’Abyssinie. Dans cette contrée il n’y a guère d’habitants qui ne soient
affectés de ce ver, au point qu’il y est presque une condition de santé
régulière. C’est aussi là que se trouve faite, sur la plus large échelle, la
démonstration des causes du tænia. L’usage de la viande crue y est très-
répandu, et un mets national, le brondo, n’est autre chose que de la
chair de bœuf que l’on mange encore chaude et palpitante. Il est vrai que
ce fait soulève une difficulté assez importante. Si le tænia observé en
Abyssinie est réellement, comme on le dit, le tænia solium, il faut
admettre, avec Gervais et van Beneden, et contrairement à l’opinion de
ENÏOZOAIRES (pathologie). — tæxia. 417
Davaine, que le bœuf peut être atteint de cysticerque ladrique; mais la
proportion du tænia inerme y est peut-être plus grandequ’on ne l’a établi,
et, dans ce cas, le cysticerque qui lui correspond chez les ruminants
reprendrait son rôle effectif.
L’usage de la yiande crue, partout où il existe, produit les mêmes
résultats. L’habitude où l’on est en Allemagne de manger la chair du porc
à peine cuite, ou même tout à fait crue, y rend le tænia très-fréquent.
Lorsque le régime de Weisse, qui consiste, on le sait, dans l’emploi de la
viande de bœuf crue chez les enfants atteints de diarrhée au moment du
sevrage, s’est répandu en Russie, on a vu apparaître le tænia dans cette
contrée, où, auparavant, on n’avait guère observé que le bothriocéphale.
Le même fait s’est produit, quoique d’une façon moins démonstrative,
dans les pays où le tænia existait habituellement, et le régime de Weisse,
qui s’est tant généralisé depuis quelques années, a dû y rendre le tænia
plus commun qu’autrefois . (V. Siebold.) Il est connu depuis longtemps
que les professions , telles que celles de charcutier et de boucher, qui
nécessitent des contacts fréquents avec la chair crue, prédisposent réelle¬
ment au tænia. Dans un relevé de 206 cas de cette affection fait par
Wawruch, à Vienne, en Autriche, cet auteur a pu compter : 1 cuisinier,
52 cuisinières, 11 gros mangeurs de viande, et quelques bouchers.
Gairdner a fait la même observation en Angleterre, et Delpech a mis le fait
en évidence, pour notre pays, dans un important mémoire publié en
1864. Mais la nécessité d’établir une distinction étiologique entre le
tænia solium, se rattachant au cysticerque du porc, et le tænia medioca-
nellata, originaire du bœuf, se présente aujourd'hui plus impérieuse que
jamais.
L’incertitude qui règne au sujet des origines du bothriocéphale donne
de l’importance aux notions que l’on possède sur la distribution géogra¬
phique de ce ver, car on pourra sans doute trouver là un jour la cause
définitive de son existence chez l’homme. Le bothriocéphale est inconnu
en Afrique et en Amérique; en Asie, il n’a été signalé qu’à Ceylan. Il
semble, en somme, qu’il soit particulier à l’Europe, et encore ne l’est-il
qu’à certaines parties de cette contrée. II est très-commun en Suisse, où
il se rencontre à l’exclusion du tænia solium. Suivant Lebert, il appartient
à la Suisse orientale, et surtout au canton de Vaud; dans la Suisse
occidentale, on voit reparaître le tænia ordinaire.
Le même ver existe sur presque tout le littoral de la mer Baltique, et
notamment en Suède, dans la Bothnie septentrionale, aux confins de la
Laponie, puis dans le Finmark, dans la Finlande, dans la Livonie, dans
la Pologne jusqu’à la Vistule, et, au delà de ce fleuve, dans la Poméranie.
En Russie, on ne connaissait autrefois que le bothriocéphale ; nous savons
pourquoi aujourd’hui on y observe aussi le tænia solium. Dans certaines
de ces contrées, le bothriocéphale est pour ainsi dire endémique; peu
d’individus y échappent, surtout parmi ceux qui, habitant près de l’em¬
bouchure des fleuves, se livrent à la pêche et vivent presque exclusive¬
ment de poisson. A mesure qu’on s’éloigne des côtes, il devient de
SODV. BICT. MÉD. ET CHIB. XIII. — 27
418 ENTOZOAIRES (pathologie). — tænia.
plus en plus rare, pour disparaître tout à fait dans l’intérieur des terres
où le régime diffère notablement de ce qu’il est sur le littoral. Cependant
il n’en faudrait pas conclure que c’est de l’emploi dans l’alimentation de
certains poissons, telle que la truite ou le saumon, ainsi qu’on l’a dit, que
dépend l’existence du bothriocéphale chez l’homme. En effet, ce ver est
bien loin de suivre, dans leur distribution géographique, les poissons que
nous venons de nommer; il a un domaine beaucoup plus restreint. D’un
autre côté, on n’a nas encore démontré en quoi consiste le germe de cet
entozoaire; on ne sait s’il provient d’un cysticerque ou directement d’un
œuf, ni dans quels animaux il accomplit ses premières phases; et il peut
se faire, comme on tend à l’admettre, qu’il n’arrive à l’homme que par
l’intermédiaire de l’eau prise en boisson.
Le bothriocéphale existe simultanément avec le tænia ordinaire en
Hollande et en Belgique. En Angleterre et en France, il ne se rencontre
guère que sur des individus qui l’ont importé des pays où il est endé¬
mique. A Paris, on l’observe quelquefois sur des Suisses. Dans toute la
collection des bulletins de la Société anatomique, on ne trouve que deux
exemples de bothriocéphale ; l’un a été recueilli chez un malade de cette
dernière nationalité (Lacaze-Duthiers); et l’autre sur un jeune Piémontais
(Potain).
Les autres considérations étiologiques relatives aux vers cestoïdes
offrent désormais moins d’importance. Nous ne nous arrêterons pas à
discuter la question de leur hérédité , car, les trouvât-on chez un enfant
nouveau-né, qu’il faudrait encore admettre qu’ils procèdent de la péné¬
tration d’un germe parfaitement déterminé.
L’âge moyen est celui auquel on rencontre le plus souvent ces ento-
zoaires; on les observe également aux deux extrémités de la vie. Hufeland
a vu un enfant de 6 mois en être affecté. Legendre a consacré quelques
recherches au tænia observé chez les enfants, mais il n’a indiqué aucune
raison étiologique qui soit particulière à cet âge. Aujourd’hui, que le
régime de la viande crue a pris beaucoup d’extension parmi les enfants, il
faudrait nous attendre à rencontrer le tænia plus souvent qu’autrefois
durant cette période de la vie. A l’autre extrême, le tænia a été observé
chez des vieillards âgés de 80 ans (Duhaume) , de 86 ans (de Thomas) , de
plus de 100 ans (Lombard). (Auteurs cités par Davaine.)
Relativement au sexe, il est démontré que les femmes sont plus
exposées que les hommes à contracter le tænia. Wawruch, dans un
relevé de 206 cas de cette affection, a compté 71 hommes et 135
/emmes. Du reste, tous les auteurs, à l’exception de Mérat, sont d’ac¬
cord à cet égard. C’est un résultat que nous avons déjà constaté pour
d’autres entozoaires, mais sans qu’on puisse en donner une raison satis¬
faisante.
Nous savons quelle est la fréquence des tænias suivant les climats et les
diverses contrées du glohe. Il nous reste à mentionner la grande prédis¬
position de la race noire pour le tænia solium, et ce fait qu’en Algérie nos
soldats en sont beaucoup plus fréquemment affectés qu’en France, et cela
ENTOZOAIRES (pathologie). — tænia. 419
dans une proportion plus forte que les indigènes eux-mêmes. (Boudin,
Judas, Tarneau.)
Les fænias habitent l’intestin grêle, et ils sont erratiques dans les
mêmes conditions que les ascarides lombricoïdes : c’est ce que nous verrons
par la suite; mais ce qu’ils présentent de plus qu’eux, c’est une sorte de
migration périodique d’une partie d’eux-mêmes, sous forme d’anneaux
ou de segments fécondés et chargés d’œufs se montrant dans les garde-
robes. Le diagnostic de ces vers en reçoit des éclaircissements précieux.
Leur tête, ou scolex, reste au contraire très-opiniâtrément fixée dans
l’intestin, d’où il importe surtout de l’expulser pour obtenir une guérison
définitive.
Il n’existe en général qu’un seul tænia, principalement de ceux des
grandes espèces, et le nom de ver solitaire a été assez exactement choisi
pour désigner le tænia solium ; il est aussi applicable au tænia inerme et
au bothriocéphale. Cependant il n’y a rien d’absolu à cet égard ; les faits
de tænias multiples ne sont pas extrêmement rares. En voici quelques
exemples pris parmi les plus connus : Bremser a observé o tænias rendus
parla même personne; Rudolphi, 4; Barth, 6; Mongeal, 12, ayant en¬
semble une longueur de 48 mètres, et chacun pourvu de sa tête ; Escallier,
14; de Haen, 18; enfin Gervais et van Beneden citent le cas d’un homme
qui expulsa 41 tænias. On comprend que ces faits n’ont de valeur qu’au-
tant que l’on rapporte le nombre des tænias à celui des têtes trouvées, ou
tout au moins aux extrémités effilées indiquant un nombre équivalent de
têtes. Mentionnons la circonstance assez curieuse dans laquelle un tænia
solium et un bothriocéphale existent concurremment chez un même indi¬
vidu : cela a été vu plusieurs fois. Le bothriocéphale, dans les pays où il
est endémique, comme dans la province de Nordbotten, en Suède, est
rarement solitaire. (Magnus Huss.)
Les proportions que prennent les trois principaux tænias de l’homme
sont quelquefois très-considérables, et ne sont pas toujours étrangères
aux accidents déterminés par ces vers. Les évaluations à cet égard ne
peuvent offrir beaucoup de précision, puisque le même ver a été souvent
expulsé par portions successives avant d’être rejeté définitivement, et
que, comme le dit Bremser, on n’a peut-être jamais vu un tænia en
entier. La régénération prompte de ces parasites, après qu’il s’en est
détaché de longs fragments, fait fréquemment illusion. Cependant disons,
pour fixer les idées à ce sujet, que des tænias de 6 à 8 mètres ne sont pas
très-rares; on en a vu de beaucoup plus longs, comme de 20 à 40 mètres,
par exemple. Le tænia inerme acquiert ordinairement des dimensions plus
grandes que le tænia armé. Le bothriocéphale l’emporterait encore sous
ce rapport , mais cela paraît tenir à ce que ce ver n’est pas sujet à une
mue aussi périodique que les deux autres, qu’il ne se sépare pas comme
eux en anneaux distincts ou cucurbitins, et qu’il n’abandonne de frag¬
ments, qui sont alors très-longs, qu’à des intervalles éloignés.
La position que ces vers affectent dans l’intestin est en rapport avec
cette extrême longueur; ils peuvent ainsi s’étendre depuis le pylore jus-
420 ENTOZOAIRES (pathologie). — tænia.
qu’au gros intestin, dans lequel on les a vus se prolonger dans quelques
cas, et être néanmoins repliés plusieurs fois sur eux-mêmes. Leur tête est
toujours tournée du côté de l’estomac. Cette remarque a été faite par
Pruner, en Égypte, sur des nègres dont il pratiquait l’autopsie ; elle a été
également vérifiée par d’autres observateurs. Il arrive aussi que le tænia
se roule en peloton, et forme des masses qui obstruent l’intestin. On
considère cette circonstance comme favorable à l’expulsion du ver, parce
qu’elle permet aux contractions de l’intestin de s’exercer plus efficacement
sur lui. Nous avons déjà dit que la tête du tænia est fortement implantée
dans la paroi intestinale : cela explique la difficulté que l’on éprouve sou¬
vent à obtenir l'expulsion de cette partie, et, par suite, à débarrasser le
malade d’une manière définitive. Le fait eti lui-même a été constaté de
visu par Bremser, par Lombard, par Sappey, etc.
Symptômes. — La présence du tænia ne s’accuse pas nécessairement
par des signes très-apparents. Dans la plupart des cas, elle n’est indiquée
par aucun malaise, mais seulement par des fragments de ce ver qui se
montrent de temps à autre dans les garde-robes. Cependant il n’en est
pas toujours ainsi ; et parfois des accidents notables en sont la consé¬
quence, et peuvent même prendre une extrême gravité. En général, les
femmes et les enfants sont plus péniblement affectés par le tænia que les
hommes : ce qui paraît être en rapport avec une sensibilité plus déve¬
loppée, et une aptitude à réagir tout individuelle.
Nous retrouvons ici d’abord les signes que nous avons mentionnés
dans nos généralités sur les entozoaires, et le plus grand nombre de ceux
qui appartiennent aux ascarides lonibricoïdes; tels sont : le faciès vermi¬
neux, la dilatation des pupilles, les démangeaisons au nez et à l’anus,
une perversion de l’appétit, des sensations abdominales variées, des ver¬
tiges, des bourdonnements d’oreille, des palpitations, la tendance aux
syncopes , l’affaiblissement musculaire , le dépérissement, et plusieurs
formes de convulsion.
Quelques-uns de ces symptômes acquièrent chez certains individus at¬
teints de tænia une intensité insolite, se révèlent avec une physionomie
toute particulière, et présentent une bizarrerie qui, à elle seule, est un in¬
dice pour le diagnostic. Les recueils d’observations et les publications pé¬
riodiques renferment beaucoup de faits de ce genre. Ils ont été groupés avec
soin par les auteurs qui ont écrit sur les entozoaires ou qui ont fait l’his¬
toire spéciale du tænia. Citons surtout Warvruch, Louis, Legendre, See-
ger (in Kûchenmeister), Th. Heslop et Davaine. Dans l’impossibilité où
nous sommes de reproduire tous ces faits, nous nous contenterons de
donner ici deux relevés intéressants : celui de Legendre et celui de
Seeger.
Le relevé de Legendre porte sur 35 cas. Des désordres du système ner¬
veux cérébro-spinal se sont montrés dans 20 cas : 8 fois sous forme d’at¬
taques d’épilepsie, 4 fois sous celle de l’hystérie, et 8 fois comme con¬
vulsions partielles du visage ou des membres. Dans 14 cas, on a noté des
vertiges ou de la céphalalgie, 7 fois, il y a eu des lipothymies complètes
ENTOZOAIRES (pathologie). — tænu. 421
ou incomplètes. La vision a été troublée 4 fois : diplopie, sensation de
flocons, de mouches ou bluettes lumineuses, et même cécité périodique.
Les bourdonnements d’oreille n’ont été mentionnés que 3 fois. Enfin, dans
14 cas, les malades ont accusé une sensation de piqûre ou de morsure à la
région épigastrique. Rarement, ajoute Legendre, un de ces symptômes
existait isolément ; le plus ordinairement ils étaient groupés au nombre
de deux ou trois chez le même sujet.
Le tableau de Seeger comprend 100 cas de tænia :
Chez 66 malades, il y eut des affections cérébro-spinales : convulsions
générales ou partielles, épilepsie, hystérie, spasmes abdominaux, dyspnée,
toux convulsive, hypochondrie, mélancolie, accès de manie et affaiblis¬
sement des facultés intellectuelles.
Chez 49 : nausées, vomissements et défaillances.
Chez 42 : douleurs diverses dans l’abdomen.
Chez 53 : troubles de la digestion et évacuations irrégulières.
Chez 51 : appétit variable et voracité.
Chez 19 : céphalalgie périodique, habituelle, le plus souvent unila¬
térale.
Chez 17 : coliques subites.
Chez 16 ; mouvements ondulatoires dans l’abdomen, se dirigeant en
haut vers la poitrine.
Chez 15 : vertiges, illusion des sens et phonation vicieuse.
Chez 11 : douleurs vagues dans différentes parties du corps.
Il peut encore se manifester chez des individus atteints de tænia des
phénomènes imprévus et singuliers qui échappent à toute analyse. Voici
la mention de quelques-uns de ces faits , signalés dans l’ouvrage de Da-
vaine et empruntés à divers auteurs ; sensation désagréable éprouvée en
entendant de la musique (Wagler, Gœze) ; odeur insupportable perçue
seulement par le malade (P. Frank) ; catalepsie (Wepfer) ; coma (Dar¬
win) ; chorée (Mondière) ; paralysie des extrémités supérieures (Moll) ;
surdité (Laborde) ; cécité périodique (Wawruch) ; salivation abondante
(P. Frank) ; asthme datant de 15 ans ((îiscaro) ; fureur utérine (P. Frank);
aménorrhée (Wawruch) ; avortement (Leclerc) ; hématurie (Gaube).
Parmi les symptômes de cette nature, nous citerons aussi, d’après
Th. Heslop, un tremblement général du corps, observé en dehors de toute
intoxication métallique, de l’alcoolisme et de la paralysie agitante.
Ce que l’on a dit de l’appétit excessif des individus atteints de tænia a été
beaucoup exagéré. Les exemples de faim insatiable recueillis dans cette
circonstance sont assez rares pour que Davaine n’ait pu en- réunir que
quatre cas bien authentiques. L’un des plus remarquables et des mieux
■observés est dû à Billard ; il se trouve rapporté dans la thèse de Debry.
Ce fait soulève même une question médico-légale intéressante ; car le ma¬
lade, pour satisfaire son appétit démesuré, avait dû voler et avait été con¬
damné. Lorsqu’il fut débarrassé de son tænia, une simple ration lui suffit
désormais. On se demande quel était le degré de responsabilité de cet
individu.
422 ENTOZOAIRES (pathologie) . — tæ.nia.
Le plus souvent les malades ont un appétit ordinaire ; quelquefois
même ils éprouvent du dégoût pour les aliments, ou bien ils manifestent
des préférences bizarres, à la façon des dyspeptiques.
Tout ce que nous venons de dire se rapporte principalement au tænia
solium. Le bothriocépbale s’annonce par des signes analogues. Les diffé¬
rences sont peu accusées. D’après P. Frank, les démangeaisons à l’anus
seraient beaucoup moins prononcées dans ce dernier cas, en raison de ce
qu’il n’y a point de cucurbitins provoquant par leurs mouvements des
titillations du gros intestin. Magnus Huss donne comme signes du bothrio-
céphale, observé à l’état endémique dans la Bothnie septentrionale, une
sensation désagréable de succion à l’épigastre, surtout à jeun, l’appétence
pour les aliments salés, des gargouillements du ventre, une douleur avec
pesanteur sus-orbitaire revenant et disparaissant par accès. Chez les
jeunes filles, il se produit souvent des accidents nerveux ; les hommes en
sont rarement incommodés.
Les différents symptômes que nous venons d’énumérer n’ont d’impor¬
tance au point de vue de l’affection qui nous occupe que parce qu’ils ont
coïncidé, d’une part, avec la présence bien et dûment constatée par des
moyens directs d’un tænia dans l’intestin ; et que, de l’autre, ils ont dis¬
paru en même temps qu’on avait provoqué l’expulsion de ce ver. Si ac¬
cusés qu’ils soient, ils ne peuvent être par eux-mêmes qu’une présomption
de tænia ; le diagnostic absolu de cet entozoaire n’est établi que lorsqu’on
l’a vu dans son entier ou dans l’une de ses parties. Une pareille exigence,
très-scientifique d’ailleurs, est justifiée en pratique par ce fait que quel¬
ques malades hypochondriaques et tourmentés de symptômes vagues se
croient atteints du ver solitaire. Nous avons soigné une femme qui, pen¬
dant plusieurs années, a été poursuivie par cette idée, qui a fait les plus
grands efforts pour se délivrer de son hôte imaginaire, et qui, à notre
connaissance, n’a pas rendu un seul cucurbitin durant tout le temps qu’a
duré cet état singulier ; et cela malgré l’emploi des ténifuges les plus
variés.
L’apparition d’un fragment de tænia, ou d’un seul cucurbitin, au mi¬
lieu des selles rendues est un caractère univoque de l’existence de ce ver,
qui entraîne le diagnostic et qui permet de donner une direction décisive
au traitement. Il faut donc procéder à cette vérification avec le plus grand
soin, et ne pas seulement s’en rapporter aux descriptions des malades.
On déterminera, de cette façon , et la cause des accidents que l’on ob¬
servait et l’espèce du ver qui les occasionnait.
On reconnaîtra le tænia solium à ses proglottis ressemblant à des se¬
mences de citrouille, isolés ou réunis en chaînette , chargés d’œufs d’une
forme spéciale, et pourvus d’un mamelon latéral. Les proglottis du tænia
inerme sont particulièrement remarquables par leurs grandes dimensions,
et par la vivacité de leurs mouvements, qui est telle, qu’on les voit quel¬
quefois sortir par l’anus dans l’intervalle des garde-robes. Le bothriocé-
phale est soumis à une mue moins régulière ; c’est par longs fragments
et à des espaces de temps souvent considérables qu’il est expulsé. Les
ENTOZOAIRES (patholobie). — tænia. 425
articles, très-reconnaissables à leur tubercule ombilical, sont quelquefois
dépouillés de leurs œufs et sont comme perforés. Voyez, du reste, pour
complément de ce qui précède, les détails relatés dans la partie zoo¬
logique des entozoaires.
L’évacuation de segments de tænia se fait d’une façon en quelque sorte
périodique. On voit apparaître les proglottis fécondés, à la suite d’acci¬
dents plus marqués, à des époques déterminées, offrant, supposait-on,
certains rapports avec les phases de la lune. Des hommes recomman¬
dables, tels que Rosen, Wawruch, etc., et même de nos jours Küchen-
meister, ont soutenu cette opinion. Il est à peine nécessaire de faire re¬
marquer que, comme il n’y a point là de relation possible de cause à
effet, c’est tout à fait arbitrairement qu’on a rattaché un phénomène
bien ordinaire aux mouvements qui se passent dans le ciel.
Lorsque l’expulsion de très-longs fragments de tænia a eu lieu, soit
spontanément, soit à la suite d’un traitement qui est resté incomplet, on
voit quelquefois les accidents observés auparavant disparaître tout à coup;
et l’on est alors tenté de croire à la guérison. Mais tant que la tête elle-
même de l’entozoaire n’a pas été rendue, on est exposé à le voir reparaître.
La reproduction du ver se fait assez rapidement ; elle peut s’accomplir
en quelques semaines. En général, pour le tænia solium, c’est au bout
de trois mois que les cucurbitins recommencent à se montrer dans les
garde-robes.
Le tænia a une durée en quelque sorte indéfinie. On cite des malades qui
ont évacué des fragments de ce ver pendant quinze, vingt-cinq et même
trente-cinq ans. (Wawruch.) 11 peut arriver aussi que la même personne,
par suite d’habitudes qui lui sont particulières, soit atteinte du tænia plu¬
sieurs fois dans sa vie, et alors on ne peut plus admettre que ce soit un seul
et même ver qui s’est ainsi reproduit à diverses reprises. Celte erreur ne
saurait être commise lorsqu’il s’agit d’un bothriocéphale observé sur un
individu qui a quitté depuis longtemps l’un des pays où ce ver est endé¬
mique ; et cependant Bremser a rencontré à Vienne un parasite de cette
espèce chez un Suisse qui était éloigné du lieu de sa naissance depui
treize ans.
Nous avons toujours supposé jusqu’ici que l’évacuation des tænias se
faisait en tout ou en partie par le gros intestin ; mais il peut aussi arriver
que ces vers soient erratiques. Dans quelques cas, beaucoup plus rares
que lorsqu’il s’agit des lombrics, ils se sont montrés au milieu de ma¬
tières vomies. Lavalette , cité par Mérat, rapporte l’observation d’une
femme qui rendait ainsi des cucurbitins par la bouche. Lorsque le ver
est rejeté en entier et pelotonné, il peut en résulter, par suite de son vo¬
lume, des accidents de suffocation, tel est le fait de Schenk. (Davaine.)
Dans d’autres circonstances, le tænia s’est fait jour au travers des parois
abdominales, et a été rejeté par l’intermédiaire d’un abcès du genre de
ceux que nous avons décrits à propos des ascarides lombricoïdes. Siebold
parle de la sortie d’un tænia solium à travers l’ombilic. D’autres fois, c’est
par un abcès et une fistule inguinale que l’issue a eu lieu. Enfin ce ver a
424 . ENTOZOAIRES (pathologie). ' — t.e.ma.
pu se porter jusque dans la vessie. On ne compte pas moins de quatre
exemples de ce fait : celui de Bellacatus (Davaine), celui de Darbon, rap¬
porté par Julia Fontenelle, celui de Burdach, de Senftenberg, et enfin
le fait plus récent de Jobert, de Guyonvelle. Dans ces cas, le tænia, ou
quelques-uns de ses segments, a été expulsé par l’urèthre avec les urines.
Pour apprécier la part qui revient à l’entozoaire dans ces diverses mi¬
grations, on devra se reporter à ce que nous avons dit à propos de faits
analogues dans l’histoire des vers lombricoïdes ; on y verra notamment
que le rôle du ver est ici à peu près passif en- tant que corps animé.
Le pronostic du tænia est très-variable. Si l’on en juge d’après ce qui
se passe dans les contrées où les vers cestoïdes sont très-communs , on
peut dire que leur présence dans l’intestin de l’homme est à peu près
exempte d’inconvénients. Bien plus, en Abyssinie, on attache une idée
favorable à la possession de ce ver. Mais des faits isolés, marqués par des
accidents sérieux, viennent de temps en temps prouver à quels dangers
expose un pareil hôte. Nous avons rapporté toute une symptomatologie
qui peut édifier à cet égard. Des attaques d’épilepsie, ou apoplectiformes,
des troubles de l’intelligence, des désordres graves des fonctions diges¬
tives, etc., ne sont pas choses indifférentes. Ajoutons que la mort peut
être la conséquence d’une semblable affection. Nous nous rappelons en¬
core le fait d’un malade de l’hôpital Beaujon qui succomba après plu¬
sieurs jours d’un état comateux, et chez qui on ne trouva pour expliquer
la mort qu’un tænia long de 6 mètres pelotonné dans le duodénum. Dû
reste, il est impossible de tracer les règles générales du pronostic dans les
circonstances actuelles, car on ne saurait jamais prévoir quelle direction
prendront les accidents, ni même si des accidents auront lieu dans un
cas plutôt que dans l’autre.
Traitement. — ^Le traitement comprend un grand nombre de moyens.
Les succès qu’on a obtenus dans des circonstances variées et souvent
imprévues prouvent qu’il y a une certaine opportunité d’où résultent les
bons effets du remède qu’on a choisi. L’indication la mieux démontrée,
c’est que le malade rende actuellement des cucurbitins, ou qu’il en ait
rendu tout récemment. Cela suppose, en effet, que le tænia a acquis tout
son développement, et que, par suite, il offre une plus grande surface à
l’absorption du ténicide, et une masse sur laquelle les mouvements d’ex¬
pulsion s’exercent plus utilement. Nous savons déjà que dans ces condi¬
tions les accidents éprouvés par les malades sont plus accusés, et notam¬
ment le prurit à l’anus.
Une autre observation doit encore être faite comme préambule au trai¬
tement du tænia, c’est que la meilleure preuve de l’efficacité du remède
employé contre ce ver est son expulsion totale, y comprise la tête. Bien
que ce cas soit loin d’être la règle (Bremser), et que néanmoins la guéri¬
son puisse souvent être considérée comme définitive, il restera toujours un
doute dans l’esprit. Si des malaises persistent, on croira qu’ils sont dus
à la persistance du tænia ; et il ne faudra pas moins de trois ou quatre
mois pour être assuré que le ver a entièrement disparu, en ce sens que
KNTOZOAIRES (pathologie). — tæ.nia. 425
ses proglottis' auront tout à fait cessé de se montrer dans les évacuations
alvines. Aussi la recherche de la tête du tænia doit-elle avant tout préoc¬
cuper le médecin qui veut juger du résultat de sa médication, et rassurer
son malade pour l’avenir. Lorsque, malgré tout, cette recherche demeure
infructueuse, et que cependant la guérison se maintient, on est en droit
de supposer que le scolex a échappé aux investigations à cause de sa pe¬
titesse, ou bien qu’il s’est dissous dans les liquides de l’intestin.
Il est d’usage dans quelques cas de faire subir aux malades certaines
préparations avant de les soumettre à un traitement définitif. Cette pra¬
tique est empruntée aux pays où, comme en Abyssinie, le vulgaire se
traite lui-même du ver solitaire, et aussi aux inventeurs de remèdes se¬
crets contre ce parasite. Parmi ces moyens préparatoires, il en est beau¬
coup d’inutiles et même de puérils, comme de choisir par exemple le dé¬
clin de la lune pour administrer l’arcane. Ce qu’on peut faire de mieux,
c’est de donner d’ahord un purgatif qui aura l’avantage de confirmer le
diagnostic en entraînant peut-être quelques cucurbitins, et d’isoler le
ver des matières dont il est ordinairement entouré. D’autres fois il sem¬
blera plus avantageux de gorger le malade d’aliments mous et pulpeux,
et même de matières réfractaires à la digestion, telles que la poudre de
charbon végétal (Pallas), afin que le tænia soit comme entraîné au milieu
de résidus abondants traversant l’intestin . De toute façon la médication
purgative est un auxiliaire très-utile de la plupart des remèdes préconisés
contre le tænia.
Nous avons dit que dans certaines circonstances très-opportunes, des
substances imprévues deviennent des ténifuges efficaces. C’est ainsi qu’un
purgatif donné dans un tout autre motif peut amener l’expulsion d’un
tænia dont on ignorait quelquefois l’existence. Les huiles grasses sont par¬
ticulièrement dans ce cas, et l’huile de ricin est devenue entre les mains
d’Odier (de Genève) un mode de traitement régulier du bothriocéphale.
Les vomitifs ont fourni des faits analogues, et l’on a vu des malades aux¬
quels on administrait une potion rasorienne pour une pneumonie, rendre
le tænia dans les efforts du vomissement. (Passot.) De même on cite un
individu qui expulsa accidentellement un tænia, dont il était tourmenté
depuis longtemps, à la suite d’une indigestion causée par de la soupe au
lard. (Cassan.) Dans un autre ordre de moyens, on arapporlé des faits de
malades atteints de fièvre intermittente, et qui ont rendu des tænias sous
l’influence du sulfate de quinine, devenu ainsi un anthelminthique aussi
énergique qu’inattendu. (Kunz, Delvaux.)
Blais il est d’autres substances dont les effets sont mieux connus et
plus constants, et dont l’usage est soumis à des préceptes méthodiques.
Parmi ces substances on pourrait distinguer celles qui sont indigènes ou
accessibles à tous, et celles qui étant exotiques nous offrent des res¬
sources moins assurées. Nous suivrons cet ordre dans l’énumération que
nous allons entreprendre, en renvoyant pour les détails d’histoire natu¬
relle et de matière médicale, aux articles spéciaux qui sont consacrés à
chacun de ces agents.
426 E^’TOZOAII{ES (pathologie). — tænia.
Les produits indigènes, ou communs, comprennent parmi les plus
importants et les plus usités ; l’éther sulfurique, l’essence de térében¬
thine, le pétrole, la racine de fougère mâle, la semence de citrouille, et
l’écorce de racine de grenadier.
L’éther sulfurique formait la base de la méthode de Bourdier contre le
tænia. 11 était administré, le matin, à la dose de 4 grammes dans fun
verre de décoction de fougère mâle ; quatre ou cinq minutes après, on
donnait un lavement avec la même décoction, additionnée aussi de 4 gram¬
mes d’éther; une heure plus tard, le malade prenait un mélange de
60 grammes d’huile de ricin et de 30 grammes de sirop de fleurs de pê¬
cher. Il fallait recommencer trois jours de suite les mêmes moyens et de
la même manière. On accorde dans ce mode de traitement la plus grande
part à l’éther ; mais en somme son efficacité est douteuse ; car on était
souvent obligé d’y revenir plusieurs fois avant d’obtenir un succès. Au¬
jourd’hui la méthode de Bourdier est â peu près abandonnée.
L’huile essentielle de térébenthine était, suivant Rosen, un remède po¬
pulaire contre le tænia, à Biœrneborg, sur le littoral de la mer Baltique.
Cette substance a été adoptée en Angleterre au commencement de ce
siècle, et y est regardée comme l’un des meilleurs anthelminthiques.
Elle est également efficace contre le tænia solium et contre le bothrio-
céphale. On la prescrit à la dose de 30 à 60 grammes, soit pure, soit
dans de l’huile d’amandes douces. Ce remède, malgré son goût désa¬
gréable, est généralement bien supporté. Le ver est rendu au bout de
quelques heures, au milieu de selles plus ou moins liquides. Il estleplüs
souvent mort et pelotonné sur lui-même, mais dépourvu de sa tête. La
guérison n’en est pas moins assurée : sur un relevé de 89 cas de tænia
traités par ce moyen, J. Bayle n’a pas noté moins de 77 succès complets;
il y a eu en outre 8 cas d’amélioration.
Le pétrole était autrefois en usage au Caire contre le tænia dont le quart
de la population était atteint. (Hasselquist.) Ou le prenait à la dose de 26
à 30 gouttes, en une fois, dans de l’eau, les trois derniers jours du dé¬
clin de la lune, et on se purgeait le quatrième.
Le remède de Chabert, formé de 1 partie d’huile empyreumatique de
corne de cerf et de 3 parties d’essence de térébenthine, se rapproche des
substances précédentes. C’était le moyen préféré de Bremser contre le
tænia; il le donnait à la dose de deux cuillerées à café, deux fois par jour,
pendant dix ou douze jours ; puis il purgeait le malade. Ce remède est
efficace, mais il est si désagréable à prendre qu’on a renoncé à l’employer
chez l’homme; il n’est plus usité que dans la médecine vétérinaire.
La fougère mâle (Nephrodium Filix mar. Rich.) est très-anciennement
connue comme ténifuge. Il en est fait mention dans les ouvrages de Pline,
de Dioscoride et de Galien. Elle réussit très-bien pour détruire le bo-
thriocéphale ; contre le tænia solium son action est douteuse. (Bremser.)
D’un autre côté, ses préparations sont loin d’avoir toutes la même éner¬
gie, et il faut un grand soin pour obtenir un médicament d’un effet con¬
stant.
ENTOZOAIRES (pathologie). —
C’est le rhizome de la plante que l’on emploie. On peut en faire usage
sous forme de poudre prise dans une infusion de tilleul ou simplement
dans de l’eau. Il faut que cette poudre soit récente et provienne de sou¬
ches recueillies pendantl’été etséchéesavecprécaution. Les auteurs varient
beaucoup pour la dose à administrer. Davaine indique, d’après les méde¬
cins de Genève, la dose de 10 à 15 grammes ; Bouchardatla porte de 50 à
60 grammes, pour un adulte. La décoction n’a aucune propriété anthel-
minthique; elle n’est que nauséeuse et vomitive. La meilleure prépara¬
tion est l’extrait éthéré, connu sous le nom d’huile éthérée dePeschier.
On la donne dans les proportions de 2 à 4 grammes, sous forme de pi¬
lules ou en capsules (Bouchardat) ; deux heures après on administre
60 grammes d’huile de ricin.
La fougère mâle faisait partie d’un grand nombre de remèdes compo¬
sés, dont quelques-uns, tenus secrets, ont joui longtemps d’une certaine
vogue. Tel est celui de madame Nouffer, que le gouvernement français a
acheté, en 1776, pour le prix de 18000 livres. Ce remède avait pour
base la poudre de fougère donnée à la dose de 3 à 4 gros (12 à 16 gram¬
mes), dans une décoction de la même plante. Au bout de deux heures, le
malade prenait un hol purgatif composé de: panacée mercurielle, scam-
monée, ââ 0 gr. 50; gomme-gutte, 0 gr, 35 ; et confection d’hyacinthe,
q. s., etc. Il fut reconnu que ce traitement, très-utile contre le bothrio-
céphale, était insuffisaat pour le tænia solium ; aussi on comprend pour¬
quoi il est encore populaire en Suisse, tandis qu’en France on lui préfère
généralement d’autres moyens qui nous restent à décrire.
Telles étaient encore tout récemment les idées admises au sujet du
précédent ténifuge, lorsqu’un travail de Jobert (de Marcigny) paru vers
la fin de l’année 1869, est venu restituer à la fougère mâle une impor¬
tance longtemps méconnue. C’est grâce aux essais et aux bonnes prépa¬
rations de Hepp, pharmacien en chef de l’hôpital civil de Strasbourg, que
ce résultat a été obtenu. La forme employée est toujours l’extrait éthéré,
mais produit dans des -conditions très-rigoureuses. L’extrait se donne en
capsules à la dose de 4 grammes environ pour les enfants, et jusqu’à
8 grammes pour les adultes. Cette substance n’occasionne aucun malaise
appréciable, et le ver est rendu peu de temps après qu’elle a été prise :
il est ordinairement pourvu de sa tête. Les observations de Jobert se
rapportent surtout au tænia mediocanellata ; mais le même moyen s’est
montré aussi efficace contre le tænia solium et contre le bothrlocéphale :
pour ce dernier cestoïde, du reste, la chose n’avait pas besoin d’être
prouvée.
Les semences de citrouille {cucurbita maxima) , et d’autres cucurbita-
cées voisines, nous offrent en thérapeutique un exemple singulier de ce
qu’on appelle la doctrine des signatures. Il est évident qu’on n’a été
poussé à employer les graines de ces plantes contre le tænia que par
suite de leur ressemblance avec les proglottis isolés de ce ver ; et il s’est
trouvé qu’elles ont une efficacité réelle. On faisait, dit-on, usage de ce
moyen depuis longtemps à l’île de France. (Mérat et de Lens.) Il fut
428 ENTOZOAIRES (pathologie). — tæxia.
d’abord essayé en Angleterre par Edw. Tyson, en 1683, et remis en
honneur de nos jours par plusieurs médecins qui ont rapporté de nom¬
breux succès obtenus par cette méthode. Le mode d’emploi des graines
de citrouille est simple et facile. On donne de 30 à 60 grammes de ces
semences fraîches, dépouillées de leur péricarpe, et pilées avec du sucre.
Il faut quelquefois renouveler cette dose à deux ou trois reprises. On
cite des cas, Costes et Sucquet entre autres, où le tænia a été expulsé
par les semences de citrouille, alors que le kousso et la racine de grena¬
dier avaient échoué.
V écorce de racine de grenadier est sans contredit l’un des ténifuges
les plus sûrs que l’on connaisse. Son usage contre le ver solitaire nous
vient de l’Inde par l’intermédiaire des médecins anglais qui l’ont trouvé
établi dans le pays depuis un temps immémorial. Ses propriétés vermi¬
fuges sont mentionnées par Pline, par Dioscoride, etc. De nombreux
travaux ont été publiés sur ce médicament depuis le commencement du
siècle ; mais on peut considérer comme étant le point de départ de son
emploi méthodique en France l’important travail que iMérat lui a con¬
sacré en 1832. Depuis lors, l’efQcacité du ténifuge en question s’est af¬
firmée chaque jour davantage, et son usage s’est répandu de plus en
plus, malgré l’introduction du kousso en Europe.
On emploie de préférence l’écorce de la racine de grenadier sauvage
de Portugal. Desséchée, cette écorce conserve assez longtemps ses pro¬
priétés. On en fait une décoction concentrée, après l’avoir toutefois laissé
macérer de douze à vingt-quatre heures dans le véhicule. La dose est de
45 à 60 grammes pour un adulte, de 30 à 45 grammes pour un enfant
de six à quinze ans, et de 15 grammes au-dessous de six ans. Cette dé¬
coction se prend en trois fois, de demi-heure en demi-heure. Suivant
Mérat, il n’est pas nécessaire de purger ensuite le malade. Le ver est or¬
dinairement rendu le même jour, quatre à six heures après l’administra¬
tion du médicament, et à la suite de malaises quelquefois très-accusés.
L’extrait aqueux et alcoolique d’écorce de grenadier a été proposé par
Deslandes; il jouit des mêmes propriétés que la décoction et s’emploie à
des doses correspondantes.
On pense que le remède de Darbon, qui a donné à Louis l’occasion
de faire des recherches intéressantes sur le tænia et qui, en somme, est
très-efficace, avait pour base l’écorce qui nous occupe.
Pour terminer l’énumération des remèdes qui ont été conseillés contre
le tænia et qu’il n’est pas nécessaire d’aller chercher au loin, nous in¬
diquerons rapidement : V étain réduit en poudre qu’on n’emploie plus
aujourd’hui, le sel ammoniac que Wawruch donnait à la dose de 20 gram¬
mes, le camphre, dont l’insuffisance est parfaitement prouvée, l’oxyde de
cuivre qui, à la dose de 5 centigrammes quatre fois par jour, n’aurait
donné que des succès à Theilmann, le bisulfite de soude (Polli), les
eaux de Saint-Gervais, en Savoie, qui ont la réputation de chasser le
tænia, etc.
Les ténifuges exotiques sont aussi très-nombreux, et comptent parmi
ENTOZOAIRES (pathologie). — tækia. 420
eux les plus efficaces de ces agents. La plupart nous viennent de l’Abyssi¬
nie qui semble avoir sous ce rapport une richesse proportionnée à la fré¬
quence du mal qu’elle recèle. Les plus connus parmi ces médicaments
sont : le kousso, le musenna, le saoria et le tatzé. Les ténifuges, tirés
d’autres contrées, sont : la geoffrée de Surinam, le panna, espèce de fou¬
gère particulière à l’Afrique australe , le kamala , qui nous vient de
l’Inde, etc. Nous nous bornerons à donner quelques détails sur le kousso,
dont l’emploi s’est vulgarisé en Europe et qu’on peut se procurer facile¬
ment aujourd’hui.
Le kousso est un arbre de l’Abyssinie {Brayera anthelminthica, famille
des Rosacées) dont les sommités fleuries constituent dans le pays même
un remède des plus employés contre le tænia.Le premier qui fit connaître
en Europe les propriétés de, cette plante est le voyageur James Bruce
(1768-1773); mais ce fut le docteur Brayer qui en apporta le premier
échantillon à Paris, en 1822, et qui dut à cela de lui donner son nom.
La rareté et le prix élevé de ce médicament empêchèrent longtemps son
usage de se généraliser ; aujourd’hui , ces difficultés ont disparu , et le
kousso est entré dans la pratique commune. ,
Ce remède s’administre d’une façon toute particulière : la plante doit
être prise en nature pour ainsi dire. Pour cela , on pulvérise grossière¬
ment les panicules en voie de floraison, et on les fait infuser pendant un
quart d’heure dans une certaine quantité d’eau tiède. Le malade doit ava¬
ler Ze tout en une fois. La dose est de 20 grammes pour un adulte, à
prendre dans 250 grammes d’eau, et de 10 à 12 grammes pour un enfant
de six à quinze ans. '
Les premiers effets du remède consistent dans un sentiment de dégoût,
et dans des nausées qui vont quelquefois jusqu’au vomissement. Au bout
d’une heure ou deux, il se produit plusieurs selles ; le ver est ordinaire¬
ment rendu avec la troisième ou la quatrième garde-robe. Il est mort et
pourvu ou non de sa tête. Lorsque les évacuations tardent à s’établir, on
administre de 30 à 60 grammes d’huile de ricin.
Le kousso est d’un emploi très-difficile chez les enfants, qui ne veulent
pas le prendre ou qui le vomissent presque toujours. Dans une circon¬
stance semblable, chez une petite fille de six ans , qui était atteinte du
tænia et qui avait pris en vain , parce qu’elle les vomissait, l’écorce de
grenadier, les semences de citrouille, et le kousso lui-même, nous avons
vu réussir les granules de kousso de Mentel, déjà recommandés par Bou-
chardat. Ces granules contiennent environ le tiers de leur poids de fleurs
bien conservées de kousso ; une dose de 48 grammes suffit pour les
adultes ; pour les enfants , on réduit la dose en proportion de leur âge.
Ces granules se prennent très-facilement dans de l’eau.
La valeur du kousso comme ténifuge est diversement appréciée par les
observateurs. Davaine le dit souvent infidèle, et ne le croit pas préférable
à l’écorce de grenadier. En Abyssinie , on ne prétend pas, en l’em¬
ployant, se débarrasser entièrement du ver, auquel on attribue, nous l’a¬
vons dit, une signification favorable; lorsqu’on veut s’en guérir radicale-
430
ENTOZOAIRES (pathologie). — bibliogilaphie.
ment, on fait choix d’autres agents réputés plus énergiques , tels que
lemusenna, le saoria ou le tatzé. {Voy. ces mots.)
En terminant l’histoire pathologique du tænia, nous devons rappeler
brièvement les moyens préventifs que dictent les notions acquises touchant
les origines des cestoïdes. L’ancienne pratique du langueyage , pour re¬
connaître la ladrerie chez le porc, serait insuffisante ; l’inspection de la
chair de cet animal est de plus nécessaire, sans toutefois révéler les cas
dans lesquels les cysticerques sont rares et disséminés. La même incerti¬
tude existe, à plus forte raison, pour se préserver du tænia inerme causé
par l’usage de la chair du bœuf ou du veau. Dans ces circonstances, il n’y
a qu’une recommandation à faire, c’est de porter toujours très-loin et
et dans toutes les parties de la masse la cuisson des viandes destinées à
l’alimentation. Lorsque l’on suppose que le germe du ver, comme pour le
bothriocéphale, vient par l’eau prise en boisson , on doit s’attacher à
n’employer qu’une eau pure, filtrée, ou ayant subi l’ébullition. Ces pré¬
ceptes, d’ailleurs, sont d’une application générale à propos de tous les
entozoaires ; car, dans l’immense majorité des cas, ces parasites nous
envahissent par l’intermédiaire des voies digestives. Mais aussi l’homme
peut réciproquement, par ses déjections, infecter tout ce qui l’entoure, et
reprendre ensuite, sous une autre forme, le mal qu’il a transmis. Son in¬
térêt, bien entendu de toutes les façons, lui prescrit donc de se conformer
strictement à toutes les mesures d’hygiène privée et publique que la
science lui conseille.
Il serait superflu d’entrer dans de longs détails au sujet de la bibliographie des affections
causées par les entozoaires. On trouvera dans l’ouvrage aujourd’hui classique de Davaine une
liste très-développée de ceux qui ont écrit sur cette matière. Nous n’insisterons donc guère que
sur les travaux qui ont été publiés depuis le livre de ce dernier auteur, c’est-à-dire depuis
l’année 1860.
Davaise (C.), Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l’homme et des animaux
domestiques. Paris, 1860. •
I. ASCARIDES LOUBRICOÏDES.
Moskeret et Fledry, Énumération des fièvres vermineuses d’après Selle , in Compendium de
médecine pratique, art. Entozoaires, t. III, p. 348. Paris, 1839.
Bodchut (B.), Fait d’ascaride lombricoïde ayant pénétré dans le péritoine par une ulcération
typhoïde de l’intestin ( Bull, de la Soc. anatomique, t. XVIll, p. 98. 1843).
Tonné, Observation d’entérite pseudo-membraneuse paraissant produite par la présence d’as¬
carides lombricoïdes [Bull, delà Soc. anatomique, t. XIX, p. 265. 1844).
Vanoye (R.), Aménorrhée due à la présence de vers dans l’intestin [Annales de la Soc. d'Émul.
de la Flandre occidentale, et Bevue médico-chirurgicale de Paris, t. VI. 1849).
Bailly, Observation de perforation du cæcum avec issue d’ascarides lombricoïdes dans le péri¬
toine [Bull, de la Soc. anatomique, t. XXIX, p. 261. 1854).
Batalla, Tumeur à la région inguinale droite contenant des lombrics. Guérison [Revue thé¬
rapeutique du Midi, avril 1859).
Brisbaxe (J.), De l’emploi de la santonine contre les lombrics [Med. Times and Gazette, 9 juin
1860; Annuaire de Noirol, t. V, p. 170. 1861).
Dworzak, Sur un cas rare d’helminthiasis : occlusion intestinale, abcès vermineux, anus contre
nature [ÛEsterreicliische Zeitschrift fur prakfische Heilkunde, a° 47, 1861, et Gazette heb¬
domadaire de méd. et de chir., p. 46. 1862).
Bodchot (E.), Chorée vermineuse [Gazette des hôpitaux, p. 226. 1862).
II. OXYDRES VERMICDLAIRES.
Marchand, Oxyures vermiculaires; guérison par le semen-coutra à haute dose [Annales de mé¬
decine de la Flandre occidentale, 1857).
ENTOZOÂlIiES (pathologie). — bibliographie. 431
Teksos(E.), De l’oxyure vermiculaire. Thèses de Paris. 1858.
Schdltz-Bipost (C. H.), De l’emploi des lavements d’azotate d’argent contre les ascarides vermi-
culaires [Deutsche Klinik, avril 1858; Annuaire deNoirot, t. III, 1859).
Herviedx, Accidents graves déterminés par les oxyures ; leur traitement (Soc. méd. des hôpi¬
taux, 25 mars 1859, et Union médicale, 1859).
Lobeaïï, Des ascarides vermiculaires et de leur traitement [Gazette des hôpitaux, 1860).
III. FILAIKE ou DKAOOSNEAO.
Clot-Bey, Obs. sur le dragonneau [Comptes rendus des travaux de l’école d'Abouzabel, et Acad,
des sciences, 1832).
Maisohseüve, Kole sur un dragonneau observé à Paris [Arch. gén. de méd., 4* série, t. VI,
p. 472. 1844).
Vadteis, Cas de dragonneau observé dans le service de M. Malgaigne [Bull, de la-Soc, anat.,
t. XXIX. 1854).
Alvarez, Dragonneau observé en Europe (Boletin del Instituto medico Valenciano; el Siglo
medico, 27 juillet 1856; Annuaire Noirot,t.l, 1856).
Céziliy, Observ. sur le dragonneau ou ver de Médine. Thèse de Paris, 1858.
Maec-Ficipio, Dragonneaux au nombre de sept développés dans les membres inférieurs ; gué¬
rison par l’enroulement du ver [Gaz. des hôpitaux, 1859).
Benoît, Du dragonneau. Thèse de Montpellier, 1859.
Bürgoièke, Mémoire sur le dragonneau ou ver de Médine [Bull, de VAcad. de méd., t. XXVI,
septembre 1861).
IV. trichines et trichinose.
Hota. La maladie des trichines est tout récemment connue ; cependant elle comporte déjà
une bibliographie très-étendue. Ou trouvera tous les renseignements désirables à cet égard
dans le travail de Scoutelten, qui est mentionné plus loin.
Lehckaet, Untersuchungen über Trichina spiralis. Leipzig, 1860.
Zenker, L’eber die Tricbinenkrankheit des Menschen (Vircbotv’s Archiv fur pathologische Ana¬
tomie, 1860).
Virchow (R.), Ueber Trichina spiralis [Archiv fur pathologische Anatomie, 1860). — Ueber
neue Trichinen Fatleringen... [ibid.]. — Kote sur is Trichina spiralis [Acad, des sciences,
2 juillet 1860). — Darstellung der Lehre von den Trichinen. Berlin, 1860. — Die Lehre
von den Trichinen mit Rûcksicbt auf die dadurch gebotenen Vorsichtsmaassregeln für Laien
und Aerzte dargestellt. Berlin, 1866. — Stenographischer Bericbt der Verhandlung über die
Trichinen Frage. Berlin, 1866.
Friedreich, Ein Beitrâge zur Pathologie der Tricbinenkrankheit beim Menschen ( Archiv für
pathologische Anatomie, 1862).
Lasègue (Ch.), De l’état de la science sur les trichines chez l’homme [Arch. gén. de méd.,
5« série, t. XX, 1862, et 6» série, t. III, 1864).
Davaixe (C.), Faits et considérations sur la trichine [Comptes rendus de la Soc. de biologie,
5' série, t. IV, 1862, et Paris, 1863).
Dexger (P.), Histoire naturelle et médicale de la trichine. Thèse de Strasbourg, 1863.
Kestner, Étude sur la Trichina spiralis [Gazette médicale de Strasbourg , 1864 ; extrait in-8
avec 2 pl. Paris, 1864).
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Alfred Lijton.
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ÉPAULiE, — Anatomie. — Le bras se trouve réuni au tronc à l’aide
d’une vaste ceinture osseuse, formée, en avant, par la clavicule, en ar¬
rière, par l’omoplate. Des ligaments et des muscles nombreux entourent
l’articulation, et de l’ensemble de ces parties résulte une grande région
appelée épaule, qui peut être subdivisée, pour la commodité de l’étude,
en : 1“ région claviculaire ; 2“ région scapulaire ; 3“ région de l'articula¬
tion scapulo-humérale ou du moignon de l’épaule ; 4° enfin région axil¬
laire ou du creux de l’aisselle.
Aux articles Aisselle, Clavicule et Bras de ce Dictionnaire, on trouve
ce qui a trait à l’étude particulière de ces diverses régions, et, sous la
dénomination restreinte d’épaule, nous n’aurons à nous occuper ici que
du moignon de l’épaule, à quoi nous ajouterons pourtant la région sca¬
pulaire, qui ne saurait en être séparée sans inconvénient. L’anatomie com¬
parée enseigne en effet que la clavicule peut manquer (exemples les chats
et autres animaux dits non claviculés) sans que l’épaule proprement dite
cesse d’exister pour cela, tandis que l’omoplate, par sa cavité de ré-
Konv. DICT. MÉD. ET CHIE. XIII. — 28
434
ÉPAULE. -
ception à l’huinérus, par son apophyse coracoïde, par son apophyse
acromion, par le ligament qui relie ces deux apophyses entre elles,
ainsi que par les attaches de nombreux muscles destinés à mouvoir
l’humérus et même l’avant-hras sur le bras, appartient réellement à la
région qui nous occupe.
■ La clavicule, du reste, ne fait partie de l’épaule qu’accessoirement
et seulement par son extrémité externe, qui s’articule avec l’acromion et
l’apophyse coracoïde. A l’article Clavicule on trouvera la description du
mode d’union des deux os entre eux, et si nous y revenons, c’est unique¬
ment pour signaler certaines particularités qui paraissent avoir échappé
aux auteurs classiques d’anatomie.
Limites et configuration. — La région de l’épaule, telle que nous ve¬
nons de la définir, a pour limites :
En avant, une ligne fictive partant de l’apophyse caracoïde et du tiers
externe de la clavicule pour aboutir à l’empreinte deltoïdienne de l’hu¬
mérus ;
En arrière, le bord spinal de l’omoplate ;
En haut, une ligne étendue de l’angle spinal de l’omoplate à l’apophyse
coracoïde ;
En bas, une autre ligne qui de l’angle inférieur de l’omoplate se rend
à l’empreinte deltoïdienne.
Ainsi délimitée, la région de l’épaule présente une forme rhomboïdale.
Anatomie des formes. — Vue en avant, l’épaule offre une saillie ar¬
rondie, due à la présence de la tête de l’humérus en ce point. Il est
bon de noter l’existence de cette saillie, qui est proéminente chez cer¬
tains sujets au point d’en imposer pour une subluxation de la tête hu¬
mérale en avant. Du reste, la comparaison des deux côtés suffit en pareil
cas pour lever tous les doutes.
En dedans de cette saillie, au niveau même de la limite antérieure de
la région, existe un enfoncement sous forme de gouttière, correspon¬
dant au sillon de séparation des muscles deltoïde et grand pectoral.
Ce sillon, qui se continue en haut avec le creux sous-claviculaire, se
trouve effacé ou même remplacé par une saillie dans certaines variétés ,
de luxation de l’humérus en avant, ainsi que nous le dirons plus loin. La
veine céphalique, en allant se jeter dans la veine axillaire, par-dessus
l’artère du même nom, parcourt ce sillon, accompagnée qu’elle est d’un
et plus rarement de deux ou trois troncs lymphatiques, dont il sera ulté¬
rieurement question.
Vue en arrière, l’épaule offre une surface arrondie, divisée en deux par¬
ties inégales par l’épine de l’omoplate : ce sont les fosses dites sus et sous-
épineuse. L’épine en question est dirigée obliquement en haut et en de¬
hors, et se continue sans ligne de démarcation avec l’acromion. La posi¬
tion superficielle de cette saillie et de l’ acromion expose ces éminences
osseuses à des fractures par cause directe, plus fréquemment que les autres
parties de l’omoplate.
Chez beaucoup d’individus, l’épaule droite proémine en arrière plus
ÉPAULE. - ANATOMIE.
455
que la gauche, ce qui tient à un léger degré de torsion vertébrale, surtout
fréquente chez les jeunes filles. La gouttière thoracique costo-vertébrale
se trouvant alors rétrécie au niveau de V épaule fo7'te, ainsi qu’on l’ap¬
pelle par euphémisme dans le monde , une moindre quantité de tissu
pulmonaire s’y trouve logée, et il n’y a rien d’étonnant qu’à la percussion
en rencontre au niveau des fosses sus et sous-épineuse correspondantes
un certain degré de matité relative qu’il faut prendre garde de confondre
avec un état pathologique.
Le bord spinal et l’angle inférieur de l’omoplate se détachent plus ou
moins du plan du thorax, et cela d’autant plus que l’on cherche à porter
les épaules en arrière.
Chez les personnes faibles, par le fait de l’aplatissement du thorax en
travers et aussi à cause du peu de développement du muscle grand den¬
telé, l’omoplate s’éloigne davantage du thorax et donne aux épaules une
■ configuration dite ailée qui a été considérée comme caractéristique des
personnes prédisposées à la tuberculisation pulmonaire. La saillie en
question devient surtout excessive lors de la paralysie du muscle grand
dentelé, qui est en réalité le frein de l’omoplate.
Des abcès développés sur place ou qui y ont fusé, ainsi que des tumeurs
solides sous-scapulaires, pourraient, en soulevant fortement le scapulum,
en imposer, au premier abord, pour une paralysie du grand dentelé ; mais
il suffit d’en être prévenu pour éviter toute erreur.
L’épaule, examinée par sa face externe, présente tout à fait en haut une
saillie plus ou moins apparente qui n’est autre que l’extrémité externe de
la clavicule. Chez certains sujets, on serait tenté de croire à une subluxa¬
tion ou à une fracture préarticulaire de cet os, tellement la saillie en est
forte, si la même disposition ne se montrait de l’autre côté.
Plus bas et plus en dehors, on constate une autre saillie anguleuse due
au sommet de l’acromion, et sous celle-là une large surface ronde qui ac¬
cuse la présence de la tête humérale en ce point. C’est à peine si un léger
sillon horizontal sépare la tête de l’acromion à l’état normal, tandis que
la tête humérale étant luxée, une forte dépression sous-acromiale rem¬
place la saillie en question.
Anatomie des plans. — La peau ne présente ici rien de particulier, si
ce n’est qu’elle s’amincit de plus en plus au voisinage de Faisselle.
Le tissu cellulaire sous-cutané constitue une forte couche graisseuse
d’une texture plutôt dense sur le moignon de l’épaule, lâche et de plus
en plus lamelleuse en s’avançant dans le creux axillaire. Vis-à-vis le
sommet de l’acromion il n’est pas rare de rencontrer une petite bourse
muqueuse destinée à faciliter le glissement de la peau.
L’aponévrose d’enveloppe du deltoïde est difficile à séparer du muscle
à cause des nombreuses cloisons que cette membrane cellulo-fibreuse en¬
voie au milieu des faisceaux qui le composent. Comme d’autre part,
cette aponévrose se trouve reliée à la peau par des brides celluleuses, il en
résülte que lors de la contraction du deltoïde, les principaux faisceaux
de ce muscle se dessinent fortement sous la peau.
436
ÉPAULE. - ANATOMIE.
Le deltoïde est un muscle épais, de forme triangulaire ou en éventail,
enroulé sur lui-même pour envelopper la tête de l’humérus en tous sens,
s’insérant par sa base à l’acromion et au tiers externe de la clavicule, et
par son sommet à l’empreinte deltoïdienne de l’humérus. Eu égard à la
direction de ses fibres, on peut distinguer celles-ci en antérieures, moyen¬
nes et postérieures. Les antérieures se dirigent obliquement en bas et en
arrière, les postérieures en bas et avant, et les moyennes directement en
bas.
Enveloppe adventive ou cellulo-aponévrotique de l’épaule. — Lorsqu’on-
enlève le deltoïde, on met à découvert une membrane fibro-celluleuse
d’enveloppe, commune à l’articulation et aux muscles qui entourent im¬
médiatement celle-ci, et dont la description détaillée mérite de nous ar¬
rêter d’autant plus qu’elle est généralement mal présentée dans les livres
classiques d’anatomie.
On sait que les muscles qui entourent la tête humérale et qui s’y fixent
sont : en arrière, le sous-épineux et le petit rond ; en avant, le sous-scapu¬
laire, et, en haut, le sus-épineux.
La toile aponévrotique en question recouvre d’abord toute la fosse sous-
épineuse du scapulum, où elle envoie une mince cloison de séparation
pour les muscles petit rond et sous-épineux. Là elle est relativement forte
et présente des fibres nacrées resplendissantes, d’autant plus prononcées
qu’on se rapproche de l’épine de l’omoplate, sur le bord inférieur de
laquelle elles se fixent solidement, ainsi que sur le bord externe de l’a-
cromion.
Du bord postérieur du deltoïde se détachent quelques fibres tendineuses
dirigées en arrière et en haut, et qui, en s’entre-croisant avec les fibres
propres de celte membrane, la renforcent notablement. Il est bon d’ajou¬
ter qu’un certain nombre des fibres les plus profondes du deltoïde pren¬
nent leur insertion, non sur l’acromion, mais sur cette aponévrose.
Plus loin, l’aponévrose d’enveloppe, ou capsule adventive de l’épaule,
tend à devenir celluleuse, sauf en avant et en haut, où elle est de nouveau
renforcée par une double expansion aponévrotique provenant, l’une, du
bord externe du tendon commun à la courte portion du biceps et au
coraco-brachial, l’autre, du bord antérieur du ligament coraco-acromial.
Ce dernier ligament qui s’amincit et s’étale sous forme de membrane,
manque, à proprement parler, de bord antérieur bien net, comme il en
offre un en arrière.
De la disposition des fibres ligamenteuses et musculaires indiquée plus
haut, il résulte que, lors de l’élévation verticale du bras, le manchon cel-
lulo-fibreux de l’épaule se trouve tendu en tous sens, échappant ainsi au
pincement qui résulterait inévitablement si la capsule celluleuse, restée
flasque, venait à s’interposer entre la tête humérale et la voûte coraco-
acromiale.
En se rapprochant des attaches du deltoïde à l’humérus, le manchon
fibreux en question dégénère insensiblment en tissu cellulaire lâche et
devient même graisseux au voisinage de la coulisse bicipitale. C’est au
ÉPAULE. — akatomib. “457
milieu de ce tissu cellulaire, lamelleux et facilement infiltrable, que
rampent les ramifications de l’artère, de la veine circonflexe et du tronc
nerveux du même nom.
Arrivée sous le ligament coraco-acromial, la capsule celluleuse se dé¬
double en deux feuillets qui se continuent avec l’aponévrose d’enveloppe
du muscle sus-épineux après s’être accolées, l’inférieur, à la capsule arti¬
culaire, le supérieur, à la face inférieure de la voûte coraco-acromiale.
La cavité close qu’on décrit en ce point, sous le nom de bourse muqueuse
sous-acromiale, résulte manifestement de la disposition en question.
: Muscles. — Des muscles nombreux qui se trouvent groupés autour
de l’articulation de l’épaule, les uns sont intrinsèques et les autres ex¬
trinsèques.
Parmi les premiers, nous signalerons, outre le deltoïde dont il a été
déjà question, les muscles sous-épineux et petit rond qui s’insèrent tous
deux à la facette postérieure du trochiter ; le sus-épineux, se fixant sur
la facette antérieure et supérieure de cette apophyse, et le sous-scapulaire
qui occupe à lui tout seul le trocbin ou petite tubérosité de l’humérus.
Le muscle grand rond est aussi un muscle intrinsèque, bien qu’il con¬
fonde son insertion mobile avec celle du grand dorsal.
Un grand nombre de muscles extrinsèques s’insèrent sur l’un des trois
os qui concourent à former l’épaule et doivent être mentionnés ici en tant
que cela nous servira dans l’étude de la physiologie des mouvements de
l’épaule et du mécanisme des luxations de l’humérus.
Le grand dorsal en compagnie du grand rond se fixe sur la lèvre pos¬
térieure et le fond de la gouttière bicipitale de l’humérus, en se comportant
comme il suit. D’abord postérieur au grand rond, contourne en demi-
gouttière le bord inférieur de ce muscle, lui devient antérieur, et va se
fixer au fond de la gouttière bicipitale, tandis que le grand rond s’insère
sur la lèvre postérieure de cette gouttière.
Le tendon terminal du grand pectoral s’enroule aussi sur lui-même,
de façon que ses fibres supérieures deviennent inférieures, les inférieures
supérieures , la face antérieure postérieure et la postérieure antérieure.
Cette torsion favorise Faction d’ensemble des diverses parties qui com¬
posent le muscle, en même temps qu’elle augmente la solidité du ten¬
don qui s’insère sur toute la hauteur de la lèvre antérieure de la gout¬
tière bicipitale.
Deux tendons s’insèrent sur le pourtour de la cavité glénoide de l’omo¬
plate, à savoir, la longue portion du biceps en haut et la longue portion
du triceps ou grand anconé en bas. Le premier de ces tendons se dédouble
à sa terminaison pour se continuer directement avec le bourrelet fibro-
cartilagineux dit glénoïdien qui sert de bordure à la cavité glénoïde de
l’omoplate.
On peut considérer ces deux tendons, surtout celui du biceps comme
des ligaments qui s’opposent aux déplacements anormaux de la tête humé¬
rale hors de sa cavité, lors des mouvements d’élévation et d’abaissement
du bras.
438 ÉPAULE (anatomie). — articulation sc-apulo-humérale.
Le tendon du biceps entièrement fibreux, grêle et long comparativement
à celui du triceps se trouve d’abord logé dans une gouttière intermédiaire
à la grosse et à la petite tubérosité de l’humérus, puis il pénètre dans l’in¬
térieur de la capsule articulaire et va s’insérer au sommet du sourcil
glénoïdien. Un dédoublement du périoste fixe ce tendon dans sa gouttière
de réception, en même temps que les tendons des muscles grand pectoral
et grand dorsal le brident, l’un en avant et l’autre en arrière. Malgré cela
on a rencontré, dans certaines luxations de l’humérus, ce tendon sorti de
sa gainé et même rompu entièrement. Un prolongement en doigt de gant
de la séreuse articulaire accompagne le tendon assez bas et jusqu’au des¬
sous de la lèvre inférieure du grand pectoral, empiétant ainsi sur la racine
du bras. C’est là un détail anatomique qu’il ne faut pas perdre de vue lors¬
qu’il s’agit de blessures du tendon de la longue portion du biceps en ce
point, à cause de la possibilité de voir se développer alors une arthrite
suppurée de l’épaule avec ses funestes conséquences. Nous avons entendu
Nélaton exposer, dans ses cours de cliniques, qu’un chirurgien ayant ponc¬
tionné sans méfiance ce qu’il croyait n’être qu’un kyste séreux de la partie
antérieure du bras près de l’aisselle vit, le lendemain de la ponction , se
développer des accidents formidables, annonçant manifestement que l’o¬
pération avait intéressé l’articulation scapulo-humérale elle-même. La
mort s’en est suivie, et l’autopsie vint démontrer l’erreur dans laquelle il
était tombé.
L’apophyse coracoïde donne insertion à deux muscles : par son sommet,
au tendon commun du coraco-brachial et de la courte portion du biceps,
et par son bord antéro-interne, au petit pectoral. J’ai déjà parlé de l’ex¬
pansion fibreuse que le premier de ces tendons envoie à la capsule cellu¬
leuse de l’épaule, et il est inutile d’y revenir. Le bord sinnal et les angles
tant postérieur qu’inférieur de l’omoplate servent de point d’attache à un
grand nombre de muscles, qui sont :
En arrière, le rhomboïde et l’angulaire de l’omoplate ; en avant, outre
le sous-scapulaire, le muscle grand dentelé qui , comme nous le dirons
plusloin,joue un grand rôle dans les mouvements d’élévation du bras et de
projection du membre supérieur en avant. Le bord supérieur du scapulum
donne attache à l’omohyoïdien qui s’insère près de la base de l’apophyse
coracoïde. L’épine de l’omoplate et l’acromion, outre le deltoïde, donnent
encore insertion au muscle trapèze. La clavicule elle-mêmé qui, par son
extrémité externe, appartient bien évidemment à la région de l’épaule,
donne insertion à deux muscles, à savoir au trapèze en haut et au muscle
sous-clavier en bas. Je mentionnerai plus loin en détail l’attache clavicu¬
laire de ce dernier muscle dont le mode d’insertion ne me paraît pas
avoir été suffisamment bien décrit jusqu’ici.
Nous aurons à considérer successivement : 1“ l’articulation scapulo-
humérale proprement dite; 2° la voûte coraco-acromiale qui abrite
celle-ci.
I. Articilation scapülo-hdîiéraue. — Os. — L’omoplate offre pour cette
articulation une cavité ovalaire à grosse extrémité dirigée en bas, et dési-
439
ÉPAULE (akatomie). - ARTICULATIOiN- SCAPDLO-HÜMÉRALE.
gnée sous le nom de cavité glénoïde de l’omoplate. Peu profonde, cette
cavité n’abrite que le tiers de la surface articulaire de l’humérus, en sorte
que les deux autres tiers se trouvent toujours hors de la cavité glénoïde.
La direction de cette cavité n’est pas tout à fait verticale, mais légère¬
ment oblique de haut en bas et de dedans en dehors, en sorte que le
grand diamètre de celle-ci étant prolongé, coupe l’axe de l’humérus sous
un angle obtus ouvert en dedans. Il résulte de cette disposition que lorsque
le bras est pendant, la moitié inférieure de la tête humérale est seule en
rapport avec la partie correspondante de la cavité glénoïde, sur laquelle
elle appuie fortement, tandis qu’en haut ces deux os laissent entre eux un
angle à sinus supérieur. Dans l’élévation verticale du bras la disposition
contraire s’observe.
Le pourtour de la cavité glénoïde se trouve bordé d’un fibro-cartilage,
dit bourrelet glénoïdien, destiné à augmenter la profondeur de la cavité
articulaire, en même temps qu’il amortit les frottements lors des mouve¬
ments extrêmes du bras. La forme de ce bourrelet est celle d’un prisme
triangulaire. Il s’insère solidement au sourcil glénoïdien et se continue
sans ligne de démarcation avec le cartilage d’encroûtement de cette cavité.
Un cul-de-sac de la synoviale disposé tout autour sous forme de rigole
circulaire sépare entre eux le bourrelet de la capsule articulaire. Le ten¬
don du triceps et surtout celui du biceps concourent en grande partie,
ainsi qu’il a été dit, à former par leur épanouissement le bourrelet glé¬
noïdien.
Capsule articulaire. — Elle est lâche, et sa laxité en rapport surtout
avec l’extrême mobilité du bras, et le rôle de manchon protecteur pour
les deux tiers de la tête, que ne saurait abriter la cavité glénoïde, est
telle, que lorsque les muscles de l’épaule, et en particulier le deltoïde,
sont paralysés, la tête humérale retombe en s’écartant de la cavité glé¬
noïde de 3 centimètres et même davantage; l’on comprend que des chi¬
rurgiens inexpérimentés aient pu croire alors à une luxation de l’humé¬
rus qui n’existait pas.
Outre le trou qui livre passage en bas au tendoh de la longue portion
du biceps, la capsule offre trois orifices, à savoir ; un en haut, pour le
passage du sus-épineux, un autre en avant, pour le tendon du sous-sca¬
pulaire et un dernier en arrière pour le sous-épineux et le petit rond.
Ces trois tendons sont contenus dans un dédoublement de la capsule, et
se trouvent ainsi en dehors de la cavité articulaire, à l’exception toutefois
du bord supérieur du tendon du sus-scapulaire qui y proémine en partie.
Les insertions de la capsule à l’humérus se font suivant une ligne obli¬
que, qui passant en haut par la base de la tête humérale, empiète en bas,
et en dedans sur le col chirurgical de l’humérus d’un bon travers de
doigt.
Il résulte de cette disposition qu’une fracture siégeant près de la tête
humérale peut être à la fois extra et intra-scapulaire.
Synoviale. — Comme dans les énarthroses en général, la synoviale re¬
couvre toute la face interne du manchon fibreux, et s’avance du côté des
440 ÉPAULE (anatomie). — articulation scapulo-homérale.
os jusqu’au fibro-cartilage pour l’omoplate, et jusqu’au pourtour du car¬
tilage d’encroûtement pour la tête humérale. Gette synoviale fournit
trois prolongements, l’un en doigt de gant destiné à entourer le tendon
de la longue portion du biceps jusqu’au delà de l’articulation ainsi que
cela a été dit, l’autre assez vaste pour le tendon du sous-scapulaire, et s’é¬
tendant jusque sous l’apophyse coracoïde, enfin un troisième moins dé¬
veloppé destiné au tendon du sous-épineux.
Extrémité humérale. — On y observe la tête qui est hémisphérique, et
à la base de celle-ci, un léger étranglement circulaire appelé col anato¬
mique. Plus en dehors, deux saillies, dont l’une antérieure, moins volu¬
mineuse, s’appelle petite tubérosité ou trochin, et donne insertion au
muscle sous-scapulaire ; l’autre postéro-supérieur, plus volumineuse, ap¬
pelée grosse tubérosité ou trochiter, et qui donne attache aux trois mus¬
cles sus-épineux, sous-épineux, et petit rond. Entre les deux tubérosités
on trouve la gouttière dite bicipitale de l’humérus, destinée à loger le
tendon de la longue portion du biceps. Toute la portion de la diaphyse
comprise entre la tête d’une part, et un plan horizontal passant au-dessus
des insertions des muscles grand pectoral et grand dorsal, constitue le
col chirurgical de l’humérus ; des applications à la pathologie justifient
cette division qui n’a rien d’anatomique.
Le tissu cellulaire profond qui entoure l’humérus en ce point se con¬
tinue sans ligne de démarcation avec celui de l’aisselle, des creux sous
et sus-c!aviculaire et même du médiastin. Il résulte de cette disposition
que toute amputation pratiquée au-dessus de, l’attache du grand pec¬
toral et du grand dorsal, offre plus de gravité que celle faite immé¬
diatement au-dessous. J’en dirais autant pour les phlegmons et les abcès
de cette région qui ont de la tendance à se propager du côté de l’aisselle
et du médiastin.
Vaisseaux et nerfs. — Nous n’aurons pas à répéter ce qui a été dit déjà
aux articles Aisselle, Bras, Clavicule ; seulement, vu l’importance du su¬
jet, nous rappellerons les rapports intimes qu’affecte l’artère et la veine
axillaire avec la tête humérale. Le premier de ces vaisseaux est à cheval
sur le côté interne de la tête, et cela d’autant plus que le bras se trouve
élevé davantage. La pression éprouvée par l’artère, lors de l’élévation
forcée du bras, est telle, que sur le vivant le pouls cesse de battre, et que
sur le cadavre une injection solidifiable poussée par la sous-clavière ou
l’humérale se trouve arrêtée en ce point, ainsi que cela a été constaté par
F. Guyon.
On pourrait mettre à profit cette particularité, soit pour arrêter une
hémorrhagie de l’humérale ou de ses branches, soit pour la guérison des
anévrysmes.
A la suite de la réduction de certaines luxations sous-coracoïdiennes
et intra-coracoïdiennes, on a été à même de constater plus d’une fois la
rupture de l’artère axillaire. A part la friabilité des artères chez certaines
personnes, dérivant elle-même du tempérament, du sexe et de l’âge, il
est clair que, toute chose égale d’ailleurs, l’élévation forcée du membre
ÉPAULE (anatomie). — articulation scapolo-humérale. 441
pendant qu’on exerce des tractions, doit disposer singulièrement àla rup¬
ture de l’artère. C’est là une considération dont on n’a pas tenu suffisam¬
ment compte, croyons-nous, lorsqu’on a voulu juger la valeur compara¬
tive de l’élévation verticale du bras, d'avec les autres méthodes de réduc¬
tion. Un autre mode de réduction, celui du refoulement direct de la tête
dans la cavité gléno'ide, à l’aide de la main ou du talon, n’offre pas un
moindre danger. Il est vrai de dire que l’artère, grâce à sa forme cylin¬
drique, à sa mobilité et à l’élasticité de ses parois, échappe le plus sou¬
vent à la rupture, mais il peut se faire aussi que l’altération graisseuse
ou athéromateuse des tuniques artérielles dispose celles-ci à la rupture.
C’est ainsi qu’on peut s’expliquer les cas encore assez nombreux de rup¬
ture de ce vaisseau, par suite de tentatives de réduction même modérées.
Autour de l’épaule, de même qu’ autour des principales/lirisures des
membres, il existe un large réseau anastomotique artériel pouvant per¬
mettre le rétablissement du cours du sang, lorsque le tronc de l’axillaire
ou de la sous-clavière vient à s’oblitérer. Nous avons eu l’occasion il y a
peu detemps, de lier la sous-clavière gauche au cou, en dehors des sca-
lènes, pour un anévrysme diffus de l’aisselle, consécutif à la réduction
d’une luxation récente de l'épaule. Dès le 19' jour de la ligature, le fil
était tombé et la circulation collatérale rétablie, quoique gênée.
La malade ayant succombé trois mois plus tard par suite d’une arthrite
suppurée grave, qui s’était développée dans l’articulation luxée' pleine de
caillots, nous pûmes constater à l’autopsie que la circulation se trouvais
rétablie, grâce surtout aux nombreuses branches anastomotiques de/l’ar-
tère scapulaire inférieure. /
L’artère sous-clavière et l’axillaire qui en fait suite, sont les deux
troncs d’où naissent les artères de l’épaule. Les branches provenant de la
sous-clavière sont au nombre de deux, à savoir: la scapulaire supérieure
ou sus-scapulaire, et la scapulaire postérieure ou cervicale transverse ;
celles fournies par l’axillaire au nombre de quatre sont : V acromiale, la
scapulaire inférieure, la circonflexe antérieure et \a circonflexe- posté¬
rieure.
Artère scapulaire supérieure, sus-scapulaire. — Elle naît de l’artère
sous-clavière entre les scalins, se porte horizontalement en dehors, der¬
rière la clavicule dont elle reste distante de 3 à 4 millimètres. Arrivée
à la base de l’apophyse coracoïde, elle s’infléchit en arrière pour se
rendre dans la fosse sous-épineuse, en passant au-dessus du ligament
coracoïdien, rarement au-dessous, rampe sous le muscle sus-épineux,
croise verticalement le bord antérieur de l’épine de l’omoplate et arrive
ainsi dans la fosse sous-épineuse, au-dessous du muscle sous-épineux,
où elle se termine en nombreux rameaux, qui s’anastomosent large¬
ment avec les rameaux terminaux de l’artère scapulaire inférieure.
Artère scapulaire postérieure. — Plus volumineuse que la précédente,
elle naît de la sous-clavière deux fois sur trois, entre ou en dedans des
scalènes, et une fois seulement en dehors de ces muscles. D’abord
transversale et en rapport avec le plexus brachial, elle s’incline en
442 ÉPAULE (anatomie). — articolation scapdlo-hümérale.
arrière, puis en bas, et se termine au bord spinal et à l’angle inférieur
de l’omoplate, en s’anastomosant avec la scapulaire inférieure et la scapu¬
laire supérieure.
Artère acromiale. — Née de l’axillaire au-dessus du petit pectoral, cette
arlère se divise en deux branches : une verticale, qui suit l’interstice des
muscles grand pectoral et deltoïde; l’autre horizontale, placée sous le
deltoïde, et qui se termine au niveau de l’articulation acromio-claviculaire
en s’anastomosant avec la scapulaire supérieure.
Artère scapulaire inférieure (scapulaire commune ou sous-scapulaire).
— La plus volumineuse de toutes les branches de l’axillaire, elle se
divise en deux branches principales : une interne ou descendante, destinée
au muscle grand dentelé, et surtout au grand dorsal; l’autre externe,
plus importante, qui fournit des rameaux aux muscles de la région sous-
épineuse et au sous-scapulaire, et va s’anastomoser largement, dans la
fosse sous-épineuse, avec la scapulaire supérieure, branche de la sous-
clavière. L’importance de cette dernière anastomose pour le rétablissement
de la circulation, ressort nettement d’une observation de Nélaton, concer¬
nant un anévrysme traumatique de l’axillaire traitée par la ligature de la
sous-clavière. La malade ayant succombé d’hémorrhagie le dixième jour
de la ligature, on trouva à l’autopsie que la blessure de l’axillaire siégeait
vis-à-vis de l’embouchure de la scapulaire, et que c’était par cette
dernière branche, considérablement dilatée, que le sang avait fait irrup¬
tion.
Artères circonflexes antérieure et postérieure. — Elles naissent de
l’axillaire, tantôt isolément, tantôt d’un tronc qui leur est commun. La
postérieure, de beaucoup la plus grosse, décrit autour du col chirurgical
de l’humérus les trois quarts d'un cercle, tandis que l’antérieure repré¬
sente l’autre quart. ■’
Les nombreuses ramifications de ces artères s’épuisent presque en
entier dans le deltoïde, quelques rameaux seulement sont destinés à la
capsule articulaire, au périoste du col et à la tête huméràle.
Veines. — Il a déjà été question de la veine céphalique, qui est en
partie superficielle et en partie profonde. Les veines profondes de l’épaule
ont la même direction, la même dénomination et les mêmes rapports que
les artères déjà décrites, et n’en diffèrent, pour plusieurs d’entre elles,
que par leur terminaison. C’est ainsi que les veines scapulaire supérieure,
scapulaire postérieure et cervicale profonde, se terminent, le plus sou¬
vent, dans le tronc veineux brachio-céphalique , et quelquefois dans la
veine cave supérieure, au lieu de se jeter dans la veine sous-clavière.
Lymphatiques. — Il y en a de superficiels et de profonds ; tous suivent
le trajet des veines et vont se rendre dans les ganglions de l’aisselle et les
ganglions sous-claviculaires. L’histoire des lymphatiques superficiels est
bonne à rappeler ici comme pouvant offrir un intérêt clinique. Nous
avons indiqué précédemment leur situation et les rapports qu’ils affectent
avec la veine céphalique; ajoutons que leur existence n’est pas constante.
Cruiksanck et Mascagni en ont signalé les premiers l’existence ; Sappey,
ÉPAULE (anatomie). — articdlation scapîflo-homérale. 443
de son côté, a été à même d’injecter deux fois un tronc lymphatique
unique. Aubry (de Rennes) a rencontré le premier, sur le trajet d’un gros
tronc lymphatique , trois ganglions séparés entre eux par un intervalle
de 2 ou 3 millimètres.
Dans le courant de cette année, j’ai été à même d’observer, chez deux
individus affectés d’angioleucite du pouce et du côté externe de l’avant-
bras, un ganglion engorgé, du volume d’un pois, situé à deux travers
de doigt au-dessus de l’empreinte deltoïdienne, sur le trajet de la veine
céphalique. La terminaison du tronc ou des troncs lymphatiques qui nous
occupent ne paraît pas être la même dans tous les cas. Des deux fois où
Sappey a été à même de les injecter, une fois le lymphatique se rendait
dans un ganglion sous-claviculaire placé au-devant de la veine sous-cla¬
vière, et une autre fois, après avoir croisé la clavicule, se jetait dans une
des glandes du creux sus-claviculaire. Ce dernier mode de terminaison a
été aussi signalé par Mascagni. ;
Nerfs superficiels. — Les téguments qui recouvrent la partie postérieure
de l’épaule reçoivent leurs filets nerveux sensitifs du rameau cutané, des
branches postérieures des deux ou trois premiers nerfs dorsaux. Le trajet
de ce rameau cutané spinal est assez compliqué. On sait que chaque
branche postérieure se divise dès son origine en deux rameaux , un
externe ou musculaire, destiné aux muscles des gouttières vertébrales, et
un interne ou cutané, le seul qui nous intéresse en ce moment. Ce dernier
se réfléchit de dehors en dedans pour atteindre les apophyses épineuses
des vertèbres; là, il traverse les insertions du grand dorsal, puis change
de direction pour se porter transversalement en dehors, traverse le trapèze
et se distribue dans les téguments de la partie postérieure de l’épaule.
La partie antérieure et externe de la peau de l’épaule reçoit ses nerfs
des deux branches descendantes du plexus cervical superficiel, la sus-
claviculaire et la sus-acromiale, mais surtout de cette dernière. Toutes
deux tirent leur origine de la quatrième paire spinale, et fournissent des
rameaux qu’on peut suivre jusqu’à l’insertion du grand pectoral à l’hu¬
mérus.
Pour finir avec les nerfs superficiels, ajoutons que le rameau cutané du
circonflexe donne la sensibilité au moignon de l’épaule.
Nerfs profonds. — A part deux branches qui naissent aussi souvent du
plexus cervical que du plexus brachial, et qui sont destinées à deux des
muscles moteurs de l’épaule, « l’angulaire de l’omoplate et le rhomboïde »,
tous les autres nerfs musculaires proviennent exclusivement du plexus
brachial.
Les branches fournies par ce plexus aux muscles de l’épaule, sont :
1“ Celle du sous-clavier, remarquable par son anastomose avec le nerf
phrénique ;
2° Celle du grand dentelé, ou nerf respiratoire externe de Ch. Bell, une
des branches collatérales des plus volumineuses et des plus longues du
plexus, et qui s’épuise dans ce muscle en fournissant successivement un
rameau à chacune des digitations qui le composent.
444 ÉPAULE (anatomie). — toute coraco-acromiale.
5° La branche dite sus-scapulaire destinée aux muscles sus-épineux et
sous-épineux. Cette branche pénètre dans la fosse sus-épineuse, qu’elle
croise en passant au-dessous du ligament coracoïdien , contrairement à
l’artère et la veine sus-scapulaires qui passent au-dessus, et arrive dans la
fosse sous-épineuse ;
4° Deux rameaux, quelquefois trois ou quatre, destinés au sous-scapu¬
laire ;
5“ Les branches qui se distribuent au grand dorsal, au grand rond et
aux deux pectoraux ;
6" Enfin un nerf très-important, appelé axillaire ou circonflexe,
destiné au deltoïde, à la peau du moignon de l’épaule, et au muscle
petit rond.
Le rameau cutané du circonflexe fournit des filets ascendants, trans¬
verses et descendants : ces derniers peuvent être suivis jusqu’à la partie
supérieure du bras. Les rameaux transversaux ou musculaires s’épuisent
dans le deltoïde en fournissant aussi plusieurs ramuscules destinés à l’ar¬
ticulation de l’épaule et au muscle petit rond.
Placé entre la face profonde du deltoïde, contre laquelle il est fixé par
une lame fibreuse, et le col chirurgical de l’humérus, le nerf circonflexe
s’enroule autour de cet os en suivant une direction oblique d’arrière en
avant et de bas en haut, et en décrivant ainsi une courbe spirale plus que
demi-circulaire. Il résulte de cette disposition que le tronc de ce nerf se
trouve d’autant plus distant de l’acroraion qu’on se porte en arrière,
tandis qu’il s’en rapproche en avant de 15 millimètres à 1 centimètre.
Dans son procédé de résection de l’épaule, Nélaton, en donnant le pré¬
cepte de ne s’écarter de l’acromion que de 15 millimètres au plus, ménage
donc le tronc de ce nerf en même temps qu’il évite de couper les fibres
charnues du deltoïde.
IL VoDTE CORA.CO-ACROMIALE. — On ne saurait avoir une notion exacte
de la région, et en particulier de l’articulation scapulo-humérale, si l’on
n’étudie pas en même temps le cintre protecteur que l’acromion, l’apo¬
physe coracoïde et le ligament coraco-acromial qui les relie, fournissent
à l’articulation de l’épaule.
Arliculation coraco-claviculaire. — Cette articulation est une véritable
flmpàiartàrose ou symphyse, ayant, par conséquent, une partie diarthro-
diale et une partie synarthrodiale.
La base de l’apophyse coracoïde offre, pour cette articulation, une
surface lisse, allongée dans le sens de sa longueur, mesurant de 15 milli¬
mètres à 2 centimètres de long sur 1 centimètre de large. La clavicule
présente de son côté un tubercule plus ou moins développé, plan ou
légèrement concave transversalement, et destiné à s’articuler avec la
facette correspondante de l’apophyse coracoïde. Une particularité qui ne
semble pas avoir fixé suffisamment l’attention des anatomistes, c’est que
les surfaces articulaires en question sont revêtues, à l’état frais, d’une
couche épaisse et lisse de tissu fibreux destinée à amortir les pressions et
à en faciliter le glissement. C’est là une disposition anatomique qui mérite
ÉPAULE (anatomie). - VOUTE CORACO-ACROMIALE. 445
d’autant plus de nous arrêter que les auteurs semblent l’avoir passée sous
silence.
Dans les livres classiques, en effet, en parlant de l’insertion du muscle
sous-clavier à la clavicule , on dit vaguement que le tendon de ce
muscle s’insère aux rugosités dont est pourvue la face inférieure de la
clavicule près de son extrémité externe. Or cela est inexact, le tendon
du sous-clavier s’insérant exclusivement sur le tubercule articulaire de
la clavicule, et pas ailleurs. En s’y fixant, le tendon coiffe en entier le
tubercule ; l’une de ses faces y adhère de la façon la plus intime, tandis
que l’autre, lisse et tapissée d’épithélium, constitue la paroi supérieut'e
de l’articulation coraco-claviculaire.
Le ligament trapézoide, horizontal ou légèrement oblique de bas en haut
et de dedans en dehors, s’insère, en haut, à la ligne rugueuse de la clavi¬
cule, et en bas, non-seulement au bord antérieur de l’apophyse coracoïde,
comme on le dit, mais aussi à toute l’étendue de la facette articulaire
de celle-ci. Une couche épithéliale recouvre la portion intra-articulaire
de ce ligament, et c’est ainsi que se trouve constituée la paroi inférieure
de l’articulation coraco-claviculaire.
En résumé, un tendon en haut et un ligament en bas, voilà les surfaces
de glissement de l’articulation coraco-claviculaire.
En avant, l’articulation n’a pas de paroi propre , à l’exception de la
synoviale et d’une légère couche celluleuse, tandis qu’en arrière on trouve
le ligament dit candide qui fait paroi, en même temps qu’il sert de moyen
d’union au même titre que le ligament trapézoïde.
Le ligament conoïde est triangulaire, à base supérieure s’insérant sur
la clavicule, et à sommet inférieur se fixant à la racine de la coracoïde,
derrière le ligament trapézoïde.
Une synoviale distincte existe pour cette articulation. Cette synoviale
tapisse le tendon du sous-clavier en haut, l’origine du ligament trapézoïde
en bas et la face antérieure du ligament conoïde en arrière.
La portion synarthroïdale de l’articulation se trouve représentée par
les insertions du ligament trapézoïde à la ligne rugueuse de la clavicule ,
ligne située, comme on sait, en dehors de l’articulation coraco-clavicu¬
laire et très-près de l’extrémité externe de cet os.
La description que nous venons de donner permet de bien saisir l’action
du muscle sous-clavier et le rôle des deux ligaments trapézoïde et co¬
noïde.
S’insérant sur le cartilage sternal de la première côte d’une part, et
d’autre part sur le tubercule de la clavicule, le muscle sous-clavier affecte
une direction oblique de bas en haut et d’avant en arrière. Lors donc
qu’il vient à se contracter, ce muscle a pour effet d’attirer l’extrémité ex¬
terne de la clavicule en bas et en avant, et de porter le moignon de l’é¬
paule dans le même sens. L’obliquité de ce muscle fait qu’au moment de
sa contraction, le sous-clavier sortirait inévitablement de sa place, si une
forte aponévrose dite sous-clavière ne le fixait solidement contre la gout¬
tière de la face inférieure de la clavicule.
446 ÉPAULE (anatomie). — vodtb coraco-acromiale.
Les deux ligaments, conoïde et trapézoïde, limitent les mouvements de
la clavicule, chacun dans un sens opposé. Lorsque l’extrémité externe de
la clavicule, autrement dit le moignon de l’épaule , se porte en avant, le
ligament trapézoïde se tend fortement pour s’opposer à tout déplacement
de la clavicule dans ce sens. Par contre, lorsque l’extrémité externe de la
clavicule se trouve portée en arrière, c’est le ligament conoïde qui se
trouve tendu. Comme dans ce sens une luxation de la clavicule n’est
guère possible, on conçoit que ce ligament soit bien moins fort que le
trapézoïde; du reste, le faisceau conoïde joue tout autant le rôle de li¬
gament qu’il sert de paroi à l’articulation coraco-claviculaire, ainsi que
nous l’avons dit précédemment.
Du bord postérieur externe de l’apophyse coracoïde part une large
bande fibreuse qui s’insère par son autre extrémité au sommet de l’acro-
mion. Ce ligament, dit coraco-acromiale, destiné à compléter la voûte du
même nom, ou de protection de la tête humérale, offre une grande force.
Immédiatement sous le ligament coraco-acromial naît, du même bord pos-
téro-externe de la coracoïde, un autre ligament destiné à la capsule arti¬
culaire et appelé pour cela ligament coraco-capsulaire. Ce ligament, d’un
jaune terne, comme la capsule humérale avec laquelle il s’identifie après
un court trajet, constitue un faisceau épais de 2 centimètres de large
environ, et se compose de fibres divergentes, dirigées obliquement en
bas et en.arrière, vers la grosse tubérosité de l’humérus, où elles s’insè¬
rent pour la plupart. La face supérieure de cette bande fibreuse regarde
le ligament coraco-acromial, dont elle est séparée parla bourse synoviale
sous-acromiale, déjà décrite. Sa face inférieure est en rapport avec le bord
supérieur du tendon du sous-scapulaire dont elle est pareillement séparée
par la bourse muqueuse sous-coracoidienne et la synoviale articulaire.
Le rôle du ligament coraco-capsulaire consiste : à renforcer la capsule
en haut, dans l’intervalle que laissent entre eux les tendons des muscles
sous-scapulaire et sus-épineux ; à tendre celle-ci et à la fixer à l’apophyse
coracoïde.
La voûte coraco-acromiale, constituée de l’acromion, de la coracoïde
et du ligament intermédiaire, affecte, avec la tête de l’humérus, des
rapports qui méritent d’être pris en considération si l’on veut se rendre
un compte exact des luxations de l’épaule. Des mensurations nombreuses,
entreprises par Malgaigne à ce sujet, il résulte que la voûte embrasse
en général, sous forme de cintre, le quart ou le tiers supérieur de la cavité
glénoïde et reste distante de la tête humérale de 4 à 6 millimètres en
haut, et de 2 millimètres seulement en arrière. Ajoutons que dans ce der¬
nier sens la voûte descend 7 millimètres plus bas qu’en avant.
Des rapports qui précèdent, il résulte ;
1° Qu’à moins de fracture, nulle luxation de l’épaule ne peut se pro¬
duire directement en haut.
2“ Que nulle luxation de l’épaule ne peut s’effectuer, soit en avant soit
en arrière, sans qu’au préalable la tête ne soit abaissée au-dessous du
tiers ou du quart supérieur de la cavité glénoïde ; ce qui revient à dire
ÉPAULE (piiïsiologie). — mouvements de l’épaule. 447
que toutes les variétés de luxation de l’épaule, tant antérieures que
postérieuresj commencent par être des luxations en bas.
5“ Qu’enfin les luxations en avant doivent être, et le sont en effet, plus
fréquentes que celles en arrière.
PHYSIOLOGIE.
Le rôle important dévolu à l’épaule et au bras pour les besoins de la
locomotion chez les animaux et de la préhension chez l’homme, explique
la grande mobilité dont jouit cette partie du corps dans la série animale.
De ces mouvements complexes, les uns se passent à l’omoplate, d’autres
ont pour siège principal l’articulation scapulo-humérale. Il va sans dire
que ces deux ordres de mouvements se combinent et se complètent
mutuellement; de plus, certains mouvements de l’avant-bras, ceux de
pronation et de supination par exemple, ont besoin, pour s’exercer libre¬
ment, que l’épaule et le bras y participent dans une certaine mesure.
Une science surannée, fondée sur l’expérimentation cadavérique, avait
accrédité ici comme ailleurs bien des erreurs, et ce n’est qu’aux recher¬
ches de Duchenne (de Boulogne) que nous sommes redevables de mieux
connaître l’action individuelle de chaque muscle.
I. Mouvements de l’épaule. — 1“ Élévation verticale. — L’élévation
de l’épaule s’associe à une foule d’actes qui sont en rapport avec la lo¬
comotion, la respiration, et l’expression des passions ; c’est pourquoi
divers muscles concourent à la produire.
Dans l’élévation volontaire et sans effort, comme lorsqu’il s’agit d’ex¬
primer le dédain ou. le doute, la portion acromiale ou moyenne du tra¬
pèze se contracte seule.
S’agit-il, au contraire, de l’élévation de l’épaule se faisant instinctive¬
ment lors des grandes inspirations, la portion antérieure ou claviculaire
du trapèze qu’anime le nerf spinal, agit indépendamment du reste du
muscle.
- Lorsqu’il s’agit de soulever un fardeau avec l’épaule, trois autres mus¬
cles apportent leur concours au trapèze ; ce sont : le rhomboïde, la por¬
tion supérieure du grand pectoral et l’angulaire de l’omoplate. Duchenne
(de Boulogne) , contrairement à ce qui avait été enseigné avant lui, a dé¬
montré que le grand dentelé ne prenait aucune part.
2° Élévation de V épaule en avant et en haut. — Quand ce mouvement
est inconscient, ainsi que cela se voit à la suite de l’impression du froid
ou du sentiment de la crainte, la contraction de la portion supérieure du
grand pectoral suffit seule pour le produire. Y a-t-il au contraire effort,
comme lorsqu’il s’agit de pousser devant soi un corps très-lourd, le grand
dentelé se contracte avec une force de beaucoup supérieure à celle des
muscles précédemment mentionnés.
5“ Adduction et abaissement des épaules. — Cette attitude se produit
soit dans certains mouvements de force du membre supérieur, comme
pour attirer à soi un corps résistant , soit tout naturellement, comme
chez le militaire dans la posture du port d’armes. Lors du simple rap-
448 ÉPAULE (physiologie). - MOUVEMENTS DO BRAS.
prochement des deux omoplates vers la ligne médiane du dos, le grand
dorsal agit seul, tandis que s’il s’ajoute un effort, le rhomboïde et le tiers
inférieur du trapèze prêtent leur concours à ce muscle.
4“ Mouvement de rotation de l’omoplate autour d’un axe antéro-posté¬
rieur. — Les auteurs classiques, en se fondant sur l’expérimentation ca¬
davérique, admettaient que l’omoplate tourne autour d’un axe fictif an¬
téro-postérieur passant par le centre de cet os, de façon, par exemple,
que l’angle spinal ne pouvait monter sans que l’acromion ne s’abaissa, et
vice versa. Or tout cela est inexact, et des études électro-physiologiques
de Du chenne (de Boulogne), il ressort clairement que le mouvement de
rotation en question a pour centre tantôt Yacromion, tantôt l’angle spi¬
nal de l’omoplate, suivant que le faisceau correspondant du trapèze se
contracte ou non.
Lorsque le scapulum tourne autour de son angle acromial, les muscles
rhomboïde et angulaire de l’omoplate entrent en action, tandis que
c’est le grand dentelé qui agit, si l’angle spinal sert de point fixe.
L’angle inférieur de l’os décrit alors un arc de cercle qui le rapproche
de la colonne vertébrale dans le premier cas et l’en éloigne dans le
second.
II. Mouvements du bras. — 1“ Élévation. — C’est là un acte complexe
qui nécessite l’intervention aussi bien du bras que de l’épaule.
A partir du moment du repos jusqu’à l’élévation à angle droit, tout le
mouvement sé passe dans l’articulation scapulo-humérale. Les muscles
qui concourent à ce premier temps de l’élévation sont le deltoïde et le
sus-épineux, à quoi il faut ajouter le grand dentelé. L’action de ce der¬
nier muscle consiste à maintenir l’omoplate fixe et à empêcher la sub¬
luxation de l’humérus en bas que la contraction isolée du deltoïde tend
à produire, comme Duchenne (de Boulogne) l’a montré expérimentale¬
ment.
La rencontre de la tête et de la voûte coraco-acromiale établit la limite
de l’élévation de l’humérus, et l’omoplate en tournant autour de son
axe antéro-postérieur fait le reste. Grâce à ce mouvement, le bras peut
être élevé jusqu’à la rencontre de la partie latérale de la tête au delà de
la verticale. Pendant que le mouvement de rotation de l’omoplate s’ef¬
fectue, on voit manifestement l’angle acromial s’élever de plus en plus,
en même temps que l’angle inférieur décrit un arc de cercle de dedans
en dehors, qui l’éloigne de la ligne médiane. Quant à l’angle interne de
cet os, il reste immobile et sert de centre du mouvement.
Pour faire tourner l’omoplate de la sorte et élever l’acromion, c’est la
portion inférieure ou radiée du grand dentelé qui se contracte. A celle-ci
s’ajoute, dans les mouvements de force, la portion acromiale du trapèze.
Tant que l’élévation du bras ne dépasse pas un angle de 45 degrés, les
trois portions du deltoïde se contractent à la fois ; au delà, le faisceau
postérieur de ce muscle se relâche, sans quoi il serait antagoniste des
deux autres.
Il va sans dire que dans l’élévation oblique soit en avant, soit en ar-
ÉPAULE (physiologie). — moüvemekts du bras. 449
nère, le faisceau correspondant du deltoïde se contracte pendant que le
faisceau opposé se relâche.
Le muscle sus-épineux, qui est un élévateur au même titre que le del¬
toïde, sert surtout à appliquer l’humérus contre la cavité glénoïde, et con¬
trairement à ce muscle, s’oppose, à la façon d’un ligament actif, à tout
déplacement de la tête en bas.
2° Abaissement du bras. — L’abaissement oblique en avant et en de¬
dans du bras, préalablement élevé, est produit par le grand pectoral.
Jusqu’à l’horizontale, le tiers supérieur du muscle agit principalement,
tandis qu’au delà sa portion inférieure se contracte seule, pendant que
la supérieure se relâche.
L’abaissement oblique en arrière et en dedans débute par la contrac¬
tion du tiers postérieur du deltoïde, après quoi, le grand rond avec ses
congénères le rhomboïde et le grand dorsal, achèvent le mouvement. Il est
à noter qu’à partir du moment où le bras forme avec le tronc un angle
de 45 degrés, le tiers postérieur du deltoïde cesse de se contracter, et
les autres muscles déjà cités achèvent d’attirer le bras en bas et en arrière.
L’abaissement direct du bras est produit par tous les muscles men¬
tionnés précédemment, à l’exception du tiers supérieur du grand pec¬
toral. Il faut y ajouter toutefois la longue portion du triceps, qui agit bien
moins comme un abaisseur que comme agent fixateur de la tête contre
la cavité glénoïde. Dans l’abaissement pur et simple, c’est-à-dire sans
effort, la pesanteur suffit pour faire tomber le bras; mais toutes les
fois que l’abaissement rencontre de la résistance ou exige de la force,
les muscles précédemment indiqués entrent en action soit ensemble, soit
isolément.
Le grand rond, outre son action sur l’humérus, concourt à élever puis¬
samment le moignon de l’épaule ; aussi, lorsqu’on veut soulever vigou¬
reusement un poids avec l’épaule, on commence par rapprocher le bras
du tronc.
5“ Mouvements de rotation du bras. — Les muscles sous-épineux et
petit rond réunis font tourner le bras en dehors sur son axe longitudinal.
Le muscle grand rond n’a qu’une action rotatrice très-limitée, en suppo¬
sant même qu’elle existe réellement.
Le muscle sous-scapulaire fait tourner l’humérus sur son axe longitu¬
dinal de dehors en dedans.
On verra ailleurs {voy. .Main et Avant-bras) comment ces mouvements
de rotation du bras sur son axe longitudinal concourent à compléter la
pronation et la supination, qui seraient très-bornées sans cela. Bien que
la longue portion du biceps s’insère à la partie supérieure de la cavité
glénoïde, elle n’exerce aucune action sur le scapulum et sert seulement
de ligament actif pour maintenir en place la tête humérale, lors de la
flexion avec effort, de l’avant-bras sur le bras.
XIII. - 29
450
ÉPAULE (pathologie). — luxations.
PATHOLOGIE.
Luxations. — La fréquence des luxations scapulo-humérales et la
difficulté parfois grande de leur réduction, expliquent suffisamment l’in¬
térêt que les chirurgiens de tous les temps ont eu à les bien connaître.
Des travaux nombreux et d’un mérite incontestable ont paru sur ce sujet ;
malgré cela, bien des points réclamaient encore, ainsi que nous le verrons,
de nouvelles recherches.
Désireux de rendre l’étude de ces luxations la plus profitable possible ,
nous n’avons négligé aucune source d’enseignement. A cet effet, nous
avons entrepris une série d’expérimentations cadavériques auxquelles
nous sommes redevables d’une connaissance plus approfondie des dispo¬
sitions anatomo-pathologiques et du mode de production de chaque variété
en particulier.
Les dessins que nous reproduisons ont été exécutés sur nos prépara¬
tions avec la plus scrupuleuse exactitude. Nous espérons qu’ils contribue¬
ront à rendre les descriptions plus claires.
Variétés. — ■ La disposition bien connue (voy. Anatomie) de la voûte
coraco-acromiale en haut, et l’insertion de la longue portion du biceps au
bas de la cavité glénoïde, font que tous les déplacements de l’humérus
peuvent être réduits en définitive à deux principaux : « laluxation en avant
et celle en arrière. »
Pour que la luxation s’effectue, aussi bien en avant qu’en arrière, il
faut qu’au préalable, la tête s’abaisse d’une certaine quantité au-dessous
de la voûte, afin d’éluder l’obstacle que lui oppose l’apophyse coracoïde
et l’acromion.
Tantôt, et le plus souvent, la tête descend de un à deux centimètres
seulement, placée qu’elle est immédiatement sous le bec coracoïdien ;
tantôt, elle se trouve abaissée jusque sous la cavité glénoïde. Dans une
seule variété, d’ailleurs fort rare, la tête remonte an-dessus de son ni¬
veau normal. Eu égard à la hauteur, on peut donc admettre trois espèces
de luxations en avant qui sont : la moyenne., l’inférieure et la supérieure.
La moyenne, qui est la plus commune de toutes, offre elle-même divers
degrés, fondés sur le plus ou moins de translation de la tête en dedans,,
et dont les principaux sont au nombre de quatre :
1®’ degré : Tête très-peu engagée sous la coracoïde;
2' degré ; Tête sous la coracoïde ;
5® degré : Tête en dedans de la coracoïde ;
4' degré : Tête sous la clavicule.
La luxation en arrière n’offre que deux degrés, dont l’un est même
rare et s’accompagne souvent de fractures. Ces deux degrés sont :
1'”' degré : Tête sous l’acromion ;
2' degré : Tête sous l’épine de l’omoplate.
Voici sous forme de tableau, les diverses variétés de luxations de l’é¬
paule telles que nous allons les passer en revue.
ÉPAULE (i’athologie). — luxation médio-glénoïdienne.
451
PAR RAPPORT A l’rLÉTATIOX DE LA TÊTE
I. Médio-glénoïdienne.
II. Sous-glénoïdienne.
III. Sus-glénoïdienne.
En ARRIÈRE . . . . .
VARIÉTÉS DES IDXATIOXS
.R RAPPORT A l’ÉLOIGXEMEXT DE LA TÊTE
il. Extra-coracoïdienne.
2. Sous-coracoïdienno.
3. Intra-coracoïdienne.
4. Sous-claviculaire,
1 1. Scapulaire.
I 2. Costale.
(1. Sous-acromiale.
I 2. Sous-épineuse.
Luxations en avant. — I. Xiuxation mêdio-gléuoïdienne. — Nous
allons étudier les quatre variétés que nous avons distinguées dans cette
luxation en passant successivement en revue les données expérimentales,
l’anatomie pathologique, les signes, les causes et le traitement propres à
chacune d’elles.
Données expérimentales et anatomie pathologique. — a. Luxation extra-
coracoïdienne. — Voici quelles sont les données fournies par Y expérimen¬
tation au sujet du premier degré de la luxation médio-glénoïdienne. »
Si après avoir fixé l’omoplate on imprime au bras, rapproché du tronc,
un fort mouvement de torsion en dehors, on voit se tendre outre mesure
le segment antérieur delà capsule, ainsi que le muscle sous-scapulaire.
Les tendons du grand pectoral, grand rond et grand dorsal s’enroulent
autour du col chirurgical de l’humérus et dans cet état il suffit de pousser
violemment la tête en avant pour effectuer la luxation.
En e.xaminant ce qui s’est passé dans cette expérience, on trouve que
par suite de la forte rotation de l’humérus, la tête ne regarde plus en de¬
dans mais en avant, et la capsule largement rompue, laisse celle-ci entiè¬
rement à nu. Le côté postérieur du col anatomique, devenu interne, se
trouve à cheval sur le rebord glénoïdien antérieur et la grosse tubérosité
touche la partie attenante du plateau articulaire. Le muscle sous-scapu¬
laire tendu autour de la tête sous forme de sangle est en partie déchiré.
Le bec coracoïdien recouvre le quart à peu près de la tête, dont les trois
autres quarts restent en dehors de cette apophyse. Le faisceau du coraco-
brachial et de la courte portion du biceps placé en dedans, recouvre la
tête en partie. Les vaisseaux et les nerfs axillaires situés à distance échap¬
pent à toute pression.
Ce qui rend le déplacement permanent, c’est principalement l’accro-
chement de la tête contre le rebord glénoïdien, accessoirement, la ten¬
sion de la portion restante de la capsule, et l’enroulement des muscles
autour du col huméral.
L’anatomie pathologique confirme, comme nous allons le voir, les don¬
nées qui précèdent.
A. Cooper donne une observation qui, malheureusement , prouve peu
de choses. Il s’agit en effet d’une vieille luxation disséquée par Patey, sur
un cadavre destiné aux dissections, à l’hôpital Saint-Thomas de Londres.
La tête humérale était située sous l’apophyse coracoïde qui formait la
452 ÉPAULE (pathologie). - LUXATION MÉDIO-GLÉNOÏDIENNE.
partie supérieure de la nouvelle cavité glénoïde creusée elle-même sur la
partie antérieure du col de l’omoplate. Rien ne démontre, on le voit,
qu’il s’agissait là d’une luxation plutôt incomplète que complète.
South (1851), en disséquant une luxation qu’il avait réduite quelques
jours auparavant et qui fut reproduite sur le cadavre, trouva la tête portée
en avant sous le bord antérieur de la cavité glénoïde. La capsule, rompue
partiellement, ne laissait passer qu’une petite portion de la tête humérale.
Ajoutons qu’il y avait une fracture double de l’apophyse coracoïde et
d’autres fractures intéressant l’acromion et la clavicule.
Malgaigne, de son côté, fit l’autopsie d’un sujet, mort le quatrième jour
de l’accident. Après avoir reproduit la luxation il constata, une déchirure
capsulaire de quatre centimètres et demi ; un arrachement du rebord glé-
noïdien antérieur sur une hauteur de deux centimètres et demi; la rupture
du sous-scapulaire près de son tendon huméral, et enfin l’arrachement du
trochiter avec les trois tendons qui s’y insèrent.
Dans une observation de Pinel il est dit que : « La tête de l’humérus,
partiellement déplacée, se trouvait sur la partie inférieure du rebord
interne et contre le bord externe du bec coracoïde. La capsule n’avait été
légèrement déchirée que dans un endroit. Enfin il y avait une fracture
de l’acromion et une luxation acromiale de la clavicule. » (Pinel, 1788.)
Toutes incomplètes qu’elles sont, ces autopsies, d’accord avec l’expéri¬
mentation, servent à démontrer : 1“ que dans cette luxation la tête arc-
boute par son col contre le rebord glénoidien antérieur (obs. de South et
de Pinel) ; 2“ que le muscle sous-scapulaire se déchire partiellement
(obs. Malgaigne).
Le seul contraste qui existe entre l’expérimentation et les résultats
fournis par les autopsies, c’est que, dans le premier cas, la luxation
semble matériellement impossible, sans une expulsion totale de la tête ,
tandis que nous avons vu South, Malgaigne et Pinel parler de déplace¬
ments se faisant dans l’intérieur de la capsule incomplètement déchirée.
Un point qu’il faut noter toutefois, c’est que, en même temps que la luxa¬
tion, il y avait ici des fractures articulaires permettant au besoin d’expli¬
quer le désaccord en question. Du reste, ce qu’il faudrait savoir, avant
tout, c’est la parfaite authenticité des luxations incomplètes, ce dont il
est permis au moins de douter, lorsque nous voyons les auteurs du Com¬
pendium de chirurgie (p. 393) juger la pièce de Malgaigne, qu’ils ont été
à même d’examiner àla Société de chirurgie, comme un exemple de luxa¬
tion véritablement complète.
Sur de vieilles luxations de l’humérus il n’est pas rare de rencontrer
des sillons qui divisent la tête verticalement en deux parties. Ces sillons
ont été considérés à tort comme un indice de luxations incomplètes,
attendu que suivant la judicieuse remarque de Sédillot les mouvements
conservés dans les vieilles luxations suffisent pour ramener les os à des
contacts très-étendus, faisant faussement croire alors à des déplacements
primitivement incomplets.
^En résumé, sans vouloir nier complètement la luxation incomplète de
ÉPAULE (pathologie). — ldxation médio-glénoïdiehne. 453
l’humérus, telle quelle a été comprise par Malgaigne , nous pensons que
de nouveaux faits sont indispensables pour prouver la réalité d’un genre
de déplacement que l’expérimentation démontre comme à peu près im-
p. Luxation sous-coracoïdienne. — Pour transformer expérimentalement
la variété précédente dans celle-ci il suffit de diminuer la rotation de l’hu¬
mérus en dehors, en même temps qu’on repousse la tête en bas et en de¬
dans sous la coracoïde.
L’examen des parties nous montre la capsule largement déchirée
(fig. 74), surtout à sa partie inférieure. Il en est de même du muscle
sous-scapulaire qui est
constamment intéressé
et avec lui un ou plu¬
sieurs des autres
des capsulaires, à sa¬
voir ; le sus -épineux,
le sous- épineux ou le
petit rond. La torsion
de l’humérus en de¬
hors est moindre
tête à cheval
son col, tantôt par
grosse tubérosité
le bord glénoïdier
térieur, se trouve
garder plus en
bien que
avant. Cette
en outre abaissée
çon à passer complet
ment sous la coracoïde,
qui laisse une moitié
en dehors et l’autre en
dedans d’elle. Il résulte
de ces nouveaux
ports que le coudi
carte davantage du
■ tronc en même temps p,
qu’il se porte légère- c&\
ment en arrière. Le
faisceau commun au coraco-brachial et à la courte portion du biceps se
trouve à cheval sur la tête. Les vaisseaux et nerfs axillaires situés à une
certaine distance en dedans et non en avant, comme on l’a écrit par¬
tout, échappent à toute pression. Le tendon de la longue portion du bi¬
ceps forme un coude en dedans, mais on ne le rencontre presque ja¬
mais luxé.
454 ÉPAULE (pathologie). — luxation médio-glésoïdiense.
L'anatomie fathologique est en parfait accord avec les résultats fournis
par l’expérimentation directe.
Dans une autopsie faite par Malgaigne, la tête, y est-il dit, était située
directement sous l’apophyse coracoïde, qui tombait à peu près juste à son
milieu. Le col anatomique de l’humérus était retenu sur le bord glénoï-
dien et le trochiter appliqué sur la partie interne et inférieure de la cavité
glénoïde. D’autres dissections, faites sur des luxations soit récentes, soit
anciennes, par divers chirurgiens, démontrent qu’à part quelques nuances,
la tête occupe toujours la même position que précédemment. Relative¬
ment à la déchirure capsulaire et à celle des muscles, il est dit que la cap¬
sule était arrachée de ses insertions à l’humérus en avant, depuis le ten¬
don du sous-scapulaire jusqu’à celui du triceps, c’est-à-dire que la déchi¬
rure était étendue et relativement basse comme dans nos expériences.
Le muscle sous-scapulaire a toujours été trouvé entamé surtout en bas.
Parfois le sus-épineux, et avec lui le trochiter, ont été arrachés.
La courte portion du biceps et le coraco-brachial sont placés en avant
avec les vaisseaux et les nerfs toujours en dedans. Qu’il soit dit en effet,
une fois pour toutes, que dans aucune des quatre variétés de luxation
médio-glénoidienne les vaisseaux ne se placent au-devant de la tête. Si l’on
a écrit le contraire, c'est qu’on a oublié sans doute que l’exploration se
faisant par l’aisselle, on est tout naturellement conduit sur le côté inféror
interne de la tête.
On a noté parfois la déchirure de la coulisse bicipitale avec déplace¬
ment du tendon. Pour ce qui est de la rotation en dehors de l’humérus,
Malgaigne, en parlant des symptômes, dit que généralement l’humérus
subit une rotation en dehors telle que l’épitrochlée regarde en dedans et
en avant, et l’épicondyle en dehors et en arrière.
y. Ldxatiox intba-coracoïdiekne. — Pour transformer expérimentalement
la variété sous-coracoïdienne dans celle-ci, il suffit d’imprimer un mou¬
vement qui abaisse la tête, la porte plus en dedans et ramène le bras
dans une position moyenne ou même dans une légère rotation en dedans.
Dans cette variété (fig. 75), la tête regarde franchement en dedans, et de
plus, elle appuie contre les côtes correspondantes. Ce dernier rapport,
à peine signalé dans quelques autopsies, est constant, et c’est à tort que
Richet a cru voir là une variété de luxation à part, appelée par lui sus-
costale (1862).
Par suite de la plus grande adduction de l’os, le coude se trouve rap¬
proché du tronc et la légère torsion en dedans de l’humérus ramène
l’épitrochlée dans une position à peu près normale.
Le muscle sous-scapulaire qui est toujours intéressé, se trouve moins
tendu par suite de la rotation de l’os en dedans, et de l’adduction de la
tête. Pour les mêmes raisons, les tendons du grand pectoral, du grand
rond et du grand dorsal, s’enroulent moins autour de l’os. La tête, dans
ctte variété, n’appuie plus sur le rebord glénoïdien, mais sur le col de
'omoplate, et la grosse tubérosité seule affecte des rapports avec la lèvre
antérieure de la cavité glénoïde.
ÉPAULE (pathologie). — luxation médio-glénoidienne. 455
t petit rond, sont sou-
du coraco-
Les muscles sus-épir
vent arrachés et avec eux
brachial et du biceps
placé en avant, ré¬
pond au col anato¬
mique , et les deux
pectoraux recouvrent
la tête de façon à la
rendre peu accessible
au toucher.
Le bec coracoïdien,
en rapport avec le col
anatomique , laisse la
totalité de la tête
dedans. On
souvent le tendon de la
longue portion du bi¬
ceps luxé et parfois
rompu. La capsule est
aux trois quarts déchi¬
rée sinon davantage.
Enfin les vaisseaux et
les nerfs toujours pla¬
cés en dedans, peuvent
être pris entre la tête
et les côtes et subir
ainsi une pression dan- c
gereuse, mais nous re¬
viendrons plus loin en l’huméras. - c, Apophyse coracoïde. -
, ‘ , . E, Grand pectoral. — H, Epitrochlée. — h, K', Petit pectoral
detail, sur ce dernier coupé. — P, Deltoïde renversé,
rapport , qui semble
avoir échappé jusqu’ici à l’attention des cliniciens.
V anatomie 'pathologique est, comme on va le voir, en parfait accord
avec l’e.xpérimentation.
Malgaigne a disséqué dix luxations intracoracoïdiennes, dont trois ré¬
centes et trois anciennes. Dupuytren, Lallemand (1840), Robert (1845),
Denonvilliers, etc., ont publié chacun des autopsies de luxations récentes.
De tous ces faits, il résulte que les caractères anatomo-pathologiques de
■ces luxations sont :
Rupture presque totale de la capsule ;
Arrachement à peu près constant de la grosse tubérosité, avec déchirure
du sous-scapulaire et souvent lésion dos autres muscles trochantériens.
Engrenage des os, par pénétration du rebord glénoïdien dans la ligne
de séparation du trochiter arraché, ou bien, point d’arrêt de la grosse
tubérosité, contre la lèvre antérieure de la cavité glénoïde.
Situation de la tête (les tubérosités exceptées), en dedans de la cora-
456 ÉPAULE (pathologie). - LUXATION MÉDIO-GLÉMOÏDIENNE.
coïdé, appuyée qu’elle est, non plus sur le rebord glénoïdien, mais con¬
tre le col de l’omoplate. Verneuil a signalé dans un cas, le contact de la
tête avec les côtes, et il y avait même une bourse muqueuse intermé¬
diaire, destinée à en faciliter le glissement (cité par Malgaigne) . Excep¬
tionnellement, écrasement de la tête humérale, par suite d’un coup vio¬
lent porté sur l’épaule.
Le faisceau coraco-bicipital est porté en dehors, et le tendon de la lon¬
gue portion du biceps, souvent luxé. Roser a rencontré une fois le faisceau
coraco-bicipital placé derrière la tête, recouverte seulement par le grand
pectoral et la peau (1846).
Enfin, les vaisseaux situés au côté inféro-interne de la tête, peuvent,
par exception, passer derrière, comme sur une pièce de Nélaton, dissé¬
quée par Reynaut (musée Dupuytren, n“ 750 bis).
S. Luxaiton SOÜS-CLAVICUL.4IRE. — Les lésions produites expérimentalement,
tant de la capsule que des muscles, sont à peu près les mêmes que dans
la variété précédente,
avec cette différence,
toutefois, que le mus¬
cle sous-scapulaire se
trouve largement dé¬
collé du scapulum et
souvent broyé par la
tête qui s’enfonce pro¬
fondément dans l’ais¬
selle (fig. 76).
La capsule déchirée,
aussi bien en avant
qu’en arrière, ne tient
plus que par des lam¬
beaux.
Les muscles trochan-
tériens sont intéressés,
et la grosse tubérosité
souvent arrachée.
L’extrémité humé¬
rale tout entière (tête
et tubérosités) a passé
en dedans de la cora¬
coïde, et de plus elle
s’élève souvent jusque
Fis. 76. — Luxation sous-claviculaire. — C, Apophyse coracoïde. Pj'®®
— D, Courte portion du biceps. — E, Tendon du grand pec- rieure de la claviCule.
Joral. — K, K', Petit pectoral divisé. — P, Deltoïde renversé.
S, Longue portion du biceps rompue. — T, Vaisseaux et nerfs
axillaires.
jPoCHET.
La tête tournée en
arrière et en dedans,
appuie d’une part, sur
le côté interne de la coracoïde, et d’autre part, sur les côtes. Les vais-
ÉPAULE (Pathologie). — ldxation' médio-gléîioïdibkne. 457
seaux et les nerfs, avoisinent la tête en dedans et en arrière, et peuvent
être comprimés par celle-ci contre les côtes correspondantes.
Le bras, dans la rotation en dedans, est très-rapproché, et pour ainsi
dire collé au tronc.
Uanatomie pathologique confirme pleinement ces données, et de plus,
elle nous apprend que la tête peut en se luxant, comme dans un cas de
Macnamara, passer au-dessus du sous-scapulaire.
Sur une pièce du musée Dupuytren (n“ 750) qui, malheureusement,
manque de désignation, la rotation de l’humérus est tellement exagé¬
rée, que la tête regarde en dehors et les tubérosités en dedans. Je soup¬
çonne que, sur le vivant, la rotation devait être moindre; à moins qu’on
ne préfère expliquer celle-ci par l’ancienneté de la luxation. Une produc¬
tion osseuse, sous forme d’arc, dans la néarthrose, et la disparition à
peu près complète de l’ancienne cavité glénoïde, témoignent en effet assez
que cette luxation est d’une date ancienne, et l’on comprend dès lors
que des déplacements consécutifs aient eu pour résultat d’altérer les rap¬
ports primitifs des os.
Causes. — Nous les rechercherons dans chaque variété.
Luxation extra-coracoïdienne. — Les fractures qui accompagnent cette
luxation et qui ont pour siège la cavité glénoïde, l’acromion, la clavicule
ou l’apophyse coracoïde, témoignent suffisamment qu’un coup ou une
chute sur l'épaule en sont souvent la cause. Chopart, A. Cooper et
Dupuytren, citent chacun un cas où la luxation avait été produite par
une chute sur une l’épaule.
Une autre cause, assez souvent notée, est la contraction violente des
muscles; A. Dugés (1831) dit avoir observé une sub-luxation chez un
jeune homme qui, étant accroupi, voulut avec le bras étendu de côté et dans
toute sa longueur, soulever un vase très-pesant. Malgaigne en a observé
une survenue, chez une femme, pendant un accès de convulsions. Smith
fait mention d’une double luxation chez une femme éclamptique, et Mal¬
gaigne va jusqu’à penser que les luxations convulsives rentrent, pour la
plupart dans cette variété.
Une dernière cause, de toutes la plus rare, consiste en une chute sur
la main ou le coude, le bras étant écarté du tronc. La malade de South
offrait une plaie pénétrante, une fracture de l’olécrâne qui indiquait que
le coup avait porté sur le coude ; des deux malades observés par Malgaigne
l’un était tombé sur la main étendue et soutenant le tronc à la façon d’un
arc-boutant ; l’autre, surpris par un éboulement, fut projeté en avant les
deux bras étendus, et dans une très-légère abduction.
En somme, à part quelques cas exceptionnels, la luxation extra-cora¬
coïdienne reconnaît des causes directes et se produit alors que le bras se
trouve rapproché du tronc.
Luxation soüs-coracoïdienne. — D’après Malgaigne, cette luxation se
produit habituellement dans une chute sur la main ou le coude, le bras
étant écarté du tronc. Rarement elle reconnaîtrait, comme cause, un choc
ou une chute sur l’épaule.
458 ÉPAULE (pathologie). — luxation médio-glékoïpien.ne.
Dans certains cas, encore plus rares, Télévatiou forcée du bras a suffi
pour produire le déplacement. Tantôt il s’agit d’un bras relevé brusque¬
ment par la tête d’un cheval, que l’individu tenait à la bride. (Gaultier,
1814, etPasquier, 1839.) D’autres fois, c’est une personne qui, étant à
terre, fut violemment attirée par le bras, ou bien il s’agissait d’un indi¬
vidu suspendu par la main. (Malgaigne.)
Enfin, on cite partout le fait remarquable de L. J. Sanson, concernant
un portefaix qui eut les deux bras luxés à la fois, en recevant sur le dos
un sac de grain, pendant qu’il avait le corps penché en avant et les deux
mains appuyées sur le derrière de la voiture. (Pathol, méd.-cliir., t. IV.)
La contraction musculaire seule a suffi pour provoquer la luxation,
dans certains cas exceptionnels. Nous citerons comme tels ; celui d’un
peintre qui se fit une luxation en peignant un plafond ; celui d’un ma¬
lade couché et qui voulut porter le bras derrière sa tête pour saisir le ri¬
deau du litj cet autre, d’un individu lançant un coup de poing qui porte
à faux; enfin le cas d’une femme qui se luxe le bras en allongeant le
membre pour donner un soufflet.
Luxation intra-coracoïdienne. — Dupuytren et tous les auteurs classi¬
ques avaient admis, d’après J. L. Petit, qu’aucune luxation de l’épaule
n’était possible, sans qu’au préalable le bras fût écarté du tronc.
Malgaigne s’est attaché , au contraire, à démontrer que la luxation
intra-coracoïdienne qui, pour lui, représente les deux tiers des luxations
de l’épaule prises ensemble, reconnaît, dans la grande majorité des
cas, comme cause, un choc direct ou une chute sur le moignon de
l’épaule.
Malgaigne cite, il est vrai, deux luxations intra-coracoïdiennes pro¬
duites, l’une par une chute sur la main écartée dü tronc; l’autre, en
élevant le bras pour lancer un coup de poing, mais il considère ces cas
comme exceptionnels.
D’après les faits que nous avons recueillis, les luxations intra-coracoï¬
diennes de causes indirectes, représentent près de la moitié des cas ; et
tout dernièrement encore j’ai réduit, à l’hôpital Saint-Louis, une luxation
de ce genre, chez une femme qui avait eu le bras fortement tordu sans
coups ni chute d’aucune espèce.
Luxation sous-claviculaire. — Cette variété, comme la précédente, re¬
connaît aussi bien des causes directes, coups ou chutes sur l’épaule,
que des causes indirectes, chute sur le coude ou la main écartés du tronc,
ou encore, élévation avec distorsion du bras.
Symptômes, -r- Comme ils diffèrent sensiblement d’une variété à
l’autre, nous allons en parler séparément.
Dans I’extra-coracoïimenne la forme du moignon de l’épaule est parfois
si peu altérée qu’il faut beaucoup d’attention pour ne pas méconnaître la
luxation. Dupuytren insiste sur l’absence de dépression sous-acromiale,
sauf en «mère, et sur la forte saillie de la tête en avant, au-dessous et
en dehors de la coracoïde. C’est également ce qui a frappé A. Cooper,
A. Dugès et Malgaigne.
ÉPAULE (pathologie). — LUXATIOK MÉDIO-GLÉNOÏDIENNE. 459
La main, portée du côté de l’aisselle ne sent aucune saillie, à moins
^ju’on ne vienne à relever fortement le bras.
Le bras pendant le long du tronc en est plus ou moins rapproché, et
dans une forte rotation en de/mrs; aussi l’épitrochlée regarde-t-elle direc¬
tement en avant.
La mensuration, faite comme nous le dirons plus loin, n’indique aucun
changement de longueur du membre, et c’est à peine si l’on constate par¬
fois un allongement de quelques millimètres.
Si l’on a signalé dans quelques cas du raccourcissement, ce ne peut
■être que par suite d’une mensuration inexacte.
Les mouvements ne sont pas moins gênés dans cette luxation que dans
les autres. Ainsi, dans le cas de Malgaigne, bien que la luxation datât de
sept mois, le malade ne pouvait placer la main sur l’épaule saine; le
coude se portait en avant et en arrière seulement à 25 centimètres du
tronc, en dehors à 30 centimètres ; encore l’omoplate entrait pour plus
de la moitié dans ces divers mouvements. L’individu d’A. Bonn (1782),
•dont la luxation datait de quatre ans, était incapable de porter la main
au front ni derrière le dos, et pouvait mouvoir seulement le coude en avant
et en arrière, assez pour jouer du violon qui lui faisait gagner sa vie.
Luxation sods-coracoïdienne. — Dans cette variété, l’aplatissement du
moignon de l’épaule est plus manifeste, l’acromion fait une saillie bien
plus accentuée et immédiatement au-dessous s’observe une dépression
dans laquelle le doigt peut être enfoncé.
La tête, très-légèrement saillante à la partie externe du creux sous-
claviculaire, est surtout facile à sentir par le creux axillaire, où on la sent,
parfois, à fleur de peau, sans qu’il soit nullement nécessaire pour cela
d'écarter le bras du tronc.
Le coude reste écarté de 12 à 15 centimètres et même davantage, et
ne peut, dans aucun cas, être rapproché complètement du tronc,
A la mensuration, on trouve généralement un allongement qui varie
depuis quelques millimètres jusqu’à 1 et 2 centimètres au plus. Le rac¬
courcissement, signalé dans quelques cas, en le supposant réel, ne peut
s’expliquer ici que par un abaissement de l’acromion résultant lui-même
d’une bascule de l’omoplate autour de son axe antéro-postérieur. Du reste,
■nous reviendrons sur cette question à propos du diagnostic des luxations
de l’épaule en général.
La hauteur de la paroi antérieure de l’aisselle se trouve agrandie, ce
dont on peut s’assurer en tirant une ligne verticale, depuis la clavicule
jusqu’à l’angle de jonction du bras avec le tronc.
En déprimant profondément, à l’aide du pouce ou des quatre derniers
doigts, la paroi pectorale, on arrive à sentir la rondeur de la tête sur¬
montée du bec coracoïdien qui laisse une moitié de celle-ci en dehors, et
l’autre en dedans.
La rotation du membre en dehors, bien que très-prononcée, est toute¬
fois moindre que dans la variété précédente, aussi l’épitrochlée regarde
à la fois en avant et en dedans.
460 ÉPAULE (pathologie). — luxation médio-glénoidienke.
Dans cette variété, les mouvements du bras sont bornés, et il en est ainsi
même pour de vieilles luxations.
Le malade exécute en effet assez bien les mouvements du bras en avant
et en arrière, mais la rotation, l’abduction et la circumduction sont fort
gênées.
Dans un cas de luxation invétérée, disséquée par Malgaigne, l’élévation
et la rotation en dedans étaient impossibles, même après avoir coupé tous
les muscles. Hippocrate avait déjà noté que les sujets peuvent faire mou¬
voir une tarière, une scie, manier la hache et la bêche, mais à la condi¬
tion de ne pas trop lever le coude.
Luxation intra-coracoïüienne. — L’aplatissement de l’épaule, la saillie
de l’acromion et l’enfoncement sous-acromial, sont bien plus accentués ici
que dans la sous-coracoïdienne. Habituellement la tête, enfoncée dans la
profondeur de l’aisselle, ne fait aucune saillie thoracique , surtout chez
les personnes grasses et bien musclées, et ne se laisse toucher que diffici¬
lement à travers les parties molles. Par l’aisselle la tête ne peut être sentie
non plus, à moins d’écarter le bras du tronc. Le bras est habituellement
collé au tronc et aussi haut qu’on porte la main, on n’arrive à sentir que
la diaphyse. La tête, appliquée en effet contre les côtes, ne laisse pas d’es¬
pace suffisant pour que la main qui explore puisse arriver jusqu’à elle.
Dans la variété intra-coracoïdienne le bras se trouve placé en position
moyenne ou même dans une légère rotation en dedans, ainsi que le prouve
la direction de l’épitrochlée qui regarde en arrière. H faut noter en effet,
qu’à l’état normal, lorsque l’avant-bras est demi-fléchi (posture que pren¬
nent volontiers les individus porteurs d’une luxation scapulo-humérale),
l’épitrochlée regarde en dedans et en arrière et qu’il suffit d’une légère
torsion du bras en dedans pour ramener cette saillie franchement en
arrière. Faute de se rappeler cette particularité, on pourrait, eu égard à
l’épitrochlée complètement tournée en arrière, croire à une rotation très-
forte, alors que celle-ci est véritablement légère.
La mensuration bien faite ne montre que fort peu de changement dans
la longueur du membre. Ainsi, tantôt et le plus souvent, on constate un
léger allongement de 1 centimètre ou même moins ; d’autres fois, il n’y a
pas de différence sensible, et dans quelques cas, enfin, on a noté du rac¬
courcissement pouvant atteindre 2 ou 3 centimètres, dû, comme nous
l’avons exposé précédemment, à l’abaissement par bascule de l’acromion,
ainsi qu’à l’enfoncement de la tête dans la profondeur de l’aisselle. Comme
dans la variété précédente, l’allongement du membre se caractérise, en
outre, par l’augmentation de hauteur de la paroi antérieure de Faisselle.
Le coude, peu écarté du tronc, ne s’éloigne le plus souvent que de 8 à
10 centimètres, et l’on éprouve beaucoup de difficulté à l’en rapprocher
jusqu’au contact.
L’examen attentif des rapports de la tête avec la coracoïde démontre
que les deux tiers de la sphère sont en dedans du bec coracoïdien ,
l’autre tiers restant au-dessous et en dehors. Sur le cadavre, nous
avons pu constater que le sommet de cette apophyse tombe juste au
ÉPAULE (pathologie). — luxation médio-glénoïdienke. 461
niveau du çol anatomique, entre la tête et la grosse tubérosité. Vel¬
peau a noté pendant les mouvements communiqués, une sorte de crépi¬
tation, parfois très-forte, que Malgaigne a cherché à expliquer en l’at¬
tribuant à la fracture ou mieux à l’arrachement de la grosse tubérosité,
qu’il croit constante ou à peu près dans cette variété de luxation. Mais
outre que la complication de fracture du trochiter n’est pas aussi com¬
mune que le veut Malgaigne, il est à noter que la grosse crépitation qu’on
obtient en pareils cas ne rappelle en rien la crépitation beaucoup plus
fine qu’on perçoit dans les fractures. Nous croyons, quant à nous, que
cette crépitation est due le plus habituellement au frottement de la tête
contre les parties osseuses environnantes, à savoir, le rebord glénoïdien,
la face inférieure de la coracoïde et surtout la paroi costale.
Dans les cas récents, les mouvements, soit spontanés, soit communi¬
qués, sont tout aussi gênés que dans les autres variétés. Dans les luxa¬
tions anciennes, les mouvements volontaires jouissent par contre d’une
plus grande liberté. Malgaigne dit avoir vu un vieillard qui en portait une
depuis longues années, et qui, en s’exerçant, était arrivé à pouvoir bê¬
cher, scier du bois, avancer la main jusqu’auprès de l’épaule opposée,
et même, avec un peu d’aide, embrasser cette épaule. Malle en a ob¬
servé une du bras droit chez un soldat russe qui la portait depuis
l’âge de six ans; chez lui, les mouvements en avant et en arrière
étaient bornés et suppléés par l’omoplate; mais il jouissait d’un mouve¬
ment d’élévation fort étendu qui lui permettait d’exécuter les manœuvres
militaires.
Sous-clayicdlaire. — La déformation du moignon de l’épaule est la
même que précédemment, avec un degré d’aplatissement en plus. Même
impossibilité de sentir la tête par l’aisselle, alors même qu’on élève le
bras jusqu’à l’horizontale, vu qu’alors c’est l’omoplate qui exécute le
mouvement. Le bras collé contre le tronc, avec un écartement de 6 à 8
centimètres au plus pour le coude, ne permet pas aux doigts qui explo¬
rent de passer entre la diaphyse humérale et les côtes.
Le bras présente, suivant îes cas, les mêmes différences d’allongement
et de raccourcissement, avec cette différence que le raccourcissement est
plus constant que dans l’intra-coracoïdienne.
Sur le cadavre, la rotation en dedans est des plus prononcées, et nous
avons dit précédemment que sur une pièce du musée Dupuytren cette ro¬
tation était poussée à l’extrême.
Nous ne comprenons donc qu’avec peine l’avis de Malgaigne lorsqu’il
dit que dans cette luxation il n’y a de rotation d’aucune sorte, ni en de¬
dans, ni en dehors. Nous le comprenons d’autant moins, que Malgaigne
a noté une fois la rotation en dedans, et qu’il ne manque pas d’ajouter
que, dans la variété sous-claviculaire, les deux tubérosités de l’humérus
sont tournées en avant.
Il y a véritablement une erreur d’appréciation de la part de Malgaigne,
au sujet de ce signe, qui nous paraît constant, au moins dans les luxa¬
tions récentes.
462 ÉPAULE (pathologie). — luxation soüs-glénoïdienne.
La tête fait en général une saillie prononcée en avant, surtout chez les
sujets maigres. Malgaigne l’a vue une fois déborder en avant le niveau de
la clavicule de 4 centimètres, et, dans un cas plus remarquable, la tête,
écartant les faisceaux musculaires, n’était plus recouverte que par la
peau. Il est des cas toutefois où la tête, profondément enfoncée, ne fait
plus de saillie, et l’on doit déprimer fortement la paroi axillaire pour la
sentir.
En examinant attentivement les rapports de la tête, on constate que
celle-ci se trouve comme enclavée dans une espèce de mortaise formée,
en haut, par la clavicule ; en dedans, par les premières côtes, et, en
dehors, par le bord interne de l’apophyse coracoïde.
Cette luxation est plus fâcheuse pour la liberté des mouvements que
toutes les autres. Non réduite, elle abolit presque tous les mouvements,
détermine des douleurs, et chez un malade on a noté même une gêne de
la respiration, comme si la tête luxée eût empêché le jeu des côtes. Tou¬
tefois on pourrait se demander si, dans ce dernier cas, il n’y avait quel¬
que fracture de côtes pouvant expliquer plus naturellement la dyspnée en
question.
Nous aurions à parler du diagnostic, du pronostic et du traitement;^
mais, comme les deux premiers points ressortent suffisamment de l’étude
des symptômes et que nous aurons, du reste, à y revenir à propos du
diagnostic des luxations de l’épaule en général, nous passerons outre,
ainsi que sur le traitement, qui se confond avec celui des autres variétés.
II. IiUxa,tioji. sous-glénoïdîenne. — Signalée par J. L. Petit le
premier, la luxation sous-glénoïdienne a été le sujet de recherches ex¬
périmentales de la part de Malle (1838) et de Goyrand (d’Aix) (1847).
De notre côté, nous avons fait des expériences nouvelles qui nous ont
conduit à distinguer deux espèces bien distinctes de luxations sous-glénoï-
diennes, correspondant aux variétés sous-coracoïdienne et intra-coracoï-
dienne. Nous avons désigné sous les noms de scapulaire et costale ces
deux espèces de luxations qui, bien comprises, expliqueront l'erreur de
Malgaigne lorsque cet auteur avance « que la luxation sous-glénoïdienne
n’a pas de type constant, mais qu’elle offre autant de variétés qu’il y a
de cas. »
Données expérimentales, — Nous les étudierons successivement dans
Tune et l’autre de ces deux variétés.
Scapulaire. — Si, après avoir disséqué les muscles, les vaisseaux et les
nerfs, on élève' fortement le bras en même temps qu’on fixe l’omoplate,
la tête humérale vient se montrer à nu dans l’intervalle des muscles sous-
scapulaire et longue portion du triceps après avoir déchiré largement la
portion correspondante de la capsule.
Si en ce moment on abandonne le bras à son propre poids, la luxation
se réduit la plupart du temps, ainsi que l’a observé Goyrand (1847), tan-
vlis qu’on rend le déplacement permanent en imprimant au membre un
certain degré de torsion en dehors qui nous paraît jouer ici, comme dans
la médio-glénoidienne, un rôle important.
ÉPAULE (pathologie). — luxation soos-glénoïdienne. 465
Dans cette expérience, on trouve constamment le bord inférieur du
sous-scapulaire déchiré. Les portions restantes de ce muscle et de la cap¬
sule se trouvent fortement distendues et font obstacle à l’ascension de la
tête lorsqu’on essaye de rapprocher le hras du tronc. Malle, dans ses ex¬
périmentations sur le cadavre, est arrivé à constater aussi « que ce qui
fixe la luxation et l’empêche de se transformer en sous-coracoïdienne,
c’est la tension de la partie antérieure de la capsule; » à quoi nous ajou¬
terons le muscle sous-scapulaire, formant au-dessus de la tête une sangle
rigide.
Pour que la tête reste fixée dans cette position anormale, il faut donc :
1° Que la rupture ligamenteuse, tout en étant suffisante pour laisser pas¬
ser la tête en entier, se trouve limitée à la partie inférieure de la capsule
et du muscle sous-scapulaire ; 2° que le hras se trouve ramené dans la
rotation en dehors, position qui se combine ici avec une très-forte dé¬
viation du bras en dehors.
Dans cette variété, il n’est point nécessaire que la grosse tubérosité
ou les muscles qui s’y insèrent soient arrachés. La tête appuyée par
son col contre le rebord glénoïdien regarde en dedans et aussi en avant.
Les vaisseaux et les nerfs se trouvent situés au-devant et au-dessus de
la tête, qui reste distante de l’apophyse coracoïde de 1 à 3 centimètres,
soit à’m travers de doigt en moyenne.
Costale. — Pour transformer la variété précédente dans celle-ci, il
faut diviser la capsule en avant et déchirer largement le muscle sous-
scapulaire dont la portion restante, après avoir contourné la tête, se
place au-dessus et en arrière de celle-ci.
Dans cette variété (Gg. 77) ce n’est plus le col anatomique, mais bien
la grosse tubérosité qui appuie contre le rebord glénoïdien et la petite
surface triangulaire, dont se trouve creusée la côte de l’omoplate. La
tête tournée en dedans repose sur la troisième ou la quatrième côte et
répond le plus souvent au troisième espace intercostal. Les muscles tro-
chantériens sont constamment arrachés ou bien la grosse tubérosité
sur laquelle ils s’implantent est fracturée.
Comme précédemment, l’obstacle à l’ascension de la tête se trouve
représenté par la portion restée intacte de la capsule et du muscle sous-
scapulaire.
Le bras obliquement dirigé en bas et en dehors n’est plus aussi éloi¬
gné du tronc et offre souvent une légère rotation en dedans.
Le deltoïde, très-aplati, fait, comme on dit, planche, ce qui rend la
saillie de l’acromion extrêmement prononcée.
Le faisceau vasculo-nerveux placé au-dessus de la tête échappe à toute
compression. Enfin, un intervalle de 2 à 3 centimètres sépare la tête
de l’apophyse coracoïde, rarement plus.
Ces détails étant bien compris, nous allons voir combien l’anatomie
pathologique et la symptomatologie gagneront en clarté, contrairement
à Malgaigne, qui voulait que « rien n’est fixe dans la luxation sous-glénoï-
464 ÉPAULE (pathologie). -
dienne, sinon le niveau de la tê^o-
coracoïdienne.
■ mXATION SOÜS-GLÉKOÏnIE.^^■E.
la luxation sous-
Anatomie pathologique. — Pinel (pièce du musée Uupuytren) a disséqué
une vieille luxation dans laquelle la tête luxée est d’un 4emi-pouce infé¬
rieure au sommet du bec coracoïdien. Une petite facette articulaire se
trouve creusée aux dépens de la partie inférieure du rebord interne de la
cavité glénoïde. Enfin l’humérus fait presque un angle droit avec la côte
de l’omoplate. C’est là une luxation scapulaire.
Dans une luxation récente, disséquée le jour même de l’accident,
A. Coopéra trouva la tête humérale jetée sur le bord axillaire de l’omo¬
plate et contre les côtes correspondantes; son axe était à un pouce et
demi au-dessous de l’axe de la cavité glénoïde. » Or, en mesurant 4 1/2 à
5 centimètres pour la hauteur de la tète humérale, on voit que le som¬
met de celle-ci ou le trochiter devait correspondre immédiatement
sous la cavité glénoïde. « La capsule était déchirée sur toute la longueur
du côté interne de la cavité glénoïde, le tendon du sous-scapulaire aussi
largement déchiré. » Cette observation rentre dans la deuxième variété.
Chez une vieille femme de soixante ans, tombée d’un cinquième étage
et morte le lendemain, Sédillot trouva le bras dirigé presque horizontale-
EPAULE (pathologie). — luxation soos-glénoïdienne. 465
ment en dehors, la fête située à 13 millimètres au-dessous de la cavité
glénoïde, la coulisse bicipitale sur la même ligne verticale que le re¬
bord glénoïdien inférieur. La tête appuyait sur la partie antérieure de
la côte de l’omoplate; mais, en outre, elle s’était glissée entre le grand
dorsal et le grand rond qu’elle avait refoulés en avant, et la longue por¬
tion de triceps qu’elle rejetait en arrière ; c’est là encore une luxation
scapulaire.
Leroy présenta à la Société anatomique l’épaule d’un vieillard de
quatre-vingt-quatre ans tombé d’un deuxième étage et mort trois jours
après. A la dissection, on trouva en haut une déchirure capsulaire de
4 centimètres et l’arrachement des sus et sous-épineux. En bas, une au¬
tre déchirure de 6 centimètres et la rupture des fibres inférieures du
sous-scapulaire et du grand rond. La tête était située sur le bord axil¬
laire de l’omoplate à 2 1/2 centimètres de la coracoïde, la grosse tubé¬
rosité reposant sur le bord axillaire et le col de l’emoplate. Aussi la ro¬
tation en dehors était tellement considérable que l’épitrochlée regardait
en avant. La tête était coiffée par le sous-scapulaire refoulé en haut et
enroulé autour d’elle; et l’impossibilité de rapprocher le coude du tronc
était due à la tension des parties supérieure et antérieure de la capsule
restées intactes. » Impossible, je crois, de trouver une similitude plus
parfaite entre cette observation et la description que nous avons donnée
de la première variété de la luxation sous-glénoïdienne.
En somme, sur les quatre faits précédemment cités, il y a trois luxa¬
tions scapM/aires et une cosfflZe, ce qui semble indiquer que la première
est plus commune.
Fréquence. — Cette luxation est rare puisque, en compulsant tous les
faits publiés, Malgaigne n’a pu réunir plus de 12 cas.
Causes. — A part le cas de Desault, où il s’agit d’une chute sur l’é¬
paule, et qui pourrait tout aussi bien passer pour une fracture du col
chirurgical de l’humérus, invariablement, cette luxation s’est produite
le bras étant fortement écarté du tronc. Quant aux causes on a signalé
le plus souvent des chutes sur le coude. D’autres fois, c’est le bras qui
a été fortement relevé. Exemples : le fait du matelot cité par Guépratte,
celui du malade de Robert qui eut le bras entraîné par un mouvement
de tête du cheval dont il tenait la bride, enfin le cas d’une femme citée
par Goyrand qui, étant tombée à terre, fut relevé par un passant.
Symptômes. — Ce qui a frappé tous les observateurs, c’est une forte
abduction du bras qui peut aller jusqu’à l’angle droit et même davantage.
L’année dernière, j’ai eu à traiter une de ces luxations à l’hôpital Saint-
Louis : l’individu s’est présenté à moi avec la main appuyée sur le som¬
met de la tête, soutenant son bras avec la main du côté opposé. La
moindre tentative d’abaissement provoquait chez lui une vive douleur,
aussi, même étant couché, il appuyait le membre sur l’oreiller, derrière
sa tête.
Règle générale, le bras se trouve plus ou moins allongé. Dans quelques
cas cependant, on a noté un raccourcissement de 2 à 3 centimètres, dû
KODV. DICT. MÉD. El CHIE. XIII. — 30
466 ÉPAULE (pathologie). — luxation sus-glénoïdienne.
à la position plus interne de la tête qui chemine clans la profondeur du
creux costo-scapulaire.
La saillie de l’acromion et V aplatissement de l’épaule sont ici des plus
prononcés, bien que cela ne soit pas absolument constant.
La tête occupe généralement un niveau assez bas pour être à fleur de
peau, ou même pour faire une légère saillie dans l’aisselle. Tantôt elle est
à égale distance des deux parois (Guépratte); d’autres fois rejetée vers la
paroi postérieure (Robert) , les deux sujets de Goyrand et la vieille femme,
de Sédillot ; ailleurs, portée en avant et soulevant le bord inférieur du
grand pectoral, comme dans le cas de Malgaigne : en un mot, la tête n’a
pas, dans cette variété de luxation, une position identiquement la même,
et parfois elle manque aussi de fixité. Quatre fois on a noté les rapports
de la tête avec les côtes.
La rotation du membre varie aussi souvent que la position de la tête.
Dans certains cas, on a noté la rotation en dedans, et dans d’autres la
rotation en dehors.; enfin il se peut qu’il n’y ait ni l’une ni l’autre, le
membre se trouvant fixé en position moyenne.
Diagnostic. — A l’aide des signes que nous venons de passer en revue,
il sera toujours facile de poser le diagnostic. Nous' ajouterons seulement
que contrairement à la sous-coracoïdienne, avec laquelle on pourrait la
confondre parfois, il y a toujours un intervalle entre la tête et le bec co-
racoïdien, variant d’un travers de doigt à un pouce.
Pronostic. — Non réduite, cette luxation doit gêner considérablement
les mouvements et être promptement irréductible, à cause de l’éloigne¬
ment de la tête de sa cavité de réception. Heureusement que la réduction
en est généralement facile, et dans le cas qu’il nous a été donné d’ob¬
server, nous avons réussi du premier coup, sans même employer le
chloroforme, par la simple traction aidée de la propulsion directe de la
tête avec les pouces.
Nous renvoyons, pour le traitement, au paragraphe consacré au trai¬
tement des luxations de l’épaule en général.
liuxation sus-glénoïdîenne. — Bien que rare, cette luxation
l’est toutefois moins que ne le ferait supposer le cas unique cité par
Malgaigne dans son livre.
Ici, plus qu’ailleurs , l’ expérimentation seule pouvait nous rendre
compte d’un déplacement auquel beaucoup se sont refusés à croire, et
que d’autres ont confondu avec la variété extra-coracoïdienne.
Si Ton vient à imprimer à l’humérus une forte rotation en dehors,
pendant que le coude se trouve maintenu près du tronc, la tête humé¬
rale complètement tournée en avant, tend à échapper dans ce sens, et
il suffit alors d’une impulsion directe ou indirecte de l’humérus, de bas
en haut et d’arrière en avant, pour rompre la capsule et produire la
luxation en question.
En examinant ce qui s’est passé, on trouve (fig. 88) ; la capsule rom¬
pue en avant et eu haut-, de façon à laisser passer la tête en entier. Le
bord supérieur du sous-scapulaire rompu, pendant que les portions in-
ÉPAULE (pathologie). — luxation süs-glénoïdienne. 467
îérieures de ce muscle et de la capsule sont extrêmement tendues. Les
tendons des muscles grand pectoral, grand rond et grand dorsal enrou¬
lés autour du col chirurgi¬
cal de l’humérus. La tête
humérale remontée de
3 millimètres à 1 centimè¬
tre au plus, et appuyant
fortement contre l’apo¬
physe coracoïde placée à
son côté postérieur, deve¬
nu interne. Le sommet de
la grosse tubérosité placée
•encore sous la voûte, arc¬
honte contre la face infé¬
rieure du ligament coraco-
acromial, pendant que la
tête, complètement déga¬
gée, passe au-devant de ce
ligament qu’elle surmonte
■de 4 à 5 millmètres au
plus.
En résumé, dans cette
luxation, la tête, placée
dans une forte rotation en
dehors, ne peut être ra¬
menée dans la rotation en
dedans par suite de la
rencontre de celle-ci avec
l’apophyse coracoïde. En ï"*®- ***•
•outre, la tête, remontée
!F ochet: üLcL.rwit.
Tête de l’humérus. — C, Apophyse coracoïde.
D, Coraco-brachiale. — E, Grand pectorale. — F, Grand
rond et grand dorsal. — G, Tendon du hiceps. — K, Petit
au-dessus de son niveau pectoral. — H, Epitrochlée. — P, Deltoïde renversé,
normal, demeure fixée
dans cette position par le fait de la tension de la portion restante de la
capsule et du muscle sous-scapulaire, à quoi il faut ajouter les muscles
fortement enroulés autour du col chirurgical (portion antérieure du del¬
toïde, grand pectoral, grand rond et grand dorsal).
On pourrait croire, au premier abord, que le tendon de la longue por¬
tion du biceps oppose une résistance invincible à la tête, et qu’il devrait
au moins se rompre pour permettre à celle-ci de remonter au-dessus
de son niveau normal. L’expérimentation nous apprend qu’il n’en est
rien, et qu’à mesure que la tête se dégage de dessous la voûte, grâce au
mouvement de rotation déjà décrit, l’anse formée par le tendon du bi¬
ceps glisse d’avant en arrière et abandonne la convexité de la tête pour
venir se placer dans la rainure intermédiaire à celle-ci et à la grosse
tubérosité de l’humérus.
Il se pourra sans doute que, dans des autopsies à venir, on trouve le ten-
468 ÉF'AULE (pathologie). — luxation süs-glékoïdiense.
don rompu; seulement, ce que nous voulons établir ici, c’est que la luxa¬
tion sus-coracoïdienne n’a pas besoin, pour s’effectuer, de la rupture du
tendon bicipital.
Symptômes. — Dans cette variété de luxation, telle que nous l’avons
obtenue expérimentalement, l’épitrochlée regarde tout à fait en avant.
La saillie de l’acromion et l’enfoncement sous-acromial sont peu appa¬
rents, et seulement en arrière. Par contre la tête fait une très-forte
saillie en avant, au haut de la région deltoïdienne, et se trouve en rap¬
port, en dedans, avec la coracoïde, en dehors, avec la pointe de l’acro¬
mion, enfin, en haut, avec la clavicule qui est sur le même niveau et én
arrière. Le bras se présente pendant, avec le coude rapproché du tronc
et légèrement porté en arrière;
Jusqu’ici, nous sommes très-pauvres en observations cliniques.
Ainsi que nous l’avons dit en commençant, Malgaigne, dans son Traité,
ne cite qu’une observation unique qui lui est propre, déclarant n’en
connaître pas d’autres. Pourtant, dès 1834, S. Laugier publiait une obser¬
vation des plus complètes, sous la dénomination de luxation incomplète
en avant et en haut. Si Malgaigne n’en a pas saisi le vrai sens, c’est qu’il
ignorait complètement les conditions anatomiques qui favorisent cette
luxation. C’est aussi pour n’avoir pas cherché à démontrer expérimenta¬
lement le mécanisme de cette luxation que notre savant maître le profes¬
seur Laugier a vu son observation rester jusqu’ici incomprise par tous
ceux qui se sont occupés de luxations scapulo-humérales.
Voici, du reste, cette intéressante observation :
Un garçon de 16 ans, ayant le bras gauche étendu et fixé sur une machine, avec le
corps incliné sur le bras, et les pieds éloignés du point d’appui, éprouve subitement une vio¬
lente torsion du tronc, d'avant en arrière, et de gauche à droite. Le bras étant touj ours écarté
attendu, le poids du corps porta naturellement sur la tête de l’humérus, qui, dans cette
position, répondait à la partie supérieure antérieure de la cavité glénoïde et de la capsule
articulaire. Cette tête se déplaça donc en déchirant le ligament capsulaire pour venir se
placer derrière (lisez dehors) le bec coracoïde. Le malade ne fit d’ailleurs aucune chute.
(Laugier, 1834.)
Laugier crut tout d’abord à une simple entorse ; mais lorsque, vers le
douzième jour, le gonflement diminua, il put constater les signes sui¬
vants :
« Raccourcissement du bras d’environ quatre à cinq lignes ; la tête de
l’os est appliquée contre l’apophyse coraco'ide en dehors et un peu [en
arrière ; distance de trois à quatre lignes entre cette tête et Tacromion ;
rotation en dehors de l’humérus, prouvée par la saillie de la tubérosité
interne (petite), au côté externe du moignon de l’épaule et par la position
du condyle interne sur un plan antérieur au condyle externe. » Plus loin
l’auteur ajoute : « Dans cette luxation, la tête n’a fait que tourner sur
elle-même de dedans en dehors en se portant un peu en haut et en avant,
et elle repose encore sur le rebord de l’omoplate. » Ailleurs encore, en
parlant de la rotation en dehors, ce chirurgien dit : « Cette|rotation est
la circonstance qui explique le mieux la persistance du déplacement, et
ÉPAULE (pathologie). - luxation SUS-GLÉKOioIEKHE. 469
c’est par elle qu’il est facile de reconnaître la possibilité du déplacement
en haut que j’ai indiqué et que j’avais rapproché de l’observation d’A.
Cooper. On peut, si l’on veut, voir quelques différences entre ces deux
observations ; rapprocher celle d’A. Cooper des luxations sous-coracoï-
diennes ; mais, dans ce cas, il faudrait admettre avec toute la bonne foi
que je me plais à reconnaître dans les adversaires de mon opinion, que
le déplacement indiqué n’avait été décrit par personne. »
Nous avouons que, lorsque nous avons entrepris des recherches expé¬
rimentales sur cette luxation , cette observation nous était inconnue et qu’en
la lisant, nous avons été frappé de sa ressemblance parfaite avec ce que '
nous avons constaté nous-mêmes sur le cadavre. Si, comme nous l’avons
déjà dit, l’on n’en a pas saisi l’importance, c’est que l’auteur a eu le
tort de présenter ce cas comme étant presque le pendant de l’observa¬
tion d’A. Cooper, qui, bien certainement, rentre dans la variété sous-
coracoïdiennc incomplète de Malgaigne (notre extra-coracoïdienne) au¬
tant qu’on peut au moins le juger par la description très -embrouillée
qu’en donne A. Cooper.
Voici maintenant l’observation de Malgaigne :
Un homme de 68 ans, lancé du haut d’une voiture à une grande distance, fît une chute
sur le moignon de l’épaule, lehias serré contre le tronc. La luxation resta non réduite, et
le malade se présente ‘a Malgaigne deux mois et demi après l’accident. Ce chirurgien con¬
state; saillie de la tête en avant et en haut par-dessus le ligament coraco-acromial,
celle-ci répond en dehors au bord interne de l’acromion, recouvre en dedans l’apophyse
coracoïde, confîne en haut à la face inférieure de la clavicule, et soulève tellement le del¬
toïde, qu’une épingle, enfoncée sur la partie la plus saillante, ne donna pour les chairs
que 8 millimètres d’épaisseur. Le bras n’offrait pas plus d’un demi-centimètre de raccour¬
cissement. (Malgaigne.)
De la rotation du membre, Malgaigne n’en dit mot, ce qui prouve que
cet auteur n’avait aucune connaissance exacte du mécanisme de cette
luxation ; la rotation en dehors est, nous l’avons déjà dit, une condition
indispensable de sa production.
Le professeur Denonvilliers nous a dit avoir observé et réduit l’année
dernière à la Charité une luxation en haut. En voici les principaux dé¬
tails :
Un homme adulte se présente à la consultation de la Charité à la suite d’une chute qu’il
fit sur le bras, dans des circonstances qu’il ne peut préciser. A l’inspection du membre, on
trouve celui-ci pendant et rapproché du tronc, avec une forte rotation en dehors. Il y avait
■ecchymose, douleur, impossibilité des mouvements spontanés, mais ce qui frappe surtout,
c’est une forte saillie de la tête en avant et en haut, placée entre l’acromion et la cora¬
coïde, au-devant de la clavicule. C’est à peine si le bras était raccourci. Une traction
oblique, combinée à un léger mouvement de bascule, ont suffît pour en obtenir la ré¬
duction. (Denonvilliers.)
Traitement. — Ni Laugier dans sa luxation de douze jours, ni Mal¬
gaigne dans la sienne de deux mois et demi ne sont parvenus à réduire,
faute sans doute de données anatomo-pathologiques suffisantes.
Privés jusqu’ici d’expérience clinique au sujet de cette luxation, nous
470 ÉPAULE (pathologie). - LUXATION SODS-ACnOMIALE.
nous bornerons à dire que dans la luxation produite expérimentalement^
le meilleur moyen pour réduire consiste à écarter le coude du tronc jus¬
qu’à ce que la tête suffisamment abaissée puisse passer sous la coracoïde^
qui constitue, nous l’avons dit, l’obstacle principal à la réduction. En
même temps qu’on élève, il faut imprimer à l’humérus une rotation de
plus en plus prononcée en dedans, et la tête rentre invariablement.
Sans doute, sur le vivant, la résistance musculaire opposera un obsta¬
cle de plus, mais ici comme partout ailleurs on en viendra à bout, soit
en fatiguant l’action des muscles par des tractions préalables, soit en em¬
ployant le chloroforme. '
Luxation en .arrière. — Les luxations en arrière sont infiniment plus
rares que celles en avant, et n’offrent que deux variétés principales : la^
sous-acromiale et la sous-épineuse.
1° Sous-acromiale. — Bien plus commune que la sous-épineuse, c’est
à elle qu’il faut rapporter la presque totalité des observations publiées
sous le titre de luxations de l’humérus en arrière, ou en dehors et en
arrière.
Malgaigne fait remonter en 1804 la première observation bien prise
de cette variété de luxation. Les cas s’étant multipliés, par la suite,
Malgaigne a pu en recueillir 34 comprenant une période de 50 ans^
Depuis 1855, époque de la publication de l’ouvrage de Malgaigne, une
dizaine de nouveaux faits sont venus s’ajouter, ce qui porte le chiffre de&
observations à plus de 40. Nous croyons toutefois que ce nombre est en¬
core au-dessous de la réalité et cela pour deux raisons.
En premier lieu et par-dessus tout, cette luxation sous-acromiale impar¬
faitement connue et mal décrite par les auteurs a dû passer inaperçue ou
être confondue avec une simple entorse ou une fracture péri-articulaire,
comme nous en citerons des exemples.
En second lieu, tous les faits bien observés n’ont pas été publiés ; ce
dont nous nous sommes assurés en nous adressant à l’expérience de nos
collègues dans les hôpitaux, plusieurs d’entre eux, nos anciens maîtres.
Sachant bien que notre savant maître, le professeur Nélaton, s’était
livré à une étude approfondie de cette luxation, nous nous sommes adressés
à ses lumières, et non-seulement il nous a fourni des renseignements
précieux, mais il a bien voulu mettre à notre disposition des dessins re¬
présentant le résultat des expériences cadavériques qu’il avait entreprises
sur cet intéressant sujet. De notre côté, nous n’avons pas manqué de faire,,
pour cette luxation comme pour les autres, des recherches nouvelles cal¬
quées pour la plupart sur celles de notre maître, et de l’ensemble de ces
études il est résulté pour nous une connaissance plus approfondie du
sujet.
Données anatomiques et expérimentales. — L’extrémité supérieure de
1 humérus, tête et tubérosités réunies, forment une sphère irrégulière
dont le diamètre transversal ou acromial, est de 47 millimètres, tandis
que le diamètre antéro-postérieur ne mesure que 40 millimètres. Il ré¬
sulte de là, que lorsque par suite d’une forte rotation en dedans on ra-
ÉPADLE (pathologie). — ldx.4tios socs-acrohiale. 471
mène la grosse tubérosité en avant, le moignon de l’épaule s’aplatit très-
légèrement et ce changement n’a rien que de physiologique ainsi qu’bn
peut s’en convaincre en faisant une coupe horizontale de la région sur un
sujet préalablement congelé.
Sur une pareille coupe, on constate, en outre, que la tête dépasse en
avant le rebord glénoïdien, tandis qu’en arrière celle-ci arrive au ras de
la lèvre glénoïdienne postérieure débordée elle-même par les 2 ou 3 cen¬
timètres de saillie de l’acromion.
Le deltoïde peu épais en avant où il mesure 1 demi-centimètre seule¬
ment, offre en arrière une épaisseur de 2 centimètres, ce qui ajouté
à 1 centimètre d’épaisseur des muscles sous épineux et petit rond donne
en tout 3 centimètres pour la masse charnue de la partie postérieure
de l’épaule.
Ces détails d’anatomie étant bien compris, on conçoit que la tête en se
portant en arrière peut abandonner complètement sa cavité de réception,
sans déterminer de ce côté d’autre saillie que celle résultant du refoule¬
ment des parties molles. La tête humérale ayant en effet 4 centi¬
mètres de diamètre dans le sens antéro-postérieur, l’acromion avec ses
3 centimètres de saillie recouvre celle-ci presque en entier. Que si un
gonflement avec ecchymose envahit l’épaule et lui donne plus de rondeur,
on concevra sans peine les erreurs souvent commises en pareils cas. Des
chirurgiens expérimentés, mais ne connaissant de cette luxation que ce
qu’ils ont lu dans les livres classiques, se sont figurés avoir affaire
à une simple entorse ou à une arthrite, par cela seul, qu ils ne ren¬
contraient pas sous l’acromion la forte saillie de la tête à laquelle ils
s’attendaient.
De même que dans certaines luxations en avant, la rotation en dehors
est un élément indispensable de leur production, de même ici, une forte
rotation en dedans rend seule la luxation en arrière possible.
Nous ferons remarquer à ce sujet, que le degré de rotation nécessaire
à la production de la luxation en arrière, ne dépasse guère les limites
physiologiques. La grosse tubérosité peut être ramenée de la sorte tout à
fait en avant sans la moindre déchirure ligamenteuse, et une fois la tête
humérale dans cette position, il suffit de pousser l’os violemment en ar¬
rière pour rompre la capsule et produire une luxation sous-acromiale
avec les caractères que voici :
La tête placée directement sous l’acromion, regarde en arrière et en
dedans, appuyée et comme accrochée qu’elle est par son col anatomique,
contre le rebord glénoïdien postérieur. La petite tubérosité devenue in¬
terne, touche le fond de la cavité glénoïde, pendant que le tendon du
sous-scapulaire qui s’y insère, se réfléchit et s’applique contre la cavité
glénoïde. Malgaigne, dans ses expériences sur le cadavre, a trouvé le
tendon de ce muscle décollé. Les tendons des muscles sus-épineux, sous-
épineux et petit rond, fortement tendus, s’enroulent autour de la tête pour
suivre le mouvement de translation de la grosse tubérosité devenue anté¬
rieure, pendant que le tendon de la longue portion du biceps glisse
472 ÉPAULE (pathologie). — luxation sods-acrohiale.
d’arrière en avant sur le sommet de la tête et vient se loger dans la rai¬
nure de séparation de celle-ci d’avec la grosse tubérosité.
Dans la luxation ainsi produite (fig. 89), le bras reste pendant et rap¬
proché du tronc, avec le
coude légèrement porté en
avant. Tout mouvement
de rotation de l’humérus
en dehors, rend l’engre-
' nage des os plus intime,
et c’est ainsi que doivent
agir sur le vivant les fi¬
bres postérieures du del-
toïde et les trois muscles
^ qui s’insèrent à la grosse
tubérosité.
La tête, légèrement sail-
^ lante en arrière, corres¬
pond , par son milieu, à
l’angle postérieur de l’a-
cromion. Parfois, elle est
un peu plus en dedans,
mais toujours à distance
de l’épine de l’omoplate
et de la fosse sous-épi¬
neuse.
C’est faute d’avoir fait
attention à ces rapports,
que des auteurs recom¬
mandables ont appelé lu¬
xations dans la fosse sous-
épineuse , des luxations
de Vhumé type.
rus. — F, Grand rond et grand dorsal. — H, Epitrochlée. Anütomie pathologique.
— L, longue portion du triceps. — N, Angle postérieur — Les dissections sont
““ P” c»"-
per a ete a meme d exa¬
miner une de 7 ans produite dans un accès d’épilepsie ; le tendon du
sôus-scapulaire était rompu à son insertion, la tête recouverte par le sous-
épineux et le petit rond, reposait sur le bord glénoïdien qu’elle avait
sensiblement déprimé.
Laugier sur une luxation récente a trouvé le sous-scapulaire et le sous-
épineux rompus ; et la tête, passée entre le sous-épineux et le petit rond,
était à nu sous le deltoïde.
Bouisson a décrit sous le nom de luxation par renversement., une pièce
anatomique dans laquelle il y avait un tel degré de rotation en dedans,
que la tête regardait en dehors.
ÉPAULE (pathologie). — loxatio-'i sous-acromiale. 473
. Malgaigne a vu la grosse tubérosité arrachée et entraînée par les tendons
des sus et sous-épineux. La tête avait passé entre ce dernier muscle et le
petit rond jusque sous le deltoïde, elle se trouvait juste au-dessous de
l’angle postérieur de l’acromion, reposant d’ailleurs sur le rebord glé-
noïdien postérieur.
Fréquence. — Non-seulement cette luxation est rare, mais elle se
montre rarement chez la femme; dans le 1/6 des cas seulement.
Causes. — Un fait remarquable, c’est que les luxations par action
musculaire représentent le chiffre élevé de 8/29, c’est-à-dire plus du
quart. Malgaigne à qui nous empruntons cette proportion, pense que
c’est par une violente torsion de l’humérus en dedans, que l’on peut se
rendre compte de l’action musculaire en pareil cas. Ce mécanisme est des
plus évidents dans un cas de Piel (Strasbourg, 1851), concernant une
femme à qui son mari avait tordu le bras dans une altercation.
Les chutes, le bras étant plus ou moins rapproché du tronc, ont été
souvent notées. Tantôt et le plus habituellement, le choc a porté sur
l’épaule, plus rarement sur le coude, et tout à fait exceptionnellement sur
la main.
Enfin on a à noter la traction combinée à un mouvement de torsion
ou de circumduction du bras. Nous citerons le cas d’un homme qui, con¬
duisant un veau par une corde, fut renversé par l’animal. Celui d’un
charretier cité par A. Després, qui ayant le bras gauche engagé dans le
lourd collier de son cheval, fut relevé brusquement par un mouvement
de tête de l’animal. Au dire du malade, le bras s’est trouvé porté forte¬
ment en dedans, . devant la poitrine.
Benj. Anger, dans ses expériences cadavériques, a produit cette luxa¬
tion en imprimant à l’humérus un mouvement de fronde combiné à une
rotation en dedans, et Demarquay, en imprimant au membre une violente
rotation en dedans. De tout cela nous pouvons conclure d’accord avec nos
propres expériences, que c’est en somme à unte forte rotation en dedans
qu’il faut accorder le principal rôle dans la production de la luxation en
arrière.
Symptômes. — Disparition de la saillie normale de la tête en avant.
Le doigt porté profondément sent un vide entre l’acromion et la co¬
racoïde, et perçoit parfaitement la saillie de cette dernière apophyse
qui semble isolée de toute part; en dehors, léger aplatissement de
l’épaule, mais c’est surtout en arrière qu’il faut porter toute son at¬
tention.
Juste sous l’angle postérieur de l’acromion, l’on voit parfois, et dans
tous les cas l’on sent la tête devenue superficielle, rouler chaque fois
qu’on imprime des mouvements au bras.
Le membre pendant le long du tronc est dans une forte rotation en
dedans, et ne peut être ramené dans la rotation en dehors. Le coude se
porte parfois en avant ou s’écarte du tronc de quelques travers de doigts,
«t l’épitrochlée regarde en arrière.
La mensuration a donné des résultats variables, mais qui se réduisent
474 ÉPAULE (pathologie). — luîcatioh sods-épikedse.
à ceci : peu ou pas d’allongement apparent, parfois même on a noté un
certain degré de raccourcissement. Les mouvements sont très-gênés dans
ce genre de luxation, surtout ceux qui nécessitent un certain degré de
rotation en dehors.
Abandonnée à elle-même, cette luxation devient une grave infirmité,,
ainsi que Sédillot en rapporte un exemple où il a été assez heureux toute¬
fois pour en obtenir la réduction au bout d’un an et 45 jours.
Diagnostic. — Nous avons dit que bien des erreurs ont été commises
au sujet de cette luxation, et nous en avons donné la raison. C’est avec
une simple entorse ou une arthrite qu’on a confondu le plus souvent la
luxation, et il y a peu de temps encore que Nélaton nous citait trois mé¬
prises de ce genre faites par des chirurgiens de mérite. La réduction a
pu heureusement être obtenue dans ces cas, malgré que l’accident re¬
montât à une époque qui a varié de un à trois mois. Armés des signes
précédemment indiqués, il suffit d’être averti de la possibilité d’une sem¬
blable erreur pour l’éviter sûrement.
Pronostic. — Comme la luxation a pu être réduite au bout de plusieurs
mois et même d’une année (cas de Sédillot déjà cité), il faut généralement
porter un pronostic favorable, surtout si l’on est appelé dans les premiers
jours.
Traitement. — Renvoyant au traitement des luxations de l’épaule en
général , il suffit de dire que ce qui a le plus souvent réussi, c’est la
pression directe de la tête d’arrière en avant, combinée ou non avec
l’extension préalable du bras. C’est ainsi que Malgaigne a procédé, et que
Nélaton a réussi dans les cas auxquels nous avons fait allusion précédem¬
ment. C’est à cela que conduit aussi l’expérimentation directe sur le
cadavre.
2“ Sous-épineuse. — Tout aussi mal comprise, et bién plus rare que
la précédente, la luxation sous-épineuse s’accompagne presque tou¬
jours de fractures multiples de l’omoplate et même des côtes. C’est ainsi
que les choses se sont passées dans une observation citée par Malgaigne,
et dans une autre de Denonvilliers. Cette dernière pièce se trouve au
musée Dupuytren (n® 751 Us). Il n’en est pourtant pas toujours ainsi, et,
par exemple, dans une observation de Desclaux , la luxation existait sans
fracture apparente. L’expérimentation démontre, d’ailleurs, que la frac¬
ture de l’omoplate n’est pas nécessaire et devra être envisagée dès lors
comme une complication fréquente, mais non indispensable de la luxa¬
tion.
Données expérimentales . — Pour transformer la variété précédente
dans celle-ci, il suffît de déchirer la capsule dans une plus grande
étendue, surtout en haut, et de rompre largement le muscle sous-épi¬
neux. Le tendon de la longue portion du biceps, qui se réfugie en avant,
entre la tête et la grosse tubérosité, est souvent arraché. Le sous-épineux
se trouve souvent entamé, ainsi que le sous-scapulaire.
La tête, qui regarde en arrière et plus en dedans, appuie fortement:
sous la racine de l’acromion. L’angle postérieur de l’acromion, qui.
ÉPAULE (pathologie). — luxations : complications. 475
précédemment, partageait la tête en deux, se trouve maintenant corres¬
pondre en dehors de celle-ci.
Le bras, toujours dans la rotation en dedans, l’est toutefois moins que
dans la variété acromiale; ce qui frappe du premier coup dans cette variété,
c’est l’écartement considérable du coude du tronc, contrairement à la luxa¬
tion sous-acromiale, où nous avons vu le coude presque collé au tronc.
Ajoutons que le moignon de l’épaule apparaît ici très-fortement aplati, et
qu’il y a une forte dépression sous-acromiale avec saillie de l’acromion.
11 va sans dire que l’apophyse coracoïde se laisse toucher de tout côté avec
plus de facilité encore que précédemment.
Symptômes. — Ce sont précisément ceux que nous enseigne l’expéri¬
mentation directe. C’est ainsi que Malgaigne a noté la rotation en dedans,
et que Desclaux parle de l’élévation du bras à angle presque droit ; il ajoute
même que le malade tenait la main appliquée sur le sommet de la tête. Il
va sans dire que lorsqu’il y a complication de fracture , la tuméfaction et
l’ecchymose occupent une plus grande étendue, et que l’on peut percevoir
alors de la crépitation ou, pour le moins, une déformation avec ou sans
mobilité anormale dans la continuité du scapulum ou des côtes corres¬
pondantes.
Dans la pièce de Malgaigne , aussi bien que dans celle de Denonvilliers,
la fosse sous-épineuse et l’extrémité interne de l’épine du scapulum,
étaient le siège de fractures.
Causes. — Nous savons fort peu de chose relativement aux causes de
cette luxation; tout ce qu’on peut dire, c’est que les violences directes
paraissent en être l’agent habituel : preuve, les deux observations de
Malgaigne et de Denonvilliers , où il s'agissait d’une roue de voiture
passant sur l’épaule ; preuve encore, les fractures multiples du scapulum
Diagnostic. — La tête faisant une forte saillie en arrière, la méprise
paraît impossible, et ce à quoi il faut faire surtout attention, c’est le
rapport de la tête avec l’angle postérieur de l’acromion, pour ne pas
confondre cette variété avec la sous-acromiale, et vice versa.
Pronostic. — La plus grande gravité de cette variété se tire d’une
déchirure nécessairement plus étendue de la capsule et des muscles, et
surtout des fractures concomitantes.
Traitement. — La traction, suivant la direction nouvelle du membre
luxé, a suffi jusqu’ici pour obtenir la réduction.
CoMPLicATioMS DES LUXATIONS DE l’épaüle. — 1° Fvactures. — Il y en a de
deux ordres : les unes, habituellement liées à la luxation, s’observent
souvent; les autres sont, au contraire, accidentelles et, par cela même,
plus rares.
Parmi les premières nous aurons à signaler la fracture ou l’arrachement
de la grosse tubérosité, qui est très-commune.
Tantôt, et le plus souvent, il s’agit d’un simple écornement de cette
apophyse ; d’autres fois la grosse tubérosité est arrachée par sa base. Plus
la tête se porte loin de sa cavité de réception, et plus l’arrachement en
question est commun. Aussi est-ce dans les luxations intra-coracoïdienne,
■476 ÉPAULE (pathologie). — luxations : complications.
sous-claviculaire, sous-glénoïdienne et sous-épineuse, qu’on rencontre le
plus habituellement cette complication.
Le diagnostic n’en est pas toujours facile, surtout lorsqu’il y a du
gonflement, et que le fragment détaché est très-petit. Dans le cas contraire,
une crépitation perçue surtout alors que le bras est relevé en dehors,
c’est-à-dire quand la tête vient au contact du fragment trochantérien
attiré en haut par les muscles qui s’y insèrent, mettra sur la voie du
diagnostic.
A. Coopéra avancé, sans trop de preuves, que l’arrachement du trochiter
rend la réduction plus facile, et en même temps la contention de la
luxation plus difficile. Ce qui paraît plus démontré, c’est què cette
complication ne semble pas gêner ultérieurement les fonctions du mem¬
bre, et n’entraîne, conséquemment, aucune indication spéciale pour le
traitement, si ce n’est qu’il faut s’attendre à un certain degré de roideur
en plus.
h’ écrasement de la tête s’observe rarement, et survient surtout lorsque
la luxation reconnaît une violence directe.
Une autre fracture, encore rare, c’est celle du col anatomique. La tête,
complètement isolée et chassée dans l’aisselle, plus rarement sous l’acro-
mion, à l’instar d’un noyau de prune qu’on presse entre deux doigts,
continue, chose curieuse, à vivre, et finit, le plus souvent, par contracter
des adhérences avec les parties molles voisines. Dans certains cas, tou¬
tefois, il se fait des abcès, une arthrite violente se déclare, et, si le
malade ne succombe pas , on peut voir la tête nécrosée, s’éliminer au
dehors, sous forme de séquestre.
Cette lésion reconnue, il faut tenter la réduction à l’aide d’une pres¬
sion directe, en s’aidant au besoin pour cela du chloroforme. Si l’on
échoue de la sorte, il faut s’attacher à combattre par l’immobilité, les
ventouses, les cataplasmes émollients, les injections sous-cutanées de
substances narcotiques, etc., l’arthrite violente et parfois suppurative qui
menace le malade.
Ce qui fait la gravité de cette complication, ce n’est pas autant la sépa¬
ration de la tête humérale, mais bien le degré de violence que cette frac¬
ture exige pour se produire ; de là, l’arthrite grave.
L’extraction de la tête, conseillée par Delpech, mérite d’être con¬
damnée, et l’on ne doit y songer que s’il s’agit d’un séquestre avec abcès.
Vécornemeni d’une des lèvres de la cavité glénoïde, ou la fracture du
col de l’omoplate, sont des lésions tout aussi rares et d’un diagnostic fort
difficile. La plupart du temps on ne peut que soupçonner cette lésion à
la crépitation et à la difficulté de maintenir la réduction. Le diagnostic
se réduit, le plus souvent, à de simples probabilités.
Nous ne ferons, enfin, que mentionner V arrachement de l'apophyse
coracoïde, la fracture de la clavicule, des côtes et de l’omoplate, dont
l’existence est purement accidentelle. Nous en dirons autant de la frac¬
ture du col chirurgical, qui a été suffisamment décrite à l’article Bras de
ce dictionnaire.
ÉPAULE (pathologie). — loxatioks. 4.77
2“ Lésion des vaisseaux. — Il n’est question ici que des lésions primi¬
tives, survenues avant toute tentative de réduction. Le seul exemple
connu jusqu’ici est celui de A. Bérard, cité par Nélaton dans sa patho¬
logie. Il s’agissait, dans ce cas, d’une compression de l’axillaire, caracté¬
risée par la cessation du pouls radial et suivie bientôt de gangrène et de
la mort de l’individu.
3“ Nerfs. — Nous ne parlons encore ici que de la lésion qui serait
indépendante de tout effort de réduction.
Une seule fois le nerf circonflexe a été trouvé rompu, à l’autopsie , par
Hilton. Mais il y a des cas nombreux de paralysies, dont la cause semble
avoir échappé jusqu’ici. Nous nous réservons d’en parler à propos des
paralysies qui succèdent aux tentatives de réduction.
4“ Rupture des téguments. — On connaît cinq cas, où la tête était sortie
au travers des téguments, ce sont ceux de Hey, Dixon, Scott, Morel-
Lavallée et Gorré. Sauf le cas de Morel-Lavallée, où la tête s’était portée
en arrière, les quatre autres se rapportent tous à la luxation sous-glénoï-
dienne.
Des cinq individus, deux ayant succombé avant l’arrivée du chirur¬
gien, on n’a rien tenté. (Hey et Morel-Lavallée.)
Gorré a pratiqué la résection et perdit son malade de délire, le sixième
jour. — Dixon et Scott firent au contraire la réduction et guérirent leurs
malades, mais après bien des accidents suppuratifs, il est vrai. La guérison
n’était accomplie qu’au bout d’un an pour le malade de Dixon et au bout
de trois mois et demi pour celui de Scott.
5“ Blessure du thorax. — Il existe une pièce unique, que Larrey a pu
examiner au cabinet de Prochaska et qui représente la tête humérale
enfoncée dans la poitrine jusque sous la plèvre refoulée par elle. La
tête avait fracturé la troisième côte, en passant entre celle-ci et la
seconde.
L’accident dû à une chute sur le coude écarté du tronc, était arrivé
dans la jeunesse de l’individu qui n’est mort qu’à quarante ans. Pendant
sa vie il pouvait encore gagner son pain en fendant du bois. A l’autopsie,
Prochaska trouva la tête de l’humérus dans la cavité pectorale, nue,
molle, cédant à la moindre pression, et n’offrant presque plus qu’une
mince coque d’enveloppe.
Diagnostic des luxations de l’épaule, en général. — Ce dont nous de¬
vons nous occuper ici, c’est surtout du mode de mensuration du membre,
ainsi que du diagnostic différentiel des luxations avec les autres lésions
de l’épaule qui peuvent les simuler.
1° Mode de mensuration. — Malgaigne étant celui qui s’en est le plus
occupé, je rapporterai ici ses propres paroles.
« Le sujet vu par derrière, on prend soin de lui tenir les coudes, éga¬
lement écartés du corps, en en rapprochant le bras luxé le plus possible ;
les deux acromions à la même hauteur ; l’angle inférieur et te bord spinal
de chaque omoplate également éloignés du rachis. On cherche alors l’angle
postérieur de l’acromion, sous lequel on assure le ruban avec l’ongle, et
478 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
on le conduit soit au-dessus de l’épicondyle , soit au-dessous de l’épitro¬
chlée, où on l’arrête pareillement avec l’ongle. »
Malgré toutes ces précautions, les résultats fournis par la mensuration
ne sont, de l’avis même, de Malgaigne, qu’approximatifs, à tel point,
qu’un allongement ou un raccourcissement de moins de 1 centimètre
reste toujours douteux.
Ce qui fait qu’on ne peut pas se rapprocher d’une mensuration plus
exacte, c’est que, contrairement à l’état normal, le ruban n’est plus paral¬
lèle à l’axe de l’humérus, mais fait avec cet axe un angle d’autant plus
ouvert que la tête s’éloigne davantage de la cavité glénoïde.
A mesure donc que la tête se porte en dedans pour se rapprocher de
la ligne médiane, ou qu’elle se dirige plus en avant ou plus en arrière, la
ligne se trouvera raccourcie d’autant. De là, la nécessité de faire une
contre-mensuration du côté où se porte la tête.
Pour prendre un exemple, dans la luxation sous-coracoïdienne, la men¬
suration de la paroi antérieure de l’aisselle, faite en tendant un ruban du
bord inférieur de la clavicule au bord antérieur du creux axillaire, indi¬
que un allongement qui dépasse quelquefois du double celui fourni par
le mode de mensuration précédemment indiqué.
Si l’on voulait formuler d’une façon générale ce qui a trait aux varia¬
tions de longueur du bras dans les luxations, on pourrait dire que cette
longueur augmente ou diminue suivant que la tête s’abaisse ou s’élève, et
aussi, suivant qu'on pratique la mensuration dans le sens de la luxation,
ou, dans le sens opposé.
C’est pour n’avoir pas tenu suffisamment compte de ce dernier élément
qu’il connaissait pourtant, que Malgaigne fit de l’abaissement de la tête
le synonyme d’allongement du bras, et qu’il soutint que dans toutes les
luxations de l’épaule, la tête humérale se trouvant plus basse, l’allonge¬
ment était chose forcée. L’observation clinique a énergiquement protesté
déjà contre cette manière de voir par trop absolue, fondée sur des consi¬
dérations d’anatomie pure, et les détails cliniques, dans lesquels nous
sommes entrés précédemment, expliquent la cause d’erreur.
Le procédé de mensuration que nous venons de décrire est le même
pour toutes les variétés. Seule la luxation sous-acromiale offre une petite
modification consistant à faire partir le ruban d’un autre point que de
l’angle postérieur de l’acromion, masqué qu’il est ici par la saillie de
la tête. Malgaigne conseille le bord inférieur de l’épine de l’omoplate, et
l’on pourrait tout aussi bien prendre le sommet de l’acromion pour s’ar¬
rêter au sommet de l’olécrâne qui se trouve alors sur la même ligne ver¬
ticale.
'2“ Subluxations pathologiques. — Il y en a de plusieurs espèces.
• Par paralysie. — La paralysie isolée du deltoïde sera étudiée à part
et ne produit du reste qu’un simple écartement des surfaces articulaires ;
c’est donc, à la paralysie complète de tous les muscles de l’épaule que
s’adresse ce qui va suivre.
Le déplacement consiste assez souvent dans une luxation sous-coracoï-
ÉPAULE (pathologie). — luxations. 479
dienne au premier degré (notre extra-coracoïdienne). A part les signes
propres à cette luxation, lorsqu’elle est traumatique, s’ajoutent : l’atro¬
phie des muscles du bras, l’affaissement du deltoïde, qui fait que
l’acromion semble vouloir percer la peau ; l’inertie du bras qu’on peut
faire ballotter en tout sens comme un battant de cloche. Généralement
l’avant-bras et la main conservent leur force, et comme la paralysie, ha¬
bituellement double, remonte aux premiers temps de la vie, il n’est pas
rare de rencontrer l’humérus , l’omoplate et la clavicule amincis, avec
leurs saillies très-apparentes sous la peau. Ce genre de luxation se réduit
et se reproduit avec la plus grande facilité.
Malgaigne cite deux cas de paralysies incomplètes où les malades pou¬
vaient se luxer l’humérus volontairement dans certains mouvements.
Dans ces deux cas, le déplacement se faisait en arrière^ et c’est aussi en
arrière que se portait la tête de l’humérus chez un vieillard épileptique
qui s’est offert à l'observation du professeur Gosselin (communication
orale). (Foy. page 512, Paralysies obstétricales.)
Par hydarthrose. Elle succède habituellement à des coups ou des
chutes sur le moignon de l’épaule. On peut en distinguer deux espèces,
celles par hydarthrose aiguë et celles par hydarthrose chronique ; parmi
ces dernières, on a compris divers cas d’arthrite déformante avec épan¬
chement dans la jointure.
Les luxations par hydarthrose aiguë de l’épaule ne sont guère connues
que depuis une vingtaine d’années au plus ; ce sont des luxations sous-
coracoïdiennes véritables qui, dans les cinq ou six observations connues,
survinrent rapidement, vers le cinquième ou huitième jour de la ma
ladie.
Les antécédents mettront sur la voie du diagnostic. Il faudra seulement
se mettre en garde d’une erreur qui consiste à confondre une luxation
traumatique, masquée dans les premiers jours par le gonflement, avec
une véritable luxation consécutive.
Par scapulalgie. — Généralement la subluxation se fait en avant.
Comme cette déformation, alors même qu’elle succède à une cause
traumatique, ne se développe qu’à la longue, qu’elle offre tous les ca¬
ractères de la tumeur blanche et qu’il existé souvent des fistules, il n’est
pas possible de la confondre avec une luxation sus-glénoïdienne véri¬
table.
C’est véritablement par parti pris que Malgaigne a compris , parmi ces
pseudo-luxations, l’observation si nette de Laugier que nous avons
rapportée, comme la luxation sus-glénoïdienne traumatique par excel¬
lence.
Il nous resterait, pour terminer , ce qui a trait au diagnostic diffé¬
rentiel des luxations de l’humérus avec les autres affections de l’épaule,
à parler des fractures de l’extrémité supérieure de l’humérus, tête et col
chirurgical; mais, comme il en a été suffisamment question à l’article
Béas, t. V, nous y renvoyons le lecteur. La seule chose sur laquelle nous
croyons devoir insister tout particulièrement, ce sont les méprises fré-
480 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
quenles en pareil cas. Le gonflement de l’article et l’évidence des signes
de la fracture exposent à l’erreur, au moins dans les premiers temps.
C’est ainsi que sur 20 cas de luxations compliquées de fracture du col
chirurgical, on en compte 6 où la luxation a passé inaperçue.
Fréquence. — La laxité du ligament capsulaire, le peu de profondeur
de la cavité glénoïde et les mouvements très-étendus qu’exécute le bras,
expliquent la grande fréquence des luxations scapulo-humérales.
Sur les registres de l’Hotel-Dieu, Malgaigne a pu faire un relevé de
489 luxations bien spécifiées. Sur ce nombre, l’articulation de l’épaule
était représentée par le chiffre élevé de 321.
Dans sa statistique de l’hôpital Saint-Louis, le même auteur signale
49 luxations de l’humérus sur un total de 114 cas. Cette infériorité re¬
lative des luxations de l’épaule, s’explique par le plus grand nombre de
luxations de toute sorte qu’on reçoit à l’hôpital Saint-Louis dans une pé¬
riode donnée.
Norris, à l’hôpital de Pennsylvanie, sur un total de 94 luxations, en avait
compté 49 de l’articulation scapulo-humérale.
0. Weber de son côté, sur un total de 180 luxations non compliquées
de fracture en a compté 69 pour l’humérus.
Enfin Gurlt, sur 124 luxations diversés, est arrivé au chilfre de 65 pour
l’humérus seul. Ainsi, dans les statistiques partielles, la proportion a
varié des f (statistique de l’hôpital Saint-Louis) à | et jusqu’à près des |
(statistique de l’Hôtel-Dieu). En réunissant tous les chiffres précédem¬
ment indiqués, on arrive à la proportion élevée de 5 1/2 sur 9 ou en
chiffre rond de 3 : 5 qui indique la proportion générale des luxations
scapulo-humérales comparées à toutes les autres luxations du corps prises
ensemble.
Pour ce qui est de la fréquence de chacune des variétés en particulier,
nous en avons déjà parlé.
Causes. — Elles sont prédisposantes et déterminantes.
Causes prédisposantes. — Sexe. — Les luxations scapulo-humérales
sont plus communes chez l’homme que chez la femme. Malgaigne,'‘[sur
les 370 cas de l’Hôtel-Dieu et de l’hôpital Saint-Louis, compte 273 hom-,
mes et 97 femmes. Parmi les 69 cas de O. Weber, il y avait 57 hommes
et seulement 12 femmes. Au total, les luxations du bras sont troislfois
plus communes chez l’homme que chez la femme.
Age. — Au sujet de l’influence de l’âge, Malgaigne a dressé ^le tableau
suivant, que nous modifierons un peu en séparant ce qui a trait au sexe
pour chaque âge:
5 à 15 ans.
15 à 25 —
25 à 45 —
45 à 60 —
60 à 70 —
Passé 70 —
4 2 2
56 34 2
97 75 22
124 93 31
78 51 27
31 18 13
EPAÜLK (pathologie). — luxations. 481
Voici maintenant la statistique de 0. Weber d’après une division dé¬
cennale de la vie :
0 à 10 ans. ïi
11 à 20 — 5
21 à 30 — 20
31 à 40 — 15
41 à 50 — 14
51 à 60 — 10
61 à 70 — 4
71 à 80 — B
En somme, c’est entre 20 et 60 ans, et tout particulièrement à partir
de 40 ans qu’on observe le plus grand nombre des luxations scapulo-
humérales ; une particularité digne de [remarque, c’est que chez la femme,
ce n’est guère qu’après 40 ans que les luxations commencent à së mon¬
trer avec une certaine fréquence; mais, en revanche, pour se soutenir
chez elle, à un niveau élevé, plus longtemps que chez l’homme.
Constitution. — A. Cooper avait avancé sans trop de preuves que les
sujets à fibres molles étaient plus prédisposés à cette luxation comme à
toutes les autres. Mais, si l’on songe que la luxation, rare dans l’enfance,
devient surtout fréquente à l’âge du développement complet du système
musculaire ; qu’elle est plus commune chez l’homme que chez la femme,
et qu’elle reconnaît assez souvent, comme cause unique, la contraction
musculaire, on est porté à admettre tout le contraire, à savoir : qu’un
développement musculaire suffisant constitue une prédisposition à cette
luxation.
Ce que nous venons de dire, indique du même coup le rôle important
que joue la contraction musculaire dans la production des luxations de
l’épaule, ainsi que le voulait avec juste raison Boyer.
Causes déterminantes et mécanisme. — Bien que variées, les causes
déterminantes se réduisent, d’après leur mode d’action, à trois : impul¬
sion directe, impulsion à angle et impulsion par rotation.
Quant à leur nature, il y en a de deux ordres : les violences extérieures,
qui se divisent elles-mêmes en directes et indirectes, suivant qu’elles
agissent près de l’interligne articulaire ou loin de cet interligne, et l'ac¬
tion musculaire.
De toutes les violences extérieures, celles qu’on a noté le plus souvent,
sont les chutes sur le membre correspondant.
Tantôt, et le plus souvent, la chute a lieu sur le coude ou la main écar¬
tés du tronc ; d’autres fois, sur le bras fortement rapproché.
Nous avons fait justice précédemment de l’opinion d’après laquelle
le bras devrait être toujours écarté du tronc pour que la luxation fût pos¬
sible, toutefois c’est là un cas fréquent et nous devons en rechercher le
mécanisme.
Boyer expose ce mécanisme comme il suit ; « Lorsqu’un homme tombe
sur le sol, son premier mouvement est de présenter le bras pour empê¬
cher que la tête ne porte sur la terre. Dans cette situation, le corps plie
KOUV. DICT. MED. ET CHIR. XtlI. — 31
482 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
sur l’articulation du bras, et comme, dans le même instant, les muscles
grand pectoral et grand dorsal se contractent vivement pour soutenir le
corps en tirant le bras vers la poitrine, ils déterminent la tête de l’hu¬
mérus à sortir de sa cavité; parce que le coude qui porte à terre est ap¬
puyé sur un point fixe, tandis que la tête de l’os devient le point mobile. »
Pour Malgaigne, la luxation a lieu d’une tout autre façon, sans que les
muscles interviennent autrement que pour fixer le scapulum.
Dans l’élévation forcée du bras, avec mouvement en arrière, dit cet
auteur, l’humérus arc-boute par sa grosse tubérosité contre le rebord glé-
noïdien ; puis, quand la capsule fortement pressée par la tête, a commencé
à se rompre, l’humérus prend un nouveau point d’appui sur le bord
externe de l’acromion et achève ainsi sa bascule. La meilleure preuve,
ajoute Malgaigne, que les muscles n’y prennent aucune part, c’est que
sur le cadavre, les choses se passent exactement de cette façon. »
Que les choses se passent ainsi sur le cadavre et parfois même sur le
vivant, là, n’est point la question; ce qu’il faut savoir avant tout, c’est
si le bras, dans les chutes, affecte réellement l’attitude décrite par Malgai¬
gne (élévation forcée), ou bien si, comme le veut Boyer, le membre, par
un mouvement instinctif, sê dirige obliquement en bas et en avant.
Sans doute, les deux attitudes sont possibles, mais, si l’on se rapporte
aux renseignements pris au lit du malade, on est forcé de convenir que la
chute se fait le plus souvent comme le dit Boyer, ce qui diminue, et de
beaucoup, la valeur de la théorie de Malgaigne, faisant de l’humérus un
levier du premier genre.
Quoi qu’il en soit, la théorie de Boyer, bien que plus en harmonie
avec les faits d’observation, demande elle-même à être complétée.
Il est clair, en effet, que lorsque le bras se dirige en avant, la tête de l’hu¬
mérus tend à se réfugier vers la partie postérieure de la cavité glénoïde,
et l’on ne comprend pas pourquoi la tête se luxe alors en avant plutôt
qu’en arrière. Boyer dirait à cela que la contraction des muscles grand
pectoral et grand dorsal décide du sens de la luxation ; mais, outre que
d’autres muscles attirent la tête en sens inverse, on ne devrait avoir de
la sorte que des luxations sous-glénoïdiennes, ce qui n’est pas; les luxa¬
tions sous- coracoïdiennes et surtout intra-coracoïdiennes étant au contraire
la règle.
Voici comment il faudrait compléter, croyons-nous, la théorie de
Boyer ;
Au moment où, comme dit Boyer, le corps plié sur l’articulation du
bras, l’individu cherche à éviter une blessure grave de la tête, en se
renversant fortement en arrière; l’omoplate, de son côté, glisse sur l’hu¬
mérus, rendu fixe par la contraction des muscles et le point d’appui pris
au sol, jusqu’à ce qu’il arrive un moment où la capsule se déchire et que
la tête se dégage en avant. Ainsi la bascule du scapulum nous paraît jouer
un rôle important, sinon prépondérant, dans la production de la luxa¬
tion par le mécanisme en question.
Lorsque la chute, au lieu de se faire sur le coude ou la main écartés, a
ÉPAULE (pathologie). — luxations. 483
lieu sur le bras rapproché du tronc, le mécanisme est naturellement tout
autre.
Tous les auteurs admettent qu’un impulsion directe peut seule expli¬
quer la luxation en pareil cas, mais pour qu’il en soit ainsi, il faut de
toute nécessité que l’individu tombe sur le sommet même de l’épaule, et
puis on s’explique difficilement comment il se fait que les chutes en
avant, ou au moins sur le côté, de toutes les plus communes, produisent
d’ordinaire des luxations antérieures.
Ainsi que nous l’a appris l’expérimentation cadavérique, la torsion de
l’humérus sur l’axe entre pour beaucoup dans la production de ces luxa¬
tions, et c’est aussi là le résultat auquel est arrivé Sédillot dès 1855.
« Tout essai de rupture de la capsule humérale par traction reste in¬
suffisante ; mais, si l’on porte à faux la tête de l’os contre l’un des côtés
de la capsule, en imprimant au membre une forte inclinaison aidée d’un
mouvement de rotation, on déchire assez facilement les ligaments qui op¬
posaient à la traction directe une résistance insurmontable.
Il est aisé de luxer l’humérus en dedans et en avant sur le cadavre
par ce mécanisme, tandis qu’ayant voulu juger de la résistance de l’arti¬
culation scapulo-humérale à la traction, nous avons appliqué une trac¬
tion de 600 kilogrammes sur le bras d’un vieillard décharné, qui avait
succombé dans le marasme, sans déterminer aucune rupture. »
Voici, du reste, comment nous comprenons le mouvement de rotation
en pareils cas.
Lorsque l’individu tombe sur le côté externe du oras, l’avant-bras est
plus ou moins fléchi, et le coude fait saillie en arrière. La résistance du
sol porte alors sur la face externe du coude et pousse celui-ci du côté du
dos pendant que l’individu roule généralement en sens inverse, afin d’é¬
viter que la tête ne porte à terre. De ce double mouvement de rotation en
sens inverse, il résulte la rupture du segment antérieur de la capsule et
l’expulsion de la tête humérale dans le même sens.
Dans les cas plus rares, où le coup porte sur l’interligne articulaire lui-
même, on admet généralement que l’humérus est chassé dans un sens,
pendant que le scapulum trouve un point d’appui extérieur qui le re¬
tient en place, ou est rendu fixe par les muscles en question. Nous fe¬
rons à cette théorie la même objection que précédemment, à savoir qu’on
n’explique en rien pourquoi la luxation a presque toujours lieu en
avant, tandis que tout devient clair si on fait intervenir la rotation sur
l’axe, qui nous paraît l’agent le plus puissant de la production des luxa¬
tions scapulo-humérales en général.
Il ne faut pas oublier, en effet, que la sphère humérale dépasse d’un
tiers en avant la cavité glénoïde, dont le fond très-évasé représente une
surface oblique inclinée en avant. Lors donc qu’un coup est appliqué
sur la sphère, dont l’axe fait avec le plateau glénoïdien un angle ouvert
en avant, elle éprouve un mouvement de rotation autour de l’axe, à l’instar
d’une bille de billard, qui la projette en avant en déchirant le ligament
capsulaire.
484 ÉPAULE Cpatuologie). — lüxatioks.
Pour que la luxation puisse se faire dans le sens contraire, il faudrait
qu’au préalable la tête fût ramenée en arrière et dans une forte rotation
en dedans, auquel cas le choc, exagérant cette rotation, aurait pour effet
d’expulser la tête sous l’acromion. C’est en effet là ce que nous avons
vu se passer en cherchant à reproduire sur le cadavre la luxation en
arrière, et c’est ce qu’avait constaté le professeur Nélaton avant nous.
En résumé, l’élément rotation comme agent de luxation nous semble
jouer ici un rôle important, tant au point de vue des luxations de cause
indirecte que de celles de cause directe.
Une cause beaucoup moins commune de luxation, consiste dans la
torsion imprimée à l’humérus par une main étrangère. On comprend
que le sens du déplacement dépendra uniquement du sens de la torsion ;
celle en dehors, produira une luxation en avant, et celle en dedans, une
luxation en arrière. Nous avons cité précédemment l’exemple d’une
femme qui, ayant eu, dans une altercation, le bras tordu, vit se produire
ainsi, sans coup ni chute, une luxation intra-coracoïdienne type, que
nous réduisîmes avec facilité lorsque la malade s’est présentée le lende¬
main à la consultation de l’hôpital Saint-Louis.
Une dernière cause de luxation réside dans la contraction musculaire
volontaire ou spasmodique.
A propos de chaque luxation en particulier, nous en avons cité des
exemples authentiques, et chacun sait que les épileptiques peuvent se
luxer le bras pendant leurs accès. On n’a pas manqué toutefois de faire
des objections, et l'on s’est demandé si la contraction musculaire seule
suffît pour produire la luxation, ou bien si une chute, comme c’est le cas
des épileptiques ; le relâchement traumatique pathologique ou congénital
des ligaments; le poids d’un corps lourd qu’on soulève; la résistance d’un
objet que la main rencontre, etc., n’interviennent en grande partie pour
déterminer la luxation.
Quoi qu’il eh soit de ces objections, il n’en est pas moins vrai qu’il y a
dans la science des exemples de luxation par contraction musculaire vo¬
lontaire ou convulsive qu’il serait impossible de mettre en doute.
Comme on ne peut reproduire sur le cadavre la luxation de cause
musculaire, il serait difficile de dire quel doit en être au juste le méca¬
nisme. Si l’on se rappelle toutefois que la luxation en arrière reconnaît
souvent pour cause l’action musculaire, et que son mécanisme réside
principalement dans une forte rotation de l’humérus sur l’axe, il est per¬
mis de supposer que l’action des muscles se réduit en une rotation vio¬
lente capable de rompre la capsule. Ce n’est toutefois là qu’une hypo¬
thèse.
Tcaitesiekt des luxations de l’épadle en général. — Comme pour toutes
les luxations, le traitement des déplacements de l’humérus peut se résu¬
mer ainsi :
1“ Remettre l’os à sa place ; 2“ combattre l’arthrite traumatique et fa¬
ciliter la cicatrisation des ligaments ; 5“ rétablie l’intégrité des mouve¬
ments momentanément compromis, à moins que des lésions conco-
ÉPAULE (pathologie). — luxai îo.ns. 485
mittantes graves rendent la chose impossible ; ces deux derniers points
constituent le traitement consécutif de ta luxation.
Nous nous occuperons successivement de ces deux ordres de faits.
I. Réduction de la luxation. — Les manœuvres qui ont 'pour but de
faire rentrer la tête de l’humérus à sa place ont varié à l’infini, suivant
le genre de luxation et le génie particulier du chirurgien. Malgré leur
nombre, elles peuvent être réduites à deux principales : {'extension paral¬
lèle et la coaptation, qui peuvent à leur tour être employées séparément
ou combinées ensemble.
A. Extension parallèle. — Elle comprend l’extension proprement dite
et la contre-extension.
1° Extension. — Elle se fait par le chirurgien lui-même, par des aides,
ou à l’aide de divers procédés mécaniques. L’on donnera la préférence à
l'un ou à l’autre de ces moyens, suivant le degré de résistance <à vaincre.
Lorsqu’on prévoit de grandes difficultés qui exigeront beaucoup de
force, il faut, règle générale, donner la préférence aux machines. Celles-
ci permettent de mesurer à tout instant la force qu’on déploie, et l’on
est à l’abri d’accidents, tels que; fractures des os, ruptures de gros vais¬
seaux, paralysies, et même arrachement de tout le membre, ainsi qu’on
en a cité des exemples.
Le point d’application de la force extensive n’est pas non plus sans im¬
portance.
Les uns, pour ne parler que du procédé usuel, appliquent le lac à ex¬
tension au poignet ; d’autres, et nous sommes du nombre, préfèrent l’ap¬
pliquer au bras, immédiatement au-dessus du pli du coude.
En adoptant ce dernier procédé, on évite de tirailler inutilement les
ligaments du poignet et du coude ; on met le biceps dans le relâchement,
en fléchissant l’avant-bras sur le bras ; et l’on peut se servir enfin de
l’avant-bras fléchi comme d’un levier, pour imprimer à l’humérus tout
mouvement de rotation que comporte la luxation.
Que l’on choisisse l’un ou l’autre point du membre, il est nécessaire
d’y fixer solidement le lac, pour qu’il ne vienne à glisser au moment des
tractions. En vue de ménager la peau, il faut, avant l’application du lac,
retirer celle-ci légèrement en haut et au besoin l’enduire légèrement
d’un corps gras, huile ou cérat; sans ces précautions on s’expose à déter¬
miner des excoriations et même la rupture des téguments, surtout chez
les personnes à peau fine ou qui, étant fortement musclées, ont l’enve¬
loppe tégumentaire tendue et peu apte dès lors à se laisser tirailler sans
mesure.
Quel que soit le moyen de traction que l’on ait choisi, il faut procéder
avec lenteur, et n’augmenter le degré de la force que par étapes, c’est-à-
dire à mesure qu’il devient démontré que le degré inférieur reste insuf¬
fisant. On ne doit pas, en effet, oublier que ce qui s’oppose le plus à la
réduction, au moins dans les cas récents, ce sont les muscles, sollicités à
se contracter violemment par suite de l’effort mécanique et aussi de la
douleur. Or le meilleur moyen pour vaincre cette résistance consiste non
486 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
à exagérer outre mesure la traction, mais bien à prolonger celle-ci suf¬
fisamment.
C’est ainsi que des tractions comparativement minimes de 40, 30, 20,
15 et même 10 kilos ont suffi pour réduire maintes luxations de l’épaule,
alors qu’en procédant avec brutalité, 100 kilos et au delà sont restés-
impuissants.
Ce qui démontre encore la vérité de ce principe, c’est l’application de
la traction élastique proposée par Th. Anger et Legros, et appliquée avec
succès en 1866 dans le service de Nélaton.
Voici comment on s’y prend ; Un drap plié en cravate, dont le milieu
passe sous l’aisselle et les deux chefs réunis derrière le cou du malade, se
fixe à l’un des montants du lit en fer d’hôpital, sert à la contre-exten¬
sion.
Un tube de caoutchouc de la grosseur du petit doigt environ et de
60 centimètres de long, passé cette fois dans l’anse d’une alèze appliquée
comme d’ordinaire au bras, se trouve fixé sur l’autre montant du lit, pour
exercer V extension. Il est à noter que, pour augmenter la force du tube eu
caoutchouc il suffit de replier celui-ci autant de fois qu’il le faut.
C’est ainsi que Th. Auger avec quatre tours, parvint, sur un individu
athlétique, à réduire une luxation intra-coraco’idienne, qui datait de.
48 heures et qui avait résisté la veille à des tractions vigoureuses faites
par trois aides. Vingt-cinq minutes de traction élastique ont suffi pour
vaincre la résistance musculaire.
Une autre question qui se pose est celle-ci : dans quelle direction faut-
il tirer le membre ?
L’extension a été faite dans toutes les directions : obliquement en bas ;
horizontalement, le bras relevé à angle droit; obliquement en haut, et
enfin tout à fait verticalement. Ce dernier procédé, pratiqué dès le trei¬
zième siècle par Brunus, fut renouvelé par Thompson en 1762, puis ap¬
pliqué avec succès par White, Hey, Ch. Bell. En 4776, Mothe (de Lyon)
l’appliqua comme une chose nouvelle, et finalement Rust et Kluge, en Al¬
lemagne etMalgaigne, en France, en furent les plus chauds partisans.
Comme toutes ces manières de faire comptent des succès et des insuc¬
cès, il n’est pas possible, croyons-nous, de formuler un précepte uni¬
forme ; le tout dépend des cas particuliers.
Toutefois, si nous nous reportons à tout ce que nous avons vu faire ou
pratiqué nous-mêmes jusqu’ici et à nos expérimentations sur le cadavre,
nous nous rallierons volontiers à l’extension oblique en haut ou horizon¬
tale pour la généralité des cas. Cela est surtout vrai pour les luxations
récentes ; car, pour celles plus anciennes, on est parfois forcé d’essayer
de tous les procédés, tour à tour.
2° Contre-extension. — ha contre-extension constitue, il va sans dire,
le complément indispensable de l’extension ; elle a pour but d’assurer
l’immobilité du scapulum en même temps qu’elle entraîne le tronc du
côté opposé, sans quoi l’extension serait illusoire et même impossible.
Le poids du corps, la résistance du plan sur lequel il est fixé, ou la
ÉPAULE (pathologie). — ; luxatioss. 487
main du chirurgien, peuvent suffire*dans quelques cas, lorsqu’il y a peu
de résistance à vaincre, mais, le plus souvent, il faut avoir recours à des
moyens plus eflicaces et plus précis dans leur action. Celui dont on se sert
le plus souvent, consiste à passer sous l’aisselle le plein d’une alèze pliée
en cravate, dont les deux, bouts noués ensemble sont ensuite fixés à un
anneau scellé au mur, au montant d’un lit en fer, ou à tout autre point
résistant, ou sont confiés à des aides.
Dans ce dernier cas, et cela s’applique aussi bien à la contre-extension
qu’à l’extension, il faut bien recommander aux aides de ne pas procéder
par secousses, qui feraient varier brusquement la force de plusieurs ki-
Fig. 90. — Appareil dé Robert et Collin pour la réduction des luxations. — A, Collier entourant
l’épaule, que l’on place en ayant soin d’entourer préalablement l’épaule de ouate, de charpie ou
d’une compresse. — A', Cercle de rotation. — A", Ajustage fixé au collier A, s’adaptant avec
la pièce C, afin de permettre les mouvements d’élévation, d’abaissement, en avant, en arrière,
et enfin de rotation. — A'", Manche point d’appui pour imprimer à l’épaule les mouvements
de rotation. — B, Courroie de préhension d’entraînement en tube se moulant très-exactement
sur les parties. Le chirurgien doit avoir soin de rouler une bande autour du point où elle doit
être fixée. Cette pièce est composée d’une plaque porte-douille dans laquelle glisse la tige de
traction C. Pour produire l’enroulement de cette courroie de préhension, on attire le chef vi¬
goureusement et l’on en obtient le serrage complet au moyen d’un treuil à cliquet d’arrêt ; la
clef, aussi à cliquet E, appliquée sur le carré de l’arbre, sert à tourner le treuil sur lequel s’en¬
roule la courroie. — C, .Appareil d’extension et de contre-extension à crémaillère et à pignon;
la traction s’opère au moyen de la clef E, qui fait tourner le pignon, lequel entraîne la cré-
maillière.C, laquelle attire aussi le dynamomètre accroché à la courroie d’entraînement B. —
D, Dynamomètre avec deux aiguilles : une donnant toujours avec la plus grande exactitude la
force de traction actuelle, l’autre restant au maximum de traction qui a été opérée.
logrammes, mais bien d’agir lentement et plutôt par le poids du corps
que par des tractions.
488
ÉPAULE (pathologie). — luxations.
Certains chirurgiens, voulant surtéut s’opposer à la bascule du scapu-
lum et à l’élévation de l’acromion, ont conseillé d’ajouter une seconde
cravate contre-extensive dont le milieu presse sur le sommet de l’épaule.
C’est sans doute là un précepte qui trouve parfois son application, mais
dans la majorité des cas on peut s’en passer.
Parmi les machines dont on se sert, pour pratiquer l’extension seule,
ou l’extension et la contre-extension à la fois, nous signalerons les mou¬
fles et un appareil très-ingénieux dont nous donnons la figure et qui dif¬
fère de l’appareil Jarvis, par des modifications importantes qui en font
véritablement un instrument nouveau (fig. &0, p. 487).
A l’aide de cet appareil, non-seulement on obtient l’extension et la
contre-extension, sans aides, mais on peut aussi imprimer à l’humérus
des mouvements en tout sens et un mouvement de rotation sur l’axe, qui
aident à la coaptation. On peut donc dire que ce mécanisme répond à toutes
les conditions qu’exige la réduction des luxations de l’humérus. Nous
rapporterons sommairement divers cas où l’appareil de Robert et Collin
a été appliqué avec succès.
TABLEAU DES CAS DE RÉDUCTIONS OBTENUES A l’aIDE DE l’aPPAREIL DE ROBERT ET COLLIN
PENDANT l’année 1869
Les moufles d’un usage ancien et presque journalier, étaient naguère à
peu près complètement abandonnées jusqu’au moment où Sédillot d’a¬
bord et Malgaigne ensuite sont venus réhabiliter cet appareil. On leur
reprochait surtout d’être une force aveugle, ce à quoi Sédillot a très-heu¬
reusement remédié en y ajoutant un dynamomètre à traction, qui indique
à chaque instant la force déployée.
Un bracelet en cuir bien rembourré pourvu de boucles, et de deux
ÉPAULE (pathologie). — luxations. 489
anneaux en fer dans lesquels on engage le crochet attaché à la corde de
la moufle, se trouve assujetti au bras.
Comme ce bracelet est sujet à glisser, il faut le fixer à l’aide d’une
bande ou d’une corde enroulée plusieurs fois à sa surface; une bonne
précaution aussi consiste à entourer préalablement le membre avec une
bande de flanelle à partir des doigts, de cette façon on prévient la stase
du sang et l’on garantit la peau de toute excoriation.
B. Coaptation. — Le but de la coaptation consiste à détruire le che¬
vauchement et à ramener la tête humérale dans sa cavité.
Tantôt la coaptation fait tous les frais de la réduction, d’autres fois on
la combine avec la traction parallèle.
De même que cette dernière, la coaptation est manuelle ou mécanique ;
mais le plus souvent c’est le chirurgien lui-même qui la pratique.
Le refoulement directe de la tête constitue le moyen le plus simple,
seulement il resterait la plupart du temps inefficace si on ne le combi¬
nait pas avec l’extension parallèle.
Cette pression peut s’exercer à l’aide des doigts, de la main, du talon,
du plein d’une serviette, dont les deux bouts sont attachés autour du cou
du chirurgien, etc. Le coup de marteau chirurgical, qui s’exécute en ap¬
pliquant directement sur la saillie de la tête luxée un fort cachet d’im¬
primeur bien rembourré, destiné à transmettre à l’os le choc brusque
d’un marteau en plomb, constitue un moyen fort utile et qui a rendu
entre les mains de Nélaton, de grands services dans la réduction de la
luxation en arrière.
Le seul point important pour réussir, c’est d’établir en même temps
une contre-pression sur l’acromion. (Desault.)
Une manœuvre de coaptation plus efficace consiste a imprimer à l’hu¬
mérus un mouvement de bascule.
D’après Hippocrate, les individus qui ont eu de fréquentes récidives
savent opérer la réduction eux-mêmes avec les doigts de l'autre main
fléchis et portés dans l’aisselle. Chez les jeunes sujets, Théodoric plaçait
la main sous l’aisselle et enlevait le malade de terre, tandis que de l’autre
main il tirait l’humérus en bas. Lanfranc, David Bell se servaient du
poing et rapprochaient le coude du tronc ; Ch. Bell et Gérard faisaient
usage de Tavant-bras, certains chirurgiens de l’antiquité, de l’épaule ;
A. Cooper, du genou, enfin nombre de chirurgiens, du talon.
Comme pour le simple refoulement, il faut commencer par fixer l’o¬
moplate. Hippocrate, qui avait bien senti l’importance de ce précepte,
refoulait l’humérus à l’aide des doigts portés dans l’aisselle, pendant qu’il
appuyait sa tête contre l’acromion pour le retenir et qu’avec les genoux
ramenait le coude contre le tronc.
Wiseman et A. Cooper, pressent sur l’acromion avec une main; Gérard,
avec les deux mains d’un aide.
Un procédé de coaptation souvent employé consiste à imprimer au
membre un mouvement à' élévation avec rotation, soit en dedans, soit en
dehors.
■490 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
Hippocrate pratiquait l’élévation avec rotation en dedans, pendant
qu’avec l’autre main il appuyait sur l’acromion, pour empêcher l’omo¬
plate de suivre le mouvement,
Syme et, plus tard, Lacour (1847) ont pratiqué la rotation en dehors.
Un dernier procédé de coaptation, le moins employé de tous, consiste
à imprimer au membre un mouvement de drcMmduclion ou de fronde.
Cette pratique remonte à A. Paré. Delamotte parle d’un curé, grand
rhabilleur d’os rompus ou disloqués, qui réduisit une luxation en avant
en ayant fait faire au bras, deux ou trois tours ou mouvements en rond.
Portai décrit pareillement le procédé du frère Laurens. Enfin Golombot a
décrit en 1830, sous le nom de méthode ostéotropique, un procédé ana¬
logue au précédent. Cette dernière méthode peut rendre exceptionnelle¬
ment des services, mais elle offre le grand inconvénient d’agir à tout
hasard.
Depuis la plus haute antiquité, on s’est servi de procédés et appareils
mécaniques, qui agissent en partie par bascule. Nous ne ferons du reste
que les énumérer.
La chaise thessalique à dossier très-élevé et placé sous l’aisselle offre
un point d’appui à l’humérus pour exécuter la bascule. Le dernier éche¬
lon d’une échelle verticale, le haut d’une porte, une barre ou un rouleau
de bois, tenus horizontalement par des aides ; Vhypéron, employé du
temps d’Hippocrate (espèce de pilon ou de borne verticale en bois) ; la
boule métallique du rémora de Fabrice de Hilden, le pommeau du Réduc¬
teur de Mayor, agissent tous en fournissant un point d’appui à l'humérus
pour exécuter la bascule ; seulement, dans plusieurs de ces procédés,
on se sert en plus du corps suspendu en l’air, comme de force exten¬
sive.
Presque tous ces moyens ont été abandonnés de notre temps, ainsi que
la fameuse balance de Gersdorff, fort répandue en Allemagne au com¬
mencement du seizième siècle. Non-seulement on ne réussit pas toujours,
mais on s’expose par là à de graves dangers, tels que: fracture des os,
rupture de l’artère axillaire, paralysies par compression des gros troncs
nerveux, etc.
Hippocrate avait déjà senti tous ces inconvénients, aussi avait-il pro¬
posé de garantir le membre en y appliquant, depuis le poignet jusqu’à
l’aisselle, une forte attelle de quatre à cinq doigts de large, de un à deux
doigts d’épaisseur, et dont l’extrémité amincie et arrondie offre une légère
concavité destinée à loger la tête humérale, et, suivant d’autres, une
convexité. Cette attelle portait le nom d’ambi (à[j.ê-/)) . — Une fois l’attelle
bien rembourrée de linge, et fixée au membre à l’aide de trois liens (poi¬
gnet, avant-bras, et bras) , on se servait de la barre transversale, de la porte
ou de la chaise thessalique, pour exécuter la bascule, sans crainte de
fracture, il est vrai, mais toujours avec danger de blessure des vaisseaux
et des nerfs, qui, ainsi que nous l’avons établi précédemment, sont pla¬
cés sur le côté interne de la tête.
Réductions incomplètes. — Quelle que soit la méthode employée, il peut
ÉPAULE (pathologie). — luxations. AS!
arriver parfois que la réduction reste incomplète, et il s’agit alors de sa¬
voir ce qu’il y a à faire.
Les obstacles qui paraissent s’opposer le plus souvent à la réduction,
sont :
L’interposition de la capsule (faits de Lisfranc et Hilton);
L’infiltration du tissu cellulaire sous-acromial ;
Enfin, pour les luxations déjà anciennes, les brides de nouvelle for¬
mation.
En cas de luxation récente, on se contentera d’exercer une certaine
pression sur l’os, et, pour cela, un des meilleurs moyens consiste à se
servir de la boucle compressive de Malgaigne à fracture de clavicule.
Dans le cas de luxation de quelques mois, où les brides de nouvelle
formation constituent le principal obstacle à la réduction définitive, il faut
rompre celles-ci, ou bien les sectionner par la méthode sous-cutanée.
Il y a du reste des exemples dans la science de réductions graduelles
et spontanées, à la suite de tentatives avortées, ou pour le moins incom¬
plètes. Desault, Palletta, Scarpa et Malgaigne en citent des exemples.
Réduction en cas de fracture.- — Une fois la double lésion reconnue, il
s’agit de savoir quelle sera la conduite à tenir.
Déjà, dans l’antiquité, Pisicrate et Héliodore, au dire d’Oribase, don¬
naient le précepte de réduire tout d’abord la luxation.
Un autre chirurgien, du nom d’Aristion, exerçait des tractions de façon
à réduire à la fois la fracture et la luxation.
Les arabistes reconnaissent la même nécessité de réduire la luxation,
si faire se peut, séance tenante. Guy de Chauliac ajoute que, si l’on ne
parvenait pas à réduire la luxation, il faudrait s’occuper d’obtenir la con¬
solidation de la fracture, après quoi on chercherait à réduire la luxation.
Ainsi que le fait observer Boyer, la chose peut être rendue impossible
par l’ancienneté de la luxation, outre qu’on risque, d’après la remarque
d’A. Gooper, de casser le cal encore peu résistant.
Pour réduire la luxation, la méthode de la cooptation devra être em¬
ployée de préférence, à cause du peu de prise qu’offre à la traction le
fragment huméral. Si toutefois la traction devient indispensable, on aura
soin de consolider au préalable l’humérus à l’aide d’attelles, et de se
servir au besoin de chloroforme, pour supprimer la résistance des
muscles.
Limites de la récluctihïlité des luxations de l’épaule. — Toutes choses
égales d’ailleurs, et en l’absence d’arthrite intercurrente, l’époque où la
luxation cesse d’être réductible varie suivant l’espèce.
D’une façon générale, moins la tête s’éloigne de sa cavité, et plus long¬
temps la luxation reste réductible. — C’est ainsi que la sous-acromiale a
pu être réduite au bout d’un an, et il en serait de même de l’extra-
coracoïdienne s’il arrivait qu’elle restât méconnue.
Pour la sous-coracoïdienne, la réduction s’obtient au bout de 6 mois,
et même au delà ; quatre ou cinq mois sont la limite de l’intra-coracoï-
dienne, et deux à trois mois au plus, celle de la sous-claviculaire.
492 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
Lafaurie, dans sa thèse sur les luxations anciennes (1869), arrive, en
ce qui regarde l’articulation de l’épaule, aux conclusions suivantes ;
« Les luxations en dedans deviennent plus rapidement irréductibles que
les luxations en bas et les luxations en arrière.
« On doit rédu#e les luxations sous-caracoïdiennes et sous glénoï-
diennes jusqu’au troisième mois inclusivement.
« Les intra-coracoïdiennes et les sous.-clavâculaires jusqu’au deuxième
mois seulement.
« Les sous-épineuses et les sous-acromiales, jusqu’au cinquième mois
et peut-être jusqu’au sixième, parce qu’il est possible d’agir directement
sur l’extrémité luxée, et qu’on a comparativement peu de dangers à
craindre.
« On peut dépasser ces limites si les conditions paraissent très-favo¬
rables, pourvu que l’on se garde de développer un excès de force qui de¬
viendrait pernicieux.
Accidents dus aux efforts de réduction. — Emphysème. — Flaubert
et Desault en ont cité des exemples, mais il resterait à savoir si, confine
dans le fait de Pelletan, la crépitation ne serait pas due à un épanche-
meiit de sang dans les mailles du tissu cellulaire.
Nous parlons, bien entendu, des cas où il n’y aurait pas fracture con-
cornitante d’une ou de plusieurs côtes, auquel cas, du reste, l’emphysème
préexisterait aux efforts de traction.
Déchirures des parties molles. — La peau a cédé parfois à l’endroit
des lacs destinés à la traction. Nous avons dit précédemment comment il
fallait s’y prendre pour éviter la déchirure des téguments.
Les muscles et les tendons ont subi parfois des lésions. J. L. Petit
parle de la rupture de la longue portion du biceps dans sa portion
charnue; Monteggia, de celle du grand pectoral; et A. Cooper, de divers
muscles; Alph. Guérin (1864) a été.témoin d’un arrachement complet de
l’avant-bras, à l’articulation du coude, dans une tentative de réduction
d’une luxation sous-coracoïdienne de trois mois, avec des aides.
Fractures. — L’humérus a été fracturé le plus souvent au niveau de
son tiers supérieur. J. L. Petit, Pott, H. Larrey, citent chacun un exemple,
à quoi il faut ajouter deux autres de A. Bérard et Denonvilliers.
Vaisseaux. — Une fois la veine axillaire a été rompue par suite de
tractions violentes et d’efforts de coaptation, dans un cas de luxation
ancienne en avant. (Froriep.) La mort immédiate en a été la suite.
Flaubert (1827) cite un deuxième cas de rupture, et Hailey (1863) un
troisième.
Platner (1745) parle d’une rupture simultanée de la veine et de
l’artère axillaires.
L’artère axillaire a été rompue un grand nombre de fois.
Verduc cite un cas de rupture suivie d’anévrysme promptement
mortel.
Ch. Bell, un autre avec rupture simultanée des muscles, et qui né¬
cessita l’amputation immédiate.
ÉPAULE (pathologie). — lcxatioas. 495
Delpech, d’après Rigal, aurait observé le même accident, et il y eut
mort foudroyante.
Warren, à la suite d’une réduction par le procédé du talon, vit appa¬
raître un anévrysme, qu’il traita avec succès par la ligature de la sous-
clavière. Toutefois le membre est resté paralysé.
Flaubert relate dans son mémoire (1827) le cas de Leudet, où, avec la
rupture de l’axillaire, un peu au-dessus de la scapulaire commune, il y
avait eu rupture du grand pectoral à son milieu et arrachement de la
portion coracoïdienne du biceps. La mort est arrivée par gangrène et
hémorrhagie.
Gibson a observé deux cas de rupture dus au procédé du talon. Dans
l’un, la rupture s’était faite près de la cavité glénoïde; d’où anévrysme et
mort- dans la soirée; dans l’autre, les deux tuniques internes avaient
surtout cédé, et un petit orifice de la celluleuse, au niveau de la petite
tubérosité, permit au sang de se répandre dans l’aisselle. On pratique la
ligature; mort le cinquième jour par gangrène, délire, etc. ; et à l’autopsie
on trouve l’articulation de l’épaule remplie de caillots.
Dans un cas de Nélaton, les deux tuniques internes étaient pareillement
déchirées, et une petite perforation de la celluleuse, située vis-à-vis de
l’origine de la sous-scapulaire, avait produit l’anévrysme. On fit la ligature
de la sous-clavière, et le malade ayant succombé à une hémorrhagie
consécutive, on trouva l’articulation pleine de caillots.
Pelletan et Dupuytren ont observé un anévrysme faux consécutif de
l’axillaire, survenu trois mois après la réduction par un rebouteur.
L’individu étant mort d’hémorrhagie, on trouva la tunique celluleuse de
l’artère dilatée dans l’étendue de deux pouces et offrant une crevasse en
arrière et en dehors, d’où le sang s’est épanché dans l’aisselle.
J’ai parlé précédemment {vo^.. Anatomie, t. I, p, 441) d’un cas d’ané¬
vrysme survenu chez une de mes malades de l’hôpital Saint-Louis, quinze
jours après la réduction d’une luxation intra-coracoïdienne du côté gau¬
che. La luxation datait de quarante-huit heures. Le procédé employé fut
la traction habituelle par des aides, pendant que j’essayais de refouler
la tête dans la cavité glénoïde à l’aide de mes deux pouces portés profon¬
dément dans l’aisselle.
Je pratiquais avec succès la ligature de la sous-clavière en dehors des
scalènes, ce qui n’empêcha pas la malade de succomber trois mois plus
tard aux suites d’une suppuration prolongée du foyer anévrysmatique,
dont l’articulation scapulo-humérale faisait partie. L’autopsie nous a
permis de constater que la rupture portait surtout sur les tuniques
internes et moyennes , et qu’elle siégeait au voisinage de l’origine de la
sous-scapulaire.
Que faut-il faire en pareil cas?
L’expectation ne pourrait être d’aucune utilité, et la mort en serait la
suite inévitable.
La ligature n’a pas donné non plus, jusqu’ici, des résultats bien
brillants. Ainsi, sur quatre cas de ligature de la sous-clavière, il y eut
494 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
deux succès, en tant que ligature, à savoir, celui de Warren et le nôtre;
mais, en somme, notre malade étant morte d’arthrite suppurée lente, on
ne peut compter qu’un seul succès, et, encore, dans le cas de Warren, le
membre est resté à tout jamais paralysé.
Parmi les trois cas de mort, nous voyons que la terminaison fatale
est due : une fois à la gangrène (Gibson, Institutes and practice of Sur-
get'y); une autre fois à l’hémorrhagie consécutive (Nélaton); et, chez
notre malade, à l’épuisement par arthrite suppurée.
Dans les deux cas de Gibson et Nélaton , l’articulation ouverte était
remplie de caillots; de sorte que, si les malades n’avaient succombé
rapidement au cinquième et au dixième jour, ils seraient emportés plus
tard, comme notre malade, par la suppuration de l’article.
La désarticulation, pratiquée par Ch. Bell (1807), en s’adressant à la
fois à l’artère qu’on lie dans la plaie, et à l’articulation ouverte et remplie
de caillots, nous paraît une ressource extrême, mais indispensable, toutes
les fois que la rupture des téguments ou une eschare des parties molles
fait communiquer le foyer de l’anévrysme, et, partant, l’articulation de
l’épaule, avec l’extérieur.
En effet, le grand danger réside alors, non-seulement dans la blessure
du vaisseau, mais aussi dans l’arthrite suppurée, dont les suites sont d’au¬
tant plus à craindre, que le membre infiltré et souvent paralysé manque
de vitalité suffisante.
Cette dernière considération devra nous éloigner pareillement de
la ligature de la sous-clavière, combinée à la résection de la tête
humérale.
En résumé : ligature de la sous-clavière dans les cas simples, et où il
n’y a pas à craindre de communication de la poche anévrysmale avec
l’extérieur; désarticulation pour les autres. Voilà, croyons-nous, le parti
à prendre dans ces cas difficiles, et, de beaucoup, les plus graves parmi
les luxations compliquées de l’humérus.
Nerfs. — Les lésions nerveuses, à en juger par le chiffre des paralysies
du membre supérieur qui succèdent à la dislocation, constituent, sans
contredit, la complication la plus fréquente des luxations de l’épaule.
Tantôt la paralysie est primitive, c’est-à-dire attribuable à la luxation
elle-même; d’autres fois consécutive et due aux efforts de réduction.
Dans l’un et l’autre cas, elle peut se limiter à un muscle ou à un
groupe de muscles, ou bien s’étendre à presque tout le membre à la
fois.
La lésion des nerfs dans la luxation a été signalée depuis l’antiquité
par Érasistrate et Galien.
J. L. Petit en a cité plusieurs exemples, et Bichat a vil un cas où la
sensibilité fut perdue d’abord et ensuite le mouvement.
Règle générale : la motilité se trouve généralement plus compromise,
et parfois aussi la seule perdue, pendant que la sensibilité persiste encore,
ainsi que cela se voit, du reste, pour toutes les paralysies par contusion
ou compression des nerfs.
ÉPAULE (pathologie). — luxations. 495
Dans un cas de Blandin, en effet, la motilité seule était abolie, et il en
a été de même dans deux autres de Lenoir et H. Larrey.
C’est aussi ce que nous avons constaté dans un cas suivi d’autopsie que
nous avons recueilli dans le service de Nélaton, et, en outre, dans notre
propre service.
Malgaigne cite trois observations où il y avait une paralysie partielle
et des engourdissements à la main.
Flaubert (1827) relate trois observations où les accidents de paralysie du
membre s’accompagnèrent d’engourdissement dans le bras et la jambe,
ou d’hémiplégie du même côté, avec douleurs extrêmement vives à la
colonne vertébrale. Deux de ces malades guérirent, mais en conservant
le bras paralysé; le troisième est mort le dix-huitième jour avec fièvre,
et, à l’autopsie, on trouva les quatre dernières racines du plexus brachial
arrachées de la moelle, et cette dernière ramollie en ce point.
Il est à noter que ces trois derniers faits concernent des luxations de
15, de 38 et de 49 jours, pour lesquelles on avait pratiqué des tractions
vigoureuses.
Le traitement à suivre sera celui de toutes les paralysies traumatiques,
à savoir, frictions, douches et surtout l’électricité. *
Pour ce qui est du pronostic, on fera de grandes réserves, attendu
qu’on a vu souvent la paralysie persister et aboutir à l’atrophie du mem¬
bre, quoi qu’on ait pu tenter.
Nous ,ne ferons que citer, en terminant, le fait de Langenbeck, qui
réséqua la tête de l'humérus pour remédier à une paralysie avec atrophie
du membre, résultant de la pression de la tête sur les vaisseaux et les
nerfs axillaires.
Quel est le véritable mécanisme de la lésion des nerfs? On peut dire
que la science est loin d’être fixée à cet égard.
Boyer croyait à la contusion du nerf circonflexe, pris entre le plan ré¬
sistant que lui offre l’humérus et le sol, au moment de la chute.
Tout en admettant la possibilité du fait, nous devons observer que ra¬
rement la paralysie se trouve limitée au deltoïde, ainsi que le pensait
Boyer et son école.
D’ailleurs, cela suppose une forte contusion locale, alors que, nous le
savons, les luxations par cause indirecte sont les plus communes.
Enfin, on ne s’explique pas pourquoi les luxations en arrière ne sont
pas compliquées de paralysie aussi bien que celles en avant.
Si l’on objecte que le nerf circonflexe est généralement plus profondé¬
ment affecté que les autres branches terminales du plexus brachial, nous
répondrons que cela doit êire ainsi. Le nerf, comme l’indique son nom,
étant enroulé autour de l’humérus, subit des tiraillements et une dis¬
tension violente, résultant de la forte torsion que l’os subit autour de son
axe longitudinal, et cela dans presque toutes les variétés de luxation.
La contusion mise de côté comme fait général, il nous reste deux au¬
tres explications; le tiraillement suivant la longueur des cordons nerveux
et leur compression
496
ÉPAULE (pathologie). — luxations.
En nous reportant aux faits déjà signalés de Flaubert, on serait disposé
d’admettre comme cause habituelle V élongation des nerfs, pouvant aller
jusqu’à l’arrachement des racines spinales; mais si l’on songe que cette
paralysie est encore assez fréquente, primitivement, avant tout effort de
réduction, on est obligé de convenir que ce mécanisme est loin d’expli¬
quer la généralité des cas.
La compression des nerfs paraît être l’explication la plus naturelle, mais
il s’agit de savoir encore comment se réalise cette compression et pour¬
quoi elle n’existe pas dans tous les cas.
On a dit que les vaisseaux et les nerfs à cheval sur la tête se trouvaient
comprimés par celle-ci. Mais, outre que les cordons nerveux, grâce à leur
mobilité et à leur forme ronde échappent facilement à toute compression,
nous avons dit précédemment, que le paquet vasculo-nerveux n’est jamais
à cheval sur la tête ; ainsi tombe l’explication avec le fait sur lequel elle
s’appuie.
Une autre explication veut que, lors d’une chute sur le moignon de
l’épaule, la clavicule, poussée violemment en bas, arrive au contact de
la première côte et comprime le plexus brachial, qui se trouve pris
comme dans un étau.
Mais que la chute se fasse sur l’épaule, le bras ou l’avant-bras, elle
aura pour résultat de relever la clavicule et rarement de l’abaisser jus¬
qu’au contact de la première côte.
Nous devons ajouter, en outre, que, dans l’autopsie qu’il nous a été
donné de faire dans le service de Nélaton, nous n’avons trouvé dans les
nerfs paralysés aucune lésion apparente.
L’explication véritable de la paralysie se trouve dans les rapports des
nerfs du plexus brachial avec la tête humérale qui les applique et 'les
comprime avec force contre les côtes correspondantes. C’est pourquoi, de
toutes les variétés de luxation, celles en dedans, autrement dit l’intra-
coracoïdienne et la sous-claviculaire, exposent à la paralysie infiniment
plus que la sous-coracoïdienne, la sous-glénoïdienne et surtout l’extra-
coracoïdienne et la sous-acromiale.
En résumé, trois causes nous paraissent déterminer la paralysie du
membre, après ou avant les tentatives de réductions ; l’élongation des
nerfs par traction ou rotation exagérée du membre, la compression des
nerfs par la tête luxée contre les côtes correspondantes, et la contusion
directe.
Une remarque des plus importantes qui trouve sa place ici, c’est qu’a¬
vant toute tentative de réduction, le chirurgien doit s’assurer de l’état
du sentiment et du mouvement du membre, s’il ne veut pas s’exposer à
être accusé à tort, comme ayant provoqué une impotence temporaire ou
définitive du membre.
Épuisement. — Lisfranc (1836) a eu l’occasion d’observer une mort
subite survenue une heure et demie après une quatrième tentative de ré¬
duction; à l’autopsie n’ayant rien trouvé pour expliquer la mort, Lisfranc
admit un épuisement nerveux par la douleur. Quoi qu’il en soit de l’ex-
497
ÉPAULE (pathologie). — luxations.
plication, il devient d’autant plus intéressant de connaître ces cas de morts
survenues à une époque où le chloroforme était inconnu, qu’un certain
nombre de ceux enregistrés depuis ont été attribués sans preuves suffi¬
santes à l’agent anesthésique.
II. Traitement consécutif. — Nous avons dit précédemment que le
principal but du traitement consécutif consiste à combattre l’arthrite trau¬
matique et à faciliter la cicatrisation de la capsule.
On réalise ce double but, par-dessus tout, en immobilisant le bras
d’une façon aussi absolue que possible. Nous nous servons habituelle¬
ment, à cet effet, d’un coussin de la longueur du bras, étroit en
haut et large en bas, que nous plaçons sous l’aisselle. La simple écharpe
de Mayor suffit ensuite pour fixer le tout, en prenant la précaution toute¬
fois de laisser la main libre, sans quoi il en résulterait de la douleur,
qui forcerait le malade de demander l’enlèvement de l’écharpe. Que si,
malgré l’immobilité, il y a de la douleur et du gonflement, on doit avoir
recours suivant l’intensité de l’inflammation, aux cataplasmes chauds,
aux pommades hydrargyriques et narcotiques, aux émissions sanguines
locales, aux purgatifs, etc. Il faudra, en un mot, tâcher d’éviter par tous
les moyens une forte inflammation qui laisserait après elle une grande
roideur et surtout la suppuration articulaire, accident à peu près con¬
stamment mortel. Malgaigne, sur cmgcas de suppuration, compte en effet
quatre morts et une guérison. Par bonheur, l’arthrite suppuréeest com¬
parativement rare, et tient le plus souvent à des manœuvres de réduction
ïirutales ou longtemps continuées. Une question très-importante est celle
du temps pendant lequel il faut condamner le membre à l’immobilité.
Si, d’une part, en effet, on a intérêt à maintenir l’immobilité assez
pour obtenir la cicatrisation des ligaments, il est à craindre, d’autre part,
qu’en prolongeant celle-ci outre mesure on ne laisse s’établir une roideur
avec atrophie des muscles, d’autant plus difficile à vaincre qu’on a laissé
l’appareil immobilisateur plus longtemps en place.
L’anatomie pathologique démontre que, dans la généralité des cas,
vingt-cinq à trente jours d’immobilité suffisent pour la cicatrisation cap¬
sulaire; ce sera donc là le terme habituel de l’application de l’appareil;
mais comme, au bout de ce temps, la roideur pourrait devenir déjà
grande, il est d’une pratique sage de renouveler l’appareil dans cet in¬
tervalle de temps une ou deux fois à l’effet d’imprimer à la jointure des
mouvements ménagés. On donnera la préférence à ceux de rotation sur
Taxe et de balancement dans le sens opposé à la luxation, et on évitera soi¬
gneusement l’élévation forcée qui expose à la récidive plus que tout autre
mouvement communiqué.
■ Raideur articulaire. — Il arrive parfois que, malgré toutes les précau¬
tions prises, on a une raideur avec empâtement de la région qui gêne
considérablement les mouvements; cette partie du traitement, reste gé¬
néralement négligée, ou est mal comprise, aussi bien dans les hôpitaux
que dans la pratique de la ville.
Beaucoup de médecins croient encore à l’efficacité des bains, des dou-
KOCT. DICT. MÉD. ET CHIB. XIII, — 52
498 ÉPAULE (pathologie). — luxations.
ches simples ou sulfureuses et des eaux minérales naturelles eu pareils
cas; on ajoute ou non à cela la recommandation de l’exercice du
membre par le malade lui-même. Or l’action de tous ces moyens est il¬
lusoire, et, par la perte de temps qu’ils occasionnent, ils ne font qu’ag¬
graver la raideur.
Nous répéterons donc avec Malgaigne que le mouvement à’une articu¬
lation ne revient que par le mouvement, en désignant ainsi la mobilisa¬
tion de l’articulation par le chirurgien lui-même. Le malade arrêté par la
douleur ne peut dépasser en effet certaines limites ; ce qui le condamne
à rester toujours au même point, alors que la guérison, il faut bien le
savoir, ne peut s’acheter qu’au prix de douleurs momentanées, il est
vrai, mais assez vives. Le rôle du chirurgien consiste donc à les lui impo¬
ser, et, en procédant par degrés, de peur de réveiller une arthrite grave, on
parvient à rendre à l’articulation sa mobilité première.
Le massage, des frictions sèches ou légèrement excitantes contribueront,
par le dégorgement des parties, à rendre aux tissus leur souplesse et à
activer l’action salutaire du traitement orthopédique.
Récidives. — Lorsqu’il s’agit d’une luxation récente, survenue pour
la première fois, dans une articulation saine d’ailleurs, la récidive est
tout aussi rare que dans les autres luxations.
Par contre, dans les luxations déjà anciennes, lorsque la réduction n’a
pas été complète ou qu’il y a eu fracture du rebord articulaire ; en cas
de large déchirure de la capsule ou d’accumulation de liquide synovial ;
enfin, lorsque les muscles sont paralysés, les récidives sont très-communes.
Dans un cas remarquable, cité par Arloing (1832), il y eut deux réci¬
dives survenues dans l’espace de quatre jours. Le chirurgien, l’attribuant
à une paralysie du deltoïde ayant succédé à la luxation, appliqua un vési¬
catoire qui rendit au muscle sa force, et l’humérus resta désormais en
place.
La récidive arrive à propos de mouvements intempestifs ou très-étendus
imprimés au membre luxé ; d’autres fois, c’est la contraction musculaire
volontaire qui en est la cause; preuve, ce vieil ivrogne dont parle Sédillot,
qui se luxait le bras gauche chaque fois qu’il le levait brusquement.
Enfin, c’est à la contraction convulsive qu’il faut rapporter le plus
grand nombre de récidives, et surtout à des attaques d’épilepsie.
Le nombre de ces récidives peut atteindre parfois un chiffre trés-élevé.
Ainsi, Dupuytren parle d’un individu chez lequel il réduisit la luxation
pour la onzième fois, et cite un étudiant qui a eu le bras luxé plus de
cent fois. Sédillot de son côté, mentionne un épileptique qui se luxait le
bras à chaque accès convulsif. Dans le cas de luxation en arrière que nous
avons cité précédemment, il s’agissait d’un vieillard épileptique, chez le¬
quel le professeur Gosselin réduisit une luxation sous-acromiale pour la
troisième fois.
Il est évident que, pour s’opposer à ces récidives, il faut combattre
avant tout la cause qui favorise leur production; ainsi, on immobilisera
le bras pour donner le temps aux ligaments de se resserrer ; on combattra
ÉPAULE (pathologie). — luxations. 499
l’hydarthrose, si elle existe; on électrisera le deltoïde paralysé, en sou¬
tenant en même temps le membre à l’aide d’une écharpe, en vue de s’op¬
poser au tiraillement des ligaments.
Enfin, et par-dessus tout, on défendra aux malades d’élever fortement
le bras, si c’est dans cette attitude que le déplacement a lieu. Quant au
traitement de l’épilepsie nous renvoyons à ce qui a trait à cette névrose.
Luxations irréductibles. — Nous avons déjà dit, que des luxations de
l’humérus non réduites permettaient parfois des mouvements étendus et
l’usage presque physiologique du membre.
Ces cas particulièrement heureux ne se rencontrent qu’exceptionnel-
ment et seulement alors que la luxation est arrivée dans le jeune âge ;
aussi, croyons-nous que Velpeau est tombé dans une exagération, lors¬
qu’il a voulu en tirer un argument contre les essais de réduction des
luxations invétérées.
Lorsque le cas est jugé irrémédiable, il faudra, en vue de perfectionner
les mouvements du membre et leur donner plus d’étendue, procéder
comme dans le cas de raideur. On prescrira donc des exercices gradués
et longtemps continués, en même temps que le chirurgien imprimera au
membre des mouvements à l’aide des mains ou de machines appropriées.
liiixations congénitales. — Hippocrate distingue les luxations
de l’humérus produites dans le sein de la mère, de celles qui sont la suite
de suppurations abondantes ; selon lui, « dans la luxation congénitale, la
main est assez forte ; mais les malades ne peuvent étendre le coude ni
élever le bras, et porter la main jusqu’à l’oreille, ou bien moins que du
côté sain » ; comme le bras est plus mince et plus court que l’autre, on
avait désigné anciennement les individus porteurs de celte difformité,
coudes de belettes.
Malgaigne sépare, et à juste titre, des luxations congénitales, celles
produites par l’accoucheur au moment du travail, et les luxations para¬
lytiques développées en bas âge ; ce qui réduit de beaucoup le nombre des
luxations véritablement de naissance.
Dans un fait remarquable dû à l’observation de Gaillard (de Poitiers)
(1841), la luxation s’était faite en arrière, et la réduction a pu en être obte¬
nue après seize ans d’existence. Il a fallu en vérité y revenir à plusieurs
reprises, et s’opposer en même temps à de nouvelles récidives, à l’aide
d’un bandage approprié. (Pour les luxations paralytiques de l’enfance,
voy., p. 512, au paragraphe Paralysie obstétricale.)
Traumatismes de l’épaule. — Contusions et plaies. — Plaies
non pénétrantes, superficielles et n'intéressant que la peau seule. — Les
plaies superficielles de cette région n’offrent véritablement rien de par¬
ticulier. — Disons seulement que, en cas d’angioleucite et d’adénite
symptomatiques, ce sont les ganglions axillaires, sus-claviculaires ou
cervicaux postérieurs qui s’engorgent, suivant le siège de la lésion.
Lorsque la solution de continuité intéresse les muscles, la guérison est.
plus longue et il en résulte assez souvent une raideur articulaire.. Celle-
ci est, en effet, plus prompte à se montrer dans l’articulation scapulo-
oOO ÉPAULE (pathoogie). — fractures de l’osioplate.
humérale, que partout ailleurs, pour des raisons que nous indiquerons
au paragraphe scapulalgie.
Contusion. — L’articulation de l’épaule échappe souvent à une contu¬
sion violente, grâce à la mobilité du scapulum. C’est par cause directe
(coup de bâton, coup de pied de cheval, un moellon tombant de haut, etc.),
que cet accident se produit généralement, et beaucoup plus rarement
par chute.
De la rareté même des contusions violentes de l’épaule, nous tirerons
cette déduction, importante en clinique, à savoir, que toute ecchymose
vaste de l’épaule, s’étendant le long du bras, indique six fois sut' dix
une fracture ou une luxation de l’extrémité supérieure de l’humérus, et
cette présomption devient presque une certitude, si la coloration ecchy-
motique n’apparaît intense qu’un ou deux jours après l’accident.
La forme arrondie du moignon de l’épaule, et la résistance des plans
profonds sur lesquels glisse la peau, font que des corps orbes d’un grand
poids, glissant sur cette région, peuvent décoller la^peau et y déterminer
une de ces bosses séro-sanguines si bien décrites par Morel-Lavallée,
sous le nom à’hydrocèle traumatique du tissu cellulaire sous-cutané.
Plaies pénétrantes. — Elles peuvent être produites par instrument
piquant, tranchant et contondant.
Les piqûres ne sont graves qu’autant que l’instrument vulnérant offre
une certaine grosseur, et nous avons dit précédemment que la ponction,
à l’aide d’un trocart de la gaîne synoviale du biceps, a suffi pour déter¬
miner une arthrite suppurée ayant entraîné la mort.
Les plaies de la jointure par instrument tranchant sont rares.
Larrey parle d’un coup de sabre qui sépara la tête humérale du corps
de l’os ; la tête fut extraite, et la guérison eut lieu après des accidents
graves. Le même auteur cite un autre fait analogue où la terminaison fut
tout aussi heureuse, après l’extraction de la tête. Baudens a tenu la même
conduite avec succès; de sorte qu’il y a lieu, croyons-nous, d’imiter ces
auteurs.
Les plaies pénétrantes par armes de guerre de cette articulation ont
été observées assez souvent, et, à la page 322 du tome 111 de ce Diction¬
naire, nous avons décrit et représenté un humérus dont la tête est litté¬
ralement broyée par une balle qui s’y trouve fixée.
En pareille circonstance, on devra se comporter comme nous l’avons
indiqué à l’article Articulation (Plaies par armes à feu), t. 111, p. 319.
Fractures de l’omoplate. — Les fractures de l’omoplate sont assez
rares, puisque, sur un total de 4239 fractures diverses, on en trouve
22 seulement pour l’omoplate.
On en a distingué quatre principales variétés, selon qu’elles affectent le
corps de l’os, l’acromion, l’apophyse coracoïde, et la cavité glénoide ;
mais comme nous nous sommes occupés déjà au sujet des luxations de
l’épaule de ces deux dernières variétés, nous n’aurons à parler que des
fractures du corps de l’os et de celles de Vacromion.
1“ Fractures du corps de l’omoplate. — Ces fractures sont simples, mul-
ÉPAULE (pathologie. — FRACTOnES DE l’omoplate. 50i
tiples ou commimitives. La direction en est horizontale et d’autres fois
oblique.
Les causes sont habituellement directes, telles que chutes, coups, pro¬
jectiles d’armes de guerre. Une seule fois, on a signalé l’action des mus¬
cles et encore le fait reste quelque peu douteux.
Symptômes. — Placés entre deux plans musculaires qui prennent des
insertions dans presque toute l’étendue des fosses sous-épineuse et sous-
scapulaire, les fragments ne subissent parfois aucun déplacement et peu-
■vent se dérober à l’exploration.
Lorsque le déplacement a lieu, le plus souvent le fragment inférieur
est attiré en avant et en dehors par les muscles scapulo-huméraux (grand
et petit rond, sous-épineux et sous-scapulaire) et par la portion corres¬
pondante du grand dentelé, pendant que le reste de l’os reste Qxé en
place par les muscles angulaire, rhomboïde et surtout la partie inférieure
ou adductrice du trapèze.
Pour apprécier autant que faire se peut le siège et la nature du dépla¬
cement, il est bon de placer la main et l’avant-bras correspondants der¬
rière le dos de l’individu, ce qui détache l’omoplate du plan du thorax et
permet une exploration plus facile.
Les choses étant ainsi disposées, on explore soigneusement les bords
spinal et axillaire du scapulum,ses angles et son épine, à l’effet d’y sentir
un angle ou une saillie anormale. Avant de se prononcer, il sera tou¬
jours bon de comparer les deux côtés, de peur de prendre une irrégularité
normale de configuration pour une saillie anormale.
J. L. Petit a parlé d’emphysème, mais, à moins de complication d’une
fracture des côtes sous-jacentes, on ne comprend pas qu’il puisse vérita¬
blement y en avoir. Ce qui existe souvent, c’est une crépitation sanguine
qui peut en imposer pour de l’emphysème.
La crépitation osseuse, de même que la mobilité anormale et la défor¬
mation, peut faire défaut. Le meilleur moyen pour apercevoir la crépita¬
tion consiste à y appliquer à plat toute la main, comme pour fixer le sca-
pulum, pendant que, de l’autre main, on imprime divers mouvements au
bras.
Il faut éviter soigneusement de confondre la crépitation dépendant de
la fracture de l’omoplate d’avec celle que donnent les côtes sous-jacentes
cassées, et cette autre plus fine et plus superficielle, due au sang épanché
sous la peau et dans les interstices musculaires.
La douleur locale existe toujours: elle est parfois violente, mais n’offre
rien de caractéristique, aussi n’aide-t-elle que peu au diagnostic de la
fracture.
Traitement. — Lorsqu’il n’y a pas de déplacement notable des frag¬
ments, le mieux est de fixer le bras contre le tronc à l’aide d’une écharpe
de Mayor ou d’une écharpe ordinaire avec bandage de corps.
S’il y a des déplacements, on essayera sans doute à les réduire à l’aide
de pressions appropriées et surtout en donnant au membre l’attitude qui
semble corriger le déplacement dans chaque cas particulier ; mais il
502 ÉPAULE (pathologie). — fractures de l’omoplate. — tumeurs.
est bon de rappeler ici que la plupart du temps on échouera et que l’on
aura un cal irrégulier, quoi qu’on fasse , ce qui d’ailleurs importe peu
au point de vue des fonctions du membre.
2° Fractures de l’aceomion. — La cause la plus habituelle en est une
chute sur le moignon de l’épaule, plus rarement un coup porté direc¬
tement.
La direction de la fracture est généralement verticale , plus rarement
oblique. Nélaton l’a vue une fois s’étendre très-obliquement dans le sens
de l’épine de l’omoplate.
Son siège habituel est la racine de l’acromion, à deux ou trois centi¬
mètres en arrière de son sommet. Dans des cas plus rares, on a vu la
fracture se rapprocher très-près de l’articulation acromio-claviculaire et
simuler alors une luxation de la clavicule.
Symptômes. — La douleur est souvent vive et elle est accrue tant par
les mouvements du bras que par ceux du cou. L’insertion du deltoïde et
du trapèze sur le fragment acromial explique suffisamment cette gêne.
Les déplacements peuvent manquer, lorsque le périoste des deux faces
est conservé, ou n’être que partiels. Lorsque le déplacement a lieu, il
consiste presque toujours en un abaissement du fragment acromial, en¬
traîné qu’il est, en bas, par le poids du membre.
La crépitation, dans les cas où elle existe, se perçoit en appliquant une
main sur le moignon de l’épaule, pendant qu’avec l’autre main on sou¬
lève le coude et l’on imprime au bras des mouvements en divers sens.
Diagnostic. — Facile dans les cas de déplacement avec crépitation, il
est parfois rendu impossible par le gonflement dans les premiers jours,
et même plus tard, lorsqu’il n’y a pas de déplacement ou de mobilité
anormale. C’est en explorant soigneusement l’épine de l’omoplate et
l’acromion dans toute leur étendue qu’on arrive le plus sûrement au
diagnostic.
Pronostic. — Il est généralement léger, et bien que le cal puisse être
difforme, il n’en résulte pas de gêne pour les mouvements du membre.
La grande mobilité du bras explique pourquoi on y a souvent observé
une consolidation purement fibreuse ; aussi devra-t-on dans le traitement
s’attacher.à immobiliser le moignon de l’épaule et le bras. Il va sans dire
que, lorsqu’il n’y a que peu ou point de déplacement l’immobilité est
moins de rigueur, mais, en cas de déplacement notable, il ne faut pas se
départir de ce précepte.
Traitement. — Ce sera en cherchant qu’on trouvera dans chaque cas
particulier la position qui aide le mieux à la réduction des fragments.
On fixe alors le membre dans cette position à l’aide d’un bandage con¬
tentif approprié et le plus simple sera le mieux ; bande de Malgaigne ,
écharpe de Mayor, bandage de corps, etc.
Trente à quarante jours au plus suffiront pour la consolidation de la
fracture.
Tumeurs. — Les tumeurs de l’épaule ne diffèrent en rien de celles des
^ÉPAULE (patuologie). — arthrites scapolo-hdhérales. — hïdarthrose. 505
autres régions, de sorte que nous n’aurons que très-peu de choses à en
dire.
Les tumeurs érectiles se sont montrées assez fréquemment dans cette
région. A. Séverin y a observé une tumeur vasculaire tellement volumi¬
neuse qu’elle empiétait sur le devant de la poitrine et sur la partie posté¬
rieure du bras. Ce malade mourut et l’on est en droit de se demander
s’il ne s’agissait pas là d’une tumeur plutôt maligne avec développement
considérable de vaisseaux.
Les lypomes ne sont pas rares, et pour notre compte nous avons eu
l’occasion d’en opérer trois.
Les ostéosarcomes cancéreux peuvent acquérir ici un volume considé¬
rable, et on en a cité de la grosseur d’une tête d’adulte et plus encore.
Le point du départ en est l’humérus, et surtout l’omoplate. Il est fréquen
de les voir se ramollir jusqu’à la fluctuation, et offrir des battements ou
même un bruit de souffle anévrysmatique.
Les exostoses et surtout V enchondrome, ont été signalés maintes fois.
Nélaton a pratiqué une fois la résection de l’extrémité supérieure de l’hu¬
mérus pour un enchondrome. L’omoplate peut en être également le siège.
Disons en terminant que des abcès ossifluents parfois volumineux,
provenant d’une nécrose, d’une carie de l’omoplate ou des côtes, peu¬
vent, lorsque la collection purulente se fait sous le scapulum, soulever
cet os et faire faussement croire à une tumeur solide. Pour éviter l’er¬
reur, il faut rechercher la fluctuation autour de l’os et en particulier sous
l’angle spinal de l’omoplate.
Comme la lame osseuse qui constitue le scapulum se trouve comprise
entre deux feuillets de périoste, il s’en suit qu’en cas de nécrose totale,
le séquestre invaginé s’élimine difficilement et si l’art n’intervient pas
à temps, la suppuration et les fistules qui en résultent sont intermi¬
nables.
Maladies de l’épaule. — Arthrites scapdlo-hümérales. — Il n’est,
bien entendu, question ici que des arthrites spontanées; celles trauma¬
tiques se confondant avec le genre de blessure qui leur a donné nais¬
sance.
Laissant de côté l’arthrite rhumatismale et l’arthrite sèche ou défor¬
mante qui se rattachent à une maladie générale, affectant d’autres arti¬
culations à la fois et sortant, dès lors, de notre cadre, il nous reste à
parler de Vhydarthrose scapulo-humérale et de la tumeur blanche ou
scapulalgie.
Hydarthrose. — Elle est rare ici, et c’est à peine si on en cite quelques
exemples.
Nous devons à Jules Roux (de Toulon), une très-belle observation, qui
peut servir de type à cette description.
Un cultivateur de 45 ans était sujet à un rhumatisme articulaire aigu. En soulevant un
lourd fardeau, il éprouva subitement une très-vive douleur dans l’articulation scapulo-
humérale gauche. J. Roux vit le malade, huit mois après le début de l’hydarthrose, dans
l’état que voici ; bras gauche, plus long que le droit d’un centimètre, pendant le long
504 ÉPAULE (pathologie). — SCAPDLALGIE.
du tronc et immobile ; avant-bras fléchi à angle droit, avec le coude tourné en dehors et
soutenu par la main droite du malade ; épaule du même côté sensiblement abaissée et
considérablement tuméfiée ; la tête de l’humérus ne peut y être sentie ;'peau tendue, lui¬
sante ; fluctuation très-manifeste dans tous les sens, mais particulièrement en dehors, le
long du tendon du biceps, en dedans, dans le creux axillaire, et en arrière, sous l’acro-
mion,' où elle s’étend dans la fosse sous-épineuse.
J. Roux pensa, avec raison, que l’énorme collection liquide occupait non-seulement la
capsule, mais les prolongements en doigt de gant que la synoviale fournit aux tendons de
la longue portion du biceps, du sous-épineux et du sous-scapulaire.
Une ponction sous-cutanée, faite à l’aide d’un trocart plat à robinet dans la partie
moyenne de la fosse sous-épineuse, permit l’issue de oOO grammes environ d’une synovie;,
visqueuse, filante et d’un jaune foncé. Le liquide évacué, les doigts purent sentir la tête
de l’humérus qu’il était facile d’écarter de la cavité glénoïde.
n n’y eut pas d’accidents; mais, au bout de quinze jours, la tumeur étant revenue
aussi volumineuse qu’auparavant, une nouvelle ponction fut pratiquée en avant près de
l’acromion, et, après l’issue de 400 grammes d’un liquide synovial, on poussa une injec¬
tion de teinture d’iode au quart (100 grammes de teinture d’iode pour 300 grammes
d’eau). Il y eut arthrite intense qui se renouvela trois fois, et nécessita l’ouverture, par
le bistouri, des trois expansions tendineuses de la synoviale déjà mentionnées, d’où il
sortit du pus et des flocons albumineux. Enfin, après bien des péripéties, le malade finit
par guérir à la longue, et, un an après, cet individu, qui pouvait lever le bras jusqu’à
l’horizontale, reprit ses travaux des champs.
Il est à noter que l’élévation du bras s’accompagnait de craquements manifestes dans
la jointure.
Cette observation intéressante confirme ce que nous avons dit à l’ar¬
ticle Hydarthrose en GÉNÉRAL, à savoir, que l’injection iodée, dans les
grandes articulations, peut être utile, il est vrai, mais qu’elle ne manque
pas de périls. Quant aux autres moyens de traitement, applicables à
cette affection, nous renvoyons le lecteur à l’article sus-mentionné.
ScAPULALGiE. — On désigne ainsi la tumeur blanche qui a pour siège
l’articulation scapulo-humérale .
Anatomie pathologique. — Nous n’aurons pas à répéter ici ce que nous
avons longuement exposé à l’article Tumeurs blanches en général (Voy. Ar¬
ticulations, t. III, p. 581); qu’il nous suffise de dire qu’ici, comme dans
les autres jointures, deux éléments constituent la tumeur blanche, la
synovite fongueuse d’une part, et l’ostéite fongueuse ou carie, de l’autre.
Depuis l’apparition dans ce dictionnaire de notre article sur les tumeurs
blanches, des travaux importants, entre autres ceux de Ranvier et Bill-
roth, ont vu le jour, et nous avons été heureux de constater qu’ils n’ont
rien changé à ce que nous avions écrit nous-mêmes. Ranvier a ajouté,
toutefois, un élément nouveau, celui de l’altération graisseuse des ostéo-
plastes, altération qui, d’après cet auteur, préexiste au développement
de la carie. On peut donc dire maintenant, sans crainte de se tromper,
que la carie est une ostéite s’attaquant à un os déjà malade, ou dont la
vitalité est amoindrie, ainsi que le prouve l’altération graisseuse des os-
téoplastes.
Lorsque l’articulation suppure, le pus suit d’ordinaire les expansions
tendineuses de la synoviale. Aussi les trajets fistuleux offrent-ils souvent
ÉPAULE (pathologie). — soapolalgie. 505
une direction déterminée que l’on pourrait en quelque sorte prévoir d’a¬
vance.
La première fistule se montre au bas de l’empreinte deltoïdienne de
l’humérus, sur le trajet de la coulisse bicipitale de cet os ; puis survient
une fistule axillaire en suivant le tendon du sous-scapulaire, et enfin une
troisième, en arrière, dans la loge du sous-épineux.
Il va sans dire qu’à une période plus avancée, les fusées purulentes peu¬
vent suivre toutes les directions, possibles ; c’est ainsi que nous en avons
vu quatre, cinq et six, parmi lesquelles une qui contournait l’humérus en
spirale le long de la gouttière du nerf radial et allait s’ouvrir à la partie
externe du coude. /
Dans the Lancet, oïl cite un cas plus curieux encore d’une jeune fille
chez laquelle la collectioîi punfïénte ulcéra les muscles intercostaux entre
la première et la deuxième côte, fit irruption dans la caviCé pleurale et
causa une pleurésie mortelle.
L’altération caséeuse s’attaque de préférence à la tête humérale qu’elle
dénude de son cartilage. L’altération va parfois assez loin pour détruire
complètement cette dête, et, dans un cas cité par Yigaroux, il y avait en
même temps un gros séquestre de nécrose comprenant toute l’épiphyse
supérieure de l’humérus. ^ •
Thomas enleva la tête nécrosée et la petite fille, âgée de quatre ans ,
guérit. — Péan cite un cas de nécrose chez un nouveau-né.
La cavité glénoïde de l’omoplate est souvent altérée, bien que dans un
moindre degré que la' j;êtei Nous avons vu, dans un cas, l’acromion et la
face inférieure de la clavicule participer à la lésion. Nélaton a trouvé dans
un cas l’angle glénoïdfien' de l’omoplate converti tout entier en un sé¬
questre.
Nous n’insistons pas sur les altérations des parties molles qui sont les
mêmes ici que dans les autres tumeurs blanches, mais ce qui mérité une
mention spéciale, c’est l’atrophie très-rapide qui s’empare du deltoïde et
des autres muscles périarticulaires. Le tendon de la longue portion du bi¬
ceps, entouré lui-même do pus et de fongosités, finit par se transformer
en un cordon grêle qui se confond avec la capsule au point de ne plus
pouvoir en retrouver des traces dans l’intérieur de l’articulation.
Dans certains cas, il existe un engorgement des ganglions de l’aisselle.
A part les abcès articulaires ou communicants , il y en a d’extérieurs
qui dérivent de l’os lui-même ou abcès ossifluents. Quant aux abcès cir-
convoisins, on en comprend sans doute l’existence, seulement ils n’ont
pas encore été signalés jusqu’ici.
Une conséquence de la tumeur blanche scapulo-humérale consiste dans
un certain déplacement ou luxation de la tête humérale. Les auteurs en
ont même admis deux espèces : en bas ou axillaire, en haut ou sus-cora-
coïdienne. A. Bonnet (de Lyon) nie ces luxations par tumeur blanche, en
se fondant sur ce que l’amaigrissement de la région et l’abaissement de
la tête peuvent en imposer. Il avoue avoir reconnu son erreur à l’autopsie,
n’ayant pas rencontré la luxation qu’il avait diagnostiquée pendant la vie.
506 EPAULE (pathologie). — scapulalgie.
Crocq, si compétent en pareille matière, sans nier la luxation, dit ne
l’avoir jamais vue. Il ajoute que tous les signes de la luxation peuvent
exister sans qu’il y ait luxation , et, d’autre part, ceux-ci peuvent être
rendus obscurs par l’altération des parties molles. Afin d’éviter l’erreur,
Crocq conseille de tenir compte de la direction de l’axe de l’os, qui devra
être changé dans la luxation et rapporte plus ou moins en dedans.
Cette donnée juste, s’il s’agit d’une luxation sous ou intra-coracoïdienne
cesserait d’avoir de la valeur, dirons-nous à notre tour si, comme le
prétend Malgaigne, la subluxation a toujours lieu en haut, au-dessus et
en dehors de la coracoïde.
L’ankylose étant une des conséquences possibles de la tumeur blan¬
che, nous devons en dire quelques mots.
Rust et les auteurs qui lui succédèrent ont avancé sans preuve que
l’ankylose était rare à l’épaule. Or c’est précisément le contraire qui est
vrai. A. Bonnet explique la facilité avec laquelle les ankylosés se produi¬
sent à l’épaule, par la mobilité de l’omoplate, qui fait que des mou¬
vements assez étendus du bras s’effectuent sans que l’articulation de
l’épaule, siège de la douleur, y participe en aucune façon. De là, une im¬
mobilité relative et comme conséquence, la raideur et l’ankylose de celle-ci.
Crocq explique, de son côté, l’erreur des auteurs à cet égard, en faisant
observer qu’ils ont dû prendre pour des mouvements du bras ce qui reve¬
nait à l’omoplate et à la clavicule.
Symptômes. — La douleur spontanée, tantôt modérée et d’autres fois
vive, peut s’irradier parfois jusqu’au coude, surtout au moment des accès
douloureux.
V attitude du membre est celle qu’affectent en général les individus
qui ont une lésion de l’épaule (flexion de l’avant-bras, avec le bras plus
ou moins collé au tronc).
Le gonflement périarticulaire parfois très-prononcé, surtout en avant,
ne s’étend que rarement au delà du tiers supérieur du bras. La peau y
est tendue, luisante, blanche, ou plus ou moins enflammée , surtout par
places et au voisinage des trajets fistuleux.
Plus tard, le gonflement diminue ou disparaît même, et à la place on
trouve un amaigrissement avec aplatissement du moignon de l’épaule,
dus, comme il a été dit, à l’atrophie des muscles.
Les changements de longueur du membre, allongement ou raccourcis¬
sement, sont bien plus souvent apparents que réels et s’expliquent par
l’abaissement ou l’élévation du scapulum.
Lorsque ces changements sont réels, ils dépassent rarement 1 ou
2 centimètres.
À la période d’abcès, on y rencontre divers points où la fluctuation est
très-évidente, en même temps que l’épaule est presque entièrement œdé¬
matiée. L’empâtement rend parfois le signe de la fluctuation plus dif¬
ficile à saisir que si les tissus avaient conservé leur souplesse, comme en
cas d’hydarthrose.
Enfin, il se peut que, par des mouvements imprimés à l’humérus, on
ÉPAULE (pathologie). — scapdlalgie. 507
parvienne à produire des craquements, indice de l’alteration des carti¬
lages et des os.
Les symptômes généraux sont au début ceux d’une inflammation vive :
fièvre, douleurs vives, insomnie, soif, inappétence, etc. Plus tard, et à
mesure que la suppuration se prolonge, la fièvre prend les caractères de
la fièvre hectique : exacerbations fébriles le soir, légers frissons, sueurs
nocturnes, diarrhée intermittente , pâleur et maigreur très-prononcées.
Enfin il survient des signes d’affection septique , tels que ; adynamie
profonde, langue fuligineuse, diarrhée incoercÆle. Accidents qui empor¬
tent le malade, à moins que quelques complications graves : pleurésie,
phthisie pulmonaire, péritonite tuberculeuse, etc. , ne viennent mettre une
fin anticipée à la vie.
Lorsque le malade doit guérir, on voit, au contraire, les accidents
s’amender : les trajets fistuleux se ferment; l’œdème et l’empâtement
fongueux disparaissent, et le malade conserve une gêne considérable
des mouvements, due, tantôt à une simple raideur, d’autres fois, à
une ankylosé fibreuse ou osseuse, le tout accompagné d’une atrophie des
muscles.
Diagnostic. — Au début on pourrait croire à une simple arthrite, mais,
ici comme ailleurs, la constitution de l’individu, la coexistence d’autres
signes de scrofule, les antécédents et bientôt l’aspect fongueux de la
région, l’apparition d’abcès et de fistules, lèveront tous les doutes» Même en
présence de fistules, l’hésitation est encore possible. Supposons que le
tiers supérieur de l’humérus soit le siège de carie ou de nécrose, sans
nulle communication avec l’articulation, et nous aurons à peu près tous
les signes de la tumeur blanche, sauf les craquements articulaires, qui
ne sont pas d’ailleurs constants, une moindre douleur au niveau de l’in¬
terligne articulaire, et une conservation plus grande de la mobilité de
la jointure.
Mais, nous le répétons, il y a des cas où le doute est absolument per¬
mis entre l’arthrite fongueuse et l’arthrite carieuse ou nécrosique du tiers
supérieur de l’humérus.
Supposons maintenant que le stylet introduit dans un ou plusieurs
trajets arrive à sentir des surfaces osseuses dénudées, il s’agit de recon¬
naître encore si l’on a affaire à la tête de l’humérus, au scapulum, ou
bien aux deux os à la fois, et cette recherche, on le comprend, n’est pas
sans importance au point de vue de la médecine opératoire.
Nélaton a proposé à cet effet un ingénieux procédé d’exploration :
après avoir introduit un ou deux stylets par les fistules, jusque sur la
surface dénudée, on applique alternativement l’oreille sur l’humérus ou
le scapulum pendant qu’on percute avec le stylet explorateur. D’après la
■direction que suivent les vibrations, il sera aisé de se rendre compte de
l’os dénudé.
Pronostic. — La scapulalgie peut guérir avec ou sans ankylosé. L’an-
kylose, grâce à la mobilité de l’épaule est bien moins gênante ici que
lorsqu’il s’agit du coude, du genou ou de la hanche.
508 ÉPAULE (pathologie). — scapülalgie.
Dans les cas avancés, le malade est le plus souvent perdu si l’on n’in¬
tervient activement, attendu que les clapiers purulents ne font que se
multiplier et envahir la totalité de l’épaule et du bras, auquel cas sur¬
viennent aussi les accidents de septicémie.
Fréquence et causes. — L’arthrite fongueuse scapulo-humérale est
l’une des plus rares, sans qu’on puisse en donner la raison. Tout ce qu’on
peut dire, c’est que l’hydarthrose et en général toutes les arthrites sont
moins fréquentes à l’épaule qu’aux membres inférieurs.
Crocq, sur un total de 140 cas de tumeurs blanches, compte 3 cas de
scapülalgie, dont un chez l’homme, un chez la femme et un troisième
chez un enfant.
Dans ce relevé, la proportion est de pour l’épaule,
inférieur à celle du coude qui est de .
— à celle du poignet qui est aussi de . ^
— à celle des phalanges qui est de .
Péan cite deux faits qui démontrent que la scapülalgie peut se montrer
pendant la vie intra-utérine ou quelques jours seulement après la nais¬
sance. Il y a trois mois, nous en avons vu un cas à la consultation de
l’hôpital Saint-Louis, chez un petit enfant chétif de trois mois ; il y
avait une vaste poche purulente que nous avons ouverte au bistouri par
le procédé sous-cutané. L’orifice est resté fîstuleux, et l’enfant est actuel¬
lement en voie d’amélioration, grâce à l’immobilité, aux cataplasmes et
à l’huile de loie de morue.
Il va sans dire, que la diathèse joue ici le principal rôle. Nous accor¬
dons une certaine part aussi aux causes accidentelles (chutes, coups,
distorsion, action du froid humide).
Traitement. — Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit 1. 111,
p. 456, à l’article Tumeurs blanches en général, nous contentant de nous
arrêter sur trois points également importants dans le traitement de la
scapülalgie, à savoir :
1“ L’immobilisation du membre ; 2“ la restitution du mouvement ou
les moyens de combattre Tankylose ; 3“ la résection et la désarticulation.
1“ Immobilisation. — 11 n’est pas aussi aisé qu’on pourrait le croire au
premier abord d’immobiliser l’articulation de l’épaule, surtout si l’on
tient à fixer le scapulum.
C’est pour avoir compris cette difficulté que Bonnet a proposé la gout¬
tière-cuirasse en cuir moulé. Nélaton et Crocq se servent de préférence
du bandage ouaté de Burggraeve.
Enfin, on pourrait arriver au même but à l’aide d’un moule en gutta-
percha ou d’attelles plâtrées dont nous faisons le plus grand cas, d’après
ce que nous obtenons journellement dans notre service d’hôpital.
2“ Combattre la raideur ou V ankylosé consécutive. — Il faut commen¬
cer, ainsi que l’a établi Bonnet (de Lyon), par immobiliser l’omoplate, et
ce n’est qu’à cette condition que tout mouvement communiqué se pas¬
sera réellement dans l’articulation.
Pour arriver à ce but, A. Bonnet a proposé trois appareils à mouve-
ÉPAULE (pathologie). — scapulalgie. — paralysies.
ment. De ces trois appareils, deux s’adressent à l’élévation, et le troisièm'^
à la rotation de l’humérus sur l’axe. Ils sont décrits et figurés dans lés
ouvrages d’A. Bonnet et de Gaujot. '
Le plus souvent, on peut se passer de machines, si le chirurgien sait
administrer par degrés le mouvement, et indiquer au malade des manœu¬
vres que celui-ci pourra répéter plusieurs fois dans la journée. Nous ren¬
voyons pour cela à l’article Ankylosé, t. Il, p. 555 et aux leçons d’or¬
thopédie de Malgaigne.
5° Résection scapulo-humérale. ■ — On trouvera plus loin la description
de cette opération, dont nous allons juger à présent la valeur au point de
vue clinique.
Günther (de Leipzig), sur 32 résections pour scapulalgie, compte:
guérisons, 20 ; morts, 4 ; résultats inconnus, 8.
J. Péan, sur 49 cas recueillis dans les journaux français, allemands,
anglais et américains arrive à la proportion de 1 insuccès sur 4 ou 5.
Tout partisans que nous soyons de la résection, il faut avouer toutefois
que les statistiques composées par des observations prises dans les jour¬
naux, ne méritent qu’une créance relative, attendu que, si la plupart des
succès sont publiés, il en est tout autrement des revers.
Ce qui ressort de ces statistiques, c’est que les chances de succès très-
grandes, chez les enfants et les adolescents, diminuent avec l’âge.
La supériorité de la résection sur l’amputation, est tout entière dans la
conservation de la plupart des mouvements et des fonctions du membre.
Il est bien entendu que les mouvements du bras se passent en partie dans
le scapulum, en partie dans la néarthrose.
De tous les mouvements, celui qui reste le plus borné est l’abduction,
qui n’atteint presque jamais l’angle droit.
Exceptionnellement, comme dans un cas de Syme et chez le chasseur
de Blois, opéré par Nélaton, l’usage du bras peut se rétablir en totalité.
4° Désarticulation. — Lorsque le mal est très-avancé, que des trajets
fistuleux sillonnent la totalité de la région, que l’individu est épuisé au
point que l’on prévoit qn’il ne pourra supporter la suppuration abondante
et prolongée qu’entraîne après elle la résection, que surtout il s’agit d’un
individu arrivé à l’âge mûr ou d’un vieillard, il faut donner la préférence
à la désarticulation. Cette opération est encore indiquée lorsque la ré¬
section n’a amené aucun bon résultât. Enfin, le milieu est à prendre en
grande considération, attendu que nous voyons tous les jours des indi¬
vidus réséqués, qui guérissent admirablement à la campagne, périr misé¬
rablement dans nos hôpitaux, par suite d’une infection septique qui nous
échappe dans son essence et qui déjoue tous nos moyens de traitement.
Nous le répétons, la désarticulation dans ces conditions fâcheuses, en
donnant une plaie à découvert facile à panser et dont la cicatrisation est
prompte, supprime du coup toutes les parties malades et trouve son ap¬
plication, comme moyen d’urgence.
Paralysies. — 1“ De la paralysie de l’épaule en général. — Nous avons
insisté déjà sur la paralysie qui accompagne les luxations de l’humérus.
510 ÉPAULE (pathologie). — paralysies.
tantôt primitivement, tantôt, et le plus habituellement, après des tenta¬
tives de réduction. A ce propos, nous avons indiqué la compression des
nerfs du plexus brachial contre les côtes, par la tête humérale luxée, à
quoi il faut ajouter les tiraillements et la compression directe de ces
mêmes nerfs, alors qu’on se livre à des tractions énergiques ou qu’on
exécute la bascule, comme méthode de réduction.
Laissant de côté la commotion des nerfs admise par Malgaigne, mot
vide de sens, et qui suppose quelque chose de contraire aux faits d’ob¬
servation journalière, nous montrant les accidents paralytiques persis¬
ter et aller même en s’aggravant avec le temps, nous insisterons sur
la contusion qui, à elle seule et sans luxation, sufiit pour produire la para¬
lysie.
On a admis encore ici la possibilité d’un pincement du plexus bra¬
chial entre la clavicule fortement abaissée et la première côte. Nous
citerions plus loin une observation de Duchenne (de Boulogne) qui semble
confirmer ce mécanisme.
Les chutes sur le coude et même sur la main, le bras étant dans l’ex¬
tension, peuvent occasionner parfois la paralysie, auquel cas la théorie
de la compression des nerfs entre la clavicule et la première côte ne peut
évidemment plus nous servir.
Pour la paralysie isolée du deltoïde, la contusion du nerf circonflexe a été
souvent invoquée, nous l’avons déjà dit, depuis J. L. Petit et Boyer.
Empis, de son côté, pense que certaines paralysies du deltoïde sont dues
à des lésions du tissu musculaire ; chose difficile à concilier avec ce que
nous savons sur la longue durée et la persistance parfois indéfinie de la
paralysie.
Quoi qu’il en soit du mécanisme de ces paralysies traumatiques, 1 étude
fonctionnelle des muscles offre ici le plus grand intérêt , en tant qu’elle
sert à en dévoiler la nature.
Depuis les belles recherches de Duchenne (de Boulogne), nous savons
que, dans les paralysies par compression ou contusion des nerfs mixtes,
il arrive très-souvent que le mouvement seul est perdu, alors que la
sensibilité se conserve ou n’est qu’émoussée. 11 est curieux de voir, en
effet, que, dans tous les cas connus, la motilité est la plus compromise;
ce n’est qu’exceptionnellement, comme dans un fait signalé par Bichat,
que la sensibilité se trouve la première atteinte.
Une autre particularité de la plus haute importance, mise au jour par
Duchenne (de Boulogne), consiste en ce que, dans certain cas, l’élément
trophique du nerf se trouvant intéressé, le muscle s’atrophie et perd
rapidement son irritabilité électrique, alors qu’ ailleurs, la nutrition du
muscle n’ayant pas souffert, celui-ci répond presque normalement aux
incitations électriques.
Dans le premier cas, le pronostic est grave, attendu que le muscle
subira l’altération graisseuse, quoi qu’on fasse, sauf à voir celui-ci se
régénérer par la suite, soit en totalité, soit en partie. Le pronostic est, au
contraire, très-favorable toutes les fois que le muscle répond aux cou-
ÉPAULE (pathologie). — paralysies. 511
rants électriques, et il suffira parfois de quelques séances d’électricité
pour lui rendre le pouvoir de se contracter normalement sous l’influence
de la volonté/_
On savait, depuis longtemps déjà, que, parmi les paralysies du membre
thoracique, consécutives aux luxations ou aux contusions, il y en avait
qui guérissaient rité, d’autres lentement, au bout de plusieurs mois on
de plusieurs années, et d’autres qui persistaient toute la vie ; seulement
on était loin de connaître le pourquoi, et encore moins le moyen de dire
par avance qu’elle en serait l’issue. Grâce à l’électricité, nous pouvons
donner aujourd’hui une réponse satisfaisante à toutes ces questions.
Pour avoir une idée des variations dont nous parlons, il sera bon de
citer ici le passage suivant de Boyer :
« Desault a vu deux fois, dit-il , la paralysie de tous les muscles de
l’extrémité supérieure à la suite de la luxation du bras. Dans l’un des
malades, la paralysie résista à tous les secours de l’art, et le membre fut
privé pour toujours de ■ ses mouvements; dans l’autre, la maladie céda
aux liniments irrit'ârit^j^et le seizième jour de l’accident, les muscles
avaient recouvré leur faculté contractile, et les mouvements s’exécutaient
comme à l’état naturel. Nous avons observé trois fois la paralysie du
muscle deltoïde à la suite de la luxation en bas de l’humérus. Chez deux
des malades qui éprouvèrent cet accident, la paralysie céda aux applica¬
tions irritantes; mais chez le troisième, qui était un homme fort et
vigoureux, la paralysie fut rebelle à tous les secours de l’art. Cet homme
étant devenu infirmier à l’hôpital de la Charité, nous avons eu occasion de
l’observer pendant plusieurs années ; le muscle deltoïde est resté privé de
la faculté de se contracter, s’est aminci considérablement, et le mouvement
d’élévation du bras a été aboli. »
A part les traumatismes, une autre cause de paralysie par compression
réside dans le développement de tumeurs agissant sur le plexus brachial
ou cervical. C’est ainsi que nous avons vu une fois un cancer ganglion¬
naire sous-claviculaire produire la paralysie du bras ; une autre fois,
c’était un enchondrome gros comme le poing, siégeant à la base du cou,
dans le triangle sus-claviculaire, qui comprimait les nerfs; enfin Nélaton
cite un cas de tumeur syphilitique qui, à cause du résultat heureux
obtenu par le traitement spécifique et de sa rareté même, mérite d’être
relaté ici.
Un ancien marin, âgé de 34 ans, était affecté de paralysie brachiale avec atrophie
musculaire. La perte des mouvements était survenue tout à coup pendant le sommeil et
persista un certain temps. Neus supposâmes l’existence d’une exostose syphilitique com¬
primant les plexus brachial et cervical, et nous soumîmes le malade à un traitement ap¬
proprié. La guérison ne se fit pas longtemps attendre.
Traitement. — L’électricité constitue le moyen de traitement par excel¬
lence de ces paralysies (voy. art. Electricité, applications à la chirurgie
par Saint-Germain, t. XII, p. 533-535), à moins qu’il ne s’agisse d’une
compression par tumeur syphilitique, auquel cas l’iodure de potassium
rendrait de grands services.
512 , ÉPAULE (pathologie). — paralysies.
Les premiers effets de l’emploi de l’électricité dans les paralysies
traumatiques, est, comme on sait, de provoquer le développement de
douleurs dans le membre, autrement dit à' exalter la sensibilité. Ce signe
est d’un bon augure.
L’époque à laquelle il faut appliquer l’électricité est de la plus haute
importance, et diffère suivant que le muscle a conservé ou non sa contrac¬
tilité électrique.
Dans le premier cas, le plus tôt sera le mieux; mais, dans le second, il faut
attendre que la nutrition des muscles atrophiés se soit rétablie, ce qui n’a
pas lieu avant quatre, six ou huit mois, et même davantage (voy. Nou¬
veau Dictionnaire, t. XII, p. 554); que l’électricité devient absolument
inutile pendant toute la période d’atrophie, et son emploi a l’inconvénient
de fatiguer le malade, qui ne voudra pas s’y'soumettre de nouveau quand
le moment opportun sera arrivé. (Duchenne.)
D’après quelques faits récemment publiés , on serait conduit à penser
que les courants continus agissent plus utilement; mais une expérience
plus étendue devient nécessaire avant que de se prononcer définitivement
à cet égard.
2“ Paralysies obstétricales. — Nous devons à l’obligeance de Duchenne
(de Boulogne) la communication de faits encore inédits, qui, joints à
d’autres déjà connus, vont nous permettre de donner un aperçu de cette
variété de paralysie de l’épaule.
A. Paralysies dues à l’application du forceps. — A part la mention
faite par Smellie et Jacquemier, c’est véritablement à Danyau qu’est due
la première observation complète de ce genre de paralysie.
Guéniot a communiqué à la Société de chirurgie un second fait, et Blot
un troisième. Pour Duchenne (de Boulogne), ce dernier fait peut être
rapporté, avec tout autant de raison, à une affection cérébrale ayant,
précédé la naissance, qu’à l’action contondante du forceps sur les nerfs.
Il se fonde pour cela sur la contracture des fléchisseurs , qui existait dans
ce cas, et qui est le propre des lésions cérébrales.
Le mécanisme de cette paralysie s’explique par la pres.sion que la
branche du forceps exerce sur le plexus brachial, à la partie latérale du
cou. Dans le cas de Danyau, la paralysie était à gauche; dans celui de
Guéniot, à droite ; dans celui de Blot, à gauche; dans celui de Jacquemier,
à droite, et dans celui de Smellie, des deux côtés.
Danyau fut à même de constater l’existence de la paralysie trente-six
heures après la naissance ; Guéniot, seize jours après ; et quant au fait de
Blot, la paralysie remontait, au dire de la mère, à la naissance; l’enfant,
au moment de l’examen, était âgé de trois ans.
Pour ce qui est du sexe, il y avait deux garçons (Danyau et Guéniot) et
une fille (Blot). Dans les deux cas de Danyau, et Guéniot, une eschare li¬
néaire de 1 centimètre de long indiquait l’endroit précis ou la branche
du forceps avait porté ; dans les deux cas, c’était le long du bord anté¬
rieur du trapèze que la contusion de la peau existait. En même temps
ÉPAULE (patiiolocie). — paralysies. 515
que la paralysie du bras, il y avait, dans le fait de Danyau, paralysie
faciale incomplète du même côté.
La mort du nouveau-né n’a été signalée qu'une fois par Danyau, et
elle est survenue le huitième jour après la naissance. Yoici les lésions
qu’on a rencontré à l’autopsie :
« Il y avait un léger épanchement de sang dans les tissus environnant
le plexus brachial du côté gauche, à son origine. — Depuis ce point jus¬
qu’au dehors des scalènes, les branches qui concourent à la lormation
du plexus présentent une teinte sanguinolente, qui ne disparaît nulle¬
ment par le frottement ; au delà des scalènes, au niveau du creux axil¬
laire, les nerfs sont décolorés comme à l’état normal. Le tissu nerveux
présente partout la consistance ordinaire. Les tissus qui environnent le
nerf facial, au moment où il sort du trou stylomastoïdien pour aller s’en¬
foncer dans la glande parotide, sont ecchymosés. Le nerf lui-même est
injecté dans cette partie de son trajet ; au delà de la parotide, les ra¬
meaux nerveux présentent leur coloration normale. »
Symptômes. — Dans tous les cas publiés, il y avait perte de la motilité
avec conservation à peu près complète du sentiment.
Danyau décrit comme il suit l’état du membre paralysé ; « Le mem¬
bre supérieur gauche pendait immobile sur le côté du corps, l’avant-
bras dans la pronation, les doigts demi-fléchis. Lorsqu’on le soulevait,
il retombait inerte à sa place ; la flexion de l’avant-bras sur le bras
était instantanément suivie de l’extension passive ; non-seulement au¬
cun mouvement spontané n’avait lieu dans le membre, mais alors on
essayait vainement d’en provoquer en pinçant la peau. L’enfant témoi¬
gnait bien, par un petit grognement et par un léger mouvement d’éléva¬
tion de l’épaule produit par l’action du trapèze, que la sensibilité h’était
point affaiblie, mais la paralysie du mouvement était évidemment com¬
plète. »
Dans le cas de Guéniot, l’attitude du membre était la même que pré¬
cédemment. Le bras avait perdu tout mouvement, ainsi que l’avant-
bras, qui conservait toutefois quelques mouvements rudimentaires. Les
doigts, ainsi que la main, mais cette dernière à un plus faible degré,
avaient conservé la liberté de leurs mouvements. L’épaule pouvait être
mue en totalité ; la sensibilité était conservée.
Le pronostic varie nécessairement avec le degré de compression exer¬
cée par le forceps. — La conservation de la contractilité musculaire
électrique est d’un bon augure.
L’électricité constitue la base du traitement, et il faut l’appliquer
dès le début avec tous les ménagements que commande le bas âge^des
enfants.
B. Paralysies dues aux tractions exercées sur le fœtus. — Duchenne
(de Boulogne) a bien voulu nous communiquer quatre cas détaillés et
inédits qui s’y rapportent, dont nous allons donner l’analyse.
Dans tous les quatre, il s’agissait de petites filles. Deux fois l’enfant
s’est présente par la tête, qui était grosse, et, pour extraire les épaules.
514 ÉPAULE (pathologie). — paralysies.
l’accoucheur a dû passer les index disposés en crochet, sous les ais¬
selles, et tirer fortement. (Guibout, Campbell.) Deux autres fois, on
avait affaire à des présentations du siège, et il a fallu tirer avec force
les bras qui étaient relevés, pour les abaisser et les extraire. (Depaul,
Tarnier.)
Chose curieuse, le même groupe de muscles s’est montré paralysé
dans tous les cas, à savoir : le deltoïde, le sous-épineux, le biceps et le
brachial antérieur.
L’attitude du membre est la suivante ; chute du bras avec impossibilité
de le relever ; e.xtension permanente de l’avant-bras sur le bras. Enfin,
rotation de l’avant-bras en dedans, due à la paralysie du sous-épineux.
La sensibilité cutané était conservée, mais la contractilité électrique
était entièrement abolie, sauf dans le cas observé par Tarnier, où elle
n’était qu’affaiblie.
Contrairement aux paralysies traumatiques des nerfs mixtes chez
l’adulte, la paralysie dont nous nous occupons ici guérit par l’électricité
assez vite, alors même que les muscles ont perdu leur contractilité élec¬
trique. Abandonnée à elle-même, cette paralysie devient incurable et
produit l’atrophie du membre. '
Complication de luxation. — De même que la paralysie de l’adulte,
celle-ci peut se compliquer de subluxation de l’humérus, et c’est à tort
qu’on a pu prendre des cas de ce genre
pour des luxations congénitales; ainsi
que nous l’avons dit précédemment.
{Luxation congénitales de l’humérus.)
La luxation en question se produit tou¬
jours en arrière, et appartient à la variété
sous-acromiale (fig. 81).
Outre les caractères propres à ce genre
de luxation, Duchenne (de Boulogne) a
constaté l’affaiblissement de la contrac¬
tilité électrique, et même l’atrophie de
plusieurs muscles animés par le radial ou
le cubital, d’où, parfois, la griffe.
Depuis 1857, Duchenne a observé 8 cas
de ce genre, dont un avec Nélaton, et il
avoue qu’avant d’avoir l’attention attirée
sur cette complication, divers autres cas
Fig. 81. — Luxalion sous-acromiale OUt dû lui échapper. G est, On le voit,
obstétricale. (Dochekne, de Bou- une complication assez fréquente.
Dans plusieurs de ces cas, qui dataient
de 6 et 8 ans d’âge, Chassaignac, à qui Duchenne confia le soin de la
réduction, l’obtint d’une façon définitive, grâce â un appareil contentif
gardé pendant cinq et six semaines.
Disons, en terminant, que l’observation de Gaillard (de Poitiers), que
nous avons donnée comme un exemple de luxation congénitale {voy.
ÉPAULE (pathologie). — paralysies. 515
plus haut), et où la réduction a pu être obtenue au bout de 16 ans, nous
paraît rentrer dans les luxations obstétricale, dont il est question en ce
moment.
S’il en est véritablement ainsi, cette observation démontre un fait ca¬
pital, à savoir, que la réduction de la luxation peut être tentée à une épo¬
que très-éloignée de la naissance ; ce qui, à son tour, peut devenir un ca¬
ractère propre de ce genre de luxations.
3° Paralysies des muscles de V épaule en particulier. — A. Trapèze.
— La portion claviculaire ou inspiratrice de ce muscle, animée, comme
on sait, par deux espèces de nerfs, le spinal et des rameaux du plexus
cervical, peut perdre isolément sa contractilité volontaire ou son ac¬
tion inspiratrice, suivant que le plexus en question ou le spinal est in¬
téressé.
La paralysie de la portion moyenne ou acromiale du trapèze (fig. 82)
Fig. 82. — Paralysie avec atrophie de la por- Fig. 83.
tion moyenne du trapèze. — AB, Angle du
interne et inférieur du scapulum.
se caractérise par la chute du moignon de l’épaule, et V obliquité de
l’omoplate , dont l’angle inférieur s’élève et se rapproche de la ligne
médiane du dos. — Cette difformité est caractéristique, et ne pourrait
être confondue qu’avec la contracture du rhomboïde.
Grâce à l’action de la portion claviculaire du muscle, lorsqu’elle est
conservée, grâce à celle de l’angulaire, et surtout du tiers supérieur du
grand pectoral, l’épaule peut encore s’élever avec force.
516 ÉPAULE (l'ATliOLOGIE) . - PARALYSIES.
Entin la troisième portion du trapèze étant paralysée, on voit le scapu-
lum entraîné en dehors et en avant, et chaque fois que le malade veut
rapprocher en arrière les deux épaules, le scapulum du côté malade s’é¬
lève en tournant sur son angle externe (fig. 83). La paralysie du tra¬
pèze, à part un certain affaiblissement des mouvements d’élévation des
membres, ne trouble en rien les mouvements du bras.
B. Grand dentelé. — Les signes propres à la paralysie de ce muscle
sont : Saillie du bord spinal de l’o¬
moplate, qui se détache du plan
des côtes (fig. 84); chute du moi¬
gnon de l’épaule avec élévation
de l’angle inférieur, qui se rap¬
proche de la ligne médiane du
dos.
Les signes pathognomoniques
ci-dessus ne se manifestent que
pendant l’élévation volontaire du
bras. On peut se convaincre alors
que l’élévation du bras est dimi¬
nuée par suite du mouvement de
bascule et d’abaissement anormal
éprouvé par le scapulum. — Il
suffit en effet de fixer l’omoplate,
après l’avoir ramenée à sa position
normale, pour voir le deltoïde se
contracter avec force et produire
une élévation complète du bras.
Si le contraire arrive, il faut en
conclure que le deltoïde participe
lui-même à la paralysie.
G. Deltoïde. — La paralysie du
deltoïde facile à reconnaître, d’après la saillie anguleuse de l’acromion,
l’aplatissement du moignon de l’épaule, l’allongement du bras avec écar¬
tement de la tête de la cavité glénoïde, permettant parfois l’interposition
de deux et de trois doigts, enfin le défaut de contractilité volontaire de
ce muscle ne saurait exposer à une méprise. Il n’a pas manqué toutefois,
et cela se voit encore assez souvent, que des médecins peu attentifs aient
pris cette lésion pour une luxation scapulo-humérale. Des praticiens
capables ont pu, de leur côté, méconnaître des paralysies d’autres mus¬
cles de l’épaule qui viennent compliquer celle du deltoïde.
Parmi les paralysies qui se lient souvent à celle du deltoïde, nous
devons signaler celles du grand dentelé et des muscles trochantériens.
Ainsi qu’il a été dit précédemment, la paralysie du grand dentelé
ne devient manifeste que lorsque le deltoïde se contracte pour produire
l’élévation du bras. Lors donc que ce dernier muscle se trouve privé d’ac¬
tion, la paralysie du grand dentelé risque de passer inaperçue, si l’explo-
l'.PAULE (pathologie). — paralysies. o17
ration électrique, l’immobilité et la saillie du bord spinal du scapulum,
lorsqu’on invite l’individu à contracter ses pectoraux, comme pour por¬
ter le moignon de l’épaule en avant et en haut, ne dévoilait cette lé-
La paralysie des muscles qui s’insèrent aux deux tubérosités de l’hu¬
mérus, ou rotateurs de riiumérus, a été bien décrite pour la première fois
jiar Duchenne (deBoulogne). La gêne qui en résulte pour les fonctions du
membre, est, d’après cet auteur, si grànde, que nous devons y insister
d’une façon particulière.
Parmi ces muscles, il y en a deux, le sous-épineux et le petit rond,
qui produisent la rotation de l’humérus en dehors, tandis que le sous-
scapulaire, auquel il faut a.iouter le grand rond et accessoirement le sus-
épineux, exécutent la rotation en dedans.
a. Sous-épineux et petit rond. — L’individu privé de la rotation en
dehors de l’humérus, par suite de la paralysie de ces deux muscles, qui
îi’en font qu’un, ne peut ni tracer des lignes ni écrire an delà d’un inter¬
valle de trois à quatre centimètres au plus. Après avoir écrit un ou deux
mots, ne pouvant plus suivre la ligne, il est forcé de s’arrêter, et pour
continuer, il se trouve obligé de tirer son papier de droite à gauche, jus¬
qu’à ce qu’il arrive au bout de la ligne. Un individu dont Duchenne rap¬
porte l’histoire, éprouvait tant de peine et d’ennui pour écrire, qu’il avait
dû y renoncer. — Les professions qui nécessitent l’usage de l’aiguille,
comme pour coudre, broder, etc., sont tout aussi entravées que l’écriture
parla perte des muscles rotateurs. Lorsqu’en cousant ou brodant, etc., on
tire l’aiguille de dedans en dehors, les muscles dello’ide, sous-épineux et
petit rond se contractent énergiquement, le premier pour écarter le bras
du tronc, le second pour imprimer, à l’avant-bras et à la main, par l’in¬
termédiaire de l’humérus, un mouvement d’arc de cercle qui les ramène
en dehors. En supposant le deltoïde seul paralysé, les malades, grâce
aux rotateurs en dehors de l’humérus, peuvent parfaitement coudre, tan¬
dis que, les rotateurs perdus et le deltoïde conservé, il faudra à l’indi¬
vidu exécuter des mouvements d’abduction très-étendus, qui le fatiguent
et l’obligent d’interrompre son travail à tout moment.
p. Sous-scapulaire, yrand-rond et sus-épineux. — Pour constater la
paralysie de ces muscles, on porte l’humérus et l’avant-bras demi-fléchi
dans la rotation en dehors, et si l’individu ne peut tourner le membre en
dedans, on conclut à leur paralysie.
La gêne apportée par la paralysie des rotateurs internes, équivaut à la
perte totale des muscles rotateurs, attendu que, ni la portion supérieure
■du grand pectoral, ni la portion antérieure du deltoïde, ne peuvent les
rsuppléer. Il en résulte d’ailleurs une impotence plus considérable, at¬
tendu que le membre ne peut plus atteindre ni la tête ni le côté opposé
•du tronc.
Médecine opéentoire. — Les opérations réglées qui se pratiquent
sur l’épaule, comprennent :
1° La désarticulation du bras; 2° la résection scapulo-humérale ;
518 ÉPAULE (pathologie). — désarticulation du bras.
3° l’ablation d’une partie ou de la totalité du scapulum ; 4“ la résection
de l’extrémité externe de la clavicule.
Désarticulation du bras. — C’est à Ledran {Observations de chirurgie,
t. I, p. 315) et à Morand père {Opuscules, IP partie, p. 212) qu’il faut
faire remonter la première désarticulation de l’épaule.
La couche musculaire superficielle formée par le deltoïde est, nous
l’avons dit déjà, beaucoup plus épaisse en arrière qu’en avant, aussi, au
moment de la section se rétracte-l-elle avec une grande force en entraî¬
nant les téguments.
Les muscles de la couche profonde se laissent couper facilement, en
portant le bras successivement dans la rotation opposée à la marche du
couteau; seul, le muscle sous-scapulaire offre quelque difficulté, alors
même qu’on vient à exagérer la rotation du membre en dehors.
L’acromion forme une saillie tellement prononcée, qu’il est nécessaire
de ménager une grande quantité de peau, si l’on veut que cette apophyse
reste recouverte.
L’étendue plus considérable des parties molles en arrière, fait que,
pour arriver à tracer un lambeau antérieur égal au postérieur, il faut
reporter l’incision derrière le sommet de l’acromion.
Toute incision qui, endedans,ne se prolonge quededeux à trois travers de
doigt plus bas que l’insertion du grand pectoral à l’humérus, risque de
laisser dans le creux axillaire une forte encoche à la peau, ce qui nuit à
la régularité de la cicatrice, il est vrai, mais rend, ainsi que le fait ob¬
server Sédillot, l’écoulement du pus plus facile.
Enfin, l’hémorrhagie abondante qui résulterait de l’ouverture de l’ar¬
tère axillaire commande qu’on se préoccupe, dans le choix du procédé,
pour ne donner la préférence qu’à ceux qui intéressent les vaisseaux
axillaires, tout à fait en dernier lieu, ou qui permettent de les saisir et
de les comprimer avant que d’en faire la section.
Procédés opératoires. — Ils sont nombreux et bien qu’ils ne soient
pas tous aussi parfaits les uns que les autres, nous devons les passer en
revue, vu qu’assez souvent la lésion nous empêche d’en avoir le choix.
1“ Méthode circulaire. — Usitée du temps de Garengeot, elle est con¬
nue sous le nom de procédé d’Alanson, qui l’a décrite ainsi que Ber-
trandi.
Græfe la pratiquait, à l’aide d’un couteau en rondache, en vue de
sectionner les muscles obliquement, sous la forme d’un cône creux, dont
l’articulation représentait le sommet.
Procédé d’Alanson et de Cornuau. — On pratique à quatre travers de
doigt au-dessous du sommet de l’acromion une incision circulaire (Alan-
son), en ne comprenant que les deux tiers externes de la circonférence
du membre (Cornuau, 1830), et qui, dans tous les cas, ne devra intéres¬
ser que la peau.
Les téguments relevés, on divise le deltoïde, puis la capsule et les ten¬
dons ; on luxe la tête en haut, et en glissant le couteau en dedans de l’os,
on achève de diviser les parties molles avec le paquet vasculo-nerveux.
ÉPAULE (pathologie). ■ — désamtcdlatio.n du bras. 519
après qu’un aide a saisi l’artère pour la comprimer, et prévenir ainsi
l’effusion d’une grande quantité de sang.
La plaie qui en résulte est très-régulière et peu étendue ; malheureu¬
sement, le procédé est d’une exécution difficile et, à moins, de suivre le
procédé défectueux de Sanson, qui rapprochait son incision à un travers
de doigt de l’acromion, on est obligé, surtout chez les sujets bien mus¬
clés, d’ajouter, comme l’avait indiqué Alanson lui-même, une incision
verticale partant de l’incision circulaire pour aboutir au sommet de l’a¬
cromion. Cela revient au procédé de Benjamin Bell, sauf qu’ici, l’inci¬
sion verticale étant double, on a un véritable lambeau antéro-externe.
2° Méthode à lambeaux. — .4. Deux lambeaux. — Nous ne parlerons
que pour mémoire du procédé de Garengeot, qui consiste à couper à
l’aide de trois incisions un lambeau carré de trois travers de doigt de
hauteur, après quoi, on traverse l’article et l’on taille une second lam¬
beau axillaire de forme carrée. (Garengeot, Opérations de chirurgie.)
Le procédé de B. Bell que nous avons signalé précédemment, donne
pareillement deux lambeaux, l’un externe et l’autre interne.
•La méthode à deux lambeaux, l’un antérieur et l’autre postérieur, n’est
entré véritablement dans la pratique que depuis Lisfranc, dont le procédé
de désarticulation est un des plus expéditifs et des plus brillants de la
chirurgie. A-oici en quoi il consiste.
Procédé de Lisfranc. — Bras gauche. — On relève le bras à angle
presque droit ; le chirurgien placé derrière le malade embrasse le moi¬
gnon de l’épaule avec la main gauche, le pouce en arrière, et les deux
doigts suivants sur le triangle coraco-acromial, tout près de la clavicule.
L’opérateur, armé d’un couteau à deux tranchants et long de 22 à 24 cen¬
timètres, le plonge parallèlement à l’humérus immédiatement au-devant
du tendon du grand rond et du grand dorsal, et en suivant le côté partéro-
externe de l’humérus, il arrive sous la voûte acromiale; à ce moment, on
fait exécuter au couteau un mouvement de bascule qui relève le manche
de 6 à 8 centimètres et permet à la pointe de sortir dans le triangle acro-
mio-coracoïdien, après avoir traversé l’article. Pendant que le manche
reste immobile, on fait marcher le bout de la lame de façon à contour¬
ner la moitié postérieure de la tête, après quoi le couteau descend à
pleine lame sur le côté postéro-externe du bras, .et taille un lambeau
postéro-externe d’environ 8 centimètres qu’un aide s’empresse de re¬
lever.
L’opérateur tenant le bras à amputer bas, passe son couteau entre l’hu¬
mérus et les portions molles, au ras de l’os, et après avoir donné à presser
l’artère à un aide, taille un second lambeau antérieur de même dimension
que le postérieur (fig. 85, p. 520).
Pour le bras droit, le procédé est le même, avec la différence qu’après
avoir taillé le lambeau postérieur, comme il a été dit, le chirurgien devra
changer de place pour se mettre au-devant du malade.
Il peut aussi dès le début, prendre cette dernière position, auquel cas
520 ÉPAULE (pathologie). — désarticdlation do béas.
on pratique la transfixion en sens inverse, du triangle acromio-coracoïdien
à la paroi postérieure de l’aisselle.
Nous préférons la première manière de faire, quitte à changer déplacé.
Ce procédé de désarticulation répond parfaitement aux deux indications
capitales, à savoir l’écoulement facile
du pus et la conservation d’une quan¬
tité suffisante de tégument pour recou¬
vrir l’acromion. La seule difficulté
qu’on rencontre dans son exécution,
c’est de pouvoir contourner la tête en
passant sous la voûte coraco-acro¬
miale.
Cela est surtout vrai pour les sujets
fortement musclés, aussi Sédillot pro¬
pose de faire sortir le couteau en de¬
hors de l’acromion, quitte à ouvrir la
capsule en même temps qu’on découpe
le lambeau antérieur.
Nous ne citerons que pour mémoire
le procédé à deux lambeaux antérieur
et postérieur de Sharp, qui taillait de
dehors en dedans un premier lambeau
Fig. 85. — Désarticulation de l’épaule par antérieur, découvrait l’artère axillaire
le procédé de Li^tranc. ligature, et terminait
l’amputation en traversant l’article pendant qu’il taillait le lambeau
postérieur.
Le procédé de Desault est le même que celui de Sharp, avec la diffé¬
rence qu’on comprend dans le lambeau antérieur le nerf et l’artère dont
on doit pratiquer immédiatement la ligature.
B. A un seul lambeau. — Lambeau axillaire. — Ledran, après avoir
compris les vaisseaux et les nerfs dans une ligature temporaire pratiquée
au travers des téguments, incisait demi-circulairement sous l’acromion
toutes les parties molles, pénétrait dans l’articulation, et terminait en
taillant un lambeau axillaire de 12 centimètres de long.
Lambeau delto'idien. — La Paye découpait un lambeau deltoïdien carré
de cinq travers de doigt de long.
Dupuytren, pour son procédé dit de l’épaulette, procède comme il suit :
Le bras étant écarté du tronc, le chirurgien soulève de la main gau¬
che toute l’épaisseur du deltoïde ; de la droite, armée d’un couteau à
double tranchant, on traverse le muscle, immédiatement sous l’acromion,
et, en rasant l’os, on taille un lambeau externe d’une étendue convenable;
un aide relève le lambeau. Le chirurgien saisissant le bras près du coude,
fait saillir la lête en haut et en dehors, traverse l’article et achève de di¬
viser les parties molles au bas du creux axillaire.
Lisfranc et Champesme ont décrit un procédé analogue, avec cette
différence que, le lambeau deltoïdien étant pratiqué comme le lambeau
ÉPAULE (pathologie). — désarticülation dd bras. 521
postéro-externe du procédé à deux lambeaux de Lisfranc, la capsule se
trouve ouverte du premier coup.
Langenbeck et Clines coupent un lambeau deltoïdien, de dehors en
dedans et de bas en haut.
Lambeau unique antérieur ou jwstérieur. — Delpech, après avoir ou¬
vert l’articulation, taillait un grand lambeau antérieur, llello commence
par faire un lambeau postérieur, puis coupe les chairs en avant à l’aide
d’une incision demi-circulaire.
La plupart des procédés à lambeau unique sont des procédés de né¬
cessité, commandés par l’étendue et le sens de la perte de substance,
sauf peut-être ceux de l’épaulette de Lisfranc et Dupuytren qui, à la
rigueur, peuvent, dans certains cas , mériter le choix de l’opéra¬
teur.
^“Méthode ovalaire et en raquette. — Le procédé ovalaire pur à l’incon¬
vénient de ne pas laisser assez de tissus pour recouvrir l’acromion, aussi
a-t-il été généralement aban¬
donné, et l’on ne se sert habi¬
tuellement que du procédé en
raquette ou de Larrey, légère¬
ment modifié, comme nous
allons le dire (fig. 86).
A partir du sommet de l’a¬
cromion , sous lequel on en¬
fonce la pointe du couteau, on
pratique une incision verticale
de quatre à cinq centimètres,
comprenant toute l’épaisseur
des parties molles jusqu’à l’os.
De la partie inférieure de cette
incision, on en fait partir deux
autres obliques en sens inverse, gg _ o^sanicuiation de l’épaule par le procédé
n’intéressant que la peau et de Larrey. Figure empruntée à Sédillot.
qui s’arrêtent, l’une à la jonc¬
tion de la paroi antérieure de l’aisselle avec le bras , et l’autre au point
correspondant du bord postérieur de l’aisselle. On est sûr de respecter
de la sorte les vaisseaux et les nerfs placés en dedans.
Sédillot, qui veut qu’on incise la peau d’un seul coup, part du bas de
l’incision verticale; contourne le bras au delà du creux axillaire et revient
au point de départ.
La section de la peau faite par l’un ou l’autre procédé, on coupe
le deltoïde dans la même direction, puis les muscles profonds, eu por¬
tant l’humérus successivement dans la rotation opposée à la marche du
couteau, et l’on achève la désarticulation en rasant l’humérus du côté
interne.
Un aide est chargé en ce moment de saisir entre les doigts le paquet
vasculo-nerveux de l’aisselle, afin que, au moment où le couteau doit di-
522 ÉPAULE (pathologie). — désarticglatios du bras. »
viser ce qui reste de chairs de ce côté, on n’ait pas à craindre d’hémor¬
rhagie.
L’opération terminée, on lie l’artère axillaire et au besoin les deux cir¬
conflexes, après quoi on affronte les lèvres de la plaie, suivant une ligne
verticale, à l’exception de l’angle inférieur qui doit être tenu béant en
vue de laisser un écoulement libre aux liquides épanchés, et plus tard
au pus.
Le procédé en raquette est celui auquel les chirurgiens français don¬
nent aujourd’hui la préférence et cela à juste raison. Non-seulement il
réunit en lui tous les avantages, mais il offre encore cette supériorité
qu’il partage avec le procédé de Fleury (incision verticale, préliminaire,
combinée si besoin est avec l’amputation circulaire d’Alanson) et qui est
de permettre l’exploration de la jointure avant que de poursuivre la dés¬
articulation. Si les dégâts sont modérés, il suffira d’agrandir l’incision
verticale et de pratiquer la résection; dans le cas contraire, on fera la
désarticulation.
Résultats statistiques. — Sur 6 cas pathologiques où elle a été faite ,.
dans les hôpitaux de Paris, la désarticulation de l’épaule aurait donné
3 succès et 5 morts, tandis que, sur 7 désarticulations traumatiques, pas
un malade n’a échappé à la mort. (Malgaigne.) Il est bon d’ajouter toute¬
fois qu’à Paris, après les journées de juin 1848, 9 amputations, prati¬
quées par Roux, *Jobert, Baudens et Huguier, ont donné 6 guérisons .
D. J. Larrey, dans sa campagne d’Égypte, a eu 6 morts sur 19 opérés.
A l’hôpital de Dolma-Bagtché, lors de la guerre de Crimée, sur 21 am¬
putations primitives, il y eut 10 morts, et sur 21 amputations consécu¬
tives, 17. (Salleron, Mémoires de chirurgie militaire, t. XXII.)
Chenu, dans sa statistique de l’expédition d’Orient, a noté 153 morts et
seulement 77 survivants sur un total de 230 désarticulations de l’épaule.
Voici un tableau statistique que nous empruntons à l’excellent livre de
M. Legouest (p, 725) et qui contient plusieurs des données précédentes..
RAPPORT
Hôpitaux de Paris (Malgaigne) . 13 10 77,0
— — (ü. Trélat) . 27 17 63,0
— — (Journées de juin 1846). (Divers). 9 3 33,5
Campagne d’Orient (armée anglaise) . 43 14 31,1
— — (armée française) . 207 155 65,2
Totaux . 301 ' 'l79 59,5
En résumé, la désarticulation de l’épaule est une opération grave, et
plus grave que l’amputation du bras, qui n’a donné que 47,7 pour 100
de mortalité.
Résection de l’épaide. — A l’article Clavicule on trouvera ce qui a trait
à la résection totale ou partielle de cet os, et ici nous n’aurons à parler
que de la résection de l’omoplate et de celle de l’articulation scapulo-
humérale.
Résection de Vomoplate. — On a réséqué l’acromion, l’épine, la cora¬
coïde, l’angle inférieur ou une portion plus étendue du corps de l’omo-
ÉPAULE (pathologie). — désarticdlatiok du bras. 523
plate et cela sans grand danger. Parnai les auteurs qui ont pratiqué ces
opérations partielles on pourrait citer Larrey, Hunt, Baudeiis, Manec,
Jæger, Champion (i 803), Sommeiller, etc.
Johnson, à l’aide de deux incisions semi-elliptiques intéressant la peau
et les muscles, réséqua presque la totalité du corps de l’omoplate en vue
d’enlever une tumeur qui pesait 4 kilogrammes. Le malade guérit et con¬
serva les mouvements de l’articulation scapulo-humérale libres.
0. Heyfelder rapporte 15 cas d’amputation de l’omoplate avec conser¬
vation delà partie glénoïdale de l’os, suivies de 8 guérisons avec conser¬
vation des mouvements du bras en grande partie.
L’extirpation totale de l’os a été pratiquée un certain nombre de fois.
Dieffenbach, en 1855, excisa la totalité du scapulum et une portion de la
clavicule, en conservant le membre supérieur, chez un enfant de douze
ans affecté de cancer. Il survécut trois mois et ne succomba qu’au pro¬
grès de son mal.
Jones, en 1856, procéda de même pour une tumeur bénigne et guérit
son malade.
Syme et J. F. Heyfelder échouèrent dans deux cas.
En résumé, sur 4 extirpations totales de l’omoplate, on compte deux
morts, une guérison et un insuccès dépendant de la nature du mal.
Une incision en T, dont une des branches suit l’épine et l’autre l’axe
vertical de l’os, permet d’enlever le scapulum en totalité. Cette opération
expose à une hémorrhagie très-abondante.
Résection scapulo-humérale. — Cette résection a été pratiquée un
grand nombre de fois depuis White et Barlh. Yigarous qui furent les pre¬
miers à l’introduire dans la pratique chirurgicale.
Les procédés opératoires se sont beaucoup multipliés, suivant les be¬
soins et le génie particulier des chirurgiens ; mais, de tous, celui qui mé¬
rite incontestablement la préférence, lorsqu’on a le choix, consiste dans
une simple incision verticale.
D’une façon générale, on peut diviser tous ces procédés en deux caté¬
gories, suivant qu’on se borne à de simples incisions ou que l’on y pra¬
tique un lambeau. Dans les descriptions qui vont suivre, nous suppose¬
rons avoir toujours affaire au bras droit.
1“ Procédés par incisions simples. — Incisions en dehors. — White
commence son incision immédiatement sous la pointe de l’acromion et la
fait descendre verticalement jusqu’au milieu de l’humérus. La capsule et
les muscles péri-capsulaires étant divisés, on fait saillir la tête et, après
avoir passé une lame de carton entre les parties molles et l’os, on scie
avec une scie ordinaire.
Langenbeck pratique l’incision de White un peu plus en avant, de façon
à tomber juste sur la coulisse bicipitale , qu’il ouvre pour dégager le
tendon du biceps. En attirant celui-ci en dedans à l’aide d’un crochet
mousse, il évite de le couper au moment de l’ouverture de la capsule.
Bromfield, dans les cas ou des tissus lardacés rendent l’incision verti-
524 ÉPAULE (pathologie) . - DÉSAliTICCLATIO-'i DU BRAS.
cale insuffisante, ajoute une autre horizontale au bas de celle-ci de sorte
qu’il obtient ainsi deux lambeaux triangulaires à sommet inférieur = j,.
Syme ne fait que la moitié 'postérieure de l’incision horizontale de
Bromfield= j.
Champion ajoute à l’incision de White une incision horizontale en haut
et en arrière q.
Enfin Buzairies, dans les cas difficiles, pratique une double incision
en T qui, à l’opposé de celle de Bromfîeld donne deux lambeaux trian¬
gulaires à base inférieure.
Incisions en avant. — Bent fut le premier qui, profitant d’un trou fis-
tuleux, fit une incision verticale en avant, à égale distance de l’acromion
et de la coracoïde. Cette incision ne lui suffisant pas, il ajouta une inci¬
sion horizontale en avant qui détacha les insertions claviculaire du del¬
toïde = r.
Baudens {Clinique des plaies par armes à feu, 1836) préconisa en rè¬
gle l’incision antérieure, en se fondant sur ce que la tête humérale est ici
plus superficielle et plus dégagée de la voûte acromiale que partout ail¬
leurs. Seulement, trouvant cette incision insuffisante dans quelques cas,
il ajoutait la section sous-cutanée de quelques fibres du deltoïde à l’angle
supérieur de la plaie.
Malgaigne, afin de se créer une ouverture plus large, fit partir l’inci¬
sion de Baudens du sommet du triangle coraco-claviculaire , divisant du
même coup la peau, le deltoïde , le ligament de la voûte et la capsule
articulaire. De cette façon, on met l’articulation à nu, non pas seulement
en avant," mais en haut, jusque près de la cavité gléno'ide ; ce qui facilite
de beaucoup la section de la tête humérale.
Incision en arrière. — Stromeyer fait une incision courbe à concavité
antéro-externe qui , du bord postérieur de l’acromion , descend oblique¬
ment en bas en avant et en dehors, dans l’étendue de 10 centimètres. Le
but qu’il se propose est de conserver le tendon du biceps, et surtout de
favoriser l’écoulement du pus.
hicisioiu horizontale postéro-externe. — Nélaton plonge le couteau à
1 centimètre en dedans et au-dessous de l’articulation acromio-clavicu-
laire, longe en arrière la courbe de l’acromion en se tenant à 1 centimètre
1/2 au-dessous, et s’arrête au niveau de l’angle postérieur de l’acro-
mion.
Pour mieux se rapprocher de la cavité glénoïde, il conseille de prolonger
l’incision plutôt en arrière qu’en avant.
Le but de ce procédé opératoire est de ménager le tronc et les ramifi¬
cations du nerf circonflexe, ainsi que les fibres charnues du muscle.
La seule objection à faire serait celle d’un écoulement plus difficile du
pus, si trois opérations , pratiquées déjà par l’auteur avec plein succès,
ne donnaient une entière assurance à cet égard.
2“ Procédé à lambeau. — Manne taille à la face externe de l'épaule im
large lambeau rectangulaire à base supérieure; Moreau père (de Bar)
faisait de même, mais en traçant le lambeau en sens inverse, afin de
ÉPAULE (pathologie). — désarticulation du bras. 525
pouvoir le prolonger autant que l’exigerait l’étendue de la portion d’os à
réséquer.
Le procédé déjà décrit de Syme, et ceux de Sabatier, Briot, Smith, etc.,
reviennent tous à faire un lambeau externe en V à base supérieure.
Le procédé de Morel consiste en un lambeau externe demi-circulaire ou
une sorte d’épaulette.
Quel que soit le procédé employé, une partie difficile de l’opération
consiste à ouvrir la capsule et à sectionner les muscles trochantériens.
On facilite singulièrement ce temps de l’opération en portant successive¬
ment le bras (nous supposons toujours le droit) dans la rotation en dedans,
et, ensuite, dans la rotation en dehors.
D. J. Larrey proposait de couper les tendons à l’aide d’un bistouri
boutonné passé sous eux, et l’on peut l’imiter toutes les fois qu’une
fracture de l’humérus , une enkylose partielle , ou toute autre cause,
s’oppose aux mouvements de rotation du bras sur son axe.
Il arrive des cas où la tête humérale, entièrement détachée comme dans
certaines blessures par coup de feu, doit être fixép au préalable à l’aide
d’un tire-fond.
Dans ces derniers temps on a proposé la résection sous-périostée, qui se
pratique en fendant simplement la capsule et en détachant soigneusement
le périoste, les tendons et le ligament capsulaire. Tout en avouant que ce
procédé est d’une exécution longue, difficile, et presque inapplicable dans
la chirurgie militaire (cas traumatiques récents), il n’en est pas moins
vrai que le résultat final, au point de vue de la conservation des mouve¬
ments, sera toujours meilleur que lorsqu’on laisse le bout de l’humérus
réséqué flotter au milieu des chairs.
Il va sans dire, et pour les même raisons , que l’on devra s’attacher à
conserver le tendon du biceps, et surtout la capsule, que Guthrie avait
conseillé mal à propos d’enlever, craignant qu’elle ne mît obstacle,
disait-il, à la réunion.
La section de la tête pourra se faire avec la scie ordinaire, la scie à
chaîne, ou, et c’est ce que nous préférons, la petite scie à mains de
Langenbeck, que l'on fait manœuvrer de dedans en dehors.
Si la cavité glénoïde était elle-même lésée, on pourra, suivant les
cas, se borner à une simple rugmation, ou bien enlever celte partie de
l’os.
La mobilité de l’os, et la profondeur dans laquelle il se trouve, en
rendent l’excision difficile. Pour obvier à ces inconvénients, Nélaton s’est
servi d’une pince incisive, analogue à une tenaille ordinaire, dont les
mords seraient tranchants, ou mieux, à l’instrument appelé trkoise du
maréchal. Une vis à manivelle sert à en rapprocher les mords, et, d’un
seul coup, on enlève le tout.
Ferguson, dans le même but, s’est servi de cisailles incisives, dont
l’une des lames est concave et l’autre convexe.
Le pansement consiste à tenir le bras immobile contre le tronc d’une
façon quelconque, et à faciliter, par tous les moyens, l’écoulement du
526
ÉPAULE. - BIBLIOGRAPHIE.
pus. Dans ce dernier but on pratiquera des injections antiseptiques dans
le fond de la plaie, et l’on y maintiendra un drain en permanence jusqu’à
ce que la cicatrisation soit très-avancée et la suppuration presque entière¬
ment tarie. On comprendra d’autant mieux l’importance de ce précepte,
que l’on ne perdra pas de vue les collections purulentes sous-pectorales, et
les cas encore assez fréquents d’infection purulente.
Il n’est pas rare que , même après la cicatrisation , il reste encore
quelques fistulettes qui mettent plusieurs mois, une ou deux années à se
tarir.
Une fois la guérison obtenue, l’humérus manque de point d’appui
scapulaire; aussi le bras se trouve généralement privé du mouvem.ent
d’abduction directe en dehors, alors qu’il peut être porté en arrière, en
avant, et que l’avant-bras et la main jouissent de l’intégrité de leurs
mouvements.
Pour suppléer à l’abduction qui fait défaut, on a proposé des appareils
prothétiques destinés à compléter les mouvements du bras.
En parlant de la scapulalgie, nous avons indiqué le chiffre de la mor¬
talité pour les cas pathologiques. Voici la mortalité des résections à la
suite d’un traumatisme ;
Günther .
Esmarch, guerre de Schleswig. . .
Guerre de Crimée (armée anglaise) .
— — (armée française).
69 opérés.
19 —
12 —
6 —
106 opérés.
10 morts.
7 —
2 —
4 —
21 morts. (R.apport:20,0p.l00).
On voit que c’est là une proportion des plus encourageantes et qui
prouve que la résection scapulo-humérale pour cause traumatique, est
trois fois moins grave que la désarticulation (59,5 p. 100), et deux fois
moins que l’amputation du bras pratiquée dans les mêmes conditions
(47,7 p. 100).
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ÉPHÊIaIDES. — Ce mot éphélides n’a pas été entendu de la même
manière par les différents auteurs qui se sont occupés de dermatologie, et
une confusion regrettable a régné pendant longtemps entre la coloration
anormale, qui constitue la véritable éphélide, et le lentigo (ou tache de
rousseur), le pityriasis versicolor et même le purpura. Aujourd’hui on
doit réserver le nom d’éphélides à des taches grises ou brunes, circon¬
scrites, plus ou moins étendues, plus ou moins régulières, mais non
uniformément arrondies, ne présentant ni desquamation ni déman¬
geaisons, et déterminées par l’accumulation anormale du pigment cutané
dans diverses régions. Cette définition se rapproche de celle donnée par
Hippocrate, qui appelle les taches survenant chez certaines femmes
par le fait de la grossesse et celles produites par les rayons solaires.
Description. — Les taches qui constituent les éphélides sont d’une
couleur brune variant de nuances et d’intensité ; ordinairement elles sont
d’un gris un peu foncé, tirant sur le jaune et représentant la coloration
désignée sous le nom de pain d'épices; quelquefois elles sont d’un gris
cendré; dans d’autres cas, elles sont d’une couleur plus foncée .se rap¬
prochant du noir, et alors elles se confondent avec les colorations qu’on a
désignées sous le nom de mélasma. Leur étendue est également variable
depuis la dimension d’une pièce de cinquante centimes jusqu’à celle de la
paume de la main et plus; leur forme en est quelquefois à peu près
arrondie, d’autres fois elle est inégale. Les contours sont rarement régu-
530
ÉPHÉLIDES. - SIEGE. - DIAGNOSTIC.
liers; le plus souvent ils sont sinueux ou frangés, mais toujours bien
accusés. La limite des taches est d’ailleurs souvent indiquée par une dé¬
coloration de la peau, qui se remarque tout autour de la surface plus
fqncée, et qui s’efface en s’éloignant. Cette zone de décoloration rend
encore plus sensible la tache éphélique, et semble indiquer que dans
ces cas il n’y a pas, à proprement parler, une augmentation réelle de la
quantité du pigment, mais seulement un déplacement de la matière co¬
lorante de la peau, abandonnant certaines parties pour se porter en excès
dans d’autres, ainsi que cela arrive d’ailleurs habituellement dans le vi-
tiligo. Ces taches sont complètement indolentes et ne donnent lieu à au¬
cune sensation, ni de chaleur ni de démangeaison ; leur surface est lisse,
et ce n’est qu’ exceptionnellement et, le plus souvent, par l’effet d’un to¬
pique appliqué dans un but thérapeutique, qu’on peut y apercevoir une
légère desquamation épidermique.
Siège. — Les épliélides peuvent se développer sur les diverses régions
du corps, mais on les rencontre cependant de préférence sur le visage,,
sur la poitrine et sur le dos des mains. A la face, ces taches se montrent,
sous la forme de plaques irrégulièrement arrondies, au front, sur les
pommettes des joues, et elles figurent quelquefois une sorte de moustache
sur la lèvre supérieure ; souvent elles existent des deux côtés symétrique¬
ment. On en voit encore au cou et à la poitrine ; dans ces régions elles-
se développent surtout surdes parties découvertes ; et chez les personnes
exposées longtemps à l’air, on voit souvent les éphélides avoir pour
limite la partie de la peau recouverte habituellement par les vêtements
et soustraite au contact de l’air extérieur et des rayons du soleil. Sur
le dos des mains on aperçoit fréquemment des taches éphélitiques de
forme à peu près arrondie et d’une couleur foncée se rapprochant du
brun ou même du noir. Ces taches se développent presque exclusi¬
vement chez les vieillards, et leur coloration augmente souvent avec
les années; on les a désignées quelquefois sous le nom assez malheu¬
reux de taches de mort; elles- ne se rapportent à aucun état morbide
particulier.
Une fois développées, les éphélides persistent souvent d’une manière
indéfinie ; elles peuvent cependant disparaître complètement , et c’est ce
qui arrive surtout pour les éphélides de la grossesse, lesquelles s’effacent
souvent dans les premières semaines qui suivent l’accouchement. Sans
disparaître complètement, quelques taches diminuent d’intensité avec le
temps et deviennent moins apparentes. Lorsque les éphélides sont per¬
manentes , elles peuvent présenter d’ailleurs des variations dans l’inten¬
sité de la coloration; elles pâlissent habituellement pendant l’hiver pour
devenir plus foncées pendant l’été. Ces différences sont expliquées par
l’exposition à l’air extérieur et au soleil, plus prolongée et plus active
pendant les saisons chaudes .
Diagnostic. — Les éphélides sont caractérisées, ainsi que nous l’avons
déjà dit, par leur coloration grise ou brune, par leur absence de saillie et
de desquamation, par leur indolence. On pourrait toutefois les confondre
ÉPIIÉLIDES. — PRO-NOSTIC. - ÉTIOLOGIE- 551
avec le lentigo, avec les nævi pigmentaires et avec certaines variétés de
pityriasis. Mais dans le lentigo les taches sont petites, régulièrement
arrondies, et ordinairement en très-grand nombre. Les nævi pigmentaires
sont souvent congénitaux, ils sont d’une couleur plus foncée, ils sont ha¬
bituellement plus ou moins saillants, et ils sont fréquemment recouverts
par un bouquet de poil; dans les cas douteux on pourrait les distinguer des
éphélides en n’observant pas à leur contour la décoloration vitiligineuse
qui se rencontre ordinairement autour de la tache éphélique. Le pityriasis,
et particulièrement le pityriasis versicolor et le pityriasis nigra, ont été
quelquefois confondus avec les éphélides. Un peu d’attention permettra
d’éviter cette erreur : dans le pityriasis on rencontre, sur les taches, des
lamelles épidermiques, qu’on peut rendre plus apparentes par le grattage,
ce qui n’existe pas dans les éphélides; et, le plus souvent aussi, le malade
ressent quelques démangeaisons qui ne sont pas observées dans les
éphélides. On devra également distinguer les éphélides de la nigritie
partielle constituée par des taches noires bien plus foncées et bien plus
étendues que celles qu’on rencontre dans les éphélides. La nigritie peut,
d’ailleurs, coïncider avec les éphélides, ainsi qu’on le voit surtout chez
les femmes enceintes présentant souvent le masque éphélitique au visage,
et la nigritie au mamelon et à la ligne blanche devenue d’un noir plus
ou moins foncé.
Pronostic. — Les éphélides ne sont pas à proprement parler une ma¬
ladie, elles ne causent aucune douleur aux personnes qui en sont atteintes,
mais elles constituent une difformité désagréable lorsqu’elles existent sur
des parties découvertes , au visage ou au cou principalement ; et , en de¬
hors de la grossesse, leur guérison n’est pas ordinaire, elles persistent
souvent d’une manière indéfinie.
Étiologie. — Très-rares chez les enfants, les éphélides sont surtout
observées dans l’âge adulte et dans la vieillesse ; elles sont plus communes
chez la femme que chez l’homme, et chez les femmes elles se développent
fréquemment pendant la .grossesse, en commençant à paraître le plus
ordinairement à partir du quatrième ou du cinquième mois, et en aug¬
mentant d’intensité jusqu’à l’accouchement. L’action de l’air extérieur,
du vent, et surtout du soleil, produit sur la peau de certaines personnes,
aux endroits découverts, une augmentation de coloration qu’on désigne
ordinairement sous le nom de hâle. Les mêmes causes peuvent amener
de véritables éphélides, et j’ai vu plusieurs fois ces taches apparaître
après un coup de soleil ou pendant un séjour au bord de la mer, sous
l’influence du vent, qui est ordinairement très-vif sur les côtes. On voit
également des taches pigmentaires, analogues aux éphélides, se déve¬
lopper sur certaines régions exposées aux rayons d’un foyer incandescent:
chez les femmes qui se servent de chaufferettes contenant des charbons
ardents, on observe quelquefois des taches jaunâtres ou violacées, irrégu¬
lières, frangées, souvent allongées et suivant le trajet des veines superfi¬
cielles, lesquelles semblent formées par une accumulation de pigment
mélangé à une certaine quantité de matière colorante du sang. Ces taches
532
ÉPHÉLIDES. - TRAITEMENT.
ont reçu le nom d’éphélides ignéales. Le point de départ de macules
pigmentaires qui se comportent comme les éphélides, peut encore se
rencontrer dans l’application d’un vésicatoire , d’un emplâtre irritant, ou
après une plaie superficielle. Au lieu de retrouver sa coloration normale,
la peau reste plus foncée dans l’endroit où l’épiderme a été soulevé, et il
en résulte une tache pigmentaire momentanée ou permanente.
Enfin, comme cause d’une espèce d’éphélides toute particulière, je
signalerai l’infection syphilitique, laquelle peut produire, à la seconde pé¬
riode de la maladie, des taches pigmentaires d’un gris clair, irrégulières,
de la dimension d’une pièce de cinquante centimes ou de deux francs, se¬
mées sur une partie de la peau décolorée et plus blanche que le reste du
corps. J’ai décrit ces taches pour la première fois en 1853, sous le nom
de syphilide pigmentaire ; elles se développent principalement chez les
femmes, et surtout chez les femmes brunes à peau blanche; on les
rencontre aussi chez quelques hommes d’un tempérament lymphatique
présentant une peau blanche qui se rapproche de celle de la femme; on
les trouve le plus fréquemment au cou, soit sur les parties latérales
seulement, soit tout autour, de manière à figurer une sorte de collier,
auquel j’ai donné familièrement le nom de collier de Vénus. On peut les
rencontrer aussi, mais beaucoup plus rarement, à la face, aux aisselles,
aux aines et à la poitrine. Les éphélides syphilitiques ne sont pas influen¬
cées par le traitement spécifique; elles persistent ordinairement pendant
un long espace de temps, pendant plusieurs mois, et même deux ou trois
ans, mais elles finissent par s’effacer graduellement et par disparaître
complètement.
Traitement. — Les éphélides offrent une grande résistance aux moyens
thérapeutiques à l’aide desquels on cherche à les faire disparaître, et, le
plus ordinairement même, elles constituent des taches indélébiles. On
doit savoir, d’abord, que tous les remèdes internes sont sans influence
sur ces altérations maculeuses de la peau ; les seuls moyens qui ont réussi
quelquefois sont des moyens externes. Je signalerai les lotions, ou mieux,
les douches appliquées sur les régions malades avec des solutions alcalines
de borate, ou de sous-carbonate de soude, ou avec des eaux sulfureuses
naturelles ou artificielles. J’ai vu quelques cas de guérison obtenue par
les eaux de Bagnères-de-Luchon et de Baréges, administrées en douches.
Je me suis servi également, avec quelque avantage, d’onctions avec une
pommade à l’acide nitrique (axonge, 30 grammes, acide nitrique,
1 gramme), d’application de teinture d’iode pure ou affaiblie par addition
d’alcool. Mais le moyen qui m’a paru le moins infidèle consiste dans
l’emploi de Jetions avec une solution de sublimé, ou, mieux encore, avec
un mélange de sublimé, de sulfate de zinc et d’acétate de plomb (eau
distillée, 250 grammes, sublimé, 1 gramme, sulfate de zinc, acétate de
plomb ââ 2 grammes, alcool q. s.); cette liqueur est employée pure ou
coupée avec de l’eau chaude, suivant la susceptibilité de la peau; elle
détermine un peu de rougeur, une légère desquamation, et quelquefois,
au bout d’un temps assez long, la disparition des taches. Le lait antéphé-
ÉPIDÉMIE.
535
lique, qui se vend comme un remède secret contre les taches maculeuses
de la peau, est composé, à peu de chose près, d’après la formule que je
viens d’indiquer et qui m’a été empruntée dans un but de spéculation
commerciale; on peut donc se servir de cette préparation, qui compte
quelques succès. Mais, quel que soit le moyen employé, souvent la gué¬
rison n’est qu’apparente, et les taches, qui ont semblé s’effacer sous
l’influence des lotions et après une desquamation superficielle , ne
tardent pas à reparaître et à présenter la même coloration qu’ auparavant;
le plus ordinairement même elles ne sont attaquées en rien par les
lotions ou les douches , et elles persistent avec une ténacité désespé¬
rante.
Alfred Hardy.
éphémère: (Fièvre). Voy. Fièvre et Syaoqde.
ÉPIDÉMIE. — Ce mot, tiré du grec im et Svipoi; (maladie sur le
peuple), a été improprement remplacé par l’expression : maladies popu¬
laires. Il serait plus juste de dire maladies régnant sur une population, sur
une contrée. Si l'on voulait donner le commentaire de ce mot en s’inspi¬
rant de ses origines grammaticales on s’écarterait vite de la vérité histo¬
rique. Endémie était, d’après Hippocrate, la maladie d’un lieu, d’une
contrée, d’une ville ou bourgade, d’un espace de pays circonscrit, ou d’une
race d’hommes , d’une famille, d’une collection d’individus. Épidémie
avait un tout autre sens d’après la tradition grecque; c’était, si l’on en
juge d’après les livres hippocratiques et galéniques, des constitutions
médicales qu’il s’agissait {voy. art. Cox.stitütios , par Bernutz, t. IX,
p. 169), c’est-à-dire de l’influence des agents cosmiques, de l’air, de la
température, des saisons, sur la forme et la prédominance de certaines
maladies. On trouverait là les éléments de ce qu’on appellerait aujourd’hui
la statistique des maladies régnantes.
La tradition s’est tellement altérée chez les modernes, que les mots,
dont l’origine remonte à cette sorte de bible de la médecine, dont le sens
étroit aurait dû être respecté, ont changé de signification et demandent
à être définis de nouveau. Aujourd’hui épidémie, dans le langage médical,
veut dire bien plutôt maladie née sur le sol ou bien importée, souvent
infectieuse ou contagieuse, qui règne pendant un temps sur une contrée
et qui n’interrompt pas les autres maladies habituelles ni ne les in¬
fluence. Ainsi, le choléra règne épidémiquement, de même la fièvre
jaune, la peste, le typhus, la fièvre typhoïde, la variole et les autres
fièvres éruptives, rougeole, scarlatine, la suette miliaire, le croup et L'
diphthérie, les érysipèles, le puerpérisme infectieux, la coqueluche. Nous
venons de nommer un assez grand nombre de maladies susceptibles de
régner à l’état épidémique et accidentellement, de paraître et de disparaître,
et dont les unes sont endémiques dans certains pays, les autres n’y appa¬
raissent qu’à de rares intervalles et à l’état d’importation. Or on peut
remarquer que précisément ces maladies, dont les unes se présentent
654
ÉriDÉJHii:.
d’abord à l’esprit, sont précisément des maladies infectieuses ou conta¬
gieuses, portant en elles-mêmes la raison d’être suffisante de leur trans¬
mission et n’empruntant à l’atmosphère que des conditions plus ou
moins favorables à leur germination ou à leur développement. Cette idée
des maladies existant en soi, ayant une individualité, une substance
propre, entité si l’on veut, spécifiques à coup sûr, et ayant leur ferment
particulier, gagne tous les jours du terrain. Autrefois on cherchait la
raison extérieure des choses ; aujourd’hui on en cherche soit la matière,
soit les propriétés physiques, ce qui revient au même.
Le temps n’est plus où l’on attribuait la variole à la saison pluvieuse
ou au vent d’ouest, le charbon à la chaleur sèche, la peste au simoun, le
scorbut au vent de mer, et la colique de plomb à la chaleur inter tropicale.
On empêche certaines épidémies , non plus par des saignées ou des
vomitifs, mais par des remèdes spécifiques; les épidémies de mal napo¬
litain ou français, par le mercure et l’iodure de potassium et la séques¬
tration des sujets infectés; la colique de plomb, du Poitou, sèche, de
Devonshire, des peintres, etc., qui a tant occupé les modernes, par la
suppression de la cause unique qui est l’absorption de sels solubles de
plomb; on arrête le scorbut par la bonne alimentation et la préservation
contre le froid; on peutsupprimer le typhus de lafaim (Irlande) et celui des
villes assiégées ; empêcher la variole par la vaccination répétée et imposée
au peuple. Ces exemples , qui seront développés plus loin , indiquent
combien le point de vue moderne diffère de l’ancien. Il convient de jeter
d’abord un rapide coup d’œil sur les transformations historiques du
mot ÉpiDÊfflE.
Hippocrate, qu’on ne peut se dispenser de citer dans une question où
il a été tant parlé en son nom et tant trré sous sa garantie, n’avait pas
indiqué ni prévu tout ce qui a été développé depuis par des hippocratistes
indiscrets. Ce qu’il faut penser de son Traité des lieux, des airs et des
eaux, nous l’avons indiqué à l’article ExuÉinE, tome XIII, page 201). C’était
un plan, un problème posé, non résolu encore, mais séduisant, et dont
les rares observations produites par Hippocrate comme spécimen, pour
ainsi dire, pouvaient faire augurer les plus admirables résultats. Nous
semblons toucher au moment où la solution du problème se fera, mais
peut-être nos anciens ont-ils eu cette illusion comme nous.
En tout cas les épidémies, dans le sens où les entendait Hippocrate, ne
sont point ce que nous comprenons sous ce nom actuellement. Littré fait
remarquer avec raison que ce mot épidémie peut faire naître une fausse
idée dans l’esprit du lecteur, qu’il s’agit, en effet, dans les livres I et III
d’Hippocrate, non pas d’épidémies dans le sens actuel, mais de la consti¬
tution atmosphérique de quatre années, et des maladies diverses qui
régnèrent sous l’empire de celte constitution. En réalité, Hippocrate ne
discute ni ne justifie cette idée qui, sans doute, était de tradition alors,
que toutes les maladies sont en accord avec l’état de l’atmosphère. Il
décrit sommairement les caractères de la saison, pluie, vents, tempé¬
rature, variations, et, de suite, sans explication, raconte les maladies qui
ÉPIDÉMIE. 535
se sont succédé. Beaucoup d’observations particulières, intercalées dans ce
récit, ne paraissent avoir aucun lien avec la constitution réelle ou imagi¬
naire, à laquelle le livre est consacré. On peut se demander si, entre le
respect superstitieux de ces livres anciens et la négation radicale de leur
-valeur au point de vue du sujet qui nous occupe, il y a place pour une
analyse scientiSque?
Le fait est qu’on ne saurait retirer aujourd’hui aucune utilité de la
lecture d’Hippocrate pour ce qui concerne les épidémies. Qu’on ait, dès
cette époque qui n’est pas aussi barbare qu’on le suppose a la distance où
nous en sommes, possédé des notions expérimentales sur l’influence des
saisons, cela est tout naturel et ne mérite pas l’admiration. Quand
Hippocrate dit {Aphorismes, 3® section, apli. 23) : « On observe en hiver
des pleurésies, des péripneumonies, des coryzas, des enrouements, etc. »
(Tome IV, page 497.) Il ne dit rien qui n’ait été su de toute antiquité par
tous les peuples chez lesquels il y a un hiver. Mais que dire des passages
où Hippocrate prétend qu’on peut prédire les maladies à venir d’après la
marche d’une saison antécédente, comme en V Aphorisme II? «Si, au
■contraire, l’hiver est sec et boréal, et te printemps pluvieux et austral,
nécessairement il surviendra pendant l’été des fièvres aiguës, des ophthal-
mies et des dysenteries, surtout aux femmes, et, parmi les hommes, à
ceux dont la constitution est humide... » (T. IV, p. 491).
Nous renvoyons le lecteur, pour une plus ample connaissance des
épidémies hippocratiques à l’article Constitutions médicales de ce Diction¬
naire, par Bernutz (t. IX, p. 169 à 172.)
L’habitude, que nous ont léguée les siècles passés, de considérer Hippo¬
crate comme l’inventeur personnel de tout ce que contient la bibliothèque
qui porte son nom et qui représentait l’encyclopédie traditionnelle de tout
un peuple, et, peut-être, de tous les peuples condensés en un seul, fait que
tout nous paraît grand et presque surhumain dans cette œuvre mise sous
le nom d’un seul homme. Quelques parties en sont et demeurent vraies,
parce qu’il n’y a pas deux manières de dire la vérité dans les sciences, et
que ce qui a été trouvé une fois demeure éternellement ; d’autres sont
faibles, obscures, et ne peuvent être défendues à moins d’une admirativité
poussée jusqu’au fanatisme. Du reste, il faut se hâter d’ajouter qu’Hippo-
crate n’est point responsable de tout ce qui a été, dans les temps anciens
et modernes, débité en son nom.
Baillou est souvent cité parmi les auteurs qui ont écrit sur les épidé¬
mies, et son autorité est reconnue et invoquée. Il est vrai que Baillou a
écrit un livre A&s épidémies et éphémérides, et qu’il Ta fait précéder d’un
avis au lecteur (1574) dont nous détachons ces phrases :
J’ai noté les changements annuels des saisons, leurs états rares et leurs variations, afin
■d’en conserver le souvenir et de le faire servir au profit de l’art que je cultive. Celui qui
se livre à l’exercice de la médecine sans se préoccuper de l’étude- des saisons non moin-
importante pour connaître les maladies que pour les traiter, se conduit comme le voya¬
geur qui entreprend un voyage sans s’enquérir de la route qu’il doit suivre. Par contre,
-ceux-là sont convenablement préparés aux fonctions de notre ministère, qui se sont fas
536 ÉPIDÉMIE.
miliarisés avec la connaissance des constitutions antérieures et la prévision des constitutions
prochaines, de manière à ne pas crier à la nouveauté lorsque les maladies se présenteront
avec tel ou tel génie, et à ne pas être terrifiés par toute affection nouvelle, comme s’ils
étaient en face de quelque monstre inconnu, ainsi que cela arrive à ceux qui vivent au
jour le jour, peu au courant des choses d’autrefois : on les voit tomber dans l’étonne¬
ment des demi-savants et dans les explications du vulgaire... (Traduction de Prosper
Yvaren, p. 78.)
Ceux qui citent Baillou comme ayant avancé la question des épidémies
ou ne Font pas lu, ou se font une singulière illusion. On n’y trouve rien
de plus que dans Hippocrate, et cette lecture n’est aujourd’hui d’aucune
utilité. Par exemple, que tirer des indications suivantes :
Au commencement de l’hiver de l’année 1570 , il se manifesta une prédominance
d’humeur qui, après avoir jeté des racines profondes, quoique cachées , abandonna les
parties intérieures du corps et se fit jour au dehors. Elle engendra des flux de ventre, à
marche lente, et des déjections rougeâtres, fétides, hépatiques, surtout mésentériques ;
beaucoup de personnes furent atteintes de dysentérie.
Les observations particulières relatées à l’appui ne sont aucunement
probantes et se rapportent aux maladies les plus variées, sans lien sai-
sissable entre elles ; on y voit des pneumonies, pleurésies, rhumatismes,
lièvres puerpérales, fièvres intermittentes, manies, épilepsie, hydropi-
sies, etc...
Les explications théoriques fournies par Baillou ne sont pas de nature
à être louées ni imitées :
Examinons, dit-il, les deux points suivants ; d’abord, pourquoi les femmes furent
malades plutôt que les hommes, non-seulement pendant cette saison , mais encore pen¬
dant presque tout l’hiver ; et si l’on ne pourrait découvrir rien de pareil dans Hippocrate.
La nature froide des femmes se trouvant bien de l’usage modéré des choses douées de
qualités opposées, il semblerait que l’extrême sécheresse qui absorbe beaucoup d’humi¬
dité, devait leur convenir.
Quel que soit donc le mérite dont Baillou a fait preuve dans ses ouvra¬
ges, il ne peut être cité comme ayant avancé beaucoup la solution des
questions relatives aux épidémies.
Sydenham a plus fait que toute l’antiquité pour la doctrine des consti¬
tutions épidémiques. Pour Sydenham, les maladies aiguës proviennent
de deux sources :
!■’ une altération secrète et inexplicable de l’air... Elles ne dépendent nullement d’une
qualité particulière du sang et des humeurs, sinon en tant que la contagion de l’air a im¬
primé cette qualité au sang et aux humeurs. Ces sortes dem aladies ne régnent que pen¬
dant une telle constitution de l’air, et ne se font point sentir dans un autre temps. On les
a nommées épidémiques ; 2° les autres proviennent d’une indisposition particulière des
divers sujets : on les appelle intercurrentes ou sporadiques...
L’explication que donne Sydenham des maladies épidémiques n’est
plus de nature à nous satisfaire aujourd’hui. Il admet d’abord que les
épidémies sont si différentes entre elles et si nombreuses que la vie d’un
homme ne suffirait pas à les passer toutes en revue. Il avoue que la
connaissance d’une épidémie antérieure ne donne aucune notion utile
ÉPIDÉMIE. 557
pour les suivantes et que l’expérience est toute à recommencer. L’aveu
de son impuissance à expliquer les épidémies par l’état connu du milieu
ambiant, se trouve dans ce passage :
Qaoique j’aieobservé avec tout le soin possible les différentes constitutions des années,
por rapport aux qualités manifestes de l’air, afin de pouvoir découvrir par ce moyen les
causes de cette grande variété des maladies épidémiques , je ne vois pas que j'aie l’ien
avancé jusqu’ici, car j’ai remarqué que dans des années qui se ressemblent entièrement
par rapport à la température manifeste de l’air, il règne des maladies très-différentes , et
au contraire, voici comment les choses se passent; il y a diverses constitutions d’années,
qui ne viennent ni du chaud , ni du froid , ni de l’humide, mais plutôt d’une altération
secrète et inexplicable .
On voit par cette courte analyse combien il est ditficile pour ne pas
dire impossible de distinguer la constitution médicale, de Vépidémie, si
l’on se place au même point de vue que Sydenham. D’ailleurs, cet auteur
ne se met pas en peine pour distinguer les épidémies d’avec un type
idéal. Ce type il le méconnaît volontairement ou involontairement et dé¬
crivant d’après nature il attribue tout ce qu’il voit au génie épidémique.
Ainsi, pour la variole, il en décrit nombre de cas particuliers dans lesquels
on ne voit rien qui ne puisse se voir aujourd’hui et qui tienne quoi que
ce soit d’une constitution ou d’une épidémie proprement dite. C’est de la
variole; c’cst là tout ce qu’on en peut dire. La variole de 1667 ne dif¬
fère pas de celle de 1870. Sydenham inscrit sur son titre le mot épidémie
quitte à faire de la nosographie franche sans plus songer au titre du cha¬
pitre. Aujourd'hui les espèces nosologiques sont connues et tous les cas
individuels doivent être rapportés à un étalon commun qui est la maladie-
type. L’épidémie ou la constitution ne sont réputées qu’un accident et non
la cause unique des maladies.
Sydenham appelle fièvres sfafionnctires ou les maladies qui dépen¬
dent exclusivement de la constitution médicale. Il range ces maladies en
deux classes suivant les saisons : maladies du printemps et maladies de V au¬
tomne, en faisant commencer le printemps en janvier. Celte classihcation
n’a pas été justiflée. Sydenham place les rougeoles au printemps et le
choléra en août. Nous savons aujourd’hui que cette assertion ne s’est pas
confirmée. Sydenham trouve une ressemblance en temps de variole, aux
autres maladies avec la variole elle-même; ainsi pour la dysenterie. Ici
ce sont des sueurs et delà salivation, là c’est une affection aphtheuse qui
forment le lien entre ces maladies. Désespérant de donner une opinion
synthétique sur les épidémies, Sydenham s’est borné à la narration pure
et simple de celles dont il avait été le témoin pendant quinze ans, de 1661
à 1676.
De l’utilité qu’on peut retirer de la connaissance des épidémies, Sy¬
denham pense ce qui suit :
Les maladies épidémiques sont du nombre de celles qui attaquent le plus fréquemment
les hommes, et qui sont le plus funestes à la jeunesse et à la virilité. Elles affectent pres¬
que chaque année une nature et un caractère différents, et comme elles dépendent de la
constitution atmosphérique, des aliments et de la manière de vivre propre à chaque pays,
538 ÉPlUÉMIK.
il serait bien à désirer que les médecins apportassent tous leurs soins et toute leur atten¬
tion à rechercher ces causes et à observer ces maladies, afin de les prévenir, de les con¬
naître et de les traiter d’une manière rationnelle.
Ozanam commente cette citation dont il s’approprie les idées ; il s’ap¬
puie également sur ce passage de V Encyclopédie méthodique :
Si l’on avait un recueil d’observations exactes sur toutes les maladies qui ont paru jus¬
qu’à présent, on serait peut-être assez instruit de leur différente nature et des remèdes
qui ont été employés avec succès dans chaque espèce, pour pouvoir appliquer, par ana¬
logie, une médication presque sûre à chacune de celles qui paraîtraient absolument nou¬
velles par rapport au passé. Leur variété est peut-être épuisée. Il est donc très-important
pour le genre humain qu’on travaille à ce qui manque à cet égard.
L’opinion de Max. Stoll, relativement aux institutions médicales, a la
valeur d’un fait historique et non d’un fait scientifique. Stoll a compris
ou cru comprendre l’influence du temps sur les maladies à Vienne en 1775,
et a basé ses récits sur un rapport qu’il voyait entre ces deux faits. Cela
a été accepté et enseigné d’après lui depuis dans les écoles, mais non
confirmé par la science. Nous ne trouvons rien en Stoll qui dépasse les
observations d’Hippocrate, c’est-à-dire celles d’un homme du monde in¬
telligent, mais non d’un météorologiste ni d’un physicien ni d’un physio¬
logiste: de tous ces renseignements vagues, qu’y a-t-il de vrai? Peu de
chose sans doute.
L’influence du temps, de la saison, du milieu extérieur si fort adoptée
par tous les hommes, d’instinct, et à toutes les époques et dans toutes les
civilisations, et à tous les degrés de l’échelle sociale, Stoll l’invoque aussi.
Tout est mis sur le compte du temps, terme vague. En vain Stoll s’ef-
force-t-il de traduire en un langage qui était celui de son temps, ce qu’il
entend par les influences saisonnières, il n’aboutit qu’à tenir un journal
duquel ne ressort aucune notion claire.
Janvier. L’année 1775 commença par une forte gelée, qui fut suivie de neiges abon¬
dantes et de beaucoup de nuages très-chargés qui paraissaient pendant les nuits, le matin
et vers le soir. Mais bientôt la température s’échauffa : les neiges fondirent et il tomba
beaucoup d’eau. Après les quiuze premiers jours du mois, un froid rigoureux se fit sentir
subitement; il retomba beaucoup de neige, et les vents furent rares et modérés. Vers la
fin, le temps se radoucit de nouveau, la neige disparut, le ciel se couvrit de nuages et de
brouillards, les vents furent faibles. Ce fut alors que la toux convulsive des enfants com¬
mença à paraître.
Ailleurs :
En novembre, les pluies furent presque continuelles. II tomba peu de neige et elle fon¬
dait sur-le-champ. Le froid fut moindre, surtout vers la fin du mois , que ne le com¬
porte la saison. On observa des rhumatismes universels, des fluxions locales de différente
espèce, des aphthes, même parmi les adultes. Les femmes , particulièrement celles qui
étaient faibles, avaient, dans les premières voies, un appareil de crudités, de phlegmes
et d’une sérosité putride. r
Pendant le mois de décembre, les pluies furent fréquentes et le tejnps humide , sans
être froid, surtout vers le commencement et vers la fin ; mais vers le milieu il fut sec et
froid. Il y eut beaucoup de fluxions sur les yeux, le nez, la gorge, les poumons, les
membres.
ÉPIDÉMIE. 559
Voilà le tableau abrégé de la constitution de l’année 1775, telle qu’elle fut à peu
près .
Ces notes ne sont pas, comme on pourrait le croire, copiées sur le ca¬
hier d’un écolier ; elles sont extraites de l’ouvrage célèbre de Maximilien
Stoll. Il faut convenir que c’est là l’enfance de l’art ; on est presque tenté
de dire qu’Hippocrate faisait mieux. Il est vrai que Stoll observait avec
grand soin et analysait très-judicieusement les signes et symptômes des
maladies qui passaient sous ses yeux, et là est son mérite incontestable ;
mais on ne voit pas quel lien rattachait ces maladies à cette météorologie
enfantine.
Stoll caractérise les épidémies ou constitutions médicales par un mot
qui en est comme le résumé par exemple, le mot bilieux, le mot malin,
le mot saburre.
« J’observai un autre changement de ces maladies, celui par lequel une pleurésie bilieuse
devenait maligne. Il faut entendre par cette expression l’état des malades dans lequel les
forces vitales sont très-abattues, ce que l’on reconnaît à la faiblesse des battements des
artères et du cœur. (Ce qui aujourd’hui, en 1870, ne signifie plus rien. On en peut dire
autant du passage suivant ; ) Puisque je m’occupe ici du genre de catarrhe qu’engendre la
saburre du système gastrique... » Ce catarrhe épidémique des bronches est rapproché par
Stoll de cette autre épidémie décrite en l757,par Huxham, et qui, d’après cet auteur,
était occasionnée par un air épais, humide et froid qui obstruait les pores de la peau,
maladie semblable à la fièvre d’hiver de Sydenham. Stoll le rapproche encore de l’épidémie
décrite par Forestus, en 1580, et ne rejette point l’opinion de cet auteur dont il donne
la version suivante : « La cause d’une maladie si grave et si promptement funeste, paraît
avoir été une matière abondante et mobile qui s'était jetée particulièrement sur l’esto¬
mac, les intestins, les parties voisines de l’estomac ou qui communiquent avec lui et avec
les intestins, vers lesquels organes, à l’aide d’un purgatif précédé d’une saignée, elle
pouvait être rappelée promptement et avec facilité et ensuite évacuée parles selles. »
Le lecteur consciencieux et respectueux du passé s’attend en vain a
connaître du moins la définition de ces mots : bilieux, saburral ; Stoll
s’en réfère à Hippocrate, et ses propres commentaires sont d’une singu¬
lière nature :
Les modernes donnent ce nom de bile à un appareil de crudités presque toujours d’un
goût amer, qui s’est fonné dans l’estomac et dans le premier intestin. Cette humeur est
ordinairement amère, quelquefois acide et même avec un mélange d’austérité ; quelque¬
fois aussi elle paraît douce, mais d’une douceur nauséabonde. Peut-être est-il rare qu’elle
provienne de la véritable bile amassée en plus grande quantité qu’à l’ordinaire, c’est plutôt
un amas de matières crues...; c’est de la bile qu’elles empruntent très-souvent leur cou¬
leur et leur amertume.
Stoll est plus explicite dans le passage suivant où il indique comment
le vomitif est le seul remède de l’état bilieux ou saburral épidémique :
De concert avec le raisonnement, l’observation nous apprend souvent qu’un purgatif ne
peut point suppléer un vomitif. Quand on entreprend d’expulser par le premier moyen
une matière morbifique accumulée dans l’estomac et dans les organes qui s’abouchent
avec lui, ou on ne fait rien, ou on aggrave la maladie. En effet, cette matière, chassée
alors de l’estomac dans le canal intestinal , circule dans ses longs replis , et, absorbée
par les nombreux vaisseaux aux orifices desquels elle se trouve appliquée pendant ce
trajet, elle communique au sang un vice dont il était encore exempt...
540
EPIDEMIE.
Plus tard ce ne sera plus la saburre ou la bile qui domineront la con¬
stitution épidémique, ce sera la gastrite de Broussais.
Stoll (1752-1788) a fait des aphorismes (1785), dont nous . reprodui¬
rons les suivants :
§ 24. Les causes générales sont dues ou à une certaine constitution des années qui re¬
vient périodiquement, ou au changement annuel, ou à un certain miasme général inter¬
current.
§ 25. De là naît une division importante des fièvres : attendu que les causes 'parti¬
culières fournissent les fièvres sporadiques, ainsi que les individuelles, et que les
générales produisent les stationnaires, les annuelles, et celles qui sont intercurrentes
épidémiquement.
Sloll admet, comme Sydenham, les fièvres stationnaires qu’il définit
ainsi :
§ 27. La fièvre stationnaire est renfermée dans le cours d’un certain nombre d'années :
elle s’accroît peu à peu, se trouve dans sa force et décroît ensuite, cédant à une autre
stationnaire d’un caractère différent, qui s’insinue à sa place.
§ 29. On ne connaît pas encore la nature, le nombre, l’étendue, la période des fièvres
stationnaires.
§ 50. Seulement il est constaté par les observations de Sydenham et par les miennes ,
que la fièvre stationnaire influe fortement sur toutes les fièvres et maladies fébriles sans
exception, soit qu’elles dépendent des changements de saison, ou qu’elles soient pro¬
duites par quelque cause singulière et qu’elle les soumette à son pouvoir.
§ 31. Que son pouvoir est aussi fort grand sur les maladies chroniques fébriles
§ 52. La fièvre stationnaire se déguise souvent et diversement, et elle imite certaines
maladies, quoique le caractère de la maladie et la méthode de traitement, soient les mêmes
dans tous les cas.
§ 53. Mais la nature de la fièvre stationnaire peut être connue ; 1° par la terminaison
spontanée de la maladie abandonnée à elle-même, opérée entièrement par les seules forces
de la nature, et par son issue diverse, spontanée ; 2° en remarquant quels moyens em¬
ployés à l’aventure ont été utiles ou nuisibles ; 3 "par son analogie avec d’autres fièvres
connues d’ailleurs.
Les fièvres annuelles, d’après Stoll, sont celles qui reviennent chaque
année dans un certain ordre constant et suivant les saisons. Il y en a
quatre cardinales : la fièvre inflammatoire, la bilieuse, la pituiteuse et
Y intermittente. Chacune de ces fièvres cardinales a ses maladies subor¬
données ; par exemple, les maux de tête, d’yeux, les angines, la toux, les
flux de ventre, doivent être traités de la même manière que la fièvre do¬
minante; de même les autres maladies observées dans le même temps:
apoplexie, goutte, hydropisie, phthisie, etc...
Les fièvres annuelles tirent souvent leur dénomination de quelque symptôme prédomi- ,
nant ; de là, le nom de constitution pleurétique, péripneumonique, rhumatismale, miliaire,
pétéchiale, variolique, morbilleuse, scarlatineuse, érysipélateuse, dysentérique. Néanmoins,
la connaissance pratique et faite pour diriger ne doit pas être tant prise d’un symptôme
ainsi dominant, que de la nature de la fièvre annuelle comparée avec la stationnaire.
Van Swieten (1700-1772), dans ses Constitutions épidémiques ob.ser-
vées à Leyde, n’a consacré aux épidémies qu’un court chapitre ; encore
emprunte-t-il presque tous ses arguments à Hippocrate et à Sydenham.
ÉPIDÉMIE. 541
II ne peut être considéré comme l’un des auteurs de la doctrine des con¬
stitutions médicales. — Il avoue avoir fait pendant dix ans de suite des
observations thermométriques et barométriques pour apprécier l’influence
de l’air sur les maladies, et cela en pure perte : « indè circa morborum
epidemicorum originem doctior non evaserim. » Ramazzini ('1635-1714)
avait fait le même aveu d’impuissance (constitution épidémique de 1692).
Que chacun croie ce qu’il voudra et tire à sa fantaisie les conséquences de l’influence
des changements de la température des saisons sur la production des constitutions médi¬
cales; quanta moi, je ne vois point d’effets constants correspondre à ces ingénieuses
suppositions; et, au milieu de toutes ces belles maximes, je vois au contraire que chaque
année je suis toujours novice dans cette partie. (Ramazzini.)
Un moderne apologiste de Sydenham (J. B. Th. Baumes, de Montpel¬
lier, Œuvres de Sydenham, discours apologétique, 1816) traduisait
ainsi la doctrine des constitutions médicales :
La doctrine la plus sagement établie est que les maladies régnantes varient suivant les
saisons ; qu’elles correspondent, par leur caractère à la nature de ces saisons, lorsque
celles-ci sont régulières ; mais qu’elles s’étendent pendant deux ou plusieurs saisons ,
lorsque celles-ci sont irrégulières , dérangées, et l’inverse de ce qu’elles doivent être.
De là cette conséquence qu’il y a des années dans lesquelles les maladies se ressem¬
blent, parce que le dérangement des saisons détermine une intempérie soutenue qui ne
varie que par le degré... Quand l’épidémie est formée, son caractère domine véritable¬
ment sur toutes les maladies ; pai'ce que celles qui sont en opposition avec elles, ou dispa¬
raissent, ou changent absolument de nature. Une phthisie, un rhumatisme varient, dans
le fait, suivant les saisons, et leur traitement rationnel doit éprouver de grandes modifi¬
cations, d’après leur nature et le degré de leur pouvoir.
Quant aux maladies générales, tirant leur origine d’un miasme ou d’un virus, et déter¬
minant des épidémies vireuses ou virulentes, elles ne doivent véritablement rien aux
saisons, sous le rapport de leur origine ; mais elles sont d’autant plus subordonnées à
leur action, que ces saisons sont extrêmes dans leur température. Qui n’a pas vu que la
petite vérole, par exemple, se répandant parmi le peuple dans une saison chaude ou dans
une saison froide et fortement variable, sans rien perdre de sa nature, offrait néanmoins
un caractère relatif à l’intempérie déterminée par ces saisons?
Parmi les modernes, J. A. F. Ozanam doit être cité à cause de son
Traité des maladies épidémiques, 2” édition (1835). II distingue deux
sortes d’épidémies, ou constitutions ; l’une stationnaire et l’autre tem¬
poraire ou saisonnière. La première, dit-il, n’a pas de durée limitée, et
peut persister pendant plusieurs années, et l’on en peut reconnaître
quatre espèces générales, savoir : la constitution gastrique ou bilieuse, la
fébrile proprement dite, la catarrhale et rhumatique, et l’inflammatoire.
Et Ozanam ajoute qu’il les démontrera. Sur la constitution épidémique
saisonnière il s’exprime sans hésiter .
Au printemps, dit J. A. F. Ozanam, nous voyons les maladies inflammatoires ; en été,
les diarrhées, les dysenteries, les fièvres gastriques ou bilieuses ; en automne, les fièvres
de toute espèce ; et, en hiver, les catarrhes, les rhumes, les affections arthritiques...
Ozanam admet encore que ces deux espèces de constitutions épidémi¬
ques diffèrent absolument de l’épidémie propre que l’on peut nommer
éventuelle, accidentelle et passagère ou intermittente. Il croit avec les
542 ÉPIDÉMIE.
anciens que l’une des propriétés des épidémies régnantes est de faire
taire les maladies intercurrentes, ou de les faire participer à leur nature.
Il pense que l’on peut prédire une épidémie saisonnière d’après la tem¬
pérature de la saison précédente, et il préconise les observations météo¬
rologiques, sans dire toutefois ce qu’il entend par là, et il avoue que jus¬
qu’à présent, la physique et la chimie ont vainement cherché à décou¬
vrir dans le fluide atmosphérique le principe morbifiant des épidémies.
Ailleurs il combat l’opinion des auteurs qui ont attribué un grand nombre
d’épidémies au miasme des marais et aux influences telluriques, et
comme .s’il avait à cœur de montrer par un exemple combien l’étude des
agents physiques lui est peu familière, il s’exprime ainsi :
Les fièvres intermittentes sont, il est vrai, endémiques dans les pays marécageux comme
dans le Latium ; mais les habitants n’y sont sujets que parce que l’air, surchargé d’hydro¬
gène, affaiblit considérablement le système nerveux, et rend consécutivement le système
artériel languissant et inerte ; dès lors, il empêche le développement du calorique néces¬
saire au soutien et à la conservation de la vitalité, et premier moteur de toutes les fonc¬
tions de la créature vivante.
Ozanam distingue l’épidémie de la contagion et de l’infection.
Le contage est un agent morbide spécifique qui se communique par le
contact. La peste et la gale sont contagieuses par absorption; la syphilis,
l’bydrophobie et le vaccin le sont par insertion.
L’infection est le fait de transmission d’une effluve qui se transmet par
l’air. Le typhus, la fièvre jaune, le scorbut, sont des maladies infec¬
tieuses.
Une maladie peut être à la fois épidémique, contagieuse et infectieuse,
comme la variole. On distingue aussi les miasmes qui sont d’origine vé¬
gétale ; les virus, les venins, produits animaux.
Les anciens appelaient pestes les maladies épidémiques contagieuses
très-meurtrières.
Dans son désir de se montrer supérieur aux préjugés vulgaires, Oza¬
nam range dans la même catégorie de croyances non justifiées, l’influence
prétendue des conjonctions des astres, des volcans, celle des intempé¬
ries des saisons, des vents, de la famine, et des guerres. Il déclare que
ces hypothèses sont de pures chimères.
Si, dit Ozanam, quelques-uns de ces phénomènes participent en quelque manière à la-
contagion, ce n’est tout au plus qu’en secondant l’action de la cause première.
Ozanam se trompe : la cause première nous échappe, et il est inutile de
la chercher ; la cause occasionnelle nous apparaît quelquefois et nous
suffit : tel est le cas du typhus de la famine et des camps. Il nous suffit
de remédier à la cause occasionnelle pour détruire la matière de l’épidé¬
mie. C’est faire preuve de peu de philosophie, que confondre l’astrologie
avec la physique scientifique dans une même réprobation.
Une autre assertion d’Ozanam est également fausse, à savoir que les
maladies contagieuses régnent peu dans le Nord, parce que l’absorption
du système dermoïde y serait moins active. Or le typhus est précisément
ÉPIDÉMIE. 543
une maladie du nord et de l’hiver, et le choléra a fait, comme la peste,
les plus grands ravages dans le nord de l’Asie et de l’Europe (Russie sep¬
tentrionale).
Ozanam assimile aussi l’action de l’air confiné à celles des effluves con¬
tagieux. Ce genre d’empoisonnement n’a pas plus à voir au chapitre des
épidémies que l’intoxication par l’oxyde de carbone ou les carbures d’hy¬
drogène.
’ Le même auteur tente un parallèle entre l’épidémie et la contagion,
entreprise singulière, les deux objets n’étant qu’une seule et même
chose.
Quant à la diffusion des épidémies sur les hommes et en même temps
sur les animaux, question encore neuve aujourd’hui, Ozanam s’exprime
Les épidémies attaquent souvent les hommes et les animaux en même temps, quelque¬
fois elles n’attaquent qu’un sexe, qu’un âge, qu’une seule espèce d’animal.
Fernel, dit-il, rapporte qu’en 1514 une épidémie fît périr presque tous
les chats; nous en observâmes une semblable à Lyon en 1798. En 1787,
une péripneumonie tua presque toutes les poules en Lombardie. Denys
d’Halicarnasse rapporte une épidémie qui n’attaqua que les jeunes filles.
Gentilis parle d’une autre qui n’affecta que les hommes les plus robustes.
La fièvre catarrhale qui régna à Lyon en 1801 ne sévit que contre les
jeunes gens. Boterus cite une épidémie de même nature.
La coqueluche est une maladie propre de l’enfance. On vit en Angle¬
terre Vinfluenza, en 1775, attaquer, en même temps, les hommes, les
chiens et les chevaux. Cet auteur continue ainsi : « David Spleiss ra¬
conte qu’en 1690, exerçant la médecine à Stekbor, il fut attaqué d’une
maladie épidémique qui s’y était déclarée, et qu’un chien l’ayant lé¬
ché, devint malade. Les hommes, les chevaux, les bœufs, les brebis,
les porcs, les chiens, les chats, les oiseaux et les insectes mêmes, tels
que les abeilles, ont des maladies contagieuses propres à leur espèce,
et qui ont des causes et des effets spécifiques. Cependant on a vu la
peste se communiquer des hommes aux chiens, aux oiseaux carnassiers
et aux porcs qui se repaissaient de la chair des cadavres pestiférés . Le
charbon des bœufs se communique aux hommes. Les chevaux sont sujets
à la péripneumonie gangréneuse, les bœufs au typhus, les cochons à l’es-
quinancie, les chiens au catarrhe ; maladies qui sont communes aux hom¬
mes, ainsi que la gale et l’hydrophobie. »
Ozanam croit aux immunités de race pour les maladies épidémiques
même contagieuses.
Cordan, rapporte Ozanam, en décrivant la peste de Bâle, dit qu’elle n’attaqua que les
Suisses et épargna les Allemands, les Français et les Italiens qui habitaient cette ville.
Jean ütenhove décrit la peste de Copenhague qui ne sévit que contre les Danois, respec¬
tant les Anglais, les Belges et les Allemands. Au rapport de Degner, la dysenterie de Ni-
mêgue ne toucha ni aux Français ni aux Juifs. En Amérique, les nègres sont affectés de
certaines maladies contagieuses que les blancs ne contractent pas. Dans le Levant, dit
544 ÉPIDÉMIE.
Valli, la peste commence presque toujours à sévir contre les Juifs, puis contre les Grecs ,
et enfin contre les Turcs ; les Francs ou Européens y sont moins exposés, parce qu’ils
prennent à temps des précautions sanitaires... et s’isolent des gens infectés...
Ozatiam, en parlant des constitutions épidémiques saisonnières, avoue
que ni ses lectures, ni son observation personnelle ne lui ont montré au- '
cun rapport certain entre les observations météorologiques et la nature
de ces épidémies.
Maladies épidémiques d’après Ozanam :
Fièvre catarrhale : peripneumonia notha (Sydenham, Boerhaave, Selle), peripneu-
monia catarrhalis (Huxham), pleuritis huniida (Stoll), febris catarrhalis (Fréd. Hoff¬
mann, Sauvages, Strack), catarrhus (Cullen), phlegmatorrhagia (Junker), catarrhe
pulmonaire (Pinel).
L’histoire des maladies catarrhales débute au treizième siècle (1239 in Chronique des
frères mineurs) ; épidémie en Italie, en 1323; à Montpellier, en 1387 ; en 1400, en
Italie (Valesco) ; à Paris, en 1403 ; en France, en .482, d’après Mézeray. Sauvages rap¬
porte une épidémie qui régna en France, en 1510, et qu’il désigne sous le nom de
céphalite et coqueluche. Marcellus Donatus, Rivière, Mercatus, Schenck, rapportent
plusieurs épidémies du seizième siècle sous le nom de fièvre catarrhale ou coque¬
luche et qui se répandirent sur toute l’Europe. Mercatus appelle cette constitution : semi-
pestilentieUe.
Forestus, Ingrassia, ont rapporté des faits semblables, au seizième siècle ; Bâillon
relate une épidémie analogue (1574).
Il est impossible de démêler la vérité au milieu des descriptions incohérentes ou con¬
tradictoires de ces auteurs. Il n’est pas douteux que le croup ait régné alors.
Sennert déprit longuement une épidémie catarrhale qui régna en Allemagne à la fin du
seizième siècle. On trouve des descriptions analogues chez les auteurs du dix-septième
siècle, Mercurialis (1617), Willis (1658), Bartholin, Sylvius de le Boë, Peu, Sydenham,
Etmüller, etc.; au dix-huitième siècle, récits semblables de Baglivi (Rome, 1702) ; Hoff¬
mann, à Berlin; Lancisi (1708), Morgagni (1730), Huxham (1737). Tout le dix-huitième
siècle est rempli de ces épidémies qui parcourent l’Europe et sont très-meurtrières.
La coqueluche [pertussis de Sydenham, tussis convulsiva de Hoffmann, tussis ferina
de Sauvages) fut décrite à l’état de grandes épidémies de 1414 à 1510. Au dix-huitième
siècle, elle régna épidémiquement en Allemagne principalement.
Le croup ou la diphthérie, sous le nom de cynanche, angina trachealis (CuHen), tra-
cheitis (Frank), angina polyposa (Michaëlis) n’ont été bien décrits qu’au dix-huitième
lïiècle, surtout en Italie ; mais il n’est pas douteux que cette maladie n’ait été observée et
plus ou moins connue ou méconnue dès la plus haute antiquité (mal ægyptiac); elle fut
surtout bien étudiée lors de l’épidémie de France, au commencement de ce siècle (Bre¬
tonneau).
La fièvre typhoïde pu le typhus sous les noms de febris mesenterica (Baglivi), febris
pituitosa (Max. Stoll), morbus mucosus (Roederer et Wagler), adéno-méningée (Pinel),
et plus tard sous les noms à'entéro-mésentérique, a été longtemps à se dégager de la
confusion et à prendre sa place légitime dans le cadre nosologique. C’est en 1725 et 1727,
à Marbourg, qu’elle est décrite d’abord avec quelque netteté.
On peut juger, d’après cette analyse succincte, du travail de critique
historique entrepris par Ozanam, des difficultés du sujet; accorder les
erreurs du passé avec les certitudes du présent, commenter ce qui est
obscur, expliquer ce qui est incompréhensible, telle est la tâche qui in¬
comberait à un historien des maladies épidémiques des siècles passés.
E.xaminons rapidement les opinions contemporaines. Béhier (thèse
d’agrégation, 1844) apprécie en ces termes la valeur des opinions émises
ÉPIDÉMIE. ' 545
par les auteurs du seizième, dix-septième, dix-huitième siècle sur les
épidémies ;
Pour Sydenham, pour Stoll, Baillou, Huxham, le point capital dans l’état morbide
observé, c’est la forme bilieuse, catarrhale ou toute autre qu’on retrouve dans toutes les
maladies d’une de ces constitutions ; le siège et la nature ne sont rien que des élé¬
ments secondaires qui ne doivent même pas modifier le traitement. De nos jours, une
semblable opinion est insoutenable ; les progrès féconds de la médecine nous ont appris
toute la valeur du siège anatomique comparé à la forme, ce serait donc déjà une diffé¬
rence qu’il faudrait bien poser avant d’admettre une constitution stationnaire, et il serait
indispensable de retourner complètement l’opinion de Sydenham et de Stoll, et de faire
du siège anatomique et de la nature, souvent différents de la maladie, le point capital
dans l’analyse de l’état morbide, et d’accorder à la forme commune une influence noso¬
graphique plus secondaire. Ce ne seraient donc plus des fièvres bilieuses , catarrhales
ou autres, cachées sous la forme de pleurésies, de pneumonies ou de dysenteries, mais
bien, au contraire, des pleurésies, des pneumonies ou des dysenteries offrant une forme
commune soit bilieuse, soit catarrhale, dans les diverses constitutions du moment. C’est
déjà là une différence capitale.
Une fois cette précaution établie, devons-nous reconnaître l’existence de constitutions,
stationnaires et admettre que, pendant des périodes souvent étendues, des maladies
diverses peuvent présenter un tel rapport commun? Ici nous devons signaler une des
difiicultés que présente cette question. Presque tous les documents que nous pouvons
mettre en œuwe, pour des raisons variables, n’ont pas toute la valeur que nous aurions
désirée. On peut les rattacher à deux catégories ; ceux dont la publication a précédé
l’époque de la localisation anatomique des maladies, et ceux qui sont postérieurs à la
création de cette grande école anatomo-pathologique...
Les documents de la première de ces deux classes ne sont pas autre chose que les
œuvres de Sydenham, de Baillou, d’Huxham, de Stoll, de Lepecq de la Clôture et des
auteurs qui ont marché sur leurs traces et qui ont adopté leurs opinions sur les consti¬
tutions...
Béhier concède que :
Pendant des temps souvent assez prolongés, les maladies peuvent présenter, quels que
soient leur siège et leur nature, des formes semblables dans une même période. C’est là,
dit-il, ce que nous appellerons constitutions stationnaires ; nous en séparons nettement
l’épidémie, non pas que l’épidémie ne soit pas souvent une constitution particulière
régnant pendant un temps prolongé ; mais cette influence porte sur tout l’ensemble de
l’état morbide qui est alors le même, et pour le siège, et pour la nature, et pour la forme,
tandis qu’on doit admettre que la constitution porte seulement sur la forme et non sur le
siège.
Pour les constitutions saisonnières, Béhier établit une distinction : ces constitutions-
peuvent produire des communautés de forme appliquées à des maladies diverses (c’est la
véritable constitution saisonnière ; ou bien elles peuvent entraîner le développement sous
forme épidémique de l’une des maladies qui régnent ordinairement sous forme spora¬
dique à cette époque de l’année ; c’est là une véritable épidémie.
Émile Chauffard, dans un mémoire récent (1863) sur la constitution
médicale de l’année 1862, observée à l’hôpital Saint-Antoine, réhabilite
l’étude des constitutions.
Cetle étude, dit Chauffard, nous montrera les maladies aiguës d’un même temps liées
les une.s aux autres. Nées sous les mêmes iufluences de Pair et des saisons, en évolution
perpétuelle à travers les temps qui évoluent eux-mêmes, elles ont à un même moment
des traits communs qui leur appartiennent, des traits de famille, si je puis m’exprimer
ainsi. Une constitution médicale est, en effet, comme une famille pour les maladies
SOUV, DICT. MÉn. ET CUIS. XIU. — 35
546 ÉPIDÉMIE.
aiguës ; pu les voit, dans cette famille, prendre peu à peu une physionomie propre, la
conserver plus ou moins nette et intacte suivant les intercurrences saisonnières ou épidé¬
miques ; elles atteignent, par degrés, au summum de leur caractéristique, y persistent
plus ou moins de temps, et la perdent ensuite lentement, comme elles l’ont acquise.
Dans ce courant d’observations vivantes, nous perdrons bientôt l’idée petite et fausse de
l’espèce morbide inflexible, la même en tout temps, en toute saison, il y a cinquante ans
comme aujourd’hui, comme dans l’avenir. La maladie est essentiellement le mode d’une
activité toute spontanée ; un pareil mode ne peut être immuable comme une espèce substan¬
tielle; il change suivant les moments et les milieux. Rien dans la vie des hommes, comme
dans l’humanité en général , n’est définitif et fixe : tout s’y transforme incessamment
pour les maladies de l’organisme, comme pour les passions et les entraînements de l’es¬
prit. Il faut faire à ces vérités supérieures une part dans notre science ; si nous les mé¬
connaissons de parti pris, l’observation médicale manquera de l’une de ses plus pures
lumières. Nous jugeons incomplètement et souvent à faux l’espèce morbide elle-même
dont nous faisons le centre absolu de notre observation ; car les mêmes symptômes d’une
maladie, ditStoll, ne signifient pas tout à fait la même chose, si ce n’est pas la même
constitution de saison.
L’étude persévérante, au contraire des constitutions médicales , nous créera comme
une science nouvelle et féconde : elle nous apprendra les transformations , les formes
cachées, les associations des espèces morbides particulières ; elle nous dévoilera surtout
la lente et obscure évolution des’ grandes formes morbides stationnaires ; elle nous mon¬
trera comment elles naissent , croissent et déclinent, comment elles s’enchaînent et pas¬
sent de l’une à l’autre ; ce qui accroît ou affaiblit leur action. Nous apprendrons en même
temps à les préciser avec plus de rigueur, à les noter autrement que par des traits vagues
et indécis ; nous sortirons ainsi de la dichotomie banale de sthénie et d’asthénie ; nous
spécialiserons cette sthénie ou asthénie qui marque le fond commun des maladies aiguës
d’un même temps. Nous verrons encore sous quelles conditions étiologiques paraissent
ces fièvres stationnaires ; nous déterminerons si telle constitution saisonnière prolongée,
répétée, fortement accusée, ne peut pas devenir annuelle; si celle-ci, outre-passant ses
limites, croissant d’une année à l’autre, ne se transforme pas ainsi en stationnaire; ou si,
enfin, telle grande et insolite épidémie s’étendant tout à coup sur de vastes étendues de
pays, et supprimant, pendant son règne, toute autre maladie aiguë , ne laisse pas après
elle, comme trace durable de son passage, un mode stationnaire spécial et qui, pour
longtemps, séparera les maladies aiguës qui feront suite à l’épidémie , de celles qui ré¬
gnaient auparavant, 'foutes ces obscurités que Stoll signalait comme couvrant la connais¬
sance des constitutions médicales, peuvent peu à peu se dissiper ; mais pour cela, il faut,
je le répète en terminant, des investigations patientes, laborieuses, éclairées, poursuivies
de génération en génération. Nos devanciers avaient commencé l’œuvre; il nous appar¬
tiendrait de la reprendre.
G. Bernutz, dans l’e.\cellent article qu’il a consacré aux Constitutioks
51ÉDICALES (voy. t. IX, p. 164), accepte en principe la doctrine tradition¬
nelle, tout en faisant ses réserves quant aux difficultés de l’application ;
on ne saurait mieux exprimer la pensée moderne sur un pareil sujet que
ne le fait Bernutz.
On peut dire que croire ou ne pas croire aux constitutions médicales, c’est accepter
on, au contraire, rejeter que les agents cosmiques dont nous sentons si vivement les im¬
pressions dans l’état de santé, et qui agissent si puissamment sur la quantité et les qua¬
lités des biens deia terre, exercent une action soit prochaine, soit éloignée, sur le dé¬
veloppement et la manière d’être des maladies populaires.
C’est là, on peut le reconnaître, la partie fondamentale, essentielle, de la doctrine des
constitutions médicales, qui, lorsqu’on ramène ainsi la question à ses termes les plus sim¬
ples, peut être considérée comme un de ces faits d’observation primordiaux qu’il est im¬
possible de contester. Cette sorte de dogme, qui relie la pathologie aux lois générales qui
ÉPIDÉME. 547
régissent les mondes, et qui donne à la médecine des proportions bien différentes de
celles auxquelles la réduirait un empirisme strictement organopathique, sert de base à
cbacune des trois doctrines : d’Hippocrate, de Sydenbam, de Stoll, qu’on peut appeler les
trois doctrines mères. (Bernutz.)
G. Bernutz trouve la preuve de la vérité de la doctrine des constitu¬
tions dans ce fait que la notion des dissemblances que les modalités réac¬
tives présentent aux diverses époques dans les mêmes maladies, et qui
constitue véritablement l’idée hippocratique, a persisté ou plutôt a été
ramenée par l’observation. Elle se retrouverait prédominante dans la plu¬
part des descriptions d’épidémies tracées de nos jours, notamment dans
celles de Graves et de Trousseau, qui doivent à cette notion d’avoir été
accueillies comme un tableau fidèle de ce qu’on observe au lit des ma¬
lades.
Bernutz reconnaît comme incontestable l’existence du génie épidé¬
mique, c’est-à-dire des constitutions médicales dont la caractéristique
pourrait être exprimée ainsi : on verrait régner, concurremment à la ma¬
ladie épidémique, un certain nombre d’affections de même ordre qu’elle ;
et même les maladies les plus diverses par leur siège anatomique, les
moins comparables, si l’on s'en rapportait à la nomenclature moderne, af¬
fecteraient entre elles et avec la maladie saisonnière une sorte de ressem¬
blance. Il y aurait un élément commun entre toutes ces maladies. En ou¬
tre, quelques-unes se transformeraient sous l’influence d’une cause acci¬
dentelle légère, ou d’une cause artificielle, telle qu’un purgatif par
exemple ou un vomitif, et prendraient tous les caractères de la maladie
épidémique.
Ce génie épidémique, expression poétique d’un fait dont les causes et
la raison d’être sont obscurs et ne peuvent être traduits en langage scien¬
tifique, est en effet admis par la majorité des médecins. En temps d’épi¬
démie, il en faudrait tenir compte dans la thérapeutique. Non-seulement
ce serait là une croyance traditionnelle, mais encore on pourrait prouver
jusqu’à un certain point la réalité de ce fait par l’expérience de tous les
jours. Quant à l’interprétation de ce fait, on ne doit point s’étonner que
les opinions varient; nous citons ici Bernutz :
Les uns voient dans le génie épidémique une influence absolument distincte de celle à
laquelle sont dues les constitutions médicales; influence qu’ils laissent indéterminée,
mais qu’ils déclarent n’être subordonnée en rien, non-seulement aux vicissitudes atmo¬
sphériques, mais à aucun des agents cosmiques ; ce qui revient à dire que cette influence,
qui est considérée comme étant absolument indépendante de tout agent cosmique quel qu’il
soit, météorologique ou hygiénique, est exercée par la maladie épidémique eUe-même, à
laquelle on arrive ainsi à donner dans cette opinion une existence propre, à individualiser,
comme l’avait fait Sydenham, sans se demander s’il est possible à un médecin de conce¬
voir une maladie séparée d’un organisme vivant qui la supporte, et d’en faire une sorte
d’être malfaisant qui viendrait, comme un vautour, s’abattre dans un pays et en décimer
les populations. Les sécrétions vicieuses que les maladies déterminent peuvent, dans quel¬
ques-unes d’entre elles, agir soit comme un miasme infectieux, soit comme virus conta¬
gieux, et alors exercer une influence morbifique sur les individus sains ou malades qui se
trouvent dans leur sphère d’action ; mais, même dans ces cas spéciaux, qui seuls se prê¬
teraient à l’interprétation que nous discutons, ou n’est pas autorisé à dire que c’est la
548 ÉPIDÉMIE.
maladie elle-même qui exerce une influence morbifique. Elle revient de plein droit aux
poisons morbides, produits liquides ou gazeux résultant de sécrétions vicieuses, qui sont
de véritables agents physiques, engendrés dans et par un organisme affecté de la maladie
épidémique. Il y a alors de l’infection ou de la contagion.
Bernulz reconnaît, d’ailleurs, que le plus grand nombre des maladies
qui forment les grandes épidémies sont transmissibles soit par infection,
soit par contagion, ce qu’ignoraient, pour un assez grand nombre d’entre
elles, non-seulement Sydenham, mais même les médecins du commence¬
ment de ce siècle, et que, par conséquent, il faut accorder à ce mode de
transmission une part égale au moins à celle que mérite la constitution
médicale régnante, qui ne contribue à la propagation de l’épidémie qu’en
faisant naître, chez un plus ou moins grand nombre d’individus, l’aptitude
à contracter la maladie transmissible.
Bernutz dit très-sagement aussi qu’en temps d’épidémie une maladie
infectieuse ou contagieuse peut offrir des formes modifiées ou atténuées
qui trompent un observateur peu sagace, et, n’étant point rattachées à
l’espèce dont elles dépendent réellement, sont considérées par ceux qui ne
connaissent pas ces formes atténuées comme des symptômes étrangers im¬
primés par le génie épidémique à la maladie antécédente.
Cela est si vrai, qu’il est permis de se demander si les formes variées
d’une même maladie épidémique n’ont point été prises souvent pour des
maladies différentes de celle-ci. Lorsque les prodromes varient, l’erreur
est possible. Ainsi, en temps de choléra, la diarrhée dite prémonitoire
qui se transformerait en choléra n’est que le choléra lui-même à un faible
degré et au début ; on en peut dire autant des accidents multiples obser¬
vés sur les femmes en couches en temps d’épidémie puerpérale ; ils va¬
rient non de qualité, mais de quantité.
Parmi les contemporains, les médecins de Montpellier ont conservé le
langage des anciens en parlant des épidémies. Fuster [Traité des maladies
de la France dans leur rapport avec les saisons) dit :
Le fond d’üne affection, c’est sa nature intime, le soutien des symptômes, la base des
indications; la forme, c’est son enveloppe, ses dehors et ses apparences, et, pour ainsi
dire, son écorce. Le fond de l’affection est le produit de la constitution médicale; ses ex¬
pressions ou ses formes dérivent plutôt des circonstances, de la diversité des lieux et des
sujets. Les formes de l’affection varient par mille causes ; son fond ou sa nature reste in¬
variable tant que la constitution épidémique ne se modifie point. Cette distinction du fond
et de la forme est le trait le plus Important de l’histoire de ces affections.
Parmi les questions qui sont le plus intimement liées à celle des épi¬
démies, la contagion tient la première place.
La contagion dans ses rapports avec les maladies épidémiques a été
étudiée surtout par Ch. Anglada (Montpellier, 1853) ; au point de vue de
l’histoire et de la critique, cet ouvrage a rendu un grand service.
Les auteurs des siècles passés ont considéré la contagion comme un
fait assimilable à l’action des venins et même ils l’ont confondue avec la
spécificité de toutes les matières toxiques ou médicamenteuses.
ÉPIDÉMIE. 549
Désiré Fernel (seizième siècle) rapproche dans une même comparaison,
par rapport à la contagion, les venins, l’action de la torpille, celle de
l’opium, l’hydrophobie rabique, la morsure des scorpions et des serpents,
la blessure faite par des traits empoisonnés et la syphilis. Ainsi rien n’est
plus matériel que l’idée que se faisait Fernel de la contagion ; on a blâmé
cette définition, à tort selon nous ; elle est telle qu’on pouvait la faire à
cette époque (1567).
Au seizième siècle, Fracastor avait déjà publié trois volumes sur la conta¬
gion et les maladies contagieuses ; c’était l’époque de la grande agitation
à l’occasion des maladies des armées et surtout de la syphilis. Au dix-
huitième siècle, la contagion et l’infection furent distinguées ; cependant
cette distinction est encore vague dans les ouvrages de Lind (Edinburgh,
1763), qui range dans la même catégorie les émanations des fièvres et la
contagion directe des principes septiques. On en vint ensuite à une dis¬
tinction trop subtile et peu scientifique des mots contagion et infection.
On n’admettait que le contact direct, grossier, du corps contre le corps,
en excluant les miasmes ou effluves et l’air servant de véhicule ; il semble
qu’alors (commencement de ce siècle) on ait considéré l’air comme n’ayant
rien de matériel et qu’on n’eût jamais regardé un rayon de soleil dans une
chambre obscure. Le fait d’une atmosphère virulente autour des varioleux
par exemple, est ajuste titre relevé comme argument par Ch. Anglada.
Les contagionnistes absolus comme Rocheux, admettaient d’autre part
que la contagion a lieu « quand une maladie se transmet n’importe com¬
ment, de malade à sain. » (Académie de médecine.)
Deux auteurs classiques contemporains dont le livre fait autorité, Hardy
et Bébier, entendent par contagion « la transmission d’une maladie opé-
« rée d’un individu déjà atteint à un ou plusieurs individus, abstraction
« faite de la manière dont cette transmission s’effectue, des conditions
« qui la rendent plus ou moins facile et de l’origine première de la ma-
« ladie. » Quant au virus, ces deux auteurs le définissent: « l’élément
« morbide inconnu, il est vrai, dans sa nature, mais pouvant se trans-
« mettre par l’inoculation d’un liquide qui est fourni par l’économie
« infectée, et qui paraît, en quelque sorte, le produit d’une élaboration
« morbide particulière. » Le mot liquide a paru à quelques auteurs res¬
trictif et trop exclusif, attendu que la matière virulente peut adopter d’au¬
tres formes que la forme liquide. Ch. Anglada a donné de la contagion
la définition suivante : « La transmission d’une affection morbide de l’in-
« dividu malade à un ou plusieurs individus, par l’intermédiaire d’un
« principe matériel qui, étant le produit d’une élaboration morbide spé-
« cifiqûe, provoque chez ceux qu’il atteint, d’une manière immédiate ou
« médiate, pourvu qu’ils soient convenablement prédisposés, une mala-
« die semblable à celle dont il provient. » Cet auteur se range à l’avis
des nosologistes qui ont désigné les virus sous le nom de poisons morbi¬
des, avec cette différence que les poisons ordinaires s’épuisent dans leur
action même sur l’organisme, tandis que ces poisons morbides s’accrois¬
sent et se multiplient dans les corps vivants qu’ils ont envahis. Celte
350 ÉPIDÉMIE.
même distinbtion peut être appliquée à la comparaison des venins et des
poisons morbides. Le mot poison a été récemment appliqué aux épidé¬
mies puerpérales par Hervieux dans sa consciencieuse étude sur les suites
de couches (1870).
L’idée d’une altération spéciale des humeurs nécessaire pour la conta¬
gion (élaboration morbide d’Anglada), est fort ancienne, et, sans remon¬
ter au galénisme, on la trouve développée chez les auteurs du seizième
siècle; Varandal, professeur de la faculté de Montpellier, s’exprime ainsi:
« Est omnis contagio mm putrecline, et quemadmodum omni contagioni
jungitur aliqua putredo, ita omni putrekni aliquod contagium. » Sar-
cone (1765) attribue la contagion des fièvres pétéchiales à une dissolu¬
tion humorale. Hufeland admet que la contagion peut avoir lieu dans
toutes les maladies où les humeurs ont subi un haut degré de dégéné¬
rescence putride.
La querelle des contagionnistes et des non-contagionnistes après avoir
occupé le monde scientifique pendant le premier tiers de ce siècle, s’est
éteinte aujourd’hui. Cependant il n’est pas inutile de rappeler quels
étaient les arguments fournis de part et d’autre. Les deux mots ou plutôt
les deux théories en présence étaient la contagion et l’infection. Ch. An-
glada a donné un parallèle de ces deux théories. Nous suivons ici le plan
qu’il a tracé et nous mettons à contribution son excellent traité. L'infec¬
tion, c’est l’action morbide exercée par l’intermédiaire de l’air chargé de
principes morbifiques, dont la condensation forme les foyers d’infection.
Ces principes morbifiques sont : 1" Les effluves qui s’exhalent des marais;
2° les émanations putrides qui proviennent des animaux en décomposi¬
tion ; 3° les miasmes qui se dégagent des corps vivants surtout dans les
espaces où l’air est confiné (t. I, p. 32).
Ces principes morbifiques capables de se transmettre à distance étaient
soigneusement distingués de, ceux qui se gagnent par le contact des corps
humains ; distinction subtile et antiscientifique. Une transaction fut in¬
troduite par Bouillaud qui reconnaissait que « la contagion n’était, en
quelque sorte, qu’un mode particulier d’infection. » (Nosographie médi¬
cale, t. V.) Les infectionnistes semblaient se refuser à l’évidence et préfé¬
raient une querelle de mots à l’aveu d’un accord tacite sur le fond; tel
était Prus (1846), lorsqu’il niait que la peste fût contagieuse bien qu’il
admît qu’elle était transmissible et épidémique. Rien n’était fait si l’on
n’admettait d’abord l’expression inévitable d’infection miasmatique.
D’autres auteurs admettaient, par une sorte de concession, la contagion
par des virus hülitueux.
Cette dispute de mots trop longtemps prolongée n’a pas eu seulement
pour résultat de distraire de travaux positifs des savants tout entiers oc¬
cupés à chercher des arguments, mais elle menaçait de faire sortir la
médecine de sa voie naturelle qui est la recherche des remèdes et des
préservatifs. Or, nier la contagion c’était créer un danger sérieux en ce
sens que les précautions indispensables pour empêcher la propagation de
la maladie n’étaient plus conseillées. D’une parties infectionnistes sem-
ÉPIDÉMIE.
hlaient moins redouter le contact que le séjour dans l’atmosphère infec¬
tée, d’autre part les contagionnistes pouvaient être tentés de nier ce mi¬
lieu infectant. L’hygiène publique était intéressée à la cessation de cette
querelle improductive et nuisible. On ne fut d’accord que lorsque les
deux opinions fusionnèrent et que l’on reconnut l’existence des maladies
infectieuses ou intèctionnelles, comme dit Ch. Anglada, et contagieuses
tout à la fois. La variole, le typhus, la pourriture d’hôpital furent accep¬
tées comme types. D’ailleurs les grandes épidémies de choléra et de ûèvre
jaune en excitant la terreur des populations et le zèle des administrateurs,
firent taire le vain bruit des discussions académiques, et obligèrent les
nations à se sauvegarder elles-mêmes, sans attendre plus longtemps que
les combattants se fussent mis d’accord sur une question où le bon sens
public déclarait la vérité évidente.
De la spontanéité des maladies épidémiques et contagieuses. — A quelque
point de vue que l’on se place, l’idée de la spontanéité des maladies est
un objectif que l’on ne saurait perdre de vue. Cette idée importe autant à
la pratique médicale qu’à la théorie pure. Ce n’est pas une vaine recher¬
che que celle des causes des origines d’une maladie. En effet, si l’on
reconnaît qu’une maladie naisse d’une cause extérieure permanente
pu accidentelle, tout l’effort de la médecine publique devra tendre à
corriger cette cause, à en supprimer la source, à en empêcher du moins
ou à en atténuer les effets. Tel est le cas des maladies causées par l’influence
tellurique que la main de l’homme peut modifier ; tel est le cas encore
des conditions de régime alimentaire, d’habitat, d’acclimatation, qui sont
sous la dépendance des mesures d’hygiène sociale. Si ces causes exté¬
rieures n’existent pas ou restent à l’état inconnu, et que l’on puisse saisir
le moment et les conditions atmosphériques ou autres qui marquent
l’instant où a lieu le développement de la maladie, on pourra encore
intervenir pour arrêter, par des mesures spéciales , la propagation de la
maladie et sa diffusion sur une grande étendue de pays. En admettant
même que la maladie naisse spontanément sans cause appréciable et par
le fait même de la prédestination de notre espèce , sur un grand nombre
d’individus à la fois et sur un vaste espace, ne faut-il pas faire la preuve
du fait et en étudier les caractères? Ce n’est donc pas une recherche vaine
et oiseuse que celle qui porte sur la spontanéité des maladies. Sans doute il
ne faut point perdre un temps précieux à rechercher les causes premières ;
se demander si l’homme porte en lui-même la puissance de développer
toutes les maladies et d’en engendrer chaque jour de nouvelles, , c’est en
quelque sorte reprendre la question des générations spontanées. Notre
époque a vu ces discussions naître et se terminer sans solution; il y faut
momentanément renoncer; il ne faut point d’ailleurs attendre de secours
des auteurs anciens pour la solution de ces questions complexes. La spon¬
tanéité n’a jamais été ni niée ni prouvée; Lancisi (1720) a dit: «Non
novum est, in animalium corporibus sine manifesta causa peculiare ve-
nenum innasci, quod cætera contagione corrumpat. »
On a pris pour exemple les maladies virulentes transmises des animaux
552 ÉPIDÉMIE.
à l’homme, mais survenues chez les animaux spontanément comme la
rage.
Les maladies vulgaires pandémiques, comme le croup, peuvent aussi
servir d’exemple. Un cas naît au milieu d’une population saine, et ce cas
est suivi d’autres par contagion. On en peut dire autant des maladies popu¬
laires vulgaires comme le typhus qui naît à un jour donné sans précédent
et devient épidémique, susceptible même d’être transporté au loin; mais
ici déjà les conditions de milieu et de régime expliquent la genèse de la
maladie, et, d’ailleurs, elle ne se transplante et ne s’étend que là où existe
un milieu spécial qui lui convienne. Mais comment résoudre cette ques¬
tion avec la théorie nouvelle du sommeil des germes? De tout temps
existent les germes; ils sont contemporains de l’homme. Rien ne se
perd, des milliers d’années n’altèrent point cette substance dont l’activité
reste à l’état latent, attendant l’occasion, le milieu artificiel ou accidentel
qui seul peut en assurer le développement. Comment prouver le fait,
comment le nier?
Les endémies ne nous offrent-elles pas de nombreux exemples de ma¬
ladies contagieuses, et au besoin épidémiques , concentrées pendant des
siècles eu des espaces étroits et confinés, soit dans des îles, soit sur un
coin d’un grand continent, et y acquiérant une sorte de modalité spéciale,
en attendant qu’une occasion s’offre à leur diffusion sur le globe?
On a tenté de refaire l’histoire des maladies d’après leur lieu d’origine
et l’époque de leur apparition dans les pays où il a existé une histoire.
Ainsi, les fièvres éruptives dateraient, en Europe, d’une certaine époque,
et, avant ce temps, il n’en serait fait aucune mention dans les auteurs
anciens. La syphilis apparaîtrait à un moment donné (fin du quinzième
siècle), et n’aurait pas été connue de l’antiquité; mais quelles difficultés n’a
pas rencontrée la critique historique lorsqu’elle a tenté de refaire l’exégèse
de ces faits? L’obscurité qui enveloppe les origines mêmes de l’humanité,
l’impossibilité de prouver la génération d’un couple unique ou d’espèces
multiples à des époques déterminées,interviennentici pour couper court à
toute recherche relative à la contemporanéité des premiers hommes et de
toutes les maladies contenues en puissance dans ces premiers habitants
du globe. Nous possédons heureusement des notions exactes , fruit d’ob¬
servations multipliées et d’une statistique qui va s’enrichissant chaque
jour, et qui nous permettent d’établir que certaines maladies s’entretien¬
nent par la seule contagion, se transmettent toujours et ne naissent pas
spontanément, actuellement, et qu’un individu ou un pays, en peuvent
être préservés absolument, si le contact d’un malade atteint de cette ma¬
ladie peut être évité, ou si le remède préservatif est appliqué et renouvelé;
cela est vrai pour la syphilis d’une part, pour la variole de l’autre.
Il est non moins vrai qu’il existe des maladies infectieuses contagieuses
épidémiques, qui résident en un point du globe, et qui ne résident que là;
que ces maladies ne naissent jamais et ne s’acclimatent jamais dans
certaines autres contrées; à peine y peuvent-elles être importées acci¬
dentellement, elle n’y prennent pas racine, telle est la fièvre jaune.
ÉPIDÉMIE. 553
, Certaines races d’hommes paraissent aussi ou rebelles ou moins acces¬
sibles à certaines maladies ; enfin il existe des circonstances particulières
dépendantes de l’organisme et dont les unes sont morbides , les autres
physiologiques, qui sont indispensables pour créer cette sorte de terrain
artificiel ou accidentel, sur lequel seulement peuvent naître et se propager
certaines épidémies ; tel est le cas de la plaie qui engendre la pourriture
d’hôpital et l’infection purulente, le tétanos ; tel est encore le cas des
maladies épidémiques puerpérales. On voit par ce court aperçu quelle est
l’étendue, quelle est la comple.xité d’une semblable question qui embrasse,
pour ainsi dire, tous les objets dont la médecine fait son étude. Les
constitutions médicales interviennent encore comme cause épidémique, et
ajoutent aux difficultés du sujet.
Malgré le découragement que peut légitimer l’immensité et l’obscurité
de ce problème agité depuis les temps les plus reculés, on éprouve une
sorte de soulagement en passant en revue les enseignements que la science
moderne a substitués aux vagues errements de la médecine ancienne. Si l’on
jette les yeux sur les tableaux des épidémies, soit de l’antiquité, soit du
moyen âge, soit même des époques plus rapprochées de nous, on voit que
les maladies qui ont dépeuplé la terre et porté la terreur dans les popu¬
lations, sont précisément de celles sur lesquelles la médecine peut aujour¬
d’hui affirmer sa puissance. C’est la variole, cette grande peste des temps
modernes , ce sont les fièvres pétéchiales , le typhus des armées et de la
famine, c’est la syphilis. Or, ces maladies on en peut, ou empêcher le
retour, ou atténuer singulièrement l’action ; et, pour ces maladies d’ori¬
gine indienne, qui se sont propagées à l’Europe, et dont une, le choléra,
s'y est presque acclimatée, ne peut-on pas dire que les progrès de la civili¬
sation et les efforts de l’hygiène internationale tendent à les confiner aux
lieux de leur origine, et à supprimer quelques-unes des causes les plus
évidentes et les plus actives de leur propagation (caravanes, pèlerinages,
fanatisme religieux)? Il y a, d’ailleurs, des règles connues aujourd’hui et
applicables à toutes les maladies contagieuses épidémiques. C’est, par
exemple, l’isolement, la dispersion, la dissémination, la disparition de¬
mandée et qui bientôt sera obtenue, de certaines institutions sociales et de
certains établissements qui entretiennent, engendrent peut-être, à coup
sûr favorisent la production de quelques maladies épidémiques (camps,
casernes, grands hôpitaux) . Nous acceptons pleinement ce que dit Anglada
dans ce passage (thèse de concours, Montpellier, 1850) : « On voit la
contagion compliquer surtout les maladies populaires dans les temps
barbares, chez les nations que leur ignorance ou l’apathie du fatalisme
éloignent de tout recours à l’hygiène, sur la classe pauvre du peuple où
se trouvent des prédispositions plus profondes dont l’influence peut faire
aisément éclore des germes morbides. On ne l’observe que rarement, au
contraire, chez les nations civilisées, livrées au commerce des sciences et
des arts, combinant, dans des efforts communs, les travaux de l’intelli¬
gence et ceux de l’industrie, réalisant de mieux en mieux l’accroissement
du bien-êlre des masses, et offrant, dans la proportion relative des
554
ÉPIDÉMIE.
classes riches et aisées, des prédispositions plus réfractaires aux élabora¬
tions virulentes. »
On a tenté à diverses époques de classer les maladies épidémiques d’a¬
près leur caractère contagieux ou non. Il est certain que contagion et épi¬
démie semblent aujourd’hui des termes corollaires l’un de l’autre, et qu’on
met généralement sur le compte de l’imperfection dè nos moyens physi¬
ques d’observation, l’impuissance où nous sommes de déterminer le mode
de propagation de certaines de ces maladies. Chaque jour accroît la cer¬
titude que nous avons de la faculté contagieuse des maladies épidémi¬
ques ; la fièvre typhoïde, l’érysipèle, le puerpérisme infectieux sont ré¬
putés contagieux depuis quelques années seulement. On ne doute plus de
la contagion du choléra, on ne discute que sur le mode de contagion de
cette maladie, sur le véhicule de la contagion, air respiré ou matières
excrétées; il en est de même pour la dysenterie. Et cependant ni Willis
(1670) ni Sydenham n’ont reconnu le caractère contagieux de la dy¬
senterie qui de leur temps régnait épidémiquement; ce caractère fut plus
tard démontré par Pringle (1707-1782), Sarcone (1765), S. A. Tissot
(1768), J. G. Zimmermann (Zurich, 1767), Gendron (1835). Il n’y a
point jusqu’aux maladies organiques qui ne soient suspectes de se trans¬
mettre, non pas à l’état épidémique, mais d’un individu à l’autre par un
contact prolongé, telle serait la phthisie pulmonaire. (Villemin.)
Il ne nous appartient pas de traiter ici la question de la contagion dans
son ensemble ni d’en décrire les différents modes. Nous renvoyons le
lecteur pour cela à l’article Contagion, t. IX de ce dictionnaire. Nous de¬
vions seulement dire quelques mots de cette question qui est intimement
liée à celle des épidémies.
Nous nous abstiendrons d’aborder la question des virus qui sera traitée
à l’article Vmus. Ce chapitre est un de ceux où se montre le mieux le
progrès accompli par la science moderne. L’étude des produits morbides
contagieux a révélé, en effet, la présence d’un certain nombre d’êtres pa¬
rasitaires dont la description échappe à la médecine pour retourner à
l’histoire naturelle. Le parasitisme occupe une place considérable dans la
contagion des maladies, et par ce que nous savons déjà, on peut augurer
encore de nouvelles et importantes découvertes qui diminueront le nom¬
bre des maladies mystérieuses. Nommer quelques-unes de ces maladies
réduites aujourd’hui à un fait grossier de contagion parasitaire et jadis
réputées infectieuses et presque incurables, sufüra pour montrer les bien¬
faits des découvertes modernes. La gale a occupé une place considérable,
naguère encore, parmi les maladies populaires contagieuses ; aujourd’hui
la découverte de l’acarus, et des moyens simples de la guérison a presque
fait disparaître cette maladie du cadre des épidémies. Les teignes sont dans
le même cas. Les expériences modernes sur les entozoaires fort bien
exposées dans ce Dictionnaire par Léon Vaillant ont éclairci une question
jusque-là vague et mystérieuse. Les inoculations expérimentales ont dé-
hnitivemeiit résolu les problèmes qui se posaient relativement aux diffé¬
rents virus vénériens. L’histologie nous promet de nouvelles découvertes.
555
ÉP1DÉM[E.
Les beaux travaux de Pasteur sur les ferments et les germes infectieux,
ont ouvert un vaste champ aux recherches. Davaine, par sa démonstra¬
tion de l’existence de bactéridies se multipliant dans la pustule maligne
et se répandant dans le sang des animaux contagionnés (voy.^ t. VI,
p. 177), Villemin par ses inoculations de matière tuberculeuse, ont tracé
une voie nouvelle à l’expérimentation. Chauveau a abordé le difficile
problème de l’analyse chimique et histologique des virus transmis par
les animaux à l’homme et fourni des données nouvelles et inattendues.
A côté de ces travaux scientifiques dont les uns ont donné des résultats
pratiques immédiats, et les autres sont à l’état de promesses prochaine¬
ment réalisables, se placent des entreprises plus hasardeuses, des hypo¬
thèses prématurées, des conceptions idéales qui marquent plus d’impa¬
tience que de maturité. Le moment n’est pas venu encore où l’on pourra
à côté de chaque maladie contagieuse et épidémique placer la description
du ferment spécial qui y donne naissance.
Causes diverses invoquées pour expliquer les épidémies. — Influences
morales. — Les auteurs de toutes les époques ont attaché une certaine
importance à la tristesse et au découragement parmi les causes qui pou¬
vaient influer sur la gravité de quelques épidémies. C’est là une croyance
populaire à laquelle des écrivains distingués ont donné l’appui de leur
affirmation. Ainsi les armées vaincues et en déroute ont paru subir plus
fortement les atteintes du typhus. Cette idée a été reprise dans ces der¬
niers temps par Léon Le Fort dans son livre des Maternités (Paris, 1866).
« Il est évident, dit-il, qu’une pauvre fille séduite et abandonnée, sou¬
vent chassée de la maison où elle était domestique, préoccupée de son
sort et de l’état de son enfant, ne sachant où elle trouvera un asile, à sa
sortie de l’hôpital, est dans des conditions morales qui devront réagir
sur sa santé et la mettre dans des conditions plus favorables au dévelop¬
pement des complications puerpérales post partum. Xavier Gouraud (thèse
de concours) adopte cette opinion et en trouve la confirmation dans ce
fait que la mortalité des femmes en couches serait moindre dans la prati¬
que de la ville, en dehors des hôpitaux, parce que, pense-t-il, la condi¬
tion ou la situation civile de ces femmes est le plus souvent régulière.
Il est difficile d’opposer à ce genre d’appréciation une négation abso¬
lue. En dehors de la science positive, il y a comme un sentiment auquel
les médecins sont accessibles comme les autres hommes et qui rend faci¬
lement acceptables des explications où le côté moral de la nature humaine
trouve sa place. Malheureusement cette sorte d’influence reste à l’état
vague et non mesurable.
Ce qui est certain c’est que le sentiment peut être corrigé et rectifié
par la froide expérience. Or voici ce que nous savons relativement aux
soldats vaincus et aux filles-mères : Les soldats vaincus n’ont pas le ty¬
phus quand la campagne a été courte, quand la bataille a été décisive et
non suivie d’une lente déroute, quand les vivres n’ont pas manqué, ni
les autres conditions d’une bonne hygiène. On a même remarqué que les
officiers mieux nourris et mieux abrités que les soldats fournissaient un
556 ■ ÉPIDÉMIE.
contigent bien moindre aux épidémies des armées, et cette immunité
n’entache en rien leur sentiment patriotique. On sait d’ailleurs aujour¬
d’hui quelle grande part il convient de faire à la famine dans la produc¬
tion du typhus.
Les femmes en couches sont-elles frappées de la fièvre puerpérale en
raison directe de leur chagrin et de la bassesse de leur condition morale?
Non, il n’en est rien. La morale invoquée ici n’a point sur leur maladie
l’influence qu’on suppose. Ce n’est pas le remords, ce n’est pas l’abjec¬
tion, ce h’est pas le vice, ce n’est pas la délicatesse des sentiments mise
à de cruelles épreuves, qui causent la mortalité des filles-mères. C’est la
misère qu’il faut accuser, la misère amène la faim, l’inanition lente, le
mauvais régime : quant au vêtement, au logement, à la protection contre
les intempéries, quelquefois l’intempérance du désespoir, et "enfin l’hô¬
pital, source des épidémies puerpérales ; voilà ce qu’il faut invoquer. Là
est la vérité. Développer l’argument est inutile, un mot suffira : les fem¬
mes mariées et qui pour cela ne sont point soustraites au vice ni à la mi¬
sère, et celles qui ne sont ni misérables ni adonnées au désordre, meurent
tout autant que les filles-mères, lorsque le malheur veut qu’elles se fient
à l’assistance publique représentée par de meurtriers services nosocomiaux.
Peut-on donner le nom de contagion ou d’épidémies à ces faits si fré¬
quents autrefois, encore observés quoique moins souvent aujourd’hui, de
folie, d’épilepsie, d’hystérie par imitation ? C’est par une métaphore et
non au propre qu’il est permis de dire qu’il y a contagion de l’exemple.
Calmeil (1845), a traité ce sujet dans son livre de la folie considérée
aux points de vue pathologique, philosophique, historique, etc., où il
examine les grandes épidémies de délire aux différentes époques de l’iiis-
loire. C’est à cet ordre de faits qu’il faut rattacher l’épidémie de chorée
qui fut observée en Allemagne et dans les Pays-Bas à la fin du seizième
siècle, le tarentisme italien du quinzième siècle, les événements de Lou-
dun elle procès d’Urbain Grandier (1652), les convulsions au cimetière
de Saint-Médard (1728), l’épidémie d’épilepsie observée par Boërhaave.
De nos jours des faits d’hystérie épidémique ont été signalés par Forget
{Gaz. méd. de Paris) ; à Lyon dans la manufacture de tabac, en 1851,
dans un petit village de Savoie, en 1861, les femmes se livrèrent pen¬
dant quelque temps à des convulsions et contorsions cyniques accrues
encore dans ce dernier cas par des pratiques d’exorcisme qui appartien¬
nent à un autre âge. Dans quelques réunions tenues en Amérique par des
fanatiques appartenant à des sectes prétendues religieuses, on voit encore
aujourd’hui se produire ces scènes où la médecine ne reconnaît pas une
maladie, mais une exagération volontaire et provoquée des instincts ani¬
maux les plus grossiers. On ne saurait sans forcer la valeur des termes
appliquer à ces faits le nom de contagion ou d’épidémie.
Cames physiques des épidémies d’après les modernes. — 11 est inutile
de consulter les anciens pour savoir les causes climatériques, telluriques,
physiques des épidémies. La critique historique peut s’exercer sur les
ouvrages de l’antiquité non pour y puiser des notions plus exactes que
ÉPIDÉMIE. 557
celles dont nous disposons aujourd’hui, mais pour y retrouver soit des
erreurs, soit la saine appréciation de faits du reste évidents et éternels
tels que l’influence des pays marécageux, des températures froides, des
chaleurs excessives, des armées assiégées, des batailles et des déroutes,
de la famine, sur la production des épidémies de fièvres intermittentes,
de scorbut, de dysenteries, de typhus Quant à la marche géographique
des grandes épidémies pestilentielles, elle n’a bien été observée que dans
les temps modernes c’est-à-dire depuis que la terre est connue et par¬
courue rapidement en tous sens de façon qu’une épidémie peut être suivie
pas à pas, et que ses progrès sont indiqués longtemps à l’avance. Voici
quelles sont sur les causes physiques des épidémies les opinions émises
par nos contemporains. Nous serons brefs sur les théories générales, ren¬
voyant le lecteur aux articles Endémie (t. XIII, p. 200), Constitutions médi¬
cales (t. IX, p. 164), Contagion (t. IX, p. 210), Clim.at (t. VIII, p. 48)
et Géographie médicale. D’ailleurs nous énumérerons successivement les
maladies susceptibles de former des épidémies importantes, et à l’occasion
de chacune de ces maladies en particulier nous nous expliquerons sur les
causes qui les produisent ou semblent les produire.
Michel Lévy, dans son Traité d'hygiène, que nous prendrons pour mo¬
dèle des travaux modernes d’ensemble sur la médecine publique, a donné
sur les épidémies le résumé des recherches de tous les temps, et carac¬
térisé, soit par un examen critique, soit par suite de sa propre expérience
certains faits-principes importants. Ce savant auteur admet parmi les
causes des épidémies : 1° IHnfection ou action exercée sur l’homme par
un air contaminé. L’infection suppose 1° un foyer d’émanations délétères;
2" le rôle intermédiaire de l’air qui leur sert de véhicule; 3° chez ceux
qui en sont atteints, une aptitude spéciale ou réceptivité. Ce principe in¬
fectieux est appelé effluve, miasme ou ferment.
Nous avons dit à l’article Endémie que le mot effluve, qui a une signifi¬
cation étroite, était plus volontiers remplacée aujourd’hui par les mots :
influences telluriques, qui sont plus d’accord avec les faits d’endémie ou
d’épidémie imputables au sol marécageux ou non.
L’influence des miasmes, notamment des matières animales en putré¬
faction, est admise encore aujourd’hui, et appuyée moins sur des faits
expérimentaux récents que sur l’opinion des anciens et des modernes ;
cependant il n’y a pas unanimité sur ce point. Malgré les faits cités par
Lassone [Soc. roy. de méd., 1776, t. I) d’une épidémie de fièvres mali¬
gnes cessant après qu’on eût rempli de chaux et comblé un fossé rempli
de cadavres de vaches, ceux qu’invoquèrentles médecins du dix-septième
et du dix-huitième siècle, Forestus, Ramazzini; les médecins du dix-neu¬
vième siècle. Requin, Guérard (thèse de concours pour la chaire d’hy¬
giène), Chomel, et qui semblaient prouver la nocuité des émanations
cadavériques, Andral, Villermé, ont infirmé cette opinion.
Aujourd’hui l’on reconnaît des vérités et des erreurs au milieu de la
complexité de cette question. Voici à cet égard quelques éclaircissements:
Personne ne nie que les matières animales en putréfaction puissent être
558 ÉPIDÉMIE.
septiques, si elles sont introduites par une plaie, dans le sang. C’est le fait
des piqûres anatomiques. On admet aussi que les seules émanations des
matières animales putréfiées sont nuisibles dans une certaine mesure et
peuvent amener des malaises, des indigestions, un degré peu élevé d’in¬
toxication, et contribuer dans une mesure plus ou moins grande à dépri¬
mer les forces. Ce n’est là ni une action toxique mortelle, ni une infection
morbide spécifique. Ces faits rentrent dans la catégorie des conditions
générales d’insalubrité. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit, non
d’une putréfaction simple, mais de matières putréfiées contenant un cer¬
tain poison morbide tel que le poison varioleux, par exemple, ou celui
de la fièvre jaune. En pareil cas, ce n’est plus la putréfaction qui est en
cause, c’est la matière morbifique qui s’est conservée malgré la putré¬
faction. De même il y a action d’un agent toxique morbide spécial lorsque
les matières animales mises en jeu proviennent d’animaux morts du
charbon. Michel Lévy cite une épidémie partielle de typhus qui se serait
montrée en Crimée pendant la dernière occupation française (1855), et
dont la cause aurait été imputée à ce fait que des cadavres avaient été mal
enterrés au voisinage de l’ambulance ; l’ambulance fut déplacée et le ty¬
phus ne s’y déclara plus sur place. Dans la guerre de Prusse (1866),
une épidémie de choléra s’étant déclarée parmi les troupes, on crut re¬
connaître que les déjections cholériques mal enfouies, entretenaient l’épi¬
démie, et l’on usa d’un moyen propre à décomposer chimiquement ces
matières, le permanganate de potasse.
Les analyses chimiques faites jusqu’ici n’ont point déterminé le degré
de nocuité des différentes matières susceptibles d’évaporation, et qui
constitueraient les agents ou véhicules de l’infection. L’acide sulfhydrique
et l’hydrogène phosphoré qui se dégagent surtout pendant la première
période de la putréfaction de l’abdomen des animaux, paraissent à Michel
Lévy constituer un méphitisme qu’on ne saurait nier.
V encombrement, d’après le même auteur, n’est qu’une expérience d’in¬
fection ; il produit la pourriture d’hôpital, le typhus des prisons, des
vaisseaux, des hôpitaux. Les maladies infectieuses nosocomiales s’accroî¬
traient et s’aggraveraient par l’encombrement ; telles seraient les mala¬
dies suivantes : gangrène, phlébite, érysipèles, infection purulente. On
pourrait ajouter les maladies toxiques contagieuses, croup, coqueluche,
fièvres éruptives (rougeole et scarlatine), et les maladies puerpérales. La
contagion ici joue le plus grand rôle. Sans doute lorsque le nombre des
malades excède les proportions légitimes du cubage atmosphérique né¬
cessaire à l’entretien de la santé, les conditions de salubrité ne sont plus
remplies. Yoiciun fait rapporté par Michel Lévy et dont la valeur est con¬
sidérable :
« En 1854, l’hôpital de Péra, ouvert à Constantinople à nos blessés
et à nos fiévreux de Crimée, avait été coté par l’intendance et porté à
1800 lits. Sa contenance salubre m’a paru être de 1000 à 1100 lits ; toutes
les fois que cette limite a été dépassée, les accidents de septicémie se
sont multipliés dans les salles, au point d’interdire aux chirurgiens la
ÉPIDÉMIE, 559
pratique des opérations toujours suivies de résultats funestes. La morve
se développe particulièrement dans les écuries de faible capacité, hu¬
mides, et difficiles à aérer. » (Lévy, t. II, p. 544.)
Quoique le principe de rencombremeiit comme cause d’épidémies doive
être conservé, il convient néanmoins de ne lui attribuer que sa part lé¬
gitime et de déterminer les autres principe» confondus sous cette appella¬
tion pour ainsi dire collective.
Si l’on admet que le mot encombrement puisse être susceptible d’une
définition scientifique, il faudrait se borner au sens suivant : insuffisance
du cubage d’air; cela reviendrait à l’expression de: air confiné. Mais il
n’en est pas ainsi ; ce sens restreint ne peut être attribué seul au mot en¬
combrement, lequel comprend les idées de masse d’hommes, de concen¬
tration, d’accumulation d’une même espèce morbide en un même lieu,
de mauvaises conditions hygiéniques, d’insalubrité de toute sorte. Voici
sur tous ces points les explications qui nous semblent nécessaires : en
temps d’épidémie, de misère publique, de guerre, on a vu tout d’un coup
les hôpitaux ou les ambulances envahis par une masse d’hommes double,
triple, du nombre réglementaire. Il n’y avait plus assez de lits pour les
coucher, presque pas assez d’espace pour les contenir, voilà l’encombre¬
ment dans toute sa complexité. Alors tout fait défaut à la fois : espace,
soins, aliments et remèdes. Il n’en est pas de même en temps ordinaire
et dans les époques de calme et de civilisation. On se sert bien encore du
mot encombrement pour désigner les grands rassemblements d’hommes
dans un même hôpital quel que soit le cubage de l’air. On se plaint des
trop grandes salles d’hôpital, du trop grand nombre de lits réunis soit en
une même chambre, soit dans les divers appartements d’un même bâti¬
ment. On accuse aussi la réunion en un même pavillon, en un même
corps de logis, d’un grand nombre de femmes en couches, de blessés,
d’enfants atteints de maladies contagieuses. Le mot encombrement appli¬
qué en pareils cas, n’a plus sa signification primitive ; il serait remplacé
avec avantage, soit par le mot concentration, soit par celui de groupement.
Quoi qu’il en soit, l’idée est la même, et c’est une. idée juste, à savoir
que la réunion sous le même toit ou dans le même périmètre d’un groupe
d’hommes atteints d’une maladie infectieuse, contagieuse, épidémique
enfin, constitue un danger pour quiconque y est introduit , augmente les
chances de mort de ceux qui y sont traités, et devient un danger pour le
dehors. C’est pour cela que les grands hôpitaux à espace resserré, con¬
struits au centre des villes sont condamnés. C’est pour cela que les ma¬
ternités doivent disparaître. Chose remarquable, le même cubage d’air
étant donné , le danger de l’endémo-épidémie et de l’infection sera
plus grand si les malades sont réunis en un lieu vaste et sans séparations,
que s’il existe des espaces cloisonnés et séparés. Cela tient à ce que les
miasmes sont arrêtés par l’interposition d’une paroi ; de même que les
effluves ne montent qu’à une certaine hauteur d’où la préservation pour
les habitants des lieux élevés , de môme les miasmes peuvent être arrêtés
par une paroi.
560 ÉPIDÉMIE.
Cependant c’est là une faible défense contre un agent morbide qui a
tant et de si subtils moyens de propagation. Aussi a-t-on vu l’isolement
donner des résultats fort insuffisants, lorsque les malades n’étaient séparés
les uns des autres que par un mince obstacle , et qu’ils avaient des ser¬
viteurs communs qui se chargeaient involontairement de la transmission
morbide. L’assistance publique, à Paris surtout, où elle est toute puis¬
sante et soustraite au contrôle salutaire des médecins , a usé et abusé de
cet isolement apparent et répondu ainsi, avec plus d’assurance que de
sincérité, aux exigefices légitimes de la science. Ainsi l’isolement réel et
efficace comprend deux choses :
1“ Le placement en un même lieu hors la ville d’une quantité de malades
atteints d’une même maladie contagieuse susceptible de se transmettre au
reste de la population. Or, il est de ces maladies qui même à l’état de
foyer ne semblent pas s’aggraver au contact des maladies semblables ;
telle serait la variole, telle aussi la fièvre typho'ide.
2“ La formation de petits appartements plus ou moins distants du
corps de logis principal, bien aérés et isolés efficacement, où seraient
traitées à part les maladies contagieuses infectieuses , qui sont endémo-
épidémiques dans notre pays , mais qui ne sont point assimilables aux
grandes maladies populaires et n’atteignent qu’un nombre restreint de
malades ; tels sont le croup, les fièvres éruptives (rougeole, scarlatine),
la coqueluche, les érysipèles, l’infection purulente, la fièvre puerpérale.
Aussitôt qu’un sujet infecté serait reconnu on le séparerait des autres.
D’ailleurs, il est des états morbides ou accidentels, ou sur la limite de
l’état physiologique (opérés et femmes en couches) qui exigent impérieu¬
sement la séparation, l’isolement des sujets, attendu qu’ils sont toujours
sous la menace d’accidents spontanés qui peuvent se transmettre à
d’autres.
Le principe de la dissémination est bon et doit prévaloir. On a déjà, à
Paris, sous la pression des médecins, obtenu que les femmes en couches
fussent, en temps d’épidémie, dispersées soit dans les services généraux
des hôpitaux, soit chez des sages-femmes de la ville. Cette mesure a déjà
produit d’excellents résultats.
Une récente discussion soulevée au sein de la société médicale des
hôpitaux a mis au jour des faits qui démontrent définitivement la nécessité
de supprimer les Maternités et de reporter les femmes en couches sur un
grand nombre de petites maisons où chacune occupera une chambre
séparée. Il serait à désirer que l’on adoptât sérieusement un projet ana¬
logue pour les opérés. On trouvera plus loin, à l’article Traitement et
Prophylaxie, une note concernant la ventilation et les baraquements.
Pour donner un aperçu général des épidémies et des moyens de pro¬
pagation des maladies pestilentielles, contagieuses, infectieuses, nous
pensons qu’il est rationnel d’exposer successivement les conditions du
problème en prenant pour types les maladies épidémiques les plus impor¬
tantes. Parmi les ouvrages contemporains qui traitent de ces questions, il
n’en est pas de plus complet que le traité de Hirsch (1860). Nous avons
ÉPIDÉMIE. 561
emprunté une partie des documents suivants à cet ouvrage, ainsi qu’aux
publications de YEpidemiological Society, de Londres.
Parmi les auteurs qui ont traité des constitutions épidémiques, il en est
un dont le nom ne saurait être passé sous silence , c’est Lepecq (de la
Clôture), médecin à Rouen (1776). Ses ouvrages ont eu pour objet
d’élucider la question des influences locales ou atmosphériques qui régis¬
sent les épidémies. Il prit pour guide Hippocrate, mais sans s’asservir, et
il professa que l’on devait recourir à l’observation directe, ne prenant
des anciens que la méthode qui doit être appliquée à nouveau, lorsque de
nouveaux faits se présentent à l’observation. En cela, il se conformait au
précepte de Bonnet, « que la nature devait expliquer la nature, et que ce
n’était jamais au philosophe à parler pour elle. » Lepecq (de la Clôture) n’a
recueilli que des observations particulières de maladies, sans oser en faire
aucune application ; il s’est inspiré, c’est lui-même qui le dit, des paroles
de Frédéric Hoffmann, adjurant tous les médecins « d’être très-soigneux
et très-exacts à ramasser les histoires des maladies épidémiques dont ils
pourraient être les témoins, et de remarquer, chacun dans leur pays, la
disposition présente et précédente des saisons, l’état des vents, les varia¬
tions du baromètre et du thermomètre, et de rassembler, dans chaque
histoire, tout ce qui est nécessaire pour la rendre entière et complète ; d’y
joindre conséquemment la méthode qu’ils auront suivie dans le traitement
et l’événement de la maladie. »
C’est là un plan grandiose et tel, qu’on ne peut le remplir actuelle¬
ment; c’est l’avenir de la médecine, peut-être. Déjà les sociétés médicales
modernes, et quelques rares gouvernements, rassemblent les éléments
d’une statistique médicale qui ne donne pas encore autre chose que des
résultats provisoires, mais dont on peut attendre de grands bienfaits.
La Société médicale des hôpitaux de Paris a entrepris depuis plusieurs
années cette tâche difficile ; Besnier a su donner à cet aride travail un
intérêt nouveau par la forme qu’il lui a imprimée et par les déductions
qu’il en a tirées.
Lepecq (de la Clôture) ne doit point être consulté, si ce n’est à titre de
renseignement historique sur les erreurs de nos anciens et sur l’inutilité
d’un esprit distingué et éclairé, quand la science est pleine de préjugés.
Il place le commencement de son année médicale, non en automne, comme
les Grecs et les Romains, mais au printemps, et il en donne la raison en
ces termes : « Le printemps amène les premiers beaux jours, et annonce,
pour ainsi dire, la renaissance et le développement de la nature , c’est
enfin que le printemps est, dans notre climat, la saison où la fonte humorale
se fait, ainsi que la dépuration des humeurs amassées pendant l’automne
et l’hiver. » Du reste , Lepecq est un pur hippocratiste qui professe avec
conviction que toute épidémie est produite par l’excès et le dérangement
d’une constitution annuelle, et que celle-ci ne peut être viciée que par
une des grandes constitutions de maladies qui répondent à celles des
saisons. Si les excès de l’intempérie ont été considérables, les maladies
deviendront pestilentielles. Pour lui, toute l’observation du monde exté-
NOUV. DICT, UÉD. ET CHIR. XITI. — 36
562 ÉPIDÉMIE.
rieur se réduit, bien entendu , à la notation des degrés du baromètre et
du thermomètre, et à quelques indications vagues de météorologie, sur la
direction des vents et la quantité approximative de la pluie. Cette con¬
sciencieuse collection de faits sans valeur étant achevée, l’auteur n’en tire
aucune déduction et passe à l’observation des malades, en admettant tou¬
jours en principe que le temps, quel qu’il soit, est la cause des maladies,
doctrine commode.
La Normandie est divisée par Lepecq (de la Clôture) en un certain
nombre de lieux à climats et à constitutions différentes; les raisons tirées
de la topographie, et qu’il donne pour expliquer ces différences, ne sont
pas concluantes. C’est un travail de patience qui ne sera pas refait, et
qui partait d’une foi absolue dans la vertu de la méthode hippocratique.
Malheureusement, la méthode sans l’instrument n’est rien, et cet instru¬
ment, les sciences exactes seules nous le donneront ; tant qu’il fera défaut,
les ouvrages comme ceux de Lepecq (de la Clôture) seront seulement un
monument de la patience et du talent mis aux prises avec l’impossible.
Les grandes épidémies d’après les auteurs modernes. — Nous adopterons
pour cette énumération l’ordre suivi par Aug. Hirsch. Nous prions le
lecteur de recourir à l’article Endémie pour les maladies qui tiennent à
certaines conditions locales du sol, et qui ne sont ni contagieuses ni
transmissibles à une grande distance.
La fièvre intermittente est de ce nombre; tout au plus peut-on lui
appliquer le nom d’épidémie lorsqu’elle se produit inopinément sur une
grande masse d’hommes, soit dans un pays où règne la fièvre, soit à
l’occasion de travaux de terrassement ou de défrichement. Encore, dans
ce cas, serait-il juste de n’employer que le mot endémie.
La fièvre jaune est aussi une maladie qui, géographiquement, n’appar¬
tient qu’à certains pays, où elle se développe spontanément et où est
son foyer habituel ; mais elle est contagieuse, elle se propage facilement
et sur une vaste étendue de terre, et elle procède par épidémies. Nous
avons indiqué à l’article Endémie, page 200, son lieu d’origine et ceux
quelle a visités à l’état d’épidémie importée.
Le nombre des épidémies de fièvre jaune, non plus que les indications
des travaux qu’a fait naître cette maladie, ne pourraient être rapportés ici.
On peut qualifier ces notices d’innombrables ; pour l’Amérique du Nord
seulement, depuis la fin du dix-septième siècle, on compte plus de
70 épidémies importantes ayant atteint un grand nombre de villes et de
provinces.
Nous avons examiné à, l’article Endémie les conditions climatologiques
qui se rencontrent dans les pays où réside et se développe la fièvre jaune.
Quant aux saisons où elle est apparue épidémiquement, voici les chiffres
donnés par Hirsch pour les Antilles ; sur 60 épidémies , on en trouve
3 en janvier, 6 en février, 4 en mars, 5 en avril, 4 en mai, 8 en juin,
5 en juillet, août et septembre, 8 en octobre, 4 en novembre, et 5 en
décembre. Sur les côtes du Mexique, c’est en avril que les épidémies
seraient le plus fréquentes, d’après Stricker. Sur 83 épidémies observées
ÉPIDÉMIE. 563
dans l’Amérique du Sud, il y en a 5 en mai, 7 juin, 21 en juillet, 28 en
août, 20 en septembre, et 2 en octobre.
En Europe, la lièvre jaune s’est montrée en Espagne, de juillet à
septembre; à Livourne, en août; à Lisbonne, en août (1732), et en sep¬
tembre (1857). Cette maladie emprunte un de ses caractères à la chaleur
ambiante; elle s’accroît et se propage d’avantage en été, c’est tout ce
qu’on en peut dire. On a cherché à déterminer un minimum à la chaleur
nécessaire pour sa production, et l’on a trouvé 22“ centigrades. Cependant
il paraît certain que des épidémies se sont maintenues, à bord de navires
en mer, à une température inférieure à 20“ centigrades ; par exemple, tel
est le fait, rapporté par Bertulus, d’un navire qui, revenant de la Havane
en France, eut 4 cas de fièvre jaune à bord, en vue des côtes de Bretagne,
par une température de 13“. Le grand fait de la nécessité d’une tempéra¬
ture assez élevée ressort suffisamment de la géographie médicale, qui nous
montre la fièvre jaune ne pouvant se greffer ou s’acclimater que dans les
pays chauds.
L’abaissement de l’intensité des épidémies de fièvre jaune marche avec
l’abaissement de la température.
L’humidité de l’air n’influe pas sur les épidémies; elles régnent par
les temps secs comme en temps de pluie.
L’influence des vents, soit comme agents de transport ou véhicules de
l’épidémie, soit comme moyen, au contraire, de purification de l’air, ne
peut pas davantage être établie.
L’influence du sol est certaine; tout d’abord, l’élévation doit être citée
comme jouant un rôle important dans cette question. Plusieurs auteurs
ont donné des chiffres approximatife pour l’élévation qui met l’honame à
l’abri de la fièvre jaune ; Est-ce 1,000 mètres? Est-ce 1,500 mètres? Voici
quelques exemples qui montreront combien ces chiffres sont variables :
Ainsi, Tulloch fixe cette élévation préservatrice à 2,000 ou 2,500 mètres;
Moreau (de Jonnès), dit qu’aux Antilles une élévation de 3 à 400 mètres
ne préserve pas ; à Saint-Christophe on en a vu des cas à 700 mètres, de
même à 1,360 mètres à la Jamaïque; sur les côtes du Mexique, il faut
atteindre jusqu’à 4,000 mètres pour être préservé des atteintes de la
fièvre jaunè. II ne faut pas considérer l’élévation du sol seulement, mais
aussi l’abaissement de la température, qui s’ajoute à celle-ci et joue
évidemment un rôle considérable dans la question de l’immunité.
Les côtes maritimes et les embouchures des fleuves, les lieux bas, sont
plus volontiers visités par la fièvre jaune, ce qui rapproche cette maladie
de la fièvre intermittente et du choléra.
L’agglomération est une condition de la propagation de la fièvre jaune ;
les villes y sont plus exposées que les campagnes, et lors même que des
individus isolés remportent la maladie de la ville dans la campagne, elle
ne se propage pas pour cela au reste de la population. Ce fait est admis
par presque tous les auteurs qui ont rapporté les épidémies de l’Amérique
du Sud et des Antilles.
Contagion et infection. — Aucune maladie n’est plus évidemment
564 ÉPIDÉMIE.
contagieuse que la fièvre jaune ; on peut toujours, dans les pays qui ne la
voient point naître ou séjourner habituellement, désigner le moment
précis où elle a été introduite. Dans les ports , on sait quel navire l’a
importée, quel homme , débarqué à tel endroit d’une ville, est devenu
le foyer d’où est partie la propagation de l’épidémie.
Dutroulau, après de nombreuses années consacrées à la pratique
médicale aux Antilles, est arrivé aux conclusions suivantes : 1° la fièvre
jaune ne s’est jamais déclarée spontanément sur les navires atteints par
l’épidémie , avant leur séjour dans les rades infectées ; 2" les malades
venus du dehors ont une influence très-manifeste sur le développement
du foyer épidémique, et, en débarquant au fur et à mesure à terre les
hommes malades , on arrête le développement de l’épidémie à bord. »
Dutroulau constate également que les navires qui se sont tenus dans un
bon mouillage et à bonne distance du rivage, s’interdisant toute commu¬
nication avec la terre, ont pu souvent se préserver de tout accident.
Il est incontestable que l’homme malade de la fièvre jaune est l’élément
nécessaire pour la production épidémique de cette maladie; une fois
infecté, le lieu où il a séjourné devient foyer aussi, surtout si ce lieu est
confiné (navire), et longtemps il conserve la propriété d’infecter les
hommes qui y seront enfermés. De là, la nécessité de certaines précautions
sanitaires consistant, non dans une simple quarantaine, mais dans le
lavage et même le sabordement des navires infectés.
Les deux dernières épidémies importées en Europe, à Lisbonne (1857),
à Saint-Nazaire (1861), ont eu pour cause l’arrivée de navires infectés. Le
rapport du comité de santé de Lisbonne admet que « la ville de Lisbonne
ne doit pas être considérée comme sujette au développement spontané de
la fièvre jaune; que, par sa latitude et sa topographie, elle peut être
envahie par une épidémie, quand la maladie lui est importée par un
navire infecté; que l’épidémie de 1857 peut être considérée comme le
résultat de l’importation ; que les conditions hygiéniques locales ne sont
pas, par elles-mêmes, de nature à faire naître une telle épidémie, et ne
constituent que des causes auxiliaires. »
De même les épidémies de Porto, en 1851 et 1856, sont attribuées à
l’importation par des navires dont le nom est connu et qui venaient du
Brésil. Le rapport de Melier sur l’épidémie survenue à Saint-Nazaire, en
1861, lu à l’Académie de médecine, en 1862, démontre, à l’évidence,
comment un navire venant de la Havane a importé la maladie, et com¬
ment, par pure contagion, il s’est formé une petite épidémie locale. Melier
admet, dans ce cas, les trois modes de transmission ; 1“ par le navire lui-
même; 2° à distance du foyer ; 5“ par les malades.
Nous verrons, à l’article Traitement, comment on peut empêcher,
arrêter ou diminuer les épidémies.
Le CHOLÉRA, dont les ravages dans l’époque actuelle ont été comparables
à ceux qu’ont produits les pestes au moyen âge, paraît avoir été connu
des anciens auteurs grecs.
L’Inde en a toujours été le lieu d’origine. Son invasion en Europe, à
ÉPIDÉMIE. J 565
l’élat de grande épidémie, est récente (1817). On a suivi pas à pas les
épidémies qui se sont produites depuis cette époque , et relevé avec assez
d’exactitude les chiffres pouvant former les éléments d’une bonne statis¬
tique.
L’épidémie de 1817 se montra d’abord dans l’Inde, dans le delta du
Gange, et envahit avec rapidité les provinces nord de l’Hindoustan, puis,
l’année suivante, les parties montagneuses vers Tirhoo#"(4,000 mètres).
Cette épidémie, presque stationnaire jusqu’en 1824, s’est nmntrée depuis
à diverses reprises (1846-52); Dès la première épidémie ^.§17-1 8), la
maladie avait été transportée à Ceylan , à Maurice, à la côte orientale
d’Afrique (1820), et, en 1819, à la presqu’île de Malacca, à Sumatra,
à Java, à Bornéo. La Chine fut envahie vers la même époque, puis la
Mongolie et la Tartarie ; la Perse fut ravagée par le choléra vers 1828.
En 1826, nouvelle épidémie grave dans le Bengale, et qui se répand
sur l’Europe, partant de deux points : de Lahore (1827) à Caboul, par
une caravane , de Chiva (1828) aux hordes de Kirgis, et, par une caravane^
à Orenburg. En 1829, le choléra entrait par une autre voie en Perse, à
Téhéran, puis, de là, gagnait l’Oural et le pays des cosaques du Don.
Avant la fin de l’année 1830, l’épidémie avait atteint une grande partie
de la Russie, Jaroslaw, Twer, Novogorod, Pétersbourg, le Don, Tauris, les
bords du Dnieper, Kiew, la Podolie et la Volhynie, et, en 1831, le gou¬
vernement de l’Ouest (Minsk, Grodno, Wilna), puis la Pologne, enfin
l’Oural et Archangel. Pendant ce temps, le choléra avait gagné l’Égypte
et la Palestine. De Russie, le choléra se propagea à l’Allemagne par trois
voies principales, par la Pologne, où les troupes d’invasion russe l’y
avaient apporté; il pénétra en Silésie, en 1832, il gagna la Bohême et la
Poméranie , puis les grandes villes d'Allemagne, Berlin, Potsdam, Stettin,
Francfort, les provinces de l’Elbe, Hambourg et le Schleswig, et enfin
les provinces du Rhin et la Hollande. D’autre part, le choléra , sui¬
vant une troisième route , entrait en Autriche par la Russie , à travers la
Podolie, la Galicie, la Hongrie; seule, la partie sud-ouest de l’Allemagne
fut épargnée complètement.
Les Principautés Danubiennes et Constantinople étaient envahis en
1831.
La Grande-Bretagne fut visitée parle choléra dès la fin de l’année 1831;
il y fut importé par un navire venant de Hambourg, au mois d’octobre, à
Sunderland, d’où il gagna Newcastle et Gateshead, puis l’Écosse, et, en
1832, toute la surface de l’Angleterre, sans qu’oii pût accuser les moyens
de grande communication, telles que les grandes routes, d’en avoir tracé
le chemin, car la maladie se transmit à travers des pays peu habités, et
suivant des directions capricieuses.
Ce fut en mars 1832 que le choléra apparut en France, à Calais, d’abord,
puis à Paris, d’où il envahit rapidement, en avril et mai, presque tout le
Nord.
En juin , la maladie s’étendit avec une singulière violence au départe¬
ment de l’Indre, à la Gironde, aux Bouches-du-Rhône. 35 départements
566 J ÉPIDÉMIE.
sur 86 en furent exempts ; ce furent surtout les contrées montagneuses et
les départements de l’est de la France. Le choléra se propagea à la
Belgique (1852) par Courtray, puis à la Hollande et aux provinces
rhénanes. Les pays Scandinaves furent peu maltraités par le choléra, qui
ne pénétra en Suède qu’en 1853.
Dès 1832, l’épidémie avait atteint le nouveau monde; elle s’était
montrée d’abord au Canada, puis avait gagné les États-Unis. En 1833,
elle s’étendiLau Mexique; en 1835, au sud de l’Amérique, Guyane et
Brésil. ^
En 1833, le choléra fut importé en Portugal par un navire anglais. Il
sévit en Espagne, seulement en Andalousie, en Estramadure, en Castille
et à Madrid.
En 1834, il gagna la Catalogne, d’où il fut importé à Marseille et à
Cette; en 1835, le Piémont et la Toscane, la Vénétie, les États de l’Église
et Naples. En 1836 et 1837, la maladie continua à sévir en Italie et dans
le Tyrol, puis remonta en Bavière et jusqu’en Prusse. En 1835, elle fut
apportée à Alger par un navire de Marseille. De 1835 à 1837, elle sévit
sur le littoral africain, jusqu’en Égypte et en Nubie.
En 1848, nouvelle épidémie en Europe. Pendant les années qui précé¬
dèrent (1841, 1842), le choléra n’avait cessé de se montrer dans l’Inde,
en Chine, en Perse; en 1844, dans l’Afghanistan, à Caboul, à Samarkande
et à Bokhara; en 1846, à Téhéran, à Médine; en 1847, sur les bords du
Tigre; en 1848, il envahissait les provinces danubiennes, l’Égypte, le
Caucase et la Syrie, la Sibérie, la province de Moscou ; en 1848, Péters-
bourg, la Pologne; en 1849, la Finlande; en6n, en 1849, le nord de
l’Amérique, l’Angleterre, la Hollande, la Belgique et la France; puis, en
1850, la Suède, la Norwége et le Danemark; l’Amérique centrale, les
Antilles, furent aussi visitées par cette épidémie.
En 1851, nouvelle épidémie en Russie, en Pologne, en Prusse, et dans
le nord de l’Europe, ainsi que dans quelques départements français. De¬
puis lors, la maladie s’est montrée à l’état de petites épidémies à Paris,
en 1866 etl867, et des cas dits sporadiques n’ont cessé de s’y produire.
Le livre le plus considérable qui ait paru depuis plusieurs années sur le
choléra est l’exposé des travaux de la conférence sanitaire internationale
réunie à Constantinople, et publié par Fauvel en 1868. Toutes les ques¬
tions qui se rapportent à l’origine et au mode de propagation de la mala¬
die y ont été examinées avec soin. Nous empruntons à cet exposé la plu¬
part des considérations qui suivent ;
Origine du choléra. Endémicité et épidémicité de cette maladie dans VInde.
— Cette maladie est anciennement connue dans l’Inde, ainsi que le prouve
l’ouvrage de Garcia da Horta publié au seizième siècle. Au dix-huitième
siècle, plusieurs épidémies y furent observées, notamment à Hudvvar, au
nord deJ’Hindoustan, et à Travancore, au sud de la péninsule. Ce n’est
qu’en 1817 qu’on par-la de nouveau du choléra (épidémie de Jessore) ;
depuis lors constamment il y eut des épidémies, et la maladie devint en¬
vahissante. Il est donc constant, ainsi que l’a reconnu la commission de
ÉPIDÉMIE. 567
Constantinople, que le choléra asiatique a son origine dans l’Inde, où il a
pris naissance et où il existe constamment à l’état endémique; qu’il ne
s’est jamais développé spontanément et n’a jamais été endémique, malgré
des épidémies partielles, ni en Chine, ni en Perse, ni dans l’Afghanistan,
ni dans le Caucase, l’Europe, l’Amérique et l’Afrique, et qu’il y a toujours
été importé. La commission a examiné ensuite la question suivante : « Le
choléra est-il endémique dans toutes les parties de l’Inde ou seulement
dans certaines régions qu’il soit possible de circonscrire? » A cette ques¬
tion il n’y a point eu de réponse décisive ; cependant il a été reconnu
qu’il existe dans l’Inde certaines localités, comprises principalement dans
la vallée du Gange, où le choléra est endémique, sans qu’il soit possible
de les préciser toutes, ni d’affirmer qu’elles aient le privilège exclusif de
donner naissance à la maladie.
Les causes climatériques ou autres qui peuvent donner naissance au
choléra ont été souvent passées en revue, et quelques-unes d’entre elles
ont été acceptées par l’opinion générale sans motifs sérieux; ce sont à
proprement parler des légendes. Tel est le prétendu miasme émané des
cadavres ensevelis dans le Gange, et apporté dans des pays lointains par
les vents. D’autres explications ont été données, comme par exemple la
ruine des grands travaux hydrauliques des anciens possesseurs du pays,
ruine qui aurait amené l’insalubrité des contrées maintenues saines jadis
par ces œuvres d’art. Or la commission a prouvé que d’autres fleuves que le
Gange présentaient les mêmes conditions sans être l’origine du choléra, et
que la destruction de canaux et moyens d’irrigation était loin d’être un
fait nouveau ; aussi n’a-t-elle pu adopter que des conclusions négatives, à
savoir que la permanence de la maladie dans certains lieux ne saurait
être expliquée uniquement par les circonstances habituelles des lieux,
mais par quelque circonstance nouvelle et spéciale, et qu’ enfin on ne
connaît pas les conditions spéciales sous l’influence desquelles le choléra
naît dans l’Inde et y règne, dans certaines localités, à l’état endémique.
Quant aux circonstances qui aident à la propagation du choléra, certaines
notions positives ont été recueillies : 1“ C’est surtout pendant la saison
chaude, au Bengale, que le choléra prend la forme épidémique (juillet et
août) ; à Bombay, d’avril à septembre. On trouve plusieurs grandes épi¬
démies ayant débuté pendant les grandes chaleurs. Ce n’est là toutefois
qu’une circonstance adjuvante.
2° Les grandes agglomérations d’hommes et les pèlerinages ont certaine¬
ment une notable importance au point de vue de la propagation des épi¬
démies de choléra. .A Hurdwar, au nord de l’Hindoustan, sur le Gange, se
tient une foire qui attire tous les ans une grande masse de peuple ; tous
les douze ans l’agglomération y est surtout considérable. En 1783, on y
vit rassemblé plus de un million d’hommes, dont 20,000 succombèrent
rapidement au choléra. Actuellement le choléra se montre à Hurdwar
tous les ans, au moment de ce rassemblement populaire. De même à Poo-
rie où les fêtes amènent une grande masse de population, chaque année,
en juin et juillet. La même observation a été faite dans d’autres localités.
568 ÉPIDÉMIE.
qui sont des lieux de pèlerinage. Il faut tenir compte de l’agglomération,
de l’état de fatigue et d’épuisement, et de la misère des pèlerins. A la Mec¬
que, le choléra n’ariâve qu’avec les pèlerins. Aussi la commission a-t-elle
adopté la conclusion suivante : « Les pèlerinages, dans l’Inde, sont la plus
puissante de toutes les causes qui concourent au développement et à la
propagation des épidémies de choléra. »
Modes de transmissibilité et propagation du choléra. — La contagion
n’est point niable. En vain a-t-on invoqué certaines directions mysté¬
rieuses des épidémies, de plans dans l’espace, une orientation spéciale ;
en fait le choléra va avec les hommes en marche, et suivant l’expression
du rédacteur de la commission de Constantinople, « par terre ou par
mer, l’extension de la maladie a toujours eu lieu dans la direction de
courants humains partis d’un lieu où elle régnait. Dans l’Inde le choléra
ne va point de l’est à l’ouest, mais il rayonne dans tous les sens autour
de son foyer d’origine, en raison de la facilité des communications. On a
pu suivre pas à pas la dernière épidémie (1865), et on l’a vue pour ainsi
dire marcher avec les pèlerins jusqu’à Alexandrie, puis de ce foyer secon¬
daire rayonner par la navigation à Beyrouth, Smyrne, Constantinople,
Malte, Ancône, Marseille. Ailleurs un autre courant était imprimé à l’épi¬
démie par les pèlerins retournant de la Mecque en Perse et à Java. D’ail¬
leurs le choléra dans les îles n’est jamais observé à l’intérieur, mais tou¬
jours les premiers cas ont lieu dans un port, c’est-à-dire qu’ils y sont im¬
portés du dehors. Aujourd’hui la facilité et la rapidité des transports
offrent des moyens de propagation immenses, que n’ont pas connus les
siècles précédents. La commission a donc pu formuler la conclusion
suivante : « Le choléra est propagé par l’homme et avec une vitesse d’au¬
tant plus grande que ses propres migrations se sont activées et sont de¬
venues plus rapides. » On sait d’ailleurs, où, comment, de quel navire,
ont été débarqués dans un port les malades qui ont importé le choléra
dans des pays éloignés du foyer primitif ; tel est le cas de la frégate Mouk-
biri-Sourour en 1865 (28 juin) à Constantinople. D’autre part on a vu
une famille allemande qui, se rendant à Borchi (Russie), avait passé par
Galatz, où régnait le choléra, devenir l’agent d’une grave épidémie qui
s’étendit au loin. A Altenhourg, en Saxe, au mois d’août 1865, le cho¬
léra éclata subitement sans propagation de voisinage ; or il était importé,
ainsi que le montra l’enquête, par une femme qui était partie le 16 août
d’Odessa, et était arrivée le 24 à Altenhourg. Des cas nombreux de ce
genre peuvent être cités. On peut aussi prouver que les épidémies n’écla¬
tent pas sur plusieurs points à la fois, et qu’en général elles commencent
en un point d’où elles rayonnent. Cette propagation est d’autant plus in¬
tense que la population est plus dense. Enfin, la preuve du fait peut être
donnée par le résultat des mesures sanitaires, telles par exemple, que la
séquestration absolue. Ainsi la transmissibilité du choléra est un fait qu’il
faut mettre hors de doute.
Influence des circonstances atmosphériques sur la propagation du cho¬
léra. — Il n’y a point de fait établissant la possibilité de la transmission
ÉPIDÉMIE. 569
à distance, et sans la présence de l’homme servant de véhicule. Les dé¬
serts franchis, les cordons sanitaires impuissants, sont des fables. Aussi
la commission a-t-elle formulé son avis sur ce point en ces termes : « Au¬
cun fait n’est venu prouver jusqu’ici que le choléra puisse se propager
au loin par l’atmosphère seule, dans quelque condition qu’elle soit ; et
en outre c’est une loi, sans exception, que jamais une épidémie de cho¬
léra ne s’est propagée d’un point à un autre dans un temps plus court
que celui qui est nécessaire à l’homme pour s’y transporter. »
Agents de la transmission. — L’homme est cet agent , lorsqu’il est
atteint de la maladie. Quelques auteurs, Pettenkofer, Griesinger, Hirsch
ont cité des faits tendant à prouver qu’un homme atteint d’une diarrhée
et venant d’un lieu infecté par le choléra, peut importer l’épidémie au
loin. La commission de Constantinople admet la possibilité du fait. En
effet, la diarrhée, dite prémonitoire, n’est que le choléra lui-même au
début, et, de même qu’une varioloïde qui dure cinq jours et guérit peut
donner lieu à une épidémie de varioles graves, de même le choléra bénin
peut engendrer le choléra grave.
La durée de l’incubation offre un intérêt considérable ; en effet, à
cette question, se rattachent ces faits de choléra qui aurait été transmis
par des hommes ayant quitté depuis longtemps le foyer d’origine. Or
l'expérience apprend que l’incubation est très-courte, de quelques jours,
et qu’il est nécessaire pour une transmission à un lieu éloigné que la ma¬
ladie ait successivement atteint en route des hommes qui ont ainsi , d’é¬
tape en étape, renouvelé l’infection transportable. La Cominission dit, à
cet égard : « Dans presque tous les cas la période d’incubation ne
dépasse pas quelques jours. Tous les faits cités d’une incubation plus
longue se rapportent à des cas qui ne sont pas concluants, ou bien parce
que la diarrhée prémonitoire a été comprise dans la période d’incuba¬
tion, ou bien parce que la contamination a pu avoir lieu après le départ
du lieu infecté. »
Quant aux moyens de transmission autres que l’homme, c’est-à-dire
les animaux, les hardes ou marchandises, voici ce que nous apprend la
dernière enquête. Pour les animaux il n’y a aucun fait qui indique qu’ils
puissent servir d’agents de transmission. Pour les hardes et marchandises,
les faits de transmission par ce moyen sont si nombreux et si peu con¬
testés qu’on est forcé de les admettre. Ce sont tantôt des linges ayant
touché le corps ou ayant été souillés par les déjections des cholériques
qui ont amené la contagion (1832, enquête anglaise à York, Simpson;
Londres, 1849). Pettenkofer (Recherches et observations sur la transmis¬
sion du choléra, 1865, à propos de faits de transmission par des hardes
aux environs de Munich). Lebert, dans ses observations sur le choléra en
Suisse (1856), etPappenheim (1854) rapportent des faits semblables. On
cite aussi des cas de choléra survenus après seize jours de traversée à
bord d’un navire d’émigrants allemands en route pour l’Amérique ; en ce
cas, l’épidémie survint après l’ouverture de malles contenant des hardes
provenant d’un lieu infecté. On considère généralement, et des faits oh-
570 ÉPIDÉMIE.
servés à Londres ne laissent guère de doute à cet égard , les matières
fécales des cholériques comme très-infectieuses. On cite aussi des cas de
transmission par des conduites d’eau se distribuant à tout un quartier,
lequel aurait été seul atteint par l’épidémie.
Bien que le transport du choléra par des marchandises ne soit pas
prouvé, il est probable, d’après ce qui précède, et il en résulte le devoir
d’établir des garanties sanitaires en temps d’épidémie. Les cadavres des
cholériques semblent être susceptibles de transmettre la maladie; s’il
existe à cet égard des doutes, la prudence n’en ordonne pas moins qu’on
prenne en tout cas les plus grandes précautions.
Les questions qui se rattachent au choléra sont innombrables, surtout
si l’on adopte le cadre proposé par les anciens comme applicable à toutes
les maladies épidémiques. Mais le nombre de nos connaissances étant
restreint, il convient de concentrer toute notre attention sur les faits po¬
sitifs sans essayer de masquer ou de pallier l’insuffisance de nos con¬
naissances sur les autres parties. La commission de Constantinople l’a
compris ainsi lorsqu’elle a donné ses dernières conclusions que nous
transcrivons textuellement ; « Des faits , constatés précédemment et qui
se rattachent à la genèse, à la propagation et à la transmissibilité du cho¬
léra, peut-on déduire quelque chose de précis sur le principe générateur
de la maladie, ou tout au moins sur les milieux qui lui servent de véhi¬
cules ou de réceptacles, sur les conditions de sa pénétration dans l’orga¬
nisme, sur les voies par lesquelles il s’en échappe, sur la durée de son
activité morbifique, en un mot, de tous attributs dont la connaissance
importe à la prophylaxie? » Telles sont les questions posées, auxquelles
la commission fait les réponses suivantes ;
« Dans l’état actuel de la science, on ne peut émettre que des hypo¬
thèses sur la nature du principe générateur du choléra ; nous savons
seulement qu’il est originaire de certaines contrées de l’Inde et qu’il s’y
maintient en permanence ; que ce principe se régénère dans l’homme ,
et l’accompagne dans ses pérégrinations ; qu’il peut ainsi être propagé au
loin, de pays en pays, par des régénérations successives, sans jamais se
reproduire spontanément en dehors de l’homme... L’air ambiant est le
véhicule principal de l’agent générateur du choléra ; mais la transmis¬
sion de la maladie par l’atmosphère reste, dans l’immense majorité des
cas, limitée à une distance très-rapprochée du foyer d’émission. Quant
aux faits cités de transport par l’atmosphère à un ou plusieurs milles de
distance, ils ne sont pas suffisamment concluants. L’eau et certains infesta
peuvent aussi servir de véhicules' à l’introduction dans l’organisme du
principe générateur du choléra. Les voies par lesquelles l’agent toxique
pénètre dans l’économie sont principalement les voies respiratoires et
digestives.
« Quant à la pénétration par la peau, rien ne tend à l’établir.
« La matière des déjections cholériques étant incontestablement le prin¬
cipal réceptable de l’agent morbifique , il s’ensuit que tout ce qui est
contaminé par ces déjections devient aussi un réceptacle d’où le prin-
ÉPIDÉMIE. 571
cipe générateur du choléra peut se dégager, sous l’influence de conditions
favorables ; il s’ensuit encore que la genèse du germe cholérique a lieu
très-probablement dans les voies digestives, à l’exclusion, peut-être de
tout autre appareil de l’organisme. »
Bien que les faits cités plus haut suffisent à indiquer les causes de la
transmission du choléra et que nous n’ayons point à développer ici la
prophylaxie, nous pensons qu’il faut insister sur cette question des eaux
et des déjections cholériques.
Certainement les eaux contaminées par le poison cholérique sont un
agent direct et puissant de la propagation de la maladie.
Plusieurs exemples probants suffisent pour établir le fait de l’infection
par les eaux potables. A Exeter, les habitants buvaient l’eau infectée par
les cloaques ; le nombre des cholériques fut de 1000 en 1832 ; on fit
alors venir l’eau de deux lieues au-dessus de la ville ; en 1849, il n’y eut
que 44 cas de choléra. Mêmes exemples à Nottingham, à Dumfries. A
Oxford, le docteur Acland a cité un exemple très-caractéristique: il existe
dans cette ville deux prisons dont l’une fut à diverses époques infectée
par le choléra, l’autre restant indemne; or la première recevait son eau
d’un étang où stagnaient les matières animales septiques. On changea cet
état de choses et l’épidémie cessa. Les cas de ce genre sont très-nombreux
et portent avec eux l’évidence.
L’influence du sol imprégné de matières fécales est au moins certaine.
Pettenkofer a mis ce fait en relief. Il faut, en temps d’épidémie, enlever
immédiatement, et éloigner des lieux habités les matières provenant des
déjections.
Typhus. — Le typhus a régné épidémiquementsous certaines influences
depuis la plus haute antiquité ; on croit en voir la description dans les au¬
teurs qui ont écrit sur la guerre du Péloponnèse (Thucydide). Au quin¬
zième siècle. Despars en décrit une épidémie à Tournai (1450). Au sei¬
zième siècle, Fracastor signale le typhus. Les grandes guerres des quin¬
zième et seizième siècle et plus tard celles de la fin du dix-huitième et du
commencement de ce siècle, ont fait reparaître les grandes épidémies de
cette maladie, dont la manifestation dernière et éclatante a eu lieu au
siège de Sébastopol. Nous avons indiqué, à l’article Endémie, les contrées
où le typhus règne à l’état endémique : p&ys Scandinaves, Russie, sud de
l’Allemagne, Irlande, etc., et les causes qui engendrent et entretiennent
cette maladie à l’état épidémique ; famine et encombrement.
En France, le typhus est presque inconnu, et il n’y a jamais été ob¬
servé qu'à l’état d’épidémie importée et passagère. Un article spécial sera
consacré au typhus.
La FIÈVRE TYPHOÏDE y règne au contraire constamment à l’état endémo-
épidémique, et constitue par excellence la maladie populaire, contribuant
pour une part importante au chiffre de la mortalité. En Angleterre et en
Allemagne on reconnaît trois formes du typhus : le typhus exanthémati¬
que, la fièvre typhoïde et la fièvre récurrente.
Le typhus exanthématique est contagieux. C’est là un fait hors de con-
572 ÉPIDÉMIE.
testation. Les chiffres suivants, empruntés à Griesinger, montrent à quel
degré a lieu cette propriété contagieuse : en Irlande, en vingt-cinq ans,
sur 1 ,220 médecins attachés aux établissements publics, 560 furent at¬
teints de typhus et 132 moururent. (MurcWson.) A Prague, pendant l’é¬
pidémie de 1855, dans les hôpitaux spéciaux 20 médecins et tous les in¬
firmiers furent atteints. Pendant l’épidémie de Crimée, dans l’armé fran¬
çaise, il y eut en l’espace de 57 jours, 603 infirmiers sur 840, malades
du typhus, et 80 médecins succombèrent à l’épidémie.
La contagion se fait par les malades et par les objets qui les entou¬
rent, linges, excreta, locaux qu’ils ont occupés, et quelquefois au bout d’un
temps assez long. L’encombrement favorise au plus haut point la conta¬
gion, et la dispersion et l’isolement font cesser les épidémies. La misère
et le manque de vivres, non-seulement favorisent, mais engendrent le
typhus. Ce fait est incontestable (hunger typhus) ; les années de disette
sont, en Irlande par exemple, des années de typhus. Perrin a observé,
dans la dernière disette d’Algérie (1868), le typhus survenir non-seule¬
ment parmi les Arabes réduits à l’état d’inanition, mais dans les popula¬
tions où ces malheureux venaient chercher asile et protection. La spon¬
tanéité du typhus sous certaines conditions est un fait qu’il faut admettre ;
ainsi s’expliquent ces cas innombrables d’épidémies partielles et isolées
sans contagium antécédent , et qui se sont produits dans des prisons, des
forteresses, des navires, etc.
Pour la fièvre typhoïde, l’étiologie est moins nettement accusée;
cependant on admet aujourd’hui la contagion ; le nombre des épi¬
démies, dont l’origine a été l’arrivée, en un point sain d’un malade
atteint de fièvre typhoïde, et qui est devenu le noyau d’une épidémie,
est considérable. Griesinger rapporte que, parmi 194 femmes soignées
pour la fièvre typhoïde à son hôpital, 9 avaient contracté la maladie
enseignant les malades. Ces faits, un peu obscurs dans les grandes
villes, sont plus nets dans les petites localités. Les matières alvines pa¬
raissent être le principal véhicule de la contagion, comme pour le cho¬
léra. Le développement spontané de la fièvre typhoïde n’est pas mis en
doute. Les causes adjuvantes sont mal connues. Relativement au temps,
aux saisons, on a signalé l’automne comme la saison la plus favorable au
développement de cette maladie*. C’est dans les grandes villes qu’elle rè¬
gne surtout, d’ou l’idée de miasmes ; et cependant elle n’est jamais plus
grave que lorsqu’elle sévit épidémiquement sur de petites localités en
pleine campagne ; il y a là une contradiction. On a accusé aussi les lieux
bas et humides ; mais il n’y a rien de certain à cet égard. Les étrangers,
surtout ceux qui viennent de la campagne dans les villes, les jeunes su¬
jets, les gens non acclimatés, y sont plus exposés que les autres. Le plus
grand nombre des cas s’observe de 15 à 30 ans. Il paraît y avoir des cas
de fièvre typhoïde, rares à la vérité, chez des enfants dès les premiers
mois qui suivent la naissance. On admet comme causes directes un miasme
qui se dégage du malade et de ses excréments. La contagion peut se faire
par l’eau à boire, comme pour le choléra.
ÉPIDÉMIE. 573
On n’a point observé quelles seraient les circonstances atmosphériques
spéciales qui favoriseraient les épidémies de fièvre typhoïde. [{Voy. Ty¬
phoïde (fièvre).]
Peste. — Nous renvoyons pour cette maladie, qui a presque disparu
aujourd’hui, et n’offre plus d’intérêt au point de vue de la propagation
épidémique sur notre continent, aux mots Endémie et Peste.
Variole. — .Cette maladie étant éminemment et exclusivement conta¬
gieuse et inoculable, on peut dire que toute discussion doit cesser sur ses
origines et sa nature ; il ne peut être question que d’en arrêter les pro¬
grès et d’en détruire le germe si cela est possible. Rappeler les épidémies
observées en Asie avant les temps modernes, la marche de la maladie in¬
troduite à la suite des Arabes dans la péninsule ibérique, et de là se ré¬
pandant sur l’ancien et sur le nouveau monde, noter les millions d’hom¬
mes qui ont disparu par le fait de ces épidémies, ce n’est que curiosité
historique. D’ailleurs ces développements appartiennent aux articles Va¬
riole, Vaccin, etc. Ce qui nous importe, c’est que la médecine tient un
moyen certain, d’une efficacité absolue, pour détruire le virus varioleux,
et que ce moyen, la vaccine, doit être imposé aux populations. Les so¬
ciétés ont le droit de se protéger, et tout individu non vacciné étant à
l’occasion un danger pour le reste de la société, doit subir une atteinte à
sa liberté, si tant est que la liberté du mal et de la maladie soit admise, et
être soumis d’office à la vaccination et à la revaccination périodique. Les
peuples, éclairés, notamment les Anglais et les Allemands, ont compris
toute l’importance de cette pratique. Dans l’Allemagne du Nord, elle est
obligatoire. Quant au mode de propagation de la variole, à son mode
épidémique, aux moyens d’en modérer la diffusion, tout a été dit, tout
est connu, et si les mesures que le simple bon sens et l’amour de l’hu¬
manité commandent ne sont point adoptées, ainsi que nous le voyons en
ce moment (1870) en France, la faute en est à nos mœurs publiques, au
défaut de prédominance des idées scientifiques, et à une organisation so¬
ciale qui réside dans l’omnipotence et l’irresponsabilité d’une adminis¬
tration incompétente. En trois mots, on peut définir la variole et sa cu¬
ration : contagion, isolement, vaccination.
Pour toutes les épidémies de maladies contagieuses, telles que rougeole,
SCARLATINE, CROUP, MALADIES CHARBONNEUSES, maladies des blessés- et des
femmes en couches, morve et farcin, rage, ou parasitaires telles que
TEIGNES, GALE, ENTOzoAiREs, TRICHINOSE, etc., nous renvoyons le lecteur aux
articles spéciaux traitant de ces maladies. — Les idées générales concer¬
nant les maladies endémo-épidémiques, sont exposées aux articles Con¬
stitution, Contagion, Endéjue, Géographie médicale, etc.
Prophylaxie et traitement des épidémies. — Ce chapitre comprend
toute la médecine publique ; empêcher ou diminuer les maux qui vien¬
nent des défauts du sol, de l’air, des aliments, du régime, des institu¬
tions sociales, c’est là un programme idéal, et qui sans doute serait promp¬
tement réalisable dans les limites du possible, si la médecine n’était un
des derniers objets des préoccupations de l’homme. Non-seulement des
57/i ÉPIDÉMIE.
vérités éternelles et qui n’ont jamais été obscurcies sont admises à l’état
d’abstractions pures, dont on ne cherche pas la réalisation, mais les
troubles sociaux et politiques renversent à chaque instant le fragile et dé¬
licat édifice péniblement élevé par les soins de plusieurs générations de
médecins éclairés. Nous ne passerons pas en revue les desiderata qu’offre
sous ce rapport notre société actuelle. Il suffira d’indiquer brièvement
les principes qui formeront la base de l’hygiène publique : .
1“ Maladies épidémiques ou endémiques contagieuses virulentes, ou pa¬
rasitaires. — Parmi les m.u.adies PARASiTAffiES, il en est dont la guéri¬
son ou la prophylaxie exigent des soins qui sont du ressort de l’hygiène
vulgaire : propreté; telles sont les maladies parasitaires cutanées ; la
phthiriase, la présence de parasites grossiers et visibles, dont la malpro¬
preté et l’incurie entretiennent le développement.
D’autres, comme la gale et les teignes, exigent des soins médicaux et
l’intervention active d’agents sociaux chargés de séquestrer les sujets
affectés et d’empêcher la propagation. Or rien de semblable n’existe, et
si la gale a dans des hôpitaux spéciaux des centres de curation suffi¬
sants, il n’en est pas de même pour la teigne, notamment pour l’herpès
tonsurans dont le développement est devenu excessif en certains pays
notamment, sans qu’aucune mesure efficace ait été prise pour en arrêter
les progrès. Les maladies vénériennes ont été propagées plus que jamais à
notre époque ; la gonorrhée et la syphilis ont rarement fait plus de vic¬
times et là encore l’incurie sociale doit être prise à partie. Les hôpitaux
de vénériens sont insuffisants, la répression est nulle et la propagation
est indéfinie. La connaissance que nous avons depuis peu d’années des
modes nombreux de contagion et de la durée prolongée des accidents
contagieux, rend encore plus regrettable cette absence de mesures effi¬
caces pour guérir et isoler les individus affectés de cette maladie. Ces
questions sont posées par les médecins , mais elles ne sont point encore
susceptibles d’une solution sociale, si l’on en juge par l’indifférence publi¬
que à cet endroit.
Les MALADIES VIRULENTES ET CONTAGIEUSES, telles que l’ophthalmie puru¬
lente, seront éteintes par des mesures administratives qui permettront
d’isoler et de séquestrer les sujets atteints d’abord de ces affections ; dans
une prison, un hôpital, la diffusion se fait par l’encombrement, par le
contact incessant des malades avec les personnes saines. Le simple bon
sens indique qu’il faut isoler les malades. Ce qui manque le plus à notre
société, ce n’est pas la notion du vrai , c’est la volonté d’agir. Insister
sur les moyens de séquestration et d’isolement, ce serait sortir de
notre rôle qui est d’indiquer le fait-principe. Quant aux voies etmoyens,
c’est à la société d’y aviser. Dès à présent^ toutes ces indications peuvent,
à peu de frais et sans opérer de violentes réformes , passer dans la pra¬
tique.
Parmi les maladies épidéüuques , il en est que nous voyons régner en
tout temps, en tout pays, et qui sont depuis longtemps signalées à l’at¬
tention publique par le fait même de leur renouvellement incessant. Ces
ÉPIDÉMIE. 575
maladies sont consécutives aux plaies et à V accouchement ; infection pu¬
rulente et putride, pourriture d’hôpital, érysipèles, péritonite , phlébite ,
puerpérisme infectieux , tels sont les noms des principales manifestations
inhérentes à ce double point de départ ; plaie, accouchement. Ces ques¬
tions sont traitées aux articles Érysipèle, Pourriture d’hôpital. Puerpéral
(état), Purulente (infection) , Thrombose et Veine, avec tous les dévelop¬
pements qu’ elles comportent.
Nous nous bornerons ici à quelques généralités sur cette matière.
Quelle que soit l’obscurité qui couvre encore à nos yeux la cause
réelle, matérielle, de ces épidémies, il y a un fait qui domine, c’est la
contagion. Ce fait incontestable suffit à fixer notre jugement et, sans plus
tarder, sans attendre une solution scientifique qui peut , pendant long¬
temps encore, nous faire défaut, nous sommes en droit de dire que cette
contagion doit être et peut être évitée.
Et d’abord faut-il faire la preuve de la contagion? Qui doute que l’in¬
fection purulente sous toutes ses formes, y compris l’érysipèle, la phlé¬
bite, etc., soit contagieuse et qu’une salle de blessés, où règne cette ma¬
ladie, soit meurtrière pour les opérés qui y seront introduits ? La même
évidence n’est-elle pas admise pour les femmes en couches, et se trouve-
t-il une voix qui ose s’élever contre le fait démontré à satiété de l’insalu¬
brité des maternités? Non, il n’y a point sur ce point d’opposition à craindre
dans le monde savant. Tout au plus se heurte-t-on à des résistances in¬
dividuelles coupables, que l’intérêt particulier ou l’apathie entretiennent,
et dont la moralité publique devra faire justice. Que reste-t-il à dire
au médecin sur ces faits? un seul mot : réforme. Il ne convient plus de
discuter sur la contagion puisqu’elle est prouvée, ni sur l’infection, ni
sur l’encombrement, ni même sur le groupement. On sait que ni l’aéra¬
tion, ni la grandeur de l’espace, ni l’écartement des lits , ni la propreté
ne sont de suffisantes garanties. L’isolement, l'abandon des lieux infec¬
tés, le renoncement aux grands hôpitaux , la création de maisons rusti¬
ques en plein air, à la campagne, pour les opérés, l’interdiction formelle
de toute opération grave et non urgente tentée dans des milieux où la
statistique donne une mortalité constante ou presque constante, tel est,
en peu de mots, le dernier terme de l’hygiène prophylactique.
2“ Maladies épidémiques transportables nécessitant des mesures de sé¬
curité publique internationale. — Les hôpitaux-tentes ou baraques. —
Sous ce nom , il faut comprendre un système nouveau et qui a été ac¬
cepté avec faveur par tous les chirurgiens contemporains. La ventilation,
la dispersion, les soins donnés presque en plein air, telles étaient les con¬
ditions idéales indiquées par les hygiénistes. Michel Lévy avait prêché
ces préceptes. Plus récemment, dans notre pays, les travaux de U. Tré-
lat, de Léon Le Fort, ceux de la commission des maternités dans la
Société de médecine des hôpitaux, ont permis d’envisager le côté pratique
de cette question. La statistique montre que la mortalité des amputés,
blessés, ou femmes en couches , résulte moins de la nature des plaies
ou des opérations, de la maladresse des opérateursj que du milieu même
576 ÉPIDÉMIE.
où ils sont placés et qui est meurtrier ; réformer les hôpitaux paraît im¬
possible dans le moment présent. On reconnaît l’insuffisance de la venti¬
lation par aspiration ou refoulement de l’air, de sorte que quelques chi¬
rurgiens tiennent constamment, même en hiver , les fenêtres de leurs
salles d’amputés largement ouvertes, ce qui n’est pas sans danger. Le
premier essai d’un système nouveau d’hôpitaux de campagne, mobiles et
placés en plein air, a eu lieu nécessairement pendant une guerre; ce
fut en 1854, devant Sébastopol , qu’on vit d’abord (Varna) des hôpitaux
de toile (tentes), puis des baraques en bois, construites par les Anglais
à Balaclava, et dont Michel Lévy a fait l’éloge. Plus tard, pendant la
guerre de la sécession , en Amérique, ce système fut appliqué sur une
large échelle. En Allemagne , les travaux de Krauss (1861) eurent pour
effet de transporter dans la pratique quotidienne et en temps de paix,
ce système hospitalier, et les baraques furent inaugurées à côté de plu¬
sieurs grands hôpitaux, notamment à Berlin, par les soins de Langen-
beck. Le modèle et la description de ces hôpitaux mobiles et aérés sera
donné à l’article Hôpital. Sur la proposition de la Société de chirurgie ,
l’assistance publique, à Paris, a consenti à quelques essais qui ont donné
des résultats très-satisfaisants. Les avantages de ce système peuvent être
ainsi résumés ; aération naturelle et constante, dispersion des malades,
conditions obtenues par le système des tentes et baraques , servant de
logement aux blessés et opérés susceptibles d’engendrer et de transmettre
des maladies infectieuses.
Ce système peut être appliqué, non-seulement au traitement des mala¬
dies chirurgicales, mais, en temps de grandes épidémies populaires , de
typhus, de choléra, de variole, il pourrait être utilisé, d’autant mieux que
cette sorte d’hôpitaux peut être improvisée et ne comporte aucune pré¬
paration architecturale, aucun des retards que l’on rencontre d’habitude
dans la pratique à cause des difficultés matérielles de l’exécution. On peut
faire les baraques ou tentes aussi petites que possible; il y a toujours
avantage à y loger un petit nombre seulement de malades, la salubrité
étant en raison inverse du nombre.
Les mesures internationales propres à arrêter les grandes épidémies
consistent principalement dans la prohibition appliquée aux voyageurs et
aux marchandises qui débarquent à la frontière et qui proviennent d’un
lieu infecté. Depuis la plus haute antiquité, on a tenté d’arrêter par ce
moyen la propagation des épidémies. Les cordons sanitaires, les lazarets,
les quarantaines, la désinfection des objets ayant été au contact de la ma¬
tière infectieuse, tels étaient les moyens employés. C’était surtout sur les
côtes maritimes, dans les ports de mer , que ces mesures étaient appli¬
quées avec plus ou moins de rigueur, souvent sans efficacité, quelquefois
dans des proportions tout à fait arbitraires. Ces mesures ont été tour à
tour exagérées ou abandonnées.
Dans notre pays, les ports de la Méditerranée étaient plus particulière¬
ment soumis à cette surveillance, en raison de la provenance habituelle
de la peste, qui venait du Levant. Après la découverte de l’Amérique et
ÉPlDÉMIli:. 577
lorsque la navigation entretint des rapports avec les Indes occidentales et
avec les Indes orientales, les ports de l’Océan furent également surveillés.
La fièvre jaune fit quelques apparitions sur nos côtes de l’Océan, mais le
choléra surtout fut importé en Europe, venant d’Asie, et contre cette ma¬
ladie les prohibitions aux frontières furent impuissantes. 11 est , en effet,
trop évident que ces maladies viennent par terre et que les moyens de
transit sont tellement multipliés que l’on ne peut plus opposer de bar¬
rière efficace à l’introduction de voyageurs et de marchandises, qui vien¬
nent avec une telle rapidité que la nouvelle même de la marche d’une
épidémie a pu ne pas les précéder. D’ailleurs, on ignore le lieu de pro¬
venance de ces agents de transmission. Cependant il existe encore quel¬
ques règles prohibitives qui s’appliquent principalement à la navigation
et qui peuvent rendre des services. Nous en citons quelques articles d’ori¬
gine récente :
nÈGLEMENT SANITAIRE INTERNATIONAL DE 1853
Titre I*'. — Dispositions générales.
Article premier. — Conformément à l’article 1“ de la convention sanitaire interna¬
tionale conclue entre la France et diverses autres puissances maritimes, les mesures de
précaution qui pourront être prises sur les frontières de terre seront :
L’isolement ;
La formation des cordons sanitaires ;
L’établissement de lazarets permanents ou temporaires pour l’accomplissement des
quarantaines.
Art. 2. — Le droit accordé atout port sain de se prémunir contre un bâtiment sus¬
pect ou malade pourra aller jusqu’à l’isolement du navire et l’adoption des mesures hygié¬
niques que les circonstances rendraient nécessaires.
Art. 3. — Quel que soit le nombre des malades qui se trouveront à bord et la na¬
ture de la maladie, un navire ne pourra jamais être repoussé, mais il sera assujetti aux
précautions que commande la prudence, tout en conciliant les droits de l’bumanité avec
les intérêts de la santé publique.
Dans les ports qui n’auront pas de lazaret, l’administration sanitaire locale détermi¬
nera si le bâtiment suspect ou malade doit être dirigé sur un lazaret voisin, ou peut
rester au mouillage dans un lieu réservé et isolé, sous la garde de l’autorité sanitaire.
11 ne pourra être dirigé sur un autre lazaret qu’après avoir reçu les secours et soins
que réclamerait son état ou celui de ses malades, et avoir obtenu les moyens de continuer
sa route.
.Art. a. — La peste, la fièvre jaune et le choléra étant, d’après la convention, les seules
maladies qui entraînent des mesures générales et la mise en quarantaine des lieux de
provenance, les précautions prises contre les autres maladies, quelles qu’elles soient, ne
s’appliqueront jamais qu’aux seuls bâtiments suspects ou malades.
Titre II. — Mesures relatives au départ.
Art. 5. — Les mesures relatives au départ comprendront : l’observation, la surveil¬
lance et la constatation de l’étal sanitaire du pays; la vérification et la constatation de
l’état hygiénique des bâtiments qui en partent, de leurs cargaison et vivres, de la santé
des équipages, des renseignements, quand il y a lieu, sur la santé des passagers, et enfin
les patentes de santé et tout ce qui s’y rapporte.
Titre III. — Mesurés sanitaires pendant la traversée.
Art. 30. — Tout bâtiment en mer devra être entretenu en boa état d’aération et de
propreté.
A cet effet, chacune des nations contractantes fera rédiger, dans le plus bref délai, une
.NOBV. DICT. MED. ET Clllll. XI[[. — 57
il8
ÉPIDÉMIE.
instruction pratique et suffisamment détaillée, prescrivant les mesures de propreté e
d’aération à observer en mer.
Art. 36. — En cas de décès arrivé en mer après une maladie de caractère suspect, les
effets d’habillement et de literie qui auraient servi au malade dans le cours de cette ma¬
ladie seront brûlés, si le navire est au mouillage, et, s’il est en route, jetés â la mer, avec
les précautions nécessaires pour qu’ils ne puissent surnager.
. Les autres effets du même genre dont l’individu n’aurait point fait usage, mais qui se
seraient trouvés à sa disposition, seront immédiatement soumis à l’évent ou à toute autre
purification.
Titre IV. — Mesures sanitaires à l’arrivée.
Art. 37. — Tout bâtiment sera, à l’arrivée, soumis aux formalités de la reconnaissance
et de l’arraisonnement.
Art. 43. — Lorsqu’il existera des malades à bord, ils seront, à leur demande, débar¬
qués le plus promptement possible, et recevront les soins qu’exigera leur état.
Art. 44, — Si le navire, quoique muni d’une patente nette, et n’ayant eu pendant la
traversée aucun cas de maladie, se trouvait, par la nature de sa cargaison, par son état
d’encombrement ou d’infection, dans des conditions que l’agent de santé jugerait suscep¬
tibles de compromettre la santé publique, le navire pourra être tenu en réserve jusqu’à
ce qu’il ait été statué par l’autorité sanitaire.
La décision devra être rendue dans les vingt-quatre heures.
Art. 45. — Selon les conditions de salubrité du navire, l’autorité sanitaire pourra, si
elle le juge convenable, ordonner comme mesure d’hygiène :
Le bain et autres soins corporels pour les hommes de l’équipage ;
Le déplacement des marchandises à bord ;
L’incinération ou la submersion à distance dans la mer des substances alimentaires et
des boissons gâtées ou avariées, ainsi que des marchandises de nature organique fermen¬
tées ou corrompues;
■ Le lavage du linge et des vêtements de l’équipage;
Le nettoyage de la cale, l’évacuation complète des eaux et la désinfection de la sentine:
L’aération de tout le bâtiment et la ventilation de ses parties profondes au moyen de la
pompe à air ou de tout autre moyen ;
Les fumigations chimiques, le grattage, le frottage et le lavage des bâtiments;
Le renvoi au lazaret.
Quand ces opérations diverses seront jugées nécessaires, elles seront exécutées dans
l’isolement plus ou moins complet du navire, selon la disposition des plages et des locali¬
tés, mais toujours avant l’admission à la libre pratique. Napoléon.
I. Maladies e2)idcmiques en général.
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1771 à 1829, par Villeneuve [ib., p. 577-429); 1850 à 1856, par Piobrï [ib., VI, p. 1-24) ;
1836, 1837, 1838, par Piorrï [ib., t. VH, p. 141-156) ; 1839 et 1840, par Bbichete,™ [iô.,
t. IX, p. 31-64); 1841-46, par E. Gaultier de Cladbry [ib., t. XIV, p. 1-188); 1847, par
E. Gaultier de Claubeï [ib., t. XV, p. 1 à 40); 1848, 1849, par E. Gadltieede Cladbry [ib.,
t. XVI, p. 1-67) ; 1850, par Michel Lévy [ib., t. XVII, p. ivii-cvii) ; 1851, par E. Gaultier de
Glaubry [ib., t. XVII, p. cix-clxxxviii) ; 1852, par E. Gaultier de Cladbry [ib., t. XVIII,
• p. lxix-clxxxiv); 1853, par E. Gaultier de Cladbry [ib., t.XIX, p. xli-cxcix); 1854, parBaRTH
[ib., t. XX, p. cxxii-ccxl) ; 1855, par Barth [ib., t. XXI, p. ciii-ccxlvi) ; 1856, par A. Trous¬
seau [ib., t. XXII, p. LXXI-XCIX) ; 1857, par A. Tboussead [ib., t. XXIII, p. xxix-cii) ; 1858,
par Trousseau [ib., t. XXIV, p. xxxi-l) ; 1859, 1800, par Jolly [ib., t. XXV, p. lxi-xcii,
p. cxLix-cLxxx) ; 1861, par Jolly [ib., t. XXVI, p. lxxxi-cviii) ; 1862, par de Kekgaradec [ib.,
t. XXVI, p. cxcii-ccxLix) ; 1863, 1864, par de Kergaiudec [ib., t. XXVII, p. lxxxvii-clxxxvii,
p. ccLXXi-cccxxxviii) ; 1865, parBEROERON [ib., t. XXVIII, p. lii-cxiv) ; 1866, par Briquet [ib.,
t. XXVIII, p. ccxxvii-ccxcviii); 1867, 1868, par Briquet [ib., t. XXIX, p. Liv-cxxi.vi,cciii-cccxx).
Gïndron, Maladies épidémiques (dans les petites localités) [Journal des eonnaissanccs médico^
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580 ÉPIDÉMIE.
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dans le nord-est de la France. Metz, 1842, in-8.
Rapport sur les épidémies de l’arrondissement de Rouen, depuis vingt-deux ans, par M. Ving-
trinier [Rapport général sur les travaux du conseil de salubrité du département de la
Seine-Inférieure. Rouen, 1849, p. 39).
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Chacffaed, Étude clinique sur la constitution médicale de l’année 1862, suivie de réflexions sur
l’importance pratique de l’observation des constitutions médicales. Mémoire lu à la Société
médicale des hôpitaux. Paris, 1863.
La bibliographie de chaque maladie épidémique en particulier sera plus utilement placée à la
suite des articles consacrés au Choléra, à I’Ergotisme, à la Fièvre jaü.ve, à la Folie, à I’Ophthalmie,
à la Syphius et à la Variole, à la Fièvre puerpérale, au Typhus. Nous nous bornerons aux in¬
dications suivantes.
ZiHMERMAKN (J. G.), Traité de la dysenterie, trad. de l’allemand par Lefebvre de Villebrune.
Paris, 1775, in-12.
Sarcome (M.), Istoria ragionata de’ mali osservati in Napoli. Napoli, 1765, 3 vol. in-8.
Lepecq de la Clôture (L.), Collection d’observations sur les maladies et constitutions épidémi¬
ques. Paris et Rouen, 1776-1778, 3 vol. in-4. — Sijiox (Max.). Étude pratique, rétrospective
et comparée sur le traitement des épidémies au dix-huitième siècle. Appréciation et Éloge
de Lepecq de la Clôture. Paris, 1853, in-8.
Van Swieten, Constitutiones epidemicæ et morbi potissimum Lugduni Batavorum observati et
ejusdem observationes edid. M. Stoll. Vindobonæ et Lipsiæ, 1782.
Stores (W.), Sketch of the medical and statistical History of Epidémie Fevers in Ireland from
1798 and of pestilential Diseases since 1823. Dublin, 1833, in-8.
Tohmasini (J.), Sulla Febbre di Livorno del 1804, sulla febbre gialla americana e sulle malattie
di genio analogo. Parma, 1805; trad. en français, Paris, 1812.
Bateman (Th.), Reports on the Diseases of London and the siale of.the iVheather from 1804 lo
1816. London, 1819, in-8.
Cheyne (J.), An Account of the rise, progress and décliné of the Fever lately epidemical in Ire¬
land. London, 1821, 2 vol. in-8.
Guérard (a.). Des inhumations et des exhumations sous le rapport de l’hygiène. Thèse de con¬
cours pour la chaire d’hygiène. Paris, 1858. A exposé les deux opinions relativement aux effets
des émanations putrides sur la santé : 1“ pour l’innocuité : Rusch (épidémie de lièvre jaune
de 1793) ; Clarke-Warren (épidémie de 1798) ; santé des fossoyeurs et autres employés aux
inhumations; salle de dissection (Warren, Journal des progrès, t. XIX, p. 66; Parent-Du¬
châtelet, Annales d'hygiène, t. V,, VIII, IX) ; 2“ pour la nocuité : quelques cas particuliers
comme celui de Vaidy, Rict. des sciences méd., art. Dysenterie ; Navier, Dangers des inhu¬
mations précipitées, 1775'; expériences directes de Vicq-d’Azyr (1774, 1775) avec les gaz
provenant de l’estomac et des intestins d’animaux qui avaient succombé à l’épizootie; l’inspi¬
ration de ces gaz communiqua la maladie à des bestiaux sains (Guérard, p. 42).
Calmeil, De la folie considérée sous le point de vue pathologique, philosophique, historique et
judiciaire... description des grandes épidémies de délire qui ont atteint les populations d’au¬
trefois et régné dans les monastères. Paris, 1845.
Jacquot (Fel.), De l’origine miasmatique des fièvres endémo-épidémiques, dites intermittentes,
palustres ou à quinquina [Annales d'hygiène publ., 2' série, 1854-1855, t. II et III).
Haller (Karl), Die Volkskrankheiten in ihrer Abhângigkeit von den Witlorungs-Verhâltnissen.
Ein statist. Versuch nach 10 jâhr. Beobacht. im k. k. Krankenhause zu Wien. Mit 10 meteorol.
Tafeln imd 28 Darstellungen des Krankheitsganges [Denkschriften d. k. Âkademie der Wis-
senschaften, yUca, 1860, in-4).
Anglada (Ch.), Études sur les maladies éteintes et sur les maladies nouvelles pour servir à l’his¬
toire des évolutions séculaires de la pathologie. Paris, 1869, in-8.
Annales d'hygiène puMigue, 1829-1871, passira.
Bulletin de l'Académie de médecine, 1836-1871, passim.
Paul Loiiain.
ÉPIDERME. Voy. Épithélium et Peau,
ÉPlDIDimiES, ÉPIDIDYMITE. Foi/. Blehnobrhagie et Testicule.
ÉPILEPSIE. — DIVISIONS.
ÉPURATOIRES. Voy. Pileux (Système).
58!
ÉPBLEPSIE. — Morbus major (Celse), morbus sorticus, lunaticus,
astralis, caducus, mnitialis, herculeus, heræcleus, sacer, divus, mal Saint-
Jean, mal Saint-Gilles, morbus dæmoniacus, Fallsucht des Allemands, epi-
lepsy, falling sickness.
Définition. — L’épilepsie éveille en général dans l’esprit l’idée d’une
affection caractérisée par des attaques convulsives avec cri, perle de con¬
naissance subite, laideur du visage, convulsions des yeux, raideur et con¬
torsion des membres, écume à la bouche, immobilité des pupilles. Mais
je me hâte d’ajouter que, si l’on circonscrivait l’épilepsie dans ces sym¬
ptômes, on courrait grand risque de méconnaître la plupart des cas d’épi¬
lepsie, car rien n’est varié comme les modes de cette maladie, que l’on
peut regarder comme essentiellement protéiforme.
La vulgarisation des bizarreries de cette affection est surtout due à
Trousseau, à Th. Herpin et à B. A. More], qui ont rendu ainsi à la science
un service des plus importants.
Profitant des travaux de ees maîtres, nous pensons donc que l’on doit
définir l’épilepsie une maladie chronique, apyrétique, caractérisée par
des attaques convulsives, des vertiges, des absences, qui frappent Vindi-
vidu d’une façon irrégulière, au milieu delà santé, souvent, en apparence,
la plus parfaite.
L’épilepsie est bien une maladie et non pas un symptôme, malgré ce
que peuvent dire certains auteurs, qui ne me paraissent pas avoir suffi¬
samment vécu au milieu d’une population d’épileptiques. L’épilepsie
confirmée se traduit, en effet, par une physionomie à part, donne à l’in¬
dividu des caractères spéciaux, et imprime à l’intelligence une tournure
particulière.
Di-visions. — Les divisions qui ont été fondées d’après les différentes
sortes d’aura, sont toutes entachées d’erreur, car elles semblent admettre
que l’origine du mal est là d’où part l’aura ; or rien n’est plus faux, nom¬
bre de faits prouvant que l’aura est presque toujours le retentissement
périphérique d’une lésion centrale.
D’un autre côté, les divisions qui s’appuient sur la cause et la nature
pré.sumée de la maladie ne résistent pas à l’observation ; les épilepsies
dites atoniques, pléthoriques, apoplectiques, rhumatismales, métastati¬
ques, ne sont rien moins que prouvées, et peuvent être traitées par des
moyens identiques.
La division que je considère comme la meilleure, et qui est du reste
adoptée par la plupart des auteurs modernes, admet une épilepsie idio¬
pathique, une épilepsie symptomatique, et une épilepsie sympathique.
L’épilepsie idiopathique est celle dont les causes prédisposantes sont
une grande impressionnabilité, de l’exaltation de la sensibilité, et dont les
causes occasionnelles sont des émotions vives, des impressions pénibles,
la peur, l’onanisme, des excès vénériens. Le nom d’épilepsie idiopathique
doit aussi être donné à ces cas où la maladie est en rapport avec des né-
582 ÉPILEPSIE. — divisions.
vroses héréditaires, telles que l’hy-stérie, la chorée, et à plus forte raison
l’épilepsie; mais il n’est pas nécessaire que les ascendants aient été épi¬
leptiques; il suffit qu’ils aient eu une névrose de l’ordre convulsif, ou
même quelquefois une névrose non convulsive. Né avec une semblable
prédisposition héréditaire, un individu devient épileptique, sous l’in¬
fluence de certaines conditions, aussi bien qu’il serait devenu choréique
ou hystérique.
L’épilepsie symptomatique se lie manifestement à quelque lésion ma^
térielle des centres nerveux, ainsi à une fracture du crâne, à une tumeur
du cerveau, à une déformation du rachis.
L’épilepsie sympathique se rattache à une lésion des nerfs périphéri¬
ques, aux vers intestinaux.
Symptômes. — L’épilepsie ne se caractérise pas d’emblée d’ordi¬
naire et dès les premiers temps par des attaques convulsives seules, et
de nombreux phénomènes morbides peuvent séparer l’épilepsie confir¬
mée de l’état de santé. Lorsqu’on interroge un épileptique, on apprend
que, dans l’immense majorité des cas, l’intervalle de temps qui a séparé
le moment de la cause efficiente et le moment de la première attaque a
été occupé par des symptômes variés, mais caractéristiques ; ainsi, après
une peur, des enfants sont pris d’un tremblementgénéral qui persiste un
certain nombre d’heures, puis ils éprouvent pendant quelques jours des
sensations diverses de la nature des auras, des secousses partielles ou gé¬
nérales, des tics, des étourdissements, des bourdonnements d’oreille.
Ces phénomènes se compliquent bientôt de symptômes plus significatifs,
qui ont été décrits par Th. Herpin, sous le nom à’accès incomplets, et
qui consistent en : crampes d’un membre, convulsions partielles, spasmes
viscéraux, vertiges, commotions.
Ces manifestations sont des attaques réduites à leurs symptômes ini¬
tiaux ou avortant à une période plus ou moins avancée de leur cours.
Th. Herpin a longuement insisté sur ce fait, et ü a montré de quelle im-,
portance il était de les bien reconnaître pour attaquer cette maladie en
temps opportun, et dans une phase où, le plus souvent bornée à de très-
légères atteintes, elle est plus facile à guérir.
Ce n’est le plus souvent qu’après l’existence de la maladie, à l’état
fruste, pendant quelques jours, quelques mois, des années mêmes, que
se déclare la première attaque convulsive. Alors l’épilepsie est confirmée,
elle est constituée par des attaques, des accès, des vertiges, des absences,
des troubles divers de la motilité et de la sensibilité, des phénomènes
moraux et intellectuels, et par des intervalles de santé parfaite.
Les attaques sont annoncées quelquefois par des prodromes de durée
et de forme très-variables. — Certains malades éprouvent ou manifestent
pendant quelques heures de l’irascibilité, de la mobilité, de la tristesse,
plus rarement de la sérénité ou de l’enjouement ; quelques-uns ressentent
de la fatigue, des palpitations de cœur, de la lourdeur de tête; des ma¬
lades observés par Jackson sentaient toujours avant l’attaque une odeur
extraordinaire ; trois épileptiques soignés par Herpin percevaient avant
583
ÉPILEPSIE. - SÏMPTÔHES.
l’accès une odeur agréable toujours la même. Les hallucinations de la vue
sont plus fréquentes que les autres ; chez un jeune épileptique, l’accès
est précédé durant une minute au plus d’hallucinations de la vue pendant
lesquelles il se voit entouré de flammes, et c’est pour y échapper qu’il
s’est précipité une fois par la fenêtre ; chez quelques individus les accès
commencent par des perturbations de l’ouiè, des bourdonnements, etc.
J’en ai observé un certain nombre qui avaient à la fois des hallucina¬
tions de la vue et de l’ouïe. Une jeune fille de mon service à la Salpê¬
trière, entend pendant quelques secondes avant l’attaque, des voix qui
lui disent des mots désagréables, et aperçoit des figures grimaçantes.
Il est des malades chez lesquels ces prodromes précèdent les attaques
de plusieurs jours; et quelquefois ces signes avant-coureurs ne se mani¬
festent que la nuit par de l’insomnie, des cauchemars, des rêves fan¬
tastiques, voluptueux ; j’en ai vu dont les crises étaient toujours annon¬
cées par un état intense d’excitation génitale, des érections diurnes de
plus d’une demi-heure de durée, des pollutions nocturnes.
Les accès débutent quelquefois par une sensation subite de froid qui,
d’abord localisée dans un point de la périphérie cutanée, se généralise
en s’accompagnant de frissons.
Chez un enfant observé par Herpin, les attaques commençaient toujours
par une très-vive douleur dans une petite molaire supérieure gauche.
Le tournoiement des objets, l’obscurcissement de la vue, le passage
d’un nuage ou d’un brouillard devant les yeux, l’étourdissement, une
sorte de vague de l’intelligence, la concentration de l’esprit sur une idée
fixe, une espèce de rêve souvent fantastique s’observent aussi parfois au
début des attaques, des accès et des vertiges.
Ces prodromes s’observent moins fréquemment que l’aura, nom assi¬
gné par Galien à l’un des phénomènes les plus intéressants de l’épilepsie
et dont l’explication sera longtemps encore sujette à discussion.
L’aura est une sensation qui part d’un point du tronc ou des membres
et se porte vers le cou et la tête. Elle est comparée tantôt à une vapeur
froide ou chaude, tantôt à de l’étouffement, quelquefois à une sensation
de bien-être, à un mouvement intérieur, à une palpitation, à une crampe,
à des soubresauts musculaires.
Si l’on consulte les statistiques d’Herpin et Delasiauve, on arrive à con¬
clure que l’aura part à peu près aussi souvent de l’épigastre, de la ré¬
gion périombilicale, du tronc, que des membres. Dans les membres,
l’aura qui précède les attaques a pour siège habituel l’un des membres
thoraciques et surtout les mains; j’ai vu des malades chez qui elle occu¬
pait un ongle, un seul doigt, toujours le même; elle oecupe rarement la
tête.
, Le spasme qui accompagne l’aura tend toujours à monter vers les mus¬
cles dont les nerfs prennent naissance près de la partie antérieure de
l’encéphale ; pendant l’ascension de la sensation, les malades ressentent
ordinairement des palpitations musculaires, des tremhlemenls et des se¬
cousses (Herpin); l’aura des membres qui précède les accès incomplets.
58
EPILEPSllü. - SYMPTÔMES.
les vertiges, peut consister en sensation de frôlement, d’engourdissement
d’une partie de la main, en une crampe douloureuse très-limitée, en lé¬
gers soubresauts des tendons, en palpitations musculaires. L’aura peut
consister en une sensation d’engourdissement ayant son siège dans le
scrotum.
L’existence de ces phénomènes musculaires, qui se montrent antérieure¬
ment à la perte de connaissance, est de la plus grande importance au
point de vue de la physiologie pathologique de l’aura ; ils démontrent, en
effet, que l’aura est un phénomène d’ordre convulsif. D’ailleurs, on voit
quelquefois de véritables convulsions précéder la perte de connaissance;
Trousseau a observé deux cas qui le prouvent : chez les deux malades,
l’attaque débutait par une vive douleur dans le pied ou la main, qui
étaient agités de mouvements convulsifs et comme cambrés; puis les
convulsions gagnaient la jambe, le membre supérieur, qui se convul¬
saient aussi cloniquement; et enfin, au bout de quinze à vingt secondes,
pendant lesquelles l’intelligence restait intacte, ces épileptiques tombaient
sans connaissance.
L’aura abdominale et thoracique, qui précède les attaques, paraît avoir
le plus souvent son siège dans l’estomac; les autres organes sont, par
ordre de fréquence, les intestins, le pharynx et les organes intra-pel viens.
Les malades comparent alors leur sensation initiale à un spasme, à une
crampe, à une sensation de constriction, de resserrement, de pression,
de torsion, de tortillement, de chaleur; très-fréquemment, les spasmes
s’accompagnent de horborygmes, d’éructation, de nausées, de régurgi¬
tations, de vomissements, de coliques, de ténesme du rectum, de la ves¬
sie. S’il s’agit d’aura pharyngée, les malades éprouvent dans le pharynx
une sensation de chatouillement, de picotement suivie d’un sentiment,
d’ohstruction.
Si l’aura débute par les organes respiratoires, les épileptiques signalent
nettement un spasme du larynx; ils parlent de resserrement du cou,
d’étranglement, d’étouffements, de suffocation, d’oppression brusque.
(Herpin.) Chez un certain nombre de malades, j’ai vu les attaques, et
même les absences commencer par de violentes palpitations de cœur, par
une douleur précordiale qui montait à la gorge et à la tête, et qui, ar¬
rivée là, était accompagnée de perte de connaissance. Le tracé sphyg-
mographique d’un de ces malades, pris au début d’une aura, présente
même quelques particularités (fig. 87).
Fig. 87. — Tracé sphygmograpliique pris sur Parfit.
Quand l’aura commence par l’estomac, il enyahit l’œsophage, le pha¬
rynx, le larynx, la bouche. Herpin a vu de ces malades qui montraient
ÉPILEPSIE. - .SYMPTÔMES.
585
le trajet parcouru en se frictionnant l’épigastre, le sternum, le cou; lors¬
que l’aura a gagné le pharynx, elle est suivie de rétention de la salive dans
la bouche, d’efforts bruyants de déglutition ou de mâchonnements. J’ai
vu une femme qui cherchait à se retirer de la bouche comme un corps
étranger. La respiration peut alors être gênée, comme dans une sorte de
strangulation. Certains enfants se précipitent dans les bras de la per¬
sonne présente et l’étreignent, d’autres courent sans direction. C’est après
ce stade, souvent très-court, qu’on voit les muscles volontaires de la face,
à partir des maxillaires , être pris tantôt de convulsions antérieures au
trouble et à l’abolition des sens, et tantôt de perturbations sensoriales et
mentales antérieures à la perte de conscience et aux convulsions exté¬
rieures. Dans le premier cas, les malades signalent une sensation d’en¬
gourdissement et de contraction des muscles maxillaires, qui les portent
à y mettre la main; puis les muscles de la face entrent en convulsion, les
yeux et la tête sont entraînés d’un côté, les sens se troublent, et c’est
seulement alors que la connaissance se perd. Dans le second cas, l’abo¬
lition des sens et de l’intelligence succède immédiatement à l’aura. Dans
les débuts par aura dans les voies respiratoires, les malades mention¬
nent, avant tout, la dyspnée. (Herpin.) Dans les deux observations de dé¬
but par les palpitations que j’ai recueillies, les épileptiques avaient con¬
science de ces troubles pendant plusieurs secondes avant l’attaque.
Le petit mal s’accompagne, le plus souvent, d’aura viscérale ; elle peut
alors se borner à une douleur de l’estomac, à une légère dyspnée et à un
resserrement du cou, à un mal de ventre. On n’a alors affaire qu’à un
prélude; mais si la sensation monte au cerveau, ainsi que le disent les
épileptiques, ils éprouvent un vertige caractérisé d’abord par une perte
de connaissance incomplète ou complète de peu de durée; ils s’asseyent,
restent debout ou marchent au hasard ; ils sortent de cet état comme d’un
rêve et divaguent. Certains malades exécutent alors des mouvements in¬
volontaires, bizarres; ainsi un malade d’Herpin était forcé de. faire un
demi-tour sur lui-même.
Certaines de ces auras, dites motrices, sont caractérisées par une im¬
pulsion irrésistible qui précipite l’épileptique en avant ou en arrière, et
lui imprime un mouvement gyratoire. J’en ai vu, à Bicêtre, qui renver¬
saient alors tout sur leur passage, et qui, dans leur course, se jetaient
contre les tables, les colonnes, les portes, et se précipitaient enfin quel¬
quefois dans les escaliers, qu’il descendaient au galop, sans se faire d’autre
mal que des contusions.
L’aura peut présenter la forme gyratoire, soit qu’elle précède une
attaque, soit qu’elle soit le début d’un vertige.
Les malades sont pris alors d’un mouvement de tournis complet, une
ou deux fois répété, et ce n’est qu’à la fin du tournis que se produit la
perte de connaissance.
Certaines auras se présentent avec une netteté tellement grande, que
l’on a pu croire que la cause de l’aura avait son siège dans la partie
même où le malade la sentait. Mais des épileptiques ressentant aux mol-
586 ÉPILEPSIE. — symptômes.
lets une douleur limitée qui était suivie d’attaques lorsque la sensation
montait à la cuisse, ne présentaient aux mollets aucune tumeur; on cite
de même un individu qui éprouvait en avant du coccyx une sensation qui
montait le long de la colonne vertébrale, était suivie de perte de la con¬
naissance et ne se rapportait pas à une lésion. D’ailleurs des autopsies,
pratiquées dans ces conditions, ont montré que la cause de ces auras pou¬
vait être iiitra-cérébrale. Ainsi, le soldat chez qui l’épilepsie était causée
par une tumeur du cerveau (Odier), éprouvait, au petit doigt de la main
droite, des crampes qui annonçaient toujours les attaques; un jeune homme,
dont la maladie était causée par des tumeurs tuberculeuses du cerveau, res¬
sentait toujours, avant les attaques de l’engourdissement et des picotements
dans les doigts de la main gauche. (Herpin.jDe même, dans le cas d'épi¬
lepsie supposée sympathique, l’affection est souvent liée à une lésion orga¬
nique du cerveau'; cette opinion trouve sa confirmation dans ces faits peu
rares où des foyers d’hémorrhagie et de ramollissement cérébraux provo¬
quent des attaques épileptiformes précédées d’auras dans les membres, et
en particulier dans les membres du côté opposé à la lésion cérébrale.
J’ai pris un certain nombre de fois la température des membres où
siégeaient les auras, et n’ai trouvé aucune différence avec la température
des autres membres; mais il est à noter que, chez les malades qui accu¬
sent une aura périphérique, la température des extrémités est continuel¬
lement plus élevée de 4 à 5 degrés que dans l’état antérieur.
Suivant que l’épileptique est frappé d’attaques, d’accès, ou bien de
vertiges, absences, préludes divers, on dit qu’il est atteint du grand mal
ou du petit mal.
Les attaques sont caractérisées essentiellement par la perte de connais¬
sance subite, l’abolition de la sensibilité, des convulsions générales,
toniques et cloniques.
L’épileptique pâlit ou quelquefois rougit, pousse un cri ou demeure
sans voix, et tombe s’il est debout ; la perte de connaissance est subite
et absolue, la sensibilité générale et spéciale est abolie ; en même temps,
tout le corps est pris d’une raideur tétanique qui donne à certaines par¬
ties une position spéciale ; le plus souvent, les yeux sont portés en haut ;
les cornées sont cachées derrière les paupières supérieures, et les mus¬
cles périhuccaux tiraillent la houche de façon à lui donner une expression
de laideur indicible; les dents fortement serrées les unes contre les autres
mordent souvent la langue, la muqueuse des joues ; la tête est portée en
arrière ou sur le côté, ou en avant; dans ce dernier cas, il arrive sou¬
vent que les membres inférieurs et supérieurs, ainsi que le tronc, fléchis¬
sent d’une façon tellement complète que l’individu se roule en boule. Or¬
dinairement l’un des deux membres supérieurs est porté en haut, et
l’autre en has. Les pupilles sont déjà immobiles et le plus souvent di¬
latées. L’état tétanique amène une coloration violacée de la face qui suc¬
cède à sa pâleur. La figure, la langue et les lèvres se tuméfient ; les globes
oculaires font quelquefois un peu de saillie en avant; le début d’attaques
s’est accompagné deux fois sous mes yeux d’un rash de toute la surface
EPILEPSIE. - SÏMPTÔMES.
5S7
du corps, qui a précédé la période tétanique, puis l’a accompagné, et m’a
paru dépendre d’une action paralysante exercée sur le grand sympa¬
thique. J’ai vu un assez grand nombre de fois la face des épileptiques
prendre une teinte jaune pâle à la fin de la période tonique, lorsque la
teinte initiale avait été rouge.
A la période tétanique succède la période clonique, qui débute par des
secousses fortes, rapides, de courte durée, séparées par des intervalles
calmes, bientôt suivies de convulsions cloniques qui agitent le corps
plus ou moins violemment et prédominent le plus ordinairement dans
une moitié ou une partie du corps. Cette prédominance est un signe
important, parce qu’il est un de ceux qui mettent le mieux sur la voie de
la fraude. Le simulateur, en effet, croit qu’il doit faire des mouvements
bilatéraux de même nature ; tandis que la bilatéralité des convulsions et
la conformité des convulsions bilatérales s’observent rarement dans
l’épilepsie.
J’insisterai de nouveau sur ce sujet à propos du diagnostic, parce qu’il
me paraît indispensable de bien montrer que les convulsions unilatérales
n’existent pas seulement dans l’épilepsie symptomatique.
J’ai vu des malades qui, dans l’intensité des secousses cloniques, se
soulevaient par bonds et se retournaient complètement; le sol en était
ébranlé. Les secousses sont tellement considérables quelquefois, qu’elles
peuvent lancer le corps au loin ; ainsi un enfant de Bicêtre, complète¬
ment idiot, paraplégique et stupide, par conséquent hors d’état de simu¬
ler, était lancé à 40 centimètres de sa cbaise ; il y tombait dans une po¬
sition perpendiculaire à celle qu’il avait auparavant.
La face participe à ces convulsions cloniques et prend une expression
de plus en plus hideuse et repoussante, qu’elle doit surtout au tiraille¬
ment des traits, à la tuméfaction des lèvres et du nez, à l’écume buccale, à
la teinte livide, aux plis accentués du front, des tempes, des ailes du nez.
Les convulsions des yeux qui sont portés en tous sens et roulent dans leurs
orbites augmentent encore l’aspect repoussant de l’épileptique.
La mâchoire inférieure participe à ces secousses et les mouvements de
rapprochement et d’écartement successifs amènent surtout des plaies de
la langue, lorsque celle-ci se présente entre les mâchoires. On l’a vue
quelquefois séparée en deux.
L’écume qui s’échappe de la bouche et est rejetée avec force, est sou¬
vent mêlée de sang, sans pourtant que ce dernier signe indique sûrement
que la langue ait été mordue; je me suis assuré, à plusieurs reprises, que
ce sang provenait d’une exhalation faite à la surface de la muqueuse
des premières voies et qu’on devait comparer ce phénomène au piqueté
rouge que l’on observe souvent à la face et l’expliquer par l’arrêt de la
circulation veineuse que produit l’état tétanique des muscles du cou et
par une transsudation du sang.
Cependant la respiration est râlante ; ce bruit est produit par l’air in¬
spiré et expiré qui bat l’écume buccale pharyngée. L’expiration, la toux
amènent l’expuition de mucosités qui s’échappent par la bouche et le
588 ÉPILEPSIE. — symptômes.
nez. A ce moment, le malade pousse, quelquefois pendant plusieurs
minutes, des cris, des rugissements.
C’est au début de cette période, alors que l’état tétanique est in¬
tense, et l’asphyxie profonde, que l’éjaculation a été observée; les au¬
teurs ont expliqué ce phénomène par une action congestive exercée sur
le plancher du quatrième ventricule; mais ce symptôme peut aussi dé¬
pendre d’une stimulation exercée sur les ganglions sacrés du grand
sympathique, car, ainsi que l’a démontré Valentin, et que l’admet Longet,
l’irritation du ganglion lombaire inférieur de l’un et de l’autre côté, ou
encore du premier ganglion sacré, produit très-souvent chez les lapins
et les cabiais, plus rarement chez le cheval, des contractions dans le ca¬
nal déférent et les vésicules séminales. Ségalas a, d’un autre côté, constaté
que si l’on agit avec un stylet, de haut en bas, sur la moelle épinière,
l’éjaculation a lieu. Ségalas admet aussi dans le même sens que des con¬
tractions des vésicules séminales, lesquelles sont soumises au grand sym¬
pathique, peuvent s’observer à la suite d’irritations dirigées sur la moelle
épinière.
L'émission involontaire de l’urine, si fréquente pendant les attaques,
les vertiges et qu’on observe, même pendant de simples absences, est due
à la même cause, à une stimulation exercée sur le sympathique lumbo-
sacré, par l’intermédiaire delà moelle épinière irritée.
Les bruits de gaz que l’on entend parfois dans les intestins, l’émission
involontaire des fèces sont dus à une même cause stimulante exercée sur
le grand sympathique. Les vomissements qui précèdent quelquefois la
convulsion, qui l’accompagnent ou qui la suivent immédiatement sont
dus à une excitation du pneumogastrique et du diaphragmatique.
L’attaque type d’épilepsie se termine par du stertor, du ronflement
trachéal, s’accompagne d’une sueur profuse, d’une haleine dont l’odeur
fétide est causée par un dégagement considérable d’ammoniaque , dure
un certain temps après l’accès.
L’attaque légère, le vertige, l’absence, ne sont suivis d’aucune aug¬
mentation de chaleur.
Lorsqu’une attaque d’épilepsie est au contraire intense, il est rare de ne
pas constater un peu d’augmentation de la chaleur centrale, du nombre
des pulsations et des mouvements respiratoires. Ainsi la température
axillaire monte facilement à 38°, le pouls à 84-88, et le nombre des res¬
pirations à 24-28 .
Ces caractères d’une fièvre transitoire se retrouvent constamment et
avec une plus grande intensité dans les cas de séries d’attaques. La tem¬
pérature axillaire monte alors quelquefois jusqu’à 41° , le pouls à 140,
et la peau est couverte d’une sueur profuse. En arrière des oreilles la
température monte alors à peu près à 39°.
Une attaque d’épilepsie dure en moyenne de trois minutes à dix mi¬
nutes, et, sur ce temps, la ; période tétanique dure quelques secondes ; la
période la plus longue est celle des convulsions cloniques.
La fin de l’attaque est ordinairement suivie d’un sommeil qui peut du-
- ÉPILEPSIE. - SYMPTÔMES.
589
rer plusieurs heures et qu’il est toujours important de respecter au point
de Tue de l’intelligence.
A son réveil, l’épileptique a une physionomie souvent hébétée ; il de¬
mande quelquefois ce qui s’e.st passé ; il n’a conservé aucun souvenir des
premiers phénomènes de l’attaque. Il se sent seulement fatigué, courba¬
turé, il accuse de la céphalalgie, il est sombre et rêveur.
Il n’est pas rare d’observer, après des attaques, de l’aphasie, de l’hé-|
miplégie, le plus souvent transitoires, mais quelquefois aussi définitives,^
de l’anesthésie partielle unilatérale ou même bilatérale dont les limites
sont dans certains cas singulières. La parésie et l’anesthésie ne se
montrent pas exclusivement dans les membres où les convulsions ont
été prédominantes ; les phénomènes paralytiques sont causés par des
congestions cérébrales, et par de petits foyers hémorrhagiques qui se
produisent dans les centres nerveux au moment, je crois, où la stase
veineuse cérébrale est à son plus haut degré. Les dilatations vasculaires
que j’ai souvent rencontrées avec Luys sur des épileptiques morts pen¬
dant des attaques, et de petites ecchymoses, ainsi que des amas d’hé-
matosine que j’ai depuis observés dans les capillaires cérébraux de ces
malades, expliquent suffisamment ces symptômes. Ces lésions que nous
a dévoilées le microscope sont du reste en rapport parfait avec ie piqueté
ec'chymotique de la face que l’on observe après les grandes attaques et
qui se présente sous forme de petites taches rougeâtres comparables à
des piqûres de puces. Ces taches indiquent d’une façon sûre qu’une at¬
taque a été violente, et, dans l’impossibilité où l’on est de les produire
volontairement, elles constituent un des meilleurs signes pour recon¬
naître si une attaque a été simulée ou non. La durée de ces taches n’est
que de quelques heures, mais à leur place il reste pendant vingt-quatre
à trente-six heures une sorte de fluxion, et une très-légère teinte ecchy-
motique que la loupe permet quelquefois seule d’apprécier.
Les attaques sont le plus souvent isolées et séparées les unes des au¬
tres par des intervalles variables de quelques heures à plusieurs mois.
L’épileptique se remet alors plus ou moins et présente parfois tous les
attributs de la bonne santé. Dans un petit nombre de cas, au contraire,
une attaque est suivie immédiatement de plusieurs autres, de façon à
constituer un paroxystne, un état de mal. Trousseau désignait ces sortes
d’attaques sous le nom iHmbriquées. J’ai vu des malades chez lesquels le
paroxysme durait ainsi jusqu’à vingt-quatre heures, et qu’il avait plongés
dans la stupeur, le collapsus le plus profond.
Dans ces derniers cas, le pouls devient excessivement petit, ainsi qu’on
peut en juger par ce tracé pris sur un jeune enfant qui avait eu 450 accès
en vingt-quatre heures (fig. 88).
590 ÉPILEPSIE - SYMPTÔMES.-
Je n’ai jamais vu survenir de manie épileptique après ces paroxysmes,
tandis que je l’ai souvent observée après des séries d’attaques, dénomi¬
nation qui s’applique à un certain nombre d’attaques (6 à 15) qui sur¬
viennent périodiquement, en laissant plusieurs jours entre chaque série;'
ainsi sont les séries qui accompagnent la menstruation.
Le pouls des épileptiques présente des particularités que le sphyg-
mographe m’a fait connaître.
Deux à trois secondes avant une attaque, le pouls devient plus rapide,
son impulsion est moindre, et le sphygmographe montre que les courbes
sont moins hautes, plus arrondies et plus rapprochées (fig. 8'
vertical indique le début de l’attaque.
L’attaque survenue, on voit cinq à six petites ondulations successives
et disposées suivant une ligne ascendante, puis une suite de courbes
très-peu élevées (fig. 90, 91, 92); ces courbes se prononcent plus
nant presque riUée ü une moitié de sphère, puis, au bout de quelques
minutes, on voit les lignes s’élever presque . perpendiculairement à une
hauteur trois ou quatre fois plus grande qu’avant l’attaque, présenter au
ÉPlLliPSIE. — sïMi-TÔUEs. 591
sommet un angle plus ou moins aigu, puis redescendre en présentant
les caractères les plus accusés du dicrotisme (fig. 95, 95 et 97).
Fig. 94. — Debierne. — Pouls normal ; 70 pulsations.
Fig. 95. — Debierne. — Dix minutes après le début d’une attaque convulsive; 88 pulsations.
La durée de cette forme de pouls a varié d’une demi-heure à une heure
et demie chez mes malades ; chez deux même, elle a été de deux à six
heures. Ces tracés ont été recueillis sur deux épileptiques à la suite de
grandes attaques convulsives ; j’ai fait précéder le tracé pathologique du
tracé normal, pris en l’absence de tout phénomène épileptique.
, La connaissance était revenue lorsque le tracé a été pris.
Fie. 96. — DcHantc. — Pouls normal.
Fig. 97. — Deflande. — Vingt-cinq minutes après le début d’une attaque convulsive,
pendant le sommeil consécutif; 116 pulsations.
J’ai dû chercher à m’expliquer ces formes de tracés sphygmographi-
ques; on sait, d’après les travaux de Wrisbefg, Valentin, Hcnle, Virchow,
que les artères reçoivent deux sortes de nerfs, des filets spinaux et des
filets émanés du grand sytnpathique, les premiers dilatateurs et les se¬
conds constricteurs.
De cette disposition anatomique dépend la tension artérielle qui est
augmentée lorsque l’action des filets du sympathique est prédominante,
et diminuée, au contraire, lorsque cette action est amoindrie.
Les deux phénomènes me paraissent se produire successivement lors
d’une attaque d’épilepsie. Tout d’abord la tension artérielle augmente,
ainsi que semble le démontrer le tracé pris sur Navoret ; au moment où
l’accès débute, la fréquence des pulsations s’exagère et s’élève ordinaire¬
ment à 120 et même 160 par minute ; presque aussitôt après le début, la
tension artérielle diminue, si j’en juge par la hauteur notable de lignes
ascendantes et un dicrotisme très-marqué, qui n’empêchent pas le pouls
de conserver à peu près la même fréquence.
Cette augmentation de tension artérielle du début indique, je crois,
une excitation des filets sympathiques vasculaires ; plus tard, la dimi¬
nution de cette tension se lie à une paralysie de ces filets nerveux et par
conséquent à la prédominance d’action des filets spinaux.
592
ÉPILEPSIE. — sïJiPiÔMEs.
Le sphj’gmographe semble donc démontrer que, au commencement de
l’attaque, il se produit dans le système circulatoire une excitation du grand
sympathique à laquelle succède rapidement sa paralysie.
Ces données cliniques sont d’ailleurs conformes aux notions précises
que l’on doit à Brown-Séquard sur la cause de la perte de connaissance
et de la pâleur de la face dans l’épilepsie, et qui prouvent l’influeiice de
l’excitation du grand sympathique cérébral et de ses filets vaso-moteurs
sur ces deux phénomènes primordiaux de l’attaque.
Les accès doivent être séparés des attaques en raison de leur gravité
moindre et de leurs formes qui s’éloignent notablement quelquefois de l’at¬
taque type aussi bien que du vertige. Trousseau les désignait sous le nom
d’épilepsie partielle. Ces accès présentent des caractères mixtes qu’il
faudrait bien se garder de considérer comme appartenant aux convulsions
dites épileptiformes; on comprend l’importance pronostique et thérapeu¬
tique de cette observation.
Quelques exemples montreront la nécessité de distinguer ces accès des
attaques; un individu peut n’avoir de convulsions qu’à un membre, à la
face; un autre n’offre qu’un tic des paupières, une grimace, une secousse
dans un bras; chez certains malades, la tête se fléchit à plusieurs reprises.
On voit dans cet état des épileptiques s’arracher la peau du cou, de la
poitrine, comme pour se débarrasser d’un objet gênant. Ces accès se rap¬
prochent de l’attaque en ce sens qu’il y a toujours perte de connaissance,
chute à terre, fixité des pupilles, convulsions des yeux, etc.
C’est dans la catégorie des accès qu’il faut comprendre ce que l’on
appelle la commotion, c’est-à-dire une secousse qui ébranle tout le
corps, mais qui est souvent partielle et suivie presque toujours de
chute.
Le vertige diffère de l’accès en ce que la perte de connaissance existe
seule ou bien n’est accompagnée que de très-légères convulsions le plus
souvent fibrillaires et tout à fait partielles. (Delasiauve.) L’épileptique
atteint de vertige s’affaisse plutôt qu’il ne tombe ; aussi il ne se blesse
jamais comme dans l’attaque et l’accès. Pas plus que dans l’attaque,
la pâleur ne manque, le regard est fixe; il y a souvent émission involon¬
taire d’urine; très-fréquemment l’épileptique prononce quelques mots
toujours les mêmes, comme : c’est fini, ce n’est rien, ou bien d’autres
qui n’ont aucun sens. Je voyais en 1870 une femme chez laquelle le ver¬
tige se traduit par la perte de connaissance, une secousse du diaphragme
et un hruit glottique analogue à un aboiement. Pendant le vertige, les
épileptiques se livrent aux actes les plus étranges, ôtent leurs vêtements,
prennent des positions inconvenantes. Il en est qui se livrent alors à
l’onanisme.
Les caractères sphygmographiqucs du pouls sont les mêmes dans le
vertige que dans l'attaque.
Fig. 98. — Grand. — Trace normal : üi pnlsalions
ÉPILEPSIE. - SYMPTÔMES.
593
Fig. 99. — Grand. — Soixante minutes après le début d’un vertige : 90 pulsations.
Fig. 100. — Beaufort. — Trois minutes après le début d’un vertige.
Ces observations sphygmographiqucs, qui prouvent combien le système
circulatoire est troublé pendant un vertige, concordent avec ce qu’on
sait de l’influence de ces états morbides sur l’intelligence. Les capillaires
cérébraux et les éléments nerveux les plus fins sont troublés dans leur
fonctionnement ; et la cause de ce trouble est l’excitation des vaso¬
moteurs, le resserrement des vaisseaux, l’anémie, suivis de l’affaiblis¬
sement de la tension, de la dilatation des vaisseaux et de l’hypéré-
mie. La durée de ces phénomènes vasculaires qui accompagnent le ver¬
tige est considérable, elle dépasse souvent une heure. Leur production
en dehors de toute secousse, de tout mouvement du corps, de tout trouble
apparent de la respiration, de toute violence, de tout effort, démontre
bien que c’est un effet dynamique de l’épilepsie.
Le vertige seul est plus rarement suivi de délire que l’attaque con¬
vulsive, mais cependant on voit quelquefois survenir de l’incohérence
des idées, une susceptibilité exagérée, de l’agitation avec violence, de
la gaieté ou de la tristesse à l’excès, des actes extravagants.
L’absence est entièrement limitée à la perte de connaissance et à la
pâleur de la face. Aucun mouvement convulsif, aucune grimace, pas de
chute. L’individu reste immobile, cesse de parler, de marcher, ou bien
fait quelques pas, comme s’il ne se passait rien de particulier en lui;
sa face est cependant toujours pâle, l’œil fixe, les traits étonnés.
L’obtusion des facultés et des sens n’est pas toujours tellement grande
que l’on ne puisse se faire entendre du malade et constater quelques
lueurs d’intelligence ; mais l’absence laisse après elle l’intelligence dans
l’engourdissement, dans un profond état de vague que l’un de mes ma¬
lades appelait fantastique ; il est rare qu’après les absences la mémoire
ne soit pas confuse, le caractère impatient et l’humeur morose. J’ai vu
certains malades chez lesquels des absences jointes à des vertiges fai¬
saient de presque toutes les sensations comme autant d’illusions ; aussi
ce qu’ils voyaient et entendaient s’éloignait toujours plus ou moins pour
eux de la réalité.
C’est à la suite des vertiges et des absences que l’on voit se pro¬
duire une sorte de somnambulisme qui est aussi souvent diurne que
nocturne, qui dure quelquefois une heure et dans lequel des malades
commettent des actes assez compliqués, mais toujours semblables en
KOUV. DICT. KÊD. ET CUIR. XIII. — 58
o94 ÉPILEPSIE. — SYMPTÔMES.
tous cas. ïls répètent dans cet état des actes de leur vie de chaque jour.
Les préludes constituent encore une manifestation de l’épilepsie qui se
confond le plus ordinairement avec l’aura simple et qu’Herpin considérait
comme étant toujours le signe des accès avortés. Une variété fréquente
de préludes est celle qui consiste en secousses brusques des membres et
du tronc, en tics divers portant sur les muscles de la face, et, en parti¬
culier, les muscles des paupières.
Griesinger a désigné sous le nom ÿ épileptoïde toute une série de phé¬
nomènes nerveux, dont la parenté avec l’épilepsie lui semble évidente, et
qui sont des migraines, des vertiges, des troubles de digestion, des syn¬
copes, des illusions des sens, des sensations anormales de toute nature.
11 fonde son diagnostic sur la certaine périodicité des symptômes, l’exis¬
tence de moments d’exacerbation subite, les antécédents qui apprennent
que l’individu a eu antérieurement des convulsions, des vertiges, une
perte de connaissance, et enfin sur l’hérédité nerveuse. Sans nier que
certains de ces états décrits par Griesinger se rattachent à l’épilepsie, je
pense qu’il faut se garder de trop généraliser les conclusions du savant
allemand.
Les attaques, les accès, les vertiges surviennent à peu près également le
jour et la nuit chez certains sujets ; chez d’autres, ils ne se produisent
que le jour ou la nuit ; chez certains, leur apparition coïncide toujours
avec les mêmes heures, les mêmes situations ; ainsi, chez l’un, c’est
quelques instants après son lever; chez l’autre, c’est lorsque son esto¬
mac ressent la sensation de la faim; un grand nombre de femmes ne
sont atteintes que dans la période menstruelle ; un malade a régulière¬
ment une attaque dans le début d’un coryza ; une autre a un accès à cha¬
que rapprochement sexuel.
D’autre part, il est presque constant de voir une m.aladie intercurrente
fébrile suspendre pendant son cours les attaques et autres phénomènes
épileptiques.
Loi’squ’on a vu des individus pris de 15 à 20 attaques par nuit sans
en avoir de diurnes, on a pu se demander si la position allongée ne fa¬
vorise pas le mal ; dans ces conditions j’ai fait placer les malades dans
toutes les poses possibles, même à peu près debout, sans réussir à faire
cesser les attaques.
La fréquence des attaques, vertiges, absences, est extrêmement va¬
riable; tel malade en a tous les ans, tous les six mois; tel autre jusqu’à
50 par jour; j’en ai vu plusieurs qui avaient quelquefois 450 accès en
vingt-quatre heures. Les vertiges et les absences surviennent en nombre
bien plus grand que les attaques; mais, s’il est rare qu’un épileptique
soit frappé d’attaques sans avoir concomitamment des vertiges, des ab¬
sences, des préludes, il est des plus fréquents de voir des individus
qui ont seulement l’un de ces trois derniers symptômes sans avoir jamais
d’attaques; on dit alors que l’individü a le petit mal, tandis que, dans le
premier cas, il a le grand mal.
La marche de l’épilepsie et le moment précis de son début sont mal-
595
ÉPILEPSIE. — SYMPTÔMES. .
heureusement peu connues, malgré leur importance capitale. La plupart
des médecins ne croient en effet à l’épilepsie que lorsqu’est survenue une
attaque convulsive; ils ne tiennent pas compte des vertiges, absences,
secousses, tics, convulsions partielles, qui ne manquent presque jamais
de se produire pendant plusieurs mois et même plusieurs années avant
la première attaque convulsive ; tantôt on n’y fait aucune attention, tantôt
on les interprète faussement; on les regarde comme des coups de sang,
ainsi que l’a dit Trousseau, et cependant la valeur de ces phénomènes
est du plus haut intérêt au double point de vue de la thérapeutique et du
pronostic. Il est rare, en effet, d’une part, que, traité à cette période,
l’épileptique ne guérisse pas, et, d’autre part, le médecin pourrait, en
connaissance de cause, empêcher certains actes, comme le mariage, qui
aggravent singulièrement cet état morbide.
Axenfeld a fait remarquer que les attaques se reproduisent le plus
souvent avec une uniformité absolue, avec leurs auras, leurs caractères
propres et leurs complications. Il s’établit une sorte d’habitude d’après
laquelle tel individu sentira toujours la même aura, poussera toujours un
cri et le même cri, tombera sur le même point du corps, le front, l’oc¬
ciput, se blessera de la même façon, présentera les mêmes mouvements
convulsifs, se mordra la langue au même point, se luxera toujours une
même épaule, sera toujours pris de délire après l’attaque.
L’épilepsie peut se terminer d’une façon funeste, soit que l’épileptique
se soit fait des lésions traumatiques en tombant, soit qu’il se soit étouffé
en ayant la bouche appliquée sur son oreiller, soit qu’il se soit brûlé pen¬
dant l’attaque. Des hémorrhagies méningées plutôt que cérébrales se font
aussi quelquefois. Il peut survenir à la suite des accès des lésions inflam¬
matoires graves ; ainsi des méningites suppurées. (Delasiauve.)
II n’y a même rien d’étonnant à ce que l’épuisement nerveux soit la
cause de la mort; ainsi, dans un cas que j’ai observé sur un enfant de
treize ans, pris de trois cents accès dans l’espace de trois jours. La res¬
piration, qui avait commencé à s’engouer et qui était devenue râlante, en
même temps que le coma le plus profond s’était produit, redevint nor¬
male sous l’influence de simples pincements et d’applications de marteau
de Mayor à la partie antérieure de la poitrine ; l’enfant recouvra sa con¬
naissance et la conserva pendant deux jours; mais, à ce moment, les
accès revinrent et provoquèrent les mêmes troubles pulmonaires, sans
que les mêmes moyens pussent réussir de nouveau.
L’épileptique est sujet à des accidents assez nombreux pendant ses at¬
taques et ses vertiges. Les plus fréquents sont des contusions, des plaies
qui occupent surtout les points du corps les plus saillants : ainsi la face,
l’occiput. Les contusions amènent quelquefois des phlyctènes qui laissent
à leur suite des ulcères atoniques.
Quelquefois les épileptiques tombent dans le feu ; les brûlures occu¬
pent principalement le visage. Les luxations, et en particulier celles de
l’épaule, du coude, de la mâchoire inférieure, sont assez fréquentes; elles
paraissent être bien plus souvent produites par dès contractions muscu-
596 ÉPILEPSIE. — symptômes.
laires que par une action directe. Les fractures s’observent plus rare¬
ment.
/ État mental des épileptiques. — Des rapports entre V épilepsie et l’a-
uiénation mentale. — Des modifications du caractère et de l’intelligence
se manifestent le plus ordinairement chez l’épileptique, enfant, adulte
ou vieillard. Aussi ne saurait-on admettre en thèse générale l’opinion
de quelques médecins qui pensent que l’on peut être épileptique et com¬
plètement sain d’esprit. Sans doute on citera les noms de quelques
grands hommes qui étaient épileptiques, mais pour quiconque a vécu au
milieu des épileptiques, a causé avec eux, a interrogé minutieusement
leurs parents, l’état mental de tout épileptique a subi une atteinte. Je
ne veux pas dire par là que tout épileptique soit aliéné; mais tout épilep¬
tique est original, fantasque, difficile à vivre, et peut, à un certain mo¬
ment, et sans qu’on puisse le prévoir, commettre des actes irrésistibles,
de cause hallucinatoire, et de nature dangereuse. Aussi les épileptiques,
réunis dans des établissements hospitaliers, doivent-ils être toujours
placés sous la direction d’un médecin chargé d’un service d’aliénés.
La distinction administrative des épileptiques en aliénés et non aliénés
est une subtilité qui n’a pas de valeur au point de vue pratique. J’ai con¬
staté, à Bicêtre, où j’ai été chargé du service des épileptiques, que, sur une
soixantaine d’épileptiques non aliénés, 4 seulement étaient sains d’es¬
prit, tandis que, parmi 150 épileptiques admis comme aliénés, 22 étaient
autant sains d’esprit que les premiers.
Sur 148 malades dont j’ai recueilli l’observation en dehors de mon ser¬
vice hospitalier, j’en trouve au plus 10 dont l’intelligence soit dans un état
de pondération parfaite; parmi les 138 autres, plusieurs sont dans un état
évident d’infériorité mentale, et beaucoup, quoique livrés à eux-mêmes
et maîtres de leurs actions, présentent quelques particularités qui empê¬
chent de les considérer comme entièrement sains d’esprit : leur caractère
est sombre, maussade, irascible, colère, jaloux, exclusif; ils sont renfer¬
més. en eux-mêmes et peu expansifs, soit par méfiance, soit par excès de
timidité ; l’intelligence est au-dessous de la moyenne, la diminution de
la mémoire souvent considérable.
Le principal motif qui doit faire douter de l’intégrité de certains actes
d’épileptiques réputés non aliénés est la facilité qu’ils ont presque tous
à se laisser dominer par la mauvaise humeur, par la colère et par des
instincts regrettables. Étant dominés par une irritabilité excessive, ils ont
des sensations trop vives, qui faussent leur jugement et les empêchent
d’apprécier sainement les actes et les paroles. Il y a sous ce rapport chez
eux une absence d’équilibre, qui les rend insupportables dans leurs fa¬
milles et dans la société.
Lorsque la maladie est confirmée, l’épileptique devient morose, triste,
rêveur, nonchalant; il est par moments irascible et impérieux, et se
laisse trop souvent aller aux plus mauvais penchants, aux instincts les
plus brutaux. Parfois (Italus) ils ont un sentiment intérieur de bien-être
et de satisfaction qui les porte à nourrir de vastes projets ou à concevoir
ÉPILEPSIE. — SYMPTÔMES. 597
des plans irréalisables dans leur triste situation. Aussi l’on peut dire que,
lorsque cette diminution du sens moral et celte mobilité de sentiments et
de caractère sont poussées à l’excès, elles constituent une aliénation
mentale réelle, et doivent être prises en sérieuse considération dans l’ap¬
préciation des actes commis par un épileptique. Peltre a montré que les
modifications dans les mœurs et les habitudes de l’épileptique sont une
conséquence nécessaire de ses rapports sociaux, de sa manière de vivre,
de l’exclusion dans laquelle il est tenu, des obstacles qu’il rencontre à
la réalisation de ses projets de bonheur, d’établissement et d’avenir, et
de l’impossibilité d’avoir une occupation suivie.
Examinés en effet dans un service hospitalier, les épileptiques sont
en général indisciplinables ; ils sont souvent rancuniers, haineux, pol¬
trons. Ils sont très-sensibles aux affronts et peuvent devenir des ennemis
dangereux.
En général, ils ont de l’ordre, de la propreté; entre eux, iis sont servia¬
bles, se secourent les uns les autres lorsqu’ils sont malades et se rendent
mille petits services qui sont évidemment le résultat d’une compassion
réciproque. Ils sont en général indolents et paresseux, et passeraient dans
les asiles leurs journées à jouer aux cartes, à dormir, si on ne les stimu¬
lait pas par l’appât d’un travail lucratif.
Peltre a signalé l’habitude qu’ils ont en général de se coucher sur le
côté, de s’enfoncer sous les couvertures de manière à cacher la tête, et
d’occuper le centre du lit. Ils prennent aussi une position fortement
fléchie en avant que, à Maréville, on appelle se coucher en chien de fusil.
Peltre pense qu’ils prennent cette habitude pour éviter les chutes en bas
du lit.
L'aliénation mentale que l’on observe dans l’épilepsie se présente sous
la forme aiguë et sous la forme chronique ; dans le premier cas, elle peut
précéder ou suivre une attaque, survenir dans l’intervalle des accès, ou
bien remplacer les attaques. La seconde forme se développe à la longue
chez tous les épileptiques, ou préexiste à l’épilepsie sous forme d’idiotie.
1° L’aliénation mentale aiguë qui précède l’attaque, le vertige, consiste
en hallucinations, en illusions de divers ordres (aura intellectuelle). Ces
hallucinations sont quelquefois tellement terrifiantes que les malades
commettent alors, avec une rapidité terrible, des actes entièrement incon¬
scients.
L’attaque convulsive est plus souvent suivie que précédée de folie. Cette
dernière peut se présenter sous forme de manie simple ou manie furieuse,
rabiforme (Edw. Alling), ou bien de simple incohérence, de délire par¬
tiel avec tendance au suicide, à l’homicide et à la pyromanie.
La manie épileptique éclate avec une grande soudaineté; c’est tout au
plus si les malades présentent pendant quelques heures un peu d’hé¬
bétude, d’égarement dans la physionomie, de vague dans l’esprit, de
tristesse et de céphalalgie.
La manie se présente sous deux formes, une forme tranquille et une
forme furieuse. Dans la première, les malades offrent une incohérence
598 EPILEPSIE. — symptômes.
complète, ne reconnaissent pas les personnes qu’ils voient tous les jours,
tutoient tout le monde, sont grossiers, injurieux, mais ne font pas de
mal, et ne se livrent à aucune violence.
Abandonnés à eux-mêmes, ces malades parlent presque continuelle¬
ment, interpellent les personnes qui les entourent, interprètent à contre¬
sens et en mal tout ce qui se passe autour d’eux.
Si on les interroge, leurs réponses ne sont sensées que par éclairs ;
mais, en dehors de ces courts moments lucides, elles sont complètement
extravagantes, et surtout injurieuses. Si on les excitait quelque peu, on
provoquerait de leur part des actes grossiers et violents.
La physionomie de ces malades présente certains caractères qu’il est
bon de connaître ; traits tirés et fatigués, regard égaré, expression d’éton¬
nement, teint jaune; le nombre des pulsations est élevé de 16 à 20, et la
température centrale augmente de 1 degré à peu près.
Dans ces conditions, un accès de manie peut durer dix jours pendant
lesquels le malade ne dort pas un seul instant.
Dans la seconde forme, ou manie furieuse , les malades sont atteints,
le plus ordinairement, après trois ou quatre attaques successives; leur
physionomie exprime une colère mêlée de souffrance; la face est con¬
tractée, jaunâtre ou rouge ; elle est souvent couverte d’une sueur profuse;
l’haleine exhale une odeur fétide, repoussante, fortement ammoniacale.
Ces aliénés se livrent aux violences les plus grandes; déchirent, frappent,
crient, injurient, crachent à la figure, mordent, tuent, et se précipitent
contre tout ce qui les entoure, sous l’influence d’impulsions soudaines qui
ont leur source et leur origine dans des illusions et des hallucinations de
nature terrifiante.
L’existence des illusions et des hallucinations dans la manie épileptique
est un des caractères qui la distingue le mieux de la manie simple où les
hallucinations sont rares.
Ces accès de manie furieuse sont toujours accompagnés de fièvre ; la
température axillaire monte jusqu’à 59 degrés , et la température rectale,
jusqu’à 40 degrés.
J. Falret a dit que l’on pouvait distinguer la manie épileptique de la
manie ordinaire par la ressemblance des actes chez le même malade, non-
seulement dans leur ensemble, mais dans chacune de leurs manifestations.
On observe bien souvent, il est vrai, que les accès de manie simple in¬
termittente se ressemblent exactement entre eux, mais le délire nous
semble loin d’avoir toujours la régularité qu’a notée J. Falret. Cossy a
observé, et je pourrais apporter à l’appui des observations prises à l’hô¬
pital, que le délire était souvent irrégulier.
he délire partiel se présente, avec prédominance d’idées hypochondria-
ques et mystiques, ou sous forme de confusion, de lenteur de conception,
de diminution de la volonté, auxquelles se joignent un sentiment de
crainte vague, des illusions et des hallucinations. Des actes criminels
dont l’individu n’a pas conscience, le suicide, l’homicide, l’incendie, ne
sont que trop souvent la conséquence de ces troubles mentaux.
ÉPILEPSIE. - SYMPTÔMES.
599
Quoique ces phénomènes soient ordinairement transitoires et d’une
durée de quelques jours au plus, j’en ai observé qui ont duré un certain
nombre de mois sous la forme de délire hypochondriaque.
La nature de ces différentes formes de délire a été sujette à bien des
controverses, les uns soutenant, comme Cossy, que ce délire est essen¬
tiellement nerveux; les aulres qu’il dépend de lésions cérébrales. Quant
à moi, je n’hésiterais pas à me ranger parmi ces derniers; les nécropsies
et les observations microscopiques déjà nombreuses que j’ai faites m’ont
appris que tout cerveau d’épileptique présente, dans les parois vascu¬
laires, dans la gangue nerveuse et dans les cellules, des lésions qui ex¬
pliquent suffisamment le désordre mental.
2° Troubles mentaux survenant dans l’intervalle des attaques. — Quel¬
ques rares malades présentent alors du délire aigu . Delasiauve à cité un
cas où la folie survenait sans être précédée de crise. Le délire revêt alors
les caractères tantôt d'une manie furieuse, tantôt d’un délire partiel avec
impulsions violentes.
5“ Troubles mentaux remplaçant des attaques. — Morel, le premier,
a décrit cette variété de folie sous le nom à' épilepsie larvée. Il a montré
que les phénomènes qui la constituent sont l’expression d’une névrose à
forme épileptique existant parfois depuis longtemps à l’état larvé.
Les principaux caractères qui permettent de reconnaître cette forme de
vésanie, sont une excitation périodique suivie de prostration et de
stupeur, l’irascibilité excessive et sans motifs, la manifestation d’actes
agressifs ayant le caractère de l’instantanéité et de l’impulsion irrésistible,
les tendances à l'homicide et au suicide, des hallucinations terrifiantes,
la sensati.on d’une atmosphère lumineuse.
Il est arrivé quelquefois que de semblables accès de folie ont été
précédés d’absences, de vertiges ; mais, le plus souvent, tout phénomène
épileptique antérieur a été méconnu, ou bien le délire a été la première
manifestation de la maladie. Cette forme de troubles mentaux peut encore
se produire chez un individu reconnu épileptique depuis un assez long
temps. On voit, en effet, quelquefois, des malades qui, à l’époque où ils
devraient avoir leur attaque ou leur série d’attaques, sont pris de manie
furieuse. J’ai observé deux faits de ce genre dans mon service.
Troubles mentaux définitifs. — Le premier trouble qu’amène le mal
comitial, est la diminution de la mémoire, de l’attention , de l’énergie
morale, etc. La diminution de la mémoire porte sur les dates, les mots,
les signes représentatifs des idées, et amène l’impossibilité de parler
correctement; les actions deviennent enfantines, elles se répètent sans
cesse; quelques-uns de ces malades prononcent quelques mots toujours
identiques; la pudeur est absente, et ces individus se livrent, le plus
souvent, avec frénésie, à l’onanisme.
J’ai vu de ces malades qui en étaient arrivés à avoir de l’embarras de la
parole, des idées de grandeur et de richesses, et chez lesquels les lésions
cérébrales étaient celles de la paralysie générale. L’état de torpeur, de
stupeur, dans lequel tombent ces malheureux, est ordinairement traversé
600 ÉPILEPSIE. — COMPLICATIONS.
par des moments d’agitation furieuse, consécutive le plus souvent à des
attaques.
Chez l’enfant en bas âge, l’épilepsie peut amener, non pas la démence,
puisque la démence suppose la perte de notions autrefois possédées, mais
bien l’idiotie, qui suppose que l’intelligence ne s’est pas développée ou
s’est oblitérée de bonne heure.
L’association de l’idiotie et de l’épilepsie chez un malade, ne signifie
donc pas que le haut mal est symptomatique de lésions cérébrales qui
auraient produit antérieurement l’épilepsie ; elle veut encore moins dire
que l’épilepsie est incurable; mais il faut savoir que le développement de
l’épilepsie, chez un enfant de 1 an à 5 ans, peut suspendre en lui le
fonctionnement sensoriel et intellectuel, supprimer même le langage et
lui donner toutes les apparences de l’idiotie congénitale antérieure à
l’épilepsie, tandis que cette oblitération des sens, de l’intelligence et de la
parole n’est que le résultat du haut mal.
J’ai vu un certain nombre d’enfants ainsi atteints; et j’ai été assez
heureux, chez quelques-uns, pour guérir l’épilepsie, faire disparaître
l’idiotie, et même pour leur rendre la parole, et, chez d’autres, pour
améliorer notablement l’intelligence.
Complications. — L’épilepsie se complique parfois de lésions spi¬
nales et cérébrales.
Les lésions spinales, qui consistent en épaississement méningitique dans
la moitié postérieure de la moelle, en granulations fines, disséminées dans
la méninge, en plaques fibro-cartilagineuses et même osseuses attachées
au feuillet interne de l’arachnoïde, en dégénérescence grise du bulbe au
niveau des olives, en sclérose disséminée de la moelle et en induration
des olives, se traduisent pendant la vie par des phénomènes qui ne sont
pas assez connus, douleurs rachidiennes ou sur le trajet des nerfs, élan¬
cements dans un membre, hyperesthésie, ataxie. J’ai vu plusieurs épilep¬
tiques chez lesquels une pression modérée au niveau des vertèbres cervi¬
cales, des apophyses mastoïdes, des angles des maxillaires inférieurs,
amenait des accès incomplets caractérisés par de la rougeur de la face, du
vertige, des secousses cloniques de la tête, du cou, du thorax et des mem¬
bres supérieurs.
Quelques malades ont des fourmillements en des points du corps les
plus divers qui pourraient se rapporter aussi bien à des troubles péri¬
phériques des vaso-moteurs qu’à des lésions spinales.
Les lésions cérébrales, qui consistent en méningite, adhérences avec
la substance corticale, méningite suppurée, congestion, exsudation san¬
guine, foyers hémorrhagiques, dégénérescence granulo- graisseuse de
la substance corticale par places, en sclérose, se caractérisent pendant
la vie par de la démence, de l’ataxie de la parole, de l’agitation, des con¬
ceptions délirantes, des lésions de sensibilité et de motilité transitoires
ou persistantes. Dans quelques cas, j’ai vu des attaques répétées ame¬
ner un état comparable à une chorée, accompagné de sauts, et telle¬
ment prononcé, que trois ou quatre personnes suffisaient à peine à
ÉPILEPSIE. - ÉTIOLOGIE.
601
maintenir le malade et à emp.;cher des secousses d’une violence extrême.
Certaines épilepsies se compliquent aussi parfois d’un état que l’on a
appelé chorée électrique, dans lequel le corps du malade est parcouru
par des frissons, des tremblements fins, qui ne lui laissent aucune trêve
pendant plusieurs heures, quelquefois plus d’un jour. Ce tremblement
présente des moments de recrudescence, et est entièrement comparable
aux secousses que détermine un courant électrique dans la peau, dans les
muscles.
Étiologie. — L’épilepsie peut être produite par des causes prédispo¬
santes, efficientes, ou bien elles ne se rattache à aucune cause appré¬
ciable.
I. Causes prédisposantes. — L’hérédité de l’épilepsie est un fait con¬
testé par un petit nombre d’auteurs, mais avéré par la plupart ; l’épi¬
lepsie acquise est même héréditaire; c’est ce qu’ont établi des expériences
intéressantes de Brown-Séquard, d’où il résulte que des cabiais, rendus
expérimentalement épileptiques, peuvent procréer des petits qui seront
épileptiques. Si l’épilepsie acquise peut se transmettre par hérédité, à plus
forte raison cela est possible pour l’épilepsie héréditaire. Du reste, cette
opinion à déjà été affirmée par Boerhaave : « L’épilepsie peut être hé¬
réditaire et tenir à l’influence du père et de la mère, ou même des grands
parents, la maladie manquant souvent chez le père, mais se transmettant
du grand-père au petit-fils. » Malgré cette autorité, l’opinion contraire à
été soutenue par Maisonneuve, Leuret et Lelasiauve; mais Portai, Bou¬
cher et Cazauviehl, Beau, Esquirol, flerpin. Moreau (de Tours), Trous¬
seau, regardent l’épilepsie comme héréditaire, et la considèrent même
comme puisant sa source dans d’autres névroses, telles que l’hystérie, la
folie et dans des affections générales constitutionnelles.
L’observation m’a conduit aux mêmes résultats; c’est ainsi que, sur 95
épileptiques, 12 avaient des antécédents scrofuleux et tuberculeux francs,
12 avaient des ascendants morts d’alcoolisme chronique, ou sujets, avant
leur mariage, à des habitudes alcooliques invétérées. J’ai pu m’assurer
deux fois que la conception avait eu lieu en état d’ivresse. Parmi le reste
des 95 malades, 41 avaient des antécédents névrosiques, tels que hystérie,
chorée, affections que l’on voit parfois se produire alternativement chez le
même individu ; aussi on pourrait dire que ce sont les modalités diverses
d’un même état maladif : c’est ce que Villard a démontré par des faits très-
précis. On doit aussi se demander dans quelle proportion les enfants sont
frappés dans une famille épileptique. Des observations qui me sont per¬
sonnelles il résulte que 17 ménages dans lesquels le père ou la mère sont
épileptiques ont donné naissance à 55 enfants; et que, sur ce nombre,
16 sont épileptiques ou sont morts de convulsions.
Quant à l’influence presque exclusive du père, mise en avant par
Esquirol et répétée par Trousseau , elle n’est pas aussi absolue que
l’ont dit ces auteurs; l’alcoolisme mis à part, le père et la mère ont
une influence égale.
602 ÉPILEPSIE. — ÉTIOLOGIE.
Ach. Fovillc fils a aussi conclu de ses recherches que des parents épi¬
leptiques courent le danger de perdre en bas âge une proportion considé¬
rable de leurs enfants ; que parmi les survivants un quart environ seront
atteints d’épilepsie; que plusieurs seront aliénés; que l’épilepsie aura
beaucoup plus de tendance à se reproduire chez les descendants du même
sexe que l’ascendant malade, que chez ceux du côté opposé.
L’épilepsie congénitale ou connée a été quelquefois confondue à tort
avec l’épilepsie héréditaire. H y a pourtant de notables différences, car
l’épilepsie congénitale dépend, non pas d’un germe héréditaire, mais
d’accidents survenus pendant la vie intra-utérine (contusions, chutes,
impressions vives).
J’ai vu plusieurs cas où l’épilepsie paraissait bien causée par une peur
éprouvée par la mère pendant la grossesse.
La femme est plus exposée à contracter l’épilepsie, si l’on en juge par
la population de Bicêtre et de la Salpêtrière.
Aucun âge ne met à l’abri de l’épilepsie, mais certaines périodes de
la vie fournissent une plus grande somme de cas ; ainsi la première en¬
fance, la puberté, l’adolescence.
L’homme adulte et le vieillard sont moins exposés; il semble que la
fréquence de la maladie décroisse avec la diminution de l’excitabilité,
avec l’affaiblissement des actions vitales qui se passent dans les cellules
dévolues aux actions réflexes. Aussi l’on peut dire que certaines convul¬
sions, surtout celles de l’enfance et de la convalescence, sont le résultat
de l’exagération de l’état fonctionnel d’éléments nerveux, et que cette exa¬
gération cesse après un certain âge, comme bien d’autres actes ultra-
fonctionnels. Je reviendrai, du reste, sur ce point de pathogénie, quand
je parlerai de la nature de l’épilepsie.
Le tempérament joue un grand rôle dans la prédisposition à l’épilepsie;
le mal caduc se produit, en effet, souvent sans causes héréditaires, mais
par une cause occasionnelle morale, souvent légère, chez les individus
pourvus d’une grande exaltation de la sensibilité. Lorsque l’on a connu
ces malades dans leur enfance, avant que le mal se fût développé, on les
voyait tapageurs, indociles, remuants, très-sensibles, se laissant aller à
des accès de colères suffocantes, pâlissant dans leurs moments de mau¬
vaise humeur, faisant des mouvements saccadés, brusques. Leur appa¬
rence est faible, leur physionomie un peu triste. J’ai noté plusieurs fois
que des épileptiques avaient été tellement peureux dans leur enfance-ct
leur jeunesse, qu’on ne pouvait les laisser seuls dans une chambre obscure
un seul moment, et, à plus forte raison, les y envoyer. Ce symptôme
peur s’était conservé depuis qu’ils étaient épileptiques.
Axenfeld a remarqué que l’état cachectique produit par la misère, par
les excès, par les pertes considérables de liquides (hémorrhagies, flux in¬
testinaux, salivation, leucorrhée, pertes séminales, sueurs copieuses,
suppurations abondantes), ou déterminé par des maladies générales qui
altèrent profondément les fonctions nutritives (syphilis, scrofules, bu¬
bons), prépare quelquefois le développement de l’épilepsie.
ÉPILEPSIE. — ÉTIOLOGIE. 603
L’influence des climats et des saisons est, de l’avis de la plupart des
auteurs, peu connue jusqu’ici.
On n’a guère, en fait de documents statistiques certains, que ceux de
Jos. Frank, qui, ayant observé en Lithuanie, où le climat est rigoureux,
plus d’épileptiqiies qu’en Allemagne, conclut que l’épilepsie est plus fré¬
quente dans les pays froids.
Mes observations personnelles à l’hôpital et en ville ne m’ont pas fait
remarquer de différence dans le nombre des attaques l’été ou l’hiver.
II. Causes efficientes. — Beaucoup d’auteurs ont divisé l’épilepsie en
idiopathique, symptomatique et sympathique. Quoiqu’il ne soit pas tou¬
jours possible de faire rentrer tous les cas d’épilepsie dans une de ces trois
catégories, j’adopterai cette classification, qui est le plus fréquemment
conforme à l’observation.
1“ J’appelerai idiopathique l’épilepsie dont les causes prédisposantes
sont le plus souvent une grande impressionnabilité, une exaltation de la
sensibilité, ce qu’on appelle un tempérament nerveux, dont les causes
efficientes sont des émotions morales pénibles, de la peur, l’onanisme,
des excès vénériens. Né avec ces prédispositions, un individu devient
épileptique sous l’influence de ces causes efficientes, aussi bien, du reste,
qu’il serait devenu choréique et même hystérique.
Telle est l’épilepsie idiopathique, dont la raison intime est une exagé¬
ration de la force excito-motrice de la moelle, exagération dynamique
qui se produit d’abord au moment d’une émotion vive par des mou¬
vements involontaires de la face et des yeux, des troubles de la respira¬
tion et de la phonation, des changements de coloration du visage, puis
qui se généralise après avoir commencé par être localisée dans les mus¬
cles animés par les nerfs moteurs dont l’origine est voisine du lieu d’ex¬
citation médullaire. (Foville.)
2° L’épilepsie symptomatique est celle qui se lie à quelque lésion de
l’axe cérébro-spinal.
Un certain nombre d’auteurs n’admettent pas que l’on donne le nom
d’épilepsie aux convulsions déterminées par des altérations matérielles
et veulent qu’on n’applique à ces accès convulsifs que le nom d’épilepti¬
formes. Cette opinion offre les plus grands inconvénients sous plusieurs
points de vue que je crois bon pour la pratique d’aborder; et, d’abord, il
est quelquefois impossible de savoir si un épileptique, à moins de con¬
naître chez lui un état antérieur d’idiotie, est atteint de lésions qui
causent sa maladie ; l’état de mal est en effet le même lorsqu’il y a lé¬
sion ou lorsqu’il n’y en a pas; aucun signe ne différencie l’attaque
d’épilepsie dans les deux cas. J’ai vu souvent des médecins s’appuyer à
tort sur l’unilatéralité des convulsions pour affirmer l’existence de lé¬
sions et l’incurabilité. Toutes les formes possibles d’états épileptiques
s’observent dans le cas d’épilepsie symptomatique et idiopathique. Le
vertige, l’absence même, s’ajoutent quelquefois aux attaques convulsives
dans le cas de tumeurs cérébrales.
En second lieu, le trouble de l’intelligence peut être si profond dans
604
ÉPILEPSIE. — ÉTIOLOGIE.
l’épilepsie idiopathique confirmée, que l’on soit amené à considérer cette
dégradation mentale comme antérieure à l’épilepsie, tandis qu’elle ne
lui est que consécutive.
En troisième lieu, j’ai fait l’autopsie d’un assez grand nombre d’épi¬
leptiques qui avaient été considérés comme atteints de haut mal idiopa¬
thique, et cependant il existait des altérations diverses ; ainsi, dans un
cas tout récent, le pédoncule cérébral gauche était surmonté d’une tu¬
meur hypertrophique du volume d’une noisette.
En résumé, il me paraît impossible, en présence d’un épileptique, de
savoir d’une façon indubitable s’il a ou s’il n’a pas des lésions de l’axe
cérébro-spinal antérieures à sa maladie, d’autant plus que, dans l’épi¬
lepsie idiopathique confirmée, il se fait assez fréquemment des lésions
secondaires qui produisent elles-mêmes le retour d’attaques convul¬
sives.
Parmi les épilepsies symptomatiques, il faut aussi classer celles qui sont
le résultat de l’introduction dans l’organisme de l’alcool, du mercure,
du plomb (épilepsie alcoolique, mercurielle, saturnine).
A ce sujet, plusieurs auteurs soutiennent que l’épilepsie causée par
les alcooliques, l’absinthe, le plomb, n’est pas l’épilepsie, mais que
l’on a affaire dans ces cas à des convulsions épileptiformes, et que
les expressions épilepsie saturnine, alcoolique, doivent être bannies du
langage médical. Il y a lieu de faire remarquer que cette expression de
convulsions épileptiformes est très-juste dans les premiers temps dé l’ac¬
tion toxique irritative, mais qu’elle cesse de l’être plus tard. L’observa¬
tion montre, en effet, qu’un grand nombre desindividus atteints de la sorte
ne cessent pas d’avoir par intervalles des convulsions, alors même que les
causes toxiques ont été supprimées tout à fait.
L’agent morbide primitif a lai.ssé dans l’organisme un état irritatif qui
force l’observateur, en l’absence de toute cause déterminante nouvelle,
à reconnaître que c’est bien à l’épilepsie que l’on a affaire ; qu’il a de¬
vant lui le mal chronique et non plus l’accident aigu qu’avait produit
une intoxication. Les services d’épileptiques renferment nombre de ma¬
lades dont la maladie ne s’est pas produite autrement.
Quant à la prétendue influence presque absolue des liqueurs d’absinthe
sur les convulsions, il faut se garder de l’admettre à l’exclusion complète
du vin, de l’eau-de-vie, du cidre, du poiré : toutes ces boissons peuvent
donner lieu à des convulsions et partant à l’épilepsie.
L’éclampsie urémique des femmes enceintes doit être rangée dans la
même catégorie d’épilepsie symptomatique, lorsqu’elle survient chez une
femme antérieurement atteinte d’épilepsie.
La scrofule doit aussi être considérée comme une des causes de l’épi¬
lepsie symptomatique. Si on étudie en effet cette diathèse au milieu d’une
population de jeunes épileptiques, on observe des enfants qui présentent
tous les caractères de la scrofule, et qui, sans autre cause appréciable,
sont devenus et restent épileptiques, malgré les traitements les plus di¬
vers employés contre le haut mal. La cause de l’épilepsie serait alors si-
605
ÉPILEPSIE. — ÉTIOLOGIE,
tuée, d’après Jos. Frank, dans les glandes du mésentère, dont l’altéra¬
tion agirait sur les plexus mésentérique et cœliaque.
Dans certains cas de diathèse scrofuleuse, l’épilepsie est le résultat de
tumeurs de nature strumeuse occupant un point de la base du cerveau.
On observe encore chez les enfants un certain nombre de cas dans les¬
quels la maladie ne paraît pas , avoir d’autre étiologie que le rachitisme.
Ces enfants ont le sternum dit en carène, le thorax étroit, la tête grosse,
le front proéminent, parcouru par des veines saillantes.
Un état d’anémie profonde peut aussi produire et entretenir l’épi¬
lepsie. Delasiauve rappelle avec raison que les chevaux, soumis acciden¬
tellement à une diète trop prolongée, sont exposés à une espèce d’épi¬
lepsie, la faim-valle, qui ne guérit que par la cessation de l’abstinence.
La syphilis peut aussi déterminer l’épilepsie la mieux caractérisée
comme attaques convulsives et comme vertiges. J’ai soigné récemment
une dame qui était atteinte, depuis un certain temps, d’absences, de
vertiges précédés d’auras, et qui guérit par l’iodure de potassium en
l’espace d’un mois.
La syphilis secondaire détermine assez fréquemment chez les femmes
une épilepsie transitoire.
L’épilepsie est une complication assez fréquente de l’idiotie, et est,
dans ce cas, le plus souvent, produite par des lésions de nature scléreuse
de la substance cérébrale et des produits de nouvelle formation des mé¬
ninges, etc.
Briand a observé deux cas d’épilepsie traumatique consécutive à du
traumatisme des extrémités.
Les lésions traumatiques du cerveau, de ses enveloppes et même des
os du crâne, ont produit parfois l’épilepsie. C’est ainsi que j’ai vu un
jeune homme atteint à deux ans et demi de fracture grave de l’occiput,
et affecté depuis d’épilepsie et d’atrophie du membre supérieur gauche.
Les maladies diverses du cerveau et de la moelle épinière, les tumeurs
cérébrales, peuvent être de même des causes d’épilepsie.
De même encore les fièvres cérébrales de l’enfance, les méningites,
engendrent des produits plastiques, des collections séreuses qui sont des
causes occasionnelles.
L’épilepsie spinale, ainsi désignée par J. Frank et décrite pour la pre¬
mière fois par Harlen, peut se produire dans les circonstances que je
viens d’énumérer, ainsi que par sclérose en plaques disséminées.
Dans ces dernières conditions, l’épilepsie spinale peut revêtir deux for¬
mes : l’une tonique, constituée par de légères secousses tétaniformes, que
l’on détermine très-facilement, soit par le sirnpie toucher, soit par la
flexion du pied sur la jambe, soit par la constriction d’un membre infé¬
rieur, soit par le serrement du tendon sus-rotulieii. J’ai vu, à la Salpê¬
trière, dans les services de Charcot et de Vulpian, plusieurs de ces ma¬
lades, et j’en ai observé deux cas.
Une autre variété d’épilepsie spinale-, qui se présente, comme la précé¬
dente, sous les formes tonique et clonique, est en rapport avec une mé-
606 ÉPILEPSIE. — ÉTIOLOGIE.
ningite spinale caractérisée anatomiquement par une innombrable quan¬
tité de petites saillies presque transparentes, du volume de grains de
millet, donnant au toucher la sensation de langue de chat, et situées
soit sur la face antérieure, soit sur la face postérieure de la moelle.
Dans le premier cas, les attaques ont toujours été tétaniformes, et, dans
le second, cloniques.
L’épilepsie spinale a pu encore être produite par des altérations diverses
de la colonne vertébrale qui avaient amené une compression du cordon
médullaire.
5“ Épilepsie sympathique. — Lorsqu’une cause excitante quelconque
produit l’épilepsie en agissant sur l’axe cérébro-spinal, par l’intermédiaire
d’un nerf sensitif ou du grand sympathique, l’épilepsie est dite réflexe ou
sympathique.
Le trijumeau est un des nerfs sensitifs dont l’irritation produit le plus
souvent le haut mal ainsi, chez un épileptique de Bicêtre, l'affection a
été déterminée par le séjour prolongé d’un morceau de verre sous le
cuir chevelu de la région temporale droite, et a persisté depuis, malgré
l’ablation du corps étranger.
Sauvages a signalé comme causes les insectes qui se logent dans les
sinus des narines. Legrand du Saulle a observé un cas très-probant d’hys-
téro-épilepsie produite par des vers qui s’étaient établis dans les sinus
frontaux.
La dentition est une des causes les plus fréquentes d’épilepsie sym¬
pathique ; nombre d’enfants qui ont eu des convulsions dentaires restent
épileptiques.
J’ai donné des soins à un individu qui était atteint depuis deux ans
d’une névralgie intercostale et faciale droite compliquée depuis deux
mois de tics palpébraux, d’absences, d’étourdissements, et chez le¬
quel une simple pression douloureuse au niveau de l’angle inférieur du
maxillaire droit m’a permis de déterminer à plusieurs reprises des con¬
vulsions dans les muscles du cou, de la face au même côté, et un étour¬
dissement passager, suivi de rougeur de la figure. L’état du malade empi¬
rait depuis .six mois, et il était évident que la névralgie du maxillaire
inférieur menait infailliblement cet individu à l’épilepsie confirmée.
L’électrisation avec des courants constants (15 à 20 éléments), au ni¬
veau des parties douloureuses, a fait cesser ces phénomènes, Fieber est
arrivé aux mêmes résultats avec les courants constants dans les cas où
Éépilepsie est liée à des névralgies trifaciales.
Il faut absolument rapprocher de ces cas d’épilepsie produits par les
excitations morbides du trijumeau le vertige que déterminent des lésions
de l’oreille interne (Ménière); l’examen des organes de l’ouïe est impor¬
tante à faire chez tout épileptique, et peut mener à des résultats théra¬
peutiques.
Je voyais récemment une jeune fille dont l’épilepsie a suivi de très-
près une affection des deux oreilles internes, caractérisée par des dou¬
leurs d’une acuité extrême, par une surdité presque absolue.
ÉPILEPSIE. — ÉTIOLOGIE. 607
L’influence des excitations morbides des nerfs spinaux sur l’épilepsie
n’est pas assez suffisamment prouvée par l’observation pour qu’on puisse
rien affirmer de précis à cet égard, mais pourtant si l’on considère les
expériences de Brown-Séquard, les effets de la section d’un nerf scia¬
tique et les observations de guérison après ablation de tumeurs qui
étaient sur le trajet de nerfs spinaux,, on comprend que l’épilepsie sym¬
pathique soit possible dans des conditions analogues.
Le nerf grand sympathique joue un rôle considérable dans l’épilepsie
réflexe. En effet, les impressions mêmes des organes auxquels se distri¬
bue le grand sympathique peuvent à leur tour, en se propageant à la
moelle ou à l’encéphale, déterminer la réaction de parties animées par
les nerfs cérébro-rachidiens; ainsi les irritations du canal intestinal,
chez les enfants, déterminent des convulsions; un calcul engagé dans
l’uretère détermine des vomissements, etc. ; Müller, en pinçant le nerf
grand splanchnique au moment où, après avoir traversé le ganglion semi-
lunaire, il se distribue dans les intestins, a observé sur des lapins des
contractions des muscles abdominaux.
Les renseignements que l’on peut obtenir des épileptiques démon¬
trent du reste pleinement que les organes qui reçoivent des filets gan¬
glionnaires sont fréquemment le point de départ et la cause du mal
comitial. Il en est ainsi pour l’estomac dans un certain nombre de cir¬
constances, dans le cas d’indigestion par exemple, chez l’enfant surtout;
pour l’intestin lorsqu’il renferme des vers (oxyures, tænia).
Dans un cas récent (Duncan), un jeune enfant de cinq ans a été guéri
du mal caduc par l’extraction d’un calcul vésical enchatonné.
Les nombreux rapports du grand sympathique avec les organes géni¬
taux internes, par les plexus spermatiques ovariques et les filets que le
plexus hypogastrique fournit au canal déférent, au vagin, à l’utérus
et à l’ovaire, expliquent comment la menstruation, la copulation et l’ona¬
nisme exercent une si fâcheuse influence sur l’épilepsie.
Le haut mal débute en effet souvent avec la menstruation, ou bien,
s’il existait auparavant, il est aggravé par cette fonction nouvelle; ainsi
telle personne qui, avant les règles, avait des absences, des vertiges, a
sa première attaque quelque temps après l’apparition du flux cataménial.
Le mariage aggrave toujours la maladie, et la copulation exerce une
action des plus funestes sur les épileptiques : ainsi une dame qui, avant
le mariage, avait des absences, a été prise depuis d’attaques convulsives,
et ces attaques surviennent toujours quelques heures après un rappro¬
chement sexuel. Je sais bien que la continence a été accusée d’entre¬
tenir la maladie, mais des expériences faites à Bicêtre par un de mes ho¬
norables prédécesseurs ont démontré les dangers de la copulation. Aussi
on ne saurait trop s’élever contre l’opinion des médecins qui conseillent
le mariage comme moyen de guérison de l’épilepsie.
Il nous paraît résulter de cet exposé que le mal comitial peut être le
résultat d’irritations ressenties par le grand sympathique viscéral. Des
irritations portant sur les filets du grand sympathique qui accompagnent
ÉPILEPSIE. — ÉTIOLOGIE.
les artères peuvent aussi déterminer le mal comitial ; l’épilepsie est dite
alors vaso-motrice. Un exemple intéressant en a été donné par Bernhardt
(de Kœnigsberg) : un homme vigoureux jusqu’alors ressentit, aussitôt
après avoir eu les pieds humides, du fourmillement à ta cheville du
pied droit. Il s’y produisit de suite de la pâleur et une crampe dans
les muscles de la partie antérieure de la jambe. Aussitôt le malade
perdit connaissance pendant un quart d’heure, les yeux devinrent
fixes, de l’écume sortit de la houche. Un deuxième accès survint bien¬
tôt, puis d’autres en grand nombre précédés chaque fois de la sensa¬
tion malléolaire.
Dans cette variété d’épilepsie, il est à noter que les parties où le ma¬
lade ressent des fourmillements et souvent une sensation de froid, pré¬
sentent un abaissement de température et une diminution de sensibilité.
C’est ainsi que les malades ont dans ces points 4 à 5 degrés de chaleur
de moins qu’ailleurs.
En dehors de ces causes organiques que nous venons d’énumérer, il
est un autre ordre de causes qui jouent un grand rôle dans l’épilepsie.
On peut dire que tout phénomène extérieur plus ou moins extraordi¬
naire, toute impression, toute excitation de la sensibilité générale des
sens, tout écart de régime, toute fatigue exagérée, tout excès, surtout
alcoolique, absinthique, toute émotion est apte à provoquer le retour
d’attaques chez un individu en puissance d’épilepsie.
L’influence des phases lunaires a été diversement interprétée par les
auteurs anciens et modernes, mais cette croyance n’a pas résisté à des
observations bien faites par Leuret, Delasiauve.
L’état hygrométrique n’a pas non plus la moindre influence.
Quant à l’état électrique, j’ai pu me rendre compte de son aciion pen¬
dant le tremblement de terre de Paris, qui en septembre 1866 a été ac¬
compagné de perturbations électriques si manifestes. Je me suis assuré
que le nombre des attaques chez les adultes et les enfants de mon ser¬
vice à Bicètre n’a nullement été modifié pendant les jours qui ont pré¬
cédé et suivi ce phénomène terrestre, pas plus que pendant les quelques
heures qui l’ont accompagné.
Il est encore un point d’étiologie qu’il serait très-intéressant d’éluci¬
der, c’est l’influence de la nuit et du jour; pourquoi tel malade n’a-t-il
jamais d’attaques que le jour, tel autre la nuit seulement ; pourquoi tel
autre malade, dont on arrive à supprimer les attaques diurnes, conti¬
nue-t-il, malgré tout, à en avoir de nocturnes ; comment aussi se fait-il
que l’intelligence des épileptiques à accès nocturnes soit bien moins
atteinte que chez les épileptiques à accès diurnes? est-ce parce qu’un
sommeil réparateur suit les accès? est-ce parce qu’ils sont pris pendant
le sommeil ? J’ai essayé de m’éclairer sur quelques-uns de ces points ,
j’avais pensé que chez des malades atteints seulement d’accès nocturnes,
la position horizontale était la cause occasionnelle : une disposition pres¬
que verticale du lit n’empêcha pas les accès de se reproduire.
On peut encore se demander pourquoi tel malade a toujours ses accès
ÉPILEPSIE. - ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 609
au même moment de la journée ou à peu près. C’est ainsi que je donne
des soins à un jeune homme qui n’a jamais d’attaques que peu de minutes
après qu’il est sorti de son lit.
Le passage trop brusque de l’abstinence, ou d’une alimentation in¬
suffisante à une nourriture forte pourrait (Russell Reynolds) provoquer
l’épilepsie par suite d’une stimulation exagérée. C’est ainsi qu’on pour¬
rait expliquer l’épilepsie chez ces dix-huit matelots naufragés qui, re¬
cueillis après avoir passé sept jours sur un rocher dans l’abstinence la
plus absolue, devinrent l’objet des plus grands soins, mais furent tous
frappés d’épilepsie dans l’espace de quelques semaines.
C’est ainsi également que j’ai observé un fait qui semblerait appuyer
l’opinion de R. Reynolds. Un enfant devint épileptique à l’âge de treize
mois, six semaines après avoir été ramené de chez une nourrice qui le
laissait mourir de faim, dans un état de maigreur indicible. Ses parents
lui avaient donné sans transition une alimentation très-forte, que l’on
pourrait mettre en cause, en l’absence de toute action diathésique ou
héréditaire.
11 est enfin une théorie toute chimique de l’épilepsie qui a été donnée
par- Paulet ; Paulet pense que la cause prochaine de l’épilepsie est une
altération spéciale du sang, caractérisée par la présence insolite d’une
certaine proportion de carbonate d’ammoniaque; les observations qu’il a
données sont intéressantes en ce qu’il a pu constater l’alcalescence de
l’urine plusieurs heures avant les attaques épileptiques.
Je ne crois pas que l’on puisse généraliser ces faits ainsi que voudrait
l’établir Paulet. On rencontre bien en effet du carbonate d’ammoniaque
en excès dans l’urine d’épileptiques, mais c’est ordinairement après les
attaques et surtout lorsqu’il en est survenu un grand.nombrc; cet excès
de carbonate dans l’urine est alors dû à la fièvre que détermine l’état
de grand mal, et il a son analogue dans l’haleine fortement ammoniacale
de ces malades.
Anatomie pathologique. — L’anatomie pathologique de l’épilepsie
a été, jusqu’en ces dernières années, une des questions les plus obscures
de la médecine; l’honneur revient à Marshall-Hall d’avoir, en éclairant la
pathogénie, dirigé dans la vraie voie les recherches anatomo-pathologiques.
Aussi, il n’est plus possible aujourd’hui de poser en règle générale,
comme l’a fait Foville père en 1851 , « que les résultats de l’anatomie pa¬
thologique des épileptiques affectés d’attaques simples sont négatifs. »
Cette proposition n’est exacte que dans le cas d’épilepsie essentielle ré¬
cente, mais elle est contredite par l’observation, dès que la maladie a une
certaine durée.
Parmi les altérations que l’on rencontre chez les épileptiques, les unes
sont la conséquence de la mort pendant les attaques, les autres sont déter¬
minantes du haut mal.
Les lésions secondaires sont les plus nombreuses et ne sont pas les
moins importantes, puisqu’elles montrent quelles sont les régions de l’axe
cérébro-spinal sur lesquelles retentit le mal comitial.
6i0 . ÉPILEPSIE. - ANATOMIE patholôgiqde.
I. Altérations qui sont la conséquence de l’attaque. — L’attaque
d’épilepsie elle-même et à plus forte raison une série d’attaques qui se
reproduisent à court intervalle de temps déterminent des modifications
des centres nerveux et d’autres organes qui sont parfaitement apprécia¬
bles lorsque l’individu meurt en état de mal. Les centres nerveux, cer¬
veau, moelle et méninge, présentent une congestion considérable qui est
de nature différente suivant que l’individu a succombé à une attaque isolée
ou à une série d’attaques non interrompues.
Dans le premier cas, la congestion est toute veineuse, et produite par
l’obstacle au retour du sang vers le cœur qu’amène l’état tétanique des
muscles du cou. On trouve alors les sinus de la dure-mère gorgés de
sang, les veines des méninges dilatées principalement au niveau du cervelet,
de la protubérance, du bulbe, surtout au niveau du bec du calamus et dans
l’épaisseur du bulbe, dans l’espace interpédonculaire, dans les corps
rhomboïdaux; on voit une augmentation de volume du cervelet, une
teinte lie de vin, des taches ecchymotiques diffuses sur plusieurs points
des méninges cérébrales.
Le cadavre présente en outre les caractères de la mort par asphyxie :
c’est-à-dire de petites taches purpurines à la surface de la substance corti¬
cale cérébrale, à la surface du cœur et des poumons, dans le médiastin,
et même sur le mésentère.
L’attaque d’épilepsie a déterminé parfois la mort par rupture du cœur.
Schort en a observé un cas et Lunier deux. Dans ces trois cas, il n’exis¬
tait aucune lésion antérieure du cœur et la rupture dut être attribuée
à la gêne apportée à la circulation par l’attaque et aux efforts violents
faits par les ventricules pour repousser le sang dans les artères comprimées
et engouées.
D’ordinaire, dans ces conditions, le cadavre présente les traces d’une
éjaculation de sperme, qui a pu, dans un cas que j’ai observé, être pro¬
jeté jusqu’au menton.
Lorsque la mort est survenue à la suite d’une série d’attaques non
interrompues, les lésions sont d’autant plus intenses que-les accidents
ont été plus prolongés. Les méninges cérébrales et cérébelleuses sont alors
épaissies, très-congestion nées, elles ont perdu leur transparence; dans
l’espace interpédonculaire et le long des scissures, elles sont infiltrées de
sérosité sanguinolente; le long des sillons, des scissures et des vaisseaux,
apparaissent des tramées opalescentes.
La trame cérébrale et cérébelleuse elle-même est fortement conges¬
tionnée, les vaisseaux des corps rhomboïdaux sont turgides, la teinte des
folioles du cervelet est lie de vin. J’ai vu plusieurs fois le cervelet nota¬
blement tuméfié et comme dodu ; le diamètre antéro-postérieur était aug¬
menté de 2 à 5 centimètres et porté jusqu’à 8 centimètres. La face anté¬
rieure du quatrième ventricule présente une couleur grise, un état œdéma¬
teux, des vaisseaux turgides et un grand nombre de houppes vasculaires.
Sectionné, le bulbe présente une hypérémie considérable, une coloration
gris cendré de sa substance grise.
ÉPILEPSIE. — anatomie pathologique. ' Cil
La protubérance annulaire participe à cette congestion surtout dans les
parties qui sont en rapport avec les pyramides antérieures, les pédoncules
moyens.
L’examen microscopique du tissu nerveux donne des résultats en rapport
avec ces altérations ; accumulation de globules de sang dans les capillaires,
épanchements de sang en grand nombre.
Lorsque les convulsions ont prédominé dans la sphère d’action de tel
ou tel nerf moteur, l’inspection du bulbe présente quelques particula¬
rités intéressantes qu’a fait ressortir, le premier,, Schroeder van der Kolk.
Ainsi chez l’épileptique qui se mord la langue, les vaisseaux bulbaires
sont turgides et distendus autour des origines réelles des nerfs hypoglosses.
Du reste, tous les vaisseaux bulbaires participent tous plus ou moins à cet
état de turgescence et de distension ; on en trouve autour des corps oîivaires,
au milieu des racines du spinal, du nerf vague, sur le raphé médian. Le
diamètre de ces capillaires est sensiblement augmenté, puisque Schroeder
van der Kolk l’a trouvé de 0”‘“,31 autour des racines de l’hypoglosse au
lieu de 0““,01 ; de autour des corps olivaires au lieu de 0™,05;
cet auteur a montré aussi que ces vaisseaux sont entourés d’une exsudation
albumineuse ; que leurs parois s’épaississent et que secondairement les
éléments nerveux tombent en dégénérescence granulo-graisseuse. Ces
recherches ont été confirmées.
II. Altérations déterjunantes. — Les altérations que l’on peut consi¬
dérer comme déterminantes de l’épilepsie sont les unes immédiates, les
autres éloignées.
1“ Altérations immédiates. — Parmi les premières, il convient de ran¬
ger les tumeurs du crâne, du cerveau de nature syphilitique et d’autre
nature, les ossifications de la dure-mère, les fongus, les concrétions mé¬
ningées, les tumeurs des pédoncules cérébraux ainsi que j’en ai vu une
qui était constituée par une hypertrophie simple des éléments nerveux,
les fractures du crâne avec enfoncement et saillie intra-crânienne, des lé¬
sions diverses du rocher.
Les altérations immédiates sont excessivemént rares. Parmi elles se
rangerait, s’il arrivait àêtre démontré, le rétrécissement de l’orifice supé¬
rieur du canal vertébral et partant une compression mécaniquement
exercée sur la moelle allongée, qui amènerait une action excitatrice sur le
bulbe. M. Delasiauve et moi nous n’avons jamais constaté ce rétrécisse¬
ment signalé par Solbrig.
2° Altérations éloignées. — Les altérations déterminantes éloignées
sont celles qui siègent sur n’importe quel point des nerfs sensitifs,
des nerfs mixtes et du grand sympathique et qui déterminent l’épi¬
lepsie sympathique par une action irritative transmise au bulbe rachi¬
dien.
De ce nombre sont les névromes,les esquilles osseuses, les corps étran¬
gers qui irritent les filets nerveux, les vers intestinaux et en particulier
les oxyures, les tumeurs tuberculeuses qui ont leur siège le long des filets
ou des ganglions du grand sympathique.
612 ÉPILEPSIE. - ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
III, Altérations secondaires. — Les altérations secondaires sont nom¬
breuses et intéressent, en particulier, un certain nombre de points de
l’axe cérébro-spinal, parmi lesquels il faut surtout signaler le bulbe ra¬
chidien, la moelle épinière, le cervelet, la substance grise corticale, les
méninges cérébrale et cérébelleuse. Leur étude offre de l’importance au
point de vue pathogénique parce qu’elle indique les points du système
nerveux sur lesquels porte la maladie.
Bulbe. . — La face antérieure du quatrième ventricule présente fré¬
quemment une teinte grisâtre, une apparence œdémateuse due à une
couche molle gélatineuse; d’autres fois une teinte couleur tabac, et, d’une
façon constante, des houppes vasculaires, des vaisseaux capillaires nota¬
blement dilatés, turgides, sur le trajet desquels existent des ecchymoses.
Ces vaisseaux sont surtout apparents sur la ligne médiane ou des deux
côtés de la ligne médiane, au niveau de l’entre-croisement des pyra¬
mides.
Ces lésions hypérémiques englobent souvent totalement les racines des
nerfs auditifs, et peuvent expliquer les hallucinations de l’ouïe qui ac¬
compagnent quelquefois le début des attaques d’un vertige, et qui consti¬
tuent un des symptômes de certaines folies épileptiques.
La section des olives y montre souvent des vaisseaux turgides dilatés;
il est aussi fréquent de trouver ces corps d’une fermeté notable et d’une
dureté fibroïde, d’une teinte blanc mat.
Luys et moi nous avons observé, à peu près au milieu des régions anté¬
rieures des pyramides, et surtout au point d’union du bulbe et de la protu¬
bérance, une sertissure jaunâtre en forme de demi-collier d’aspect gom¬
meux (teinte gomme arabique), constituée par une infiltration granuleuse
interfibrillaire. Nous y avons vu des cellules d’une couleur jaune orangé
due à la présence dans ces cellules de granulations granulo-graisseuses ;
dans beaucoup de cellules, le noyau n’est plus reconnaissable ; le cylinder
prolongement disparaît, les tubes deviennent variqueux.
Selon nous, ces lésions, situées sur le prolongement des fibres des pé¬
doncules inférieurs, indiquent qu’elles ont subi une dégénérescence dé¬
terminée vraisemblablement par une sorte de fatigue des éléments ner¬
veux, suite inévitable de nombreuses attaques convulsives.
Moelle épinière. — Elle présente quelquefois des lésions du plus grand
intérêt qui apprennent que tout l’axe cérébro-spinal participe aux con¬
vulsions. Ces altérations occupent les faisceaux antérieurs, qui sont de¬
venus fermes et résistants, et présentent au microscope les caractères de
l’hyperplasie du tissu conjonctif.
Les méninges spinales antérieures présentent souvent des altérations,
qui siègent dans l’arachnoïde viscérale, et qui consistent en plaques de cou¬
leur blanchâtre, arrondies ou ovalaires, à bords festonnés ou anguleux,
lisses sur leur face externe, rugueuses sur la face interne. D’apparence
fibro-cartilagineuse, ces plaques avaient déjà été signalées par Esquirol ;
je les ai trouvées constituées au microscope par des fibres lamineuses et
souvent incrustées de carbonate de chaux.
ÉPILEPSIE. — ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 613
J’ai trouvé quelquefois des lésions analogues, quoiqu’à un bien moindre
degré, dans les méninges spinales postérieures, chez des épileptiques qui
avaient présenté des points douloureux, spontanés ou provoqués, le long de
la colonne vertébrale.
J’ai rencontré plusieurs fois, dans la moelle d’épileptiques, une atro¬
phie grise partielle des pyramides antérieures.
Cervelet. — Il est toujours plus ou moins altéré dans ses parties péri¬
phériques et centrales; les méninges cérébelleuses sont opalines, épaissies,
quelquefois adhérentes ; la substance grise des folioles apparaît pâle,
jaunâtre, comme à travers un nuage.
Les corps rhomboïdaux ont une teinte très-accentuée et présentent des
dilatations vasculaires et quelquefois des teintes ecchymotiques, périvas¬
culaires ; le microscope montre des épanchements de matière colorante,
de sang et d’hématosine autour des vaisseaux.
Substance grise corticale du cerveau. — Elle offre toujours des lésions
lorsque l’épilepsie a été accompagnée de troubles intellectuels et de dé¬
mence à un degré plus ou moins avancé, ou de folie. Ces lésions, que
je n’ai trouvé décrites nulle part, sont de deux ordres, et, dans l’un et
l’autre cas, elles diffèrent beaucoup les unes des autres.
Dans une première forme, l’altération qui occupe presque uniquement
les circonvolutions cérébrales supérieures antérieures et moyennes, con¬
siste en taches d’un blanc jaunâtre, ambrées, irrégulières, qui siègent
principalement à la moitié inférieure de la substance grise corticale, ou
sous celle de zones jaunâtres, laiteuses, grisâtres, qui occupent la partie
médiane des circonvolutions, c’est-à-dire celle qui renferme les cellules
cérébrales presque exclusivement.
L’examen microscopique montre, dans la gaine lymphatique des vais¬
seaux, de l’hématosine, des cristaux d’hématine, et des amas granulo-
graisseux dans la gangue nerveuse, des épanchements globulaires, des
amas d’hématosine et des corpuscules ganglionnaires, ou cellules céré¬
brales, atteints de dégénérescence granulo-graisseuse, qui ont perdu leur
forme normale, dont les contours ne sont plus définis, et dont les noyaux
ont presque disparu. En même temps, les canaux de communication
apparaissent en partie vides de myéline, ainsi que les tubes nerveux, qui
sont plus ou moins atrophiés, et l’on rencontre ordinairement de la cho¬
lestérine en excès. J’ai vu plusieurs fois la substance grise de circonvolutions
d’une apparence molle, glutineuse, analogue à celle de la pâte de guimauve,
dont les principaux caractères microscopiques étaient constitués par des
amas granulo-graisseux, des masses d’hématine, des restes d’épanche¬
ments globulaires, un très-grand nombre de cristaux de cholestérine, des
corps de Gluge, des états régressifs des corpuscules ganglionnaires, et des
tubes nerveux.
Toutes ces lésions des éléments nerveux me paraissent avoir pour
origine les altérations que j’ai rencontrées dans les gaines vasculaires
ainsi que les épanchements périvasculaires, et ces dernières altérations
elles-mêmes me semblent être une cc nséquence immédiate des attaques et
614
ÉPILEPSIE. - ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
avoir la plus complète analogie pathogénique avec ce piqueté de la face
que l’on observe chez quelques épileptiques après les attaques. Du reste,
l’examen du cerveau d’un épileptique mort pendant l’attaque montre dans
les circonvolutions un état congestif des plus intenses, un piqueté ana¬
logue à celui de la face et de très-nombreux épanchements de sang qui
ne sont visibles qu’au microscope. De même l’ophthalmoscope, employé
pendant la vie sur des malades qui avaient eu, quelques heures avant, des
attaques fortes, et dont la vue était passagèrement troublée, m’a permis
devoir une vascularisation anormale des vaisseaux péripapillaires, un peu
de trouble opalescent antépapillaire et de petits points rouges.
Foville père a noté que toutes les parties blanches de l’encéphale, dans
l'intérieur des hémisphères comme dans le corps calleux, les cornes
d’Ammon, la protubérance, sont généralement plus ou moins endurcies.
Nous-même nous avons observé assez fréquemment cet état dans ces
parties, ainsi que dans l’hippocampe.
La seconde forme d’altération de la substance grise corticale est caracté¬
risée par des adhérences de cette couche corticale avec les méninges. La
méninge enlevée et la couche corticale arrachée, l’aspect est le même que
dans la paralysie générale, mais il existe une différence appréciable à la
vue, qui consiste dans la localisation partielle des lésions dans l’épilep¬
sie, tandis qu’elles sont le plus souvent générales dans la paralysie gé¬
nérale. Sous le microscope, au contraire, l’analogie est complète.
On rencontre dans le cervelet des opalescences méningées, alors même
que la maladie a eu une moyenne intensité et qu’il n’y a pas d’adhé¬
rences. Plusieurs de ces altérations membraneuses et cérébrales ont déjà
été observées par Bouchet et Cazauviêlh, et ont été, pour eux et pour
d’autres, le point de départ d’une opinion fausse, à savoir : que l’épi¬
lepsie était le résultat d’une inflammation chronique de la substance
blanche du cerveau. Cette hypothèse, combattue par Bouillaud, ne peut
plus être admise aujourd’hui; ces altérations cérébrales sont le résultat
de la maladie, mais elles n’en sont pas la cause.
Luys et moi nous avons rencontré plusieurs fois des lésions des corps
striés qui nous paraissent être la conséquence d’altérations du cervelet;
elles consistent en coloration ambrée, en décoloration des arcades des
corps striés du côté opposé au lobe cérébelleux le plus altéré, et s’expli¬
quent par les rapports de continuité qui existent entre la substance grise
d’un corps strié et les fibres des pédoncules inférieurs du lobe cérébelleux
opposé.
Follet et Beaume se sont fondés sur des pesées de cerveaux d’épilep¬
tiques pour penser que l’épilepsie pourrait tenir à la rupture de l’équi¬
libre entre les courants nerveux. Pour eux, cette rupture aurait sa raison
directe dans l’hypertrophie relative ou l’atrophie de l’un des hémisphères.
Les autopsies d’épileptiques que ces deux auteurs ont faites, ont présenté
constamment des différences de poids entre les deux hémisphères céré¬
braux. De semblables pesées ont été répétées depuis par Delasiauve dans
dix-huit cas ; mais la différence de poids, qui n’a été qu’une fois de
ÉPILEPSIE. - PATHOGÉNIE. 615
80 grammes, n’a pas dépassé 20 grammes dans d’autres, et a été nulle
dans plusieurs.
Il ressort de l’état actuel de la science que l’on connaît les points de
l’axe cérébro-spinal, où retentit le plus particulièrement la maladie, et
que l’on comprend comment elle mène à la folie et à la démence.
Il reste un dernier désidératum à combler, c’est de connaître les alté¬
rations qui peuvent se produire dans le grand sympathique, qui joue un
des plus grands rôles dans l’absence, le vertige et l’attaque.
Pathogénîe. — Nous étudierons la pathogénie de l’épilepsie et la
physiologie pathologique des phénomènes qui la constituent.
î. Pathogénie de l’épilepsie. — Les théories qui ont été émises pour ex¬
pliquer l’épilepsie peuvent être divisées, ainsi que l’a fait Falret, en trois
catégories principales, les unes reposant sur la circulation cérébrale, les
autres sur les altérations du sang, les dernières sur le pouvoir réflexe
ou excito-moteur de la moelle épinière et principalement de la moelle
allongée.
La théorie de la congestion a été admise par la plupart des auteurs an¬
ciens, parce que, à l’autopsie d’individus morts pendant les attaques, on
trouve des lésions congestives ; mais c’est prendre l’effet pour la
cause.
Depuis Bouchet et Cazauvielh, qui admettaient que l’épilepsie était
une inflammation chronique de la substance blanche du cerveau,
Henle a pensé que l’épilepsie s’expliquait par des troubles de la cir¬
culation cérébrale, soit qu’il y eût pléthore, soit qu’il y eût anémié céré¬
brale.
La théorie de Vanémie cérébrale a été soutenue dans ces temps der¬
niers par Tenner et Kussmaul. Ces auteurs admettent que l’anémie seule
est la condition organique de toutes les épilepsies. Ils se fondent sur des
expériences dans lesquelles la ligature des artères carotides et vertébrales
et des saignées abondantes ont déterminé chez des animaux des convul¬
sions. Mais à cette théorie, que ses auteurs ont trop généralisée, on peut
opposer, ainsi que l’a fait Axenfeld, les excellents effets de la saignée
dans l’éclampsie, la suspension d’accès épileptiques pendant la compres¬
sion des carotides.
Les partisans de la seconde théorie attribuent l’épilepsie à une altéra¬
tion du sang par un agent toxique né dans l’organisme. L’idée première
de celte théorie remonte aux auteurs qui, comme Frerichs, ont attri¬
bué à l’urémie, c’est-à-dire à la présence de principes ammoniacaux
dans le sang, les attaques épileptiformes survenues au début de la ma¬
ladie de Bright, et l’éclampsie des femmes en couches.
Todd est celui qui a appliqué le premier ces idées à l’épilepsie pro¬
prement dite. D’après lui, l’accès épileptique serait précédé de l’accumu¬
lation graduelle dans le sang d’un poison morbide qui arrive à produire
dans le cerveau ou dans quelques-unes de ses parties un haut degré d’ex¬
citation. Plus récemment, Paulet a répété cette même opinion en s’ap¬
puyant sur plusieurs observations où il aurait constaté que les attaques
616 ÉPILEPSIE. — PATHOGÉNIE.
d’épilepsie sont précédées pendant plusieurs heures d’un excès de carbo¬
nate d’ammoniaque dans l’urine.
Sans vouloir prétendre que cette théorie explique l’épilepsie, je dois
dire qu’un grand nombre d’épileptiques, qui ont de fortes attaques, ré¬
pandent, pendant les quelques heures qui les suivent, une odeur et
exhalent une haleine ammoniacales. J’ai fait souvent analyser dans ces
circonstances l’haleine d’épileptiques, et j’ai pu m’assurer qu’elle ren¬
fermait une énorme quantité d’ammoniaque. Mais je serais porté à croire
que cette accumulation d’ammoniaque dans l’organisme est bien plutôt
le résultat du trouble apporté dans l'organisme par les attaques que la
cause même de ces attaques; c’est du moins le résultat de- mon expé¬
rience personnelle ; en effet, des urines recueillies dans les heures qui
précèdent les attaques ne renfermaient aucune trace de carbonate d’am¬
moniaque, tandis que ce principe apparaissait après les séries d’atta¬
ques répétées à court intervalle.
La troisième théorie qui est aujourd’hui le plus généralement admise
fait jouer le rôle principal à la moelle allongée. On regarde souvent
comme une conquête de ces dernières années la notion de la relation qui
existe entre l’épilepsie et un état morbide de la moelle, mais on ne
saurait oublier que J. Frank avait écrit que la moelle jouait le rôle
principal dans l’épilepsie atonique, traumatique, rhumatismale, méta¬
statique, arthritique, scrofuleuse, dans celle liée à l’onanisme.
Les données véritablement physiologiques sur l’épilepsie sont de
date récente et reposent sur les découvertes modernes, qui placent dans
le bulbe le siège des phénomènes réflexes.
Marshall-Hall, le premier, émit l’opinion que l’épilepsie est due à une
excitation morbide du bulbe rachidien, siège pour lui des actes réflexes.
Le bulbe rachidien, dit-il, est le centre où aboutissent toutes les causes
périphériques et centriques de l’épilepsie. Les causes cérébrales agissent
directement, les causes périphériques agissent par l’intermédiaire des
nerfs sensitifs. Toutes ces causes portent dans le bulbe une excitation
quelconque qui se réfléchit aux muscles des membres et du tronc par
les nerfs moteurs.
Les convulsions déterminées par l’excitation en retour des nerfs mo¬
teurs déterminent en particulier l’état tétanique des muscles du cou et
' du larynx, ou ce que Marshall-Hall appelle le trachélisme et le laryn¬
gisme. Le trachélisme empêche le retour du sang veineux cérébral au
cœur et amène un commencement d’asphyxie de la tête et la perte de
connaissance; le larymgisme provoque l’occlusion plus ou moins com¬
plète de la glotte, et, comme conséquence de l’asphyxie cérébrale com¬
plète, les convulsions générales et partielles.
En résumé, la convulsion tonique des muscles du cou amène les sym¬
ptômes du petit mal, la perte de connaissance, les modifications de cou¬
leur de la face, tandis que la convulsion tonique de la glotte est suivie des
symptômes du grand mal, convulsions générales ou partielles.
La cause de la perte de connaissance et des changements de coloration
ÉPILEPSIE. — PATHOGÉNIE. 617
de la face paraît être bien plutôt celle qu’a donnée Brown-Séquard,
c’est-à-dire une excitation des filets du grand sympathique, consécutive
elle-même à l’irritation du bulbe, excitation qui se propage aux filets
vaso-moteurs cérébraux, amène le resserrement des rameaux artériels et,
par suite, l’anémie cérébrale et faciale, ainsi que la perte de connaissance.
Quant aux convulsions, Brown-Séquard les explique par la propagation
de l’excitation aux nerfs moteurs.
Les expériences de Brown-Séquard sur les animaux ont fait faire un
pas important à la pathogénie de l’épilepsie; ce physiologiste a montré,
il y a près de vingt ans, qu’en coupant une des parties latérales de la
moelle épinière dans le voisinage de la dixième vertèbre dorsale, et même
dans des points plus rapprochés du bulbe chez des cobayes, ces animaux
devenaient épileptiques au bout de trois semaines à peu près. Il suffit,
pour cela, d’irriter la peau de la face et du cou pour déterminer de
véritables crises épileptiques. Depuis, il a vu les crises se montrer éga¬
lement après une double section de la moelle.
Brown-Séquard désigne sous le nom de zone épileptogène la portion
de peau qu’il faut irriter pour produire une attaque, c’est-à-dire cette
portion située entre les lignes allant, l’une, de l’œil à l’oreille, l’autre,
de l’oreille à la partie moyenne du maxillaire inférieur, et s’étendant de
ce point, d’un côté, jusqu’à l’œil, et, de l’autre, jusqu’au cou, pour
revenir par un demi-cercle à l’oreille. Il lui est facile de prouver que ces
convulsions ne sont pas dues à la douleur, car l’action de souffler sur
cette région amène les attaques.
. Les dernières présentations faites par Brown-Séquard confirment ces
divers points de pathogénie, et démontrent que ce traumatisme ex¬
périmental de la moelle épinière ne détermine pas immédiatement des
convulsions, mais rend peu à peu les animaux sujets à des attaques pro¬
voquées d’abord, puis plus tard spontanées.
Brown-Séquard a noté aussi dans un cas la transmission à de petits
cobayes de la maladie de la mère, autre preuve non moins convaincante
de la réalité d’une véritable entité morbide ainsi produite artificiellement.
Du reste, la ressemblance des phénomènes convulsifs ainsi provoqués,
et des convulsions épileptiques , est complète ; la perte de connaissance
est absolue. On peut pincer, piquer, brûler les cobayes sans produire
d’autres phénomènes que des mouvements dus à l’action réflexe.
La théorie qui place dans le bulbe le siège de l’épilepsie a été aussi
adoptée par Ach. Fo ville. Cet auteur a fait ressortir l’influence du pou¬
voir excito-moteu'r, ou réflexe du bulbe et de la partie supérieure de la
moelle épinière, sur les phénomènes convulsifs des membres et du tronc.
Les observations anatomo-pathologiques de Schroeder van der Kolk
sont venues apporter un nouvel appui à cette opinion. Ce savant a re¬
marqué, en effet, sur les épileptiques une coloration anormale de la face
antérieure du quatrième ventricule, l’augmentation de volume des ca¬
pillaires qui la tapissent et de ceux qui pénètrent dans l’épaisseur du
bulbe.
618
ÉPILEPSIE. - PATHOGÉNIE.
Pour Schroeder van der Kolk, chaque accès amène dans le bulbe une
congestion artérielle qui se traduit par une dilatation des capillaires, tout
d’abord temporaire, mais à la longue définitive. Ces observations sont
de la plus grande exactitude; toute autopsie d’épilepti(|ue permet, en
effet, de constater ces lésions, et ces observations constantes semblent bien
prouver que ce fait joue un rôle important dans le haut mal.
Russell Reynolds a donné de la convulsion en général et des accès
épileptiques en particulier, une explication sujette à quelques critiques.
Cet auteur attribue la convulsion à l’augmentation des fonctions vitales
d’un tissu ou d’un organe, consécutive elle-même à l’augmentation du
mouvement moléculaire. Suivant ainsi l’opinion de Virchow, il cite en
particulier , comme cause de cet excès d’action , toutes les cachexies, les
vices généraux de nutrition, tels que le tubercule, la scrofule, le rachi¬
tisme, la syphilis. C’est de même, par un accroissement de fonctionne¬
ment des centres nerveux, que Russell Reynolds explique les convulsions
qui dépendent de la croissance, les convulsions sympathiques, celles
qui tiennent à des intoxications, ou qui sont causées par des lésions
des centres nerveux.
Kussmaul et Tenner ont émis sur la pathogénie des convulsions épilep¬
tiques, une théorie très-discutable, d’après laquelle ces phénomènes
ne dépendraient que' de l’encéphale et seraient produits par l’accumu¬
lation du sang noir dans cet organe pendant l’asphyxie épileptique. Or,
des expériences déjà assez nombreuses démontrent qu’un animal privé
d’encéphale peut avoir des convulsions.
Il ressort pour nous de l’exposé de ces théories, que le cerveau ne doit
pas être considéré comme étant le siège de l’épilepsie ; les phénomènes
qui indiquent sa participation à la maladie sont secondaires par rapport à
ceux qui se passent. dans les régions bulbaires. Pour nous, le bulbe et ses
prolongements pédonculaires vers le cervelet, le cervelet et ses pédoncules
sont les organes d’où part l’ictus épileptique. Consécutivement à l’action
morbide bulbaire, il se fait une excitation du grand sympathique cervical
par l’intermédiaire en particulier des filets qui unissent les premières
paires cervicales aux ganglions cervicaux supérieurs , et des filets qui se
rendent, des nerfs sensitifs de la base du cerveau, aux rameaux du grand
sympathique qu’accompagnent les artères intra-crâniennes. Sous l’in¬
fluence de cette excitation, les ramifications artérielles se resserrent et
amènent l’anémie cérébrale, la perte de connaissance, la pâleur faciale.
Dans la simple absence, dans le vertige, les choses en restent là ; mais dans
les accès et les attaques, l’excitation s’étend au reste de la moelle épinière,
aux racines des nerfs moteurs, et, de là, aux muscles des membres et du
tronc, pour déterminer les convulsions toniques, puis cloniques, et les
phénomènes secondaires qui en sont la conséquence.
Les causes elles-mêmes de cette excitation morbide des régions bulbaires
peuvent être médullaires, intra-crâniennes ou périphériques; et, d’abord,
l’épilepsie spinale ne peut être mise en doute, si l’on tient compte .des
observations de J. Frank, de Brown-Séquard. L’épilepsie de cause intra-
619
ÉPILEPSIE. — PATHOBÉNIE.
crânienne ne peut non plus être niée, malgré les affirmations contraires
de Brown-Séquard, de Bouillaud.
Les autopsies démontrent que l’épilepsie pure existe fréquemment
chez des individus ayant des tumeurs cérébrales. C’est ainsi que, sans
parler du fait d’Odier, j’ai vu chez un enfant une tumeur de nature hy¬
pertrophique à cheval sur les deux pédoncules cérébraux.
Hardy a noté aussi que les lésions intra-crâniennes sont souvent le
point de départ de véritables accès épileptiques; ainsi les exostoses
syphilitiques de la base du crâne.
Quant aux causes périphériques, leur existence n’est pas non plus
douteuse; une observation de Broca (1869) a montré un jeune malade
guéri, au moyen de la trépanation, de l’épilepsie causée par un trauma¬
tisme du crâne. (Voy. Étiologie.)
II. Physiologie pathologique des symptômes qui constituent l’épilepsie.
— Le premier par ordre de venue, quoique non constamment senti est
l’aura. L’aura est un des phénomènes sur lesquels on a le plus discuté;
les uns le considérant comme une sensation périphérique, les autres
comme l’écho lointain d’un état pathologique des centres nerveux.
Axenfeld, en particulier, professe cette dernière opinion et considère l’aura
comme une sensation essentiellement cérébrale qui est le plus souvent
perçue en un point assez éloigné du centre, comme si son origine était
périphérique; d’autres auteurs, et en particulier Locher, Maisonneuve,
Portai, Herpin, regardent l’aura comme un phénomène périphérique
d’ordre convulsif et spasmodique. Quant à nous , nous pensons que
l’aura a aussi très-rarement une origine périphérique ; mais qu’elle peut
consister soit en une simple sensation centrale perçue à la périphé¬
rie soit en un spasme périphérique dont la cause excitante est essentielle¬
ment centrale.
C’est ainsi que des malades atteints de ramollissement, d’hémorrha¬
gie du cerveau, d’hémiplégie et d’attaques épileptiformes ressentent
des auras dans un membre au début des attaques ; c’est ainsi que l’épi¬
lepsie la plus franche accompagnée d’aura périphérique est souvent
déterminée par des lésions cérélsrales (obs. d’Odier, d’Herpin).
Nous pensons donc que l’aura a presque toujours une origine centrale
mais que la sensation qui la constitue se passe réellement à la périphérie
et dans les points où elle est ressentie.
L’explication est la même pour l’aura sensitive que pour l’aura motrice,
l’aura psychique et l’aura sensorielle. L’ictus est toujours central pour
de là se propager aux nerfs sensitifs, aux nerfs moteurs, aux cellules cé¬
rébrales et aux organes des sens.
Nous croyons que cette explication s’applique à tous les cas à peu près,
et qu’une seule exception pourrait être admise pour l’épilepsie vaso¬
motrice.
Brown-Séquard a démontré que la pâleur de la face et la perte de con¬
naissance sont déterminées par une irritation des nerfs vaso-moteurs,
laquelle amène le resserrement des ramifications artérielles et consécuti-
ÉPILEPSIE. - P.4TH0GÉSIE.
vementune anémie subite de la face et des lobes cérébraux. Cette irritation
des vaso-moteurs est elle-même le l'ésultat d’une irritation du grand sym¬
pathique cervical, dont la cause productrice est une excitation des régions
bulbaires. Brown-Séquard a cherché à démontrer expérimentalement la
participation du grand sympathique cervical à la perte de connaissance.
Après avoir extirpé, sur des cobayes rendus préalablement épileptiques,
les ganglions cervicaux supérieurs, il a observé que l’irritation de la zone
épileptogène ne produisait plus que partiellement la perte de connais¬
sance. L’irritation du grand sympathique peut, du reste, se démontrer
aussi bien cliniquement quelle peut l’être expérimentalement.
En effet, outre les douleurs viscérales, les borborygmes, les vomisse¬
ments, les modifications de l’urine, l’émission de sperme qui sont des
phénomènes connus, j’en ai observé d’autres qui ne- sont pas moins
probants; ainsi la sueur considérable des mains qui annonce et ac¬
compagne les séries d’attaques, une teinte rash générale, que j’ai ob¬
servée deux fois avant la période tétanique et qui annonçait évidem¬
ment une paralysie des vaso-moteurs. J’ai observé de même plusieurs fois,
consécutivement à des attaques, des troubles hépatiques passagers con¬
sistant en augmentation du volume du foie et en ictère.
Le cri a été interprété de plusieurs façons bien différentes, tantôt comme
l’expression de la frayeur et de la surprise (Beau), ou de la douleur
(Herpin).
Billod et Axenfeld pensent qu’il n’en est pas ainsi et que le cri résulte
d’une secousse convulsive des muscles du larynx, suivie d’un brusque
mouvement d’expiration. Du reste, ce symptôme est loin d’être constant.
La chute paraît due non pas, comme Billod le pense, au tétanos tem¬
poraire des muscles, mais tout simplement à la perte du sentiment et de
la connaissance.
Convulsions générales. — Les convulsions générales sont les signes par
excellence qui séparent le petit mal du grand mal, c’est-à-dire les absences,
vertiges, des accès et des attaques.
L’excitation du bulbe, des régions bulbaires et de la moelle épinière se
propage aux nerfs moteurs de la base du crâne, facial, hypoglosse, maxil¬
laire inférieur et aux nerfs émanés de la moelle épinière et amène les
convulsions, la laideur du visage, la projection en avant de la langue, le
trismus, l’état tétanique des muscles, du cou, de la poitrine, du ventre,
des membres.
Cette explication adoptée par Marshall -Hall le premier, puis par
Foville, Schroeder van der Kolk, se rapproche plus de la vérité que celle
mise en avant par Kussmaul, Tenner et Badcliffe.
Luys fait jouer un rôle important au cervelet dans les manifestations
convulsives, [.«s observations anatomo-pathologiques que j’ai publiées me
font penser aussi que l’innervation cérébelleuse est un agent de renfor¬
cement dans les convulsions. J’ai observé chez des individus morts en
état de mal que les deux lobes du cervelet étaient turgides, comme
hypertrophiés, couleur lie de vin; du reste, tout épileptique ou tout
621
ÉPILEPSIE. - PATHOGÉKIE.
individu qui a eu des attaques épileptiformes présente dans son cervelet
des lésions congestives très-manifestes. Aussi je considère avec Luys que
l’irritation bulbaire gagne les pédoncules inférieurs, le cervelet, les pé¬
doncules moyens et supérieurs, pour revenir de là à la protubérance et
au bulbe; mais l’ictus morbide ne s’en tient pas là et s’étend à une
longueur plus ou moins grande de la moelle épinière.
Les convulsions toniques des membres et du tronc viennent en effet
de ce que l’excitation bulbaire a-gagné les faisceaux antéro-latéraux ; elles
indiquent la rigidité soutenue de la fibre musculaire.
Lorsque les muscles respirateurs sont atteints, l’immobilité du thorax
amène un état asphyxique et une série de phénomènes secondaires qui
donne à l’attaque une physionomie spéciale ; le sang veineux ne pou¬
vant plus revenir au cœur, s’accumule dans les capillaires, peut les
rompre de façon à déterminer des taches purpurines que l’on ne peut
souvent reconnaître qu’avec l’aide du microscope. C’est ainsi que j’ai
pu constater dans les capillaires cérébraux de tous les anciens épilep¬
tiques des traces d’épanchements sanguins de date plus ou moins an¬
cienne dans la substance cérébrale et dans les gaines vasculaires.
Les convulsions cloniques sont, ainsi que l’ont dit Axenfeld et Ach.
Foville, des contractions intermittentes; elles indiquent la diminution de
l’excitabilité des régions convulsivantes, diminution qui est produite par
l’épuisement nerveux mais surtout par l’accumulation du sang noir dans
ces centres nerveux.
La cessation d’une attaque est donc la conséquence de l’asphyxie qu’elle
a elle-même amenée. Plus l’asphyxie est rapide (Ach. Foville), plus vite
son action se fait sentir sur la moelle et la rend incapable de réagir, en
sorte que le danger est conjuré par son excès même. (Voy. Convulstoks.)
La dilatation de la pupille qui est un des meilleurs signes de l’épilep¬
sie, un de ceux que l’on ne peut simuler, est produite par la contraction
des fibres radiées, de l’iris, dont le point de départ est la surexcitation du
grand sympathique cervical.
La morsure de la langue est produite, selon Scbroeder van der Kolk,
par une localisation spéciale de l’excitation bulbaire dans le voisinage des
racines de l’hypoglosse: il s’est appuyé sur un certain nombre d’obser¬
vations d’épileptiques qui se mordaient la langue et chez lesquels les
vaisseaux capillaires étaient incomparablement plus développés près des
racines de l’hypoglosse que chez ceux qui ne se mordent pas la langue.
Le coma correspond plutôt à un état congestif cérébral qu’à un simple
épuisement nerveux, et est remplacé chez la plupart des malades par un
sommeil réparateur. Axenfeld suppose avec raison que ce sommeil cor¬
respond au moment précis où l’hypérémie cérébrale disparaît, des re¬
cherches récentes ayant démontré que, pendant le sommeil , le cer¬
veau est loin d’être plus congestionné qu’à l’état de veille et qu’il se
trouve au contraire dans un état d’anémie relative. (Durham.)
L’émission de V urine et l’éjaculation du sperme sont deux phénomènes
d’une fréquence variable qui, je crois, dépendent d’une excitation anor-
622 • ÉPILEPSIE. — pathogénie.
male des portions lombaire et sacrée du grand sympathique. Les expé¬
riences de Valentin et de Longet ne permettent pas de conserver le
moindre doute sur l’influence de la galvanisation et de l’irritation de ces
parties du grand sympathique sur les contractions involontaires du côrps
de la vessie, des vésicules séminales et des sphincters.
Quant aux vomissements que l’on observe dans certaines épilepsies,
ils sont évidemment dus à une convulsion du diaphragme et des muscles
abdominaux ou bien du diaphragme et des muscles abdominaux séparé¬
ment.
La petitesse du pouls et les petites courbes parfaitement arrondies qui
se produisent aussitôt le début de l’attaque, ainsi que le démontre le tracé,
fig. 89, page 590, indiquent une action stimulante exercée sur les filets
sympathiques vasculaires et par conséquent la constriction des tuyaux
vasculaires ; mais cette stimulation du sympathique est remplacée bientôt
par sa paralysie, et l’on observe alors le développement du pouls, la hau¬
teur des lignes sphygmographiques, et le dicrotisme (fig. 93, 95 et 97,
p. 590 et 591).
L’écume buccale est considérée par Herpin comme venant de l’action
irrégulière comprimante des muscles, ou d’une modification essentielle
des organes sécréteurs ou de ces deux causes réunies.
Je crois aussi qu’il y a hypersécrétion des glandes salivaires, mais
que c’est la contraction des muscles faciaux qui empêchent l’écoule¬
ment de la salive et la font refluer à la partie antérieure de la cavité
buccale. (Besson.)
La présence du sang dans l’écume est bien certainement, pour la ma¬
jorité des cas, l’indice d’une morsure de la langue, des lèvres, des joues,
mais il m’est arrivé un certain nombre de fois de ne pouvoir constater
aucune trace de morsure ni d’érosion sur la langue, les lèvres, la face
interne des joues, les gencives, et j’ai été amené à penser que dans ces
cas, où la période tétanique avait été d’une violence extrême, il s’était fait
une exhalation sanguine par la muqueuse des premières voies.
L’épilepsie ne revêt pas toujours, tant s’en faut, tous les caractères que
nous venons d’énurnérer. Elle peut exister sans aura, sans convulsions
extérieures, même, ce qui est très-rare, sans perte complète ou incom¬
plète de la connaissance, et cela, suivant l’étendue du retentissement
de l’ictus sur les nerfs moteurs et le grand sympathique.
Au sujet de ce dernier nerf, il est à noter qu’il est aussi profondé¬
ment excité dans le vertige, que dans l’attaque convulsive la plus in¬
tense ; j’ai pris nombre de fois chez des individus frappés de vertige
des tracés sphygmographiques qui ne laissent aucun doute à cet égard ;
même hauteur de courbes, même dicrotisme, (fig. 99 et 100, p. 593).
L’hyperesthésie cutanée et sensorielle qui, chez quelques malades,
tantôt remplace et tantôt précède les attaques, indique évidemment que
l’excitation morbide s’est étendue à certains départements de la sensibilité
générale et sensorielle où elle se manifeste par des névralgies avec ou
sans aura, par des odeurs, des hallucinations de l’ouïe ou de la vue.
ÉPILEPSIE. — NATURE. 623
Quant au délire maniaque que l'on voit quelquefois remplacer les
attaques, il est difficile de ne pas l’attribuer au transport de l’excita¬
tion épileptique des’ organes incitateurs du mouvement à ceux qui prési¬
dent à l’accomplissement des actes intellectuels, c’est-à-dire à la sub¬
stance grise des circonvolutions cérébrales.
Quoi qu’il en soit, nous devons nous tenir encore dans une prudente
réserve sur le mécanisme de la maladie elle-même (Jaccoud) avec ses
intermissions surprenantes, ses retours imprévus, ses formes diverses,
avec tous ses caractères enfin qui établissent encore une limite difficile
à franchir entre l’épilepsie morbide et l’épilepsie artificielle.
IVatnpe. — Connaissant la pathogénie et la physiologie pathologique
de l’épilepsie, il nous est possible d’en étudier la nature. Pour nous, il
est hors de doute que l’épilepsie est non pas un symptôme, une affection
limitée à un point du système nerveux comme on l’a dit et comme
on le dit encore quelquefois, mais bien une affection générale qui inté¬
resse une grande partie de l’axe cérébro-spinal et du grand sympa¬
thique, et qui a son siège principal dans le bulbe rachidien. La réa¬
lité de cette entité découle de la variété des phénomènes intellectuels,
sensitifs, moteurs et nutritifs qui surviennent pendant une attaque,
non moins que de la perversion du caractère, des excentricités, des
impulsions insolites, des sensations bizarres et de cette cachexie spéciale
qui caractérisent aussi bien l’épilepsie que les absences, les vertiges et
les attaques.
L’épilepsie peut être dans les premiers temps un symptôme d’une
irritation centrale ou périphérique, ainsi dans les cas de convulsions
causées parla dentition, les vers, des intoxications, etc.; mais le symptôme
devient bientôt une maladie lorsqu’il s’est reproduit un certain nom¬
bre de fois ; l’accident se transforme en habitude,, puis en entité mor¬
bide.
Je tirerai cette conclusion des faits expérimentaux dans lesquels
Brown-Séquard a observé que les convulsions qu’il déterminait artificiel¬
lement chez les cobayes devenaient au bout d’un certain temps sponlanées;
elles demeuraient donc à l’état d’habitude morbide, et l’habitude mor¬
bide devenait si bien une maladie, qu’une femelle a pu donner naissance
à des petits épileptiques.
L’épilepsie est certainement une névrose, mais sa cause peut être
organique aussi bien qu’essentielle; en effet, elle peut dépendre des
altérations organiques des centres nerveux, .d’intoxications, de lésions
périphériques (épilepsie survenue à la suite d’une blessure du testicule
et guérie par la castration, J. Frank), (épilepsie survenue à la suite
d’enfoncement du crâne, et guérie par la trépanation, Broca), épilepsie
vermineuse; toutes ces causes et bien d’autres peuvent déterminer l’exal¬
tation du bulbe et amener l’épilepsie, qui, malgré cette étiologie,
n’en est pas moins une névrose; d’ailleurs, l’affection convulsive s’éloigne
dans ces cas des maladies purement organiques pour se rapprocher des
névroses, par son absence de suite, ses manifestations rapides, passagères,
624 ÉPILEPSIE. — diagnostic.
dont on ne peut suivre ni préciser la marche, tant elles agissent par sur¬
prise.
Du reste, si l’on voulait ne classer dans l’épilepsie que les convulsions
sine maleria, on courrait grand risque, à moins de faire l’autopsie dans
les premiers temps de la maladie, de ne voir partout que des convulsions
symptomatiques.
Aussi, tout en reconnaissant que l’épilepsie peut être déterminée par
des causes organiques, inaccessibles à nos sens et à nos moyens d’inves¬
tigation, je n’hésite pas à déclarer que le nom d’épilepsie symptomatique
ne doit être donné à l’épilepsie que dans les cas où les malades présen¬
tent des déformations du crâne, de la colonne vertébrale, des signes de
parésie, de paralysies sensorielles, de maladies diverses des centres ner¬
veux, qui ne laissent aucun doute sur l’existence d’une lésion antérieure
aux convulsions.
Diagnostic. — Si le diagnostic de l’épilepsie type n’est pas dif¬
ficile, on n’en peut pas dire autant de l’épilepsie incomplète, des ab¬
sences, des secousses et commotions, et de tous ces phénomènes qui
ne rappellent en aucune façon l’appareil symptomatique du haut
mal.
Th. Herpin (de Genève) a beaucoup contribué, sous ce point de vue, à
faire avancer nos connaissances en épilepsie ; il a montré le premier que
l’épilepsie est annoncée le plus souvent, à une époque plus ou moins
éloignée des attaques convulsives, par des phénomènes particuliers qu’il
appelle accès incomplets, lesquels indiquent la venue prochaine du mal
comitial, et permettent d’employer une thérapeutique rationnelle et
d’empêcher le développement ultérieur de la maladie. Ces phénomènes,
qu’il est si important de connaître, consistent en crampes d’un membre,
en convulsions partielles, en spasmes viscéraux, en commotions, quel¬
quefois en grincements de dents; l’absence elle-même, un des signes les
plus importants de l’épilepsie, est souvent prise pour une syncope, et,
cependant, on ne saurait oublier que la rapidité de l’invasion, l’absence
absolue de connaissance, l’égarement consécutif de la physionomie, la
soudaineté avec laquelle le malade reprend la phrase interrompue, l’exis¬
tence simultanée d’une grimace, d’un peu d’écume à la bouche, sont
éminemment propres à l’épilepsie.
S’il est fâcheux de ne pas distinguer ces phénomènes légers, il est bien
autrement regrettable de méconnaître l’épilepsie ou d’en ignorer l’exis¬
tence lorsqu’elle est parfaitement établie. Combien de femmes n’a-t-on
pas laissées se marier, dans la pensée que ces vertiges, que l’on supposait
d’ordre hystérique, disparaîtraient avec le mariage, tandis que le naariage
a aggravé l’état maladif.
Les phénomènes épileptiques (accès, vertige) sont aussi fréquemment
méconnus lorsqu’ils ne surviennent que la nuit; le stertor est pris pour
du ronflement simple, les convulsions pour de l’agitation ; il est arrivé
que des épileptiques à attaques nocturnes se sont mariés sans que per¬
sonne soupçonnât leur état. Il est possible d’éviter de semblables er-
ÉPILEPSIE. — DIAGNOSTIC. 625
reurs lorsque l’épilepsie nocturne s’accompagne, ce qui est presque
la règle, d’incontinence d’urine ou d’incontinence de matières fécales;
lorsque l’on constate sur la face un piqueté fin eccliymotique, une mor¬
sure de la langue, delà courbature, une céphalalgie spéciale; lorsqu’on
apprend que l’oreiller est taché par de la salive et surtout de la salive
sanguinolente. Dans ces dernières conditions on peut être certain qu’il
s’est produit un accès nocturne de haut mal.
Trousseau a signalé une cause d’erreur qu’il importe bien de faire
connaître, et qui consiste à prendre pour une congestion cérébrale une
attaque d’épilepsie. Lorsque le médecin, en effet, arrive auprès d’un
malade qui est sans connaissance et qu’il le trouve en état de coma,
dans la résolution complète, avec la face rouge, il peut croire à une
congestion du cerveau, et sa supposition lui paraîtra d’autant plus fon¬
dée, que le malade aura eu, postérieurement au coma, des accidents
paralytiques partiels , mais s’il apprend que de temps en temps il existe
des absences diurnes, que les prétendues congestions sont précédées
de mouvements des membres ; si le malade accuse après ses congestions
mal à la langue ou des aphthes, si l’on constate sur la face un piqueté fin,
et si on sait enfin que ces congestions se reproduisent de temps en temps,
le médecin peut être certain que le malade est épileptique.
Trousseau disait qu’il ne se passait pas de mois qu’il ne vît dans son
cabinet quelques malades accusés d’apoplexie qui étaient épileptiques;
beaucoup de gens atteints de vertiges comitiaux lui étaient adressés
comme ayant des congestions cérébrales faibles.
La congestion, la turgescence habituelle de la face, ont été aussi plu¬
sieurs fois, à ma connaissance, la cause d’erreurs de la part de médecins
qui pensaient qu’ils étaient en présence de congestions cérébrales, et
qui traitaient par des saignées, des purgatifs, les malades.
L’éclampsie occupe la première place dans la question du diagnostic
différentiel de Fépilepsie avec les autres affections convulsives. Il y a
à cela deux raisons principales : la première est l’extrême difficulté que
présente quelquefois ce diagnostic, et la seconde est l’impossibilité de
trouver une différence entre les accidents convulsifs qui les constituent
toutes deux.
On ne peut diagnostiquer l’éclampsie qu’en tenant compte des anté¬
cédents, des circonstances concomitantes (grossesse, accouchement, dé¬
buts d’une fièvre éruptive, dentition, albuminurie) ; de plus, l’éclampsie
présente presque toujours le caractère aigu, est souvent accompagnée de
fièvre et se lie à un état morbide qui se manifeste par d’autres symptômes,
et ne laisse pas entre les convulsions des intervalles de santé parfaite;
l’épilepsie est un état chronique, apyrétique, d’une étiologie vague qui
présente , entre les attaques convulsives, un état de santé complète. En
outre, il est rare que la première attaque d’épilepsie n’ait pas été précé¬
dée de phénomènes prodromiques analogues à ceux que j’ai décrits.
L’hystérie est facile à distinguer de l’épilepsie; en effet, au lieu
d’observer, comme dans l’épilepsie, un cri unique, la perte immédiate et
KOBV. DICT. 51ÉD. ET CUIB. XIII. — 40
ÉPILEPSIE. — - DIAGNOSTIC.
complète de connaissance, la pâleur, puis la lividité de la face, sa laideur,
la raideur générale, les secousses générales, la morsure de la langue,
l’écume à la bouche, le coma, le stertor, la stupeur consécutive, on entend
des plaintes, des sanglots, on assiste à des efforts pour se débarrasser la
gorge ; on voit une teinte et une apparence non désagréable de la face
qui exprime la souffrance, mais non la laideur ; aucun signe d’asphyxie,
pas de morsure de la langue, pas de stertor, pas de perte de connais¬
sance. Après l’accès, aucune stupeur, seulement de la fatigue, des san¬
glots ou des rires.
L’hystérie peut exister chez un même malade en même temps que
l’épilepsie. Le fait ne peut être mis en doute. Les travaux de Sandras,
Bourguignon, Landouzy, Maisonneuve, Beau, Briquet, Moreau (de Tours),
Dunant, autorisent à admettre deux formes bien distinctes d’hystéro-épi-
lepsie ; dans la première il y a tantôt des accès d’hystérie et tantôt des
accès d’épilepsie ; dans la seconde, les accès se composent, en même
temps, de symptômes hystériques et de symptômes épileptiques réunis.
(Landouzy.) A ces deux formes types on peut, avec Dunant, ajouter un
groupe d’hystériques qui ressentent quelques-unes des manifestations
non convulsives de l’épilepsie (vertige, absence), et un groupe d’épilep¬
tiques qui présentent quelques symptômes de l’hystérie non convulsive.
Il est une classe d’accidents vertigineux (vertige nerveux) qui peuvent
être une cause d’erreur dans le diagnostic : ce sont ceux qui sont liés
d’une part à des lésions de l’oreille interne, siégeant spécialement dans
les canaux demi-circulaires, et d’autre part à des désordres gastriques.
Menière a observé, le premier, ce vertige ab aure læso, dans lequel les
malades pris subitement de vertiges, de sensation de balancement per¬
sonnel et de vacillation des objets environnants, de nausées, de vomisse-
'ments même, tombent à terre, la face profondément pâle, la tête couverte
d’une sueur profuse. Menière a fait remarquer que ces vertiges étaient
ordinairement considérés comme des congestions cérébrales et traités
comme tels par des sangsues, des saignées, des purgatifs.
Le diagnostic de ce genre d’accidents doit se fonder sur l’absence de
perte complète de connaissance, sur l’existence de bruits dans les
oreilles, de diminution de l’ouïe, de douleurs auriculaires, de lésions
de la membrane du tympan. J’ai observé un cas de ce genre dans
lequel la seule pression sur le tragus et à l’entrée du conduit auditif
externe suffisait pour provoquer et augmenter la sensation de tournoie¬
ment, en même temps qu’elle causait une douleur très-vive; dans un
autre cas, le malade ne pouvait marcher droit, trébuchait, et Serait tombé
si on ne l’avait retenu. En cas de vertige de date récente, il faut donc
penser à une lésion de l’oreille ; on se rappellera aussi que l’épilepsie
confirmée peut être produite par une affection de cet organe.
Le vertige a stomacho se distingue en particulier du vertige épileptique
par les circonstances étiologiques qui lui sont spéciales (excès d’aliments,
inanition ou dyspepsie habituelle). Dans ce cas, le malade ne perd pas
connaissance.
ÉPILEPSIE. — DIAGNOSTIC. 6^7
La thérapeutique de l’épilepsie ne saurait s’accommoder de l’ignorance
où peut être le médecin de la cause de la maladie, et l’on comprend
combien il importe de savoir si elle est idiopathique ou symptomatique
de lésions du système nerveux central ou d’altérations périphériqües. (On
ne doit pas hésiter à ranger dans l’épilepsie, l’épilepsie symptomatique^
parce que, à part la cause et certains phénomènes spéciaux, cette dernière
est par ses symptômes convulsifs, ses vertiges, ses absences, entièrement
semblable à l’épilepsie ordinaire.)
Pour trancher cette question, le médecin doit remonter aux antécé¬
dents de toute sorte, se bien renseigner sur la façon dont se sont mani¬
festés les premiers phénomènes, sur leur relation ou non avec une
maladie qui aurait précédé l’épilepsie, sur les principaux caractères des
attaques, sur l’état de l’intelligence, de la motilité et de la sensibilité.
Lorsque le médecin apprend que les ascendants n’ont jamais été atteints
d’affection de nature tuberculeuse, scrofuleuse, syphilitique, que la mala¬
die a suivi une grande émotion, une peur, qu’elle n’a pas été consécutive à
une affection aiguë quelconque ayant retenti d’une façon intense sur les
centres nerveux, que le malade a toujours été d’une grande impression¬
nabilité, que les phénomènes morbides se manifestent très-franchement
sous forme d’absences, de vertiges, d’accès ou d’attaques, il peut être à
peu près certain que l’épilepsie est idiopathique et n’est qu’une névrose ;
je dirai encore qu’on ne doit pas s’appuyer sur l’existence de convulsions
unilatérales ou limitées à un membre, pour soutenir que l’épilepsie n’est
pas dans ces conditions une simple névrose.
La convulsion n’est, en somme, qu’un très-faible élément du problème
à élucider ; son intensité et sa forme dépendant du plus ou moins grand
nombre de cellules bulbaires et spinales excitées, il suffit, pour que
l’impression sur les cellules soit plus ou moins étendue, que la cause
excitante soit plus ou moins active. Le bulbe et la moelle n’étant qu’un
intermédiaire entre cette cause et la convulsion, le mode d’être de cette
dernière n’a rien à faire avec la nature de la cause. C’est là une conviction
que j’ai puisée dans les services d’épileptiques de la Salpêtrière et de
Bicêtre, par les observations nécroscopiques que j’y ai faites.
J’ai appliqué ces idées à la thérapeutique et la guérison par les anti¬
spasmodiques de quelques épileptiques sur lesquels le diagnostic d’épi¬
lepsie symptomatique avait été porté, parce qu’ils avaient des convulsions
unilatérales, est venue me démontrer l’erreur où l’on peut tomber en fon¬
dant un diagnostic sur la forme des convulsions et en particulier sur leur
unilatéralité. Du reste, plusieurs autopsies d’épilepsies à convulsions uni¬
latérales m’ont démontré que la maladie n’était pas symptomatique.
Si, au contraire, le médecin apprend que des ascendants sont tuber¬
culeux, scrofuleux, que la maladie a été consécutive à une affection aiguë
ou à un traumatisme du cerveau qui a porté atteinte aux centres nerveux,
arrêté ou altéré l’intelligence, amené une parésie d’un membre, d’une
moitié ou d’une partie de la face, d’un sens, il peut être certain qu’il a
affaire à une épilepsie symptomatique.
6-28 ÉPlLIiPSIE. - DLAGKOsTIC.
La possibilité de lésions cancéreuses, syphilitiques, tuberculeuses du
cerveau doit toujours être présente à l’esprit ; aussi l’examen de tous les
organes ne devra jamais être négligé, car il est rare que dans ces cas on
ne découvre pas une céphalalgie fixe, bien localisée ou des lésions des
sens, de la motilité, etc.
De même que cela s’observe pour les attaques convulsives qui sont
symptomatiques d’un ramollissement cérébral partiel, il existe quel¬
quefois une aura dans le côté du corps opposé à la lésion, et en particu¬
lier le plus souvent à l’épaule opposée.
Selon Gros et Lancereaux, le malade atteint d’épilepsie syphilitique
accuse toujours des antécédents syphilitiques, chancres, bubons indurés,
accidents secondaires. Au lieu de débuter d’emblée, l’épilepsie est pres¬
que toujours précédée de malaise, de céphalée nocturne avec ou sans
exostoses, d’alopécie, d’ecthyma, etc. L’absence de l’hérédité, le dévelop -
pement tardif de la maladie qui n’éclate jamais avant 30 ans, enfin sa
curabilité sous l’influence de la médication spécifique sont aussi des si¬
gnes précieux. Au milieu des phénomènes nerveux multiples que la
femme présente pendant la syphilis secondaire, il n’est pas rare, d’après
Alfred Fournier, d’observer, en l’espace de trois à quatre mois, quatre ou
cinq attaques épileptiques ou hystéro-épileptiques, quelquefois plus. La
période secondaire passée, ces malades, n’ont plus d’attaques. 11 n’existait
dans ces cas aucun antécédent morbide. Alfred Fournier a aussi noté que
les femmes antérieurement épileptiques ou hystéro-épileptiques étaient
atteintes, pendant cette période, d’un plus grand nombre d’attaques
qu’auparavant.
Pour ce qui concerne les épilepsies alcoolique, absinthique, saturnine,
mercurielle, leur diagnoslic découle en partie de la connaissance des
antécédents, de l’habitus extérieur, de l’examen de l’haleine, des gencives
et des ongles.
I L’épilepsie produite par l’alcool, le vin, le cidre, se caractérise le
Iplus ordinairement par des accès isolés survenant à longs intervalles;
I l’épilepsie absinthique par des accès qui se reproduisent en très-grand
I nombre dans un très-court espace de temps ; ainsi j’ai signalé à la Société
I anatomique des cas d’épilepsie absinthique avec 150 à 200 accès en
i vingt-quatre heures; depuis, Marcé et Magnan ont observé les mêmes
faits.
L’épilepsie saturnine se reconnaît principalement par les antécédents,
la connaissance de la profession, des habitudes du malade, le liséré des
geneives, la teinte spéciale de la face, l’existence de coliques, de consti¬
pation, de parésie des extenseurs, des mains; quant aux accidents convul¬
sifs eux-mêmes, ils ressemblent à ceux de l’épilepsie ordinaire; il y a des
vertiges, de grands accès et des accès de manie.
Il en est de même dans l’intoxication mercurielle : j’ai vu un doreur
sur glaces qui éprouve depuis plusieurs mois, en même temps que le
tremblement, des vertiges caractérisés par une sensation de tournoie¬
ment, une perte de connaissance instantanée qui amène quelquefois la
ÉPILEPSIE. — DIAGNOSTIC. 629
chute à terre, un mouvement d’inclinaison du tronc de droite à gauche
et d’avant en arrière.
Dans ces cas, la connaissance des antécédents et les autres symptômes
donnent la clef du diagnostic.
L’épilepsie sympathique est, si l’on excepte celle qui est liée à la pré¬
sence de vers dans l’intestin, d’un diagnostic très-difficile.
Son allure est, en effet, en tous points semblable à celle de l’épilepsie
idiopathique, et l’examen le plus approfondi ne permet pas de découvrir
une action périphérique excitante.
On ne saurait trop se garder de croire que là où est l’aura, là est aussi
la cause de la maladie; l’aura n’est dans la très-grande majorité des cas
qu’une sensation périphérique dont la cause est centrale.
Quant à l’épilepsie vermineuse, comme elle est assez fréquente chez
les enfants, il faut examiner les pupilles, demander s’il existe des dé¬
mangeaisons nasales, anales, et employer une médication appropriée
qui lèvera souvent les doutes que l’on aurait pu avoir.
Épilepsie simulée. — L’épilepsie est une des maladies qui ont été le
plus fréquemment simulées, parce qu’elle ne demande qu’une représen¬
tation momentanée, et qu’il est possible d’être bien portant dès que
l’accès est passé. (Tissot.) En outre, on est toujours plus porté à plaindre
ceux qui sont atteints de cet affreux mal qu’à soupçonner l’artifice, et
enfin, il faut bien le dire, la simulation ayant été plus d’une fois cou¬
ronnée de succès, ce résultat n’a pu qu’encourager les imposteurs à re¬
nouveler de semblables tentatives. (E. Boisseau, 1870.) La simulation de
l’épilepsie est surtout pratiquée dans le but d’exciter la pitié des passants
et-d’ échapper au service militaire. Mais E. Boisseau nous a appris que
la simulation devenait de plus en plus rare dans l’armée, et que, chargé
pendant quatre ans du service où sont placés les malades suspects, il
n’a eu à constater que quatre cas d’épilepsie simulée sur un nombre
considérable d’épilepsies réelles. Quant à moi, j’en ai déjà observé trois
cas chez des individus qui avaient été envoyés comme épileptiques dans
les services que je dirigeais. Je considère que le diagnostic de i’é-
pilepsie simulée est aujourd’hui facile, pourvu que le médecin puisse
voir l’individu pendant une attaque ; mais on sait que tel n’est pas le
cas le plus habituel et que les simulateurs ont bien soin de n’avoir
leurs attaques que lorsqu’ils se croient certains de ne pas être soumis à
l’examen immédiat des gens de l’art. C’est là une première difficulté.
Cependant, pour ce qui concerne l’épilepsie alléguée, on sait que l’on
peut, même si on ne voit pas des attaques, soupçonner l’épilepsie à certains
signes que le simulateur n’imite pas ordinairement, ne peut pas imi¬
ter ou imite mal : ainsi la morsure de la langue, le piqueté de la face,
les cicatrices sur les parties saillantes de la face, surtout au front, au
menton, aux pommettes.
Les difficultés du diagnostic ne sont pas moindres pour ce qui regarde
l’épilepsie simulée. On peut imiter la chute à terre, les convulsions,
la rougeur de la peau, l’écume à la bouche en mâchonnant du savon,
650 ÉPILEPSIE. — DIAGNOSTIC,
l’urination ; il est vrai qu’on ne peut pas reproduire la pâleur de la face,
la dilatation et l’immobilité de la pupille, non plus que l’insensibilité de
la peau et des muqueuses; mais la pâleur de la face est un signe telle¬
ment fugace et rapide, qu’on ne peut compter sur lui, et des simulateurs
peuvent, ainsi que je nr’en suis assuré, porter les yeux tellement haut en
arrière des paupières, qu’il est difficile de rien voir de précis du côté des
pupilles ; d’ailleurs l’insensibilité des pupilles et de la muqueuse oculo-
palpébrale n'exisle que dans les périodes tonique et clonique. J’ai aussi
observé plusieurs cas d’épilepsie vraie où les pupilles ne se dilataient pas
et n’étaient pas immobiles; enfin j’ai vu des individus tellement peu sen¬
sibles ou tellement maîtres d’eux-mêmes, qu’à moins de les brûler, ils ne
se seraient pas trahis. D’un autre côté, l’épilepsie présente un si grand
nombre de variétés d’accès, que les simulateurs peuvent imiter l’une ou
l’autre de ces variétés, et que le médecin serait disposé à croire à la si¬
mulation en présence de certains phénomènes singuliers qui sortent de la
voie ordinaire.
J’ai vu à Bicêtre des individus pris simplement de soubresauts et de
secousses qui ont fait souvent surgir en moi l’idée de simulation ; d’au¬
tres, atteints d’une sorte de somnambulisme consécutif à un vertige,
avaient l’air de jouer une comédie ; un autre tombait brusquement à
terre, offrait quelques petites secousses, quelques mouvements de flexion
des membres inférieurs, enfin se relevait prestement après une seconde,
et, comme s’il ne s’était rien passé, continuait sa besogne interrompue.
La multiplicité des formes est tellement grande, qu’il faut un assez long
séjour au milieu de ces malades pour arriver à distinguer le faux du
vrai, et j’avoue que, dans les premiers temps, j’avais une grande ten¬
dance à croire que beaucoup d’épileptiques me trompaient. Les phé¬
nomènes divers qui caractérisent leurs accès sont tellement différents,
pour la plupart, des descriptions classiques, que je me tenais continuel¬
lement sur mes gardes ; mais il m’a bien fallu me rendre à l’évidence,
lorsque survinrent des attaques convulsives complètes, suivies ou non de
délire et de troubles physiques appréciables.
Si l’on est ainsi quelquefois embarrassé pour déclarer vrais des phéno¬
mènes épileptiques, on doit comprendre, à plus forte raison, les diffi¬
cultés dont est entourée la connaissance de l’épilepsie simulée, lorsque
surtout on n’a pas vécu dans un milieu nosocomial d’épileptiques, et cette
condition est évidemment l’exception pour les médecins.
Voici les principaux points sur lesquels je crois qu’on peut se fonder
pour établir la réalité de l’épilepsie.
L’épileptique tombe partout indistinctement et le plus souvent en
avant; la face est pâle; les convulsions sont bornées à un côté ou prédo¬
minantes de ce côté; les pupilles le plus souvent dilatées et presque
toujours insensibles à la lumière ; la sensibilité abolie ; après l’attaque,
l’individu reste hébété, obtus et porte parfois de petites taches ecchy-
motiques sur la face et en particulier au pourtour des yeux.
Le pouls enfin présente les caractères sphygmographiques les plus im-
ÉPILEPSIE. — DIAGNOSTIC. , 631
portants qu’il est impossible de simuler, et que je considère comme
tranchant seuls la question de diagnostic dans certains cas difficiles.
Deux ou trois secondes avant que l’attaque commence, les courbes
sphygmographiques sont moins hautes, plus arrondies et plus rappro¬
chées. L’attaque survenue, on voit cinq à six petites ondulations succes¬
sives et disposées suivant une ligne ascendante, puis une série de courbes
très-peu élevées ; ces courbes se prononcent davantage, présentent une
convexité supérieure très-accusée, donnant presque l’idée d’une moitié de
sphère; puis, au bout de quelques minutes, les lignes s’élèvent presque
perpendiculairement à une hauteur trois ou quatre fois plus grande
qu’avant l’attaque ; elles présentent au sommet un angle plus ou moins
aigu, puis redescendent en présentant les caractères les plus accusés du
dicrotisme.
La durée de cette forme de pouls varie d’une demi-heure à une heure
et demie, elle a même duré quelquefois six heures après une attaque.
Ces modifications du pouls ne sont pas propres à la grande attaque
seule; je les ai observées aussi dans le vertige (fig. 99 et 100).
Lorsqu’on prend un tracé chez un homme sain ou un épileptique qui
vient de se livrer à une course rapide ou à des efforts violents, on obtient
des tracés qui n’ont rien de comparable avec les précédents (fig. 101,
102, 105).
Fis. iOi, — Debierne. — Tracd pris aussitôt après une course rap^e.
Fis. lui. — Uievrcau. — riuté piis après uiiecouisu.
Fig. 105. — Tracé pris sur moi après une course rapide.
Depuis la publication de mon mémoire (1868), E. Boisseau a eu l’occa¬
sion d’appliquer ou de faire appliquer le sphygmographe chez plusieurs
épileptiques à la fin d’attaques, et il a recueilli des tracés se rapprochant
beaucoup des miens.
J’ai pu essayer ce moyen de diagnostic chez des simulateurs et acqué¬
rir ainsi la conviction que le sphygmographe est appelé à donner les
meilleurs résultats dans ces cas de simulation. Un individu qui a fait le
sujet de ces observations a abusé longtemps à Paris de la crédulité pu¬
blique et a échappé au service militaire. Placé d’abord comme épileptique
à Bicêtre, il a été envoyé à l’asile de Clermont avec le même diagnostic.
Là, après avoir passé l’âge de la conscription et après s’être assuré
C32
ÉPILEPSIE. — pROKosTic.
qu’il était exempt, il avoua au médecin qu’il simulait l’épilepsie. Depuis
il a répété nombre de fois les attaques lorsqu’on le lui demandait. J’ai
assisté à plusieurs d’entre elles et j’ai constaté que cet individu simulait
à merveille l’épilepsie, mais que les caractères sphygmographiques du
pouls différaient complètement de ceux que m’avaient offert des épi¬
leptiques (fig. 104, 105, 106).
Fig. 104. — V... — Épileptique simulateur. Tracé pris avant les attaques
simulées, à jeun.
Fig. 103. — V... — Tracé pris quatre minutes après le début d’un petit
accès simulé.
Fig. 106. — Y.. . — Quatre minutes après le début d’une attaque forte simulée.
Ces tracés me paraissent suffisamment démontrer cojnbien les carac¬
tères du pouls que l’on constate après les vraies attaques d’épilepsie
diffèrent de ceux qu’on observe chez le simulateur; ces derniers me sem¬
blent permettre dorénavant de découvrir la fraude avec une précision
scientifique et avec une certitude d’autant plus grande, qu’il n’est pas
nécessaire d’assister aux accès pour établir son diagnostic.
Ce signe est bien autrement certain que l’insensibilité des pupilles,
considérée jusqu’ici comme infaillible par la médecine militaire ; ce
dernier symptôme manque en effet quelquefois ; je connais un épilep¬
tique dont les attaques ont été pour ce motif regardées comme simulées
par plusieurs chirurgiens militaires, et que le ministère de la guerre
conserve sous les drapeaux. Il est de ceux dont les pupilles ne sont pas
insensibles à la lumière pendant les attaques.
Pronostic. — Le temps n’est plus où l’on pouvait imprimer à l’épi¬
lepsie le cachet de l’incurabilité, ainsi qu’on l’a fait jusqu’à ces der¬
niers temps. Les efforts de Tissot et d’Herpin (de Genève) ont aujour¬
d’hui triomphé de l’incrédulité; l’on est revenu de ces pronostics
désespérés, et l’on est arrivé à voir que l’épilepsie est une affection
curable 'dans un très-grand nombre de cas. J’essayerai de montrer
qu’elle le sera bien davantage lorsque les médecins reconnaîtront et
traiteront à temps les phénomènes qui accompagnent le début de l’épi¬
lepsie, que l’on est trop souvent habitué à considérer comme de peu
d’importance.
Une des premières questions que soulève l’étude du pronostic de
l’épilepsie est celle de savoir si cette maladie peut guérir spontanément ;
quelques Jaits Je prouvent, mais leur nombre est très-peu considérable.
Maisonneuve l’a observé 4 fois sur 100 ; Herpin est arrivé au vingtième
des cas; Delasiauve à constaté deux fois la guérison spontanée; pour
ÉPILEPSIE. — PRONOSTIC. 655
moi, je ne l’ai vue que 3 fois sur les 710 épileptiques que j’ai déjà suivis,
et encore ces 3 cas se sont-ils rencontrés parmi les enfants, au nombre
de 235, que j’ai vus, tant à l’hôpital que dans ma pratique personnelle.
J’ai observé un certain nombre d’épileptiques pour lesquels les méde¬
cins avaient fait espérer en vain que la guérison serait la conséquence de
la croissance, de la puberté, de la menstruation, de l’état adulte, du
mariage. Deux de ces conditions, au contraire, là menstruation et le
mariage, exercent l’influence la plus déplorable sur la marche de la ma¬
ladie et l’aggravent considérablement. Nombre d’épileptiques, qui n’a¬
vaient, avant ces deux actes physiologiques, que des vertiges ou des
absences, ont été pris, depuis, d’attaques convulsives, et ont éprouvé
une aggravation des premiers phénomènes.
Villard a étudié cette question spéciale sur les épileptiques de la Salpê¬
trière, et en a tiré la conclusion que la nubilité chez la femme et le mariage
exercent une influence fâcheuse sur le pronostic de l’épilepsie.
Je crois que, en présence de ces faits, on est suffisamment fondé à dire
que l’épilepsie n’est que très-exceptionnellement curable d’elle-même,
et qu’il ne faut pas compter sur une chance aussi problématique.
La médecine d’action est, au contraire, arrivée aujourd’hui à des
résultats très-favorables. Herpin avait montré qu’elle peut exercer une
heureuse influence sur près des trois quarts des cas; qu’elle peut en
guérir la moitié ; que, dans près de la moitié des cas qu’elle ne guérit
pas, elle éloigne les accès d’une manière notable, et que le nombre des
épilepsies rebelles aux traitements dirigés avec persévérance est d’un
quart seulement. La majorité des médecins avait mis en doute ces
résultats ; mais l’apparition du bromure de potassium est venu prouver
que ces prévisions étaient plutôt en deçà qu’au delà de la véi'ité. On
peut dire, en effet aujourd’hui, sans crainte d’être taxé d’exagération,
que, traitée par ce médicament, l’épilepsie idiopathique guérit une fois
sur deux, et que l’épilepsie symptomatique peut guérir ou être améliorée.
Nous sommes donc loin de cet aphorisme de Boerhaave, qui avait
formulé ainsi le pronostic de l’affection : « Héréditaire, elle ne guérit pas;
idiopathique, elle guérit rarement.» On peut ajouter que les épilepsies
alcoolique, absinthique, saturnine, mercurielle, syphilitique, guérissent
facilement.
Un certain nombre de circonstances doivent être prises en considé¬
ration dans le pronostic de cette maladie ; l’hérédité, le sexe, la confor¬
mation, la complexion, l’âge, le tempérament, l’état mental, la moralité,
les habitudes de l’épileptique, l’ancienneté de la maladie, la nature des
accès (Herpin), la fréquence des accès, leur retour de jour ou de nuit.
L’hérédité ne présente rien d’absolument fâcheux lorsqu’elle s’applique
à la transmission de l’épilepsie. Ces cas, en effet, guérissent aussi bien
que d’autres ; mais il n’en est pas de même lorsque l’épilepsie héréditaire
est liée à la transmission de la scrofule, de la syphilis et du tubercule.
Elle est alors à peu près incurable.
Le sexe n’a aucune influence pronostique.
634 ÉPILEPSIE. — pronostic.
La conformation du squelette doit être prise en considération ; ainsi,
il est rare qu’un individu qui présente une disposition vicieuse quel¬
conque du crâne guérisse, surtout lorsque cette disposition porte sur
le diamètre antéro-postérieur de la tête. L’étroitesse de la poitrine, sa
forme dite en carène, sont aussi de mauvaises conditions; on en peut dire
autant de toute espèce de mal-conformation du squelette, parce qu’on
peut supposer qu’il eu existe aussi dans le crâne. 11 est en effet de règle
que l’on a rarement un seul vice de conformation à la fois.
L’âge a une influence pronostique des plus évidentes; l’épilepsie est
très-grave dans la première enfance jusqu’à 10 ans, et dans la jeunesse,
de 20 à 30 ans.
Les tempéraments lymphatique, lymphatico-sanguin , sanguin, sont
plus défavorables que les autres, tandis que les épileptiques à tempéra¬
ment nerveux simple guérissent ou s’améliorent facilement avec le bro¬
mure de potassium.
L’idiotie, la démence, et la tendance au délire comitial, sont de mau¬
vaises conditions, parce que ces phénomènes concomitants sont presque
tous liés à des lésions cérébrales ou cérébro-méningées. Pourtant, lors¬
qu’un épileptique idiot ou dément ne présente pas de parésie ni de con¬
tracture, on peut le guérir de l’épilepsie et améliorer par la suite son
intelligence.
La moralité de l’individu, ses habitudes, ont une grande influence;
il suffit, en effet, d’un écart de régime, d’un excès de boissons, d’un
abus de plaisirs vénériens, de l’onanisme, pour compromettre un traite¬
ment en bonne voie. Ces conditions expliquent en partie comment les
statistiques faites dans les services nosocomiaux d’épileptiques, comme
ceux de Bicêtre, sont plus défavorables que dans la clientèle de gens aisés
efinstruils. Pour qui a vu de près les épileptiques de Bicêtre, on com¬
prend la résistance que ces malheureux opposent à la guérison par leur
absence de moralité et d’éducation.
Le retour diurne ou nocturne des attaques est sans effet sur la cu¬
rabilité de l’épilepsie, mais il en a une grande sur l’état de l’intelli¬
gence ; il est, en effet , à noter que les attaques nocturnes altèrent
beaucoup moins l’intelligence que les attaques diurnes. On peut se de¬
mander si cela ne tient pas à ce que l’épileptique qui est pris en dormant
se repose, après la crise, dans un sommeil réparateur?
L’ancienneté de la maladie peut influer sur le pronostic. Ainsi, Herpin
avait remarqué que les chances de succès étaient très-grandes au-dessous
de trois mois de durée.
La nature des crises a une valeur considérable; on ne rencontre aucun
cas rebelle chez les individus qui n’ont eu que des vertiges, ou des
accès, ou des attaques, mais le pronostic est grave lorsqu’un épileptique
présente réunies les attaques aux vertiges ou aux absences.
Herpin pensait que le nombre de cent attaques et au-dessous était une
condition favorable. Je crois que ce nombre peut être assez notablement
dépassé depuis que le bromure de potassium est entré dans le domaine de
635
ÉPILEPSIE. — TRAITEMENT.
la thérapeutique; j’ai pu, quant à moins, suspendre définitivement avec
ce médicament des vertiges dont le nombre avait été de plusieurs milliers,
et des attaques dont le chiffre avait atteint plus de cinq cents. Je ne
doute pas que d’autres médecins n’aient pu arriver à de semblables
résultats.
Les climats froids paraissent avoir une mauvaise influence, si j’en juge
par des observations prises à Moscou.
Un certain nombre de symptômes d’attaques doivent aussi être pris en
considération, lorsqu’il s’agit d’apprécier le pronostic de cette affection.
Ainsi, Delasiauve a montré que le coma prolongé, les vomissements réi¬
térés, la longueur de la période asphyxique, une débilité paralytique
dans une moitié du corps, sont d’un fâcheux augure. Cette débilité
peut être le témoignage d’une altération organique du cerveau qui a
déterminé l’épilepsie, ou qui a été consécutive à des attaques. Dans les
deux cas, le pronostic est aussi fâcheux, car la lésion secondaire peut
devenir un stimulus nouveau qui produira lui-même des attaques.
U hystéro-épilepsie est plus difficile à guérir que l’épilepsie ou l’hystéi'ie
isolées, et, si elle guérit, elle laisse toujours après elle quelque phéno¬
mène nerveux qui rappelle à la malade qu’elle a été sujette à des attaques
et qui doit inspirer au médecin la crainte constante de voir récidiver
l'affection convulsive; lorsqu’elle ne guérit pas, elle affaiblit, moins que
l’épilepsie pure, les facultés intellectuelles. (Dunant).
Tpaitement. — La thérapeutique de l’épilepsie comprend : 1° le
traitement de l’attaque ; 2“ celui des accidents qui suivent les attaques,
les vertiges, etc.; 3° celui qui a pour but d’empêcher le retour des phé¬
nomènes morbides, et 4“ le traitement de la maladie elle-même.
1“ Traitement de l’attaque. — Dès le début de l’attaque il faut placer
l’épileptique dans une position horizontale, à terre ou sur un lit bas,
exhausser fortement la tête, débarrasser le cou de tout ce qui pourrait
le serrer, et éviter que le malade se blesse. Si l’épileptique se mord la
langue, il faut s’efforcer de la repousser d’entre les dents; mais il
faut se garder d’interposer un morceau de liège ou de bois, un linge,
car on a vu des épileptiques dont les dents coupaient tout ce qu’on met¬
tait entre leurs dents et qui pouvaient l’avaler. Si l’on met des corps plus
durs, on s’expose à ce que le malade se casse les dents. Lorsque la salive
mousseuse est très-abondante, il est bon d’incliner la tête sur le côté pour
qu’elle puisse s’écouler dehors. Lorsque l’attaque est survenue, toute
inspiration de substances excitantes est inutile.
La compression des carotides a déjà été employée un grand nombre de
fois avec succès ; son but étant d’empêcher la congestion cérébrale par
atonie des vaisseaux artériels et veineux qui suit la contraction des mêmes
vaisseaux, on doit l’employer au moment où l’attaque va entrer dans sa
période convulsive.
J’ai employé aussi avec succès deux fois un moyen que Brown-Séquard
a recommandé : flexion aussi énergique que possible de l’un des deux
gros orteils.
ÉPILEPSIE. - TRAITEMENT.
Besson a relaté un procédé assez singulier, essayé depuis plusieurs
années au manicôme de Rome, par Solizetti, d’après la méthode de Guido
Borelli : avec l’index et le pouce de la main gauche, il fait un arc étendu
et l’applique contre les régions temporales, puis il place le pouce de la
main droite dans l’espace qui est immédiatement inférieur à la tubérosité
de l’occipital. A l’aide des mains ainsi appliquées, il exerce une com¬
pression vigoureuse en appuyant fortement, dans le canal sous-occipital,
la pulpe du pouce, et en la portant de bas en haut et d’arrière en avant.
Ce mouvement s’exécute au moment où les doigts de la main gauche
compriment les régions temporales, refoulent le crâne dans un sens op¬
posé à l’action du pouce, et obligent ainsi la tête à décrire un arc de cercle
en dehors et en bas de l’axe spinal. Soliretti trouve l’explication des
succès obtenus par ce procédé dans les propriétés attribuées à la moelle
allongée. L’épilepsie a son siège dans le bulbe, et est produite par une
accumulation d’électricité qui se fait dans cette portion de moelle; la
compression du bulbe aurait pour effet, en raison du mouvement imprimé
à l’atMs, d’interrompre l’accumulation du fluide et de ramener l’équilibre
dans les centres nerveux.
La ligature des membres a été employée dans le cas de séries d’at¬
taques , et dans le but d’empêcher la succession répétée d’un grand
nombre d’accès. Ce moyen paraît agir en soustrayant momentanément à
la circulation générale une quantité considérable de sang, et présenterait
tous les avantages de la saignée sans en avoir les inconvénients. Quoi
qu’il en soit de l’explication, il a parfaitement réussi, entre autres dans
un cas relaté par Piégu.
Lorsqu’un épileptique a l’habitude de tomber la tête en avant, il est bon
de lui faire porter continuellement un bourrelet ; lorsqu’il se luxe l’épaule
dans ses attaques, on s’efforcera de maintenir le bras le long du tronc
pendant l’attaque, ou bien on doit fixer sur lui un appareil contentif des
luxations de l’épaule.
Lorsqu’on assiste à un accès il faut s’efforcer de prévenir ou dimi¬
nuer l’asphyxie. Or le meilleur moyen est, pour cela, de faire inhaler
du chloroforme, de verser sur la face de l’eau froide et de fléchir énergi¬
quement un gros orteil.
2° Traitement des accidents consécutifs aux attaques. — Lorsque les
attaques, les vertiges, sont suivis de céphalalgie, de stupeur, de malaise
général, il y a avantage à donner des bains de pieds stimulants (Valleix);
si les signes de congestion vers la tête sont très-marqués, si surtout le
malade a eu un certain nombre d’attaques qui se sont répétées dans un
court intervalle, une application de sangsues derrière les oreilles, à l’anus
ou aux malléoles, est utile en même temps qu’il faut donner un. purgatif.
Lorsque les attaques sont suivies de délire, d’égarement, d’agitation
maniaque, de fièvre, on se trouve toujours bien d’appliquer à la nuque,
le plus haut possible, un vésicatoire que l’on doit entretenir pendant
quelques jours, de donner du sulfate de quinine, de la digitale, du calomel
à dose fractionnée, et des purgatifs.
ÉPILEPSIE. - TRAITEMBST.
637
Pour parer au délire maniaque qui se produit fatalement chez quelques
malades après des attaques qui reviennent en séries au nombre de huit à
dix, quelquefois moins, j’emploie avec succès,* depuis plus de trois ans,
à Bicêtre d’abord, avec H. Liouville, puis à la Salpêtrière, le curare à la
dose de 15 centigrammes et plus. Voici comment je procède : dès la
première attaque j’injecte dans le tissu cellulaire sous-cutané de l’avant-
bras cette dose de curare en solution bien fillrée et bien claire ; je répète
la dose pendant les jours suivants ; je la porte même à plus de 2 déci-
grammes, et je la donne chaque jour, tant que le malade conserve un
peu de stupeur et de vague. [Voy. Curare, t. X, p. 565.)
J’ai observé qu’avec ce traitement ces malades n’avaient plus de fièvre,
d’agitation maniaque ou ne présentaient plus que de l’incohérence. Deux
fois, pendant une période de quinze mois, je n’ai pas donné de curare à
une des malades ainsi traitées, et, ces deux fois, la maladeaété prise d’un
accès de manie des plus intenses.
Le curare m’a présenté aussi cet avantage d’enrpêcher la céphalalgie,
qui survient si constamment après les attaques ; un malade ne se plai¬
gnait plus d’un sentiment très-douloureux de constriction de la tête, qui
suivait auparavant les attaques.
J’ai aussi noté à Bicêtre, et le fait a été aussi observé par le docteur
Bécoulet, que les épileptiques, soumis au traitement par le bromure de
potassium, ont très-rarement du délire après leurs attaques.
5° Traitement qui a pour but d’empêcher le retour des phénomènes
morbides. — L’épileptique doit éviter toute espèce d’excès, tout écart de
régime; la venue d’attaques n’a pas souvent d’autre cause. On a dit que
la vue d’accès' chez des malades pouvait en produire chez d’autres; je
n’ai jamais observé le fait dans mon service d’épileptiques de Bicêtre, mais
je l’ai observé sur une femme du service d’épileptiques de la Salpêtrière.
II ne suffit pas de dire à un épileptique ce qu’il doit faire ; on prescrira
ce qu’il ne doit pas faire : ainsi l’épileptique ne doit pas prendre des
aliments excitants ou des alcooliques, rester à une température élevée,
dans une atmosphère confinée ; se tenir immobile, exposé à un soleil ar¬
dent; fumer, et surtout la cigarette, s’adonner à l’onanisme, aux rappro¬
chements sexuels, prendre des bains de mer, ni même séjourner sur le
bord de la mer. L’épileptique doit en outre s’efforcer de se rendre la vie
calme, dégagée d’émotions et de passions.
Lorsque l’attaque d'épilepsie est préeédée de prodromes, d’auras, tels
que sensafions périphériques, épigastriques, bourdonnements d’oreille,
hallucinations, on a cherché souvent à en empêcher l’explosion, mais on y
est rarement parvenu. Cependant, dans les cas d’aura dans une partie
éloignée des centres nerveux, on a réussi quelquefois, en plaçant une liga¬
ture, en exerçant une compression entre ce point et les centres nerveux.
Les procédés les plus divers ont été employés dans ce but par les épi¬
leptiques : une ligature un peu forte, manœuvrée quelquefois en garrot,
et, mieux encore, suivant le conseil d’Odier, deux bracelets en acier pou¬
vant être serrés par un seul cordon, et placés à des hauteurs différentes;
638
ÉPILEPSIE. - TRAITEMENT.
chez une jeune fille à début par l’extrémité inférieure du corps , une
jarretière portée toute la nuit a paru avoir une heureuse influence:
quelques malades, pendant que la crampe est encore bornée à la main
demi-fléchie, en appliquent la face palmaire sur une surface plane, et,
de l’autre main, pressent fortement sur le dos de celle qui est atteinte.
(Herpin.)
Les frictions sur les parties où existe l’aura sont encore une ressource
instinctive que l’on peut employer avec avantage. Herpin a vu un épilep¬
tique chez qui la convulsion commençait à la base de la langue, et qui
pouvait faire avorter ses accès par une contraction des antagonistes des
muscles convulsés. Le militaire cité par Odier, dont l’épilepsie dépendait
d’une tumeur cérébrale traumatique , empêchait ses attaques au moyen
d’une ligature qu’il serrait autour du bras droit, lorsqu’il éprouvait des
crampes dans la main correspondante.
Broca a présenté à l’Académie de médecine de Paris, en 1868, un
appareil compresseur imaginé par Rozier (de Bordeaux), et employé avec
succès sur un épileptique dont les crises étaient annoncées par une aura se
manifestant dans l’index droit.
L’inspiration d’odeurs fortes (ammoniaque, tabac) donne quelquefois
les meilleurs résultats lorsque les malades sont prévenus par une aura de
leur attaque. J’ai pu aussi empêcher l’explosion d’attaques chez des
malades qui en étaient prévenus par des auras épigastriques d’une durée
de près d’une minute, en leur faisant manger une ou deux bouchées de
pain. En particulier, chez un malade dont les auras et les attaques sur¬
venaient le plus souvent aussitôt après son lever, alors qu’il était à jeun,
l’ingestion d’aliments a suspendu ces auras et ces attaques du matin.
Je citerai seulement, pour mémoire, le fait singulier d’un malade de
Bicêtre, sur les épaules duquel il suffisait de monter, au moment de l’aura,
pour empêcher l’invasion de l’attaque.
L’épilepsie qui survient périodiquement, au moment des règles, par
exemple, ne peut que bien rarement être arrêtée par des médicaments
antipériodiques, mais il est bon d’augmenter notablement la dose du mé¬
dicament aux époques des règles.
La suspension des attaques périodiques , par le moyen du quinquina,
a été l’objet de recherches intéressantes de la part de Dumas. Cet auteur
avait pensé que , si l’on pouvait rendre l’épilepsie périodique, il serait
possible de la guérir par les antipériodiques. C’est dans ce but qu’il faisait
prendre périodiquement des alcooliques pour provoquer les crises; puis
il suspendait l’usage des alcooliques ; la maladie conservait sa périodicité
régulière, et il la traitait par le quinquina.
4° Traitement de F épilepsie elle-même. — On doit toujours supposer,
surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant ou d’un adolescent, que la maladie
peut être produite par la présence d’entozoaires, d’un tænia dans l’in¬
testin, et par conséquent, il faut administrer des vermifuges. Nombre de
faits prouvent que l’on a souvent ainsi guéri des malades chez lesquels on
ne soupçonnait pas, au premier abord, une semblable cause.
ÉPILEPSIE. - TRAITEMEKT.
659
Le traitement antisyphilitique est aussi celui que l’on doit employer
avant tout autre, lorsque l’épilepsie est survenue à partir de l’adolescence
sans avoir été précédée de phénomènes de nature épileptique ; il sera bon
certainement d’examiner si les organes génitaux externes présentent
quelque trace de syphilis , mais l’infection pouvant n’avoir laissé aucun
signe extérieur, il ne faudrait pas se fier à l’absence de symptômes cutanés
ou muqueux, ou ganglionnaires pour rejeter l’idée d’infection vénérienne
et ne pas employer le traitement spécial.
Les observations de Tissot , Lochér, Maisonneuve , Veigel , Gullerier,
Hardy et Ricord, démontrent bien que l’on ne saurait trop porter son
attention sur la possibilité de l’infection syphilitique. Et puis, dût-on se
tromper, un traitement antivénérien n’offre par lui-même aucun incon¬
vénient.
Le traitement du haut mal n’est pas seulement thérapeutique , il est
aussi hygiénique, et l’hygiène des épileptiques doit être tout spécialement
surveillée ; les habitudes, les mœurs, la profession, doivent être, en effet,
l’objet d’une attention scrupuleuse de la part du médecin; la vie de l’épi¬
leptique doit être calme, exempte d’émotions, de préoccupations, de con¬
trariétés , de causes d’excitation, de grands travaux intellectuels ; un
régime uniforme, même monotone, une alimej^ation modérée, la conti¬
nence absolue, la sobriété, l’abstinence de vin pur, de café, de thé , de
bière sont de la plus grande importajiice.
Tout exercice exagéré est mauvais, mais les exercices modérés, et en
particulier la gymnastique dite de chambre , constituent un bon moyen
de traitement ; les bains de rivière sont mauvais en ce sens qu’un épilep¬
tique peut se noyer pendant un accès. Une bonne hygiène du corps et de
l’esprit est une des choses qui sont le plus nécessaires à l’épileptique et
qui peuvent le mieux aider à la guérison en diminuant l’irritabilité mor¬
bide du malade.
Quant à la thérapeutique proprement dite de l’épilepsie, elle est entrée
depuis une vingtaine d’années seulement dans une voie certaine. — Af¬
firmée à cette époque par Herpin (de Genève) , le premier, la curabilité
de Tépilepsie est devenue aujourd’hui une certitude.
C’est au bromure de potassium que l’on doit maintenant les plus nom¬
breux succès. Employé pour la première fois en Angleterre, par Laycock,
en 1853, ce sel a été d’abord employé en France par Bazin, Hardy, et a
donné de beaux succès entre les mains d’un grand nombre de médecins.
Le bromure de potassium doit être pur, exempt d’iode et de chlore. 11
doit être donné quelques moments avant les repas, à des doses variant de
■2 grammes à 12 grammes et plus par jour et très-lentement progressives;
mais comme les doses à employer peuvent varier beaucoup chez les indi¬
vidus, suivant l’âge, la constitution, la force, j’emploie depuis plusieurs
années un moyen qui m’a donné les meilleurs résultats et qui consiste
dans l’examen de l’état de la nausée réflexe que l’on produit en introdui¬
sant une cuiller jusqu’à l’épiglotte. J’ai remarqué que l’on n’était réelle¬
ment arrivé à ta dose thérapeutique du bromure de potassium que lors-
640
ÉPILEPSIE.
TRAIIEHENT.
que l’on avait supprimé la nausée réflexe; c’est seulement alors que l’on
est certain d’agir sur le bulbe et de diminuer sa force excito-motrice. J’ai
été assez heureux pour voir ce critérium d’action thérapeutique du bro¬
mure de potassium approuvé par M. Cl. Bernard dans ses leçons au
Collège de France.
L’étude d’autres phénomènes réflexes, tels que le larmoiement, la toux,
l’éternument, permet aussi de suivre l’action du médicament sur le
bulbe et la moelle épinière.
Lorsque l’on a supprimé la nausée réflexe, le médicament ne doit plus
être augmenté, mais il doit être donné avec persévérance et continuité
pendant des années entières, lorsque la maladie s’améliore ou guérit. Au
bout de deux ans d’amélioration ou de guérison, le médicament n’a plus
besoin d’être administré tous les jours, mais tous les deux, trois ou quatre
jours, pourvu que l’on s’assure que la nausée réflexe est toujours ab¬
sente. C’est seulement après un grand nombre d’années passées sans
phénomènes épileptiques que l’on peut cesser le traitement ; mais avant
ce moment l’administration du remède doit être toujours continue. L’in¬
termittence est une grande faute ; à maladie chronique, il faut une médi¬
cation chronique. Le’bromure de potassium doit rester presque un ali¬
ment pour l’épileptique qu’il a guéri.
Certaines indications thérapeutiques propres au bromure de potassium
me font toujours bien.augurer de son action dans l’épilepsie ; ainsi les
manifestations hypnotiques, la lassitude générale, la facilité et la promp¬
titude avec laquelle disparaît la nausée réflexe, l’action antianaphrodisia-
que sont du meilleur augure lorsqu’on traite un épileptique par le bro¬
mure de potassium. Lorsque, au contraire, l’action antianaphrodisiaque,
hypnotique, sédative, est nulle, lorsque la nausée réflexe est lente à dis¬
paraître, il est à croire que le bromure ne produira aucun effet et qu’il
faudra recourir à une autre médication.
Le bromure de potassium peut être employé avec avantage dans
toutes les formes d’épilepsie, idiopathique, symptomatique, comme dans
les cas de phénomènes épileptiformes, même lorsqu’ils se lient à l’idio¬
tie, au crétinisme ; non pas qu’il puisse les guérir tous , mais il peut
tous les amender, et la raison en est toute physiologique ; tout phé¬
nomène convulsif du genre épileptique étant le produit d’une exaltation
de la force excito-motrice du bulbe, le bromure de potassium peut tou¬
jours l’atténuer, le calmer, sinon le suspendre. Mais en recommandant
l’emploi du bromure de potassium de préférence aux autres médicaments,
pour toute affection convulsive du genre épileptique, je considère que son
utilité est plus grande encore dans les cas où l’épilepsie est idiopathique,
dans ceux où elle est le résultat d’une grande impressionnabilité, d’une
exaltation de la sensibilité, dans ceux où elle a été produite par des émo¬
tions vives, des impressions pénibles, la peur, l’onanisme, les excès vé¬
nériens, dans ceux enfin où elle est la conséquence héréditaire de névro¬
ses, telles que l’hystérie, la chorée, l’épilepsie même; du reste, si le
bromure de potassium ne guérit pas toujou.rs, il atténue le plus souvent
EPILEPSIE. - TRAITEMEKT. 641
la maladie, diminue ou même supprime presque l’éréthisme nerveux, les
secousses, les soubresauts si fréquents chez les épileptiques.
Le bromure de potassium peut supprimer les auras, tout en ne faisant
pas disparaître complètement les accès. Il agit moins bien sur les ab¬
sences et les vertiges que sur les attaques.
La proportion suivant laquelle je suis arrivé à suspendre les phéno¬
mènes épileptiques est devenue de plus en plus grande depuis que j’ai
trouvé ce critérium de la nausée réflexe : en effet, tandis que, en 1866,
je disais avoir suspendu la maladie dans le quart des cas, j’obtiens au¬
jourd’hui ce résultat chez la moitié des individus adultes traités ; chez
les enfants, au contraire, la proportion des succès est à peine d’un quart.
Pidoux et G. Sée pensent que le bromure de potassium ne guérit pas
l’épilepsie et que s’il suspend ou retarde les attaques, c’est en les rem¬
plaçant par des préludes, des accès incomplets. Cette opinion ne saurait
d’abord résister aux observations déjà nombreuses qui constatent la gué¬
rison sans qu’il reste trace du mal ; et puis il faut bien savoir que le
principal indice de guérison de l’épilepsie consiste en ce que les attaques
arrivent à être remplacées par des préludes, des accès incomplets, de
même que l’épilepsie conBrmée est toujours précédée , pendant un cer¬
tain temps, par des préludes et des accès incomplets. Aussi lorsque, sous
l’influence d’une médication , un épileptique n’a plus que des accès
incomplets et des préludes, on doit le considérer comme sur la voie de la
guérison complète.
L’administration du bromure de potassium réclame, lorsqu’elle doit
être continuée longtemps , quelques précautions , sans lesquelles on est
exposé à la nécessité d’en suspendre l’emploi. Ainsi des diurétiques doi¬
vent être régulièrement donnés pour favoriser la sécrétion urinaire et
l’élimination du bromure de potassium par les reins et pour empêcher
certaine^ éruptions cutanées du caractère le plus désagréable pour les
malades. Le fer doit être fréquemment associé au bromure de potassium
pour empêcher l’anémie, la cachexie qu’il produit à la longue et certaines
affections de mauvaise nature survenant chez les individus qui en pren¬
nent de hautes doses pendant plusieurs années.
J’ai observé que le bromure de potassium réussissait en général moins
bien chez les enfants que chez l’adulte, peut-être parce que l’épilepsie de
l’enfance est plus souvent liée que l’épilepsie de l’âge adulte à des états
congénitaux des centres nerveux, à des lésions cérébrales dé nature scro¬
fuleuse, tuberculeuse, ou bien parce que, le médicament étant très-rapi¬
dement éliminé chez eux, le cordon médullaire est peu impressionné, et
les actes réflexes dont j’ai parlé ne sont que difficilement supprimés. On
peut, chez des enfants de deux à trois ans, employer des doses de 50 cen¬
tigrammes à 1 gramme 50 ; de cinq à dix ans, des doses de 2 à 5 gram¬
mes, et de dix à quinze ans des doses de 3 à 12 grammes. Le bromisme,
que j’ai à plusieurs reprises observé chez des enfants, et qui se caractérise
par de l’abattement, de l’inappétence, une grande prostration des forces,
du catarrhe pulmonaire, n’est jamais grave lorsqu’on suspend aussitôt le
TOrv. DICT ÎIÉD. El cmn. Xül — ii
642
ÉPILEPSIE. - TRAITEMENT.
médicament. Chez l’adulte, au contraire, le bromisme se manifeste parles
phénomènes les plus graves de catarrhe pulmonaire, d’adynamie ou bien
d’ataxie des plus intenses. L’action du bromure de sodium est la même
que celle du bromure de potassium. Les doses sont un peu moins élevées.
Lorsque l’épilepsie est compliquée de douleurs spinales retentissant ou
non dans les membres, il faut appliquer des cautères, des moxas, des
vésicatoires le long de la colonne vertébrale.
Lorsque l’épilepsie est accompagnée de stupeur, d’hébétude, de dilata¬
tion permanente des 2 pupilles ou d’une seule pupille, d’amnésie pro¬
fonde, de troubles intellectuels, d’hallucinations, d’obscurcissement des
sens , d’excitation cérébrale, de manifestations instinctives, on retire le
plus grand profit d’applications à demeure de cautères, de vésicatoires
permanents à la nuque, de purgatifs répétés.
L’extrait de haschisch, à la dose de 1 à 5 grammes produit les meil¬
leurs résultats dans les cas où des hallucinations terrifiantes précèdent les
attaques et poussent au suicide.
Tous ces moyens doivent être employés concurremment avec le bromure
de potassium. Lorsqu’une épilepsie idiopathique aura été inutilement
traitée par le bromure de potassium, il est inutile d’employer les autres
bromures, tels que le bromure de cadmium, le bromure d’ammonium,
le bromure de sodium ; leur action est nulle. Il faut alors user des pré¬
parations métalliques suivant les méthodes de Laroche, Frank, Urban,
Heim et Herpin, et des médicaments dits vasculaires, concurremment ou
isolément. Les préparations métalliques, le zinc, le sulfate de cuivre am¬
moniacal, le nitrate d’argent, qui ont sur le bromure de potassium pris
à haute dose le grand avantage de ne pas altérer la mémoire, semblent
agir en pénétrant à l’état moléculaire dans les cellules nerveuses du bulbe
et de la moelle, en les métallisant pour ainsi dire, et en diminuant leur
excitabilité et leurs actions réflexes.
Parifii ces préparations celles de %mc (oxyde, lactate, valérianate) sont
celles qui ont amené jusqu’à présent le plus de guérisons ; elles doivent
être administrées une heure après les repas , sous forme pilulaire. La
dose initiale journalière d’ oxyde de zinc peut êtré, chez des enfants au-
dessous de dix ans de 0,10 par jour, et peut être portée à 0,80 par jour,
en trois fois. Au-dessus de dix ans , on peut commencer par la dose de
0,15 par jouç et aller jusqu’à 6 grammes chez l’adulte sans produire
autre chose qûe quelques nausées, un peu de diarrhée , un certain degré
d’anémie et de diminution de fibrine du sang. (Michaelis.)
Herpin a pensé que l’on pouvait pour ainsi dire doser la quantité
d’oxyde de zinc qu’un malade devait prendre avant d’abandonner ce re¬
mède pour un autre, et il est arrivé à conclure que, dans la première année
'de la vie et dans les cas favorables, il faut atteindre la quantité totale de
3 grammes avant d’y renoncer, et que, depuis l’âge de deux ans , dans les cas
favorables, il faut administrer 45 grammes avant d’y renoncer, et
425 grammes dans les cas à pronostic peu favorable.
Le sulfate de cuivre ammoniacal doit être aussi administré sous forme
ÉPILEPSIE. — TKAITBMEJNT.
645
pilulaire une heure après les repas. La dose initiale quotidienne chez les
enfants au-dessous de dix ans, est de 0,005 à 0,01; au-dessus de dix ans,
elle est de 0,02 à 0,04 ; on peut atteindre chez un adulte la dose quoti¬
dienne de 0,40 à 0,60, mais on est souvent obligé de la diminuer ou la
suspendre à cause des nausées, vomissements, inappétence, diarrhée qui
l’accompagnent.
Quant à la quantité totale qu’il faut avoir donné de sulfate de cuivre
ammoniacal, pour savoir si on doit ou non renoncer au remède, Herpin
pense qu’elle doit être pour l’enfant de 48 grammes et chez l’adulte de
70 grammes.
On peut employer aussi le cuivre porphyrisé à la dose initiale quoti¬
dienne de 1 centigramme, et maximum de 5 centigrammes. L’ammoniure
de cuivre à la, dose de 1 à 4 centigrammes par jour a réussi entre les
mains de Belfour, Roussel, Frank et Mercurio.
Le nitrate d’argent cristallisé a été administré aux épileptiques, depuis
la dose initiale de un centigramme jusqu’à celle de 30 centigrammes par
jour. De la Rive et Rayer ont obtenu un certain nombre de succès avec ce
médicament qui offre le plus souvent le grand désavantage de colorer les
malades en bleu, ainsi qu’on a pu le constater , il y a quelques années,
sur cet Américain qui, non guéri , était venu demander aux chirurgiens
de Paris de le castrer.
Le chlorure d’argent a été employé avec succès par Riccardi dans
quelques cas.
Les médicaments dits vasculaires, que l’on peut employer dans l’épi¬
lepsie, lorsque le bromure de potassium, l’oxyde de zinc, le sulfate de
cuivre demeurent sans effets, sont inutiles , sont la valériane, la bella¬
done, l’armoise.
La valériane est donnée en poudre ou en extrait hydro-alcoolique.
Connue depuis une époque très-reculée comme utile dans l’épilepsie, elle
a été de nouveau recommandée par Tissot, Chauffard (d’Avignon) et Odier.
L’extrait alcoolique peut être donné chez les enfants jusqu’à, la dose
quotidienne de 15 centigrammes, et chez les adultes de 30 centigrammes.
Le valérianate d’ammoniaque a été employé, dans ces dernières années ,
contre le vertige épileptique, notamment par Michea.
La belladone conseillée dans le siècle dernier par Fredin, a été remise
en honneur par Murray, Debreyne, Bretonneau, Trousseau, Leuret et Ri¬
card. Trousseau comptait un certain nombre de guérisons avec ce médica¬
ment, lorsqu’il avait été pris avec persévérance; aussi Trousseau arrivait à
donner pendant quinze, vingt mois, jusqu’à 20 centigrammes par jour, et
ne diminuait ou suspendait que lorsque la dilatation excessive des pupilles,
le trouble de la vue, la sécheresse du gosier, la diminution de la mémoire
indiquaient un effet toxique.
Lorsque la névrose se modifiait, il maintenait la dose administrée en
dernier lieu, puis la descendait suivant une progression inverse; puis en¬
fin suspendait pendant quelque temps la médication pour la reprendre
après cet intervalle de repos. Pour Trousseau, une année quelquefois suffit
044 ÉPILEPSIE. — TRAITEMENT.
à peine, pour connaître l’influence de la belladone, et si l’année d’après
il y a quelque amendement, il faut insister encore deux, trois, quatre ans.
La belladone est un médicament qui s’applique plutôt, ainsi que le
zinc et le cuivre, à la cure du vertige épileptique ; le bromure de potas¬
sium, au contraire, agit surtout contre les attaques.
Le curare a été employé contre l’épilepsie, d’une façon rationnelle,
par Thiercelin, le premier ; ses recherches sont restées malheureusement
peu complètes par la privation de médicament, et peu concluantes par le
défaut d’une posologie déterminée. Benedikt a traité avec succès quelques
épileptiques, mais ses malades n’ont pas été suivis assez longtemps pour
qu’on puisse asseoir définitivement une opinion à leur sujet.
Quant à nous, nous avons fait nos premiers essais à Bicêtre, de con¬
cert avec H. Liouville. Dans une première série de six malades, tous épi¬
leptiques et déments, depuis longues années, la médication n’a pas réussi.
Depuis nous l’avons employée et nous l’employons chez des épileptiques
moins gravement atteints et avons constaté la disparition àpeu près complète
de grandes attaques chez certains malades; elle a été complète chez deux.
J'ai échoué entièrement chez le plus grand nombre ; j’ai dit plus haut les
résultats excellents que le curare me' donnait dans la manie épileptique.
D’autres médicaments, tels que le sélin des marais, le cotylédon um-
bilicus, ont été employés avec plus ou moins de succès, par Herpin,
Thossalter, Bullar, Graves et Fonssagrives ; entre mes mains, le sélin des
marais n’a jamais produit aucun résultat; mais, pour le cotylédon, j’ai
observé qu’il avait agi dans deux cas d’une façon très-efficace sur l’exci¬
tation génitale; cet effet est-il dû aux principes ammoniacaux qu’il ren¬
ferme? Quant au galium, je ne l’ai jamais vu réussir, et les succès de
Tain me semblent bien douteux, si j’en juge par le récit de malades qui
y ont été traités par ce médicament.
L’emploi des sternutatoires a été recommandé par Laycock; s’empa¬
rant d’une donnée qui découle des expériences de Kussmaul et Tenner,
ils considèrent l’attaque épileptique comme la conséquence d’une anémie
subite du cervelet ; cette anémie aurait pour origine une impression que
le cervelet recevrait tantôt des centres cérébraux affectés aux fonctions
psychiques, tantôt et plus fréquemment de la moelle allongée. Pour mo¬
difier cet état morbide, Laycock pense qu’il est rationnel d’agir sur le
système respiratoire et qu’on ne saurait agir plus sûrement qu’en irritant
les branches de la cinquième paire qui se ramifient dans la membrane
de Schneider. Le mélange sternutatoire auquel il a donné la préférence
est formé de 5 grammes de poudre d’ellébore blanc et de 60 grammes de
poudre de quinquina; les malades doivent s’en introduire trois fois par
jour une pincée dans les narines, de manière à provoquer des éternu-
ments énergiques pendant dix minutes, puis ils doivent renifler de l’eau
froide, lorsque les éternuments ne s’arrêtent pas spontanément. Ce trai¬
tement ne paraît pas avoir été suivi de succès durables, si on en juge
par les observations de Laycock.
L’électricité à courant constant rend quelques services dans le Irai-
ÉPILEPSIE. — TRAITEMEKT.
645
tement de l’épilepsie, par l’action calmante qu’elle peut exercer sur
les nerfs périphériques et sur les centres nerveux. Le courant constant
affaiblit et épuise l’excitabilité pathologiquement accrue de la moelle. Des
expériences ont en effet montré que dans l’intervalle de la fermeture et
de l’ouverture du circuit parcouru par un courant galvanique fort, l’exci¬
tabilité de la moelle est à ce point anéantie qu’aucune excitation portée
sur elle ne détermine de contraction musculaire. (Jaccoud.)
Ce mode d’emploi de l’électricité, et son application au traitement des
névroses, est surtout connu par les travaux de Remak, de Benedikt, de
Fieber; il n’a guère été employé en France, au moins à ma connais¬
sance, pour le traitement de l’épilepsie. Quant à moi, j’ai commencé à
en faire usage depuis que j’ai vu mettre en pratique l’électro-thérapie à
Vienne, et je suis arrivé aux résultats suivants ;
Le courant constant supprime avec une grande rapidité les points d’hy¬
peresthésie cutanée et musculaire, que présentent si souvent les épilepti¬
ques, et qui jouent si fréquemment un rôle important dans leur maladie.
Ce n’est pas en agissant directement sur les ganglions supérieurs du
grand sympathique au cou, ainsi que l’ont fait Benedikt et Fieber, que
l’on peut espérer agir dans l’épilepsie ; aussi il ne faut pas s’étonner de
voir Benedikt signaler l’inutilité de l’électricité dans l’épilepsie; c’est
sur le bulbe en effet, que l’on doit agir directement et non pas sur le
grand sympathique ; pour cela, j’ai suivi les indications données par
Ludwig Tûrck, et je suis arrivé, après bien des tâtonnements, à dé¬
couvrir certains points où l’on doit appliquer les excitateurs de la pile
électrique pour faire passer un courant par le bulbe. Ainsi, par exemple,
j’ai observé qu’un excitateur placé sur certains points de la poitrine et
un deuxième posé sur la face ou sur la langue en arrière du V, ou au
menton, ont produit des phénomènes très-significatifs qui prouvent que
le courant passe par le bulbe.
La recherche de ces cercles que l’on peut faire parcourir au courant
constant, amènera, d’après ce que j’ai déjà observé, des résultats d’une
certaine importance ; toujours est-il que les malades ainsi traités guéris¬
sent ou s’améliorent, alors même que leur affection avait résisté à d’au¬
tres traitements.
Fieber a remarqué que les courants constants étaient utiles dans le
cas d’épilepsie vaso-motrice, dans celui de mal comitial lié à de la dys¬
ménorrhée ou de l’aménorrhée, et dans l’épilepsie réflexe, mais à la
condition d’appliquer directement le pôle positif sur le point de la péri¬
phérie que l’on suppose être le point de départ de la convulsion, ou sur
l’utérus. Pour Remak et Fieber, les courants constants interrompus sont
utiles dans le cas où l’épilepsie est accompagnée d’hyperesthésie.
Toute espèce d’électricité autre que celle à courant constant obtenue
par des piles dites de Remak doit être proscrite : elle est au moins inutile.
Je n’ai jamais vu obtenir aucun résultat avec la hrôsse dite électrique,
avec les ceintures électriques, avec les courants d’induction.
Certaines manifestations de l’épilepsie analogues à celles de la fièvre
646
ÉPILEPSIE. - TRAITEME.NT. ’
intermittente ont fait penser à plusieurs auteurs et entre autres à Dumas, à
Selade, qu’il serait bon de faire naître la fièvre intermittente chez les épi¬
leptiques et qu’ainsi il y aurait peut-être chance de guérir l’épilepsie.
Un fait que j’ai observé de fièvre intermittente tierce des plus intenses
chez un épileptique, semblerait prouver qu’il ne faut pas compter sur ce
moyen pour la curabilité du mal comitial. Le malade a bien eu pendant
sa fièvre, moins de vertiges, d’absences et d’attaques, mais la fièvre dis¬
parue, l’affection a repris son cours habituel ; l’épilepsie s’est comportée
là comme dans le cas de toute maladie fébrile intercurrente qui suspend
les attaques. La même conclusion doit être tirée d’un fait publié par
Girard, d’une épileptique dont les accès suspendus deux fois pendant une
fièvre intermittente quotidienne, reprirent lorsque la fièvre fut guérie.
Pourtant il ne faut pas oublier le fait relaté par Ricard, d’une jeune fille qui
guérit radicalement de l’épilepsie pendant une fièvre intermittente tierce.
La gymnastique dite de chambre, les exercjces corporels de toute es¬
pèce sont un adjuvant auquel on doit avoir recours, surtout chez les en¬
fants et les adolescents qui sont d’une nature très-irritable, d’un tem¬
pérament très-nerveux, qui présentent de la maigreur des muscles, un
développement incomplet des membres, une certaine étroitesse de la poi¬
trine, liée à de la saillie des veines du cou, du front, des tempes, et à
un volume disproportionné de la tête.
J’ai vu à Bicêtre et à la Salpêtrière la gymnastique ainsi employée pro¬
duire de bons résultats, en faisant cesser la prédominance de la névrosité
et en rétablissant l’équilibre entre les fonctions organiques.
Récamiec a traité avec succès un épileptique, dont les attaques étaient
annoncées par des auras périphériques, par de nombreux vésicatojres vo¬
lants appliqués dans tous les points où le malade éprouvait des auras. •
Lorsque les épileptiques éprouvent dans les membres en même temps
que le long de la colonne vertébrale des douleurs spontanées et provo¬
quées, l’application de vésicatoires ou de cautères sur les points doulou¬
reux du corps et de la colonne vertébrale produit le même effet.
Mettais aurait obtenu de bons effets de frictions faites sur le cuir che¬
velu avec la pommade stibiée. Plusieurs malades de picêtre ont été ainsi
traités par mes prédécesseurs, mais aucun n’a guéri.
Lebreton a employé avec succès le cautère actuel sur k région synci-
pitale dans un cas d’épilepsie. La cautérisation du pharynx, conseillée
par Ducros et Moreau (de Tours), a été employée avec succès dans un cas
d’épilepsie avec aura périphérique.
Frank a fait pratiquer la castration dans un cas où la maladie parais¬
sait avoir son point de départ dans les testicules ; depuis, cette opération
a été recommandée par un chirurgien américain. Mais cet épileptique,
coloré en bleu par le nitrate d’argent, qui voulait se' faire castrer par
un chirurgien français, a été opéré en Angleterre sans que sa maladie en
ait été suspendue. •
Un chirurgien américain a castré un épileptique qui était adonné à
l’onanisme et qui aurait cessé d’être épileptique.
ÉPILEPSIE. — TRAITEMENT.
647
Le trépan a été depuis longtemps employé dans le traitement de l’épi¬
lepsie. Cette méthode, admise par Arétée, Fabrice d’Aquapendente, La-
motte, Tissot, Guild, Campbell, a été remise en honneur; ainsi Mason-
Warren a trépané dix épileptiques : trois ont guéri, deux ont été amé¬
liorés, cinq sont morls.
Broca a trépané aussi avec succès un enfant atteint d’attaques épilep¬
tiques consécutives à un traumatisme du crâne.
La trachéotomie a été employée par Marshall-Hall contre le mal caduc.
On se souvient que cet auteur subordonnait à la contraction des muscles
du cou et à l’obstruction de l’orifice glottique la perte de connaissance et
les autres phénomènes convulsifs. Aussi il a pensé qu’en ouvrant la tra¬
chée on devait conjurer la strangulation et faire avorter les attaques. La
théorie de Marshall-Hall a été mise plusieurs fois en pratique en Angle¬
terre; mais, de l’avis des médecins anglais qui ont pu suivre le résultat
de ses opérations, ce procédé n’a aucune action. Russell Reynolds et
Wynn William, entre antres, ont constaté des attaques chez des épilep¬
tiques qui portaient encore une canule dans la trachée.
Preston (de Calcutta) n’a pas craint de lier l’artère carotide, et aurait
obtenu un succès momentané. Dans un autre cas où un épileptique s’était
ouvert, dans une idée de suicide, l’artère thyroïdienne, Boileau lia la ca¬
rotide. Le malade guérit de cette opération et de l’épilepsie.
D’un autre côté, Velpeau échoua chez un épileptique dont il avait lié les
artères temporales et faciales pour le guérir de sa maladie.
La ligature et la section des nerfs des membres dans lesquels les épi¬
leptiques éprouvent des auras bien nettes et bien limitées, auraient peut-
être, dans quelques cas, une bonne influence, si l’on en juge parles faits
de Pontier et de Fabius (ce dernier rapporté par Portai), et par les expé¬
riences de Brown-Séquard.
Ce dernier, en effet, a montré que la section d’un nerf sciatique, qui
produit chez un cobaye la faculté épileptogène, amène dans le bout cen¬
tral de ce nerf un état morbide qui doit nécessairement produire quelque
irritation dans cette partie du nerf, et que la cessation de la faculté épi¬
leptogène coïncide avec la guérison de cet état morbide, c’est-à-dire avec
l’atrophie du bout central du nerf; eh bien, il n’est pas impossible de
supposer que la section d’un nerf sur le trajet duquel existe qn aura
puisse guérir l’épilepsie.
D’ailleurs, il est avéré que l’extirpation de tumeurs d’où semblaient
partir des auras a amené la guérison des épileptiques ; c’est ainsi que
Schort a. agi chez un malade dont les attaques débutaient constamment
par une vapeur froide partant du mollet. Il découvrit dans la profondeur
des tissus, sur le trajet des nerfs, un petit corps dur, ganglionnaire,
cartilagineux, et en fit l’extraction. Depuis, l’épilepsie guérit. Delasiauye
a reproduit un certain nombre d’autres faits sernblables, dus à Caron,
Leduc, Fabrice de Hilden, Larmorier.
L’avulsion de dents douloureuses a amené le même résultat heureux
entre les mains de Malouet, Portai, Anglade, Mosner.
648
ÉPILEPSIE. - BIBI.lOfiRAPHlE.
On a dit que les affections psoriques guérissaient, par substitution,
l’épilepsie. Je puis répondre, à ce sujet, que j’ai observé deux enfants
qui présentaient un favus des plus rebelles sans avoir été améliorés.
La thérapeutique de l'épilepsie saturnine intense consiste dans l’em¬
ploi de la diète et des boissons délayantes ; c’est au moins la conclusion
à laquelle est arrivé Tanquerel des Planches. Dans le cas d’épilepsie sa¬
turnine subaiguë et légère, l’épilepsie cesse dès que le malade renonce à
l’emploi du plomb : ainsi pour les ouvriers typographes. Lorsque l’épi¬
lepsie persiste au contraire et devient chronique, ce qui n’est pas rare,
le bromure de potassium réussit ordinairement.
J’en dirai autant de l’épilepsie alcoolique et absinthique : elle peut ces¬
ser parle seul fait de l’abstinence de liqueurs; mais nombre d’observations
montrent que des individus sont restés épileptiques tout en supprimant l’u¬
sage d’alcooliques. Dans ces cas, il faut recourir au bromure de potassium..
Le traitement de Vhystéro-épilepsie doit suivre^ les mêmes indications
que celui des deux névroses qu’elle réunit en une seule. S’il s’agit
d’un enfant prédisposé héréditairement, il faut, à la première apparition
d’accidents nerveux (éclampsie, spasmes, contractions),* redoubler de
précautions pour écarter tout ce qui risquerait de devenir une occasion
de convulsions, comme les sensations fortes ou agaçantes, la douleur,
l'insolation prolongée, la colère, la jalousie. Il faut équilibrer les goûts
et les capacités exceptionnelles de l’enfant en cherchant à amener au
même niveau les facultés et les sentiments qui sont moins développés, en
ayant soin de suspendre le travail intellectuel et corporel avant que la fa¬
tigue ait amené une exaltation factice des forces. (Dunant.)
Lorsque des accidents convulsifs ou spasmodiques se sont produits, il
faut employer plus souvent des toniques et des reconstituants que des
antiphlogistiques, faire usage de l’hydrothérapie qui agit à la fois sur
le sang et sur le système nerveux, et des médicaments suivants : bella¬
done, asa-fœtida, bromure de potassium.
L’épilepsie au point de vue médico-légal sera étudiée à l’article Folie.
L’épilepsie a été décrite dans tous les traités généraux, depuis Hippocrate (trad. E. Littré, Pa¬
ris, -1849, t. VI, p. 555) ; maladie sacrée : Celse (De re medica, livre III, cbap. xxiii), Cœlius Au-
relianus (De chronic. morbis, liv. I, cbap. rv), Arétée (De acut. morb., liv. I, cbap. v. De chronic.,
liv. I, cbap. iv), jusqu’aux auteurs contemporains. On consultera encore les divers traités des
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ÉPISPABIAS. Voy. Urèthre.
ÉPISP ASTIQUES. Voy. Vésicants.
ÉPISTAXIS. — Définîtion. — Le mot épistaxis (de èxt et azitta,
je tombe goutte à goutte) est adopté aujourd’hui pour désigner l’écoule¬
ment de sang par les narines. Vogel et Pinel, les premiers, donnè¬
rent ce nom à l’hémorrhagie nasale. Allibert désigna cette hémorrhagie
sous le nom de hémorrhinie; Roche, Broussais, Piorry la dénommè¬
rent rhinorrhagie. Elle est encore connue sous le nom de saignement
de nez.
Historique. — L’hémorrhagie nasale a été connue de toute anti¬
quité. Il ne pouvait en être autrement ; car, de toutes les hémorrhagies,
celle qui se produit à la surface de la pituitaire est, sans contredit, la plus
fréquente. Aussi ne faut-il pas s’étonner que les auteurs anciens, dont
l’esprit éminemment observateur ne laissait passer inaperçu aucun phé¬
nomène morbide extérieur, aient fait de cette hémorrhagie le sujet d’étu¬
des plus ou moins approfondies, qu’ils aient enrichi la séméiotique
d’aperçus diagnostiques et pronostiques qui, encore aujourd’hui, ne sont
pas sans valeur. Cela est si vrai, qu’Hippocrate, frappé de la fréquence de
l’écoulement de sang par les fosses nasales, le désigne sous le nom d’hé-
morrhagia. Cette désignation fut seule acceptée pendant longtemps ; ce
ÉPISTAXIS. - DIAGNOSTIC SYWPTOMATIQDE. 653
n’est qu’avec Hoffmann, Junka, Good que nous voyons le mot narium
(narines) joint à celui d’hæmorrhagia, ces auteurs voulant spécifier d’une
manière particulière le siège de l’hémorrhagie. Puis, enfin, vinrent Vogel
et Pinel, qui lui donnèrent le nom d’épistaxis, sous lequel elle est
connue.
Diagnostic symptomatique. — Bescription du phénomène mor¬
bide. — L’épistaxis est tantôt précédée de phénomènes précurseurs,
tantôt elle paraît d’emblée. Dans le premier cas, ils sont principalement
constitués par des symptômes congestifs vers l’extrémité céphalique {mo-
limina hemorrhina). Les anciens auteurs ont principalement insisté sur
leur existence, auxquels ils attachaient une grande importance au point
de vue du diagnostic. A cet égard, le fait rapporté par Galien en est
la preuve la plus éclatante. L’école de Stahl les a, de même, étudiés avec
le plus grand soin. Ces phénomènes consistent le plus ordinairement
dans un sentiment de tension, de prurit, de chaleur, s’accusant au ni¬
veau des fosses nasales; la muqueuse qui tapisse l’ouverture antérieure
des narines est rouge, plus ou moins fortement injectée; il existe de
l’enchifrènement , de la pesanteur vers la racine du nez; la face est
plus ou moins colorée, parfois vultueuse ; les yeux sont volumineux;
la conjonctive oculaire et palpébrale est le siège d’une congestion très-
intense; les artères temporales et carotides battent avec force. Les ma¬
lades accusent en même temps une céphalalgie frontale plus ou moins
intense ; ils se plaignent tantôt d’un bourdonnement incessant dans les
oreilles, tantôt d’un bruit particulier de voitures, de tambour, de galop
d’un cheval. Enfin, parfois, ils sont en proie à des éblouissements, à
des vertiges. Les extrémités sont froides ; l’urine est pâle ; souvent il existe
une constipation opiniâtre. Le malade est prostré. Le pouls est rebondis¬
sant, souvent dicrote.
La valeur de ces phénomènes prodromiques a été diversement interpré¬
tée de nos jours. Rochoux pense que le plus ordinairement ils ne sont que
le résultat des affections aiguës dont l’épistaxis est une complication. Ils
tiennent bien plus, dit-il, à la maladie principale qu’au prétendu effort
hémorrhagique. Qu’il en soit ainsi dans la plupart des cas, je l’accorde;
j’ajoute même que l’observation journalière démontre la réalité de cette
opinion. Mais si les auteurs anciens ont beaucoup exagéré l’effort que fait
l’économie entière pour amener une évacuation de sang souvent peu con¬
sidérable, si, même, ils ont drop souvent attribué à l’épistaxis des phé¬
nomènes généraux ou locaux i^ui ne sont en réalité que les symptômes
précurseurs d’une maladie générale, d’une maladie fébrile aiguë; ce n’est
pas une raison pour nier complètement leur valeur en tant que prodromes
de l’hémorrhagie nasale; car, dans certains cas, elle est très-réelle.
Il n’est pas un médecin qui ne les ait observées Je dirai même que par¬
fois ces phénomènes morbides s’accusent avec une intensité extrême. Ainsi
Bordeu signale un engorgement glandulaire plus ou moins considérable
qui paraissait tantôt au cou, d’autres fois aux bras, aux jambes, survenant
chez un jeune homme, sujet à de fréquentes épistaxis, chaque fois qu’il en
654 ÉPISTAXIS. — diagnostic symptomatique.
éprouvait une; de telle sorte, dit Bordeu, que, d’après le nombre des tu¬
meurs, il était facile de connaître celui des hémorrhagies.
Le plus ordinairement, au lieu de ces phénomènes morbides qui, je le
répète, ne sont que des symptômes congestifs céphaliques, on n’ohserve,
comme phénomènes précurseurs, qu’une pesanteur de tête plus ou moins
forte, qu’un simple chatouillement nasal qui excité le malade à se frotter
le nez, à éternuer; l’écoulement sanguin apparaît, et ces phénomènes
disparaissent.
Enfin, dans d’autres cas, et ce sont les plus nombreux, l’épistaxis ap¬
paraît d’emblée.
Quoi qu’il en soit, qu’il y ait ou non des symptômes précurseurs, le
début de l’épistaxis est brusque, elle se caractérise par l’écoulement du
sang en dehors des narines. Cet écoulement peut se faire par l’ouverture
antérieure ou postérieure, quelquefois par les deux à la fois, lorsque l’hé¬
morrhagie est abondante. Lorsque l’épistaxis a lieu par l’orifice an¬
térieur, elle se produit tantôt par les deux narines, tantôt par une seule ;
c’est le cas le plus commun. Le sang coule parfois abondamment (aE(;,op-
payia, d’Hippocrate); d’autres fois en nappe, avec lenteur (p'J«ç), ou bien
goutte à goutte (ciTaXaYp.oç) . Si l’épistaxis survient pendant le sommeil, ou
bien si l’hémorrhagie a lieu dans un point situé profondément en arrière
dans les fosses nasales, ou bien enfin, si le malade est couché, l’écoulement
se produit par l’orifice postérieur des fosses nasales ; le sang tombe dans le
pharynx, d’où il est rejeté par expuition, s’il ne sort pas de lui-même par
la bouche; quelquefois il descend jusqu’à l’orifice supérieur du larynx,
provoque la toux et est expulsé par expectoration. (Jaccoud.) Dans ce cas,
les malades sont effrayés ; ils viennent consulter leur médecin, parce que,
disent-ils, ils crachent le sang. Enfin il peut être avalé, passer dans l’es¬
tomac, d’où il est rejeté, soit immédiatement, soit plus tard, par le vomisse¬
ment, ce qui simule Vhématémèse.
La quantité de Thémorrhagie est très-variable, depuis quelques gouttes,
100, 12S grammes, jusqu’à plusieurs livres. Dans un cas que j’ai pu ob¬
server, et sur lequel je reviendrai à plusieurs reprises dans le courant
de cette étude, la quantité de sang perdu a été de 9 livres en soixante
heures. On trouve, dans les Actes de Leipzig, le fait d’un homme ayant
perdu par les narines 75 livres de sang en deux jours. Dans tous les faits
d’hémorrhagie abondante, il est à remarquer que l’écoulement du sang
n’est jamais continu ; il s’arrête un instant pour reparaître ensuite . Du
reste, c’est là un fait normal même dans l’épistaxis peu abondante. Le
sang s’arrête de lui-même en se concrétant dans les narines, et,
dans ce cas, tantôt l’écoulement se supprime complètement, tantôt
cette suppression ne dure que quelques minutes, que quelques heures. Le
malade éprouve une sensation de gêne, de chaleur, de pesanteur
dans les narines ; il éternue, les caillots sont chassés, et l’épistaxis
reparaît.
Ces retours sont souvent multiples et tout à fait irréguliers; ils peuvent se
produire plusieurs fois dans la même journée ou une seule fois par jour.
ÉPISTAXIS. - DIAGMOSTIC SYMPTOMATIQÜE. 655
Dans ce cas, il n’est pas rare de les observer pendant un temps plus ou
moins long. Requin cite un fait où l’épistaxis s’est montrée tous les jours
pendant trois^mois. A côté de ces épistaxis survenant tous les jours à des
intervalles irréguliers, il faut signaler certaines observations où l’hémor¬
rhagie nasale se montrait à des époques fixes, régulières, périodiques.
Ainsi les auteurs du Compendium de médecine citent le fait d’un jeune
■ homme , âgé de vingt ans , couché dans le service de Duméril , à la
maison de santé, qui était sujet à une épistaxis reparaissant tous les
jours à cinq heures du matin. Elle finit par céder à l’action du sulfate
de quinine à haute dose. Bottex a également rapporté l’histoire d’une
épistaxis intermittente qui fut guérie par le sulfate de quinine. Bordeu
avait déjà signalé cette intermittence. Il rapporte le fait d’un jeune
homme chez lequel l’épistaxis revenait tous les mois. On le voit, la
marche, la durée de l’épistaxis, offrent les plus grandes variations.
Celles-ci, du reste, paraissent être en rapport avec la cause qui produit
l’hémorrhagie nasale, avec l’âge du malade.
Les qualités physiques et probablement chimiques du sang varient sui¬
vant la cause de l’épistaxis, suivant la durée de l’hémorrhagie. Tantôt le
sang est rutilant, facilement coagulable; tantôt il est noir, très-fluide. Je
ne puis m’appesantir sur tous ces points, qui seront l’objet d’une étude
particulière à l’article Hémoerhagie.
Si l’épistaxis n’est pas abondante, et, surtout si elle a été précédée de
quelques phénomènes congestifs du côté de la face, tels que rougeur,
céphalalgie, etc., le malade éprouve le plus ordinairement un sentiment de
bien-être, de soulagement, par suite de la disparition des phénomènes pro¬
dromiques. Mais si les épistaxis sont abondantes, si elles se répètent à de
très-courts intervalles, il n’est pas rare de voir survenir quelques-uns
des accidents observés dans les hémorrhagies intenses, tels que syncope,
convulsions. Ainsi, dans le fait que j’ai observé, dès la troisième épistaxis,
la malade, lorsqu’elle voulait se mettre sur son séant, était prise immé¬
diatement d’une syncope; des mouvements convulsifs apparaissaient à la
face, aux extrémités supérieures et inférieures, ils s’étendaient même à la
continuité des membres ; dès que la malade était placée dans la position
horizontale, la tête étant plus basse que les extrémités inférieures, les
convulsions cessaient instantanément, la pulsation radicale s’accusait de
plus en plus, la syncope disparaissait. Plus tard même, l’épistaxis per¬
sistant, ces phénomènes morbides apparurent sitôt que la malade voulait
soulever légèrement la tête, sitôt qu’elle faisait un mouvement dans
son lit.
Ces accidents, en général, disparaissent facilement ; mais, dans certains
cas, il n’en est plus de même, la mort peut survenir. On observe cette
terminaison fatale lorsque l’épistaxis survient chez un sujet déjà affaibli
par une maladie chronique, tuberculeuse ou, cancéreuse ; lorsqu’elle se
montre dans la dernière période de la maladie de Bright, des maladies
du cœur, surtout dans l’insuffisance aortique. Dans ces diverses circon¬
stances, il n’est pas nécessaire que l’épistaxis soit des plus abondantes;
656 ÉPISTAXIS. . — diagnostic pathogékique.
une hémorrhagie nasale peu intense est suffisante pour occasionner la
mort.
Je signalerai, enfin, tous les phénomènes de l’anémie comme accidents
consécutifs liés à l’épistaxis qui se prolonge pendant un temps assez long,
et qui a donné lieu à une perte de sang assez considérable. Je n’ai pas
à insister sur leur description, car elle a été faite à l’article Anémie,
et ils seront mentionnés de nouveau à l’article Hémorrhagie.
La description symptomatique que j’ai donné du phénomène morbide,
épistaxis, facilite, je l’espère, son diagnostic. Le plus ordinairement, en
effet, il; ne saurait y avoir de doute. La sortie du sang par les narines ne
laisse place à aucune méprise; mais il n’en est pas toujours ainsi, et j’ai
signalé les cas où le sang , au lieu de s’écouler par l’orifice antérieur des
fosses nasales, tombait sur le larynx ou dans l’estomac, et était rejeté
au dehors, soit par l’expectoration, soit par le vomissement, de manière
à donner l’idée d’une hémoptysie ou d’une hématémèse. ïï suffira d’un
examen attentif des fosses nasales et du pharynx pour éviter toute
méprise. Cet examen montrera, en effet, des caillots et des stries de sang
sur la muqueuse de ces cavités, et, dans le cas où l’hémorrhagie ne serait
pas arrêtée, si le sang, passant par l’orifice postérieur, s’écoulait par
la bouche, il suffirait, comme le conseille Piorry, de faire incliner la tête
en bas et en avant, pour que le sang s’échappât par l’orifice antérieur des
narines,! et vint ainsi établir le diagnostic du siège de l’hémorrhagie.
Diagnostic pathogênique. — Une fois l’épistaxis reconnue, le
devoir du médecin est d’en rechercher la cause, la nature (diagnostic
nosologique) ; car, c’est seulement après avoir élucidé ces différents points
qu’il pourra apprécier la valeur pronostique de ce phénomène morbide,
et poser avec succès les indications thérapeutiques.
Quelles sont donc les causes de l’épistaxis?
L’épistaxis, appartenant comme phénomène morbide, à des états pa¬
thologiques très-différents, reconnaît les causes les plus diverses. Aussi
les auteurs modernes, désirant mettre de l’ordre dans ce sujet, ont cher¬
ché, à l’encontre des errements suivis par leurs devanciers, à classer les
circonstances étiologiques, afin de faciliter l’étude de la valeur diagnos¬
tique et pronostique de ce phénomène morbide.
L’ancienne classification des hémorrhagies en essentielle, symptoma¬
tique et supplémentaire ne saurait plus être admise. La plupart des au¬
teurs modernes sont d’accord, aujourd’hui, pour n’âdmettre qu’une seule
classe, celle des hémorrhagies symptomatiques. Il est difficile, en effet,
de concevoir que le sang puisse sortir au dehors des canaux qui le con¬
tiennent, sans que les parois qui les constituent, n’aient subi une altéra¬
tion quelconque. Je sais bien que quelques faits paraissent encore échap¬
per à cette loi. J’ai surtout en vue, en m’exprimant ainsi, les hémorrhagies
par diapédèse, par transsudation ; mais, je crois qu’un examen plus
approfondi ne tardera pas à faire rentrer cette classe dans celle des hé¬
morrhagies symptomatiques.
Je borne là ces quelques explications sur la genèse des hémorrhagies,
ÉPISTAXIS. — DIAGIiOSTIC PATHOGÉNIQüE. 657
cette étude trouvera mieux sa place à l’article consacré à ce phénomène
morbide. {Voy. Hémorrhagie.) Elles seront suffisantes, toutefois, pour jus¬
tifier ma manière de voir relativement aux classifications de l’épistaxis,
et pour me permettre de dire que l’hémorrhagie nasale est toujours
symptomatique, c’est-à-dire que, lorsqu’elle se produit, il y a toujours
rupture de la paroi vasculaire. Du reste, s’il pouvait exister quelques
doutes sur la genèse des hémorrhagies qui se produisent à la surface des
divers organes, il ne saurait y en avoir pour l’hémorrhagie de la muqueuse
nasale.
Il suffit de se rappeler la structuré de cette muqueuse. Riche en vais¬
seaux qui lui donnent dans la moitié inférieure l’aspect d’un tissu quasi
érectile, elle est, par là même, exposée, plus qu’aucune autre à une des
nombreuses causes des lésions vasculaires. En outre, la faible résistance
des capillaires de la muqueuse donne l’explication du mécanisme de cette
rupture et de sa fréquence. Aussi l’homme seul ou presque seul, parmi les
animaux, est sujet à l’hémorrhagie nasale. (Rocheux.) Du reste, cette opi¬
nion ne m’appartient pas en propre, elle a été émise déjà par plusieurs
auteurs.
Je n’admets donc que l’épistaxis symptomatique. Il me reste maintenant
à classer les causes qui produisent cette rupture. Cette classification est
d’autant plus nécessaire que l’action est diverse. Jaccoud, vient d’en don¬
ner une à laquelle je me rallie volontiers. Cet auteur, adoptant pour l’é¬
pistaxis, la classification des causes des hémorrhagies en général, admet
quatre classes : 1° Épistaxis traumatique ou ulcéreuse; 2° épistaxis par
altération morbide des vaisseaux ; épistaxis mécanique qu’il subdivise
en a. épistaxis active ou par fluxion; b. épistaxis passive ou par stase;
4° épistaxis adynamique.
Avant d’étudier les différentes maladies locales ou générales qui don¬
nent lieu à l’épistaxis, avant d’étudier leur mode d’action sur la genèse de
ce phénomène morbide, il me semble opportun de donner quelques gé¬
néralités sur son étiologie.
L’enfance et surtout l’adolescence sont les époques de la vie où l’on
observe principalement les saignements de nez. A moins de circonstances
spéciales, que je relaterai plus tard, il est rare de voir l’épistaxis avant
l’âge de deux ans ; on peut même ajouter qu’elle est rare jusqu’à sept
ans ; mais à partir de cette époque, elle devient fréquente et acquiert
son apogée vers la puberté. Puis la fréquence diminue ; en même temps,
l’écoulement devient moins abondant ; et dans la vieillesse, les épistaxis
disparaissent complètement.
Entre vingt et trente ans, parfois l’épistaxis, qui s’était montrée avant
cette période avec une certaine abondance et une grande fréiiuence, cesse
tout à coup, Dans ce cas, il n’est pas rare de voir coïncider avec cette
disparition brusque, instantanée, différents symptômes qui, s’ils ne sont
pas identiquement de la même nature, s’en rapprochent au moins sous
plusieurs rapports.' Ainsi on voit survenir des hémoptysies, et avec elles
tout le cortège des phénomènes morbides de la phthisie pulmonaire.
638
ÉPISTAXIS. - DIAGNOSTIC PATHOGÉNIQUE.
Hippocrate, F. Hoffmann, J. Frank ont insisté sur cette particularité.
Trousseau avait, de même, été frappé de cette coïncidence ; il ne man¬
quait jamais d’appeler l’attention de ses élèves sur ce point important.
Je rappellerai, enfin, ces faits, cités par les anciens observateurs, où l’on
voit que les individus qui ont l’habitude de saigner du nez dans leur en¬
fance, sont sujets plus que les autres au rhumatisme. Chomel qui cite
cette opinion comme déjà formulée par Hippocrate, donne un relevé des
cas qu’il a observés pendant une certaine période de temps. Sur soixante-
douze rhumatisants, vingt-trois avaient eu dans leur enfance des épi¬
staxis répétées.
A un âge avancé, à 50 ou 60 ans, on voit quelquefois réapparaître
les épistaxis chez des individus qui y étaient sujets dans leur jeu¬
nesse. Souvent elles sont très-abondantes, et par là même, très-in¬
quiétantes ; parfois, au contraire, on doit les considérer comme très-
salutaires, surtout si elles surviennent chez un sujet indemne de toute
affection organique. Ainsi Sorre relate un exemple très-remarquable :
deux femmes, âgées, présentèrent des épistaxis .très-abondantes pen¬
dant plusieurs jours ; effrayé, il pratiqua le tamponnement des fosses
nasales. Sous cette influence, l’écoulement cessa, mais, quelques jours
après, elles furent prises d’apoplexie cérébrale à laquelle elles succombè¬
rent. Gazalis a eu l’occasion d’observer plusieurs faits semblables. Portai,
J. Frank, Watson en ont signalé quelques autres. Telles sont les quelques
considérations que j’avais à faire valoir sur l’étiologie en général. Je vais
maintenant passer en revue, très-succinctement, les maladies locales ou
générales qui présentent, parmi leur expression symptomatique, l’épi¬
staxis. Je suivrai autant que cela me sera possible la division que j’ai don¬
née de ce phénomène morbide.
F” classe. Épistaxis tkadmatiqüe ou dlcéreü.se. — Cette épistaxis est de
beaucoup la moins fréquente. En outre, au point de vue de la séméiolo¬
gie, elle offre, en général, peu d’intérêt.
Une chute sur le nez, un coup porté sur les fosses nasales, une fracture
des os propres du nez donneront lieu à cette épistaxis. Celle-ci, en général,
est peu abondante, et, le plus ordinairement, elle ne constitue pas un
accident d’une grande gravité.
Une chute sur la tête, sur les pieds ou sur tout autre partie du corps,
de violents coups portés sur le crâne, peuvent, de même, donner lieu à
un saignement de nez ; celui-ci, ainsi que je te dirai à propos de la va¬
leur diagnostique, présente pour le clinicien un grand intérêt ; car, le
plus ordinairement, il indique une fracture de la base du crâne, intéres¬
sant la paroi supérieure des fosses nasales.
Les ulcérations de la pituitaire, soit simples, soit spécifiques, les po¬
lypes, surtout ceux qui sont vasculaires, s’accompagnent d’une épistaxis
plus ou moins abondante. Parfois ces affections, au début principalement,
ne présentent que ce seul symptôme, et, dans ce cas, il est suffisant pour
appeler l’attention des malades et par suite celle des médecins, sur l’exis¬
tence probable d’une altération de la muqueuse nasale.
ÉPISTAXIS. - DIAGNOSTIC PATllOGÉNIQÜE. 6S9
IP classe. Epistaxis par altération morbide des vaisseaux. — La dior
thèse hémorrhagique ou hémophilie se traduit, le plus ordinairement, par
des épistaxis d’une abondance et d’une ténacité extrême. Dans ce cas,
suivant Virchow, l’hémorrhagie nasale résulte de la minceur et de la dé¬
générescence graisseuse des parois artérielles. Sans vouloir discuter, à
propos de l’épistaxis, la pathogénie de la diathèse hémorrhagique, discus¬
sion qui trouvera mieux sa place à l’article hémophilie, je dirai que tous
les auteurs n’acceptent pas la manière de voir de Virchow. Laveran,
A. Tardieu, Grandidier font jouer un grand rôle à l’altération du sang.
Dans le fait de Laveran, notamment, l’examen microscopique n’a pas dé¬
montré l’altération des vaisseaux capillaires. Cet examen ayant donné
souvent des résultats négatifs, certains auteurs ont recherché une autre
explication que celle donnée par Virchow et par les auteurs que nous ve¬
nons de citer. Mais, à l’inverse de ces derniers, ils ne font pas jouer un
aussi grand rôle à l’altération du sang, et ils pensent que le système arté¬
riel est altéré. Ainsi Gintrac admet un développement incomplet, une
organisation insuffisante de l’appareil circulatoire, et, en particulier, de
l’arbre artériel, joint à une dilatabilité, à une perméabilité anormale des
vaisseaux capillaires. On le voit, la pathogénie de l’hémophilie laisse à
désirer. Pourtant, il paraît probable qu’il existe une altération des parois
artérielles, c’est pourquoi j’ai rangé dans la deuxième classe l’épistaxis
qui survient dans la diathèse hémorrhagique. Du reste, on comprend
très-bien que les vaisseaux étant modifiés, soit, ainsi que le dit Virchow,
par une stéatose de leur parois, soit, ainsi que le dit Gintrac, par une
dilatabilité et une perméabilité anormale des capillaires, on comprend,
dis-je, que la rupture et l’hémorrhagie surviennent sous l’influence des
causes les plus insignifiantes ou sans cause saisissable avec l’apparence de
la .spontanéité. (Jaccoud.)
IIP classe. Épistaxis mécanique. — a. Active ou par fluxion. — Toutes
les conditions qui . déterminent une congestion céphalique favorisent
l’apparition de l’épistaxis. C’est ainsi qu’agissent les grands changements
survenus brusquement dans l’atmosphère. Je citerai, d’après Gendrin, la
présence d’une très-grande quantité d’électricité dans l’atmosphère ; les
brusques changements de la température atmosphérique. Les épistaxis qui
survinrent chez les soldats pendant la retraite de Russie, montrent au plus
haut degré l’action des influences météorologiques, Gendrin en a donné
l’explication suivante : « Par suite de la suspension des exhalations pulmo¬
naires et cutanées, par suite de la gêne de la circulation, surtout périphé¬
rique, le sang des capillaires superficiels, dit cet auteur, est refoulé dans les
vaisseaux profonds, ceux de la pituitaire sont gorgés, dilatés outre me¬
sure. Ils finissent par céder, se rompent, d’où l’épistaxis. » L’insolation^
surtout au printemps, exerce, de même, une grande influence. Un séjour
prolongé dans une atmosphère chaude ou froide est encore une condi¬
tion puissante de congestion céphalique et par suite d’épistaxis. C’est pour¬
quoi les habitants des pays froids, transportés dans les pays chauds, sont
pendant longtemps, deux ans au moins, temps nécessaire à l’acclimate-
ÉPISTAXIS. - DIAGJSOSTIC PATilOGÉMIQUE.
ment, sujets à des épistaxis fréquentes. La raréfaction de l’air doit, de
même, être notée. Tout le monde connaît, sur ce point, les relations que
nous ont laissées certains voyageurs ; aussi n’ai-je pas besoin d’insister lon¬
guement sur tous ces faits. Les exercices violents, les travaux intellectuels
excessifs , les excès de table, une émotion vive, agissent de la même
manière.
Parmi les causes pathologiques qui exercent la même influence , je
signalerai le coryza aigu. Très-souvent le début de l’inflammation de la
pituitaire est marqué par une épistaxis. Les hémorrhagies nasales, dites
supplémentaires, celles qui surviennent par suite de la suppression, soit
d’un flux sanguin habituel (règles , hémorrhoïdes) , soit d’un autre
flux (sueurs) ou par suite de la disparition d’une affection cutanée, d’un
érysipèle même, doivent être rangées dans cette classe, comprenant
les épistaxis fluxionnaires , car leur physiologie pathologique est exac¬
tement celles des causes énumérées plus haut.
Les observations authentiques de Stahl, Gendrin, Jacquemier, Scan-
zoni, Puech, Gourty, etc., ne peuvent, aujourd’hui, laisser planer de
doutes sur le remplacement de l’écoulement menstruel par des hémor¬
rhagies, se produisant par n’importe quel point du corps, qu’il s’agisse de
la peau ou des muqueuses. En ce qui concerne le sujet qui m’occupe
dans cet article, je dirai que Puech, sur 200 observations, a relevé 18 fois
l’épistaxis comme ayant remplacé la période menstruelle. Je ne crois pas
sortir de mon sujet en signalant les questions intéressantes qui ont été
soulevées à cette occasion; aussi vais-je les rapporter succinctement.
Gourty les a, surtout, traitées avec une grande sagacité. Le point le plus
important est le suivant : existe-t-il entre l’hémorrhagie, dite supplé¬
mentaire, désignée sous le nom de règles déviées et Tovulation ou ponte
spontanée, la même relation qu’entre la ponte périodique et l’hémor¬
rhagie utérine concommitante ? Gourty cite une observation de Puech où
l’autopsie a démontré la réalité de cette proposition. Donc la déchirure
de la vésicule de Graaf peut coïncider avec l’hémorrhagie supplémentaire.
Du reste, la fécondité des femmes, atteintes de déviations menstruelles, en
est la preuve physiologique la plus convaincante. Ainsi Pauli (de Lan¬
dau) signale le fait d’une jeune fille de 17 ans, chez laquelle les mens¬
trues furent remplacées pendant dix-huit mois par une épistaxis. Elle
devint mère, la menstruation reparut après l’accouchement, avec une ré¬
gularité parfaite. Les phénomènes morbides qui précèdent ou accompa¬
gnent l’hémorrhagie nasale, déviation de la menstruation, viennent en¬
core appuyer cette proposition. G’est ainsi que les femmes éprouvent,
chaque mois, au niveau des fosses nasales, de la région frontale, une
douleur gravative, obtuse, parfois lancinante, annonçant une fluxion,
une congestion de la membrane de Schneider. Gette partie est, en outre,
le siège d’une chaleur insolite. Les femmes éprouvent, comme à leur pé¬
riode menstruelle, une lassitude générale, un dégoût profond pour les
aliments, une susceptibilité nerveuse exagérée. A mesure que i’hémor-
rbagie se produit, tous ces phénomènes cessent, disparaissent pour se
ÉPISTAXIS. — DIAGNOSTIC pathogéniqüe. (361
reproduire à la prochaine époque menstruelle. Cette épistaxis présente,
en général, la même durée que les règles, et, circonstance digne d’être
mentionnée , la quantité de sang perdue par les fosses nasales est la
même que celle qui était perdue par l’utérus. Le plus ordinairement,
cette épistaxis ne présente aucune gravité ; au contraire , elle exerce une
influence favorable sur la santé de la femme, et le médecin doit la res¬
pecter. Mais, parfois, cette épistaxis est grave au point qu’elle peut en¬
traîner la mort. Ainsi Courty signale une observation deFricker, deHorb,
où la mort est survenue à la suite d’une troisième attaque d’épistaxis
nasale.
Ce que je viens de dire pour l’épistaxis , remplaçant la période mens¬
truelle, s’applique à celle qui supplée l’écoulement hémorrhoïdaire, et,
comme dans le cas précédent, le médecin doit rester spectateur attentif;
il n’intervient que si des phénomènes graves se produisent par suite de la
trop grande perte de sang.
J’ai signalé un peu plus haut l’épistaxis qui survient à la suite de la sup¬
pression d’une affection cutanée , voire même d’un érysipèle, chez les
personnes sujettes depuis longtemps à ces affections. Pour moi, je l'ai
dit, la physiologie pathologique est la même que pour les faits précé¬
dents. Par contre, il n’est pas rare que l’épistaxis soit remplacée à son
tour par quelques-unes de ces affections, lesquelles disparaissent si l’on a
soin de faire un traitement très-indiqué dans cette circonstance. Sorre
relate dans son travail une observation des plus intéressantes. Un homme,
âgé de 45 ans, avait eu, jusqu’à l’âge de 25 ans, des épistaxis abon¬
dantes, revenant deux fois par an, à l’automne et au printemps ; au mo¬
ment où çlles disparurent, survinrent des migraines violentes qui durèrent
deux ans environ. Des hémorrhoïdes fluentes leur succédèrent. Elles per¬
sistèrent jusqu’à l’âge de 38 ans. Dès qu’elles disparurent, le malade n’a
jamais vu un printemps, ni un automne, se passer sans avoir un érysipèle
de la face.^ Chaque érysipèle dure trois ou quatre jours. Lorsque cet
homme fuLsounaii-à-pExamen de Sorre, il en était à son treizième érysi¬
pèle, donUil guérit comme dans les cas précédents. Connaissant les rela¬
tions de ces divers accidents morbides, Sorre l’engagea à venir à l’hôpital
vers le mois de septembre ou d’octobre, époque vers laquelle se manifes¬
tait ordinairement l’érysipèle. Ce malade suivit ce conseil. Une saignée
de 500 grammes lui fut pratiquée, et l’érysipèle ne parut pas.
Dans cette classe rentre l’épistaxis qui survient dans la congestion
cérébrale. Souvent, dans ce cas, une hémorrhagie nasale abondante sou¬
lage les malades. Enfin, je signalerai celle qui résulte de l’obstruction
partielle du système circulatoire, veines ou réseau capillaire. Von Dusch
a cité un cas d’épistaxis survenu dans V oblitération du sinus longitudinal
C’est à l’obstruction partielle du réseau capillaire par les glo¬
bules blancs, qu’il faudrait, suivant Jaccoud, attribuer les épistaxis et les
autres hémorrhagies qui surviennent dans la leucocythémie. Dans cette
maladie, en effet, les hémorrhagies sont ;très-fréquentes. Parmi celles-ci
l’épistaxis occupe le premier rang et par sa fréquence et par son abon-
662
ÉPISTAXIS. - DIAGNOSTIC PATHOGÉNIQUE.
dance. Ce qui confirme l’opinion de Jaccoud, c’est que l’hémorrhagie na¬
sale ne survient pas au début, dans la première période, mais bien pen¬
dant le cours de la maladie et principalement vers la fin.
b. Epistaxis passive ou par stase. — Toute maladie qui gênera la cir¬
culation céphalique en retour ou qui accroîtra la tension du système vei¬
neux général, produira une stase dans les vaisseaux de la pituitaire et
occasionnera leur rupture, d’où l’apparition de l’épistaxis. Jaccoud fait
remarquer avec raison qu’ici le problème n’est pas aussi simple que dans
l’épistaxis active ou fluxionnaire. Il faut tenir compte, ainsi qu’on le
verra, de l’altération du sang qui va concourir, le plus souvent, avec le
trouble mécanique, à produire la rupture hémorrhagique. C’est ainsi
qu’agissent les affections du foie, de la rate, du cœur, des poumons, des
reins.
Quelques mots sur l’épistaxis dans les affections de ces divers organes.
Affections du foie. — Les affections de la glande hépatique présen¬
tent, pendant leur évolution, le symptôme épistaxis beaucoup plus fré¬
quemment- que les affections des autres appareils. D’après Monneret,
auteur qu’il faut toujours citer lorsqu’on traite des maladies du foie, car
nul plus que lui, à notre époque, ne les a étudiées avec autant de saga¬
cité, ce symptôme prime même tous les autres par sa constance. On le
rencontre aussi bien dans les affections aiguës que dans les affections
chroniques de cette glande, aussi bien dans les hypérémies simples que
dans les hypérémies fébriles.
Passer en revue toutes les maladies dufoieserait hors de propos, je préfère
appeler l’attention du lecteur sur quelques-unes d’entre elles , parce que
l’épistaxis y présente quelques particularités dignes d’être notées. Mais
avant, je crois opportun de donner, dans un court résumé, certaines gé¬
néralités sur l’épistaxis dans les affections du foie. Ainsi, on ne peut rien
établir de fixe sur les périodes des affections du foie auxquelles apparaît
le flux sanguin. Dans l’ictère grave, par exemple, il se manifeste dès le
début, peu de temps après l’ictère; dans la fièvre jaune ce n’est que
dans la deuxième et même la troisième période. Dans la cirrhose et autres
indurations de la glande, si l’épistaxis survient, c’est à une époque très-
avancée de cette affection. Sous le rapport des phénomènes morbides qui
précèdent ou accompagnent l’hémorrhagie nasale, on ne constate encore
aucune fixité ; tantôt on observe une très-légère congestion céphalique
donnant lieu à de la céphalalgie, à la teinte rouge brique, ou légèrement
bleuâtre du visage et des lèvres ; tantôt, et même c’est le cas le plus ordi¬
naire, l’épistaxis s’établit d’emblée, d’une manière insidieuse, aucun
phénomène prodromique n’en annonce l’apparition ; tantôt, enfin, mais
très-rarement, ces hémorrhagies s’accompagnent de réactions vasculaires,
chaleur cutanée, fièvre.
Ictère grave. — Dans cette affection, sur la nature de laquelle les cli¬
niciens et les médecins physiologistes sont loin d’être d’accord, l’épistaxis
ne fait jamais défaut. Elle survient dès le début, peu de temps après l'ic¬
tère, vers le deuxième ou le quatrième jour, alors que les autres phéno-
ÉPISTAXIS. — DIAGNOSTIC PATHOGÉNIQDE.
665
mènes morbides, tels qu’embarras gastrique, ictère, frissons et fièvre,
accidents cérébraux, ont fait déjà leur apparition ; tantôt elle se montre
dès le début, elle ouvre pour ainsi dire la scène morbide. Ces épistaxis
sont en général assez abondantes et elles se répètent plus ou moins sou¬
vent dans le cours de cette terrible affection.
Dans la cirrhose, dit Monneret, le saignement de nez est tout aussi
fréquent, aussi constant. Mais, en général, son abondance est moins
grande. Parfois même il ne s’écoule que quelques gouttes de sang et cela
pendant toute la durée de la maladie. Aussi ce phénomène passe-t-il sou¬
vent inaperçu du médecin, et, ce n’est qu’après avoir appelé l’attention
du malade, que l’on obtient un renseignement satisfaisant. Du reste, il est
très-rare que l’épistaxis apparaisse au début de la cirrhose, c’est le plus
ordinairement vers le milieu et même vers la fin de la maladie.
Les hyperémies du foie, aiguës ou chroniques, fébriles ou non fébriles,
primitives ou consécutives, protopathiques ou deutéropalhiques, s’ac¬
compagnent souvent d’épistaxis.
Dans certains cas d’hypérémie aiguë essentielle ou d’hépatite, on peut
voir, dit Sorre, ces hémorrhagies nasales être suivies d’un amendement
^assez considérable pour qu’on puisse les regarder comme critiques. S’il
peut arriver, ajoute cet auteur, que ces hémorrhagies soient critiques
d’une affection aiguë du foie, il peut également se faire qu’à la suite de
la suppression intempestive d’une épistaxis, une congestion hépatique se
déclare. Fabrice de Hilden signale de fort belles observations qui parais¬
sent démontrer cette concordance.
La physiologie pathologique de l’épistaxis dans les maladies du foie a
de tout temps préoccupé les pathologistes. Érasistrate et Galien attri¬
buaient l’hémorrhagie nasale qui survenait dans ce cas à une altération
du sang. Les écoles solidistes et vitalistes du dix-huitième siècle rejetè¬
rent cette pathogénie pour n’admettre que la lésion du solide, c’est-à-dire
la lésion vasculaire. Bianchi émet une opinion éclectique, qui, de nos
jours, paraît vouloir revivre. Ainsi, tout en attribuant l’épistaxis à l’alté¬
ration du sang, il fait jouer un rôle à la diminution de l’espace vasculaire,
que déterminent les obstructions hépatiques : « Le sang, dit-il, fait effort
contre les vaisseaux et s’échappe par les narines. » Monneret, pendant
toute sa vie,. s’efforça de restituer aux altérations du sang le rôle que leur
avait assigné les anciens dans la production de l’épistaxis et des hémor¬
rhagies en général. C’est ainsi qu’il regarde l’altération du sang comme étant
le résultat d’une élaboration vicieuse de ce liquide par le foie malade, bien
plus que le Résultat d’une influence sympathique ou d’une autre nature,
exercée par la glande hépatique sur l’organe qui est le siège de l’hémor¬
rhagie. Cette opinion de Monneret est admise par plusieurs auteurs. Tou¬
tefois, il faut le dire, le plus grand nombre est revenu à celle de Bianchi.
Ainsi que je le disais en commençant l’étude de cette classe d’épistaxis ,
cette dernière serait, dans les maladies du foie, la conséquence, tout à la
fois, d’un accroissement de tension dans le système veineux généralisé dû
à l’obstruction du système .porte, et, d’une altération du sang. Mais en
664 ÉPISTAXIS. - DIAGNOSTIC PAÏHOGÉNIQUE.
quoi consiste cette altération? II est difficile de se faire à cet égard une
opinion juste et vraie.
Affections de la rate. — Ces affections, lorsqu’elles sont généralisées,
donnent lieu au phénomène morbide, épistaxis, suivant le processus pa¬
thogénique des affections du foie. Aussi le rencontre-t-on dans les hyper¬
émies de cet organe, passagères ou persistantes, actives ou passives, dans
les modifications profondes apportées à la structure de la glande splénique
par la cachexie paludéenne. Dans ce cas elles sont beaucoup plus fré¬
quentes que dans les simples hypérémies. En même temps, elles sont
parfois tellement abondantes qu’elles peuvent devenir inquiétantes. Tou¬
tefois, il ne faudrait pas croire qu’elles soient exemptes de tout danger
dans les congestions passagères. L’observation que j’ai publiée, et à la¬
quelle j’ai souvent fait allusion dans ce travail, montre que l’épistaxis,
dans la congestion splénique, peut se présenter avec une abondance telle
que la vie du malade est gravement compromise.
Affections du cœur. — - Le saignement de nez peut se présenter à toutes
les époques de l’évolution des affections cardiaques ; mais c’est principa¬
lement dans une période assez avancée, parfois même dans la période
ultime, qu’on le rencontre. Son abondance est très-variable. Les épistaxis*
seront d’autant plus abondantes que l’affection cardiaque donnera lieu à
une gêne plus ou moins grande de la circulation veineuse. On les ren¬
contre aussi bien dans les lésions de l’orifice aortique que dans celles de
la valvule mitrale. Cette opinion ressort des recherches auxquelles je me
suis livré. Lorsque le malade succombe aux progrès de l’affection car¬
diaque, on trouve à l’autopsie, si les épistaxis ont été abondantes,
presque toujours une altération du foie, consistant soit dans une forte
hyperémie, soit dans une véritable cirrhose. Aussi les auteurs, tels
Gendrin, Bouillaud, Monneret, négligeant la gêne excessive qui existe
dans la circulation périphérique , ont concentré toute leur attention sur
ces altérations du foie, et leur ont fait jouer, dans la pathogénie de
l’épistaxis, une grande action. Pour ces auteurs, en effet, c’est à l’hypé-
rémie hépatique qu’il faut attribuer l’apparition de l’hémorrhagie nasale
dans les affections du centre circulatoire. Mais, tandis que Gendrin et
Bouillaud ne voient dans cette action qu’un effet purement mécanique,
Monneret pense qu’il y a, avant tout, une altération du sang produite par
l’affection hépatique. Sans nier qu’il puisse en être ainsi , surtout à la
période ultime des affections cardiaques, alors que la nutrition est altérée,
que la glande hépatique, ainsi que les autres glandes hémato-poié-
tiques, a perdu sa fonction, je crois que l’action mécanique résultant,
soit de la gêne de la circulation céphalique en retour, soit de la tension
extrême du système veineux général, suffit à elle seule pour expliquer
l’épistaxis, et cela d’autant mieux, qu’on voit parfois survenir l’hé¬
morrhagie nasale en dehors de toute altération du foie.
Affections des reins. — Bright, Graves, Tood, etc., en Angleterre,
Rayer, Blot, Pidoux, Imbert-Gourbeyre, Lévi, etc., en France, Virchow,
Braun, etc., en Allemagne, ont montré que les hémorrhagies étaient très-
665
ÉPISTAXIS. - DIAGNOSTIC PATHOGÉNIQÜE.
fréquentes dans le cours des maladies des reins. Parmi ces hémorrhagies,
l’épistaxis est, sans contredit, de beaucoup la plus fréquente. De même,
parmi les affections des reins, la maladie de Bright, aiguë ou chronique,
est celle, entre toutes , où l’hémorrhagie nasale se montre le plus fré-
quemment.
Rayer enseignait que les épistaxis s’observaient surtout dans les pro¬
dromes qui annoncent l’intoxication urémique , qu’elles étaient remar¬
quables par leur répétition, et- qu’on pouvait les rencontrer dans le cours
des accidents nerveux. Aujourd’hui il est bien certain qu’on les observe,
non-seulement dans la complication urémique, mais encore dans le cours
de la maladie de Bright, tantôt à une période peu avancée, tantôt à la
période ultime, et, dans ce cas, elles hâtent la terminaison fatale. En
outre, ce phénomène morbide est remarquable par sa grande tendance à
se répéter. Sous le rapport de l’abondance, on peut dire que, généralement,
au début, l’écoulement sanguin est peu considérable; parfois même, il se
borne à quelques gouttes, et il peut passer inaperçu du malade; mais
dans la deuxième, et surtout dans la troisième période, l’abondance peut
être extrême.
,, Quel est le processus pathogénique de l’épistaxis dans les affections du
rein? Faut-il attribuer ce phénomène morbide à une altération du .sang
résultant de l’insuffisance de la sécrétion rénale, ainsi que l’avait prétendu
Rayer, et que le soutient aujourd’hui Johnson? Faut-il le rattacher à l’hy¬
pertrophie du cœur, surtout à l’hypertrophie du cœur gauche, qui, on le
sait, coïncide souvent avec la maladie de Bright chronique? Faut-il le placer
sous la dépendance de la dégénérescence graisseuse et de la fragilité des
capillaires de la muqueuse nasale? Ou bien la pathogénie est-elle la même
que celle que j’ai invoqué pour les affections du cœur et du foie? Il est
difficile de donner une explication catégorique, exacte; toutefois, je crois
que le problème est complexe, et qu’il faut tenir compte de l’altération du
sang, de l’altération des capillaires, ainsi que du trouble mécanique ap¬
porté à la circulation générale. Peut-être même l’altération des capillaires
joue-t-elle le principal rôle, la véritable cause prédisposante, le trouble
mécanique n’agissant que comme cause efficiente. Si l’on tient compte
du processus qui paraît présider aux hémorrhagies qui surviennent
dans les autres organes, dans le cerveau, par exemple; cette explication
n’est peut-être pas aussi téméraire qu’elle le paraît tout d’abord. L’au¬
topsie a, en effet, démontré que les hémorrhagies cérébrales reconnaissaient
pour cause l’altération graisseuse des capillaires de l’encéphale. Ne peut-
on pas admettre, dès lors, qu’il en est de même pour les capillaires de la
muqueuse nasale, et que l’épistaxis survient par suite de cette altération?
Pour moi, je le répète , cette cause me paraît dominer toutes les au¬
tres; elle doit surtout être invoquée pour expliquer ces épistaxis abon¬
dantes, rebelles, qui surviennent à la période ultime de la maladie de
Bright chronique.
Maladies des poumons, des médiastins. — Ces maladies donnent lieu à
l’épistaxis par suite de la gêne qu’elles apportent à la circulation cépha-
666 ÉPISTAXIS. — diagnostic pathogékique.
lique en retour. Aussi n’est-il pas rare d’observer ce phénomène morbide
dans l’emphysème pulmonaire, l’asthme, les maladies de l’aorte, les
tumeurs du médiastin. C’est principalement pendant les efforts considé¬
rables de toux que l’épistaxis se montre. La rupture se produit par suite du
trop-plein qui existe alors dans le système sanguin de la muqueuse nasale.
Aussi, la coqueluche et l’asthme sont les affections où l’hémorrhagie
nasale s’observe le plus fréquemment. (Voy. art. Asthme, t. III, p. 585,
et Coqueluche, t. IX, p. 415.)
IV® classe. Épistaxis adynamique. — Dans les classes précédentes, le
mécanisme de l’épistaxis est assez clair pour que tout le monde accepte,
je crois, la pathogénie et la division que j’ai données de ce phénomène
morbide.
L’épistaxis, que je vais étudier, est nouvelle dans les classifications ;
aussi, me paraît-il opportun de donner quelques explications qui, sans
cela , pourraient jeter le lecteur dans l’incertitude sur cette désignation
adynamique.
On a vu qu’à plusieurs reprises j’ai parlé du rôle que pouvait jouer
l’altération, du sang dans la genèse de l’épistaxis. J’ai essayé de montrer
que ce rôle pouvait être regardé, aujourd’hui, comme ayant peu d’impor¬
tance. Dans les maladies qu’il me reste à passer en revue, l’altération du
sang a été considérée comme étant l’agent le plus actif de l’épistaxis.
C’est à elle qu’il faudrait rapporter l’hémorrhagie nasale qui survient, soit
au début, soit dans le cours des fièvres, le cours de certaines intoxications.
Par conséquent, j’aurais dû intituler cette quatrième classe : épistaxis par
altération du sang. J’ai préféré accepter la dénomination de Jaccoud, qui
ne préjuge en rien la question de la nature de cette hémorrhagie. Du
reste, en pareille occurrence, je n’ai rien de mieux à faire que de laisser
la parole à cet auteur :
« L’altération du sang, qui consiste en une diminution de la fibrine avec
dissolution de l’hématine et des globules, a été, dit-il, considérée comme
une cause ‘suffisante d’hémorrhagie, et on lui rapportait les hémorrhagies
des fièvres, des maladies putrides, de certains empoisonnements, etc. Je ne
veux point nier l’influence pathogénique de cet état du sang, mais des
réserves formelles doivent être exprimées. Dans le plus grand nombre
des cas, l’hémorrhagie n’est qu’apparente; ce n’est pas le sang en nature
qui sort des vaisseaux, c’est delà sérosité teinte de sang, sans globules; il
s’agit des pseudo-hémorrhagies. Pour celles-là, l’altération du sang en
rend parfaitement compte; mais, pour les hémorrhagies véritables, il n’en
est plus de même, car il n’existe aucune relation saisissable entre un
état quelconque du sang et une rupture du vaisseau. Tout en tenant
compte des changements dans l’impulsion cardiaque et dans la distribu¬
tion du liquide, il faut nécessairement admettre : ou bien que les parois
vasculaires sont altérées comme le sang lui-même, par le fait de la maladie
générale, ou bien que le désordre de l’innervation vaso-motrice amène la
dilatation et la rupture des petits vaisseaux. »
« Cette dernière interprétation est surtout applicable aux hémorrhagies
ÉPISTAXIS. - DIAGNOSTIC PATHOGÉNIQtJE. 667
précoces des fièvres ; la première convient même aux hémorrhagies tar¬
dives. Il y a là, je le sais, quelque chose d’hypothétique, mais mieux vaut
une hypothèse qu’une impossibilité. Or, c’en est une que d’attribuer à un
état particulier du sang la déchirure de la paroi du vaisseau. L’altéra¬
tion du sang est un fait parallèle à l’hémorrhagie ; elle n’en est pas le
fait générateur, elle n’en est même pas le fait principal. En admettant
même qu’il y ait ici deux influences simultanées, celle du sang et celle
du vaisseau ; il est bien évident que celle du vaisseau est la plus puis¬
sante, car, en définitive, s’il ne se rompait pas, il n’y aurait certainement
pas d’hémorrhagie. C’est pour ne rien préjuger touchant les lésions ca¬
pillaires et les perturbations nerveuses, que j’ai désigné les hémorrhagies
de ce groupe sous le nom à'adynamiques. »
Que l’on accepte ou non cette manière de voir touchant la genèse de
l’épistaxis dans les fièvres , il n’en est pas moins vrai que ce phénomène
morbide offre, au point de vue de la séméiologie, les particularités les plus
intéressantes. Aussi, je vais l’étudier dans les fièvres, dans l’intoxication
diphthérique , dans les cachexies, notamment celles de la tuberculose et
du cancer.
Fièvres, fièvres éruptives. — L’épistaxis constitue, pour ainsi dire, un
phénomène constant des fièvres , mais il s’en faut qu’il se présente dans
toutes aux mêmes époques et qu’il ait la même valeur.
La rougeole et la variole normales s’accompagnent, au début, chez les
enfants , d’une manière pour ainsi dire constante, d’une ou de plusieurs
épistaxis. Dès que l’éruption apparaît, elles ne se reproduisent pas;
toutefois on voit survenir assez souvent, dans la dernière période de la
rougeole, chez l’enfant comme chez l’adulte, une épistaxis plus ou moins
abondante dont la valeur pronostique est nulle.
Dans, la scarlatine normale, rarement on observe l’épistaxis au début
ou même pendant le cours de cette fièvre éruptive.
Dans la rougeole maligne, ainsi que dans la variole et la scarlatine
hémorrhagique, l’épistaxis se montre un peu plus tard que dans le cas
précédent; elle persiste plus longtemps et son abondance est plus ou
moins considérable.
Les autres fièvres, telles que la fièvre éphémère, la synoque inflamma¬
toire, fièvre angéioténique de Pinel, la synoque bilieuse, fièvre bilieuse de
Monneret, embarras gastrique, fébrile, bilieux, s’accompagnent presque
toujours au début, ou seulement quelques jours après, d’une ou plusieurs
épistaxis plus ou moins abondantes. Ces épistaxis n’offrent pas un grand
intérêt pour le clinicien. Il n’en est pas de même de celles qui se montrent
dans la fièvre typhoïde. Généralement ce phénomène morbide apparaît
au début; le saignement de nez se produit à plusieurs reprises dans la
mêm*e journée et pendant plusieurs jours de suite. D’autres fois, après avoir
cessé, il reparaît pendant la période d’état et même pendant celle de dé¬
clin. Enfin, on-trouve dans la science des observations où la convalescence
est indiquée comme ayant commencé après une ou plusieurs épistaxis
abondantes.
668 ÉPISTAXIS. — valedr diagnostique.
A côté de la fièvre typhoïde, je placerai le typhus fever. L’épistaxis y
est tout aussi abondante, tout aussi fréquente. Peut-être même les hé¬
morrhagies nasales sont plus communes.
Dans la fièvre jaune, l’épistaxis peut se montrer dans la deuxième pé¬
riode ; mais elle est primée par les hématémèses qui sont, comme on le
sait, très-abondantes et très-fréquentes. On rencontre encore ce phéno¬
mène morbide dans la peste, dans la fièvre puerpérale, dans la fièvre ca¬
tarrhale ou grippe.
Les fièvres intermittentes paludéennes présentent parfois ce phénomène
morbide. Il est même une forme de fièvres intermittentes pernicieu¬
ses, la pernicieuse hémorrhagique, où les épistaxis s’observent toujours.
L’on connaît toute la gravité qu’acquiert en pareil cas ce symptôme. De
même on l’observe dans la fièvre rémittente bilieuse des pays chauds.
A côté des fièvres, je signalerai certaines maladies aiguës fébriles, qui
présentent dès leur début des épistaxis plus ou moins abondantes, plus
ou moins répétées. Je veux parler surtout de la phthisie aiguë à forme
typhoïde, de la pneumonie lobaire ou lobulaire typhoïde.
Dans la diphthérie maligne, infectieuse, souvent au début survient une
épistaxis plus ou moins abondante, qui peut se répéter à plusieurs re¬
prises. Le plus ordinairement elle annonce la propagation de la fausse
membrane aux fosses nasales, et dans ce cas, elle est bientôt suivie d’un
écoulement séreux, sanieux. (Voy. Diphthérie.)
A la période cachectique du cancer, les épistaxis se manifestent assez
souvent ; il en est de même pour celle de la phthisie pulmonaire. Dans
cette dernière, Monneret en attribuait la genèse à une maladie du foie.
On sait en effet, que cet organe est pour ainsi dire, toujours atteint par
la dégénérescence graisseuse (foie gras) dans la dernière période de la tu¬
berculose pulmonaire.
Enfin, je terminerai cette énumération des maladies où l’on rencontre
l’épistaxis en signalant la chlorose, l’anémie, le purpura hémorrhagica,
le scorbut. Dans ces différents états morbides l’hémorrhagie nasale atteint
parfois une abondance extrême ; en même temps elle est très-sujette à
se renouveler.
Telles sont les différentes causes qui donnent lieu à l’épistaxis. Je n’ai
pas la prétention d’en avoir donné l’énumération complète. J’ai voulu
seulement faire connaître les principales. Je me suis attaché surtout à
mettre en lumière leur action sur la production de l’épistaxis, afin que le
clinicien pût, en présence d’un malade atteint d’une hémorrhagie nasale,
instituer une thérapeutique en rapport avec la condition pathogénique.
C’est en effet, le but que doit chercher à atteindre tout médecin qui veut
faire une thérapeutique rationnelle ; je reviendrai du reste sur ce point
dansun instant. Je me suis attaché en même temps, en divisant T épistaxis
en quatre classes à fournir des points de repère au praticien pour le dia¬
gnostic de la cause du saignement de nez.
Valeur diagnostique. — L’épistaxis, comme tout phénomène mor¬
bide, a, par lui-même, une certaine valeur. Dans certaines affections, au
ÉPISTAXIS. - VALEUR DIAGNOSTIQUE. 669
début, sa présence est d’un grand secours pour permettre d'en établir le
diagnostic. Ainsi, dans une chute d’un lieu élevé, ou à la suite d’un vio¬
lent coup sur la tête, un écoulement de sang par les fosses nasales, plus
ou moins abondant, se faisant sans interruption, et devenant graduellement
de moins en moins coloré, plus ténu, sera, la. plupart du temps, suffisant
pour faire soupçonner, sinon admettre une fracture de la base du crâne,
intéressant la partie supérieure des fosses nasales. La certitude sera
complète s’il existe en même temps, tous les signes de la commotion cé¬
rébrale, Une hémorrhagie nasale abondante, répétée, survenant chez l’a¬
dolescent ou chez l’adulte, sans cause appréciable, éveillera l’attention du
médecin sur l’existence d’une hémaphllie, d’une' diathèse hémorrhagi-
que. 3
Dans les fièvres éruptives, surtout dans la rougeole, il est très-impor¬
tant pour le clinicien de s’enquérir de' l’existence de l’épistaxis. En effet,
s’il se trouve en présence d’un enfant qui a de la fièvre, de la toux, du
coryza, depuis un jour ou deux, il peut, en présence d’une épistaxis plus
ou moins répétée, diagnostiquer cette fièvre éruptive alors même que l’é¬
ruption ne devra apparaître que dans quelques jours. Il en sera, de même,
pour faire soupçonner le début d’une variole normale, si le malade pré¬
sente en même temps que l’épistaxis une rachialgie, une céphalalgie plus
ou moins intense, des vomissements, de la constipation ou de la diarrhée,
s’il s’agit d’un enfant. Dans la forme maligne, hémorrhagique des fièvres
éruptives, l’épistaxis n’a pas de valeur diagnostique. Elle est primée soit
par les hémorrhagies qui se font sur d’autres points de l’organisme, soit
par les phénomènes nerveux qui se montrent avec une intensité plus ou
moins grande.
Je n’ai pas besoin d’insister sur la valeur diagnostique des épistaxis
dans la fièvre typhoïde. Tout le monde sait que ce signé est souvent d’un
grand secours au début pour établir le diagnostic entre cette, fièvre et un
simple embarras gastrique fébrile. Toutefois, il ne faudrait pas lui accor¬
der une valeur absolue, car les observations sont aujourd’hui nom¬
breuses où il a fait complètement défaut.
Dans les maladies du foie, l’épistaxis a, de tout temps, attiré l’attention
des médecins. Les anciens, dit Sorre, attachaient une importance toute
spéciale à la manifestation des épistaxis comme symptôme des affections
de cet organe. D’après eux, l’écoulement du sang se faisait habituelle¬
ment par la narine droite ; si, par hasard, il se produisait par la narine
gauche, c’était un signe très-fâcheux. Sans attacher aujourd’hui une telle
importance à ce phénomène au point de vue du pronostic, il n’en est pas
moins vrai qu’au point de vue du diagnostic, il a parfois une très-grande
valeur. Monneret, ainsi que je l’ai dit plus haut, a surtout fait ressortir,
avec sa sagacité ordinaire, ce point de clinique. Pour lui toute maladie
du foie, qu’elle soit aiguë ou chronique, primitive ou secondaire, proto-
pathique ou deutéropathique, qu’il s’agisse d’une congestion simple ou
d’une lésion du tissu hépatique, s’accompagne soit au début, soit pendant
son cours, soit enfin à sa dernière période, d’une épistaxis. Si cette opi-
670
ÉPISTAXIS. - VALEUR PRONOSTIQUE.
nioaest vraie, et pour ma part je l’accepte volontiers, car j’ai pu Ja véri¬
fier maintes et maintes fois, on comprend qu’elle est la valeur diagnosti¬
que de ce phénomène morbide. Je n’en citerai qu’un exemple: chez une
femme atteinte d’une hydropisie abdominale, le clinicien hésite entre une
ascite due à une cirrhose et un kyste de l’ovaire ; il se prononcera hardi¬
ment pour la cirrhose, dit Monneret, et par suite, pour l’ascite, s’il survient
des épistaxis. Il peut se faire que tous les cliniciens n’accordent pas à l’é¬
pistaxis la valeur diagnostique que lui attribue Monneret dans le cas qui
précède, mais je pense qu’ils ne devront pas négliger ce symptôme, car
bien souvent il les mettra sur la voie d’une altération du foie qui pourrait
être méconnue pendant toute la vie.
De même, pendant l’évolution d’une maladie du cœur, l’épistaxis répé¬
tée suffira pour éveiller l’attention du médecin sur l’existence probable
d’une telle affection. Enfin, dans le cours de la diphthérie, l’apparition
d’une hémorrhagie nasale, si petite qu’elle soit, suffira pour conclure à
l’extension de la phlegmasie, de la fausse membrane vers les fosses na¬
sales. C’est un avertissement qui doit engager le médecin à diriger sa
surveillance de ce côté.
Valeur pronostique. — Considérée au point de vue du pronostic,
l’épistaxis fournit au clinicien deux indications différentes : il doit tenir
compte 1“ de l’abondance de l’hémorrhagie, de sa durée ; 2° de la cause de
l’épistaxis, et par suite de la maladie pendant laquelle elle survient.
La quantité de sang perdu doit être recherchée avec le plus grand soin,
car, si l’hémorrhagie consistant dans quelques gouttes, quelques gram¬
mes, exerce dans quelques cas une influence favorable, il n’en sera plus
de même, si elle est très-abondsn^ Non-seulement alors elle pourra dé¬
terminer des accidents immédiâtsf^tels que lipothymies, syncope, con¬
vulsions, mais encore laisser à sa suite un état d’anémie plus ou moins
durable. Du. reste, dans cette appréciation, il sera nécessaire de tenir
compte del’état de santédes individus. Jaccoudfaitremarquer avec raison,
qu’à quantité égale, une épistaxis aune signification toute différente chez
une personne robuste et bien portante et chez un sujet qui est naturelle¬
ment débile, ou qui est sous le coup d’une maladie grave.
Hippocrate attachait une grande importance au siège de l’écoulement
nasal. Suivant lui, lorsqu’il se produisait par la narine correspondante
au côté du corps où siégeait la maladie, le pronostic était des plus favora¬
bles. Par contre lorsqu’il avait lieu du côté opposé, le pronostic était
des plus fâcheux. Le même auteur attachait une importance à la ma¬
nière dont se faisait l’écoulement. Si, dit-il, l’écoulement se fait avec len¬
teur, goutte à goutte et avec une certaine difficulté, l’épistaxis indique
une gravité extrême. Aujourd’hui nous faisons intervenir d’autres consi^
dérations .
Avant dépasser à l’examen de la valeur pronostique de l’épistaxis dans
les maladies, je terminerai ces quelques considérations générales sur le
pronostic, en signalant l’opinion de G. Sée, sur les épistaxis de l’enfance.
De même que les ménorrhagies, les flux hémorrhoïdaires, les hémorrha-
ÉPISTAXIS. — VALEDR PRONOSTIQUE. 671
gies nasales, dit cet auteur, ont été considérées comme critiques ou comme
la terminaison favorable d’un molimen sanguin. Chez les enfants surtout,
l’épistaxis est trop souvent méconnue dans ses effets; les parents, l’attri¬
buant aux lois de la circulation normale, les médecins, l’envisageant
comme le résultat d’une pléthore, négligent cette manifestation morbide
qui est l’indice d’une débilitation, résultant parfois d’un développement
exagéré ou de la puberté ou d’un mauvais régime, et plus encore du tra¬
vail intellectuel ou de l’onanisme. Ces circonstances qu’il ne faut jamais né¬
gliger de rechercher et les épistaxis qui en résultent, ne manquent pas
d’exercer alternativement sur la santé de l’enfant une influence fâcheuse
qui se traduit par tout le cortège des phénomènes de l’anémie.
La valeur pronostique de l’épistaxis dans les maladies prête aux considé¬
rations suivantes: dans les fractures delà base du crâne, la présence de l’hé¬
morrhagie nasale, on le conçoit, indique une gravité extrême. Je ferai seu¬
lement remarquer que la présence de ce phénomène n’est pas toujours et
quand même l’indice de l’existence d’un tel accident. En effet, il peut se
faire que, dans les mêmes circonstances où l’on voit survenir cette fracture,
il ne se produise qu’une déchirure de la pituitaire, les os restant intacts.
Dans ce cas l’épistaxis est moins abondante et s’arrête en général au bout
de quelques instants. Il en résulte que la valeur pronostique ne saurait
être la même que dans le cas précédent. Il est donc très-important de te¬
nir compte de la manière dont se produit l’épistaxis, car sans cela, le cli¬
nicien commettrait une erreur grossière tant au point de vue du diagnos¬
tic qu’à celui du pronostic.
Dans les fièvres éruptives, l’épistaxis présente un certain intérêt. Si ce
phénomène se montrant au début, da^^^kemière période de ces fièvres
lorsqu’elles sont normales, n’accuse gravité, il n’en est pas de
même lorsqu’il survient plus tard, pendant la période éruptive. Généra¬
lement dans ce cas il est l’indice de la malignité, et l’on connaît toute
la gravité de cette forme des fièvres éruptives. En même temps que l’é¬
pistaxis, ou la précédant de quelques jours, on voit survenir des hé¬
morrhagies dans d’autres organes, dans d’autres tissus, ainsi que des phé¬
nomènes nerveux graves, adynamiques ou ataxiques. La terminaison est
presque constamment fatale.
A propos de la coqueluche, j’ai déjà fait pressentir la valeur pronosti¬
que qu’acquerrait l’épistaxis dans cette maladie. Trousseau l’apprécie
ainsi : « Si l’accident ne se répète pas souvent, il n’a aucune gravité •
mais il n’en est plus de même s’il se reproduit régulièrement. D’abord,
le sang ayant toute sa plasticité, l’hémorrhagie n’a lieu qu’au moment où
la vascularisation se fait elle-même ; la circulation reprenant son cours,
la perte de sang s’arrête également; puis, lorsque l’hémorrhagie s’est
répétée plusieurs fois, le sang ayant perdu par ce fait même de sa plasti¬
cité, l’épistaxis a lieu non plus seulement au moment où se fait la con¬
gestion, mais elle continue pendant quelque temps après. La plasticité
diminuant encore, l’individu étant progressivement de plus en plus ané¬
mique, l’épistaxis devient de plus en plus abondante et se prolonge de
672 ÉPISTAXIS. — valeur pronostique.
telle sorte que, si l’on n’intervient pas pour l’arrêter, elle constitue un
danger très-sérieux, non pas parce qu’elle tue les malades, mais parce
qu’elle les prédispose aux accidents nerveux, aux convulsions qui ne
s’observent nulle part aussi fréquemment que chez les malades épuisés
par les pertes de sang. »
Dansla^èrre typhoïde^ l’épistaxis n’a pas habituellement une grande
valeur pronostique ; pourtant, dans certains cas, elle en a une qu’il ne faut
pas méconnaître. On sait, en effet, que l’épistaxis est, parfois, précédée
d’une recrudescence dans les accidents, tels qu’augmentation de la cé¬
phalalgie, sécheresse de la peau, l’abattement; le pouls devient un
peu plus fort, vibrant. Dès que l’écoulement sanguin apparaît, suivant
Sorre, tous ces accidents disparaissent en partie ou du moins diminuent
beaucoup d’intensité, alors même que l’écoulement n’aurait été que de
quelques gouttes. De sorte, ajoute cet auteur, qu’on pourrait à la rigueur
regarder ces écoulements sanguins, non pas comme critiques de la ma¬
ladie, car celle-ci n’en continue pas moins sa marche habituelle, mais
comme critiques de certains symptômes comme ceux que nous avons si¬
gnalés plus haut. Or, comme un certain nombre de ces symptômes se rat¬
tachent au système cérébral, et ne feraient probablement qu’augnaenter
si ces hémorrhagies ne survenaient pas ; il est évident qu’il faut les respec¬
ter. Dans certaines circonstances même, si l’on reconnaît une tendance
manifeste à une hémorrhagie nasale qui ne peut, par une cause ou par
une autre, s’effectuer, il faut la favoriser. Dans ce_but, on pratique quel¬
ques scarifications avec la pointe d’une lancette, sur les parois des na¬
rines ;-ces scarifications donnent, en général, lieu à un écoulement san¬
guin très-léger, qui soulage fl^fcdérablement le malade et fait disparaître
tous les accidents cérébraux|m^
L’auteur ajoute qu’il a eu l’occasion d’observer plusieurs fois les avan¬
tages de cette pratique dans le service de Cazalis, pendant une épidémie
de fièvre typhoïde.
D’après ce qui précède, l’apparition de l’épistaxis au début d’une fièvre
typhoïde serait d’un favorable augure. Sorre croit même que plus elle
est abondante, plus elle constitue un excellent signe pronostique. Hippo¬
crate et van Swieten ont dans leurs ouvrages appelé l’attention sur ce
point du pronostic. Malheureusement il n’en est pas de même des épi¬
staxis qui surviennent soit pendant la période d'état, soit pendant celle du
déclin de la fièvre typhoïde. Dans ce cas elles constituent un accident
fâcheux, car elles sont l’indice d’une altération profonde de l’économie.
Du reste, d’une manière générale, l’épistaxis qui se montrera dans le cours
de n’importe quelle maladie présentant un état adynamique ou ataxique,
devra être considérée comme un symptôme du plus fâcheux augure.
La valeur pronostique de l’épistaxis dans les maladies du foie est assez
incertaine. En effet, si elles indiquent un danger imminent lorsqu’elles
surviennent à la période ultime des maladies du foie, lorsqu’elles appa¬
raissent avec une certaine abondance dans l’ictère grave, elles n’ont, pour
ainsi dire, aucune valeur dans la cirrhose ; toutefois, avec Monneret, on
ÉPISTAXIS. - TRAITEMENT.
675
doit considérer une épistaxie abondante et répétée, survenant dans une
maladie du foie, comme un signe très-fâcheux , puisque, d’après cet auteur,
elle indique toujours, ainsi que je l’ai dit, que le sang est profondément
altéré. Il faut en excepter, pourtant, l’hypérémie. Cet auteur a vu, en
effets des accidents généraux assez graves cesser rapidement lorsqu’une
épistaxis abondante est survenue. Hippocrate avait, du reste, observé cette
heureuse influence : « Dans l’inflammation des hypocondres, dit-il, l’écou¬
lement de sang par les narines, pendant le premier septénaire, est très-
salutaire et détermine la résolution de l’inflammation légitime du foie. »
Dans la pneumonie, l’épistaxis n’offre ordinairement aucun intérêt ;
toutefois Grisolle cite deux exemples ou une épistaxis a eu un heureux
résultat. Andral a signalé un fait pareil. Enfin, Bosquillon dit avoir vu,
fréquemment, à Paris la pneumonie du printemps se terminer par des
épistaxis le septième ou le neuvième jour.
Dans la maladie de Bright, l’épistaxis au début n’a pas habituellement
une grande valeur. Cependant il est juste de dire que, parfois, elle semble
indiquer que la maladie aura une marche rapide. Certains faits le démon¬
trent. Lorsque l’hémorrhagie nasale survient pendant la dernière période,
et qu’en même temps elle se répète souvent, sa valeur pronostique est
toute autre, car elle indique une gravité extrême. La terminaison fatale
en est souvent la conséquence. D’autres fois, elle annonce, ainsi que l’a
dit Rayer, l’invasion des accidents urémiques.
Les épistaxis qui surviennent dans la cachexie paludéenne ont, de tout
temps, été considérées comme un phénomène morbide d’une gravité excep¬
tionnelle. Hippocrate s’exprime ainsi : « Quibus per febres quartenas
sanguis a naribus fluxerit, malum est. »
L’apparition de l’épistaxis dans le cours de la diphthérie est du plus
mauvais augure, puisqu’elle est l’indice de la propagation des fausses
membranes aux fosses nasales. Enfin, j’ai indiqué quelle était la valeur
pronostique de l’épistaxis chez les vieillards, indemnes de toute affection
organique.
Traitement. — Les causes variées et nombreuses d’épistaxis exigent
pour le traitement de cet accident toujours identique dans ses phéno¬
mènes apparents, l’emploi des moyens curatifs fort différents les uns des
autres. — Souvent l’hémorrhagie nasale ne réclame aucun traitement,
parce qu’elle s’arrête au bout de quelques instants. Dans d’autres cir¬
constances, chez tes vieillards, par exemple, il faut se garder de di¬
riger contre elle un traitement, puisqu’elle doit être regardée comme
salutaire; dans la lièvre typhoïde, j’ai indiqué les cas où il faut la
respecter et même la favoriser. Mais à part ces faits, et même dans
ceux-ci, lorsque l’épistaxis est par trop considérable et par trop fré¬
quente, il faut diriger contre ce phénomène morbide, qui souvent peut
donner lieu à des accidents redoutables, des moyens de traitement dont
la puissance doit être proportionnelle à l’urgence de la situation. Dans
les cas légers, le séjour à l’air frais, la tête du malade étant élevée, l’ap¬
plication sur le front, sur le nez, de compresses imbibées d’eau froide
674
ÉPISTAXIS. - TRAITEMENT.
OU contenant de petits morceaux de glace, les injections d’eau froide dans
les fosses nasales, pure ou acidulée, l’occlusion de la narine qui saigne,
avec élévation correspondante du bras correspondant (Négrier d’Angers)
sont des moyens qui, le plus ordinairement, sont des plus efficaces. S’ils
échouaient, il faudrait avoir recours à des moyens plus puissantsV On
emploierait les sinapismes aux membres inférieurs et supérieurs ; la liga¬
ture serrée des quatre membres, au-dessus des genoux et des coudes, la
compression des carotides recommandée par Frank; on engagerait le ma¬
lade à renifler, des poudres astringentes, telles que le sous-nitrate de
bismuth; ou bien, on pourrait avoir recours à l’injection de décoc¬
tion de bistorte, tormentille, ratanhia, ou à une solution de perchlo-
rurede fer. Sorre s’élève contre l’emploi de ce médicament, car, dit-il,
si l’hémorrhagie est très-intense, il ne réussit pas ; il produit une sensa¬
tion fort désagréable au malade, surtout lorsque le perchlorure arrivejus-
que dans le pharynx. Cette injection a, en outre, ce grand inconvénient
de laisser après elle un magma dans les fosses nasales, qui rend le tam¬
ponnement plus difficile. Je ne saurais souscrire entièrement à cette opi¬
nion, car je crois que les injections de perchlorure de fer donnent lieu
moins souvent à des accidents que le tamponnement. Créquy vient de
publier un exemple qui vient à l’appui de cette opinion. Chez une
femme, âgée de 45 ans, après avoir employé tous les moyens signalés
plus haut pour arrêter une épistaxis qui prenait des proportions exces¬
sives, il eut recours au tamponnement ; dans la nuit, le sang suinta par
l’oreille. Demarquay, appelé en consultation, lui raconta avoir vu le sang
remonter par le canal nasal et sortir par les points lacrymaux. Au bout
de 48 heures que le tamponnement était pratiqué, il survint du gonfle¬
ment de la face, des lèvres et des paupières, accompagné de larges ecchy¬
moses. Une gangrène était imminente ; il se hâta d’enlever le tamponne¬
ment; l’épistaxis reparut. Alors, à l’aide d’une seringue à jet rétrograde,
Créquy fit une injection à la partie postérieure des fosses nasales avec la
solution de perchlorure de fer. 11 obtint ainsi un tampon postérieur. .Avec
une seringue en verre, terminée en forme d’arrosoir, il agit, de même, à
l’orifice antérieur, et il obtint ainsi un double tampon qui avait sur les
bourdonnets de charpie l’avantage de n’exercer aucune compression, et
par conséquent de ne pas produire de gangrène ; l’hémorrhagie nasale
s’arrêta. — Ce procédé de Créquy me paraît avoir des avantages sérieux,
aussi j’ai cru utile de le signaler. Peut-être pourra-t-il remplacer com¬
plètement le tamponnement, qui, je le répète, dans bien des cas, paraît
avoir de sérieux inconvénients, et faire courir au malade un grand dan¬
ger. Je n’ai pas à m’expliquer ici sur la manière de pratiquer le tampon¬
nement. {Voy. ce mot.)
Jusqu’à présent je n’ai parlé que des moyens mécaniques qui doivent
être dirigés contre l’épistaxis. Le plus ordinairement on aura recours e n
même temps au traitement de la cause qui donne lieu à cet accident.
C’est ainsi qu’on donnera à l’intérieur des préparations astringentes,
telles que décoction de bistorte, de ratanhia, telles que le perchlorure de
ÉPITHÉLIUM. 675
fer. Trousseau, à l’exemple de Bretonneau, donnait avec le plus grand
succès contre les hémorrhagies nasales des jeunes gens le quinquina ca-
lisaya à la dose de 6 à 8 grammes par jour. Moi-même j’ai eu souvent
lieu de me louer de l’action de ce médicament, — Enfin, pour les épi¬
staxis qui paraissent sous l’influence de l’intoxication paludéenne, on or¬
donnera le sulfate de quinine. J’ai fait connaître un fait où cette action
a été des plus évidentes, alors que de nombreux moyens avaient échoué.
Hippockate, Prénotions coaques, n»* 57 et 147, t. V ; Porrhétiques, liv. I, n» 125, t. V ; Épidé¬
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ÊPITHÉIilÔMA. Voy. Cancroide, et Épithélium.
ÈPITHÊLiIÜM. — Prisdans son sens étymologique, lemotépithélium
(âx', sur, et ô-ijXy], mamelon) est certainement mauvais ; mais il a si bien
passé dans le langage des histologistes et des médecins qu’ aujourd’hui
tous savent que,parépithélium, oj^entendik couche qui limite la surface
du corps et celle qui revêt les cavités naturelles.
Quels que soient les organes qu’elle recouvre, cette couche se montre
avec des caractères histologiques communs ; c’est ce qui permet d’ad¬
mettre un tissu épithélial, et d’en donner la définition.
Le tissu épithélial, toujours disposé sur des surfaces, est constitué par
des cellules soudées les unes aux autres ; jamais les vaisseaux sanguins ne
pénètrent au milieu d’elles. L’absence de vaisseaux sanguins, la souduté
des cellules et leur disposition en couches de revêtement forment les trois
termes de la définition du tissu épithélial. Cette
, définition est bonne, car elle repose sur des ca-
ractères communs à tous les épithéliums et qui
/ réunis n’appartiennent à aucun autre tissu de l’or-
ganisme.
1 0-; T-'-Q’ r 9JJ Dans les épithéliums , les cellules forment la
' Partie la plus importante à considérer, et c’est
' par leur description qu’il convient de com-
Fig. 107. — Schéma du fl'ssu mencer cet article. Nous nous occuperons en-
épithéiial.(KŒLLiKEB,®- suite du mode d’union de ces cellules et de leur
lologie.) arrangement. Nous terminerons par la classifica¬
tion des épithéliums et par la description de chaque espèce en parti¬
culier.
Les cellules épithéliales sont très-différentes les unes des autres. Sou¬
vent elles ont une forme qui les fait reconnaître, non-seulement comme
cellules épithéliales, mais encore comme cellules d’une espèce particu¬
lière d’épithélium, Wl.insij^ toute cellule portant des cils vibratiles est né¬
cessairement 4pjlhéliale. Les cellules dentelées des épithéliums pavimen-
teux stratifiés et les cellules cylindriques à plateau strié de l’intestin
grêle nous offrent encore des exemples bien remarquables du même genre.
Cependant il ne faudrait pas croire que l’on peut reconnaître une cellule
épithéliale isolée quelconque ; beaucoup d’entre elles n’ont aucun carac¬
tère spécifique ; c’est uniquement leur situation et leurs rapports qui nous
font admettre leuï* nature, (rest dans celte catégorie qu’il convient de
ranger les cellules des séreusq^, des vaisseaux, du rein, du poumon, etc.
Presque toutes les conéidérations relatives à la cellule en général sont'
applicables aux cellules des épithéliums, et, comme l’histoire de la cel¬
lule n’a pas encore été présentée dans ce dictionnaire, il est nécessaire
d’en résumer d’abord les faits les plus importants.
La notion de cellule a été^introduite dans l’histologie animale par le
professeur Schwann, en 1859, telle qu’elle existait alors en histologie
végétale. II est important de se rappeler cette date, parce quelle marque
le début de l’histologie et çu^elle'neus montre les remarquables progrès
accomplis dans cette science en •si peu d’années. Pour Schwann, une
cellule complète était essei/trelleineat une vésicule close à membrane
solide, à contenu liquide ou gélatineux renfermant un noyau muni d’un
nucléole. Pendant longtemps An a crii que la membrane était une par¬
tie nécessaire et constante de la cellule. Pourtant Schwann lui-même,
dans son étude de la formation de la cellule, avait soutenu qu’à une cer¬
taine phase de son développement, la cellule est simplement formée du
noyau et d’une masse enveloppante, et que la membrane cellulaire est la
dernière à se montrer. Mais l’illustre bistologike ne vit pas que presque
tous les éléments considérés par lui comme des cellules sont dépourvus
de membranes. En voulant faire entre les cellules animales cl les végétales
ÉPITHÉLIUM.
une comparaison trop complète, il commit une erreur qui reposait sur
une confusion de mots, et qui se maintint dans la science pendant fort
longtemps. En effet, la cellule animale ne corres¬
pond pas à la cellule Tégétale tout entière (fig. 108),
mais seulement à l’utricule primordiale de Mohl,
ou mieux encore à la masse de protoplasma con¬
tenue dans l’intérieur de la membrane de cellu¬
lose.
Ce sont les travaux de M. Scliultze sur le proto¬
plasma qui ont dégagé la science de l’erreur où
elle était entrée. Dans son remarquable travail sur _ cellules du tu-
le protoplasma des Rhizopodes et des cellules des hercule de la pomme de
plantes, il montra l’analogie de la cellule animale ^®™]esTellulès
avec le protoplasma des végétaux. Les travaux de protoplasma et lés noyaux
Kûhne, de von Recklitighausen, de L. Beale et d’un renfermés dans l’enveloppe
grand nombre d’autres vinrent encore appuyer et
compléter les belles recherches de Scliultze.
Aujourd’hui, en histologie animale, toute masse
gélatineuse contenant un noyau est considérée
de cellulose (cellule 'végé¬
tale vraie). Les cellules c
possèdent un protoplasma
rempli degrains d’amidon.
(VmcHow, Path. cellul.)
comme un élément cellulaire. Cette masse a des
propriétés physiologiques très-variées. Dans les cellules jeunes, elle est
souvent douée de mouvements dits amiboïdes. Chez quelques espèces
de cellules de l’organisme, cette propriété motrice persiste (globules
blancs du sang, globules lymphatiques) ; mais la plupart des cellules
adultes sont devenues fixes, et c’est par une vue de l’esprit que l’on y
admet un protoplasma contractile analogue à celui des plantes et des cel¬
lules embryonnaires. Les cellules épithéliales sont dans ce cas. On verra
plus loin comment des actions pathologiques déterminées, peuvent rendre
à quelques-unes d’entre elles leurs propriétés primitives, si tant est
qu’elles les aient jamais perdues.
Quand elles se fixent dans un tissu déterminé, les cellules produisent
autour d’elles et dans leur intérieur des substances nouvelles. Les substan¬
ces dont elles s’entourent diffèrent de celles qu’elles forment dans leur
protoplasma. Nous en trouvons des exemples frappants dans les deux
règnes. Chez les végétaux, le protoplasma excrète, pour ainsi dire, une
membrane de cellulose et élabore dans son sein des produits Irès-variés
(de l’amidon, des huiles essentielles, des sels, etc.). Chez les animaux, la
substance excrétée par la cellule et dont elle s’entoure n’est pas tou¬
jours la même comme chez les végétaux, elle diffère pour chaque tissu ;
la substance cartilagineuse et la substance osseuse, toutes deux for¬
mées autour des cellules, en sont ;des exemples remarquables. Les pro¬
duits d’élaboration intra-cellulaires sont encore plus variés, et vont jus¬
qu’à changer pour une même cellule à ses divers degrés d’évolution ;
c’est ainsi que les cellules de cartilages contiennent de la matière glycogène,
quand elles sont en formation active, et de la graisse, lorsque leur déve¬
loppement est achevé.
678 ÉPITHKLIÜM.
Les cellules épithéliales excrètent toutes à leur périphérie une sorte de
ciment (Kittsuhstanz) qui les soude les unes aux autres pour former des
membranes ou des masses résistantes, et elles sécrètent au dedans les
produits les plus variés (de la substance cornée ou kératine, des graisses,
de la mucine, des ferments, des acides, des pigments, etc.). Quand elles
viennent de se former, elles semblent toutes constituées par une même
matière granuleuse, semblable au protoplasma ; mais, à mesure qu’elles
évoluent, qu’elles vieillissent, à une époque qui varie pour chaque espèce
d’épithélium, elles produisent, suivant la nature du revêtement épithé¬
lial, ces diverses substances. C’est en vertu de cette évolution si variée
que nous voyons la peau se recouvrir de produits cornés, les muqueuses
s’enduire de mucus, chaque glande donner naissance à sa sécrétion spé¬
ciale.
La connaissance de ces faits nous permet déjà de pressentir que la forme
des cellules ne sera pas la même dans les différeiftes couches d’un épi¬
thélium stratifié; qu’elle pourra varier dans les glandes suivant l’état d’ac¬
tivité ou de repos. Les cellules profondes de l’épiderme sont cylindriques,
les moyennes cubiques et les superficielles lamellaires ; les cellules pro¬
fondes de l’épithélium du larynx et de la trachée sont sphériques, les
moyennes ovoïdes et les superficielles sont cylindro-coniques et portent
des cils vibratiles.
Presque tous les revêtements épithéliaux nous fourniraient des exemples
du même genre. Il est donc inutile de classer les cellules épithéliales sui¬
vant leur forme et leur grandeur ; une pareille classification serait tout
artificielle. On comprend que l’on classe ainsi les étoiles qui occupent
dans le ciel une situation à laquelle les siècles n’ont pas encore touché,
mais on ne saurait appliquer une pareille méthode à des éléments dont
l’évolution est constante, qui naissent, grandissent, se transforment et
meurent en si peu de temps. Ce n’est pas à dire pour cgla qu’il ne faille
pas tenir compte de la forme des cellules épithéliales ; au contraire, nous
nous en servirons, ainsi que de leurs autres caractères histologiques et
de leurs propriétés physiologiques, pour classer les épithéliums considé¬
rés comme tissu.
Le noyau ne manque jamais dans une cellule animale depuis le mo¬
ment où elle naît jusqu’à celui où elle cesse de vivre. Il existe des noyaux
dans toutes les cellules épithéliales, sauf dans la couche cornée de l’épi¬
derme où les cellules, desséchées et soudées fortement les unes aux
autres, forment un vernis inerte ou des productions cornées (ongles et
poils) dans lesquels toute réation vitale a disparu. Les noyaux sont sphé¬
riques ou ovoïdes, vésiculeux, avec un ou plusieurs nucléoles brillants,
dans les cellules épithéliales jeunes ; dans celles qui sont arrivées au
terme de leur évolution, ils sont petits, atrophiés, anguleux ; c’est à cet
état qu’on les trouve dans les cellules les plus profondes de la couche
cornée de l’épiderme. Ils peuvent être discoïdes et très-aplatis dans les
cellules qui se sont remplies de mucus ; c’est ainsi qu’on les rencontre
dans les cellules caliciformes de l’intestin et dans les glandes à sécrétion
ÉPITHÉLIUM.
679
muqueuse. Ces derniers peuvent devenir sphériques, et reprendre ainsi
leur forme primitive dans des conditions physiologiques déterminées.
L’importance des noyaux est très-considérable, si l’on en juge d’après
leur constance et leur grosseur dans les cellules jeunes et en voie d’évolu¬
tion croissante, mais leur rôle physiologique est loin d’être complète¬
ment déterminé. On sait seulement que les noyaux régissent la multipli¬
cation et la conservation des cellules, que la division de la cellule est
toujours précédée de celle du noyau et que la disparition du noyau en¬
traîne l’atrophie et la mort de l’élément cellulaire tout entier. Jusqu’à
présent, il a été impossible d’observer à l’état physiologique et chez l’a¬
dulte des divisions de cellules et de noyaux dans les couches épithéliales;
mais, dans certaines conditions pathologiques, ces transformations sont
fort nettes, ainsi qu’on le verra plus loin.
Pour former un tissu épithélial, les cellules sont soudées les unes aux
autres par un ciment tellement solide, en particulier dans les épithéliums
pavimenteux à plusieurs couches, que, si l’on pratiqué la dissociation
avec les aiguilles, on arrive à déchirer les cellules elles-mêmes, mais non
à les séparer les unes des autres. Le ciment intercellulaire des autres
épithéliums est formé par une matière beaucoup plus molle, qui permet
aux cellules de se dissocier par des actions purement mécaniques. Ces
substances cimentantes sont toutes attaquées et dissoutes par la potasse
et la soude caustiques. Ces alcalis en solutions étendues (1 à 10 pour 100)
détruisent aussi les cellules, mais, en solution plus concentrée (de 30 à
40 pour 100), ils ne modifient pas beaucoup leur forme. (Moleschott.)
Ces dernières solutions constituent donc un excellent moyen pour isoler
les cellules épithéliales. On peut employer, pour obtenir le même effet,
une macération prolongée dans le sérum iodé de Schultze, ou bien dans des
solutions très-étendues d’acide chromique ou de bichromate de potasse.
Le ciment intercellulaire jouit de la propriété de réduire rapidement les
sels d’argent. (His et Recklinghausen.) Cette réduction est aussi opérée
par la cellule elle-
même, mais beau¬
coup plus lente¬
ment. 11 en résulte
qu’en soumettant un
revêtement épithé¬
lial à l’action d’une
solution de nitrate
d’argent, le ciment
est imprégné, alors
que les cellules ne
contiennent encore
que du sel non ré¬
duit. Celui-ci peut — Cellules épithéliales des capillaires imprégnées par le
donc être enlevé par
un lavage à l’eau distillée, tandis que le métal reste à l’état dé combinai-
ÉPITHÉLIUM.
son insoluble dans le ciment ii]tercellulaire. Le dépôt d’argent limite les
cellules d’une manière admirable ; c’est à l’aide de cette méthode que
l’on a pu reconnaître l’existence d’un revêtement épithélial dans les ca¬
pillaires sanguins [voy. l’art. CAPiLLAffiE, t. VI (fig. 109)] et dans les lym¬
phatiques.
Les cellules les plus profondes d’une couche épithéliale sont solidement
unies aux tissus sur lesquels elles reposent. On ne sait pas encore exacte¬
ment comment cette union est établie ; cependant il est fort probable que
le revêtement épithélial tout entier est soudé aux tissus sous-jacents par
une substance analogue à celle qui unit les cellules entre elles, car l’adhé¬
rence de la couche épithéliale est égale à celle des cellules entre elles et de
plus elle est détruite par la potasse à 40 pour 100 et par les autres réac¬
tifs qui dissolvent le ciment intercellulaire.
On admet généralement qu’au-dessous de l’épithélium, il existe tou¬
jours une membrane anhiste continue et d’une grande minceur, basement
membrane de Bowman. Sur des coupes très-minces et examinées avec
d’excellents objectifs, il est facile de se convaincre que cette membrane
fondamentale n’est pas constante, si tant est qu’elle existe jamais.
On n’observe pas non plus chez l’homme et chez les animaux supé¬
rieurs de membrane
cuticulaire, c’est-à-
dire une couche a-
morphe, continue,
recouvrant toute la
surface d’un épithé¬
lium ; mais les cel¬
lules de quelques é-
pithéliums (celles de
l’intestin grêle, les
cellules à cils vi-
bratiles) présentent
sur leur face libre
un épaississement ,
une sorte de pla¬
teau , distinct pour
chaque cellule , et
comparable à une
cuticule, en ce sens
qu’il est surajouté ;
t). — Ovule du lapin.' — a, Cellules ovariei
•aaf. — b, Membrane vitelline formé par
ellules précédentes. — c, Vésicule germin
inative. — e, Granulation du vitellus. (Wali
les de la vésicule cependant la mem-
is plateaux striés yitelline de
Handb., p. 555).
véritable membrane
cuticulaire (lig. 110),
ainsi qu’il résulte des recherches de Reichert, Pflüger et Waldeyer. L’o¬
vule primordial est formé à l’origine par une masse de protoplasma con-
ÉPITHÉLIUM. 681
tractile. Les cellules du cumulus proligère qui l’entourent sont cylin¬
driques. Elles présentent sur leur base, appliquée à la surface de l’ovule,
un plateau strié semblable à celui des cellules épithéliales de l’intestin
grêle. Ces plateaux, d’abord mincss et distincts pour chaque cellule, s’é¬
paississent, se soudent les uns aux autres et forment en s’unissant la
membrane vitelline qui, dans certaines espèces animales, possède une
structure très-nettement striée.
Le tissu épithélial, considéré dans son ensemble, se montre donc avec
une grande simplicité, puisqu’il est formé entièrement par des cellules et
une faible quantité de substance intercellulaire. C’est la raison pour
laquelle on lui a donné le nom de tissu celluleux (Kœlliker) ou cellulaire
(Sappey). Ces désignations sont trompeuses en ce sens que les épithé¬
liums ne sont, pas plus que les cartilages ou les os, formés uniquement de
cellules. La substance intercellulaire existe dans les uns comme dans les
autres, seulement elle est moins abondante èt moins importante dans les
épithéliums. Elle y est aussi moins bien connue, et il est fort probable
que l’on en fera bientôt une étude plus complète et que l’on y découvrira
des détails importants.
Déjà Cohnheim a trouvé dans l’épithélium de la face antérieure de la
cornée des filaments nerveux en très-grand nombre qui cheminent dans
la substance intercellulaire et s’y terminent par des renflements en forme
de boutons (fig. IH).
Fig. m. — Cornée du lapin traitée par le chlomre d’or. — a. Membre de Desmet. —
b. Troncs nerveux compris dans la coupe. — d, Réseau nerveux dans la membrane de
Bowman. — e, Epithélium de la face antérieure avec les filaments nerveux termi¬
naux f. (Cohnheim.)
Pour observer cette remarquable disposition, il faut placer la cornée
682 ÉPITHÉLIUM.
d’un mammifère, que l’on vient de sacrifier, dans une solution de chlo¬
rure d’or à 1/200, l’y laisser pendant quelques heures, jusqu’à ce qu’elle
soit devenue jaune, y pratiquer des sections transversales et les sou¬
mettre à la lumière solaire dans une solution faible d’acide acétique. L’or,
qui s’est d’abord fixé sur les fibres nerveuses, s’y réduit sous l’influence
de la lumière, et leur donne une coloration violette. On peut suivre alors
les filets nerveux qui, après avoir formé un réseau dans la membrane de
Bowman, pénètrent dans l’épithélium, arrivent jusque dans ses couches
les plus superficielles et s’y terminent par un petit renflement en forme
de bouton. On comprend maintenant la sensibilité si grande de la
cornée.
Plus récemment, un jeune histologiste de Berlin, Langerhans, en ap¬
pliquant à l’étude de la peau la méthode de Cobnheirn, est arrivé à
des résultats bien singuliers. Il a vu, au milieu des cellules du corps
muqueux de Malpighi, colorées simplement en jaune par le chlorure
d’or, d’autres cellules plus petites, anguleuses et colorées en violet
(fig. 112). De ces cellules naissent des prolongements; l’un d’entre
Fig. H2. — Épiderme de l’homme traité avec le chlorure d’or. — h. Couche cornée de l’é¬
piderme; au-dessous on observe les différentes couches du corps muqueux de Malpighi
avec les cellules nerveuses terminales. — v. Vaisseau sanguin. (Lasgebhans.)
eux, dirigé du côté du chorion, y pénètre et s’y trouve en connexion
avec les filets nerveux du derme ; les autres cheminent entre les cel¬
lules épithéliales et se terminent par des boutons. Ces prolongements
sont colorés en violet comme le corps de la cellule, et l’analogie permet
de conclure qu’il s’agit là comme dans la cornée d’un système nerveux
interépithélial.
On connaît encore un autre mode de terminaison des nerfs dans les
épithéliums. Cette fois, il ne s’agit plus de filaments nerveux terminaux
cheminant entre les cellules épithéliales , mais d’une véritable terminai¬
son dans les cellules elles-mêmes. Cette disposition n’a pas été observée
ÉPITHÉLIUM. 683
chez l’homme, parce que, pour cette étude, il est nécessaire que les tissus
soient très-frais. Sur la langue de la grenouille, on rencontre , au milieu
des cellules épithéliales prismatiques qui recouvrent les papilles, d’autres
cellules, d’une forme différente ; elles sont fort minces dans leur portion
qui correspond aux cellules épithéliales voisines, et sont renflées vers
leur fond ; à ce niveau, elles contiennent un noyau vésiculeux et donnent
naissance, du côté de la papille, à un prolongement qui pénètre dans son
tissu et s’y ramifie, pour se continuer avec des filaments nerveux d’une
grande minceur.
11 existe dans la portion olfactive des fosses nasales des cellules sern ■
blables, qui portent à leur face libre des ci|s vibratiles. C’est à M. Schultze
que nous devons la connaissance de ces faits.
Enfin Pflüger a décrit dans les glandes (lés glandes salivaires , le pan¬
créas et même le foie) des terminaisons directes des fibres nerveuses dans
les cellules glandulaires. Ce sont là des résultats trop nouveaux pour
qu’ils puissent prendre définitivement rang dans la science avant d’être
vérifiés et confirmés.
Depuis les travaux de Remak sur l’embryogénie, on admet que les
revêtements épithéliaux naissent des différents feuillets du blastoderme ;
l’épiderme, les glandes cutanées, le cristallin, l’épithélium des ventricules
cérébraux et celui du canal central de la moelle, du feuillet externe;
l’épithélium des muqueuses et leurs glandes, du feuillet interne ; l’épi¬
thélium des séreuses, du feuillet moyen. C’est aussi de.ce dernier feuillet
que se forment les épithéliums du cœur , des vaisseaux sanguins et des
lymphatiques. Cette différence embryogénique a conduit Rindfleisch, His
et Thiersch à établir des divisions bien tranchées entre les épithéliums,
au point de vue physiologique et pathologique, suivant qu’ils naissent
aux dépens des feuillets cutané et muqueux ou du feuillet moyen. His a
pensé qu’il convenait de leur donner des noms différents, il a conservé
aux deux premiers seuls la dénomination d’épithélium, tandis qu’il a
désigné les derniers sous le nom d'endothélium. Il a cru qu’à la diffé¬
rence d’origine correspondait toujours une structure différente ; les en¬
dothéliums seraient constitués par des cellules très-aplaties, soudées par
leurs bords et formant une seul^couche : tel serait l’épithélium des vais¬
seaux, des séreuses, des synoviales articulaires, des bourses séreuses ;
l’épithélium proprement dit présenterait au contraire une ou plusieurs
couches de cellules plus épaisses.
Mais la différence embryogéhique ne correspond pas toujours à une
différence morphologique. Ainsi l’épithélium des alvéoles pulmonaires,
qui provient du feuillet interne du blastoderme, est formé par une seule
couche de cellules plates, semblables à celles des membraues séreuses ,
tandis que le revêtement épithélial des franges synoviales, dont l’origine
est dans le feuillet moyen, est formé de couches superposées ; les cellules
qui le composent sont épaisses et de plus servent à la sécrétion d’un liquide
chargé de mucine, comme le ferait l’épithélium d’une muqueuse. Du
reste, il ne faudrait pas croire à la fixité absolue de la forme de tel épi-
ÉPITHÉLIUM.
thélium ; la pathologie nous fournit des faits qui démontrent qu’un simple
changement de condition peut faire varier la forme d’un revêtement épi¬
thélial.' L’épithélium cylindrique à cils vibratiles d’un polype des fosses
nasales devient pavimenteux et même corné dans le cas où ce polype vient
faire saillie à l’extérieur. On observe les mêmes transformations sur les
polypes du rectum et de l’utérus, lorsqu’ils se sont dégagés des cavités
qui les contenaient.
. Nous reviendrons sur ces différents faits à propos de la pathologie ; pour
le moment, il nous suffit de montrer que l’origine d’un épithélium ne lui
imprime pas une forme nécessaire, et que, s’il y a un rapport entre l’ori¬
gine et la forme, celle-ci dépend aussi de conditions purement physiques,
et peut varier avec ces dernières.
On a vu , un peu plus haut tfue les épithéliums sont soumis à une évo¬
lution constante. Les cellules qui les composent n’ont qu’une durée limi¬
tée, elles naissent, grandissent, subissent des modifications nutritives et
meurent. Pour s’en convaincrdf il suffit d’examiner une coupe pratiquée
perpendiculairement à la surface d’un épithélium stratifié. Dans les revê¬
tements formés d’une seule couche, ces faits sont moins évidents; on sait
seulement que les cellules s’en détachent pour tomber dans une cavité
naturelle ou être chassées au dehors, sans que pour cela l’intégrité du
revêtement en soit atteinte.
Il règne encore une obscurité tr
aux dépens de laquelle se formera
encore sur les membranes séreus
ès-grande sur le mode de formation des
cellules nouvelles destinées à rempla¬
cer les anciennes. Chez l’adulte, dans
«■.les couches profondes des épithéliums
^stratifiés, on ne peut saisir aucun
'signe de multiplication cellulaire ;
chaque cellule est bien limitée et ne
. renferme jamais qu’un seul noyau.
Mais il n’en est plus de même chez les
embryons. Leur enveloppe épithéliale
est une couche molle dont les cel¬
lules profondes contiennent plusieurs
nopux et sont en voie de division
, (Keélliker) , et dont les cellules super-
..‘•ficieiles se détachent pour former le
■ sébufti. D’après Henle, la partie la
'nf plus profonde de l’épiderme du fœtus
consiste dans une couche granuleuse,
continue et parsemée de noyaux,
lient les nouvelles cellules. On observe
es des jeunes mammifères une disposi¬
tion des cellules épithéliales qui paraît être en rapport avec la formation
de ces cellules et l’extension de la membrane épithéliale. Lorsque celle-ci
a été soumise à l’action du nitrate d’argent et à la coloration par le picro-
carminate d’ammoniaque, les cellules qui la forment sont séparées par
ÉPITHÉLIUM. — ÉPITHÉLIUMS a cellules plates. 685
des lignes noires, sinueuses, et leurs noyaux apparaissent très-nettement
(fig. 113). Certaines de ces cellules ont un noyau central; d’autres deux
noyaux ; quelques-unes ont un noyau situé au voisinage de l’un de leurs
bords; dans ce dernier cas, le noyau d’une cellule voisine est tou¬
jours placé à côté de la ligne mitoyenne et juste en face de celui de
la première cellule. Il est fort probable qu’il s’agit là d’une multi¬
plication des cellules par division. Plus loin, à propos des forma¬
tions pathologiques et des régénérations des épithéliums, nous présen¬
terons de nouveaux faits, et nous discuterons les théories qu’ils ont
suggérées.
Pour suivre un plan strictement logique, il conviendrait d’exposer
maintenant les propriétés physiologiques et les modifications pathologi¬
ques des épithéliums considérés d’une manière générale. Mais il y a, à ce
dernier point de vue, entre les différentes espèces d’épithéliums, des diffé¬
rences si considérables qu’une pareille étude serait sans portée. En effet,
il est impossible , par exemple, de trouver une relation physiologique
entre l’épiderme qui protège la surface du corps et le foie qui sécrète la
bile et forme du sucre. Les lésions de l’un et de l’autre sont bien diffé¬
rentes.
Nous passons donc de suite à la classification des épithéliums et à la
description de chaque espèce. Les épithéliums forment deux grands
groupes : les épithéliums de revêtement et les épithéliums glandulaires.
Les premiers seuls nous occuperont dans cet article; les épithéliums
glandulaires seront étudiés à propos des glandes. (Voy. l’art. Glandes.)
Nous diviserons les épithéliums de revêtement de la façon suivante :
1“ épithéliums à cellules plates et disposés sur une seule couche; ^2° épi¬
théliums pavimenteux stratifiés; 3“ épithéliums a cils vibratiles; 4° épi¬
théliums cylindriques.
I. Épithéliums à cellules plates et disposées sur une
seule couche. — Les épithéliums des membranes séreuses des vais¬
seaux sanguins et lymphatiques, des vésicules pulmonaires et des glo-
mérules du rein appartiennent à cette espèce. Il est fâcheux que His ait
donné au mot endothélium une signification embryogénique, sans quoi
il conviendrait aussi bien que tout autre pour les désigner. Comme cette
dénomination a déjà passé dans le langage des histologistes, nous l’em¬
ploierons, en prévenant qu’il ne signifie pas nécessairement que les re¬
vêtements cellulaires ainsi désignés sont nés du feuillet moyen du blasto¬
derme.
Dans cet article, le mot endothélium aura donc une signification
purement anatomique, et exprimera simplement l’idée d’épithéliùm à
cellules plates et disposées sur une seule couche.
Les cellules des endothéliums sont d’une très-grande minceur.; un à
trois millièmes de millimètre. Chaque cellule contient un noyau plat; à
son niveau, la cellule est légèrement renflée, en sorte que, vue de profil,
elle figure un élément fusiforme. Ce n’est pas une cellule dans l’ancienne
acception de ce mot; c’est simplement une plaque de protoplasma conte-
686 ÉPITHÉLIUM. — épituéuums a cellules plates.
nant un noyau. Mais nous avons vu qu’on est convenu de conserver cette
désignation, anciennement employée pour les mêmes éléments, lorsqu’on
leur supposait une membrane d’enveloppe. Rindfleisch, qui en a fait une
élude très-attentive, admet que, dans le péritoine, elles sont composées
d’une masse de protoplasma disposée autour du noyau, et d’une sorte de
plaque superficielle. Dans les
vésicules pulmonaires, cette
disposition est très-accusée
(fig. 114); le noyau et le
protoplasma de la cellule
occupent les fossettes lais¬
sées entre les capillaires, et
la plaque superficielle s’é¬
tend seule sur les vaisseaux
et les recouvre.
Vues de face, les cellules
des endothéliums se mon¬
trent avec des formes et des
dimensions très - variées ;
T. ... -i,.- , . - , . - „ pour les bien voir, il faut
Fig. 114. — Epithélium des vésicules pulmonaires d’un | . , ' ,
jeune chat. — a, Noyaux avec leurs protoplasma situés 1®® examiner en place apres
dans les fossettes intervasculaires. — b. Plaques super- avoir imprégné tout le re-
hcielles recouvrant toute la surface interne des vesi- bêtement avec l’argent. Il
est bon de faire usage d’un
procédé imaginé par Schweigger- Seidel; lorsque la surface a été im¬
prégnée, et, après un lavage bien complet dans l’eau distillée, on
applique la membrane sur une lame de verre, puis on la laisse se
dessécher ; si alors on arrache cette membrane avec précaution , le re¬
vêtement seul reste fixé à la lame de verre. On obtient ainsi d’ad¬
mirables préparations. La figure 113 a été dessinée sur une de ces
préparations, et c’est ce qui donne une grande valeur aux interpréta¬
tions qu’elle m’a suggérées, car il est impossible de cette façon de
confondre les noyaux des cellules épithéliales avec ceux des tissus sous-
jacents.
Après l’imprégnation d’argent, on observe que les cellules endothéliales
ont des bords sinueux ou dentelés à la façon des engrenures des os du
crâne; elles sont polygonales, à peu près égales dans tous les sens, sur les
membranes séreuses, l’endocarde, les vésicules pulmonaires et les glomé-
rules du rein (fig. 115), allongées dans un sens sur les vaisseaux sanguins,
les lymphatiques et les travées du grand épiploon. C’est dans les capil¬
laires que leur diamètre longitudinal l’emporte le plus sur le transversal.
Leurs dimensions sont très-variables,mêfflesurun revêtement épithélial en
particulier. Il en est de même de leur configuration. Elles s’assujettissent
à la forme des parties qu’elles doivent recouvrir; pour s’en convaincre, il
suffit d’étudier le grand épiploon après l’avoir imprégné d’argent. Sur ses
portions membraneuses , les cellules sont régulièrement polygonales ; sur
A. CELLULES PLATES.
687
les grosses travées, elles s’allongent; sur les plus fines, elles s’enroulent
et se soudent à elles-mêmes par deux de leurs bords ; en un mot, elles se
moulent sur ce système de tra¬
vées si admirable, comme le |1||
feraient de petites plaques d’un
vernis très-souple.
Il y a une très-grande analo- m'/W
gie entre les cellules endothé- KÊ
Haies et les cellules du tissu mW
conjonctif. En effet, comme je
l’ai montré dans le courant de ' 'W
l’année dernière, les cellules “ -
du tissu conjonctif sont plates, »
contiennent des noyaux plats, '\
et sont simplement appliquées | /
sur les faisceaux du tissu con- f
jonctif. Il serait complètement | a'n' ,
impossible de reconnaître une V4. " i
cellule endothéliale isolée de la
plupart des cellules du tissu con¬
jonctif. En outre, ces deux es- /
pèces de cellules, si tant est 'j’w
qu’elles soient des espèces di- '
stinctes, sont sujettes aux mê-
mes modiûcations pathologi- :
La texture du tissu endothé- Fig. 115. — Glomérule du rein traité parie nitrate
liai est fort simple ; elle ressort “ «-.Cellules endothehales de la cap-
..y i 1 1 1 suie. — e, vaisseau etterent. — Vaisseau
prGSque entièreîIlGnt de la des- afférent avec son revêtement endothélial. — A, Col
cription précédente. Le ciment da gloméruie. (Lüdwig.)
intercellulaire est une substance
plus molle que les cellules elles-mêmes ; le revêtement tout entier semble
soudé au tissu conjonctif sous-jacent par une substance semblable au
ciment intercellulaire ; il ne repose pas sur une membrane fondamentale
appréciable.
Quand on examine, par sa surface, à un grossissement de 100 diamètres,
un grand pavé endothélial, celui du péritoine, par exemple, après qu’il a
été imprégné d*argent, on reconnaît un certain arrangement des cellules.
Elles forment, le plus souvent, des groupes ou îlots plus ou moins étendus,
et sont disposées sür des rayons qui partiraient du centre de chaque îlot.
Sur le mésentère de la rana temporaria, cette singulière disposition est
très-marquée, surtout au-dessus des vaisseaux sanguins. Le centre de
chaque groupe de cellules est occupé par une cellule plus arrondie, plus
petite et très-granuleuse.
Lorsque l’imprégnation est bien réussie, on ne voit jamais entre
les cellules les taches noires décrites par von Recklinghausen, His et
688 ÉPITHÉLIUM. — épituéhdm a cellules plates.
Eberth, etc., qui représenteraient des sortes de pores ou ouvertures fixes,
par lesquelles des particules solides et les globules lymphatiques en
particulier pourraient s’engager, entrer dans la cavité séreuse, ou en
sortir. Ce n’est que sur des préparations ayant séjourné trop longtemps
dans la solution d’argent, ou bien lorsque la surface imprégnée n’avait pas
été bien lavée d’abord avec de l’eau distillée pour en chasser les souillures,
que j’ai vu des taches noires correspondant à la description et aux figures
des auteurs précités.
Je ne veux pas dire pour cela que les corpuscules solides et les globules
blancs, contenus dans une cavité séreuse, ne puissent pas s’engager entre
les cellules épithéliales et gagner les vaisseaux lymphatiques , c’est là un
fait acquis à la science, car il est établi sur l’expérience la plus positive.
Cette expérience, que nous devons à von Recklinghausen, est d’une très-
grande importance; elle a été le point de départ d’une série de recherches
et a servi à l’interprétation d’un grand nombre de faits pathologiques.
Pour la réaliser, on fixe avec des épingles, sur un cercle de liège placé
horizontalement, le diaphragme d’un lapin, de manière à ce que la séreuse
péritonéale regarde en haut; puis on verse sur cette surface du lait
mélangé à de l’eau sucrée. Si alors ou examine à un grossissement de
150 diamètres et avec un objectif dont le foyer ait suffisamment d’étendue,
on voit se former des tourbillons dans lesquels les granulations grais¬
seuses du lait sont saisies et entraînées dans des orifices pour disparaître
de la surface et pénétrer dans les vaisseaux lymphatiques. Il est difficile
de comprendre quelle est la force qui établit ce courant et entraîne les
particules solides dans un sens déterminé; on n’en a pas encore l’expli¬
cation, mais le fait est réel et doit être accepté. Le même phénomène
peut se produire chez l’animal vivant ; seulement on ne peut assister à
toutes ses phases comme dans l’expérience précédente ; on constate sim-
f)lement que des corpuscules solides, introduits dans la cavité péritonéale,
s’engagent dans les lymphatiques et s’arrêtent parfois entre les cellules
épithéliales de la séreuse.
Il est impossible de voir, sur une préparation histologique de séreuse,
les orifices de communication ; il est donc fort probable qu’ils ne sont
pas béants, et qu'ils s’ouvrent au moment où des corps étrangers s’y
engagent.
On rencontre toujours des globules blancs ou globules lymphatiques
dans le liquide des sacs séreux, et ce liquide possède les caractères de la
lymphe, entre autres, celui de contenir de la substance fibrinogène, qui
forme de la fibrine au contact de l’air, ou bien quand on y ajoute des
globules rouges du sang. (Kühne.) Chez la grenouille, il y a, sous la peau,
de vastes sacs recouverts d’un endothélium, qui ont tous les caractères
des membranes séreuses, et qui communiquent largement avec le système
lymphatique. Lorsque l’on injecte du bleu d’aniline granuleux ou du
vermillon porphyrisé dans ces sacs lymphatiques, les globules blancs qui
y sont contenus se chargent de ces granulations colorées et les transpor¬
tent dans le sang (Cohnheim); de telle sorte que, peu de temps après
ÉPITHÉLIUM. - ÉPITHÉLIÜMS A CELLULES PLATES. 689
l’injection, il y a dans le sang un très-grand nombre de globules blancs
remplis de ces granulations.
Il est vraisemblable que, chez les mammifères, aussi bien que chez la
grenouille, les globules blancs ne séjournent pas dans les sacs séreux, et
que, sortis du sang, ils peuvent y rentrer après avoir parcouru la voie
sinueuse des lymphatiques.
Ces faits montrent que les endothéliums des séreuses, des vaisseaux
lymphatiques et des vaisseaux sanguins forment un revêtement continu.
Mais cette continuité ne suffirait pas pour établir une analogie d’espèce
entre ces différents épithéliums, car un revêtement endothélial peut faire
suite sur une même surface à un épithélium d’une espèce bien différente.
C’est ainsi qu’à l’endothélium péritonéal fait suite, sur le pavillon de la
trompe utérine, un épithélium à cils vibratiles. De même l’ovaire, placé
comme on le sait dans la cavité péritonéale, est recouvert de cellules
cylindriques qui succèdent brusquement aux cellules plates du reste de la
séreuse. (Waldeyer.)
Dans le poumon, l’endothélium des vésicules pulmonaires est remplacé
dansles petites bronches par un épithélium à cils vibratiles, et celui-ci, sepour-
suivant dans la trachée et dans le larynx, se continue avec l’épithélium pavi-
menteux du pharynx, de la bouche, des lèvres et de la peau. La continuité
des épithéliums ne prouve donc rien en faveur de leur analogie d’espèce.
Les modifications pathologiques des endothéliums sont nombreuses ; il
convient d’étudier d’abord celles qu’y détermine l’inflammation. En
commun avec V. Cornil, j’ai fait à ce sujet des recherches expérimentales,
dont les résultats sont préférables à ceux que donnerait l’observation
simple des faits analogues qui se rencontrent accidentellement chez
l’homme, parce que les cellules endothéliales sont si délicates que 24
heures après la mort, elles sont complètement modifiées; la plupart d’en¬
tre elles sont même détachées et flottent dans la cavité séreuse. De plus,
on peut sacrifier les animaux aux différentes phases de l’inflammation et
relier ensuite les phénomènes observés.
Sous l’influence d’une inflammation provoquée par une injection irri¬
tante dans le péritoine, on voit survenir d’abord un gonflement des cel¬
lules endothéliales ; elles deviennent granuleuses ; leurs noyaux plats
prennent une forme sphérique, puis se divisent. Alors les cellules deve¬
nues globuleuses se divisent à leur tour. Beaucoup d’entre elles se déta¬
chent complètement de la surface sur laquelle elles reposaient, tombent
dans la cavité péritonéale et se mélangent à de nombreux globules blancs
sortis des vaisseaux. Dans le cas où le mouvement inflammatoire est ar¬
rêté, ces cellules libres, qui ne se distinguent plus nettement des glo¬
bules blancs, se fixent sur les surfaces de la séreuse, puis s’y étalent et
forment de nouveau un revêtement épithélial complet.
On trouve là une application très-simple de la loi qui régit toutes les
néoformations inflammatoires : Les éléments cellulaires reviennent à
Vétat embryonnaire sous l’influence de l’irritation, et, lorsque celle-ci a
disparu, les cellules embryonnaires reforment le tissu primitif.
690 ÉPITHÉLIUM. — épithéliums a cellules plates.
Dans les inflammations fibrineuses des membranes séreuses, si com¬
munes dans la plèvre et le péricarde, le liquide exsudé contient beaucoup
de substance fibrinogène qui donne naissance à de la fibrine sur la paroi
de la cavité ; mais, pour que la fibrine se forme, il faut, suivant la théorie
de A. Schmidt, que la matière fibrinogène se combine à une autre sub¬
stance albuminoïde, qui se trouve retenue dans les globules rouges du
sang (paraglobuline de Kûhne) et dans d’autres éléments anatomiques.
A l’état normal, la matière fibrinogène contenue dans la sérosité du péri¬
carde et dans celle des cavités séreuses ne produit pas de fibrine, parce
qu’elle est seulement en contact avec les cellules endothéliales. Mais si,
comme cela arrive dans la péricardite et la pleurésie, ces cellules sont
gonflées et même détachées de la surface qu’elles recouvraient, la sub¬
stance fibrinogène trouve dans la séreuse dénudée de la substance fibrino-
plastique et produit de la fibrine. Cette interprétation est la seule qui
soit vraisemblable dans l’état actuel de la science ; elle fait comprendre
pourquoi la fibrine se dépose principalement surles surfaces enflammées,
pour y former ces couches épaisses et caractéristiques. C’est au milieu de
la fibrine déposée que l’on retrouve les cellules endothéliales ; elles se
sont gonflées, mais beaucoup d’entre elles ont conservé un certain degré
d’aplatissement. Elles ont alors des formes bizarres, contiennent parfois
un très-grand nombre de noyaux et ressemblent aux grandes cellules
mères de la moelle des os (myéloplaxes) . A côté de ces cellules, il existe
toujours des globules blancs, ou globules de pus. Ces divers éléments
cellulaires forment des sortes de lits séparés les uns des autres par des
couches de fibrine.
La pneumonie fibrineuse nous montre en petit dans chaque alvéole
pulmonaire des phénomènes du même genre. Mais c’est surtout dans la
pneumonie catarrhale que l’on voit les cellules endothéliales des vésicules
pulmonaires jouer un rôle important. Elles se gonflent, leurs noyaux se
multiplient; puis elles se divisent à leur tour, tombent dans la cavité
alvéolaire où elles subissent la transformation graisseuse et sont alors
expulsées avec du mucus et des globules de pus dans les crachats.
Dans l’endartérite et l’endophlébite, le rôle de l’épithélium n’est pas
encore connu ; cependant nous savons qu’il suffit qu’un vaisseau sanguin
en soit dépouillé pour que le sang s’y coagule. Ce n’est pas assurément
la seule cause de la thrombose, mais c’est une de ses conditions les plus
importantes ; aussi admet-on que l’endothélium vasculaire empêche à
l’état physiologique la fibrine de se former sur les parois des vaisseaux
(Brücke), et l’on suppose à cet endothélium une action spéciale, mais
inconnue dans son essence. Il est bien clair qu’il s’agit là d’une simple
hypothèse.
Lorsque le sang se coagule dans une artère ou dans une veine à la suite
d’une ligature, ou bien lorsqu’il s’est produit une thrombose spontanée,
le caillot est bientôt remplacé par une masse fibreuse et vasculaire qui
semble résulter d’une organisation directe du thrombus. Otto Weber
croyait que la néoformation avait pour point de départ les globules
ÉPITHÉLIUM. — ÉPITHÉLIUMS A CELLULES PLATES. 691
blancs emprisonnés au milieu de la fibrine. J’ai repris les expériences de
ce physiologiste et elles m’ont donné des résultats bien différents. Le
point de départ de la néoformation est très-probablement dans les cel¬
lules endothéliales du vaisseau, et c’est pour cela que ces phénomènes
trouvent naturellement leur place dans cette description.
Lorsqu’un thrombus s’est formé dans un vaisseau et qu’il marche vers
l’organisation, les cellules endothéliales se gonflent, se multiplient et
forment un lit continu dont l’épaisseur s’accroît d’une manière progres¬
sive et irrégulière à mesure que le caillot se résorbe.
Il en résulte des espèces de bourgeons appliqués sur la tunique interne
restée intacte, et toujours distincts de la masse du caillot. Chez le chien,
c’est du dixième au quinzième jour que ces phénomènes sont bien marqués.
Dans l’inflammation, les cellules endothéliales qui forment la paroi des
capillaires subissent aussi des altérations du même genre; elles font com¬
prendre plusieurs phénomènes morbides, tels que la sortie des globules
blancs du sang, les néoformations de capillaires et les hémorrhagies qui
surviennent dans le processus inflammatoire.
Comme on l’a vu plus haut, les cellules des vaisseaux capillaires sont
plates et soudées les unes aux autres. Dans les parties enflammées, ces
cellules se gonflent, leurs noyaux deviennent globuleux, elles ne sont plus
que faiblement unies les unes aux autres, et finalement elles se multiplient.
On conçoit que, dans un pareil état, véritable retour à l’état embryon¬
naire (car pendant la période de leur développement ils présentent cette
structure), les capillaires sanguins puissent laisser passer les globules
blancs du sang entre les cellules désunies qui les forment, subir des dila¬
tations régulières ou irrégulières suivant l’étendue du processus )sur un
même vaisseau, et finalement se rompre en donnant lieu à une hémorrha¬
gie plus ou moins étendue.
Les capillaires devenus embryonnaires sous l’influence de l’irritation
peuvent, comme les capillaires embryonnaires physiologiques, fournir
des bourgeons de cellules, qui partent de leurs parois, s’étendent, se
creusent, et, s’unissant avec des bourgeons semblables venus d’autres
points, construisent un réseau complet de nouvelle formation. Ainsi se
développent les vaisseaux des bourgeons charnus. D’après ma propre ob¬
servation, toutes les néoformations vasculaires pathologiques se produi¬
raient par ce mécanisme.
Dans les sarcomes embryonnaires ou encéphaloïdes et dans les sarco¬
mes fasciculés mous, les cellules qui limitent les vaisseaux capillaireSj
endothéliales par leur situation, ne diffèrent pas, le plus souvent, des
cellules qui forment la masse morbide tout entière. Il y a là un véritable
système lacunaire pour la circulation du sang. Dans les bourgeons char¬
nus, au moment où ils se développent d’une manière active, les cellules
des vaisseaux sanguins sont semblables à celles qui forment le corps des
bourgeons ; plus tard, lorsque l’organisation se complète, elles se diffé¬
rencient et prennent une forme franchement endothéliale.
On a vu les endothéliums des séreuses et des vaisseaux concourir pour
692 ÉPITHÉLIUM. — épithélioms PAVIMESTEUX STR,ITIFIÉS,
leur part aux néoformations inflammatoires ; leur rôle n’est pas moins
actif dans le développement des tumeurs.
D’après Rindfleisch, les granulations tuberculeuses des membranes sé¬
reuses emprunteraient une partie de leurs éléments aux endothéliums
proliférés ; il a suivi ce processus sur le grand épiploon et donne comme
preuve à l’appui de cette manière de voir ce fait que, sur les plus fines
travées du grand épiploon, il n’y a pas d’autres éléments cellulaires que
les cellules endothéliales qui les recouvrent. Il convient d’ajouter que ces
travées ne contiennent pas de vaisseaux et que, par conséquent, les cellules
delà granulation tuberculeuse ne peuvent venir directement du sang,
comme on peut le supposer dans d’autres parties de l’organisme.
, Les cellules épithéliales des vésicules pulmonaires participent d’une
manière bien évidente à la formation des tubercules. Une granulation
grise, lorsqu’elle atteint plusieurs millimètres de diamètre, correspond à
plusieurs vésicules pulmonaires, et lorsqu’on en examine une coupe au
microscope, on retrouve au milieu du tissu de la granulation les travées
inter-alvéolaires.
Les autres néoplasmes développés dans le poumon se forment aussi
dans les vésicules, même le sarcome. Au début, les cellules endothéliales
se multiplient; il est probable que des globules blancs sortis des vaisseaux
viennent s’ajouter aux éléments cellulaires jeunes qui proviennent delà
division des cellules épithéliales; à ce moment, les vésicules sont remplies
de tissu embryonnaire et les travées élastiques des cloisons se retrouvent
encore, au milieu du jeune tissu : puis elles disparaissent, et il ne reste
plus qu’une masse embryonnaire et vasculaire aux dépens de laquelle se
formera le nouveau tissu pathologique ; c’est du moins ainsi que les choses
semblent se passer.
Ces différents phénomènes pathologiques montrent qu’il y a entre les
cellules des endothéliums et celles du tissu conjonctif une grande analo¬
gie, comme la simple morphologie le faisait déjà pressentir.
II. Épithêliams pa'vim.en.teux stratifiés. — Si l’on excepte les
endothéliums et les épithéliums glandulaires, tous les épithéliums ayant
la forme d’un pavé sont stratifiés, c’est-à-dire composés de plusieurs
couches de cellules (fig. 116).
Ils recouvrent la peau, la conjonctive, la cornée, le vestibule des fosses
nasales, les lèvres, la bouche, le pharynx, les cordes vocales inférieures,
le gland, l’urèthre, la vessie, les urétères, les calices, les bassinets et le
vagin. Sur ces muqueuses, ils sont toujours humides, et leur surface reste
molle. Sur la peau, leur couche superficielle se dessèche, devient solide
et forme la couche cornée, ou épiderme proprement dit. Comme annexes
de l’épiderme, on décrit, avec raison, les ongles et les poils qui sont
formés de cellules épidermiques soudées solidement les unes aux
autres.
Mais la portion profonde de l’épiderme ou corps muqueux de Malpighi
est constituée de la même façon que les épithéliums pavimenteux strati¬
fiés muqueux, de telle sorte que l’on peut les confondre dans une même
ÉPITHÉLIUM. - ÉPITHÉLIUMS PAVIMEîiTEUX STRATIFIÉS. 693
description générale. Certains faits pathologiques viennent encore ajou¬
ter à cette analogie. Lorsqu’un épithélium muqueu.x stratifié est exposé
couche épaisse de petites cellules cylindriques r, r; elles
u’on s'éloigne de la papille, et deviennent polygonales. —
hes de cellules aplaties et épaisses. — S, S, Canal d’une
at : 300 diamètres. (Pathologie cellulaire de Virchow.)
d’une manière constante à l’action de l’air, comme cela arrive dans
l’ectropion, il produit à sa surface
une couche cornée, il devient un
véritable épiderme.
Les cellules profondes des épi¬
théliums pavimenteux stratifiés, sauf
celles de la cornée, présentent sur
leur surface, quelle que soit, du reste,
leur dimension , des dentelures qui
s’engrènent avec les dents semblables
des cellules voisines (fig. 117). Nous
devons la connaissance de ce fait in¬
téressant au professeur M. Schultze.
Il est très-difficile d’isoler les cellules
Fig. in. — Cellules de la couche moyenne de
l’épithélium de la langue humaine; ces
cellules s’engrènent par des dents et par des
crêtes. (Figure empruntée à Kœlliker.)
dentelées, mais j’y suis quelquefois parvenu en abandonnant pendant
quelques jours sous une cloche des fragments de peau ou de muqueuse.
On peut alors détacher les cellules en raclant avec un scalpel. Mais, pour
694 ÉPITHÉLIUM. — épithélidhs pavihenteux stratifiés.
observer les dentelures, il vaut bien mieux étudier les cellules en place,
sur des coupes très-minces, faites après durcissement, dans une solution
d’acide chromique au 5/1000. Pour bien voir la forme des dentelures, il
faut employer, pour l’examen, un grossissement de 400 à 600 diamètres,
et choisir une lentille à grand angle d’ouverture ; avec un objectif im¬
parfait, tel qu’on les fabriquait autrefois, les dentelures ne sont pas
distinctes, et la limite des cellules n’apparaît pas. C’est la raison pour
laquelle quelques micrographes ont décrit, dans la partie profonde de ces
épithéliums, une couche granuleuse parsemée de noyaux. Même dans la
première rangée, qui repose sur les papilles du derme et des muqueuses,
les cellules sont fort nettes et présentent des dentelures sur leurs bords.
Les dentelures correspondent à des saillies véritablement en forme de
dents ou à des crêtes disposées à la surface de la cellule. Les cellules
dentelées ne paraissent pas avoir de membrane, mais, en vieillissant,
elles en acquièrent une. Les cellules superficielles de la paroi buccale,
par exemple, en sont pourvues. Lorsque avec l’ongle, on racle la surface
interne de la joue, on en retire un liquide muqueux blanchâtre chargé
des grandes cellules plates de la surface de la muqueuse. Ces cellules pa¬
raissent formées par une plaque à contour. sinueux; elles contiennent un
noyau ovalaire autour duquel sont groupées des granulations ; sur le bord
de cet élément, on n’observe pas le double contour considéré comme ca¬
ractéristique d’une membrane cellulaire. Mais, si l’on ajoute à la prépara¬
tion de la potasse à 40/100, et qu’ensuite on la neutralise par une addition
d’acide acétique, la cellule, d’abord gonflée par l’alcali, se remplit de
fines granulations, et, autour de la masse qu’elles forment, on aperçoit
une membrane claire avec le double contour caractéristique.
Les dents ou les crêtes des cellules épithéliales sont bien plus longues
dans les cellules de la première rangée que dans les suivantes. A mesure
que la cellule s’agrandit, elles s’effacent peu à peu, et disparaissent com¬
plètement dans les couches superficielles du corps muqueux de Malpighi
et des épithéliums pavimenteux stratifiés muqueux.
Ces cellules dentelées ont un contenu finement granuleux ; celles qui
forment les premières rangées du corps muqueux de Malpighi contien¬
nent des granulations pigmentaires brunes, dont le nombre et le volume
sont en rapport avec la coloration plus ou moins foncée de l’individu.
Les noyaux des cellules profondes sont ovalaires, clairs. Ils possèdent à
leur limite un double contour bien marqué, et contiennent un ou plusieurs
nucléoles sphériques, réfringents, ayant plus d’un millième de millimètre
de diamètre. Dans l’épiderme, les noyaux des cellules moyennes sont
sphériques. Ils n’ont plus de double contour bien marqué; ils sont plus
petits, et leurs nucléoles sont moins visibles, moins gros et moins ré¬
guliers que dans la couche précédente.
Dans les épithéliums muqueux, les noyaux de la couche correspon¬
dante sont également sphériques, mais leurs nucléoles restent bien ac¬
cusés. Lorsque les cellules de ces derniers épithéliums, arrivées à la
surface du revêtement, s’aplatissent, leurs noyaux subissent aussi un
ÉPITHÉLIUM. — ÉPITHFXICHS PAVIMENTEÜX STRATIFIÉS. 695
aplatissement, ils sont alors lenticulaires et paraissent ovales quand ils
sont vus de face; quand ils se présentent de profil, au contraire, ils pa¬
raissent très-allongés.
A la surface du corps muqueux de Malpighi, les noyaux des cellules
plates qui subissent déjà un commencement de dessiccation s’atrophient,
deviennent anguleux, se résolvent en granules, et finalement disparais¬
sent. A cet état, ils ne fixent plus facilement le carmin, comme le font les
noyaux des couches sous-jacentes; il devient difficile de les colorer, et,
par conséquent, de les bien voir. On peut cependant y parvenir ; pour
cela, il faut faire durcir la peau dans de l’alcool à 40 degrés, y pratiquer
des coupes transversales très-fines, les colorer dans le picrocarminate
d’ammoniaque et les examiner dans la glycérine.
Lorsque les cellules ont subi la transformation cornée, comme dans
l’épiderme proprement dit, les ongles et les poils, on n’y trouve plus trace
de noyau. Elles ont alors la forme d’une écaille, et paraissent complète¬
ment homogènes. Elles sont si solidement soudées entre elles que, pour
les dégager, il est nécessaire d’employer la potasse caustique ou l’acide
sulfurique concentré. Encore la dissociation ne s’opère- t-elle pas à froid;
pour l’obtenir, il faut élever la température à plus de 100 degrés. Cette
réaction puissante ne détruit pas les cellules cornées, elle attaque seule¬
ment la substance qui les unit; elle démontre la grande solidité à laquelle
sont parvenues ces cellules au terme de leur évolution.
En décrivant les cellules des épithéliums pavimenteux stratifiés , il m'a
été impossible de ne pas parler de leur agencement, c’est-à-dire qu’il m’a
fallu entrer dans la description du tissu qu’elles forment par leur réu¬
nion. Pour achever l’étude de ce tissu, il me reste peu de choses à dire.
Qu’il recouvre des papilles ou des surfaces planes , le revêtement pavi¬
menteux stratifié se présente avec le même aspect. La première rangée
de cellules commence brusquement; elle repose sur une couche condensée
de tissu conjonctif, dont les faisceaux de fibrilles devenus très-minces
s’entre-croisent pour former un treillis très-serré. On ne sait pas si ces
faisceaux de tissu conjonctif sont reliés là par une membrane, mais c’est
peu probable ; on ne voit rien d’analogue ; on ne distingue pas davantage
de basement membrane.
L’épithélium semble donc clore à la surface les espaces compris entre
les fibres du tissu conjonctif. On ne sait pas encore aujourd’hui d’une
manière précise comment est établie l’adhérence si forte entre les pre¬
mières cellules du revêtement épithélial et le tissu conjonctif sur lequel
il repose. Il est probable cependant que le tissu conjonctif envoie des
prolongements très-fins dans le ciment intercellulaire ; c’est du moins
ce que semblent prouver certains faits pathologiques dont je donnerai
plus loin la description ; mais, sur les téguments normaux, il est en¬
core impossible, à l’aide des méthodes usuelles , d’observer cette dis¬
position.
L’union des cellules est assurée dans les couches profondes par les
dentelures dentelles sont munies et par le ciment intercellulaire; dans
696 ÉPITHÉLIUM. - KPITHÉLIOMS PAVIMENTEDX STRATIFIÉS.
les couches moyennes, le ciment prend plus de solidité et les dentelures
s’effacent. Arrivées au terme de leur évolution, les cellules se détachent
ou subissent la transformation cornée. Dans ce dernier cas, le ciment,
desséché comme les cellules, les fond en une seule masse ; aussi , quand
on examine une coupe transversale de l’épiderme, d’un ongle ou d’un
poil, on ne distingue pas la limite des cellules ; on aperçoit simplement
une matière homogène parcourue par des stries qui la divisent en lits su¬
perposés.
Je n’entre pas ici dans de plus grands détails sur l’épiderme et les au¬
tres produits épidermiques, parce que leur histoire complète sera pré¬
sentée à propos de la peau. {Voy. art. Peau.) Dans le même article, il
sera question de l’épaisseur de l’épiderme dans les diverses régions du
corps.
Il ne sera pas ici question non plus du cristallin, bien qu’il se déve¬
loppe aux dépens du feuillet épidermique du blastoderme et que ses
fibres soient des cellules épithéliales transformées ; cet organe exige une
description toute spéciale. (Voy. art. Cristallin.)
Le rôle physiologique des épithéliums pavimenteux stratifiés est essen¬
tiellement protecteur. On les trouve sur tous les organes qui sont habi¬
tuellement soumis aux irritants mécaniques, comme la peau, la bouche,
le pharynx, les cordes vocales, etc., et sur le trajet des urines.
Lorsqu’elles ont achevé leur évolution, les cellules de ces épithéliums
ne forment pas, comme les cellules glandulaires , des produits utiles à
l’organisme, elles se détachent et rentrent dans le monde extérieur.
L&pathologie des épithéliums pavimenteux stratifiés est fort importante.
Elle comprend les modifications nutritives, formatives, les reproductions
et les néoformations hétérotopiques de ces épithéliums. Les parasites
végétaux de la peau , c’est-à-dire de l’épiderme, lui appartiennent aussi.
Je n’ai pas du tout l’intention de remplir ici un cadre aussi étendu, j’ex¬
poserai seulement ce qu’il y a de plus général dans cette pathologie ; on
trouvera le reste dans les articles spéciaux de cet ouvrage.
Les lésions élémentaires des épithéliums pavimenteux stratifiés n’ont
pas encore été beaucoup étudiées. Il en est à peine question dans les
traités d’histologie pathologique. Je serai forcé d’avoir souvent recours à
mon observation personnelle, et, comme on le verra, elle est restée bien
incomplète sur un grand nombre de points.
Les modifications des cellules sont les suivantes :
La transformation séreuse des cellules, qui s’observe dans les vésicules
de la peau, des lèvres et de la bouche (pemphigus, herpès, eczéma).
Quand on ouvre une de ces vésicules et qu'on en examine le contenu au
microscope, on y trouve des globules de pus et des cellules épithéliales
devenues hydropiques pour ainsi dire ; elles sont sphériques ou ovoïdes ,
claires, et leurs noyaux apparaissent entourés d’une zone obscure pro¬
duite par un jeu de la lumière.
A côté de cette modification, il convient d’en placer une autre qui
porte sur le noyau et que j’ai décrite il y a plusieurs années ; elle consiste
ÉPITHÉLIUM. - ÉPITHÉLIUMS P.lVIHEKTEÜX STRATIFIÉS.
G97
dans une dilatation du nucléole. Celui-ci se transforme en une vésicule
transparente, peu réfringente , qui
s’agrandit d’une manière progres¬
sive jusqu’à la rupture.
Dans une première période de
cette altération, le noyau, vu de
profil , ressemble à un croissant,
plus tard il est détruit. La cellule
cesse alors d’évoluer et meurt. Cette
transformation des cellules épithé- fig. ti8. — Couche moyenne du corps mu-
liales est fort commune, on la ren- queux de Malpighi. — lésion des cellules qui
contre dons toutes les maladies ir-
ritatives de la peau ; au voisinage dilaté. — 5 et 4, Noyaux avec nucléole très-
des plaies, des ulcères, des tumeurs, distendus,
dans l’érythème, l’érysipèle, l’ec¬
zéma, la zone érythémateuse des pustules de la variole et des autres
pustules, etc. C’est elle qui détermine la desquamation.
Jusqu’ici, ce dernier phénomène n’avait pas été expliqué. Il se produit,
comme on le sait, à la suite de toutes les inflammations de la peau, et il
survient lorsque la guérison est opérée ou bien à la fin de l’évolution
inflammatoire. La desquamation se montre donc lorsque les couches pro¬
fondes, modifiées par l’irritation, sont arrivées dans leur évolution pro¬
gressive jusqu’à la couche cornée. Or, si à ce moment les cellules sont
devenues inactives, c’est-à-dire si elles ne peuvent pas former la sub¬
stance cornée ou kératine nécessaire pour consolider l’épiderme vrai,
celui-ci se détache par plaques ou par écailles ; et c’est là ce qui consti¬
tue la desquamation.
Il est très-facile de suivre toutes les phases de ce processus. L’altéra¬
tion débute toujours par la première rangée de cellules, elle se montre
ensuite dans les couches voisines ; à la fin du processus, les cellules pro¬
fondes peuvent être normales, tandis que les moyennes sont altérées.
Lorsque les cellules malades arrivent à la couche cornée, elles sont déjà
en partie détruites, et l’on trouve en ce point, au moment où la desqua¬
mation se produit, des îlots allongés, plus ou moins étendus et formés par
des cellules dissociées sans noyaux et des débris de cellules.
Je passe sous silence les explications antérieures de la desquamation,
parce qu’elles ne reposent pas, comme la précédente, sur l’observation
directe des faits.
L’épiderme n’e.st pas seul soumis à ce processus ; il est jirobable qu’il
se produit dans tous les autres épithéliums pavimenteux stratifiés. Je
l’ai observé sur la muqueuse buccale, la langue, le larynx, au voisinage
de tumeurs irritées et sur le bord d’ulcérations.
Une autre altération nutritive des cellules épidermiques consi.ste dans
une pigmentation anormale. Elle est locale ou généralisée. La teinte
foncée que prend alors la peau (maladie bronzée, mélanodermie de la
misère, cicatrices pigmentées, nævi pigmentaires) est due à ce que les
698 EPlTHELilIM. — épithélidms pavimenteüx stratifiés.
cellules profondes du corps muqueux sont chargées de granulations pig¬
mentaires comme chez le nègre. Par contre, la couleur ardoisée que
prend la peau à la suite de l’administration prolongée du nitrate d’ar¬
gent serait due à la production
d’argent réduit dans le chorion du
derme. (Fromann.)
Une modification bien intéres¬
sante des cellules épithéliales est
celle que E. Wagner a découverte
et bien décrite dans l’angine diph-
théritique et qu’il a désignée sous
le nom de transformation fibrineuse
(fig. H9). Cette altération consiste
dans un changement de la forme et
de la composition des cellules épi¬
théliales ; elles s’infiltrent d’une
substance albuminoïde, homogène,
réfringente, qui se colore facile¬
ment par le carmin et qui a l’as¬
pect des masses vitreuses formées
dans les fibres musculaires sous
l’influence des fièvres graves. Lorsque l’infiltration est complète les
noyaux ne se voient plus. {Voy. art. Diphthérie, par Lorain et Lepine,
t. XI, p. 6Ü4.)
Cette lésion nutritive est accompagnée d’un changement dans la forme
des cellules; elles s’étendent, forment des prolongements ramifiés comme
le bo^ du cerf (Wagner), s’anastomosent les unes avec les autres, et sont
tellement enchevêtrées que, dans la masse qu’elles forment, elles ne sont
pas distinctes. C’est la raison pour laquelle on n’y avait vu d’abord qu’un
amas de fibrine.
Pour former les fausses membranes du croup, des globules de pus s’a¬
joutent à ces cellules.
Ces lésions n’ont été jusqu’ici étudiées que dans le pharynx et le larynx,
ils reste à savoir si elles se rencontrent pareillement dans les membranes
diphthéritiquos de la peau.
Des phénomènes de prolifération se montrent dans les cellules épithé¬
liales de la peau, de la bouche, de la vessie, etc., sous l’influence de
l’inflammation (Virchow, Buhl, Remak, Eberth, Neumann, Rindfleisch).
Ils consistent dans la multiplication des noyaux et dans la formation de
globules de pus à l’intérieur des cellules. Il est impossible d’observer la
division des cellules elles-mêmes. A la base des pustules, notamment de
celles de la variole, sur le bord des plaies et des ulcères, on rencontre des
cellules dont les noyaux sont en voie de division, et d’autres qui en con¬
tiennent deux ou un plus grand nombre. Dans la cystite aiguë et chro¬
nique, il y a des cellules épithéliales de la vessie qui renferment plusieurs
noyaux et même des globules de pus ; mais ces phénomènes de multipli-
ÉPITHÉLIUM. — ■ ÉPITHÉLIUMS PAVIUENTEOX STRATIFIÉS. 699
cation des cellules épithéliales semblent jouer un rôle secondaire ; jamais
ils ne sont très-étendus. Il est, en effet, fort probable que la plus grande
partie du pus contenu dans les pustules de la peau, par exemple, provient
directement des vaisseaux, car, au moment de la suppuration, l’extrémité
des papilles est dénudée, et leurs capillaires sanguins sont dilatés et
embryonnaires. J’ai pu observer ces faits d’une manière très-précise sur
des pustules de variole, après avoir fait l’injection du système vasculaire.
Les phénomènes qui précèdent et accompagnent la suppuration dans les
pustules de variole sont assez complexes; ils ont été décrits en partie par
Neumann, Auspitz, Basch et Cornil. Ces auteurs ont constaté la multipli¬
cation des noyaux des cellules épithéliales, et la formation endogène des
globules de pus; ils ont signalé, dans la pustule complètement déve¬
loppée, des travées et des filaments anastomosés, et formant un réseau
dont les mailles sont occupées par les globules de pus. La multiplication
des noyaux se montre, en effet, dans les couches profondes du corps
muqueux, et surtout dans les amas interpapillaires, pendant la période
papuleuse de l’éruption variolique. A ce moment les cellules se gonflent,
deviennent sphériques, perdent leurs dentelures, et forment, çà et là, des
globes semblables à ceux que l’on trouve dans les épithéliomes muqueux.
Lorsque la suppuration commence, ces différentes cellules se séparent
les unes des autres, et entre elles on observe alors des globules de pus.
Cette dissociation des cellules nous fait comprendre comment des globules
blancs, venus des vaisseaux, peuvent cheminer au milieu d’elles et con¬
courir à la formation du pus.
C’est au moment où se fait la dissociation des cellules épithéliales que
l’on voit apparaître les filaments décrits par les auteurs cités précédem¬
ment. Ils forment un réseau comparable à celui du tissu conjonctif réti¬
culé, et qui s’étend de la surface du chorion à la couche de l’épiderme
comprise entre la couche cornée et le corps muqueux de Malpighi. Pour
bien comprendre la signification de ce réseau, il est nécessaire de l’étudier
à son origine sur le chorion, et, à sa terminaison , dans la couche inerte
de l’épiderme. Les filaments naissent dans l’épaisseur du chorion lui-
même, car, sur une coupe très-fine d’une pustule variolique, faite après
durcissement dans l’alcool ou dans une solution d’acide chromique au trois
millièmes, on voit partir du sommet des papilles un pinceau de filaments
qui se continuent d’une manière bien évidente avec des fibrilles du corps
même de la papille.
Sur le côté des papilles et dans les culs-de-sac qu’elles laissent entre
elles, on peut observer la même continuité entre des fibrilles du chorion
et les filaments de la pustule. Ces filaments représentent donc la char¬
pente intercellulaire (Kittsubstanz) de l’épiderme. Ce fait pathologique
peut nous faire comprendre comment est établie, à l’état physiologique,
l'union de l’épiderme avec le chorion.
L’inflammation catarrhale des muqueuses recouvertes d’épithélium
pavimenteux stratifié donne lieu, comme on le sait, à une production
abondante de globules de pus; ceux-ci proviendraient surtout, comme
700 ÉPITHÉLIUM, — ÉPiTitÉLiusis payiuektedx stratifiés.
dans les pustules de la peau, du système vasculaire sous-épithélial, alors
que les cellules épithéliales ont été en partie dissociées par un travail
antérieur. Il convient de faire de nouvelles observations sur ce point, car
ce qui a été dit à ce sujet par Remak, par Buhl et par Rindfleisch,
avant la découverte de Gohnheim, n’a plus aujourd’hui une bien grande
valeur.
Lorsque la suppuration a duré longtemps sur une portion de tégument
externe, son revêtement épithélial peut disparaître d’une manière com¬
plète. Alors, suivant l’expression de Fôrster, les papilles, transformées en
bourgeons charnus, au lieu de fournir de l’épiderme, élaborent des
globules de pus.
Lorsque l’inflammation disparaît, les globules de pus font place à de
nouvelles cellules épithéliales, et les bourgeons charnus se transforment en
papilles. Dans le cas où le corps papillaire a été détruit, les papilles ne
peuvent plus se reconstituer, et la cicatrice, recouverte d’épiderme, pré¬
sente une surface complètement plane.
On discute encore aujourd’hui sur le mode de formation de la nouvelle
couche épithéliale. D’après Thiersch, l’épiderme se développant aux
dépens du feuillet externe du blastoderme, il est impossible que des
éléments nés du feuillet moyen puissent produire des cellules épider¬
miques; aussi verrait-on toujours, dans les régénérations de l’épiderme,
le nouveau feuillet prendre naissance sur les bords de la plaie, là où il
reste encore de l’épiderme ancien, pour gagner peu à peu toute la surface
suppurante. C’est en effet ainsi que se développe, le plus souvent, le nouvel
épiderme à la surface des plaies; mais, cependant, on en observe quel¬
quefois des îlots complètement isolés. En outre, quand bien même la
régénération épidermique partirait toujours de l’épiderme ancien, il ne
serait nullement prouvé que la néoformation se fait à ses dépens.
J. Arnold a fait sur les grenouilles des expériences pour étudier cette
importante question; il a cherché à suivre au microscope les phases
successives de la formation nouvelle d’épithélium cutané à la suite de
dénudations de la peau. Il dit avoir observé d’abord un exsudât amor¬
phe, puis l’apparition de noyaux dans cet exsudât, ensuite la segmentation
de l’exsudât entre les noyaux; il se demande, à la fin de son travail, si
les globules blancs migrateurs ne jouent pas un rôle dans ce phénomène,
et s’ils ne provoquent pas la segmentation de la même manière que les
spermatozoïdes amènent la segmentation du vitellus de l’œuf. Il me sem¬
ble que ces observations doivent être contrôlées avant de prendre défi¬
nitivement rang dans la science.
11 est fort probable que les cellules embryonnaires, qui pendant la
suppuration limitent la surface des plaies, se transforment en cellules
épithéliales. Ces cellules ne diffèrent pas notablement, comme on le sait,
des globules blancs du sang et des cellules migratrices du tissu conjonctif.
Déjà Burkhardt pensait qu’à l’état physiologique les cellules épithéliales
se renouvellent par les cellules de tissu coinjonctif, et Rindfleisch s’est
demandé si les cellules migratrices de la cornée ne viennent pas déboucher
sur la régénération de l’épithélium à la surface des plaies est celle de la
transformation des cellules embryonnaires, quelle que soit du reste leur
provenance. Pour que cette transformation ait lieu, plusieurs conditions
sont nécessaires. Il faut d'abord que l’inflammation ne soit pas trop
intense , autrement les bourgeons charnus continuent à élaborer des glo¬
bules purulents ; de plus , les cellules embryonnaires, sauf dans le cas
d’épithéliome, ne formeront du tissu épithélial que dans les points où une
place lui est indiquée dans l’organisme ; enfin, le tissu épithélial ancien
qui borde une plaie a certainement une très-grande influence sur le
développement de l’épithélium cicatriciel. Dans ces derniers temps,
Reverdin a montré, par une expérience nouvelle, l’importance de cette
dernière condition. Il a vu des lambeaux d’épiderme, enlevés avec une
lancette et placés au centre d’une plaie en suppuration, se souder aux
bourgeons charnus et déterminer la formation d’un îlot épithélial indé¬
pendant. L’auteur a pu, par la transplantation de l’épiderme, hâter la
cicatrisation des plaies et rendre ainsi aux malades un véritable service.
Voici comment se fait l’opération :
702
ÉPITHÉLIUM. - ÉPITHÉLIUMS PAVIMENTEÜX STRATIFIÉS.
« On détache avec une lancette un petit lambeau d’épiderme, en com¬
prenant dans son épaisseur la couche vraiment vivante , c’est-à-dire le
réseau de Malpighi. Gela ne peut se faire, on le comprend, sans couper
quelques papilles ; le lambeau
détaché est appliqué sur une
plaie en 'pleine granulation et
aussi nette que possible. On
voit alors, si l’expérience réus¬
sit, le lambeau adhérer, puis
rester stationnaire pendant quel¬
ques jours, et se desquamer plus
ou moins complètement; puis,
sur les bords de la greffe, on
aperçoit un liséré rouge, ana¬
logue à celui qui se forme sur
les bords d’une plaie en voie de
cicatrisation. Le lendemain, ce
liséré rouge est transformé en
épiderme blanc, et, dès lors,
l’îlot cicatriciel s’étend, toujours
précédé de son liséré rouge.
Quelquefois la greffe se des¬
quame complètement et dispa¬
raît, mais quelques jours après
on aperçoit à sa place une tache
rouge qui, bientôt, se trans¬
forme en un petit îlot d’épi¬
derme, et les choses se passent
alors comme cela vient d’être
dit. »
On donne le nom d’épithé-
liome pavimenteux , cancer épi-
Fig. 1‘21. — Bourgeon d’épi Ihéliome pavimenteux, thélial, CflWCroït/e, à des tumeurs
tabulé développé dans un espace interpapillaire, constituées par des masses d’é-
pithelium paYimenteux stratifié ,
disposés dans un stroma vasculaire de tissu conjonctif ou de tissu em¬
bryonnaire.
Ces épithéliomes se divisent eux-mêmes en trois espèces ;
A. Les épithéliomes lobules, dans lesquels les masses épithéliales
forment des lobules irréguliers. Les cellules qui constituent ces lo¬
bules subissent l’évolution épidermique : à la périphérie elles sont
petites et cylindriques; dans les couches moyennes elles sont polyé¬
driques et dentelées; dans les centrales elles deviennent cornées, épi-
théliome pavimenteux corné, ou colloïdes, épithéliome pavimenteux
colloïde.
B. Les épithéliomes pavimenteux perlés, caractérisés par une transfor-
ÉPITHÉLIUM. — ÉPITHÉLIUMS PAVIMENIEÜS STRATIFIÉS. 703
mation cornée si avancée, que le centre de chaque lobule est occupé par
une véritable perle épidermique, colestéatome de J. Muller.
G. Les épithéliomes tubulés, dans lesquels le tissu conjonctif qui forme
le stroma de la tumeur est sillonné par des cavités en forme de tubes
remplis de cellules pavimenteuses, petites, dentelées, et ne subissant pas
révolution épidermique.
— Épithélium pavimenteux tubulé. — A, Coupe de la tumeur. — a. Cylindres épithé¬
liaux. — b, Stroma. — B, Cellules épithéliales isolées présentant des dentelures.
je ne revienarai pas sur ta description à l’œil nu et sur les considéra¬
tions cliniques qui ont été données dans les articles Cancer et Cancroïde.
J’exposerai simplement ici quelques points de leur structure et de leur
développement qui me paraissent avoir une certaine importance pour la
pratique.
Les épithéliomes tubulés se développent primitivement dans la peau,
dans la muqueuse buccale et dans celle du -sinus maxillaire. Ils peuvent
se propager aux ganglions lymphatiques ; mais cette propagation secon¬
daire est très-rare. Ils se développent aux dépens de l’épithélium glan¬
dulaire ou interpapillaire, sous forme de bourgeons pleins qui croissent
dans toutes les directions, s’entre-croisent et s’anastomosent (Cornil,
Demonchy et moi). Kœster a soutenu dernièrement que ces épithéliomes
se développent dans les vaisseaux lymphatiques et aux dépens de leurs
endothéliums ; il incline même à croire que tous les épithéliomes se for¬
ment ainsi.
Je ne veux pas nier d’une manière absolue la formation de masses épi¬
théliales pavimenteuses dans les vaisseaux lymphatiques, mais je ne l’ai
jamais observée bien nettement, et presque toujours j’ai pu suivre un
704 ÉPITHÉLIUM. — épithélioms a cils vibratiles.
autre mode de développement: des bourgeons bien limités croissant au
milieu d’un tissu embryonnaire de nouvelle formation. Ce sont les cellules
embryonnaires du stroma de ces tumeurs en voie de développement qui
forment les cellules épithéliales nouvelles au contact des bourgeons, de la
même manière que les cellules épidermiques se développent sur une plaie
au voisinage de l’épiderme ancien. Rindfleisch, dans son manuel d’ana¬
tomie pathologique, avait déjà insisté sur ce mode de développement des
épithéliomes en général, et c’est là, ce me semble, une manière très-exacte
de comprendre ce phénomène.
Les épithéliomes lobulés se développent de la même façon que les épi¬
théliomes tubulés, ou bien ils se forment d’emblée avec tous leurs carac¬
tères aux dépens des glandes de la peau, des espaces interpapillaires de
la peau ou des muqueuses recouvertes d’épithélium pavimenteux stra¬
tifié. Ils ne tirent pas leurs caractères histologiques et cliniques de leur
lieu d’origine, mais de leur évolution. Leur marche est en rapport bien
plus avec la nature de leur stroma qu’avec la constitution des lobules épi¬
théliaux. Si le stroma de la tumeur est formé de tissu embryonnaire ou
s’il est très-riche en cellules, l’évolution de la masse morbide sera rapide;
elle aura de la tendance à s’ulcérer, à envahir les tissus voisins, à se gé¬
néraliser ; elle présentera en un mot les caractères de la malignité. Si, au
contraire, le stroma est fibreux, dense, pauvre en cellules, la marche de
la tumeur sera lente; elle présentera donc une bénignité relative.
Les épithéliomes tubulés qui ne se transforment pas par places en épi¬
théliomes lobulés, ont en général un stroma fibreux; ils ont alors une
évolution lente. Mais si leur stroma est embryonnaire, ainsi qu’on l’ob¬
serve souvent dans les cavités de la face, la tumeur est alors très-maligne.
Les épithéliomes perlés ont toujours un stroma fibreux peu vasculaire ; ’
parfois il contient des groupes de cellules adipeuses. Ces tumeurs restent
indéfiniment stationnaires ; elles ne récidivent jamais après l’extirpation
complète.
J’ai cité ces faits avec l’intention de bien montrer que la gravité d’une
tumeur ne tient pas à la présence de telle ou telle cellule, comme beau¬
coup de médecins le croient encore en France, mais à un ensemble histo¬
logique qui met sur la trace de l’évolution du produit pathologique. C’est
cette évolution, en particulier dans les épithéliomes, qui mettra l’anatomo¬
pathologiste sur la voie du pronostic d’une tumeur enlevée par le chirur-
gien.
La formation de l’épithélium pavimenteux stratifié dans les papillomes,
les kystes sébacés et dermoides sera étudiée dans les articles qui seront
consacrés à ces produits pathologiques.
Les parasites cutanés qui croissent et se multiplient dans la portion
cornée de l’épiderme et des lésions qu’ils déterminent dans les couches
sous-jacentes seront étudiés dans l’article Peau.
ni. Épithéliums à cils vibratiles. — On observe les épi¬
théliums à cils vibratiles sur la muqueuse du larynx, sauf les cor¬
des vocales inférieures, sur la muqueuse de la trachée et des bronches,
ÉPITHÉLIUM. — ÉPiTiiÉLiuas a cils vibratii.es. 705
jusqu’aux vésicules pulmonaires ; dans les fosses nasales, à l’exception de
la portion olfactive; dans le canal lacrymal, la trompe d’Eustache, la caisse
du tympan; sur la muqueuse des trompes utérines et de l’utérus, jus¬
qu’au quart inférieur du col utérin ; dans les canaux déférents, l’épidi-
dyme et les cônes séminifères. Chez l’embryon et le nouveau-né, les ven¬
tricules cérébraux et le canal central de la moelle sont également tapis¬
sés d’un épithélium à cils vibratiles qui, après la naissance, est rem¬
placé par un épithélium cylindrique simple.
L’épithélium vibratile est formé par une seule couche de cellules ou
bien il est stratifié.
Un même revête¬
ment peut être con¬
stitué par plusieurs
couches de cellules
dans une de ses por¬
tions et par une seule
dans les autres ; on
trouve, par exemple,
sur le larynx, la tra¬
chée et les grosses
bronches, un épithé¬
lium vibratile stra-
tifié(fig. 123), tan- ^^25. — Ép
dis que dans les sissement de 550 diamètres.) — a, Portion extérieure des fibres
atUe de la trachée de l’homme. (Gros-
élastiques longitudinales. — h, Couche homogène la plus exté¬
rieure de la muqueuse. — c. Cellules d’épithélium les plus
profondes, arrondies. — d, Cellules moyennes allongées. — e, Les
plus superficielles pourvues de cils vibratiles. (Kœllikeb, Bisfo-
logie, fig. 16.)
petites bronches le
revêtement épithé¬
lial est formé d’une
simple couche de
cellules vibratiles.
Lorsque l’épithélium est simple, toutes les cellules sont munies de cils;
dans le cas contraire, les cellules de la surface sont les seules qui en
soient pourvues.
Les cellules vibratiles isolées sont cylindro-coniques ou globuleuses ;
examinées en place, elles sont prismatiques par pression réciproque.
Elles présentent sur leur face libre un épaississement ou plateau sur le¬
quel les cils paraissent implantés. Leurs noyaux ronds ou ovales ne diffè¬
rent pas des noyaux des autres épithéliums. Chez les mollusques, Eberth et
Marchi ont observé des cellules vibratiles dont les cils traversent le plateau
et vont se perdre dans le protoplasma de la cellule au voisinage du noyau.
Dans les inflammations catarrhales des bronches et de la muqueuse
nasale, les cellules vibratiles se gonflent, leurs noyaux se multiplient, le
plateau de la cellule se dissout, et alors les cils paraissent être une simple
expansion du protoplasma de la cellule. Il est donc probable que les cils
vibratiles tiennent leur propriété motrice du protoplasma de la cellule sur
laquelle ils reposent.
Je n’insisterai pas sur les différentes formes du mouvement des cils
NODV. niCT. MÉB. ET CHIE. XUI. - 'f5
706 ÉPITHÉLIUM. — épithéliums a cils vibeatiles.
vibratiles. Il importe de savoir surtout que, dans leur mouvement com¬
biné, ils impriment au liquide qui baigne leur surface une direction fixe.
Dans l’état actuel de la science, il est impossible de donner de ce fait une
explication satisfaisante.
Le mouvement des cils continuera sur des cellules complètement iso¬
lées ; et si elles sont placées dans des conditions convenables de tempé¬
rature et de milieu, les cils peuvent conserver leur mouvement pendant
plusieurs jours. Les cellules vibratiles des animaux à sang chaud conti¬
nuent encore de se mouvoir pendant quelques minutes, alors que leur
température s’est abaissée au-dessous du degré nécessaire à la vie de ces
animaux, 12 ou 15 degrés centigrades, par exemples. Les cellules vibra¬
tiles des animaux à sang froid se meuvent pendant plusieurs heures dans
un milieu porté à la température de 36 à 38 degrés. Ces faits établissent
que l’individualité physiologique des cellules à cils vibratiles est très-
grande. Voici encore up résultat très-intéressant : quand on examine au
microscope des cellules à cils vibratiles de l’œsophage de la grenouille,
dans une solution neutre de carmin, on observe que les cellules eu mou¬
vement ne se laissent pas pénétrer par la matière colorante ; mais aussi¬
tôt que le mouvement des cils s’est arrêté, le carmin dissous pénètre
dans la cellule et en colore le noyau. Enfin, si l’on porte des cellules vir
bratiles à la température de 40 degrés, leurs cils cessent de se mouvoir.
L’arrêt des cils dans ce cas est lié à la coagulation du protoplasma qui
s’effectue précisément à cette température.
L’oxygène active les mouvements des cils ; l’hydrogène et l’acide car¬
bonique les font cesser ; mais l’oxygène fait apparaître de nouveau les
mouvements. (Kûhne.)
Il est bien évident que l’activité motrice des cellules à cils vibratiles
est indépendante des vaisseaux et des nerfs, puisque les cils se meuvent
sur des cellules complètement isolées. Aussi voit-on les mouvements vi¬
bratiles continuer après la mort chez les animaux à sang chaud, jusqu’au
refroidissement complet du cadavre, et durer plusieurs jours chez les ani¬
maux à sang froid, alors que toutes les autres fonctions ont cessé.
Le rôle physiologique des cellules à cils vibratiles est double. Comme
les autres cellules épithéliales, elles protègent les organes qu’elles recou¬
vrent; déplus, à l’aide du mouvement de leurs cils, elles font cheminer
les liquides de manière à les étendre ou à leur imprimer une certaine di¬
rection. Dans les conduits respiratoires, où le passage continuel de l’air
tend à dessécher la muqueuse, les cils doivent, par leur mouvement, agi¬
ter la couche de liquide et maintenir régulière l’humidité de la surface.
On suppose aussi qu’ils déterminent dans les bronches un mouvement de
bas en haut, dont le résultat serait le rejet de poussières ou de petits
corps étrangers introduits accidentellement dans les voies aériennes.
On admet aussi que l’épithélium vibratile des trompes sert à la migra¬
tion de l’ovule depuis l’ovaire jusque dans la cavité utérine.
Les muqueuses tapissées d’épithélium vibratile sont exposées aux in¬
flammations catarrhales d’une manière toute particulière ; mais cette pré-
ÉPITHÉLIUM. — ÉPiTHÉLiuas cvundriquès. 707
disposition n’est pas due à l’existence de ce genre d’épithélium ; elle
tient surtout à ce que ces muqueuses sont soumises à des causes exté¬
rieures d’excitation. Dans le coryza et la bronchite, les cellules vibratiles
subissent des modifications
importantes (fig. 124). ^ /m ^ iSk ^
1^11 B I © O
nuleux et réfringent, leurs @ ^ g
irs'i i » i*
elles -mêmes en deux ou
trois portions, dont une M j|»
seule porte alors des cils; ^ (M
l’implantation des cils est ^
modifiée comme il a été pis. 124. — Modification des cellules vibratiles dans les in¬
dit plus haut. Lorsqu’ el- flammations catarrhales. (Risdfieisch, Histologie.)
les ont été ainsi altérées,
ces cellules se détachent du revêtement épithelial, se mélangent au mu¬
cus et sont rejetées avec lui. On les retrouve dans les crachats ou dans
le muco-pus du coryza. Elles s’y montrent en grande abondance au dé¬
but de l’affection, sous des formes qui diffèrent notablement de leur con¬
figuration physiologique. Elles sont devenues irrégulières et ont des
dimensions fort inégales ; quelques-unes sont globuleuses et ressemblent
à des globules de pus couverts de cils. Les cils ont conservé des mou¬
vements, mais ils sont faibles, quelques-uns d’entre eux ont été rompus.
On observe même des cellules qui ne portent plus qu’un ou deux cils.
Lorsque les cellules vibratiles ont été expulsées sous l’influence du ca¬
tarrhe, il s’en reforme d’autres, mais on ne sait pas encore comment se
fait cette régénération.
Un épithélium à cils vibratiles se rencontre parfois à la surface in¬
terne des kystes. (Fœrster.) Dumoulin a décrit des kystes de cette espèce
développés dans la région antérieure du cou. J’en ai observé moi-même
trois cas remarquables ; l’un était un kyste prolifère de la cavité abdo¬
minale opéré par Maisonneuve ; les deux autres des kystes multiples
dans d’énormes tumeurs périnéales développées chez des fœtus, et qui
avaient rendu l’accouchement difficile.
lY, Épithéliums cylindriques. — On désigne sous ce nom tous
les revêtements épithéliaux formés par une seule rangée de cellules molles,
allongées et implantées perpendiculairement à la surface qu elles recou¬
vrent.
La plupart des conduits excréteurs des glandes et quelques utricules
glandulaires sont tapissés par un épithélium cylindrique qui sera décrit
à propos des glandes. {Voy. art. Glandes.)
La muqueuse des voies digestives depuis le cardia jusqu’à l’anus est re¬
couverte de cellules cylindriques. Vues de profil et isolées, les cellules
ont la forme d’un cylindre dont l’une des extrémités serait étirée en
708 ÉPITHÉLIUM. — épithélidhs cyukdriqües.
pointe; aussi leur donne-t-on souvent le nom de cylindro-coniques. Lors¬
qu’elles se présentent par leur face libre et unies les unes aux autres
comme dans un lambeau, elles paraissent polygonales, et l’on croirait
avoir sous les yeux un épithélium pavimenteux à petites cellules. Il ré¬
sulte de cette dernière observation combinée avec la première, que les
cellules dites cylindriques ont en réalité la forme d’une pyramide régu¬
lière à six ou huit pans.
Nous étudierons d’abord l’épithélium de l’intestin grêle, parce qu’il
renferme tous les genres de cellules que l’on peut observer sur la mu¬
queuse gastro-intestinale. La description de l’épithélium de l’estomac et
du gros intestin en sera rendue plus facile.
Il y a dans le revêtement épithélial de l’intestin grêle trois espèces de
cellules : des cellules cylindro-coniques, des cellules caliciformes, et des
cellules rondes et petites.
Les cellules cylindro-coniques sont granuleuses ; elles possèdent un
noyau ovale dont le grand diamètre est dans l’axe delà cellule; elles
ont une membrane distincte de leur contenu ; leur base ou face libre est
épaissie et forme un plateau ; leur extrémité pointue pénètre dans le
chorion de la muqueuse ou des villosités, et les fixe d’une manière so¬
lide.
Le plateau a une structure complexe qui est encore aujourd’hui le su¬
jet de discussions. Il est parcouru dans le sens de son épaisseur par des
stries fines, considérées comme des canaux (Kœlliker), comrtie des li¬
gnes de séparation entre des prismes ou des bâtonnets (Brettauer et Stei-
nach). Mais ce n’est pas là une découverte de ces derniers auteurs, ainsi
que Kœlliker le fait judicieusement remarquer. Il y a déjà bien long¬
temps, Gruby et Delafond observèrent les premiers cette disposition, et
pensèrent que ces prismes sont des cils vibratiles. Il est bien certain que
ces prétendus cils vibratiles ne sont pas doués de mouvement ; l’inter¬
prétation de Gruby et Delafond n’était pas exacte, mais il leur reste le mé¬
rite d’avoir reconnu un fait anatomique réel. La décomposition du pla¬
teau des cellules cylindriques de l’intestin en prismes ou en cils non
vibratiles s’obtient par l’action de l’eau. Lorsque les cellules sont exami¬
nées dans le sérum iodé, le liquide oculaire de Müller et une série d’au¬
tres liquides neutres, on n’observe pas la décomposition du plateau, et
celui-ci apparaît simplement strié. Après l’action de l’eau, on remarque
au-dessous des bâtonnets dissociés une couche mince et amorphe qui se
continue avec la membrane de la cellule. Celle-ci est démontrée dans la
même observation, parce que bientôt l’eau pénètre par diffusion dans
l’intérieur de la cellule, s’y accumule, refoule les granulations du proto¬
plasma et le noyau, et rend ainsi appréciable le contour interne de la
membrane qui échappait à la vue avant cette réaction.
Les cellules caliciformes ont été entrevues par Gruby et Delafond, qui
les désignèrent sous le nom i’ epithelium capitatum. L’attention a été de
nouveau attirée sur les mêmes éléments en 1866 par Letzerich, qui les
considéra, non pas comme des cellules, mais comme des canaux ou des
vacuoles placés entre les cellules épithéliales, et destinés à la résorption
du chyme. Le travail de Letzerich fut suivi d’une série de recherches
(F. E. Schultze, Eimer, Erdmann,
Dœnitz, Arnstein), qui permettent de ^
donner aujourd’hui une description ^
complète des cellules caliciformes / V
(fig.l2D). _ . J
Quand on examine à un grossisse- /l v 'uv-'"' ..
ment de 200 à 600 diamètres et dans ¥•
du mucus intestinal, les villosités ' , T
d’un mammifère qui vient d’être sa- '
crifié, on y observe, au milieu des ^oo .
cellules épithéliales cylindriques, des ^
vésicules sphériques et transparentes. Fig. 125.— l, Revêtement épithélial d’une vil-
Eps vpsipiilps <;nnt rUstrihiiépa d’iinp l’mtestm grêle du chat : a, ouver¬
tes vésicules sont distrinuees d une caliciformes ; b, contour des
manière régulière dans le revêtement cellules; c, surface libre des cellules cyiin-
épithélial. -Lorsqu’elles se présen- driques ordinaires. — 2, Cellule caliciforme
.‘'.le * j-t- isolée : a, ouverture; c, noyau; », prolon-
tent de iace , on y distingue deux gement. > > j > i > r
cercles concentriques; l’interne est
petit, superficiel et correspond à un orifice ; l’externe plus profond re¬
présente le contour de la vésicule. Sur le bord de la villosité, les vési¬
cules se montrent de profil et présentent alors la forme d’un vase étrusque
élégant ou d’une coupe, d’où le nom allemand de Becherzellen (F. E,
Schultze), ou de cellules caliciformes. On reconnaît aussi que les cellules
caliciformes sont placées à côté des cellules cylindriques à plateau et sur
le même rang. Cette première observation faite sans addition d’aucun
réactif est nécessaire pour démontrer que ces éléments ont une existence
réelle, et ne sont pas un produit de la préparation comme Dœnitz l’a
soutenu.
Les cellules caliciformes peuvent être isolées. On y parvient de bien
des façons; mais la meilleure méthode consiste dans une macération de
quelques instants dans le sérum iodé, une solution de bichromate de potasse
à deux millièmes, ou le picrocarminate d’ammoniaque parfaitement neu¬
tre. Je préfère ce dernier réactif parce qu’il a la propriété de colorer le
protoplasma des cellules en jaune et leurs noyaux en rouge. Les cellules
isolées et colorées présentent plusieurs particularités qui nous échappent
quand elles sont encore fixées dans l’épithélium. Leur orifice possède
un bord très-mince, quelquefois légèrement sinueux; leur corps est
clair, transparent et non granuleux ; il est limité par une membrane avec
son double contour caractéristique ; vers leur fond, c’est-à-dire vers l’extré¬
mité opposée à l’orifice, il existe un noyau aplati, placé en long ou en tra¬
vers et noyé dans une petite masse de protoplasma granuleux ; ce proto¬
plasma donne naissance à un prolongement conique qui se dégage du
corps de la cellule.
Au-dessous des cellules cylindriques de l’intestin, et entre leurs pro¬
longements coniques, on rencontre des cellules sphériques, petites (Rind-
710 ÉPITHÉLIUM. — épithéliums cïlindbiqubs.
fleisch) semblables aux cellules embryonnaires, et disposées par groupes
(Ebertb), qui probablement sont placées là en réserve pour remplacer les
cellules épithéliales proprement dites, lorsqu’elles sont parvenues au
terme de leur évolution.
Les diverses cellules épithéliales de l’intestin sont unies par une sub¬
stance cimentante aiialogue à celle des autres épithéliums. Cette substance
est molle et se liquéfie assez rapidement après la mort. Les cellules de¬
viennent indépendantes et se détachent de la muqueuse; aussi est-il im¬
possible d’étudier le revêtement épithélial de l’homme dans les condi¬
tions où l’on pratique d’habitude les autopsies.
Chez les animaux, si on laisse la face interne de la muqueuse exposée
à l’air pendant quelques minutes, l’adhésion des cellules épithéliales est
déjà moins grande, et, avec un scalpel, on peut en enlever sans difficulté
des lambeaux plus ou moins étendus, pour les soumettre à l’examen mi¬
croscopique. Mais pour étudier le revêtement épithélial dans ses rapports,
il faut faire durcir des fragments de l’intestin dans l’alcool à 40°, dans
le liquide de Millier ou dans l’acide osmique en solution à un centième, puis
y pratiquer des coupes minces. C’est sur de semblables préparations que
l’on pourra bien apprécier le rapport des diverses cellules et les prolon¬
gements trè.s-fins que les cellules cylindriques envoient dans le chorion
des villosités..
Les diverses cellules épithéliales de l’intestin grêle n’ont pas le même
rôle physiologique.
Les cylindriques concourent activement à l’absorption du chyle. Au
moment de la digestion intestinale, elles sont remplies de fines granula¬
tions graisseuses. Ce phénomène avait déjà été remarqué, en 1843, par
.Goodsir ; il a été constaté depuis par un grand nombre d’histologistes,
mais tous ne sont pas d’accord sur le mode de pénétration des matières
grasses dans l’intérieur des cellules. Goodsir croyait que ces cellules
étaient largement ouvertes par leur base. Brücke pensait que le plateau
des cellules cylindriques était formé par une matière molle et pénétrable.
Kœlliker soutient que les granulations s’engagent' dans des canaux fins
représentés par les stries du plateau. On a vu plus haut que ces canaux
n’existent pas ; mais il y a là bien réellement des lacunes comprises
entre les bâtonnets et dans lesquelles les granulations peuvent s’engager.
Lorsqu’elles sont arrivées à la base des bâtonnets, les granulations ont
encore à traverser une membrane de cellule. On ne sait si cette mem¬
brane est continue ou si elle possède des trous. Dans tous les cas, elle
laisse passer les granulations, mais seulement les granulations graisseuses,
ainsi qu’il ressort des expériences d’Eimer. Cet auteur ayant fait ingérer
à des grenouilles du carmin en granulations très-fines et des matières
grasses, observa que la graisse pénètre seule dans les cellules cylindriques;
les granulations de carmin se fixent parfois dans le plateau de ces cellules,
mais elles ne vont pas au delà. Il conviendrait de faire la même expérience
chez les mammifères ; il est fort probable qu’elle donnerait les mêmes
résultats,
ÉPITHÉLIUM. — ÉPITHÉLIUMS CYLINDRIQUES. 711
On ne sait pas quelle est la force qui fait pénétrer les granulations grais¬
seuses du chyme dans les cellules épithéliales ; à ce sujet, il n’existe guère
dans la science que des hypothèses. (Voy. l’art. Absorption.) Les granulations
du chyle s’engagent ensuite dans le prolongement conique de la cellule et
arrivent ainsi dans le stroma de la villosité ; là, d’après Heidenhain, elles
pénétreraient dans les cellules du tissu conjonctif , chemineraient dans
les canaux plasmatiques pour venir se rendre dans le chylifère central.
Eimer croit avoir observé les mêmes phénomènes. Mais cette manière de
voir repose sur une erreur anatomique , l’existence d’un réseau plasma¬
tique. J’ai cherché à me rendre compte, par l’observation directe, des
faits indiqués par Heidenhain et je suis arrivé à me convaincre qu’en
effet la graisse du chyle passe des cellules épithéliales dans le tissu con¬
jonctif de la villosité; mais ce n’est pas dans des canaux des cellules plas¬
matiques qu’elle chemine pour arriver dans le chylifère central. Il n’y a
de cellules creuses anastomosées pas plus dans le chorion de la muqueuse
intestinale que dans le tissu cellulaire sous-cutané ou dans le tissu con¬
jonctif interstitiel des organes. On y trouve simplement des faisceaux de
tissu conjonctif entre lesquels sont placées des cellules plates semblables
à celles des endothéliums. C’est dans les espaces compris entre les fais¬
ceaux recouverts des cellules plates que l’on trouve des granulations grais¬
seuses au moment de la digestion intestinale.
Ces espaces sont en communication avec le chylifère centrai, de même
que les espaces du tissu cellulaire sous-cutané et les cavités séreuses
communiquent avec les lymphatiques. Rien n’est donc plus facile que de
comprendre la pénétration des granulations graisseuses du chyle du tissu
conjonctif dans le chylifère de la villosité, puisque celui-ci est une simple
cavité creusée dans le tissu conjonctif et tapissée de cellules plates comme
les autres espaces de ce tissu. Cette manière nouvelle de comprendre lé
chylifère central fait cesser le désaccord qui existait entre Brücke et
Reckiinghausen; le premier, admettant que ce chylifère est une cavité
sans paroi propre ; le second, soutenant l’individualité du chylifère cen¬
tral, parce que, à l’aide de l’imprégnation d’argent, il y avait découvert
une couche de cellules endothéliales.
Les cellules caliciformes semblent avoir des fonctions pliysiologiques
bien différentes des cylindriques à plateau strié. Letzerich croyait qu’elles
représentent simplement des ouvertures pour le passage direct du chyle.
On a vu que ce ne sont point des canaux, mais des cellules spéciales, et
que, si elles présentent un orifice à la surface de la muqueuse, leur fond
est occupé par une masse de protoplasma et un noyau. De plus , ces cel¬
lules ne sont pas vides; elles contiennent une masse muqueuse qui, douée
d’une grande puissance colloïde, s’imbibe de liquide et s’échappe peu à
peu par l’orifice. De telle sorte que, loin d’être des organes d’absorption,
ce sont au contraire des organes de sécrétion. Aussi, lorsque dans la di¬
gestion intestinale les cellules cylindriques sont remplies des granula¬
tions du chyle, les cellules caliciformes sont restées parfaitement trans¬
parentes. Ces dernières cellules sont comparables aux cellules de sécré-
712 ÉPITHÉLIUM. — épithélidms cylisdriqdes.
tion_ des glandes muqueuses (glandes sous-maxillaires, sublinguales,
buccales, laryngiennes, trachéales, etc.). Ce sont des cellules mu¬
queuses , des glandes muqueuses unicellulaires. A ce sujet, je suis
complètement de l’opinion de F. E. Schultze qui en a fait aussi une
étude spéciale.
Les cellules caliciformes ont donc pour fonction de sécréter le mucus
qui enduit la surface de la muqueuse intestinale, la protège et facilite le
transport des matières contenues dans l’intestin.
Les cellules épithéliales de la muqueuse stomacale sont plus petites que
celles de l’intestin grêle ; elles recouvrent les papilles ou villosités coni¬
ques peu saillantes , comprises entre les glandes. Elles ont toutes la
structure des cellules caliciformes de l’intestin grêle (F. E. Schultze), elles
sont largement ouvertes par leur base, leur corps est clair, leur extré¬
mité est occupée par le noyau entouré de protoplasma, elles laissent aussi
échapper du mucus. F. E. Schultze suppose qu’elles peuvent servir à
l’absorption par la muqueuse de l’estomac. Mais il est certain qu’ elles
forment le mucus, si nécessaire dans l’estomac, pour protéger la mu¬
queuse contre l’action digestive du suc gastrique.
Dans le gros intestin on rencontre les différentes cellules de ‘la mu¬
queuse de l’intestin grêle. Les cellules cylindriques seules y sont modifiées.
Elles n’ont pas de plateau strié sur leur face libre, mais simplement un
bord mince, hyalin, régulier, clair et réfringent. Les cellules calicifor¬
mes y sont aussi nombreuses que dans l’intestin grêle, leur rôle physio¬
logique y est le même.
Les lésions des cellules épithéliales du tube digestif ne sont pas connues.
Sur le cadavre, vingt-quatre heures après la mort, ces cellules sont en
partie détruites. On trouve à la surface de l’estomac et de l’intestin une
couche pulpeuse et muqueuse, dans laquelle il y a des noyaux, des dé¬
bris de cellule, des particules alimentaires, des granulations graisseuses ,
des bactéridies, etc. On y observe aussi quelques cellules gonflées qui ne
sont pas encore complètement détruites. On comprend que, dans ces con¬
ditions, il soit impossible d’étudier chez l’homme les modifications patho¬
logiques des cellules épithéliales des voies digestives. L’expérimentation
sur les animaux pourrait seule combler une partie de cette lacune, en
particulier pour les lésions de nature irritative ; mais je ne sache pas
qu’une pareille étude ait encore été faite.
On sait seulement que, dans la diarrhée prolongée et dans le choléra
surtout, il se fait une abondante desquamation épithéliale. (Pacini.) Ce
dernier auteur a observé que les cellules rendues avec les garde-robes
sont infiltrées de fines granulations. Il considère ces granulations comme
une sorte de ferment cholérique, et ce seraient elles qui détermineraient
la chute de l’épithélium. L’intestin alors desquamé laisserait transsuder
la portion séreuse du sang pour former les selles cholériques. Mais ce
sont là des hypothèses sans preuves, car les cellules épithéliales de l’in¬
testin sont toujours granuleuses, et elles pourraient l’être plus que
d’habitude sans que les granulations fussent un ferment. Il aurait fallu.
LIOOBAPHIE.
713
ÉPITHÉLIUM. — BIBI
pour donner du poids à cette théorie, trouver à ces granulations des ca¬
ractères qui eussent démontré leur nature, et l’auteur ne l’a pas fait.
Parmi les tumeurs malignes, V épithéliome à cellules cylindriques est
certainement une des plus communes et des plus graves. Il se développe
sur les muqueuses à épithélium cylindrique ou dans les conduits glandu¬
laires tapissés d’un épithélium semblable, les voies biliaires par exemple.
De là, il s’étend dans les organes voisins, souvent il envahit des organes
éloignés et se généralise. Les épithéliomes cylindriques, formés primiti¬
vement dans les parois de l’estomac ou du canal cholédoque, déterminent
très-fréquemment le développement de masses semblables dans le foie ;
ces tumeurs secondaires y trouvent un terrain favorable et y acquièrent
bientôt un volume plus considérable que celui de la tumeur primitive.
Ces tumeurs ont été décrites pour la première fois par Bidder ; elles ont
été depuis étudiées par tous les anatomo-pathologistes. Elles sont carac¬
térisées au point de vue histologique par des cavités arrondies ou allon¬
gées en forme de tube, creusées dans un stroma de tissu conjonctif plus
ou moins riche en cellules embryonnaires et tapissées par une couche
d’épithélium cylindrique. Les cellules de cet épithélium sont soudées
les unes aux autres, elles présentent à leur face libre un épaississement
semblable à celui des cellules du gros intestin, souvent elles subissent
la transformation muqueuse ou colloïde et ressemblent alors aux cel¬
lules caliciformes. Elles laissent parfois au centre de la cavité un espace
rempli de mucus et de débris de cellules.
Lorsque la tumeur est enlevée à l’autopsie, les cellules épithéliales sont
souvent détachées, gonflées par diffusion et sont libres ou unies sous
forme de lambeau. Il est alors difficile de faire le diagnostic histologique
de cette tumeur, que l’on pourra confondre avec le carcinome vrai ou col¬
loïde. '(Foî/. l’art. Cancer, t. VI, p. 161 et 215.)
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L. Ranvier. .
ÉPONîGrE. — Histoire naturelle. — Les éponges sont des animaux
ou plutôt une réunion d’animaux de forme souvent mai définie et de
grosseur très-variée, marines pour le plus grand nombre d’espèces, bien
qu’il y en ait quelques-unes des eaux douces {spongilla) . Au point de vue
morphologique, les éponges se composent : 1“ d’une matière parenchy¬
mateuse tantôt complètement amorphe, tantôt présentant de véritables
cellules; 2“ d’une sorte de squelette composé soit de fibres cornées d’un
tissu spécial appelé Mratode par Bowerbank, soit de particules dures,
siliceuses ou calcaires, de formes très-régulières pour chaque espèce et
souvent très-élégantes auxquelles on donne le nom de spiculés ou plus
exactement de sclérites (fig. 126).
La matière parenchymateuse de nature sarcodique est la portion réel¬
lement vivante, elle se présente sous la forme d’une substance hyaline
transparente, parsemée irrégulièrement de granulations et même de vé¬
ritables noyaux autour desquels, à certains moments, le sarcode est
susceptible de se condenser de manière à former une cellule complète.
Le sarcode revêt toutes les parties de la charpente solide et en double
715
ÉPONGE. - HISTOIRE NATORELLE.
toutes les cavités ; on reconnaît qu’il est susceptible de mouvements de
glissement à la surface de ce squelette et aussi de fermer ou d’ouvrir
plus ou moins les ouvertures dont la surface de l’éponge est criblée. La
paroi interne des cavités présente des cils vibratiles, qui produisent des
courants traversant la masse dans un sens
déterminé.
Quelle que soit la forme et la nature de
l’éponge, on remarque à sa surface des ou¬
vertures de deux sortes faciles à constater
sur les éponges réduites à leur squelette fi¬
breux, c’est-à-dire dans l’état où on les trouve
dans le commerce. Les unes petites (pores)
couvrent toute la surface, sauf le point
d’adhérence qui maintient l’animal aux corps
sous-marins, les autres notablement plus grandes (oscwfes) disséminées çà et
là en nombre beaucoup moindre que les précédentes et surtout abondantes
sur le côté opposé au point d’adhérence, dans les éponges fines, craté-
riformes, elles sont bien reconnaissables dans la partie concave. Les
pores sont l’origine de canaux qui traversent la masse en tous sens et
se réunissent finalement en tubes d’un diamètre plus considérable pour
aboutir aux oscules. L’action des cils vibratiles signalés plus haut pro¬
duit un courant d’une intensité variable suivant les moments, lequel pé¬
nètre par les pores, d’où le nom A’ ouvertures afférentes qui leur a été
souvent donné et sort par les oscules, ouvertures efférentes. C’est au
Fig. 127 . — Éponge vulga
716
ÉPONGE. - HISTOIRE NATDRELLE,
moyen de ces courants que les matières nutritives, alimentaires et respi¬
ratoires pénètrent dans les éponges et que les produits inutiles sont re¬
jetés à l’extérieur. Suivant les observations de Bowerbank, les variations
de ces courants ne peuvent jusqu’ici être mises en rapport d’une ma¬
nière absolue avec les influences du milieu ambiant, et paraissent abso¬
lument dépendre de la volonté de l’animal qui ferme ou ouvre une cer¬
taine portion de ses pores, rétrécit ou élargit les osc.ules selon ses
besoins.
Suivant la nature du squelette et la composition chimique des sclérites
qui le composent, M. Bowerbank a divisé les éponges en trois sections :
les éponges cornées (keratosa), les éponges siliceuses {sïlicea) et les
éponges calcaires (calcarea). H est facile de comprendre que les pre¬
mières sont les seules qui peuvent être employées aux usages domesti¬
ques et médicaux où l’éponge est particulièrement recherchée pour les
propriétés inhérentes à la substance fibreuse, à savoir son élasticité, sa
propriété d’absorber une quantité de liquide considérable que la com¬
pression lui fait rendre, enfin sa résistance remarquable à la décompo¬
sition.
Chimiquement l’éponge renferme une matière animale albuminoïde
qu’on a appelée, avec Mulder, fihro'ine; on y trouve en outre differentes
substances minérales : iode, soufre, phosphore, silice, chlorure de cal¬
cium, carbonate et phosphate de chaux, magnésie, alumine.
Le nombre des genres et des espèces d’éponges est très-considérable,
et on en rencontre en grande abondance dans toutes les mers, mais la plu¬
part ne peuvent être employées ; les éponges usuelles, appartenant toutes
au genre Spongia, viennent surtout de la Méditerranée, en particulier du
Levant ; on en récolte aussi dans le golfe du Mexique et la mer des An¬
tilles, ainsi que dans la mer Rouge. La pêche se fait soit par les plon¬
geurs qui, armés d’un couteau, vont détacher l’éponge des corps sous-
marins auxquels elles adhèrent, soit au moyen d’un trident, ce dernier
système n’est guère employé que pour les éponges communes, puisqu’il
détériore le tissu. Une fois pêchées, les éponges sont foulées par la pres¬
sion des pieds, puis lavées à Teau douce autant que possible, opérations
qui ont pour but de les débarrasser de la matière sarcodique. Pour en
éliminer les matières calcaires, pierres, débris de coquilles, etc., qui se
trouvent englobées dans le tissu, on les laisse macérer quelque temps
dans l’eau légèrement aiguisée d’acide chlorhydrique. On peut alors les
blanchir par l’immersion pendant quelques jours dans l’eau contenant
environ 1 pour 100 d’acide sulfurique
Dans cet état, les éponges sont livrées au commerce, où elles sont
classées suivant leur provenance et la finesse plus ou moins grande de
leur tissu en une dizaine de variétés. Les seules usitées en médecine soqt
les éponges fines-douces de Syrie et de l’Archipel, se rapportant à la
Spongia usitatissima Lamarck.
Les emplois de l’éponge en tant qu’emplois officinaux sont aujourd’hui
assez restreints et comprennent Y éponge calcinée et Yéponge préparée.
717
ÉPONGE. - HISTOIRE KAIDRELLE.
La première est obtenue en torréfiant le moins possible dans un moulin
à café des fragments d’éponge fine, puis réduisant en poudre par tritu¬
ration. Cette préparation, qui paraît agir par l’iodure de calcium (Gui-
bourt) qu’elle contient, est administrée contre le goitre, à la dose de 15
à 20 grammes ; elle est peu usitée.
Sous le nom d’éponge préparée, on emploie cette substance pour dilater
certains conduits, les trajets fistuleux, etc. Elle est préparée soit à la cire
en en plongeant des tranches dans de la cire jaune fondue jusqu’à dis¬
parition complète de l’humidité, puis mettant sous presse entre deux pla¬
ques de fonte chaudes qu’on laisse refroidir lentement, soit à la ficelle
en comprimant au moyen d’une cordelette serrée et régulière des frag¬
ments allongés d’éponge qu’on porte ensuite dans une étuve pour les y
dessécher. Dans l’un et l’autre cas, on taille des morceaux appropriés
à l’emploi qu’on en veut faire et par l’absorption de l’humidité des tissus
ambiants la substance augmente de volume et dilate les cavités dans les¬
quelles elle a été introduite.
Sur les indications de Marion Sims, Robert et Collin ont employé un
procédé qui, tout en n’étant qu’une modification de celui qui donne l’é¬
ponge préparée à la ficelle, constitue cependant un véritable perfection¬
nement. L’éponge, convenablement choisie et taillée à peu près à la forme
voulue, est plongée dans une dissolution légère de gomme arabique à la- ■
quelle on ajoute un peu de colle forte, puis traversée par une tige mince
et rigide d’acier suivant son grand axe ; ceci permet de la serrer facile¬
ment et très-fortement avec une cordelette ; il faut ensuite retirer la tige
et laisser sécher. Lorsqu’on enlève la cordelette, la substance, devenue
dure et inexpansible par l’action de la colle dont elle a été imprégnée,
peut être taillée en cône, en cylindre, etc., et conservée avec la précau¬
tion de la tenir à l’abri de l’humidité. L’éponge, préparée par cette mé¬
thode, réunit les avantages qu’on obtenait par les anciens procédés :
d’une part, comme l’éponge à la cire, elle est assez rigide et peu alté¬
rable; d’autre part, les matières qui l’imprègnent, étant solubles dans
les liquides de l’organisme, ne nuisent pas à ses propriétés absorbantes.
On a proposé différentes matières comme succédanées de l’éponge
préparée dont l’emploi est souvent difficile, telles sont Vivoire privé de
sels calcaires (clous de Becquerel) et, dans ces derniers temps, les tiges
de Laminaria digitata. Ces dernières sont empruntées à des algues de
la famille des Fucus; ce sont des végétaux marins que l’on rencontre en
très-grande abondance sur les côtes océaniques à la limite des plus basses
mers. A l’état frais, ces tiges sont flexibles, élastiques, d’une grosseur
qui varie de celle du petit doigt à celle du pouce; desséchées, elles de¬
viennent dures, cassantes, et leur diamètre n’est pas de plus de 3 à 8
millimètres ; on peut alors les façonner au tour, et elles sont livrées au
commerce sous forme de cylindres de grosseurs variées.
Ces substances, d’une préparation et d’une conservation faciles, d’une
consistance assez grande, ce qui permet de les mieux tailler et de les in¬
troduire plus aisément, présentant en outre cet avantage de prendre.
718
ÉPONGE. — EMPLOI CHIRÜKGICA.L.
après dilatation, un diamètre dont on peut à l’avance se rendre compte
exactement et par suite régler l’emploi, paraissent destinées, dans la
plupart des cas, à remplacer l’éponge à la cire et à la ficelle, comme les
préparations chimiques d’iode ont remplacé l’éponge calcinée.
Léon Vaillant.
Emploi chirükgical. — Siebold paraît avoir, avant Bruninghausen, di¬
laté le col utérin à l’aide de l’éponge préparée ; mais c’est à Kluge que
l’on doit la vulgarisation de la méthode, et c’est aujourd’hui un des pro¬
cédés employés pour provoquer l’avortement ou l’accouchement préma¬
turé. L’emploi de l’éponge est des plus faciles. Le spéculum une fois ap¬
pliqué, l’opérateur introduit dans l’orifice du col, à l’aide d’une pince à
polypes, un cône d’éponge préparée de 50 millimètres de long et de
15 millimètres de largeur à sa base. On fixe le tout soit au moyen d’un
tampon, soit à l’aide d’une pince spéciale imaginée par Cazeaux et venant
se rattacher à une ceinture. L’action de l’éponge ainsi appliquée est lon¬
gue et manque quelquefois. Aussi aurons-nous une plus grande confiance
dans le procédé qui consiste à pousser le cône de façon à ce que la pointe
fasse saillie dans l’utérus, s’y gonfle et retienne l’éponge en place sans
tampon ni instrument spécial. L’idée de recouvrir les cônes d’éponge de
• baudruche afin d’éviter le contact direct des rugosités de l’éponge , a été
exécutée; mais sans que cette préparation ait une grande supériorité sur
celles qui ont été décrites.
L’éponge doit être laissée en place vingt-quatre heures, au bout des¬
quelles elle est retirée à l’aide du fil qu’on y a fixé. Durant ce laps de
temps , de petites tranchées se font parfois sentir ; le plus souvent les
douleurs sont nulles. Au bout de vingt-quatre heures elle est chassée et
tombe dans le vagin. On reconnaît, à la différence de volume du cylindre
ainsi grossi, la démarcation qui sépare la partie intra-cervicale de la
partie vaginale proprenaent dite, laquelle est beaucoup plus volumineuse.
L’éponge s’introduit à l’aide d’un spéculum quand le col est très-peu
dilaté, au moyen d’un simple stylet quand la dilatation est plus considé¬
rable. 11 est prudent, pour ne pas produire une trop grande irritation
et quand on veut obtenir une dilatation durable , de mettre quelques
jours d’intervalle entre chacune des séances d’introduction. Lorsqu’on
se propose une exploration pure et simple, on peut aller beaucoup plus
vite, changer le cône d’éponge toutes les douze heures sans interruption,
et il arrive le plus souvent qu’au bout de deux ou trois jours de cette ma¬
nœuvre, un instrument de la grosseur d’un cathéter ou même le doigt,
peut être introduit dans la cavité utérine et en explorer les parois.
Dans un remarquable mémoire (1867), Guéniot assigne à l’éponge pré¬
parée le second rang parmi les agents destinés à pratiquer la délivrance
dans l’avortement, et il affirme qu’à défaut du dilatateur intra-utérin
celte préparation peut être employée avec succès.
Le mécanisme de l’éponge préparée dans l’avortement ou dans l’ac¬
couchement prématuré a la plus grande analogie avec celui du dilatateur.
719
ÉPONGE. - EMPLOI CHIRÜEGICAL.
En effet , une fois. introduite , l’éponge décolle les membranes, irrite le
segment inférieur de la matrice, dilate l’orifice supérieur du col et aug¬
mente également le volume du col dans toute sa hauteur.
Suckling conseille également le tamponnement à l’éponge préparée
dans la rétention du délivre.
Le pessaire en éponge est recommandé par Noël Gueneau de Mussy.
Gueneau de Mussy lui donne, au moins dans la pratique nosocomiale,
la préférence sur les pessaires en caoutchouc. (Voy. art. Pessaires.)
Huchard, interne des hôpitaux, nous a communiqué un travail fort
intéressant et suivi d’ observations sur l’emploi de l’éponge préparée dans
les maladies utérines. Nous en donnons ici une analyse succincte. L’idée
de la dilatation paraît due à Macintosh qui, dès 1836, proposait de traiter
à l’aide de bougies métalliques les rétrécissements du col utérin comme
ceux de l’urèthre; mais l’emploi de l’éponge appartient à Simpson (1850).
Il a donné entre les mains de Marion Sims d’excellents résultats et peut,
d’après Ad. Richard, qui préconise également son usage, aider au dia¬
gnostic, aider au traitement et même constituer le traitement. Pour Marion
Sims, en effet, l’éponge préparée employée par lui sous le nom de tente-
éponge est un moyen constant de diagnostic toutes les fois que l’on soup¬
çonne une lésion quelconque de la cavité du corps de l’utérus , et que
l’étroitesse du col rend l’exploration impossible. Il attache du reste un
soin méticuleux à la préparation de ces tentes-éponges et la surveille,
dit-il, lui-même. Il recommande également de ne jamais placer une
tente plus grosse que le canal qui doit la recevoir ; mais de dilater pro¬
gressivement le canal par l’application successive de plusieurs tentes de
plus én plus volumineuses. 11 laisse en place la tente-éponge environ
vingt-quatre heures et ne la retire qu’avec une extrême lenteur et des
précautions infinies. Ces manœuvres^ finissent par lui permettre d’intro¬
duire le doigt dans la cavité utérine et de l’explorer librement. Pour Ma¬
rion Sims, la dilatation à l’aide delà tente-éponge est l’opération prélimi¬
naire obligée de toute injection caustique ou autre dans la cavité utérine.
Il assure, en effet, qu’à la suite de cette dilatation on ne rencontre jamais
les accidents formidables qui sont consécutifs aux injections les plus
anodines et qui proviendraient de l’écoulement insuffisant par l’orifice
du col, des liquides injectés. La démonstration de l’utilité dilatatrice de
l’éponge s’établit facilement si l’on suppose un polype utérin donnant
lieu à des accidents caractéristiques, mais inaccessibles au toucher. L’é¬
ponge, en dilatant le col , permettra de le toucher, d’examiner son im¬
plantation, de l’attirer au dehors et de terminer par cela même une affec¬
tion dangereuse dans ses conséquences et préjudiciable à la santé de la
malade. L’éponge peut constituer à elle seule le traitement dans les cas
d’atrésie du col déterminant soit la stérilité, soit la dysménorrhée. Le mé¬
canisme de cette dilatation s’explique de soi-même , et l’on comprend
que, grâce à ce procédé, on ait pu rendre la fécondation possible et les
règles moins douloureuses ; surtout si dans certains cas rebelles on fait
précéder l’introduction du corps dilatant de quelques légers débridements.
720
ÉPONGE. - EMPLOI CIURÜRGICAL.
Là ne se bornerait pourtant pas, d’après Huchard, l’heureuse influence de
l’éponge ; suivant Marion Sims, cité par lui, elle amollirait le col par une
sorte de déplétion séreuse, et par suite même de cette pénétration réci¬
proque des aspérités et des porosités des tissus utérins et de l’éponge,
elle déterminerait une action mécanique analogue à celle de la curette
sans avoir aucun de ses dangers.
D’autres observations de Huchard, relatives à l’action hémostatique de
l’éponge préparée, tendent à prouver que non-seulement elle arrête les
hémorrhagies utérines, mais encore qu’elle prévient leur retour; en dimi¬
nuant l’engorgement utérin par compression d’abord , par déplétion sé¬
reuse ensuite. La dilacération épithéliale que produit l’éponge au moment
de son retrait paraît également avoir une influence favorable sur le déve¬
loppement des fongosités utérines.
Considérant ensuite l’éponge comme un agent excitateur des fibres
musculaires de l’utérus, Huchard la propose comme un puissant auxiliaire
de l’ergot de seigle dans les métrites, les fluxions et les congestions uté¬
rines. L’auteur explique l’action favorable de l’éponge sur les engorge¬
ments utérins non inflammatoires par la pression qu’elle exerce sur les
capillaires dilatés par l’imbibition de liquide dont s’infiltrent les mailles
de son tissu spongieux, et par conséquent par la diminution du volume
de l’organe. 11 consacre également un chapitre aux contre-indications de
l’éponge. Il admet que son emploi est négatif dans les hémorrhagies ré¬
sultant soit de fongosités du corps de l’utérus, soit de cancer utérin. Il
convient également qu’il serait dangereux de s’en servir dans les métror-
rhagies consécutives à un phlegmon péri-utérin et que l’on pourrait ainsi,
par ce moyen, comme d’ailleurs par toutes les interventions imaginàbles,
déterminer des péritonites mortelles.
Hubert (de Louvain) accuse l’éponge préparée de déterminer souvent
une inflammation par trop violente, causée surtout par les rugosités de
l'éponge; il trouve également un inconvénient sérieux dans l’odeur in¬
fecte qui s’exhale des pièces de pansement lorsqu’elles ont séjourné du¬
rant un temps un peu trop considérable ; aussi préfère-t-il de beaucoup
à l’éponge les tiges de laminaria digitata. Cette plante se présente,
quant à la partie que l’on utilise, sous la forme de petits cylindres
de 20 à 25 centimètres de longueur et de la grosseur d’une plume
d’oie. Noirs et très-fragiles à l’état de siccité, ils se gonflent dans les
liquides au point d’acquérir six fois leur volume. Employée pour la
première fois par Sloan, en 1862, elle a de plus été expérimentée scien¬
tifiquement par Wilson, Nélaton et la plupart des chirurgiens. Le procédé
d’application consiste à racler les tiges , à les réunir en un faisceau de
deux, trois ou quatre, suivant le volume que l’on veut obtenir et à les
faire macérer quelques minutes dans l’eau tiède avant de les introduire.
La dilatation de la laminaire est lente et croît graduellement durant
douze heures. Son volume est proportionnellement plus considérable, et elle
ne s’imprègne pas comme l’éponge d’unequantité considérable de mucosi¬
tés. Tout au plus pourrait-on reprocher à cette substance la lenteur avec
ÉRECTILES (appareils et mouvements). 721
laquelle elle se ramollit et qui exposerait plus ou moins à la rupture pré¬
maturée des membranes. C’est pour obvier à cet inconvénient que Hubert
(de Louvain) conseille de proportionner la longueur des tiges de lami-
naria à la longueur même du col, et d’adapter leur volume à la perméa¬
bilité et à la dilatation du conduit dans lequel bn va les introduire. En¬
fin, le même auteur conseille d’immerger douze ou quinze heures avant
l’introduction l’extrémité du cylindre qui, ainsi ramollie, ne pourra
guère produire la rupture des membranes.
Réveil, Formulaire raisonné des médicaments nouveaux. Paris, 1864, p.325. ■
Bb.vun (C.) (devienne), Avantages du laminaria digüata comme succédané de l’éponge prépa¬
rée {Wiener med. Presse, 1865, n“* 20, 21).
OocRTY, Traité pratique des maladies des femmes, 1866.
Cazeaux, Traité théorique et pratique de l’art des accouchements, 7“ édition, revue par Tar-
nier, 1867, p. 1035.
JouLis, Traité complet d’accouchements, 1867, p. 1108.
Hubert (de Louvain), Cours d’accouchements, 1869, t. Il, p. 91 et 152.
Güeneau de Mussv, De l’emploi des pessaires en éponge dans les affections utérines {Bullelin
de thérapeutique, 1867, t. LXXIII, p. 585).
SuEKLiNG, Medical Times and Gazette {Gazette médicale de Paris, 1867, p. 588).
Gdésiot, Mémoire sur la délivrance dans l’avortement {Bulletin de thérapeutique, t. L.'ÂXIÜ,
1867, p. 305, 350, 390).
Nægele et Gbenser, Traité pratique de l’art des accouchements, traduit par Aubenas. Paris, 1869,
p. 400.
GueneÀu de Musst (N.), De l’emploi des pessaires en éponge dans les affections utérines {Bul¬
letin de thérapeutique, 1867, t. LXXIII, 9» livraison, p. 385).
Huchabd (Henri), De l’emploi de l’éponge préparée dans les maladies utérines; travail présenté à
la Société ii édicale d’observation (Recueil des travaux de la Société, 2« série, t. II, 2' fasc.,
p. 333; 1869).
L. A. DE Saint-Germain.
ÉPREmTES. Voy. Ténesme.
ÉPUEIE ou ÉPUEIS. Voy. Gencives.
ÉPURGE. Voy. Euphorbe.
ÉRECTELES (Appa.peils et mouvemeuts). — On appelle erec-
tiles certains appareils qui sont susceptibles d’augmenter de volume et
de durcir sous l’influence d’un afflux de sang. Cette propriété est due à
l’existence d’une trame fibreuse aréolaire , interposée entre les artères et
les veines et tenant lieu de capillaires.
A la vérité, ce tissu ne renfermé aucun élément qui lui soit propre et
ne représente qu’une variété de vaisseaux capillaires , remarquables par¬
leurs dimensions; c’est ce que démontre l’étude de son dé> cloppement.
Nous continuerons néanmoins à le désigner sous les noms de tissu érec¬
tile, spongieux ou caverneux, cette dernière dénomination s’appliquant à
sa forme la plus parfaite.
Dans l’espèce humaine le tissu érectile ne se rencontre que dans les
organes génitaux externes : corps caverneux de la verge et de l’urètbre
chez l’homme ; clitoris et bulbe du vestibule chez la femme. Cependant
tous les anatomistes n’admettent pas ces restrictions. Kobelt , par exem¬
ple, l’un de ceux qui se sont occupés avec le plus de succès de la struc¬
ture des organes génitaux, décrit du tissu .spongieu-x dans les parois du
vagin et dans la portion membraneuse de l’urèthre; mais il n’attaebu
NODV. DICT, IIÉD. ET CHIE. XIII. - 46
JVEMBiMs).
722 ÉRECTILES (appareils et mou
pas un sens bien précis au mot érectile et y comprend de simples
plexus veineux.
Ch. Rouget va plus loin encore ; d’après ses belles injections, il ad¬
met du tissu érectile dans les parois du vagin, de l’utérus, des trompes
et jusque dans l’épaisseur du ligament large et dans l’aileron de l’ovaire;
l’iris serait également un appareil érectile. Il est vrai qu’il considère
comme tel tout organe dans lequel des plexus artériels et veineux sont
soumis à la constriclion de fibres musculaires lisses et il formule en con¬
séquence une théorie de l’érection que nous aurons à examiner plus bas.
D’après Ercolani, le tissu érectile est tantôt purement vasculaire, c’est-
à-dire formé par nne dilatation des capillaires, tantôt musculo-vasculaire ,
et ce serait alors l’adjonction des fibres musculaires qui lui donnerait la
propriété de devenir rigide, par opposition au tissu purement vasculaire
qui n’arrive qu’à la simple turgescence. Du reste, Ercolani ne donne pas
au tissu érectile une extension aussi large que le fait Rouget.
Sans doute, on ne peut pas nier que les plexus vasculaires des organes
génitaux internes ne soient, à de certains moments, le siège d’une tur¬
gescence qui a quelque analogie avec l’érection, mais c’est là un phéno¬
mène propre à toute espèce de vaisseaux qui sont alternativement flasques
ou distendus par du liquide. A ce compte, la rate, les glandes vasculaires
sanguines et même les glandes en grappe qui subissent un afflux de sang
au moment de la sécrétion, devraient être rangées au nombre des organes
érectiles. Rouget ne recule pas devant cette conséquence extrême et il
range même la rougeur de la face, qui survient au moment d’une émo¬
tion, parmi les phénomènes érectiles. Mais un plexus de vaisseaux , quel¬
que considérable et congestionnée qu’on le suppose, ne présente jamais
les propriétés du tissu érectile véritable.
Nous ne considérerons comme érectiles que les organes formés par un
réseau de capillaires dilatés, dont les dimensions sont plus larges que
celles des ramifications artérielles ou veineuses qui s’y abouchent. A ce
point de vue, les seuls appareils érectiles se rencontrent dans les organes
génitaux externes.
Anatomie et histologie. — Un premier caractère à noter dans les ap¬
pareils érectiles, c’est qu’ils sont toujours entourés d’üne gaine résistante
et élastique qui détermine leur forme et en limite l’extensibilité. Cette
gaine, ou albuginée, contribue beaucoup à la dureté particulière de ces
appareils pendant l’érection ; aussi la trouvons-nous à son maximum d’é¬
paisseur dans les corps caverneux de la verge. Chez certaines espèces
animales, le lapin par exemple, l’albuginée possède une épaisseur énorme
pour suppléer à l’insuffisance du tissu caverneux, qui est très-peu déve¬
loppé dans la vergé de ces animaux.
Dans l’intérieur de cette coque, composée de fibres conjonctives et élas¬
tiques, est logé le tissu érectile, sous forme d’une éponge très-fine, d’où
le nom de tissu spongieux ou caverneux. Il est constitué par une infinité
de lamelles et trabécules, entre-croisés en tout sens, qui circonscrivent
des mailles assez régulières. Elles ont à peu près un millimètre dans le
ÉRECTILES (appareils et mouvements). 725
centre des corps caverneux du pénis ; mais elles sont beaucoup plus pe¬
tites dans le gland et le corps spongieux de l’urèthre, ainsi que dans les
appareils érectiles de la femme. (Voy. fig. 128).
Les parois de ces mailles sont formées d’une part par du tissu fibreux
et élastique en proportions presque égales ; d’autre part, par des fibres
musculaires lisses. Les trabécules les plus volumineux renferment en
outre des terminaisons artérielles et nerveuses. Enfin toutes les aréoles
sont tapissées par une membrane mince, transparente, très-adhérente et
contenant des noyaux disséminés. Ch. Robin la regarde comme aniiyste,
Kœllîker comme un épithélium pavimenteux, dont les cellules se sont
en partie soudées.
Elle est identique avec la paroi des vaisseaux capillaires , mais c’est
aussi la seule ressemblance des aréoles des corps caverneux avec ces
vaisseaux. Dans le gland, où les mailles du tissu érectile sont beaucoup
plus petites, la ressemblance est déjà plus accusée. Enfin, si l’on étudie
les différents aspects de ce tissu dans la série animale, ainsi que son dé¬
veloppement (Legros, Ercolani), on se convainc qu’il est constitué primiti¬
vement par des capillaires ordinaires, qui se dilatent de plus en plus avec
l’âge et qui atteignent dans les corps caverneux la forme aréolaire, par la
résorption des cloisons intermédiaires.
Les artères afférentes des appareils érectiles percent la coque fibreuse
et se partagent en branches qui rampent dans l’épaisseur des trabécules;
puis elles se divisent brusquement en un bouquet de ramuscules de 66 à
88 millièmes de millimètres, qui sont contournées en spirale et s’ouvrent
directement dans les aréoles. Ce sont ces terminaisons que J, Muller a dé¬
crit pour la première fois sous le nom d’artères Mlicines et que Rouget
regarde encore comme caractéristiques des appareils érectiles. Mais cette
disposition en spirale se rencontre dans les artères de tous les organes
qui sont sujets à des changements de volume. Quant à ces terminaisons
en culs-de-sac ou en ramuscules filiformes, admises également par Müller,
elles ne sont, d’après les récents travaux de Rouget, de Langer, de Le¬
gros, que de simples apparences résultant d’injections incomplètes.
Une particularité plus importante de ces artères , c’est l’épaisseur con¬
sidérable de leur tunique musculeuse et l’existence de plis longitudinaux,
signalés par Ercolani, sur leur tunique interne. Ces dispositions annon¬
cent une très-grande dilatabilité de ces vaisseaux. Notons encore en ter¬
minant, que quelques branches des artères afférentes se terminent par un
réseau de capillaires très-fins, qui sont destinés à la nutrition de l’albu-
ginée et des trabécules les plus volumineux.
Les veines efférentes naissent directement des aréoles du tissu érectile,
qui remplacent les capillaires. Comme dans les autres parties du corps,
leur volume est supérieur à celui des artères afférentes et elles sont mu¬
nies de valvules qui empêchent le reflux du sang vers la périphérie. En
apparence, elles ne présentent aucune disposition destinée à retarder le
cours du sang.
Les nerfs assez volumineux des organes érectiles proviennent du nerf
7!24 ÉRECTILES (appareils et moüvemekts).
honteux et du plexus hypogastrique. Les filets sensitifs se rendent tous à
la peau et à la muqueuse ; le tissu érectile proprement dit reçoit unique¬
ment des fibres de Remak et ne jouit que d’une sensibilité fort obtuse.
On constate la présence de ces fibres nerveuses dans l’épaisseur des trabé¬
cules et dans les pai’ois des artérioles, mais on ignore leur mode de ter¬
minaison.
Telle est, en général, la structure des appareils érectiles ; nous n’avons
pas à entrer ici dans les particularités de forme qu’ils présentent et que
Ton trouvera aux articles Verge et Vulve.
Physiologie de l’érection, mouvements érectiles. — L’érection résulte
de la distension des aréoles des organes érectiles par le sang ; mais, par
quel mécanisme ce liquide, qui traverse d’ordinaire ces tissus sans les
distendre, s’y accumule-t-il d’autres fois en grande quantité ? Les opinions
sont encore très-partagées à cet égard. A priori, on peut chercher la
cause de l’érection, soit dans un obstacle à l’écoulement du sang veineux,
soit dans un apport exagéré de sang artériel. Jusqu’il y a peu d’années
on invoquait principalement la première de ces causes ; depuis la célèbre
expérience de Cl. Bernard sur la section du sympathique du cou, on s’a¬
dresse de préférence à la seconde. Examinons rapidement la valeur des
différentes théories émises à ce sujet.
Déjà les anciens anatomistes, R. de Graaf, Santorini, attribuaient l’é¬
rection à la contraction des muscles ischio et bulbo-caverneux, qui com¬
priment la veine dorsale et les veines bulbeuses. Mercier a cherché depuis
à compléter cette théorie en invoquant l’action du releveur de Tanus, du
transverse profond, du muscle pubio-prostatique, pour expliquer la stase
sanguine dans les plexus veineux périprostatiques. Cette opinion, basée
sur l’action exclusive des muscles' rouges n’est plus soutenable aujour¬
d’hui ; car, d’une part, les muscles striés ne sont pas susceptibles d’une
contraction aussi continue que l’exigeraient des érections un peu prolon¬
gées et, d’autre part, l’anatomie démontre que certaines anastomoses des
veines génitales échappent à toute constriction des muscles rouges et que
l’action de ces derniers ne peut être efficace que sur des organes déjà
durcis par un commencement d’érection. Alors, en effet, ils interviennent
pour la compléter, comme nous le verrons plus bas.
Les muscles striés, une fois hors de cause, on s’est adressé aux mus¬
cles lisses qui entrent dans la charpente des oi ganes érectiles. Sappey a
décrit un muscle péripénien, situé sous la peau de ia verge et qui com¬
primerait toutes les veines. P. Bérard a supposé que la contraction des
trabécules ferme les orifices des veines émergentes. Valentin admettait
que les muscles des trabécules dilatent les mailles du tissu caverneux, et
Kœlliker, au contraire, que cette dilatation était le résultat d’une para¬
lysie des trabécules.
Toutes ces théories, fondées sur la seule action des muscles lisses,
sont abandonnées de nos jours en faveur de l’opinion qui attribue l’érec¬
tion à un apport exagéré de sang artériel ; mais, en général, on fait encore
intervenir secondairement la compression veineuse par les muscles.
ÉRECTILES (appareils et modvements). 725
Ch. Robin est le premier qui a appliqué aux organes érectiles la théorie
de la paralysie vasculaire, démontrée par l’expérience de Claude Bernard.
D’après Ch. Robin, la dilatation passive des artères sullirait à elle seule
pour expliquer tous les phénomènes de l’érection. Kœllikcr trouve déjà
nécessaire d’y ajouter la paralysie des trabécules. Rouget et Ercolani, au
contraire, admettent la contraction des muscles trabéculaires dans l’érec¬
tion complète; ils pensent que la dilatation artérielle ne produit qu’une
simple turgescence des organes érectiles et que la rigidité particulière du
pénis est due à la contraction des trabécules. Ils se basent principale¬
ment sur des faits d’anatomie comparée; mais Rouget ajoute encore à
toutes ces causes d’érection, une occlusion partielle des veines par action
musculaire. Legros et Luciani sont également partisans de la dilatation
artérielle, mais ils veulent qu’elle soit active, au lieu d’être passive. Pour
Legros, les artères des tissus érectiles, si riches en fibres musculaires,
formeraient une espèce de cœur accessoire, analogue à celui de certains
animaux.
De toutes ces opinions entre-croisées il résulte qu’on est à peu près d’ac¬
cord sur deux points ; 1“ que l’érection commence par la dilatation des
artères afférentes ; 2” que cette dilatation artérielle n’est pas suffisante à
elle seule pour expliquer la rigidité du pénis. Il s’agit maintenant d’exa¬
miner si les expériences justifient cette conception.
La section du sympathique au cou amène une dilatation des artères de
la tête ; on a conclu, par analogie, que le même phénomène devait se
produire sûr les artères de la verge par suite d’une action réflexe. Mais
l’expérience directe n’est pas favorable à cette hypothèse. Déjà, ancienne¬
ment, Gunther a divisé le nerf dorsal sur un étalon en chaleur ; il en ré¬
sulta une certaine hyperémie passive de la verge, mais l’érection était
devenue complètement impossible, malgré des tentatives de copulation.
Ch. Legros a obtenu le même résultat sur un chien ; il songea alors à
vérifier l’action du sympathique sur les appareils érectiles de la tête de
coqs et de dindons. A cet effet, il extirpa le premier ganglion cervical à
un certain nombre de ces animaux et, loin de voir les tissus érectiles de
la tête se gonfler, il les vit pâlir et perdre leur érectilité, même pendant
les plus fortes excitations.
Par contre, il obtint l’érection du pénis par une ligature jetée sur le
nerf dorsal et modérément serrée. A la suite de ces expériences, Legros
nie la dilatation paralytique des artères caverneuses et attribue l’érection
à un mouvement péristaltique de ces vaisseaux qui accélérerait l’arrivée
du sang.
Eckhard et Schiff considèrent également l’érection comme le résultat
d’une dilatation active des artères. C’est ce que paraît prouver l’expé¬
rience suivante d’Eckhard; il ampute la partie antérieure de la verge d’un
chien et irrite les nerfs honteux ; aussitôt le volume des jets artériels aug¬
mente considérablement et le moignon devient rigide.
A première vue, l’observation clinique paraît plus favorable à la théorie
de la paralysie vasculaire. On connaît, en effet, un grand nombre de cas
726 ÉRECTILES (appareils et mouvements).
de lésions traumatiques de la moelle cervicale, suivies de paraplégie et
d’érections presque continues. Ce priapisme, si singulier, disparaît à me¬
sure que la paraplégie se dissipe. Debrou a cité également quelques cas
de priapismes se reproduisant régulièrement et exclusivement pendant le
sommeil. Mais il ajoute avec raison que ces érections ne doivent pas être
attribuées à la paralysie, mais à une augmentation du pouvoir réflexe de
la moelle, en vertu duquel la moindre excitation du gland provoque une
érection.
En résumé, d’après l’état actuel de nos connaissances, l’érection paraît
due à une dilatation active des artères afférentes, sous l’influence d’une
excitation réflexe de la moelle ; mais cet apport exagéré de sang ne pro¬
duit que la turgescence des appareils érectiles et n’explique pas la rigi¬
dité qu’on remarque dans certains d’entre eux. Il nous reste donc à
éclaircir ce dernier point.
Ercolani, avons-nous vu, attribue la rigidité du pénis à la contraction
des fibres musculaires des trabécules, et Rouget admet en plus la com¬
pression des veines par les muscles ; car, dit-il, sur le cadavre il faut une
distension énorme pour obtenir la rigidité de la verge et encore faut-il
comprimer la veine cave pour empêcher le liquide de refluer de ce côté.
Sans contester l’exactitude de cette observation de Rouget, j’invoquerai
cependant l’expérience cadavérique pour prouver le contraire. Voici, en
effet, ce que j’ai observé dans un grand nombre d’injections des organes
génitaux, que j’ai faites pour un concours de chef des travaux anatomiques,
dont les pièces sont déposées au musée de Strasbourg.
Si l’on veut obtenir une érection complète des corps caverneux, il
faut les injecter directement à travers une canule un peu large, de trois
à quatre millimètres de diamètre et pousser la matière rapidement. Alors
la verge s’érige, mais il ne pénètre que très-peu de liquide dans le gland
et encore moins dans les veines efférentes. En forçant la pression, on ne
réussit pas à vaincre l’obstacle, car le liquide repousse le piston. On
peut même, ainsi que Kobelt l’a déjà signalé, insuffler les corps caver¬
neux, sans que l’air s’échappe par les veines. Plus l’injection est brusque
et plus l’occlusion veineuse est parfaite. Si, au contraire, l’on tient à rem¬
plir les vein.es efférentes et le corps spongieux de l’urèthre, il faut pous¬
ser la matière lentement, à travers une petite canule, ou, encore mieux,
faire l’injection par une piqûre du gland. Mais alors , pour obtenir une
érection complète, les veines du bassin doivent être obturées préalable¬
ment, pour empêcher le liquide de s’éparpiller dans le système veineux.
C’est exactement ce que disait Rouget. Mais, par mon prémier procédé,
on peut distendre les corps caverneux avec une matière d’une couleur
particulière et injecter ensuite le gland et le corps spongieux avec un
liquide d’une couleur différente, quoique ces deux appareils communi¬
quent par des veines nombreuses.
Cette expérience prouve d’abord qu’il existe dans les corps caverneux
(mais seulement dans cet appareil érectile) un mécanisme autoclave, qui
ferme les veines efférentes au moment d’un afflux subit de liquide et que
ÉRECTILES (appareils et moüvemeiNts). 727
ce mécanisme est indépendant d’un acte de contractilité vitale ; en second
lieu, que les corps caverneux peuvent être le siège d’une érection, indé¬
pendamment du gland et du corps spongieux. Nous verrons que cette
observation se vérifie également sur le vivant.
Si maintenant on cherche la disposition anatomique qui rend compte
de ce mécanisme autoclave des veines caverneuses, il faut rejeter l’inter¬
vention des muscles, soit lisses, soit striés, puisque le phénomène se pro¬
duit sur le cadavre. On en trouvera plutôt l’explication dans un fait
bien connu des anatomistes pratiques. Quand il s’agit de préparer les
gaines synoviales tendineuses ou certaines cavités séreuses par insuffla¬
tion, il suffit d’introduire le tube à travers une ponction oblique, qui
parcourt un certain chemin entre l’enveloppe fibreuse et la séreuse. Une
fois que la cavité est bien distendue, on peut retirer le tube sans qu’il
s’échappe une bulle d’air, parce que le trajet oblique forme valvule et se
trouve oblitéré d’autant plus sûrement que la tension intérieure est plus
forte. Mais, quand, au bout de quelques heures, une portion de l’air s’est
échappée par exosmose , la tension diminue et la valvule se rouvre
insensiblement.
Le même mécanisme explique la fermeture des veines caverneuses qui
traversent obliquement l’albuginée. Quand, par la dilatation des artères,
le sang afflue dans les corps caverneux, cette espèce d’appareil valvulaire
entre en fonction et arrête plus ou moins complètement l’écoulement des
liquides. A mesure que la tension du pénis diminue par suite de la con¬
traction des artères, la valvule cesse de fonctionner et le sang reprend
son cours normal.
11 ne faut pas s’étonner de nous voir attribuer un mécanisme différent
à l’érection des corps caverneux et à celle du corps spongieux; car ces
deux appareils fonctionnent dans des conditions très-différentes. Le pre¬
mier présente un volume considérable et doit offrir une grande résistance
dès le début de l’érection ; il n’est cependant alimenté que par deux ar¬
tères assez petites ; tandis que le corps spongieux de l’urèthre, avec ses
anne.xes, qui ne représente guère que la moitié du volume des corps ca¬
verneux, reçoit six artères plus fortes : les dorsales de la verge , les bul-
heuses et les bulbo-uréthrales. Par contre, si les veines bulbeuses et dor¬
sales ne présentent pas de disposition autoclave, elles sont comprimées à
chaque contraction du muscle bulbo-caverneux, qui chasse le sang du
bulbe vers le gland, d’après le mécanisme indiqué par Kobelt. Grâce à
cette propulsion répétée du sang vers le gland, les nerfs de cet organe
sont comprimés par saccades de plus en plus rapprochées et provoquent
l’orgasme voluptueux, qui, à son tour, amène l’éjaculation par action
réflexe sur les vésicules séminales.
On comprend facilement la raison de cette différence dans le méca¬
nisme de l’érection du gland ; si les veines de cet organe jouissaient
d’une fermeture autoclave, la tension y aurait été complète et perma¬
nente dès le début de l'érection et aurait provoqué une éjaculation pré¬
maturée.
728 ÉRECTILES (appareils et moüvements).
Outre les effets sur le gland, l’érection maximum du corps spongieux
de l’urèthre réagit aussi sur le canal et le rend béant. D’après Kobelt,
une injection à la cire, bien réussie, transformerait l’urèthre en un tube
ouvert depuis son orifice externe jusqu’au véru-montanum. C’est une
exagération dont Kobelt, dans ses planches d’ailleurs si exactes, n’a
nullement fourni la preuve. Dans une série d’injections des organes gé¬
nitaux, j’ai toujours constaté que le tissu spongieux s’arrêtait nettement
au bulbe. Du reste, je n’ai jamais réussi à rendre le canal véritablement
béant par une injection à la cire. Par contre, en injectant le tissu
érectile du pénis avec du mercure et en le faisant sécber dans cet état,
j’ai vu sur des coupes (fig. 128) le canal de
l’urèthre transformé en un tube ouvert, de
forme elliptique, depuis la région du bulbe,,
jusque vers le méat urinaire, dont les lè¬
vres restaient cependant en contact.
Sur le vivant, cette érection de la partie
pénienne du canal de l’urèthre produit un
vide qui aspire en quelque sorte le sperme
Fig 1î8 — " " '»e dis- portion membraneuse. Puis
— r, Âréo- Survient une contraction du muscle bulbo-
d nés eorps ca- cavemeux qui le projette avec force au de-
~ l'df jon hors, en écartant les lèvres du méat. Celles-
corps sponsioux. ci se referment après chaque éjaculation et
le vide se reproduit dans l’urèthre à chaque
nouvelle contraction du bulbe caverneux, qui ramène l’érection maxi¬
mum du corps spongieux.
En exposant plus haut le résultat des injections cadavériques, j’ai
insisté sur la possibilité d’une érection isolée des corps caverneux , sans
participation du gland. Ce fait a son importance et se présente journel¬
lement. A moins d’une excitation vénérienne très-forte, les érections sont
simplement caverneuses au début et , comme ces appareils ne sont doués
que d’une sensibilité très-obtuse, il n’en résulte pas d’abord de sensation
voluptueuse. Ce n’est que pendant les premières tentatives de copulation
que le gland se distend et alors survient l’orgasme vénérien.
La plupart des érections pathologiques provoquées, soit par l’irritation
d’un calcul, soit par la réplétion de la vessie' ou du rectum, ou encore
par une lésion de la moelle, restent bornées aux corps caverneux. Malgré
leur longue durée, elles sont plutôt pénibles que voluptueuses, et, loin
de solliciter le malade aux actes vénériens, elles lui font désirer l’inter¬
vention de la médecine pour les faire cesser. C’est ce qui justifie la dis¬
tinction entre le priapisme et le satyriasis. {Voy. ces mots.) Dans le pre¬
mier état, il Y a turgescence et roideur de la verge, sans participation du
bulbe et du gland, et, par conséquent, sans sensation voluptueuse ; dans
le second, toutes les parties de l’appareil génital sont simultanément en
action.
Chez la femme, les organes érectiles des parties génitales externes sont
ÉRECTILES (appareils et modvements). 729
construits d’après un type analogue à ceux de l’homme. Nous n’avons
pas à les décrire ici (Voy. Vulve); mais si, chez l’homme, l’érection est
une condition indispensable pour l’exercice des fonctions génitales, en
dehors de la sensation de plaisir qui s’y rattache; chez la femme, ces ap¬
pareils sont disposés exclusivement pour un but de volupté, et la copula¬
tion, voire même la fécondation, peut avoir lieu sans leur participa¬
tion. On pourrait presque affirmer que c’est le cas le plus fréquent.
Les mouvements érectiles chez la femme sont aussi bien moins com¬
pliqués que chez l’homme. Par l’érection du clitoris, le gland de cet or¬
gane est poussé vers l’axe de la vulve, de façon à être soumis aux frotte¬
ments du pénis. Les bulbes du vestibule, en se gonflant, rétrécissent
l’entrée du vagin et augmentent ainsi les sensations voluptueuses chez le
mâle. En même temps, le muscle constricteur du vagin, qu’on fait mieux
d’appeler constricteur du bulbe, refoule le sang de ces organes vers le
clitoris et en complète l’érection.
D’après mes injections, il n’existerait pas de mécanisme autoclave pour
les veines caverneuses du clitoris et, si l’on compare le faible volume de
cet organe avec l’immense développement des bulbes du vestibule, on
n’en comprend pas la nécessité. Quand le sang accumulé dans ces réser¬
voirs est comprimé entre leurs muscles constricteurs et la verge, il est
chassé vers le clitoris et suffit pleinement pour le gorger.
En résumé, voici comment je comprends l’acte compliqué de l’érection
chez l’homme. Une sensation visuelle ou tactile, un rêve ou un simple
souvenir provoque un premier acte réflexe, qui dilate les artères des ap¬
pareils érectiles. Le sang déversé brusquement dans ces parties est arrêté
dans les corps caverneux par la fermeture autoclave de leurs veines ; il
distend leur membrane albuginée jusqu’à la résistance complète ; la con¬
traction des muscles trabéculaires soutient d’ailleurs cette membrane et
augmente la raideur générale de l’organe. En même temps, le sang est
versé en abondance dans le gland, mais, comme il s’en échappe sans ob¬
stacle, il n’y provoque qu’une simple turgescence et un vague désir de
volupté. Bientôt les frottements répétés du gland appellent, par un nouvel
acte réflexe, les contractions des muscles ischio et bulbo-caverneux. Les
veines efférentes de ces parties sont comprimées en même temps que le
sang est refoulé d’arrière en avant. L’érection du gland est complète,
l’orgasme vénérien à son apogée, et un troisième acte réflexe portant sur
les vésicules séminales provoque l’éjaculation. Alors les artères se resser¬
rent et le sang, accumulé dans les organes érectiles s’écoule par les voies
normales.
De Gbaaf (Regn.), De mulierum organis generationi inservientibus tractatus n )vus cum figuris.
teyde, -1672.
Kobelt, Diemânnl. und weibl. VVollust-Organedes Menschenund einiger Saugethiere in anato-
• misch-physiologiscb. Beziehung, Freiburg, 1844. — De l’appareil du sens génital des deux
sexes (1844), trad. de l’allemand par H. Kaula. Strasbourg, 1851.
Mercier, Recherches sur les maladies des organes génito-urinaires. Paris, 1841 .
Debrod, Examen physiologique du mécanisme de l’érection, à propos d’une variété de pria¬
pisme, etc. (Gazette méd. de Paris, 1850, p. 698), et réponse de Mercier [ibid., 1850).
750 ÉRECTILES (tdmeürs).
Robin (Ch.), Observations sur la constitution du tissu érectile [Mém. de la Société de tno-
logic, 4» série, 1. 1, année 1864. Paris, 1865, p. 77).
Rouget (Ch.), Du tissu érectile. Thèse de concours, Paris, 1856, eX Journal de physiologie ie.
Brown-Séquard, 1858. — Compiles rendus de la Société de biologie, 1857. — Des mouve¬
ments érectiles [Arch. de physiologie norm. et pathol., 1868, p. 671).
Eckii.ird (C.), Zur Lehre von dem Bau und der Erektion des Pénis, in Beitrâge zu .4.nat. u.
Physiol. Giessen, 1867, IV, p. 71,et SébmiàVs Jahrbücher der gesammten Medicin.
Legros (Ch.), Des tissus érectiles et de leur physiologie. Thèse de doctorat. Paris, 1866. — Mé¬
moire sur Tanat. et la physiol. du tissu érectile [Journal de V Anatomie de Robin, Paris,
1868, p. 1).
Ebcol.4si (J. B.), Des tissus et des organes érectiles; résumé par le D' Luciani, in Journal de
l’Anatomie de Robin. Paris, 1869, p. 565.
Tumeiu>s. — Définition. — Le nom de tumeurs érectiles a été ap¬
pliqué par Dupuytren à des néoplasmes formés par une agglomération de
vaisseaux se laissant plus ou moins distendre par le sang, de façon à
simuler l’érection.
Ces tumeurs , désignées autrefois sous le nom de loupes variqueuses
(J. L. Petit), anévrysmes par anastomoses (J. Bell), fongus hématode
(Maunoir, Lobstein), tumeurs fongueuses sanguines (Boyer, Roux), étaient
mal connues et l’on rangeait volontiers dans cette catégorie toute pro¬
duction morbide ayant la propriété de saigner au moindre contact. Il a
fallu les récents progrès de l’anatomie pathologique pour séparer nette¬
ment ces différentes espèces. Certains sarcomes ou carcinomes , il est
vrai, présentent une richesse de vaisseaux telle que le tissu fondamental
en est complètement masqué. Néanmoins c’est ce dernier qui constitue
la partie essentielle de ces productions et leur imprime un caractère spécial
de malignité, qui manque aux tumeurs érectiles proprement dites ; il
convient donc de les en éliminer.
Les tumeurs érectiles sont formées, soit par un lacis de capillaires volu¬
mineux, d’où le nom de télangectiasies (von Græfe et von Walther) et de
tumeurs vaso-capillaires (Gerdy) ; soit par un tissu aréolaire, analogue
à celui de la verge {tumeurs caverneuses). Ces deux formes rappellent les
différents états du tissu érectile normal et, sous le rapport de la structure,
elles méritent le nom de tumeurs érectiles. Il n’en est pas tout à fait de
même sous le rapport des propriétés; beaucoup d’entre elles, surtout les
formes purement cutanées, qu’on désigne aussi sous le nom de nævi ma-
terni, ne présentent aucune turgescence ou ne sont susceptibles que
d’une dilatation très-limitée ; mais les tumeurs plus volumineuses sont
d’ordinaire manifestement érectiles et, si elles acquièrent rarement la
dureté du pénis, elles sont au moins comparables au tissu érectile du
dindon.
En raison de ces différences de propriété, on a proposé, dans ces der¬
niers temps, pour les tumeurs érectiles, le terme générique à'angionomes
(Follin), ou celui plus correct d'angiomes (Virchow), qui a en même
temps l’avantage de concorder avec les désignations des autres néo¬
plasmes.
Nous comprenons donc sous le nom de tumeurs érectiles ou d'angio¬
mes, des tumeurs constituées par des vaisseaux de nouvelle formation, en
ÉRECTILES (tdmedrs). 731
en excluant tous les néoplasmes dont la gangue est différente et où les
vaisseaux, quelque développés qu’ils soient, ne sont qu’un épiphénomène.
De ce côté, la délimitation est assez facile. Par contre, les angiomes se
relient par des transitions presque insensibles aux anévrysmes d’une part
et aux varices de l’autre. Les tumeurs drsoides, par exemple, sont ran¬
gées tantôt parmi les anévrysmes et tantôt pai mi les angiomes. Leur struc¬
ture est semblable à celle de ces derniers, sauf que la dilatation porte sur
de petites artères, au lieu de porter sur les capillaires; aussi la compren¬
drons-nous parmi les angiomes. D’un autre côté, l’artériectasie simple,
cette dilatation hypertrophique des artères, si fréquente chez les vieillards,
doit être évidemment rapprochée des anévrysmes , quoique l’altération
anatomique soit analogue à celle des tumeurs cirsoïdes.
Pour le système veineux, nous trouvons la varicocèle et les hémorrhoï-
des, qui, sous certains rapports, participent des caractères des tumeurs
érectiles ; mais l’usage a prévalu de les ranger parmi les varices.
Dans le système lymphatique, on a décrit, sous le nom de tumeurs ca¬
verneuses lymphatiques ou de lymphangiomes, des néoplasies analogues
aux tumeurs érectiles sanguines ; il en sera traité à propos des maladies
des lymphati lues.
Nous commencerons par étudier les tumeurs érectiles en bloc, sauf à
revenir plus tard sur certaines espèces d’angiomes que nous aurons ap¬
pris à distinguer.
Anatomie pathologique. ■ — Nos connaissances sur la structure intime de
ces tumeurs sont loin d’être complètes, notamment en ce qui concerne
leur développement; la rareté et la difficulté de l’examen histologique en
sont la raison principale. On n’a guère l’occasion d’examiner les angiomes
sur le cadavre et à leur première période. Les pièces proviennent pour la
plupart de tumeurs enlevées par l’instrument tranchant et qui sont vides
de sang. La mollesse particulière de leur tissu apporte alors de grands
obstacles à la confection des coupes et les vaisseaux, privés de leur con¬
tenu, s’affaissent et se confondent. L’injection n’est d’ailleurs guère pra¬
ticable dans cet état : on n’a pu y recourir que sur quelques tumeurs
très-avancées qui avaient entraîné la mort du malade. Les seuls cas qui
jusqu’ici, permettent d’entrevoir le mode de formation des angiomes,
sont les tumeurs caverneuses du foie. Pour les angiomes cutanés et sous-
cutanés les meilleures préparations sont fournies par des tumeurs qui
ont été extirpées après ligature préalable, de façon à y retenir le sang.
Quand ces pièces sont durcies convenablement dans l’acide chromique,
les coupes deviennent aisées et laissent facilement reconnaître les vais¬
seaux. Mais les circonstances qui permettent l’emploi de ce procédé sont
rares.
Ces quelques remarques préliminaires suffiront pour expliquer pour¬
quoi la plupart des figures histologiques des angiomes , donnés par les
auteurs, sont purement schématiques. J’ai cherché à combler cette lacune
par quelques dessins, que je dois au talent de mon collègue Fréd. Gross
et qui sont exécutés d’après nos préparations.
732 ÉRECTILES (tumeurs).
Les angiomes ordinaires , n’ayant pas acquis un développement trop
considérable, se présentent sur la coupe comme une éponge fine, de cou¬
leur rosée, après l’issue du sang, et qui laisse voiràl’œil nu ou à la loupe
une multitude d’ouvertures extrêmement ténues. Quelquefois on y ren¬
contre encore des lobules graisseux ou des îlots du tissu normal dans le¬
quel ces tumeurs sont implantées.
Le microscope, à un grossissement de 300 à 400 diamètres , y fait re¬
connaître un lacis de capillaires , à parois transparentes, quoique très-
épaisses et composées presque entiè¬
rement de petites cellules arrondies,
renfermant un noyau volumineux
(fig. 129). Ces vaisseaux sont ordi¬
nairement enlacés et contournés en
méandres, ce qui leur donne une cer¬
taine ressemblance avec des tubes uri-
nifères de la couche corticale. {Voy.
fig. 129). Pour cette raison, le rasoir
atteint presque tous les vaisseaux
perpendiculairement à leur direction
et l’on voit surtout des coupes trans¬
versales sur la préparation ; cepen¬
dant, sur certains points, on trouve
quelques vaisseaux divisés suivant
leur longueur (fig. 129, B). Dans deux
Kig. 129. — Préparation d’un angiome capil- tumeurs que j’ai extirpées, les vais-
dTsso' ^eaux étaient presque tous droits et
seaux avec le canal central. — B, Vaisseaux placés parallèlement. Cette disposi- _
vusenlong.—c, Couche de tissu conjonctif tJon jointe à l’ épaisseur de leurs pa-
entourant les circonvolutions vasculaires. ,, , ,
rois, SI riches en cellules, leur don¬
nait une analogie frappante avec des glandes sudoripares, si bien
qu’à première vue on pouvait croire à une erreur de diagnostic.
Mais les nombreux globules sanguins qui remplissaient certaines
parties de ces canaux démontraient bien leur nature vasculaire.
Je n’ai pas conservé de dessin assez précis de cette variété d’an¬
giomes pour pouvoir le reproduire ici, mais Virchow a également
parlé de la possibilité de confondre ces capillaires avec des tubes su¬
doripares.
Souvent, en examinant des tumeurs érectiles dont tout le sang a été
exprimé, on a de la peine à voir la lumière centrale des vaisseaux; ceux-ci
apparaissent d’abord comme des cylindres pleins, mais, en faisant varier
le foyer du microscope on entrevoit bientôt les contours intérieurs de
leurs parois. Il est même probable que les appendices pleins, en forme
de massues ou de bourgeons, que Fœrster et A. Weber ont signalé sur les
capillaires télangiectasiques et qu’ils considèrent comme des proliférations
destinées à se canaliser plus tard, ne résultent que d’une erreur d’obser¬
vation.
ÉRECTILES (tumeurs). 733
Les vaisseaux formant les angiomes sont cylindriques , avec des ren¬
flements variqueux par places (fig. 150). Ils ont en général un volume
assez égal ; cependant on en rencontre presque dans chaque ])répa-
ration quelques-uns qui sont plus volumineux que les autres. (Voy.
A, fig. 130.) Plus l’angiome est ancien et plus les vaisseaux sont larges
et irréguliers. Leur contour extérieur
est toujours formé par une ligne
nette (fig. 130) et généralement ils ^ ’
sont séparés les uns des autres par
une couche de tissu conjonctif fibril-
laire dont l’épaisseur varie selon les h
cas (fig. 130). Leur canal central, au
contraire, est irrégulier, mal déli- _
mité, ce qui pourrait résulter de leur - Vai.seau du mêu.e angmm quu
rétraction après l’issue du sang. En celui de la figure 100, vu dans une certaine
tout cas, je n’y ai jamais vu l’indice étendue. — A, Coupe transversale du vais-
t A » *.1 O ’n 1 seau. — B, Cellules de la paroi vasculaire,
de cet epithelium fusiforme que quel- _ d’iniiexion du vaisseau,
ques auteurs y décrivent. Dans les
vaisseaux plus gros, la surface interne paraît tomenteuse et l’on y aper¬
çoit en beaucoup d’endroits des filaments contenant un ou plusieurs
noyaux (fig. 150) et qui rappellent les végétations de l’endocardite. C’est
peut-être là le point de départ des phlébolithes que l’on rencontre si
souvent dans les anciennes tumeurs érectiles.
La paroi même de ces vaisseaux est très-épaisse et formée par une sub¬
stance fondamentale hyaline, dans laquelle on constate de nombreuses
cellules arrondies ou elliptiques (voy. AA, fig. 129), avec un noyau vo¬
lumineux et réfringent. Dans les plus petits vaisseaux, ces cellules for¬
ment au moins une double couche le long de la paroi. La structure de
ces vaisseaux est donc celle des capillaires, mais avec des parois plus
épaisses et plus riches en cellules. Il est dilficile de dire jusqu’à quel
point cette épaisseur résulte de la rétraction du vaisseau, à la suite de
l’expulsion de son contenu.
Quand la coupe rencontre une petite artère, celle-ci ne se distingue pas
des capillaires par un volume plus considérable, mais par la couleur plus
foncée des parois et par les noyaux allongés des muscles lisses, qui y for¬
ment un dessin régulier.
Jusqu’à présent nous n’avons parlé que à' angiomes capillaires auxquels
on peut conserver le nom de télangiectasies, en se rappelant toutefois
qu’il ne s’agit pas d’une simple dilatation des capillaires, mais, d’une
véritable hypertrophie, cette forme de tumeur érectile est incontestable¬
ment la plus fréquente ; mais, à côté d’elle, on en observe d’autres qui
méritent le nom à’ angiomes caverneux en ce que leur structure se rap¬
proche de celle de la verge. Au lieu d’un plexus de capillaires, on trouve
des aréoles plus ou moins larges et régulières. On peut admettre, avec
beaucoup de probabilités, que ces dernières résultent de la dilatation pro¬
gressive de capillaires préexistants. C’est ce que Rindfleisch a représenté
ÉRECTILES (tumeurs).
où Ton voit la transformation
en tissu caverneux.
Dans toute télangiectasie d’un certain développement , on trouve des
ÉRECTILES (tdmedbs). 735
ou étoilée, quelquefois c’est une véritable lacune. Chacun de ces vais¬
seaux est entouré d’une zone de tissu conjonctif d’autant plus épaisse
que la dilatation est plus prononcée.
Quelques anatomistes y ont vu des î
fibres musculaires et nerveuses. Si ces
cavités s élargissent encore d un de-
gré, que leurs parois se tassent, s’a-
mincissent et s’organisent en tissu fi-
breux, on a sous les yeux un tissu ca-
verneux presque normal (fig. 133).
Arrivée à ce degré, la tumeur caver-
neuse peut subir encore des méta-
morphoses ultérieures, soit par la di-
lalation de plus en plus forte des ca- )
vités et la résorption des cloisons in- .
termédiaires , soit par l’hypertrophie
du tissu fibreux de ces cloisons qui
amène finalement l’oblitération de la
tumeur.
Ces transformations successives s’ob¬
servent facilement sur les angiomes
caverneux du foie, qui sont assez fréquents. Ils se présentent à l’œil nu
IC. 135. — Substance d’une tumeur cavci
neuse de l’orbite en pleine voie de dév-
loppement. (Grossissement : t/300.) •
(Rindfi,eisch, Histologie pathologique.)
mm-t
Fiu. 15i. — Tumeur caverneuse du foie, vue à uii grossissement de 100». — A, Espace caver¬
neux, résultant de la dilatation énorme d’un vaisseau. — B, B, B, Vaisseaux en voie de di-
latalion. — C, G. Vaisseaux capillaires de nouvelle formation. — D, D, Gangue fibreuse qui
entoure les vaisseaux dilatés. — E, Tissu normal du loie.
SOUS forme de petites masses arrondies (lig. 134) qui dépassent rarement
736
ÉRECTILES (tumedrs).
le volume d’une noisette et tranchent par leur couleur violacée sur le
reste de l’organe. Ils ne constituent pas de tumeur à proprement parler,
puisque le néoplasme ne forme pas relief à la surface de l’organe , mais
se substitue au tissu normal. D’après Virchow, l’altération commence par
la formation de nouveaux vaisseaux capillaires entre les cellules hépati¬
ques. Sur notre coupe (fig. 135), on voit effectivement de nombreux lacis
vasculaires dans les parties les moins avancées du néoplasme ; puis cer-
Fig. '135. — Portion de la préparation de la ligure 134, vue à un grossissement plus considé¬
rable (350). — A, Coupes de vaisseaux dilatés et caverneux, en partie vides, en partie rem¬
plies de sang. — B, Vaisseaux capillaires de nouvelle formation autour des parties caver¬
neuses. — C, Membrane interne des espaces caverneux plissée et tomenteuse.— Végétation de
cette membrane interne. — Tissu conjonctif entourant les parties caverneuses.
tains vaisseaux vers le centre des lobules se dilatent en même temps que
leurs parois s’hypertrophient et finalement on trouve, à la place du lo¬
bule hépatique, un tissu caverneux à larges aréoles.
En somme, on peut considérer V angiome caverneux comme un second
degré de l’angiome capillaire simple, et il me paraît probable que toute
tumeur érectile commence primitivement par la forme capillaire et n’ar¬
rive qu’ultérieurement à la forme caverneuse. Il existe d’ailleurs beaucoup
d’états de transition.
L’origine des vaisseaux des tumeurs érectiles est encore un sujet de con¬
troverse. Rokitanskyadmet que les parois des angiomes caverneux et même
les globules sanguins qu’ils renferment sont de nouvelle formation, et qu’ils
existent d’abord sans communication avec les vaisseaux, avec lesquels ils ne
s’aboucheraient que plus tard. D’après 0. Weber, les vaisseaux nouveauxse
forment aux dépens du réseau des corpuscules plasmatiques, dont les ramifi¬
cations se dilatent et reçoivent le sang des artères normales. Pour Fœrster
et Virchow, les capillaires des angiomes résultent d’un bourgeonnement
des vaisseaux normaux. Il se forme d’abord une traînée de tissu de gra¬
nulation qui se canalise plus tard. Enfin Rindfleisch considère les tumeurs
érectiles comme une simple variété des fibromes ; la gangue fibreuse
constitue la néoplasie, les vaisseaux ne sont qu’un épiphénomène. —
737
ÉRECTILES (tumeurs).
Cette dernière opinion est la généralisation d’un cas exceptionnel et ne
peut pas être soutenue, pas plus que celle de Rokitansky. Ce qu’il y a
de certain, c’est que l’altération commence par un bourgeonnement des
capillaires normaux qui font disparaître par atrophie des tissus inter¬
médiaires ; sous ce rapport, on peut parler d’une dégénérescence érectile
des organes.
Les tumeurs érectiles sont tantôt circonscrites et comme enkystées par
une enveloppe fibreuse ; tantôt diffuses, sans ligne de démarcation pré¬
cise. Ces dernières sont en général des angiomes en plein développement
qui envahissent de proche en proche et souvent avec une grande rapidité,
tous les tissus qu’ils rencontrent : muscles , nerfs et jusqu’aux os. Cru-
veilhier a vu tous les muscles du bras transformés en tissu caverneux;
sur une autre pièce, l’os iliaque et le sacrum avaient subi la même dégé¬
nérescence. De mon côté, j’ai opéré deux enfants chez lesquels des an¬
giomes cutanés de la région sous-claviculaire avaient envahi toute l’é¬
paisseur du muscle pectoral dans l’espace de trois à quatre mois.
Mais on voit aussi des angiomes diffus rester indéfiniment station¬
naires sous forme de taches cutanées.
Les angiomes enkystés appartiennent d’ordinaire à la forme caver¬
neuse. La membrane fibreuse qui les entoure est en grande partie de
nouvelle formation. Ces tumeurs peuvent encore augmenter de volume
par la dilatation de leurs aréoles, mais elles n’envahissent plus de nou¬
velles portions de tissu, elles se bornent à les refouler.
Les angiomes caverneux subissent dans certains cas des transforma¬
tions qui amènent une espèce de guérison spontanée. Les aréoles, en se
dilatant et en se confondant les unes avec les autres, finissent par se ré¬
duire à quelques grandes cavités. Au lieu d’une tumeur érectile, l’on a
alors une espèce de kyste communiquant avec les vaisseaux. Les orifices
de communication s’oblitèrent quelquefois à leur tour, et le sang ren¬
fermé dans ces cavités subit les métamorphoses rétrogrades ordinaires.
Ce sont ces cas qui ont conduit Rokitansky à sa théorie de la formation
de tumeurs caverneuses.
D’autres fois, les tumeurs érectiles, à la suite d’applications de caus¬
tiques ou de sétons, se transforment en une foule de petits kystes isolés,
à contenu séreux ou gélatineux. Laboulbène, Cruveilhier, Michel (de
Strasbourg), en ont réuni un certain nombre d’exemples.
Il arrive aussi que les tumeurs caverneuses se remplissent comme des
anévrysmes, de couches défibriné stratifiées.
Un dernier mode de guérison, le plus fréquent de tous, c’est la trans¬
formation fibreuse ; on l’observe à la suite d’inflammations spontanées
ou provoquées par le chirurgien. La couche de tissu connectif, (jui en¬
toure les circonvolutions vasculaires, les étouffe en quelque sorte par
son hypertrophie, et il ne reste plus de la tumeur qu’une masse de tissu
inodulaire.
Telles sont en général la structure et l’anatomie pathologique des tumeurs
érectiles. Il existe cependant quelques formes plus rares, auxquelles il
NOOV. Dior. HÉD. ET CBIB. XIII. — 47
738 ÉRECTILES (tdjibuks).
convient de consacrer des paragraphes spéciaux; ce sont les angiomes
glandulaires et osseux, et surtout l’anévrysme cirsoïde on angiome cir-
soide; enfin les télangiectasies venant compliquer d’autres tumeurs.
La plupart des auteurs distinguent encore les angiomes en artériels,
veineux et capillaires ; mais, quand on recherche la raison de ces classi¬
fications, on voit qu’elle est basée presque uniquement sur les diverses
colorations de ces tumeurs, et nullement sur leur structure intime.
Quand elles se présentent avec une couleur rouge vif, on les déclare ar¬
térielles ; quand, au contraire, la peau qui les recouvre est bleuâtre ou
violacée, on admet qu’elles sont veineuses. Mais j’ai toujours vu, que les
tumeurs les plus bleues, fournissaient par une piqûre un sang tout à fait
rutilant, et que, par conséquent, leur coloration violacée résultait de la
translucidité des téguments qui les recouvrent. Quand les circonvolu¬
tions vasculaires sont placées immédiatement sous un épiderme aminci,
la couleur rouge du sang se transmet sans altération.
On a aussi cru établir le caractère veineux de certaines tumeurs, par
ce fait, qu’elles étaient plus faciles à injecter par les veines que par les
artères. C’est ainsi que Frerichs et d’autres ont affirmé que les tumeurs
caverneuses du foie ne pouvaient pas être remplies par l’artère hépatique.
Mais Virchow a démontré le contraire, et il admet que toutes les tumeurs
érectiles reçoivent leur sang par les artères. Le fait a été vérifié même
pour ces angiomes, dits phlébogènes, siégeant sur les membres le long
du trajet d’une veine et qui communiquent d’ordinaire par des orifices
assez larges avec cette dernière.
A la tête, au contraire, il n’est pas rare de voir les artères du voisinage
dilatées et se dirigeant vers la tumeur; mais celle-ci n’en est pas moins
formée par des capillaires hypertrophiques. Il n’y a de véritablement ar¬
tériels que les angiomes cirsoides, dont tout le monde fait une classe à
part, et que quelques auteurs rangent même parmi les anévrysmes.
Étiologie, siège, marche. — Dans l’immense majorité des cas, les tu¬
meurs érectiles sont congénitales ou débutent dès les premières semaines
après la naissance par une tache cutanée. Deux fois sur trois, la tumeur
se développe sur la tête et de préférence sur la face, au pourtour des ori¬
fices naturels. Virchow attribue cette prédilection, à l’existence des fentes
branchiales, dont ces orifices sont les résidus, et il nomme ces angiomes
tumeurs érectiles fissurales.
Pour ma part, je suis tenté d’expliquer cette fréquence des angiomes
de la tête et le moment de leur apparition, par les violences auxquelles
cette partie du corps est soumise pendant l’accouchement. Si l’on consi¬
dère d’une part que le fœtus se présente le plus souvent par la tête, que
cet organe est soumis pendant l’expulsion à des pressions considérables,
et que, d’autre part, on voit les anévrysmes cirsoides se développer d’une
façon bien évidente à la suite de contusions ou de blessures des artères
céphaliques, on ne sera pas éloigné d’admettre cette origine. Une autre
circonstance qui plaide en sa faveur, c’est que beaucoup d’angiomes,
survenus chez l’adulte, ont succédé à des traumatismes.
ÉRECTILES (tumeurs). 739
La fréquence de l’origine congénitale des tumeurs érectiles est rendue
manifeste par la statistique. Sur 27 malades, affectés de cette maladie, et
opérés par moi-même, 19 ont dû l’être avant l’âge d’un an, et 5 dans la
première année. Quatre autres tumeurs, opérées chez des personnes de
plus de dix ans, dataient également de la naissance. Enfin, un seul cas,
parmi les 27, avait apparu à l’âge adulte. Lebertest arrivé à des résultats
analogues.
Il est plus difficile d’expliquer Vinfluence du sexe sur la production
des tumeurs érectiles, et cependant elle me paraît évidente. Sur mes
27 tumeurs, 23 appartenaient à des personnes du sexe féminin, 2 seu¬
lement à des hommes, et 2 fois le sexe n’a pas été noté. Lebert, sur
53 cas, compte 33 femmes et seulement 20 hommes. Lücke remarque
également la plus grande fréquence des angiomes chez le sexe féminin.
Quant à l’influence de l’hérédité, elle me paraît douteuse, et les his¬
toires de fruits ou d’objets rouges, vus par des femmes enceintes, et qui
se seraient reproduits sur le corps du fœtus, doivent être décidément
reléguées dans le domaine des fables.
La tête, avons-nous dit, est le siège de prédilection des angiomes. Voici
quelques chiffres qui le prouvent. Sur 38 cas de Lebert, où le siège est
indiqué, 23 occupaient la tête. 0. Weber, sur 26 cas, en constate 21 à
la tête et tous à la face, 2 au cou et 3 sur les membres. — Enfin mes
27 cas, représentant 29 tumeurs distinctes, se répartissent de la façon
suivante : 22 siégeaient à la tête, dont 3 sur le cuir chevelu, 1 dans la
glande parotidienne, et 1 dans la glande sous-maxillaire; les 17 autres
étaient à la face. Les 7 cas, siégeant sur le tronc, occupaient 2 fois la ré¬
gion sous-claviculaire, 2 fois la main, 2 fois le dos et 1 fois la cuisse.
A la tête même, le siège le plus fréquent des angiomes sont les lèvres,
les ailes du nez, les paupières et les environs du pavillon de l’oreille.
Un en a vu aussi un certain nombre dans le tissu cellulaire de l’orbite.
Viennent ensuite, par ordre de fréquence, le cou, puis les membres, et
enfin le tronc et les parties génitales.
Quant au siège histologique des angiomes, on peut dire qu’ils débutent
le plus souvent dans la peau. Sur mes 29 tumeurs, 12 s’étaient dévelop¬
pées exclusivement dans la peau, 12 étaient sous-cutanées, mais avec altéra¬
tion plus ou moins étendue de la peau ; enfin 2 occupaient l’épaisseur de
la joue et faisaient saillie du côté de la muqueuse. 11 ne reste donc que
3 cas sans altération du tégument, soit externe, soit interne ; ce sont mes
deux angiomes glandulaires et une petite tumeur caverneuse des environs
de la veine faciale.
Si la peau est incontestablement le point de départ le plus fréquent
des angiomes, on les voit s’étendre consécutivement à tous les tissus.
C’est ainsi que les lèvres, les paupières, etc., peuvent être dégénérées dans
toute leur épaisseur, peau et muqueuse comprises ; ou bien dans une
autre région l’angiome s’étend à travers toutes les parties molles jus¬
qu’aux os. Mais ils naissent aussi quelquefois dans les tissus sous-dei’mi-
ques, quoique ces cas soient plus rares; Le tissu cellulaire graisseux, en
740 ÉRECTILES (tombdrs).
première ligne, puis les muscles et les glandes en grappe, ont été signa¬
lés comme les points de départ de ces produits morbides.
Les organes internes ne sont pas indemnes de ces dégénérescences, et
quoique les angiomes internes ne soient pas accessibles aux moyens chi¬
rurgicaux, et qu’en général ils ne donnent lieu à aucun symptôme mor¬
bide, ils ont un certain intérêt au point de vue de l’anatomie patholo¬
gique. Le foie en est atteint le plus souvent ; sur 1446 autopsies, San-
galli a noté 12 fois des tumeurs caverneuses dans cet organe; on en a
vu aussi très-exceptionnellement dans le rein, la rate, l’utérus et le cer¬
veau. Ces angiomes internes restent en général fort petits, ils dépassent
rarement le volume d’une noix, et ne se rencontrent que chez des adultes,
preuve qu’ils ne sont pas d’origine congénitale.
La marche des tumeurs érectiles est extrêmement variable, et l’on ne
peut rien préjuger à cet égard, avant de les avoir observées pendant un
certain temps. Tel angiome qui se présente au moment de la naissance
comme une petite tache rouge, analogue à une simple piqûre de ^uce,
prendra en quelques semaines un accroissement considérable, tant en
largeur qu’en profondeur ; tel autre restera indéfiniment stationnaire à
l’état de tache cutanée, de nævus maternus proprement dit. D’autres
poussent lentement pendant des années, et finissent par envahir la moitié
de la tête, qu’ils transforment en un masque hideux. Breschet et Bruns
ont figuré des exemples de ce genre.
Certaines tumeurs, après une période d’arrêt plus ou moins longue, se
développent brusquement sous l’influence d’une cause fortuite. Les trau¬
matismes, la grossesse ou même la menstruation sont les causes les plus
fréquentes de ces accroissements subits. .4 de nombreux exemples, cités
par les auteurs, ajoutons-en un qui m’est personnel. Une dame d’une
soixantaine d’années, portait une large tache érectile de la lèvre inférieure
depuis sa naissance. A la suite de deux grossesses, cet angiome, qui n’a¬
vait jamais grandi, s’étendit aux gencives, mais sans causer beaucoup
d’inconvénients. Enfin récemment, pendant une fièvre typhoïde très-
grave, le néoplasme des gencives prit un accroissement considérable, au
point d’ébranler toutes les incisives inférieures, de former des tumeurs
violacées entre les dents et de nécessiter de nombreuses cautérisations.
Follin rapporte un cas presque identique.
Les angiomes capillaires chez les jeunes enfants peuvent cependant
disparaître spontanément sans laisser aucune trace. Vidal en a réuni
quelques observations authentiques, où le seul traitement employé avait
consisté en une légère compression digitale. Depaul (thèse de Laboulbène)
rapporte même que le tiers des enfants, qui naissent à la Maternité, pré¬
sentent des nævi, dont la plupart se dissipent en quelques mois.
Par contre, les tumeurs érectiles en train de se développer, et aban¬
données à elles-mêmes, finissent par détruire totalement le derme ; les
circonvolutions vasculaires restent recouvertes par un épiderme très-
mince, qui se rompt sous la moindre pression. Il survient alors des hé¬
morrhagies de plus en plus graves, qui font périr les malades. D’autres
ÉRECTILES (tumeurs). 741
fois la tumeur s’enflamme, se remplit de caillots et se gangrène, on
subit une fonte purulente. Si le malade résiste aux accidents qui en ré¬
sultent, il est au moins guéri de son affection.
Enfin un dernier mode de terminaison est la transformation kystique
ou fibreuse, que nous avons décrite plus haut. Il reste alors des noyaux
d’induration, faciles à extirper, mais qui peuvent aussi subsister sans
danger ultérieur.
Les angiomes constituent en somme des néoplasmes homœoraorphes,
hyperplasiques, de nature bénigne, en ce sens qu’ils ne repullulent
pas après une extirpation complète. Les récidives qu’on a signalées sont
à mettre sur le compte de petits fragments de la tumeur qui ont échappé
au chirurgien. Même une destruction incomplète suffit souvent pour en ar¬
rêter le développement ou pour en provoquer la métamorphose rétrograde.
On a cherché à utiliser cette propriété pour le traitement. Il peut exis¬
ter, il est vrai, des tumeurs multiples chez le même sujet, surtout aux
extrémités, et Esmarch en a extirpé jusqu’à 54 chez une femme ; mais
cette multiplicité n’est nullement le résultat d’une généralisation. De
même, les angiomes des organes internes ne sont dans aucun rapport
de causalité avec les tumeurs externes, et, à ma connaissance, on n’a
jamais observé d’angiomes périphériques et viscéraux coexistant sur le
même sujet.
Symptômes et dugnostic. — Les angiomes cutanés ou nævi se présentent
sous forme de taches variant depuis le rouge vif jusqu’au violet; quelque¬
fois elles sont un peu élevées au-dessus de la peau, d’autres fois on les
trouve pigmentées ou même garnies de poils. Pendant les cris et les
expirations prolongées, ces nævi se congestionnent davantage, mais on
n’y observe ni pulsations ni bruit de souffle. Sous la pression du doigt,
la tache pâlit pour reprendre presque instantanément sa couleur aussitôt
que le doigt est levé. Le diagnostic se fait facilement à la simple inspec¬
tion.
Pour les angiomes sous-cutanés, les symptômes sont un peu plus com¬
plexes; ils forment des tumeurs circonscrites ou diffuses, selon le cas, et,
d’ordinaire, la peau qui les recouvre est dégénérée dans une certaine
étendue, et trahit la nature du néoplasme sous-jacent. Quand la peau
n’a pas subi elle-même la transformation érectile, elle est au moins
amincie; elle présente une couleur bleuâtre qui a fait admettre à tort la
nature veineuse de ces productions. En en évacuant le sang par com¬
pression, on fait diminuer le volume des tumeurs, et cela d’autant plus
complètement, qu’elles ont une structure caverneuse plus prononcée.
Quand la pression cesse, èlles mettent un certain temps à se remplir de
nouveau. La réductibilité de ces angiomes est, du reste, très-variable
selon l’épaisseur du stroma fibreux et la dilatation des loges caverneuses.
Souvent il reste sous le doigt une certaine masse de tissus qui ne permet
pas au chirurgien de décider s’il a affaire à un angiome simple, ou à un
lipome, ou à un sarcome télangiectasique.
Quand la tumeur érectile siège sur un membre, la compression de
742 ÉRECTILES (ttjmecrs).
l’artère principale fait diminuer le volume de la masse. A la tête ou au
cou, la compression artérielle a moins d’effet à cause des anastomoses; par
contre , tout ce qui entrave la circulation veineuse, la compression des
veines efférentes, une position déclive, ou les efforts d’expiration, aug¬
mentent le volume de la tumeur. Le même effet est produit par une
émotion qui active l’arrivée du sang artériel. Du reste, l’érection des
angiomes se borne, en général, à ces simples phénomènes de turges¬
cences.
A l’exception des anévrysmes cirsoïdes, il est rare de trouver des
angiomes pulsatiles. Ce caractère se produit quand les artères afférentes
dilatées s’ouvrent directement dans des espaces caverneux. On perçoit
alors aussi un bruit de souffle quelquefois très-intense, comme je l’ai
observé dans un cas siégeant sur la paroi thoracique.
Un caractère commun à tous les angiomes, c’est l’absence de douleur
et de gêne fonctionnelle. Cette dernière ne se fait sentir que lorsque la
dégénérescence a complètement détruit les parties envahies.
Le diagnostic de ces angiomes sous-cutanés est en général facile,
grâce à leur position. La couleur de la tumeur, sa réductibilité plus ou
moins complète sous la pression des doigts, sa consistance pâteuse,
suffisent pour en caractériser la nature. Quand, par exception, ils sont
animés de battements, qui siègent sur le trajet d’une artère, et que, de
plus, leur enveloppe cutanée n’a pas changé de couleur, on pourrait les
confondre avec un anévrysme ; mais toutes ces conditions se trouvent
rarement réunies. Cependant, pour les tumeurs pulsatiles de l’orbite, le
diagnostic différentiel est le plus souvent impossible en raison du siège
profond de la lésion. Une erreur plus fréquente c’est de confondre un
sarcome ou un carcinome télangiectasique avec un simple angiome. Mais
ces néoplasmes ont en général une marche plus rapide; ils sont le siège
de douleurs: la peau qui les recouvre est indurée; si, d’ailleurs, ils sont
riches en vaisseaux dilatés, ils ne se laissent guère diminuer par la com¬
pression, et les tissus qui restent sous la main offrent une consistance
plus ferme. Quelquefois on pourrait confondre les angiomes sous-cutanés
avec des lipomes ou des abcès par congestion, mais une ponction explo-
rative lèverait au besoin tous les doutes.
L'erreur la plus grave qu’on ait commise, c’est d’entamer une encépha-
locèle, ou une méningocèle, au lieu d’une tumeur érectile; la mort rapide
du malade en est la conséquence presque inévitable. Cette erreur est
surtout difficile à éviter pour certaines hernies cérébrales de la racine du
nez ou de l’orbite, qui communiquent par un canal étroit avec l’intérieur
de la boîte crânienne, comme Guersant fils en a rapporté un exemple. Si
la tumeur est congénitale, elle diminue légèrement par la compression
sans accidents cérébraux notables; elle gonfle pendant l’expiration, pré¬
sente quelquefois de légères pulsations, et peut avoir une couleur bleuâtre
ou violacée, tous caractères qui sont propres à l’angiome. C’est son siège
qui doit exciter la défiance du chirurgien; il recherchera la trace du
canal osseux, qui livre passage à la hernie cérébrale, et, dans le doute, il
ÉRECTILES (tdmeürs). 745
devra s’abstenir, car la ponction explorative qui pourrait l’éclairer n’est pas
sans danger, même si elle est pratiquée avec un instrument très-fin.
Traitement. — La crainte de l’hémorrhagie, le désir d’éviter des cica¬
trices diiformes, le siège et l’étendue si variables des tumeurs érectiles,
ont fait naître des méthodes de traitement presque innombrables. On peut
les diviser en quatre grandes classes comprenant chacune de nombreux
procédés. Nous allons les exposer rapidement, sauf à en apprécier ensuite
les indications spéciales, selon le siège et l’étendue de l’angiomè.
L Méthodes destinées à détruire la tumeur érectile en totalité. — L’ex¬
tirpation est, de toutes ces méthodes, la plus rapide, la plus sûre au point
de vue de la destruction radicale, et celle qui laisse les cicatrices les
moins apparentes; mais c’est aussi la plus dangereuse sous le rapport
de l’hémorrhagie. Un certain nombre de malades, principalement les
enfants, ont péri pendant l’opération ou immédiatement après. (Bûcherer,
Wardrop, cités par Bruns, loc. cit., p. 142.) C’est pour cette raison que
beaucoup de chirurgiens n’osent pas y recourir malgré ses avantages
incontestables. Il existe cependant différents procédés qui permettent
d’éviter d’une façon presque certaine la perte de sang. D’abord il faut
se rappeler le procédé judicieux de J. L. Petit, et opérer dans les parties
saines, un peu au delà des limites de la tumeur. Si celle-ci est circon¬
scrite, on peut l’énucléer de cette façon, en ne perdant pas plus de sang
que pour toute autre tumeur de même volume.
Une autre règle à suivre, c’est d’opérer ou très-vite ou très-lentement;
on suivra la première voie si l’angiome siège dans des régions où il n’y a
pas d’organes importants à ménager. La tumeur est enlevée par trois ou
quatre coups de bistouri, et l’on applique aussitôt les hémostatiques. Le
plus simple d’entre eux, c’est l’application d’une suture un peu serrée si
les circonstances le permettent. Dans le cas contraire on procède à petits
coups, en liant soigneusement tous les vaisseaux à mesure qu’ils se présen¬
tent. On peut abréger ce procédé en se munissant de pinces presse-artères,
qu’on suspend rapidement aux vaisseaux, qui laissent échapper le sang.
Enfin un autre procédé, que j’ai employé un certain nombre de fois
avec succès, consiste à circonscrire la tumeur entre trois ou quatre
aiguilles à acupressure, qui compriment les vaisseaux afférents. On les
retire après avoir procédé à l’hémostase, ou on les laisse quelques heures
en place. Sur le front ou le cuir chevelu, les vaisseaux nourriciers de la
tumeur peuvent aussi être comprimés entre deux lames de plomb dis¬
posées en croissant.
Grâce à l’emploi de l’un ou l’autre do ces moyens, on peut aborder
l’extirpation de tumeurs érectiles même volumineuses, sans craindre une
hémorrhagie sérieuse. De toute façon il faut ménager avec soin la peau,
et toutes les fois qu’elle se laisse encore soulever en pli , il convient de la
conserver en la disséquant de la tumeur sous-jacente, dût-elle même
même présenter quelques arborisations vasculaires. Dans certains cas
rares, quand la tumeur érectile occupe tout un doigt ou même tout un
membre, comme Cruveilhier et d’autres en rapportent des exemples,
744 ÉRECTILES (tümedrs) .
Textirpation se transforme en amputation ; enfin l’extirpation de certains
angiomes du visage devra être suivie d’autoplastie.
les caustiques ont été appliqués un grand nombre de fuis sur les
tumeurs érectiles dans le but de les détruire sans risque d’hémorrhagie ;
mais ils nécessitent le sacrifice complet de la peau, même lorsqu’elle
n’est pas altérée. Les substances usitées le plus fréquemment sont la
pâte de Vienne ou la potasse, pour la destruction de la peau, et la pâte au
chlorure de zinc, pour celle des parties profondes. On a, d’ailleurs,
employé bien d’autres remèdes qu’il serait oiseux d’énumérer ici. Les
caustiques liquéfiants à la potasse fusent facilement, provoquent toujours
un certain suintement sanguin qui s’arrête, du reste, par l’application
d’une rondelle d’amadou ou de pâte de Canquoin. Le point délicat de
cette méthode, c’est de détruire toutes les parties malades sans attaquer
des tissus sous-jacents importants, comme, par exemple, les os, quand
on opère dans leur voisinage. Si une première application de caustique
est restée incomplète, on le reconnaît à la couleur des bourgeons charnus,
qui sont plus gros, plus violacés, d’apparence fongueuse, et qui saignent
au moindre contact. Il faut alors revenir aux applications de caustiques.
Au lieu de ce procédé, on peut aussi employer les cautérisations de
dedans en dehors au moyen de flèches de pâte au chlorure de zinc, et, de
cette façon, on peut quelquefois ménager une partie de la peau. La
meilleure manière de procéder, c’est de traverser de part en part la
tumeur avec un trocart, dont on remplace la tige par un cylindre de pâte
caustique de dimensions appropriées. En lardant la tumeur à intervalles
convenables, onia détruit du coup. Si l’on craint un action trop éner¬
gique, on peut procéder par séances successives. Cette méthode n’est, du
reste, qu’une application plus large du séton caustique que nous retrou¬
verons plus bas. Je l’ai employée plusieurs fois avec succès, notamment
chez un enfant d’un an portant une tumeur caverneuse cutanée et sous-
cutanée, qui occupait l’apophyse mastoïde, le lobule de l’oreille et toute
la région parotidienne jusqu’au milieu de la mâchoire. La tumeur a pu
être détruite sans aucune perte de sang ; la partie difficile de l’opération,
c’est d’apprécier le volume et le nombre des cylindres qu’il convient
d’introduire.
La ligature s’emploie également pour enlever les tumeurs érectiles sans
perte de sang. Si la tumeur est pédiculée , l’application du lien constric¬
teur est extrêmement simple, sinon il faut passer des aiguilles dans les
tissus sains au-dessous de la masse, pour obtenir un pédicule artificiel.
La constriction doit être assez forte pour gangrener rapidement les
parties dégénérées; à cet effet il est utile de se servir d’un fil de caout¬
chouc d’après le procédé d’Ad. Richard, à moins qu’on n’ait recours à la
ligature extemporanée ou à l’écrasement linéaire. Quand la tumeur a une
base d’implantation large, on la fractionne par des ligatures multiples
d’après le procédé de Rigal (de Gaillac). Pour faciliter l’action des fils, on
peut inciser préalablement la peau saine sur les limites de la dégéné¬
rescence, mais , en tout cas, il faut rejeter la ligature sous-cutanée, qui.
ÉRECTILES (tumeurs). 745
sous prétexte de ménager les téguments, crée sous la peau un foyer de
gangrène extrêmement dangereux.
La galvano-caustie thermique (Middeldorpf, 1854) participe à la fois
aux avantages de la ligature et à ceux de la cautérisation, à condition
qu’on procède assez lentement à la division des tissus, pour éviter l’hé¬
morrhagie. (Foy. Galvano-caustie, t. SU, p. 544.) Elle détrônerait cer¬
tainement presque toutes les autres méthodes, voire même le bistouri,
si les appareils n’étaient si compliqués et si coûteux.
II. Méthodes destinées à modifier la tumeur sans la détruire entière¬
ment. — Ces méthodes, très-nombreuses, ont pour but d’oblitérer les
vaisseaux de la tumeur et d’y provoquer l’une ou l’autre des métamor¬
phoses rétrogrades, que nous avons appris à connaître dans l’anatomie
pathologique. Elles ont l’avantage de produire des lésions peu étendues,
mais elles sont extrêmement incertaines dans leurs effets. A côté de quel¬
ques cas de guérison complète, on compte beaucoup de résultats partiels
ou même d’insuccès absolus. Elles constituent néanmoins une ressource
précieuse pour des angiomes très-étendus en surface qu’il est impossible
de détruire totalement.
Nous comprenons parmi ces méthodes : 1° L’application de teinture
d’iode, employée une seule fois par Bulteel (de Plymouth) pour un nævus
superficiel. Succès après trois mois de badigeonnage ; 2“ les astringents
appliqués sur la peau. Dieffenbach dit avoir guéri des télangiectasies
très-étendues par l’emploi persévérant de solutions d’alun ou d’acétate
de plomb. Broca recommande le percblorure de fer badigeonné sur une
surface dénudée par un vésicatoire. D’après mon expérience, ce procédé
est fort douloureux, mais il réussit pour des taches cutanées superficielles
et ne laisse pas de cicatrice; 5“ la vaccination a donné un assez grand
nombre de succès, mais plutôt en détruisant la tumeur par inflamrnation,
qu’en la modifiant. Aussi laisse-t-elle des cicatrices blanches apparentes.
Pour une petite tumeur, on fera une série d’inoculations à sa périphérie,
de façon à obtenir des pustules confluentes. Si elle est plus volumineuse,
il faut en outre vacciner la peau, qui recouvre la masse. A cet effet, il
sera prudent d’y appliquer un petit vésicatoire, qu’on pansera avec un
linge imbibé de vaccin ; car, en y pratiquant des piqûres, le sang laverait
le virus et détruirait l’effet de l’inoculation. Ou bien on traverse la tu¬
meur par des sétons filiformes, qu’on laisse en place jusqu’à suppuration
du trajet ; puis seulement on les enduit de vaccin, pour faire pénétrer
celui-ci dans l’intérieur du néoplasme. Nélaton a même pris la précau¬
tion de garantir les ouvertures cutanées, au moyen de petites canules
pour faire agir le vaccin sur la partie centrale de la tumeur, et éviter les
cicatrices. Il dit avoir réussi de cette façon .
En somme, la vaccination agit comme la cautérisation, mais elle est
plus incertaine.
4“ Quand les enfants ont déjà été vaccinés, on peut essayer des inocu¬
lations d'huile de croton ou des frictions avec la pommade de tartre stïbié.
5" Les injections sous -cutanées de liquides caustiques ou coagulants
746 ÉRECTILES (tümeoes).
ont été pratiquées en général avec des résultats incomplets ou douteux, quel¬
quefois elles ont causé la mort du malade. Dès les années 1830-40, les
Anglais ont commencé à injecter des substances caustiques dans des tra¬
jets sous-cutanés, créés préalablement au moyen du bistouri ou de l’ai¬
guille à cataracte. On a injecté ainsi de l’acide nitrique (Lloyd, 1828),
de l’ammoniaque (Paget), de l’acide tannique (Walton), de l’alun, du ni¬
trate acide de mercure (Bérard), de l’acide citrique (Pétrequin). Enfin,
depuis l’invention de la seringue de Pravaz, c’est surtout au perchlorure
de fer qu’on a eu recours. Mais les espérances fondées sur cette dernière
substance ont été bientôt déçues. Dans les angiomes capillaires, le li¬
quide pénètre plutôt dans le tissu cellulaire, que dans les vaisseaux et
occasionne des suppurations gangréneuses graves ; dans les angiomes
caverneux, on arrive à la vérité à coaguler le sang, mais les caillots se
redissolvent ou du moins n’arrêtent pas les progrès de la tumeur.
Dans un certain nombre de cas, le liquide, injecté sans précaution, a
même pénétré dans les veines et occasionné des morts subites par embo¬
lie (Stuenson, Kummer in Lücke, loc. cit.).
6° Un procédé plus facile à employer et qui offre moins d’inconvénients,
c’est le séton soit simple, soit caustique. Sur le trajet du séton il se forme
une traînée de tissu cicatriciel, qui cloisonne la tumeur, la capitonne,
et, en multipliant ces traînées, on tâche d’obtenir sa transformation com¬
plète en tissu inodulaire. De toute façon, le séton doit avoir le même vo¬
lume que l’aiguille qui sert à le placer, pour boucher les ouvertures et
s’opposer à l’hémorrhagie. L’insuffisance du séton simple fut bientôt
reconnue, c’est ce qui engagea d’abord Fawdington (1830) à l’enduire
de poudre de Vienne pour augmenter son action. Follin, et apirès lui
Herrgott (de Strasbourg), se sont servis de vermicelles de pâte de Canquoin,
qu’ils placent au moyen d’un trocart. Fawdington a obtenu des guérisons,
mais en complétant l’action du séton par d’autres moyens. Follin et Her-
gott n’annoncent que des succès partiels. De mon côté, j’ai, dans une
série de cas, employé des sétons imbibés de perchlorure de fer. Après avoir
traversé la tumeur en différents sens avec des trocarts fins, je remplis¬
sais la canule avec une mèche de coton, imbibée de solution ferrique et
qui restait en place jusqu’à suppuration abondante; je voulais de cette
façon éviter le danger des injections. La tumeur durcissait d’abord, puis
s’affaissait ; mais, malgré des perforations nombreuses et répétées, je n’ai
pas obtenu une seule guérison complète par ce moyen. Au bout d’un cer¬
tain temps, les parties intermédiaires se développaient et reproduisaient
le volume premier de la tumeur. Je crois qu’il en sera toujours ainsi pour
des angiomes en voie de développement. Si on veut les attaquer par le
séton caustique, il faudra l’appliquer de telle façon que la tumeur soit
détruite en totalité, comme je l’ai indiqué plus haut.
Néanmoins, le procédé du séton est utile dans les angiomes très-éten¬
dus, inaccessibles aux méthodes radicales et qui cependant ont cessé de
grandir.
7“ L’acupuncture (Velpeau, 4830), la galvano-caustie thermique. Yen-
ÉRECTILES (tdmedrs). 747
foncement de clous rougis au feu sont en somme des procédés analogues
au séton et sont passibles des mêmes réserves. Lallemand (1833) a ob¬
tenu une guérison complète en enfonçant jusqu’à 120 épingles à suture
dans une tumeur érectile, et en les entourant de fils en huit de chiffre
pour en augmenter l’action. Néanmoins ce moyen employé par d’au¬
tres a le plus souvent échoué. Nussbaum (de Munich) au lieu d’épingles
fait pénétrer dans la tumeur des clous rougis en grand nombre, et il cite
un certain, nombre de succès. Avec le cautère ou le séton thermo-élec¬
trique, Crussell, Middeldorpf, Sédillot, Nélaton ont produit des effets ana¬
logues ; mais, je le répète, ces moyens ne donnent des résultats complets
qu’à condition d’être appliqués sur un grand nombre de points et de dé¬
truire la tumeur presque totalement.
8“ La galvano-caustie chimique, qu’on nomme à tort électrolyse, a été
également dirigée contre les angiomes. Nélaton et Lücke en ont retiré de
bons effets.
9° Le broiement sous-cutané dans le but de provoquer des brides cica¬
tricielles est très-incertain. L’incision simple, appliquée aux angiomes
des orifices naturels, offre plus d’avantages. Je lui dois la guérison radi¬
cale d’un angiome, occupant toute l’épaisseur d’une aile du nez, que je
ne pouvais exciser sans difformité, et qui avait déjà résisté à des sétons
imbibés de perchlorure de fer. Avec un petit bistouri je dédoublai l’aile
du nez dans toute sa hauteur, en un feuillet cutané et un feuillet muqueux;
un linge imbibé de perchlorure fut glissé dans la fente et maintenu pen¬
dant une heure au moyen d’une pince pïesse-artère, qui comprimait les
deux parois de l’aile du nez. L’enfant guérit radicalement sans aucune dif¬
formité. A la lèvre, un procédé analogue a été employé par Rigaud (de
Strasbourg); il divisa la lèvre selon sa hauteur en trois feuillets.
On a également cherché à arrêter les progrès de tumeurs érectiles en
les circonscrivant par des incisions ; mais ce procédé ne peut réussir que
dans certaines régions déterminées. Lawrence sauva ainsi un doigt envahi
par une tumeur érectile, en incisant circulairement, à la base du doigt,
tous les téguments, à l’exception des tendons et du périoste. Les artères
collatérales durent être liées. Mais dans une autre région, on ne peut ja¬
mais atteindre par une incision circulaire tous les vaisseaux qui alimen¬
tent ces tumeurs.
10° Les excisions partielles et répétées de portions ovalaires ou cunéi¬
formes de la tumeur ont été surtout pratiquées par Dieffenbach (1845).
Il appliqua ce procédé aux angiomes de la face trop étendus pour être en¬
levés en totalité. Les excisions doivent se succéder à cinq ou six semaines
d’intervalle et l’ellipse est placée tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre
pour attirer la peau avoisinante, sans causer des cicatrices difformes. Afin
d’exécuter l’opération sans hémorrhagie dangereuse, le chirurgien de
Berlin saisissait la portion à exciser entre les branches d’une pince à cou¬
lisse, sous laquelle il passait préalablement quelques fils à suture. D’un
coup de bistouri, il abrasaitla partie saisie et serrait aussitôt les nœuds.
Quelques épingles complétaient la réunion et achevaient d’arrêter le sang.
748 ÉRECTILES (tumeurs).
III. Méthodes destinées à suspendre le cours du sang dans la tumeur.
— Elles ont pour but d’atrophier les vaisseaux dont se composent les
tumeurs érectiles, en empêchant le sang d’y arriver; mais, en raison de la
multiplicité des anastomoses et de la vitalité des parois vasculaires dans
les angiomes, ce but est rarement atteint.
1° La ligature temporaire employée par Macferlane (1852) semble de¬
voir rentrer dans cette catégorie, puisqu’il enleva les liens au bout de
vingt-quatre heures ; néanmoins la guérison se fit par gangrène, malgré
la courte durée de la constriction.
2“ La compression a été exercée quelquefois avec avantage chez de très-
jeunes enfants sur des nævi superficiels du crâne ; mais le plus souvent
elle a échoué même dans ces conditions favorables. Ailleurs elle n’a au¬
cune chance de succès.
3“ La ligature des artères afférentes au pourtour de la tumeur semble
extrêmement rationnelle, surtout quand ces artères sont dilatées, et ce¬
pendant ce moyen est resté inefficace entre les mains d’un Dupuytren,
d’un A. Cooper, d’un Warren, etc.
Nous ne mentionnerons qu’en passant la proposition de Malgaigne de
lier les veines efférentes, imitation de la méthode de Brasdor pour les
anévrysmes.
4“ Ligature du tronc artériel principal. — Celte méthode a été presque
exclusivement appliquée sur la carotide pour des tumeurs érectiles de la
tête, très-étendues. Seulement la ligature.de la carotide du côté malade ne
suffit pas, en général, à cause du grand nombre d’anastomoses, et il faut en¬
core lier celle du côté opposé. C’est ainsi que A. Robert etKuhl obtinrent
des guérisons par une double ligature. D’autres chirurgiens ont été moins
heureux. Mussey, après la ligature des deux carotides à douze jours d’in¬
tervalle fut encore obligé d’extirper la tumeur. Bruns a réuni dix cas de
tumeurs cirsoïdes traitées par la ligature de la carotide. La mort survint
deux fois à la suite de l’opération ; dans deux cas il y eut une améliora¬
tion durable ; la tumeur continua à se développer dans les six autres,
parmi lesquels sont comprises les trois opérations de ligature double men¬
tionnées plus haut.
Ce moyen thérapeutique, outre qu’il est fort dangereux, est donc loin
d’être certain ; néanmoins il doit être conservépour les cas extrêmes. Mais
au lieu de lier la carotide primitive, on se bornera à lier la carotide ex¬
terne, à l’exemple de Maisonneuve, de Richet, de Bruns ; par là, on
évitera au moins les accidents cérébraux qui sont l’une des complications
les plus fréquentes et les plus redoutables à la suite de ces opérations.
[ Voy. art. Carotides, t. VI, p. 374.)
Pour les tumeurs pulsatiles de l’orbite, la carotide a été liée assez sou¬
vent avec succès. Demarquay en a réuni un grand nombre de cas dans son
traité; mais comme il est presque impossible de savoir s’il s’agit d’ané¬
vrysmes ou de tumeurs érectiles, nous ne nous y arrêterons pas.
IV. Méthode palliative. — Cette méthode comprend le procédé de ta¬
touage, proposé par Pauli, de Londres, en 1836. Elle n’est applicable
ÉRECTILES (tdmedrs). 749
qu’à de simples taches superficielles, sans élevure de la peau. Encore,
d’après les recherches de Cordier, réussit-elle très-incomplètement dans
les nævi, couleur lie de vin. Il est aussi très-difficile d’obtenir la nuance
convenable. La poudre qu’on inocule est un mélange de vermillon et de
blanc de céruse.
Indications générales sur le choix des méthodes. — Le grand nombre
des méthodes qu’on a pi’oposées et employées avec plus ou moins de
succès, ne permettent pas de poser des règles absolues pour leur emploi.
Le traitement variera nécessairement selon les prédilections particu¬
lières du chirurgien, mais il devra, en tout cas, se régler sur le siège et
l’étendue de la tumeur, et surtout sur sa marche.
Un angiome stationnaire ne constitue qu’une simple difformité qu’on
peut abandonner à elle-même, quand elle n’occupe pas une partie dé¬
couverte, et dont le traitement ne doit pas présenter de danger. — Par
contre, une tumeur érectile envahissante est une affection grave qui com-
jjromet tôt ou tard la vie par des hémorrhagies répétées ; et on ne sau¬
rait employer des moyens trop énergiques pour l’arrêter à temps.
D’ailleurs le traitement ne présente de danger sérieux que dans les an¬
giomes très-étendus qui exigent la ligature d’un tronc artériel ou une
dissection très-étendue. Avant toute autre méthode, on devra essayer les
astringents, qui sont complètement inoffensifs, à moins que la tumeur ne
pousse trop rapidement. Si ce moyen fait défaut et que l’angiome ait son
siège sur le tronc, le plus sûr est de recourir immédiatement à l’une des
méthodes destructives, extirpation, cautérisation ou ligature, suivant
que le cas se prête mieux à l’une ou à l’autre. Au cuir chevelu, où les
cicatrices se cachent facilement, ce sont encore les méthodes destructives
qui sont indiquées. Par contre, la ligature doit y être rejetée, à cause de
la raideur des téguments ; le fil galvano-caustique y serait seul admis¬
sible. Parla cautérisation, on risque de ne pas détruire tout le mal ou
d’agir trop profondément et d’atteindre les os, je ne la conseillerai que
dans les cas où il y a lieu de craindte des communications vasculaires
avec l’intérieur du crâne. D’ailleurs l’extirpation est toujours praticable
au cuir chevelu sans grande hémorrhagie, en raison de la facilité de la
compression, et c’est la méthode qu’on doit préférer.
Au visage, la crainte de cicatrices difformes impose plus de restrictions.
Si la tumeur est assez petite pour permettre la réunion immédiate après
l’extirpation, cette méthode est encore la plus sûre. Dans le cas d’an¬
giome étendu en surface, mais non en profondeur, on aura d’abord recours
à la vaccination si le sujet n’a pas été inoculé, ou bien aux frictions sti-
biées, ou enfin à la cautérisation. Aux lèvres, aux paupières, à l’aile du
nez, l’extirpation avec autoplastie immédiate est la méthode la plus avan¬
tageuse. Si cependant elle était impraticable par la trop grande étendue
de la lésion, il faudrait recourir aux excisions cunéiformes multiples ou
à l’incision avec dédoublement.
Au pavillon de l’oreille, on peut d’ordinaire enlever les angiomes par
dissection en respectant le cartilage qui n’est pas facilement atteint par
750
ÉRECTILES (tümel’rs).
la dégénérescence. J’ai extirpé ainsi plusieurs angiomes de cette région
sans difformité consécutive.
Mais les cas les plus embarrassants sont fournis par ces vastes tumeurs
caverneuses, en même temps cutanées et sous-cutanées , qui occupent
souvent le tiers ou la moitié de la face ; au moyen des excisions multi¬
ples ou avec les cylindres de pâte de Canquoin, passés avec le trocart, on
pourra quelquefois guérir ces tumeurs ou en arrêter le développement,
sinon il ne reste plus d’autre ressource que la ligature des deux carotides
externes ; car la ligature d’un seul de ces vaisseaux reste en général sans
action. Il est du reste rare que les tumeurs érectiles aient ce développe¬
ment fâcheux dès la naissance ; c’est d’ordinaire l’incurie des parents,
mais aussi, il faut l’avouer, la crainte exagérée qu’ont beaucoup de mé¬
decins de toucher à ces productions, qui sont causes de leurs progrès
redoutables.
Il nous reste à parler de certaines variétés de tumeurs qui ne sont plus
des angiomes vrais, tels que nous les avons décrits, mais qui doivent
cependant leur être annexés, parce que l’élément vasculaire prédomine
de beaucoup dans la tumeur. Ce sont en première ligne les anévrysmes
cirsoïdes ou angiomes cirsoïdes, puis les angiomes glandulaires et osseux
et enfin les télangiectasies compliquant d’autres néoplasmes.
Angiomes cirsoïdes. ■ — Les ane'vrysmes cirsoïdes, nommés aussi ané¬
vrysmes racémeux, ou par anastomoses, varices artérielles ou artériecta-
sies, sont des tumeurs formées par une agglomération de petites artères
dilatées jusqu’au volume d’une plume de corbeau ou même d’une plume
d’oie et largement anastomosées les unes avec les autres. Ce sont donc des
angiomes dans la force du terme, mais formés par des vaisseaux visibles
à l’œil nu, au lieu d’être formés par des vaisseaux microscopiques. Ces
tumeurs cirsoïdes se développent presque exclusivement sur l’une des
artères de la tête, surtout sur les branches de la temporale ou de l’occi¬
pitale. Elles sont rarement congénitales, mais surviennent d’ordinaire
chez des adolescents à la suite d’une blessure ou d’une contusion de l’ar¬
tère. Quelquefois c’est un nævus congénital qui dégénère en tumeur cir-
soide vers l’âge de la puberté.
Une fois que la transformation a commencé sur un point, elle s’étend
de proche en proche aux branches artérielles voisines et peut envahir
ainsi toute une moitié de la tête ou même davantage. La dilatation n’oc¬
cupe pas seulement les petites artères, mais aussi les capillaires , ce qui
est prouvé par la facilité avec laquelle la matière à injection arrive dans
les veines ; dans un autre sens, elle gagne la carotide primitive et même
l’aorte. — Les artères malades augmentent de volume et de longueur,
leurs parois s’hypertrophient d’abord, puis elles s’amincissent, se cou¬
vrent de bosselures et décrivent de nombreuses ondulations. L’amincis¬
sement des parois artérielles, qui se voit dans la seconde phase de la ma¬
ladie constitue une différence entre les angiomes cirsoïdes et les angiomes
ordinaires ; il est causé probablement par la diminution de pression, ré¬
sultant de la communication presque directe entre les artères et les vei-
751
ERECTILES (tumeors).
nés. Nous voyons la même cause produire le même effet dans l’anévrysme
artérioso-veineux ou variqueux, qu’il ne faut pas confondre avec les ané¬
vrysmes cirsoïdes. D’un autre côté, la dilatation des artères se rencontre
autour de beaucoup d’angiomes caverneux.
Ces angiomes cirsoïdes se présentent sous forme de tumeurs bosselées,
variqueuses, animées de battements artériels et d’un mouvement d’ex¬
pansion ; ils sont réductibles par la pression et donnent au doigt une
sensation de susurras, en même temps que l’oreille perçoit un bruit de
souffle. On les reconnaît facilement à ces signes , surtout quand la ma¬
ladie a atteint un certain développement. Ces tumeurs grandissent et s’é¬
tendent d’une façon continue; elles amincissent les téguments, atrophient
les os et finissent par donner lieu à des hémorrhagies graves et même
mortelles. On ne connaît que deux exemples de ces tumeurs qui ont dis¬
paru spontanément ; c’est le cas du fameux marquis espagnol vu par Clo-
quet et Orfila et un second de Chevalier.
En présence de cette marche envahissante, le traitement doit être ac¬
tif ; la compression et toutes les méthodes modificatrices réussissent mal;
il faut extirper la tumeur ou lier la carotide externe, sinon la primitive.
La ligature des artères afférentes n’a pas donné de succès et quelquefois
même il en est résulté des hémorrhagies, parce que ces artères dilatées
ne s’oblitèrent pas sous l’influence des fils. Cependant Broca a guéri deux
angiomes cirsoïdes par l’injection de perchlorure de fer; mais, pour ne
pas s’exposer à pousser le liquide dans le tissu cellulaire et n’avoir pas
d’embolie, il mettait les différentes branches artérielles à nu et injectait
le perchlorure dans une portion d’artère, isolée entre deux pinces.
Angiomes glandulaires. — C’est une forme très-rare des tumeurs érec¬
tiles et dont l’anatomie pathologique est encore à faire presque en entier.
Les glandes en grappe et surtout les glandes salivaires, paraissent parti¬
culièrement sujettes à cette dégénérescence, qui commence par une dilata¬
tion des vaisseaux normaux de la glande sans altération du parenchyme
sécrétant. Plus tard, toute la masse glandulaire peut être remplacée par
un tissu caverneux. Sur une petite fille de trois mois, qui portait un an¬
giome capillaire diffus de la lèvre inférieure , il existait en outre une
tumeur sous-cutanée, du volume d’une noix, sous la branche horizontale
du maxillaire inférieur, au-dessous de l’artère faciale. Cette tumeur gon¬
flait par les cris et communiquait une couleur bleuâtre à la peau. Je la
jugeai dénaturé caverneuse et résolus de l’extirper; mais en la mettant
à nu, je constatai qu’elle occupait la glande sous-maxillaire, qu’il fallut
enlever en entier. Il survint quelques accidents de résorption et un abcès
métastatique dans le mollet. Mais la petite malade se rétablit et, au bout
de quelques mois, je la débarassai de l’angiome de la lèvre par une exci¬
sion cunéiforme. Aujourd’hui c'est une belle enfant de cinq ans, qui pré¬
sente des cicatrices à peine perceptibles. La glande sous-maxillaire ex¬
tirpée a l’apparence normale, sauf une coloration rouge plus marquée.
Au microscope, les culs-de-sac glandulaires sont bien développés, avec
des vaisseaux plus apparents que dans l’état sain. En 1 868, à la Clini-
7S2 ÉRECTILES (tumeurs).
que, j’enlevai chez une enfant d’un an, la glande parotide, atteinte d’une
affection analogue. Elle succomba, le quatrième jour, à une hémorrhagie
produite par l’ulcération du tronc temporo-facial mis à nu pendant la dis¬
section.
Dolbeau observa, à la clinique deNélaton, un cas de grenouillette san¬
guine, communiquant avec une tumeur caverneuse du cou, et il cite à
ce propos quatre observations semblables puisées dans différents auteurs.
Virchow rapporte une observation de Gascoyen concernant un angiome
de la parotide et trois autres ayant trait à la glande mammaire. Il s’a¬
gissait chaque fois de jeunes filles de dix-huit à vingt ans, dont la ma¬
melle était transformée en un lacis de veines et d’artères dilatées.
Certaines tumeurs érectiles de l’orbite paraissent se développer dans la
glande lacrymale; enfin on pourrait rapprocher de ces angiomes glandu¬
laires, les goitres anévrysmatiques et les cxcrescences vasculaires de l'u¬
rèthre de la femme, qui sont composés de papilles et de glandules hyper¬
trophiées avec un développement considérable des vaisseaux. Quant aux
tumeurs caverneuses'du foie, des reins, de la rate, elles ont une appa¬
rence toute différente.
Dans l’état actuel de la science, le diagnostic des angiomes glandu¬
laires est très-obséur ; ce sont des tumeurs occupant la place de la glande
et se distinguant des autres néoplasmes par leur réductibilité partielle à
la pression et leur turgescence pendant les cris et l’expiration forcée.
L’âge du sujet, les battements artériels, s’ils existent, la coexistence d’une
tache érectile sont autant de circonstances qui mettent sur la voie du
diagnostic.
Le seul traitement applicable, c’est l’extirpation ; pour la parotide ce¬
pendant, la ligature de la carotide externe serait peut être moins dange¬
reuse et aussi efficace.
Angiomes osseux. — Tandis que les anciens rangeaient sous le nom
de tumeurs fongueuses sanguines ou d’anévrysmes des os, toute espèce
de néoplasmes animés de pulsations, les modernes ont de la tendance à
nier les angiomes vrais du système osseux, et à considérer toutes ces tu¬
meurs comme des carcinomes ou des sarcomes dont les vaisseaux sont
plus dilatés que de coutume. Pour beaucoup des cas anciens, l’existence
d’une gangue carcinomateuse ou sarcomateuse est hors de doute. Dans un
intéressant mémoire sur ce sujet, Richet a cependant réuni sept obser¬
vations de tumeurs vasculaires des os, sans aucun parenchyme apparent.
Elles sont constituées par une poche, creusée dans l’épaisseur de l’os,
ordinairement dans la tête du tibia, et alimentée par une multitude de
petites artérioles périostiques dilatées. La paroi est constituée en partie
par le tissu osseux intact, en partie par le périoste épaissi et revêtu de
couches fibrineuses feuilletées, analogues à celles des anévrysmes. Dans
les rares cas où l’examen microscopique a été pratiqué, on n’a trouvé ni
myéloplaxes, ni cellules conjonctives fusiformes, ni cellules cancéreuses
dans la paroi.
La structure de ces tumeurs ne permet de les classer d’une manière
ÉRECTILES (tdmeürs). 753
certaine ni parmi les anévrysmes ni parmi les tumeurs érectiles. On pour¬
rait supposer que ce sont des tumeurs caverneuses, dont toutes les aréoles
se seraient confondues en une seule loge ; ce qu’on voit quelquefois dans
les parties molles ; ou bien qu’il existait primitivement un néoplasme so¬
lide, qui se serait complétenjent ramolli et résorbé. Mais pour décider la
question, il faudrait avoir l’occasjon d’examiner les tumeurs à leur début.
Quoi qu’il en soit, les caractères cliniques sont les suivants ; la tumeur
commence d’ordinaire par une douleur sourde dans l’os, à la suite d’un
traumatisme. Au bout de plusieurs mois, il se forme une tumeur fluc¬
tuante, légèrement compressible, offrant le plus souvent, mais pas tou¬
jours, des battements isochrones au pouls ; la compression de l’artère
principale fait diminuer la tension de la tumeur. Tous ces symptômes se
rapportent également assez bien aux tumeurs cancéreuses pulsatiles des
os ; seulement, dans ces dernières, la fluctuation est moins générale et
moins évidente; la compression de l’artère produit aussi un effet moins
marqué sur le volume de la tumeur.
Le traitement des tumeurs vasculaires vraies sera la ligature de l’ar¬
tère principale qui à donné deux succès complets à Lallemand et à Roux;
et une guérison incomplète, mais se maintenant depuis six ans,àLagout.
Même dans le doute sur la nature de la tumeur, il faut lier l’artère ; puis¬
que Dupuytren en a retiré un arrêt de la maladie pendant sept ans, dans
un cas où la suite a démontré la nature cancéreuse du mal. Si la lésion
est trop avancée, il faudra recourir à l’amputation; dans le cas deScarpa
la maladie récidiva sur le moignon ; mais, en général, ces tumeurs se
comportent comme des affections bénignes et paraissent susceptibles
d’une guérison définitive.
A côté de ces tumeurs vasculaires des os, dont la nature véritable reste
douteuse, on a cependant observé des angiomes osseux incontestables.
J. Cruveilhier, qui ne les admet pas facilement, rapporte un exemple d’an¬
giomes multiples du périoste de l’os iliaque, qui avaient corrodé profondé¬
ment les os. {Anat.path., 1. 111.) Il cite un autre cas de Verneuil, où tous
les os du bassin, y compris le sacrum, étaient parsemés de tumeurs érec¬
tiles, sur leur face externe et interne. "Virchow en a vu également quel¬
ques cas dans le diploé des os du crâne. Chez une vieille femme, l’un des
pariétaux était transformé presque en entier en une tumeur érectile ca¬
verneuse, formée par de grandes aréoles dont les parois étaient en parties
ossifiées. L’existence d’angiomes osseux ne peut être mise en doute ,
quoique ces tumeurs soient rares et qu’on y comprenne souvent des can¬
cers pulsatiles.
Angiomes compliquant d’autres néoplasmes. — Beaucoup de tumeurs,
notamment les lipomes, les fibromes , les sarcomes et les carcinomes
peuvent présenter un développement télangiectasique tel, que la na¬
ture véritable de la tumeur reste obscure et ne peut être établie
qu’après un examen microscopique approfondi. Le bon clinicien arri¬
vera d’ordinaire à établir le diagnostic au lit même du malade. Nous
avons déjà parlé à différentes reprises des sarcomes et des carcinomes
ÎTÜUV. DICT. MÊD. ET CHIE. XIII, — 48
754 ÉRECTILES (ïumedrs).
télangiectasiques (fongus hématode des anciens) ; quant aux fibromes
vasculaires, on les rencontre surtout à la base du crâne, parmi les polypes
nasaux ou naso-pharyngiens. Certaines de ces tumeurs sont aussi riches
en sang que les véritables angiomes. Il est vrai que, dans l’état normal, la
partie postérieure des cornets est fortement ^scolarisée et quelques au¬
teurs y admettent du tissu érectile. On/fi vu aussi quelques tumeurs fi¬
breuses de la matrice et des polypes du col-être sillonnés de vaisseaux nom¬
breux et fortement dilatés. Là encore le développement considérable des
vaisseaux dans l’état normal offre un terrain favorable à la télangiectasie.
Enfin, la combinaison du lipome avec l’angiome n’a rien de surprenant,
puisque les tumeurs érectiles sous-cutanées ^se développent aux dépens
du tissu graisseux. Le diagnostic différentiel dans ce cas sera souvent
difficile ou impossible ; mais une erreur n’a pas grande importance, puis¬
qu’un même traitement, l’extirpation, convient également aux deux es¬
pèces de tumeur.
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Eugène Bœckel.
ERGOT DE SEIGLE. — histoire haturellb.
755
ERGOT DE SEIGEE. — -Histoire naturelle; origine; nature. —
Pendant les années pluvieuses, quelques-unes des fleurs composant l’épi
du seigle éprouvent une altération particulière : une substance mielleuse,
agglutinant les étamines et le style, apparaît au sommet de l’ovaire et
s’oppose à la fécondation; c’est la
sphacélie (Léveillé); elle ne tarde
pas à prendre l’aspect d’un corps
mou, visqueux, irrégulier, cérébri-
forme , d’un blanc jaunâtre , qui
entraîne à sa partie supérieure l’é¬
piderme velu de l’ovaire ; au-des¬
sous de lui, l’ovaire altéré se réduit
à un point noir. De la sphacélie
naît V ergot proprement dit; c’est
d’abord au-dessous d’elle une sorte
de bourgeon ; en grandissant il la
soulève (fig. 136), et il finit par
prendre, à l’époque de la maturité
du grain, la forme à laquelle il doit
son nom vulgaire (fig. 137).
Mais qu’est-ce que la sphacélie et
qu’est-ce que V ergot? Ces ques¬
tions, longuement débattues parles
botanistes et par les pharmacolo-
gistes (de Gandolle, Guibourt, Fée,
Léveillé) , ont été définitivement
éclaircies par Tulasne.
Si l’on dépose sur la terre bu-
mide Vergot de seigle récemment
récolté, il ne tarde pas à produire
un véritable champignon facile¬
ment reconnaissable à .^on chapeau
sphérique rouge violacé (spliérie),
supporté par un pédicule plu.s ou
moins long. Ce chapeau contient
en grand nombre des conceptacles
renfermant des sporanges, lesquel¬
les émettent des spores agglutinées.
Ce champignon est le Claviceps
purpurea Tulasne (fig. 138). '
L-origine et la nature de Va;jot
sont maintenant faciles à expliquer :
la sphacélie est le résultat de la germination d’une spore de Claviceps
pnrpurea sur la fleur non fécondée qui lui offre un milieu favorable; elle
e substitue à l’ovaire; c’est un premier état du végétal parasite. Vergot
proprement dit, second état de ce végétal, est un mycélium condensé
Fig. 156. — Ergot de seigle grossi. — A, Er¬
got de seigle jeune et frais. — a, Sphacélie.
— b, Ergot proprement dit. — o, Épiderme
velu de l’ovaire soulevé et entraîné par la
sphacélie. — B, Ergot à maturité. — a,
Sphacélie desséchée.
Fig. 137. — Ergot de seigle.
756 EliGOT DE SEIGLE. — histoire maturelle.
{scléroïdé} qui, lorsqu’il se trouve placé clans des conditions convenables,
produit, ainsi que tous les autres mycélium, le champignon parfait apte à
fructifier et à se reproduire.
Description. — L’ergot de seigle, dont nous avons donné ci-dessus la
figure, se présente sous la forme d’un corps brun violet, souvent couvert
d’une légère efflorescence blanchâtre, long de l à 5 et même 5 centimètres,
large de 2 à 4 millimètres, plus ou moins arqué, aminci à ses extrémités.
La sphacélie desséchée est caduque et se rencontre rarement à son som¬
met. Il est obscurément quadrangulaire ou triangulaire, presque tou¬
jours crevassé longitudinalement ou transversalement; cassant, com¬
pacte, homogène et presque corné; l’intérieur, blanc au centre, est d’une
teinte vineuse près de la surface. L’odeur rappelle celle des champignons
desséchés; elle prend celle du poisson pourri lorsque l’ergot reste exposé
à l’air humide; il devient alors la proie d’un sarcopte semblable à celui
du fromage ; la saveur, d’abord peu appréciable, finit par une astriction
désagréable et persistante dans l’arrière-bouche.
Composition, — Les analyses de Vauquelin, de Wiggers, de Manas-
sewitz, etc., n’ont pas mis à découvert le principe actif de l’ergot. Les
données que nous possédons sur ce sujet sont contradictoires et peuvent
être résumées en ces termes :
1“ Une résine inoffensive soluble dans l’éther ; 2° une huile non toxique
obtenue par expression ; 5° une huile obtenue par l’éther, toxique selon
Bonjean, inoffensive selon d’autres chimistes ; 4° l’ergotine de Wiggers,
principe neutre, insoluble dans l’eau et dans l’étber, soluble dans l’al¬
cool; 5" l’ergotine de Manassewitz; 6“ l’ergotine de Bonjean. (E. Gri-
maud.) (Voy. Ergotihe.) L’iode n’y décèle pas d’amidon.
Le champ reste ouvert aux chimistes pour la recherche du véritable
principe actif de l’ergot de seigle. Heureusement, lorsqu’il est conservé
en vases clos à l’état sec, il se montre assez actif par lui-même pour que
la médecine en puisse obtenir des effets thérapeutiques prévus et parfai¬
tement comparables entre eux.
Le Claviceps purpurea peut se développer sur le blé, le riz et beaucoup
d’autres céréales cultivées ou sauvages. L’Ergot du
blé (fig. 139), plus court, plus épais et plus compacte
que l’ergot de seigle, jirofondément crevassé, quel¬
quefois divisé au sommet, a été signalé comme sus¬
ceptible de rendre à l’obstétrique les mêmes services
et de meilleurs que l’ergot de seigle. (Mialhe, Grand-
Clément, Leperdriel.) Nous croyons qu’on pourrait
Kig 139 _ Er»ot employer les deux espèces d’ergot ; mais les médecins
du blé. " préfèrent avec raison le médicament qu’ils ont l’ha¬
bitude de prescrire lorsque celui qu’on prétend lui
substituer n’offre aucun avantage décisif.
Fée, Mémoire sur l’ergot de seigle. Strasbourg, 1845.
Tulasne, Mémoire sur l’ergot des Glumacées [Àim. des sciences naturelles, ô' série, t
1). 1, 1855).
t. XX,
ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques. l-ü
.Mialhe, Note sur l’ergot de blé [Union médicale, 13 juin 1830).
Gbasucléîiest, De l’ergot de blé (Thèse de doctorat. Paris, 1855).
Lepebdbiel, Sur l’ergot de blé (Thèse, 1862).
J. JuANNEL.
Effets physiologiques. — Les seules préparations d’ergot de seigle dont
les effets physiologiques soient très-manifestes ou assez nettement accu¬
sés pour qu’on ait pu les bien apprécier, sont d’une part la poudre d’er¬
got brut, et d’autre part l’ergotine de Bonjean ou extrait aqueux d’ergot.
Les autres dérivés de cette substance, ses principes immédiats, séparés
par l’analyse chimique ou n’ont point été suffisamment expérimentés, ou
ont une action trop incertaine ou trop controversée, pour qu’il y ait lieu
d’en tenir compte dans un ouvrage d'un caractère surtout pratique et qui
doit se borner à enregistrer les données les moins contestables de la science.
Or il résulte des remarques faites par les divers observateurs qui se sont
occupés de ce sujet, que les modifications organiques et fonctionnelles
produites par l’usage de l'ergot brut et de son extrait aqueux sont à peu
près identiques. Nous croyons donc avantageux de réunir dans une même
étude les faits qui concernent ces deux substances, en.ayant soin d’indi¬
quer, le cas échéant, les différences assez légères qu’elles présentent dans
leur action sur l’économie.
Tous les appareils organiques, toutes les fonctions ne sont pas in¬
fluencés au même degré par l’ergot de seigle et l’ergotine de Bonjean ;
l’utérus gravide est de tous les organes celui sur lequel le médicament
manifeste son action de la manière la plus éclatante. Les autres effets
physiologiques produits par ces médicaments et classés dans l’ordre
de leur importance, sont ceux que présentent les organes de la cir¬
culation, puis ceux de l’innervation et enfin de la digestion. Les autres
appareils ou ne sont pas sensiblement modifiés, ou n’ont présenté que
des symptômes trop fugaces et trop inconstants pour qu’on fût en droit
de les rapporter sûrement à l’action de l’ergot. C’est dans l’ordre fonc¬
tionnel exposé ci-dessus qu’il convient d’exposer ses divers effets phy¬
siologiques.
k.Organes de la génération. — Les modifications fonctionnelles produites
dans ces organes par le seigle ergoté se résument presque entièrement
dans l’action que cet agent exerce sur la matrice, dont il a le pouvoir de
surexciter à un haut degré les propriétés contractiles, lorsqu’elle se trouve
placée dans certaines conditions que nous indiquerons bientôt. L’expo.sé
de cette action trouverait naturellement sa place ici, puisqu’elle se ma¬
nifeste pendant l’accouchement le plus naturel, c’est-à-dire dans le cours
d’un état fonctionnel qui, bien qu’exceptionnel et souvent fort pénible,
ne représente pourtant pas encore la maladie. Toutefois les effets phy¬
siologiques de l’ergot sur la matrice se confondant avec son action théra¬
peutique, il nous a paru préférable de ne point scinder la relation des
faits qui concernent cette double influence, et de réunir ces deux or¬
dres de faits dans une même étude dont on trouvera les éléments dans
la partie de cet article qui traite de V emploi obstétrical de l’ergot, p. 762.
758 EfidOT DE SEIGLE. — effets physiologiques.
B. Appareil circulatoire^ — Peu d’expériences rigoureuses etsuivies ont
été entreprises chez l’homme sain, dans le but de constater l’action du
seigle ergoté et de ses dérivés sur l’appareil circulatoire. Aussi est-ce
aux faits thérapeutiques surtout qu’il a fallu demander, relativement à
cette action, des lumières que l'expérimentation directe était impuissante
à donner. Les observations faites par Parola, Trousseau, Beattyel G.Sée
sur l’influence que le seigle ergoté exerce sur le cœur, les recherches si
précises de ce dernier auteur sur les symptômes circulatoires produits
par l’ergoline de Bonjean, tels sont les éléments principaux d’une étude
qui n’est sans doute pas encore complète, mais qui a fourni du moins des
résultats positifs et définitivement acquis à la science. Les travaux de
G. Sée que nous prendrons pour guide et auxquels nous empruntons les
notions qui vont suivre, établissent d’une manière irréfutable que l’action
de l’ergotine, dont les effets sur la circulation ne paraissent pas différer
de ceux que produit l’ergot donné en nature, consiste essentiellement en
phénomènes de ralentissement et de dépression. Sous l’influence d’une
dose suffisante du médicament, le pouls perd une partie de sa force et
de sa fréquence, et son rhythme se modifie. Au reste, pour préciser da¬
vantage cette action, il convient de l’envisager successivement, comme
l’a fait G. Sée, dans les vaisseaux et dans l’organe central de la circula¬
tion.
1 . Vaisseaux. — Vient-on à administrer à un malade, quels qu’en soient
l’âge et le sexe, une potion additionnée de 2 à 4 grammes de seigle er¬
goté ou de 2 grammes d’ergotine de Bonjean, à prendre par cuillerées à
soupe toutes les deux heures : on voit promptement survenir des change¬
ments notables dans l’état du pouls.
Le plus remarquable consiste dans un ralentissement qui varie de 10
à 56 pulsations, mais qui peut être plus considérable encore si le pouls
présentait une grande fréquence au début de l’expérience; 64 pulsations
représentent la limite extrême de ce ralentissement dans les expériences
de Sée. Ces effets sont constants. Ils se produisent dès les premières prises
du médicament et se maintiennent tout le temps qu’on en continue l’u¬
sage, pour cesser ensuite et laisser le pouls reveniràsonchiffreprimitif. Le
ralentissement augmente à mesure qu’on élève la dose du médicament,
mais ne dépasse pas une certaine limite au delà de laquelle on peut ac¬
croître la quantité d’ergotine sans réduire davantage le nombre des pul¬
sations cardiaques.
Le pouls, modifié dans sa fréquence par l’action de Tergotine ou du
seigle ergoté, l’est également dans son rhythme par le même agent. C’est
un fait que les expériences de G. Sée ont également mis en lumière. Chez
deux femmes atteintes d’alfections du cœur et offrant un pouls fort irré¬
gulier, cet observateur a vu la circulation se r.égulariser, chez la première
dix heures, et chez la seconde trente heures après le début du traitement.
Ce résultat s’est maintenu pendant plusieurs jours bien qu’on eût sus¬
pendu l’usage du seigle.
Dans deux autres expériences, un effet inverse s’est produit, c’est-à-
ERGOT DE SEIGLE. -- effets phïsiologiqües. 759
dire que le pouls primitivement régulier est devenu irrégulier et inégal
après l’emploi de l’ergotine ; mais, suivant la remarque deSée, il s’agis¬
sait de femmes nerveuses et indociles, et l’effet produit paraît devoir être
attribué à l’agitation des malades bien plutôt qu’au médicament.
Enfin, la résistance du pouls paraît influencée aussi sûrement que sa
fréquence et sonrhythme par l’action de l’ergotine. Quelles que soient, au
début du traitement, la force et la résistance des battements artériels,
on voit celles-ci s’affaiblir au bout d’un temps assez court (moins de
vingt-quatre heures), et,;le pouls devenir souple, mou et quelquefois dé-
pressible. Ce changement a paru plus prononcé chez les malades dont les
pulsations artérielles étaient fortes et développées au commencement de
l’expérience, et n’a fait défaut que chez un seul sujet dont le pouls, pri¬
mitivement normal, n’a subi aucune modification dans sa force malgré
l’usage continué pendant plusieurs jours d’une certaine dose d’crgotine.
Pour résumer ce qui est relatif aux modifications du pouls, nous di¬
rons donc avec G. Sée, que l’extrait aqueux de seigle ergoté produit con¬
stamment: 1° un ralentissement considérable mais passager delà circula¬
tion ; 2“ une régularisation durable et manifeste du pouls ; 5“ la perte
complété de sa force et de sa résistance.
■ 2. Cœur. — La connaissance des modifications éprouvées par la circula¬
tion artérielle et celle des rapports étroits et nécessaires qui unissent le
pouls et le cœur devaient faire préjuger l’influence exercée sur ce dernier
organe par l’ergot de seigle et son extrait aqueux. Ce sont encore les ex¬
périences de Sée qui ont fourni les données que la science possède sur
ce sujet, et c’est surtout au moyen de l’ergotine de Bonjean que ces ex¬
périences ont été faites. Elles ont appris que, chez les malades soumis à
l’usage de cette substance, les battements cardiaques deviennent prompte¬
ment moins fréquents, plus faibles qu’ils n’étaient d’abord, et que, s’ils
étaient irréguliers jusque-là, ils ne tardent pas à prendre de la régula¬
rité. Ces changements n’ont jamais fait défaut dans les cas où le cœur
était sain ; une affection organique a laissé subsister le même résultat,
tandis que les modifications fonctionnelles de l’organe dues soit à l’état
du sang (souffle anémique), soit à l’action nerveuse (palpitations), n’ont
pas paru sensiblement influencées par l’usage de l’ergotine. En résumé
donc cette substance agit sur le cœur comme sur le pouls, c’est-à-dire
en ralentissant, en régularisant ses pulsations et en diminuant leur force.
Outre l’influence exercée par l'ergot de seigle et par son extrait sur le
cœur, et qui se traduit par une diminution de l’action de cet organe
d'impulsion du sang, la même substance n’agirait- elle pas aus.si sur le ré¬
seau capillaire sanguin, appareil richement pourvu de fibres muscu¬
laires lisses et dont elle déterminerait une contraction prolongée, de
manière à réduire dans une mesure variable, mais qui peut être considé¬
rable, la quantité de sang qui le traverse dans un temps donné? N’est-ce
pas à une action de ce genre, plus encore qu’à l’affaiblissement des con¬
tractions cardiaques, que sont dus les phénomènes de refroidissement et
de gangrène des extrémités observés chez les individus qui, comme nous
760 ERGOT DE SEIGLE. — effets phïsiologiques.
Ifi dirons dans un instant, font habituellement usage d’un pain fortement
mélangé d’ergot? Cette action n’a pas encore été directement constatée,
que je sache; mais elle est probable et généralement admise. Brown-
Séquard la regarde comme tout à fait incontestable pour les centres ner¬
veux, et en parle comme d’un fait démontré. « L’ergot, dit-il, produit
une contraction des vaisseaux sanguins de la moelle épinière et de ses
membranes et par conséquent diminue la quantité de sang qui circule
dans ces organes. » (Brown-Séquard.)
C. Centres nerveux. — Les symptômes nerveux notés par divers au¬
teurs chez des sujets ayant pris une dose suffisante d’ergot de seigle;
ceux produits par l’ergotine de Bonjean chez les malades observés par
Sée sont à peu près les mêmes. Ce sont des engourdissements, des dou¬
leurs dans les membres, des crampes avec ou sans contractures, de la
faiblesse des membres inférieurs et de l’indécision dans la marche. Ces
phénomènes se sont accompagnés plusieurs fois d’insomnie, de vertiges
et d’une céphalalgie sus-orbitaire plus ou moins pénible, dans un cas
d’une dilatation légère des pupilles avec conservation de leur mobilité et
de la vision, et enfin quelquefois d’une somnolence due plus spécialement
au seigle ergoté et qui se manifeste, suivant Trousseau, après 'des coli¬
ques violentes ou des vertiges intenses. D’après l’observation de Sée ces
symptômes sont loin de présenter le caractère de constance et de régula¬
rité propre aux phénomènes circulatoires que nous venons de faire con¬
naître. Les hommes forts et vigoureux en ont été exempts. C’est seule¬
ment chez les malades débilités par une hémorrhagie, chez les sujets
irritables et nerveux qu’ils se sont manifestés. Le concours d’une prédis¬
position semble donc nécessaire à leur production. Leur apparition a
toujours été passagère, irrégulière, et comme chez plusieurs de ces ma¬
lades des accidents semblables existaient avant tout traitement, on peut
dans ces cas, conserver des doutes sur la cause réelle des troubles ner¬
veux et se demander s’ils ne sont pas dus au tempérament ou à lamaladie
du sujet plutôt qu’au médicament. Ce qui est certain, c’est que ces phé¬
nomènes ont été complètement indépendants des changements survenus
dans la circulation ; car ils ont manqué dans un grand nombre de cas,
et quand ils se sont déclarés, c’était toujours à une époque différente de
celle où apparaissaient les troubles circulatoires.
D. Organes digestifs. — Une constipation opiniâtre a été le seul symp¬
tôme saillant noté par G. Sée du côté des organes digestifs chez les sujets
soumis à l’action de l’ergotine. Comme il a été observé chez tous les ma¬
lades indistinctement, on ne peut douter qu'il soit bien réellement dû à
l’action du médicament. On n’a point jusqu’ici signalé la constipation
chez les malades qui, au lieu d’ergotine, ont pris de l’ergot brut, mais
on observe fréquemment chez eux des nausées et des vomissements, ainsi
qu’il est facile de s’en assurer chez les femmes en couches ou accouchées
qui font usage d’ergot. L’ergotine au contraire ne produit pas ces derniers
troubles digestifs.
La respiration, la calorification et les sécrétions ne paraissent point in-
ERGOT DE SEIGLE. — effets piiïsiologiqiies. 761
fluencées par l’ergot de seigle ou ses dérivés ; du moins l’observation n’a
pas jusqu’ici saisi de modifications évidentes du côté de ces différentes
fonctions.
Comme on a pu le remarquer, l’ergot de seigle et l’ergotine présentent,
dans leur action physiologique, dos analogies nombreuses et quelques
différences qu’il nous paraît utile de résumer brièvement ; nous les re¬
trouverons d’ailleurs dans leur action thérapeutique. Les analogies sont
évidentes et étroites, et une connaissance plus complète des effets phy¬
siologiques de ces deux substances révélera sans doute un jour une plus
grande uniformité d’action que celte qu’on connaît actuellement. Nous
savoirs dès aujourd’hui que l’ergot et son extrait aqueux modifient de la
même manière les organes circulatoires, le système nerveux et la con¬
tractilité utérine, mais qu’ils n’exercent pas une influence égale sur ces di¬
verses fonctions ; que tandis que l’ergot brut agit plus puissamment que
l’ergotine sur les contractions de la matrice et le système nerveux, les
effets produits sur le cœur par cette dernière substance sont plus consi¬
dérables ; qu’ enfin l’action de chacun d’eux sur le tube digestif diffère
sensiblement, puisque le seigle ergoté détermine fréquemment des nausées
et des vomissements, tandis que l’ergotine donne lieu à de la constipa¬
tion.
Si nous cherchons maintenant à nous rendre compte du mécanisme
des effets physiologiques divers produits par ces deux médicaments, nous
devrons admettre, dans l’accomplissement de ces phénomènes, l’inter¬
médiaire obligé du système nerveux, sur lequel se porte en premier lieu
l’action de ces deux substances. Que l’ergot de seigle fasse contracter
l’utérus gravide, modifie la circulation sanguine, excite des vomissements
ou détermine de la constipation, le système nerveux intervient tout d’a¬
bord dans la genèse de ces divers phénomènes, aussi bien que dans la
production des symptômes nerveux proprement dits ; il nous paraît
moins conforme aux lois de la physiologie de rapporter ces modifications
fonctionnelles à une influence directe exercée sur ces différents appareils
par le sang modifié dans sa composition par les principes solubles du
médicament, ainsi que Sée incline à l’admettre. Envisagé de cette ma¬
nière, qui nous paraît la seule vraie, le mode d’action du seigle ergoté
rentre donc dans la théorie générale de l’action des médicaments internes
et des poisons, et cette explication de leur action physiologique devra
être invoquée encore à propos de leurs propriétés thérapeutiques.
Emploi thérapeutique de l’ergot et de l’ergotise. — L’emploi ration¬
nel de l’ergot et de l’ergotine de Bonjean en médecine peut se déduire de
l’influence que ces substances exercent sur l’organisme humain dans l’é¬
tat de santé. Elles trouvent donc leur application légitime dans les états
morbides où le fonctionnement de certains appareils organiques a besoin
d’être modifié dans le sens des effets physiologiques produits par l’ergot
ou du moins de quelipies-uns d’entre eux. C’est, par conséquent, dans les
cas où il est nécessaire de réveiller l’action contractile de la matrice et
celle des vaisseaux capillaires de certains organes, dans ceux aussi où il
762 ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques.
importe de diminuer la force des contractions cardiaques, qu’il est indi¬
qué de recourir à ces substances, et comme d’un autre côté l’utilité
d’un médicament se mesure assez ordinairement à l’intensité de son ac¬
tion physiologique, c’est en définitive comme excitant des contractions
utérines que nous verrons l’ergot de seigle acquérir son plus haut degré
d’importance et rendre à la thérapeutique les services les moins contes¬
tables. Étudions donc chacun des cas où, d’une manière rationnelle ou
empirique, on donne le seigle ergoté en médecine, et commençons par
celui qui domine tous les autres par son importance, à savoir, l’inertie
utérine.
A. De l’ergot considébé comme excitakt des contractions de la matrice.
Usage obstétrical. — Envisagé comme excitant des contractions utérines,
l’ergot est un de ces médicaments dont l’usage populaire et empirique a
précédé l’emploi raisonné et médical. Bien avant d’être parvenue à la
connaissance des médecins, son action sous ce rapport était connue, pa¬
raît-il, des matrones de certaines contrées de l’Europe et de l’Amérique,
qui l’employaient fréquemment dans les accouchements laborieux. Je
tiens de source certaine que, de nos jours encore, les femmes des campa¬
gnes usent et souvent abusent du seigle ergoté, dans les départements
du centre de la France, instruites peut-être par la tradition, mais peut-
être aussi par les sages-femmes qui leur auraient fait connaître les pro¬
priétés de celte substance. Quoi qu’il en soit de ce point d’historique, si¬
gnalées surtout vers la fin du siècle dernier par Desgranges, de Lyon,
qui tenait cette connaissance des matrones, et par Stearns, de New-York,
les propriétés excitatrices de l’ergot n’ont été étudiées d’une manière
vraiment scientifique que par Olivier Prescott, dont le mémoire important
fut lu à la Société médicale des Massachussets, en 1814. Dans cette étude
très-complète, Prescott met hors de doute la réalité de l’influence exci¬
tatrice que l’ergot exerce sur la contractilité de la matrice, apprécie la
promptitude et la durée de son action, et signale les indications de l’em¬
ploi de cette substance. Les résultats du médecin américain ont été de¬
puis confirmés par les observations de ses confrères d’Europe, et malgré
les insuccès et le jugement défavorable de Chaussier et de M™ Lacha¬
pelle, malgré les défiances ou les proscriptions formelles de quelques
praticiens plus modernes, l’ergot de seigle est considéré aujourd’hui par
la généralité des accoucheurs comme un agent thérapeutique de la plus
grande utilité, que sa puissance range parmi les médicaments dits hé¬
roïques, et sans lequel il n’y a et il ne saurait y avoir de bonne pratique
obstétricale.
L’excitation fonctionnelle déterminée par l’ergot de seigle ne se fait
bien sentir que sur la matrice de la femme adulte, et encore faut-il que
cet organe se trouve dans certaines conditions déterminées hors desquelles
l’action du médicament est faible ou nulle. L’utérus, en effet, doit avoir
été préalablement modifié dans sa structure et ses propriétés vitales par
la présence d’un produit de conception, par celle d’un corps étranger,
polype, sang, mucosités, qui en a développé et agrandi la cavité. Il faut
ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques. 765
que la couche musculaire qui forme ses parois ait subi un certain degré
d’hypertrophie, qu’un développement plus considérable de ses vaisseaux
et une circulation sanguine plus active soient venues en accroître la vita¬
lité, pour que l’organe se prête convenablement à l’action du médicament
et puisse en ressentir pleinement les effets. Ces conditions se trouvant
réalisées au plus haut degré dans l’accouchement qui s’effectue au terme
normal de la grossesse, c’est à ce moment aussi qu'on voit se manifester
dans toute sa plénitude l’action du seigle ergoté sur l’organe utérin. En
effet, lorsqu’une dose suffisante de cette substance (50 à 60 centigrammes)
a été administrée à une femme en travail d’accouchement, on constate
bientôt que les contractions de la matrice acquièrent plus de force et de
durée. En même temps leur type physiologique se modifie. Dans les con¬
ditions normales, un intervalle plus ou moins long de repos ou d’inertie
de l’organe alterne avec son effort expulsif ; chez les femmes qui ont pris
de l’ergot, il n’en est plus de même, la matrice reste contractée d’une
manière continue sur le corps qu’elle renferme, et à cette contraction con¬
tinue et habituellement indolore, se surajoute périodiquement un effort
plus puissant, douloureux, mais temporaire ; d’intermittente qu’elle est
naturellement, la contraction utérine est devenue rémittente.
Toutes les parties de la matrice paraissent ressentir également les
effets de l’ergot; toutes se contractent sous son influence et ne pré¬
sentent, dans la puissance de leur effort, d’autres différences que celles
qui tiennent au développement musculaire inégal des diverses parties
de l’organe.
Cette action du seigle ergoté se manifeste assez promptement : dix à
vingt minutes après l’ingestion du médicament, d’après Prescott, les con¬
tractions de la matrice présentent déjà un surcroît manifeste de force et
de durée. C’est aussi ce qu’ont observé tous ceux qui, depuis le médecin
américain, ont fait usa^e de l’ergot de seigle pendant le travail. La durée
de cette action présente de notables différences ; suivant le même obser¬
vateur, elle varierait de une demi-heure à une heure et demie, et une
heure représente sa durée moyenne. Au bout de ce temps elle s’affaiblit,
et les contractions se succèdent d’après le type qu’elles présentaient
avant l’emploi du médicament. Au reste la durée, de même que l’inten¬
sité de la contraction ergotée, paraît proportionnée à la quantité ingérée
du médicament et aussi à sa qualité, et il est jusqu’à un certain point
au pouvoir de l’accoucheur d’en régler les effets utiles par un choix judi¬
cieux des doses et du moment de l’administration.
Ces propriétés, si apparentes dans le cours d’un accouchement à terme,
se manifestent également dans les autres périodes de la puerpéralité. On
les voit se manifester de la façon la plus nette après la délivrance et
aussi dans l’avortement qui survient dans la première moitié de la gesta¬
tion ; seulement, dans ce dernier cas, le phénomène, tout en conservant
son caractère d’évidence, est moins fortement accentué, à cause de l’évo¬
lution moins avancée du tissu musculaire. Pour cette même raison en¬
core, verra-t-on la contraction utérine sollicitée par l’usage de l’ergot,
764
ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques.
moins forte dan.s le cas où, au lieu d’un fœtus à terme, la matrice ne
renferme qu’un caillot sanguin.
Les forces contractiles de la matrice, surexcitées par l’action du seigle
ergoté, peuvent-elles acquérir un degré de puissance tel qu’elles déter¬
minent la rupture des parois de l’organe, si un obstacle mécanique in¬
surmontable (rétrécissement du bassin, présentation vicieuse de l’enfant)
s’oppose absolument à la prompte déplétion de la matrice? On Ta dit,
mais le fait est douteux, du moins tout à fait exceptionnel. Comme Jac-
quemier l’a fait remarquer avec raison, la rupture spontanée de la matrice
est un fait très-rare malgré l’abus si fréquent de l’ergot de seigle, et les
cas dans lesquels on l’a vu se produire après l’emploi du médicament
s'expliquent moins par l’excès d’action de l’utérus seul que par l’exis¬
tence de certaines altérations de structure ; fibrome, cicatrices anciennes,
ramollissement aigu, etc., ayant pour effet d’affaiblir la résistance na¬
turelle de ses parois. Même accident s’observe, .en effet, dans des cas de
prolongation insolite du travail, et alors que l’accouchée n’a pris aucune
dose de seigle. Aucun fait, croyons-nous, ne prouve aujourd’hui que ce
médicament, alors même qu’il a été administré d’une façon intempestive
et à très-forte dose, puisse causer une rupture brusque et en quelque
sorte traumatique des parois de la matrice, si l’on suppose que celles-ci
présentent une épaisseur et une structure entièrement physiologiques.
En définitive, accroissement de la force et modification du rhythme des
contractions de la matrice développée par la grossesse ou par un corps
étranger, tel est le résumé de l’action positive, certaine, de l’ergot de
seigle sur l’organe gestateur. Cette action, d’après les recherches de Bon-
jean, paraît appartenir également à son extrait aqueux. Toutefois l’usage
a prévalu jusqu’ici de préférer à ce dernier, chez les femmes en couches,
l’ergot donné en nature, et le besoin d’assurer les effets de cet agent nous ■
paraît en effet justifier cette préférence.
Une dernière question relative à l’action physiologique du seigle ergoté
sur l’utérus gravide, et qui n’a pas moins d’importance au point de vue
thérapeutique, est la suivante : l’ergot, qui accroît d’une façon si con¬
stante et si sûre l’énergie des contractions de la matrice, quand celles-ci
sont survenues spontanément ou ont été provoquées par une cause acci¬
dentelle, a-t-il également le pouvoir défaire naître ces contractions dans
un utérus inerte jusque-là ? Est-il un médicament abortif? Cette question
ne paraît pas avoir été suffisamment résolue par l’observation, et les
opinions sont divisées sur ce point. Paul Dubois avait conclu de premiè¬
res expériences à l’impuissance de l’ergot à mettre enjeu la contractilité
de l’utérus et lui refusait dès lors toute propriété abortive. L’opinion de
ce professeur parut se modifier par la suite, car, dans un travail subsé¬
quent, il se montre moins affirmatif et semble croire que, dans cer¬
taines conditions, l’ergot peut vraiment faire contracter une matrice
inerte jusque-là. Cette dernière opinion est aussi celle du professeur
Grenser, qui pense que l’ergot fera naître d’autant plus sûrement des
contractions dans Tutérus gravide que la grossesse est plus avancée, et
ERGOT DE SE[GLE. — effets physiologiques.
765
qui dès lors est d’avis que ce médicament doit prendre rang parmi les
agents thérapeutiques capables de provoquer l’accouchement. Ce qui pa¬
raît conforme à la vérité sur ce point, c’est que l’action abortive du sei¬
gle ergoté, si elle est réelle, est du moins trop faible et trop infidèle
pour qu’on songe à l’utiliser dans la provocation de l’accouchement, en
présence surtout des méthodes si efficaces que l’art possède aujourd’hui
pour obtenir ce résultat.
Indications. — La propriété si bien démontrée de l’ergot de seigle de
surexciter la contractilité utérine, fait pressentir de suite dans quelles cir¬
constances on devra recourir à cet agent. C’est toutes les fois que, soit
pendant le travail, soit après l’accouchement, il deviendra nécessaire
d’accroître la force des contractions de la matrice ; par conséquent l’i¬
nertie utérine simple pendant le travail, l’inertie utérine avec hémorrha¬
gie après l’accouchement, indiquent formellement l’usage du seigle. Ou¬
tre ces deux indications capitales, il en est d’autres moins importantes
peut-être, mais où l’utilité du médicament n’est pourtant pas contes¬
table; je veux parler de l’accouchement dans la présentation du siège,
de la délivrance artificielle, des hémorrhagies pendant la grossesse ou le
travail, de la rétention de caillots ou des annexes du fœtus après l’accou¬
chement, etc... Nous exposerons avec quelque détail ces diverses in¬
dications de l’emploi obstétrical du seigle ergoté.
A. Pendant le travail. — a. Inertie utérine. — Il importe tout d’a¬
bord de rappeler que l’inertie utérine dont il est ici question n’est pas
cette faiblesse des contractions de la matrice symptomatique d’états pa¬
thologiques divers ; faiblesse générale parvenue à un assez haut degré
pour réagir sur les organes musculaires, distension exagérée de l’utérus,
réplétion douloureuse de la vessie, etc... qui entraveni, restreignent l’ac¬
tion contractile de l’organe gestateur et dont le traitement rationnel con¬
siste à combattre directement les causes qui l’ont produite; qu’il ne
s’agit pas non plus de l’inertie consécutive ou par épuisement, qui suc¬
cède aux efforts prolongés et nécessairement infructueux de l’organe lut¬
tant contre un obstacle mécanique insurmontable. A cette seconde forme
d’inertie, on ne peut opposer utilement qu’une opération chirurgicale
dont le choix se déduit de la nature même de l’obstacle, rétrécissement
pelvien, présentation vicieuse de l’enfant, etc... L’inertie utérine qui se
prête à l’emploi de l’ergot de seigle est cette inertie primitive, essentielle,
qui paraît tenir à une indolence naturelle ou à un défaut d’excitabilité de
la matrice et qui représente la forme de beaucoup la plus commune sous
laquelle nous voyons apparaître la faiblesse des contractions expulsives.
Dans cette forme d’inertie, la poudre d’ergot peut être utilement admi¬
nistrée aux femmes en travail, mais à certaines conditions qu’il convient
tout d’abord de préciser. Il faut en effet :
i ’ Que le col de l’utérus soit entièrement dilaté. — Les faits n’ont pas
encore appris ce qu’on peut attendre du seigle ergoté administré dans la
période de dilatation du col utérin et avant que celle-ci soit fort avancée
ou complète. Desgranges, Haslam et Joulin émettent l’avis qu’on peut y
766
ERGOT ÜE SEIGLE.
rHYSIOLOGlQDES.
recourir dès ce moment, mais n’appuient pas leur opinion sur des obser¬
vations positives. Comme à la rigueur il se pourrait que le segment infé¬
rieur de l’utérus, en participant à la suractivité fonctionnelle de tout
l’organe déterminée par le médicament, pût se resserrer ou tout au moins
cesser de s’ouvrir et retarder ainsi la progression de la partie fœtale, il
est, je crois, préférable de s’abstenir d’administrer l’ergot jusqu’à ce que
la dilatation du col se soit complétée.
2“ Que les membranes soient rompues. — La rupture naturelle ou ar¬
tificielle des membranes ayant babituellement pour effet de réveiller la
puissance des forces expulsives et d’imprimer une accélération à la mar¬
che du travail, on devra, avant d’administrer le seigle ergoté, attendre
que cette évacuation de la poche des eaux ait eu lieu depuis un certain
temps et s’être assuré qu’elle est impuissante à faire cesser l’inertie uté¬
rine.
5“ Que les voies génitales présentent une conformation régulière ou
du moins des dimensions suffisantes pour laisser passer l’enfant. —
Tout obstacle mécanique dépendant soit des os, soit des parties molles
qui entrent dans la structure du conduit vulvo-utérin, comme rétrécisse¬
ment du bassin, tumeur intra-pelvienne, rigidité pathologiquedu col, etc...
et capable d’empêcher le passage de l’enfant, exclue l’emploi de l’ergot
de seigle. Un rétréci.ssement modéré des voies génitales ne contre-indique
pourtant pas absolument l’usage de ce médicament. Nous devrons bientôt
d’ailleurs revenir sur ce sujet.
4° Que la présentation du fœtus admette une terminaison spontanée de
r accouchement. — Les diverses présentations de l’enfant étant dans ce
cas, sauf celle du tronc, cette dernière est la seule qui contre-indique l’em¬
ploi de l’ergot, du moins si l’on suppose un accouchement à terme, un
enfant vivant et d’un volume ordinaire. On conçoit en effet que l’accou¬
chement d’un fœtus abortif, c’est-à-dire très-petit, ou d’un enfant à terme
mais mort et macéré, en permettant l’expulsion spontanée du produit
malgré son attitude vicieuse, autoriserait l’administration du seigle dans
la présentation du tronc tout aussi bien que dans celle du crâne ou du
siège, si les centrations utérines manquaient de force pour l’opérer.
Ainsi donc, en résumé, conformation régulière des voies génitales,
présentation convenable de l’enfant, dilatation complète du col et rupture
des m.embranes, telles sont les conditions qui permettent l’usage de l’er¬
got de seigle dans l’inertie essentielle de la matrice.
C’est sous forme de poudre préparée au moment d’en faire usage qu’on
est dans l’habitude d’administrer le médicament. On en compose des
doses de 50 à 60 centigrammes qu’on fait prendre délayées dans un
quart de verre d’eau sucrée. Stoltz administre aussi l’ergot dans du vin,
avec addition d’un peu de canelle comme adjuvant et comme moyen de
le faire supporter plus facilement par l’estomac. On peut donner de la
sorte trois ou quatre doses à dix minutes ou un quart d'heure d’inter¬
valle, soit environ 2 grammes, dans l’espace d’une heure, et si le seigle
est de bonne qualité, l’inertie utérine simple et qu’il n’existe pas de
ERGOT DE SEIGLE. — effets piiïsjolügiqües. 767
disproportion entre le fœtus et le canal qu’il doit parcourir, on verra
bientôt, comme nous l’avons déjà dit, les efforts expulsifs devenir plus
puissants et l’accouchement se terminer spontanément.
Mais le seigle ergoté, qui jouit bien évidemment du pouvoir d’accélérer
les phénomènes mécaniques du travail, peut avoir des dangers pour
l’enfant si l’on omet certaines précautions destinées à les prévenir. On
n’a point oublié ce que nous avons dit plus haut des modilications que le
médicament imprime à la contraction utérine. Celle-ci devient continue
et en quelque sorte tétanique. La paroi de la matrice reste étroitement
appliquée sur l’enfant et comprime son cordon en même temps que la
réduction du calibre de ses vaisseaux restreint la circulation utérine et
par conséquent l’apport des principes gazeux nécessaires à la respiration
du fœtus. Sous l’influence de cette double action, les rapports fœto-ma¬
ternels sont troublés puis suspendus, et la vie de l’enfant peut être assez
promptement compromise.il n’est pas impossible non plus que, comme le
pensent les accoucheurs anglais, l’ergot exerce une action toxique sur le
fœtus. Dès l’année 1835 Blariau, de Gand , avait reconnu qu’un cin¬
quième des femmes qui ont fait usage d’ergot pendant le travail accou¬
chent d’enfants morts. Il avait en conséquence signalé ces dangers et,
sans proscrire entièrement l’usage d’un médicament héroïque, engageait
les praticiens à en restreindre l’usage aux cas d’absolue nécessité. Ces
résultats confirmés depuis à Paris par les recherches de Deville ont con¬
duit plusieurs médecins à repousser l’usage du seigle pendant le travail,
et, il faut l’avouer, cette conclusion serait légitime si les inconvénients
que nous signalons étaient inévitables. Mais heureusement il est possible
de les éviter au moyen d’une surveillance active exercée sur la circula¬
tion fœtale après l’administration du seigle ergoté. En effet, la mort de
l’enfant produite par cette cause est toujours précédée d’un état de souf¬
france que révèlent très-sûrement des troubles circulatoires que l’oreille
perçoit aisément et que nous n’avons pas à rappeler ici. On devra donc,
après avoir donné le médicament, ne point quitter la femme, s’assurer
de la régularité des battements cardiaques fœtaux et se tenir prêt à ex¬
traire l’enfant avec la main ou le forceps, s’il paraissait menacé. Grâce à
cette active surveillance, les dangers de mort du fœtus peuvent être écar¬
tés, et l’agent oxytocique conserve tous ses avantages.
La faiblesse des contractions utérines, fréquente dans le cours d’un
accouchement à terme, est habituelle dans l’avortement des quatre pre¬
miers mois de la grossesse, période dans laquelle l’organisation muscu¬
laire de l’organe est encore fort incomplète. Aussi voit-on presque tou¬
jours l’expulsion d’un produit abortif retardée par cette inertie autant au
moins que par la résistance que la compacité du tissu du col oppose
à la dilatation de l’orifice utérin. Or l’observation attentive des faits
démontre avec la dernière évidence que, dès trois mois de grossesse,
l’administration de l’ergot a le pouvoir d’accroître la force des contrac¬
tions de la matrice et de hâter le décollement total de Tœuf et son pas¬
sage dans le vagin. Il nous paraît donc incontestable qu’au point de vue
768 ERGOT DE SEIGLE. — iîI'Fets physiologiques.
de l’expulsion du produit aussi bien qu’à celui de la suspension de l’hé¬
morrhagie qui accompagne la fausse couche, l’usage du seigle ergoté
présente des avantages réels et qu’on aurait tort de se priver d’un moyen
précieux de mettre un terme aux inquiétudes que la fausse couche cause
toujours aux femmes et à leur entourage. Les m.odes d’administration et
doses sont ceux que nous venons de rappeler; mais si une complication
hémorrhagique ne force point à y recourir plus tôt, il nous semble utile
d’attendre, pour donner le médicament, que le col ait subi un certain
degré de ramollisseinent et que son canal, devenu perméable, soit déjà
occupé par l’extrémité la plus déclive de l’œuf, qui s’opposerait à un
retrait consécutif de cette partie de l’organe.
Alors même que les contractions de la matrice présentent une force
et une fréquence physiologiques, certaines circonstances relatées ci-après
peuvent encore indiquer l’emploi du seigle ergoté pendant le travail. Ce
sont :
a. Un rétrécissement modéré du bassin. — Lorsqu’on effet on a pu, au
moyen d’une mensuration rigoureuse, s’assurer que l’angustie pelvienne
ne s’abaisse pas au-dessous de 9 centimètres et dès lors est de nature à
permettre un accouchement spontané, on est autorisé, croyons-nous, si
celui-ci larde à se terminer, à donner 1 ou 2 grammes de poudre d’ergot
à la parturiente avant d’opérer l’exlraction de l’enfant. Les forces uté¬
rines, surexcitées par le médicament, réussiront souvent dans ce cas à
accélérer la déformation passagère et l’engagement de la tête, et dispen¬
seront de l’intervention chirurgicale. Mais on comprend qu’en pareille
circonstance il soit plus urgent encore que lorsque le bassin est régu¬
lièrement conformé de s’assurer de l’existence d’une présentation favo¬
rable de l’enfant, qui devrait être celle du sommet, et de se conformer au
précepte donné plus haut de surveiller l’état de l’enfant et d’intervenir si
sa circulation se troublait, ou même, celle-ci restant d’ailleurs régulière,
si au bout d’une heure la tête restait arrêtée par la coarctation du
bassin.
b. Présentation du siège. — Le retard apporté assez souvent par la
résistance des parties maternelles dans l’expulsion de la moitié sus-om¬
bilicale du corps fœtal peut devenir en quelques instants une cause de
mort pour l’enfant qui s’est offert dans cette présentation. Le dégagement
manuel, auquel il faut alors forcément recourir, n’est pas non plus pour
lui sans dangers, et, pour l’en garantir, il est utile d’administrer 1 ou
2 grammes de seigle à la femme au moment où le siège de l’enfant est
parvenu sur le plancher du bassin. On accroît par là l’énergie des con¬
tractions utérines et on les met à même d’opérer rapidement l’expulsion
du tronc et de la tête ou du moins de ne laisser au chirurgien que la
mission de dégager cette dernière. Nous avons complètement adopté,
pour notre part, cette pratique que depuis longtemps l’enseignement de
Depaul et celui du professeur Grenser ont consacrée.
c. Hémorrhagies puerpérales. — La cause habituelle des hémorrhagies
graves qui compliquent l’accouchement pendant les derniers mois de la
ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques.
grossesse réside dans une insertion vicieuse du placenta, et le tamponne¬
ment du vagin constitue le seul traitement vraiment efficace de ces pertes.
Mais en même temps qu’à l’aide de ce moyen héroïque on s’oppose à
l’écoulement du sang, il est utile de prévenir son accumulation à l’inté¬
rieur delà matrice, accumulation possible si, après l’issue des eaux de
l’amnios, l’inertie de l’organe laisse subsister entre ses parois et l’enfant
des espaces plus ou moins vastes dans lesquels le liquide sanguin peut
s’épancher. Le seigle ergoté, en remédiant à cette inertie et déterminant
une application plus exacte de l’utérus sur le produit, peut prévenir la
formation d’un épanchement intra-utérin et trouve dès lors, dans le cas
spécial dont il est ici question, une indication rationnelle de son emploi.
L’hémorrhagie qui accompagne l’avortement, si elle est abondante,
requiert le même traitement que la précédente. L’observation démontre
que, dans bon nombre de cas, l’administration de 2 à 4 grammes de
seigle ergoté a le pouvoir de suspendre, seule et sans le concours du
tampon, des pertes assez fortes liées à une fausse couche de deux à quatre
mois de grossesse. Aussi les accoucheurs sont-ils d’accord pour recourir
en pareil cas à l’usage de ce médicament.
d. Prophylaxie des hémorrhagies qui se produisent pendant ou après
la délivrance. — Outre les indications précédentes, dans lesquelles l’ad¬
ministration de l’ergot est indiquée par une circonstance actuelle du tra¬
vail, ce médicament peut être utilement donné encore, pendant le tra¬
vail, pour prévenir des accidents dont on redoute l’apparition à sa suite.
Telle est surtout l’hémorrhagie par inertie utérine après l’accouchement.
On ne saurait trop le répéter, l’hémorrhagie qui suit l’accouchement est
un accident qu’on peut prévenir, mais qu’on ne guérit guère. L’écoule¬
ment du sang, dans cette circonstance, est toujours si subit et parfois
tellement abondant qu’avant même qu’on s’en soit aperçu la femme peut
être tuée ou plongée dans une anémie dont les suites sont irrémédiables.
11 est donc du devoir du médecin de prévenir un accident aussi redouta¬
ble par les moyens qui peuvent lui être utilement opposés et surtout par
l’emploi de l’ergot de seigle donné à dose modérée pendant la seconde
période du travail, non pas qu’il faille appliquer cette pratique à toutes
les femmes, mais seulement à celles chez qui l’imminence d’une perte
peut être soupçonnée. Or, parmi les conditions qui doivent faire redouter
une hémorrhagie après l’accouchement, il en est trois que l’on rencontre
assez souvent. C’est en premier lieu une prédisposition spéciale à l’inertie
utérine, une idiosyncrasie funeste, par suite de laquelle une femme a
perdu abondamment à la suite de toutes ses touches antérieures. L’indi¬
cation se déduit dans ce cas de la connaissance des antécédents dont
l’accoucheur doit toujours s’enquérir.
C’est en second lieu l’accouchement gémellaire. Les femmes qui
accouchent de plusieurs enfants sont exposées à perdre d’une façon dan¬
gereuse à la suite de leur couche, ce dont rendent facilement compte,
d’une part la fatigue utérine causée par un accouchement double et
l’inertie qui en est fréquemment la conséquence, et d’autre part la multi-
NOUT. DICT. HÉB. ET CHIE. XIII. — 49
770
ERGOT DE SEIGLE. — effets peysiologiqües.
plicité des sources d’hémorrhagie ouvertes par le décollement d’un vaste
gâteau placentaire.
A ces deux circonstances pronostiques on peut en ajouter une troi¬
sième, l’infiltration des membres inférieurs, que l’œdème soit lié ou non
à l’albuminurie. Des faits trop saisissants nous ont démontré l’exacti¬
tude des observations de Blot sur le danger que courent les femmes
infiltrées pour que, dans ce dernier cas comme dans les deux précédents,
nous omettions d’administrer 60 centigrammes de poudre d’ergot lorsque
la tête de l’enfant a franchi l’orifice utérin. Cette dose d’ailleurs est suffi¬
sante pour amener un retrait salutaire de la matrice après la sortie de
l’enfant, et ne saurait déterminer une contraction énergique et durable
capable de gêner sérieusement la délivrance.
B. Après l’ accouchement. — e. Hémorrhagies utérines après l’accou¬
chement. — C’est encore dans le but de prévenir l’hémorrhagie qui ap¬
paraît assez souvent dans cette circonstance que les accoucheurs de l’é¬
cole de P. Dubois font prendre, aus.sitôt après la délivrance, un gramme
de seigle ergoté aux femmes chez lesquelles la promptitude extrême de
l’accouchement naturel ou l’extraction de l’enfant a causé une déplétion
rapide de la matrice. La stupeur et l’inertie de la matrice qui suivent dans
quelques cas l’emploi du forceps ou la version et les dangers d’hémor¬
rhagie qui se lient à cette condition fonctionnelle suffisent en effet pour
justifier cette indication.
Les mêm.es motifs, c’est-à-dire la crainte fondée des hémorrhagies qui
se montrent fréquemment à la suite de cette opération, ont inspiré la
conduite de P. Dubois, qui, au moment d’introduire la main dans la ma¬
trice pour opérer le décollement d’un délivre adhérent, administre un
gramme de poudre d’ergot à l’opérée. Une rétraction forte se produit
bientôt et prévient toute perte de sang dangereuse.
Si le seigle ergoté peut être utilement administré soit pendant, soit
après le travail dans le but de prévenir une hémorrhagie imminente, à
plus forte raison est-il indiqué de recourir à cet agent pour remédier aux
pertes qui surviennent chez les femmes récemment accouchées. Cette in¬
dication de l’emploi de l’ergot dans la pratique - obstétricale est certai¬
nement la plus formelle et la moins contestée. L’ergot donné à une femme
qui perd du sang après être accouchée peut avoir de grands avantages
et ne présente jamais d’inconvénients. Malheureusement la promptitude
et l’abondance habituelles des pertes qui suivent immédiatement la déli¬
vrance permettront assez rarement au seigle d’intervenir utilement dans
un accident qui, en quelques instants, s’est accompli puis arrêté. Si
donc, dans ces hémorrhagies subites, on est dans l’habitude de prescrire
l’ergot de seigle en même temps qu’on met en œuvre les autres moyens
de traitement, c’est moins pour remédier à la perte actuelle, qui le plus
souvent s’est spontanément suspendue au bout de quelques instants,
qu’en vue de prévenir une hémorrhagie semblable qui pourrait suivre
promptement la première. Dans ce cas encore, le seigle ergoté est ern-
})loyé plutôt à litre préventif qu’autrement. Mais dans les hémorrhagies
ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques. 77d
post-puerpérales à marche plus lente qui se manifestent sous forme de
lochies sanglantes abondantes, l’ergot est un modérateur très-précieux
du suintement sanguin, et il est nécessaire, lorsque cette disposition hé¬
morrhagique se remarque chez une accouchée, de prescrire un gramme
de poudre d’ergot à prendre immédiatement, et de laisser entre les mains
d’une garde intelligente pareille dose de médicament qu’elle fera prendre
si elle voit persister l’abondance des lochies.
Des hémorrhagies se produisent quelquefois plusieurs jours, une se¬
maine ou plus encore après l’accouchement, sans avoir été précédées
d’aucun symptôme qui pût la faire prévoir. Ces hémorrhagies peuvent à
la vérité dépendre d’une inertie utérine tardive, mais le plus souvent la
perte qui survient alors est le résultat d’une congestion suivie de rupture
vasculaire, et dont la cause réside dans un écart de régime, un lever
prématuré, ou bien encore dans la présence d’un corps étranger dans la
matrice, tel qu’une portion des annexes ou un caillot datant de l’accou¬
chement et retenu par le resserrement des orifices du col. Dans ce der¬
nier cas, après l’extraction des corps étrangers, l’administration d’une
certaine dose de seigle ergoté (50 centigrammes à 1 gramme) est indi¬
quée aussi bien que lorsque la perte est causée par inertie.
f. Caillots volumineux de la matrice. — Les caillots sanguins dont il
vient d’être parlé et qui causent des métrorrhagies tardives plus ou moins
fortes se forment quelquefois en assez grande abondance, de manière à
distendre la matrice et à lui conserver un volume considérable après
l’accouchement. Leur présence sollicite des contractions douloureuses,
des tranchées pénibles, qui persistent jusqu’au moment où l’organe est
parvenu à se débarrasser de cette masse de sang coagulé. Dans cette
forme d’hémorrhagie interne, si l’accouchement est récent et le volume
des caillots considérable, l’indication est positive, il faut introduire la
main dans l’utérus et en retirer cette masse concrète. Si au contraire
celle-ci est médiocre ou faible, si surtout un ou plusieurs jours se sont
écoulés depuis l’accouchenient, il est préférable de s’abstenir d’une ma¬
nœuvre douloureuse et qui peut troubler les phénomènes de réparation
de la plaie utérine, et de commettre l’élimination des caillots aux efforts
utérins dont on cherche à accroître la puissance par l’emploi du seigle
ergoté. On prescrit des doses de seigle ergoté de 30 à 40 centigrammes,
à prendre dans un peu d’eau sucrée, toutes les deux heures, et on con¬
tinue l’usage du médicament jusqu’à ce que l’utérus se soit débarrassé de
son contenu sanguin.
g. Tranchées utérines. — C’est, suivant toute probabilité, en déter¬
minant l’expulsion de caillots sanguins assez petits pour ne point accroî¬
tre sensiblement le volume de la matrice et se révéler par des signes
physiques évidents, mais suffisants pour donner lieu à des tranchées opi¬
niâtres, que l’ergot calme celles-ci et, pour ce motif, a pu être proposé
comme un moyen de traitement efficace de ces contractions doulou¬
reuses. Mais on doit croire (pie dans une autre catégorie de faits dans
lesquels la contraction douloureuse de la matrice ne se lie pas à la pré-
772 ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques.
sence d’un corps étranger dans sa cavité, mais semble être une conti¬
nuation pure et simple des efforts de l’accouchement, l’efficacité de l’er¬
got tient à un autre mécanisme. Le médicament changerait le mode de
la contraction utérine, qui abandonnerait son type intermittent et dou¬
loureux (contractilité proprement dite ou contractilité organique), pour
revêtir le type continu et indolore (rétractilité ou contractilité de tissu).
h. Rétention prolongée des annexes du fœtus dans la matrice. — La
rétention du délivre dans la matrice, quelle qu’en soit la cause, à la suite
d’un accouchement à terme, et lorsque l’occlusion du col en rend l’extrac¬
tion impossible, indique-t-elle l’emploi de l’ergot de seigle? Doit-on es¬
pérer, en surexcitant par cet agent la contractilité de la matrice, amener
cet organe à se débarrasser plus promptement du corps qu’il renferme
et prévenir ainsi les conséquences fâcheuses de la putréfaction du délivre
dans les voies génitales ? L’opinion des hommes compétents est loin d’étre
uniforme sur ce point de pratique obstétricale. Quelques-uns n’hésitent
pas à administrer du seigle ergoté en pareil cas, espérant par ce moyen
voir sortir plus tôt le délivre. D’autres s’abstiennent de donner la sub¬
stance oxytocique, redoutant d’accroître par là les résistances du col. Ces
dissidences témoignent de l’insuffisance de l’observation sur ce point im¬
portant de pratique, et en réalité les faits de rétention du délivre après
l’accouchement consignés jusqu’ici sont trop peu nombreux pour qu’on
puisse en déduire une règle de conduite d’une certaine valeur. En ce
qui nous concerne, nous doutons que les phénomènes d’expulsion en
soient accélérées, l’occlusion plus puissante de la portion cervicale de
l’utérus pouvant contre-balancer l’accroissement de force des contractions
du corps et du fond de l’organe. Nous conseillerions donc volontiers
l’abstention du médicament dans tous les cas où la totalité du délivre
encore renfermé dans la cavité utérine ne donne lieu à aucun accident.
Mais on devrait se départir de cette inaction si une portion du placenta
avait déjà franchi le col et en quelque sorte préparé la voie pour la sortie
du reste de la masse placentaire. L’administration du médicament à ce
moment nous semble présenter vraiment des avantages, et nous y recou-
lerions sans hésitation. Cette conduite obtiendrait, croyons-nous, l’adhé¬
sion de la majorité des praticiens.
Mais si le .seigle ergoté n’est qu’exceptionnellement utile au point de
vue de l’expulsion du délivre, ce médicament peut rendre des services
et trouver une indication rationnelle dans les accidents qui compliquent
cette rétention. L’hémorrhagie est en effet, de l’avis de tous les prati¬
ciens, un motif de s’éloigner de la réserve que, d’une manière générale,
nous croyons devoir conseiller dans les cas de rétention du délivre, et de
prescrire le seigle ergoté sans préjudice du tamponnement que la persis¬
tance ou l’abondance de l’hémorrhagie fait un devoir d'appliquer sans
retard.
i. Prophylaxie des phlegmasies puerpérales. — La connaissance des
accidents inflammatoires auxquelles sont sujettes les plaies dites exposées
a conduit J. Guérin à faire jouer un rôle important au contact de l’air
ERGOT DE SEIGLE. — effets puysiologiqdes. 77.j
extérieur sur la plaie de la matrice dans la genèse des phlébites et des
lymphangites utérines qui se développent chez les femmes récemment
accouchées, et à faire rentrer dès lors l’étiologie de la fièvre puerpérale
dans la doctrine générale dont il s’est constitué l’habile défenseur.
Dans l’opinion de J. Guérin , opinion très-explicitement formulée et
développée par ce médecin dans la discussion à laquelle il a pris part, en
1858, au sein de l’Académie de médecine , l’inertie de l’utérus, en per¬
mettant l'accès de l’air extérieur jusque dans la cavité utérine après l’ac¬
couchement , serait la cause première des accidents puerpéraux ; et
d’autre part une rétraction régulière de l’organe, qui a pour effet de
s’opposer à la pénétration de l’atmosphère dans cette même cavité et de
placer la plaie utérine dans les conditions d’une plaie sous-cutanée, pré¬
viendrait ces mêmes accidents. Le seigle ergoté, en procurant une con¬
traction forte et prolongée de la matrice, serait donc appelé à jouer un
rôle important dans la prophylaxie des maladies puerpérales, et on devrait
l’administrer dans cette intention pendant les jours qui suivent l’accou¬
chement.
La doctrine de J. Guérin, envisagée comme explication générale des ac¬
cidents puerpéraux, est sans doute erronée, car le développement de ces
accidents tient certainement à d’autres conditions que celles indiquées
par ce médecin. Il n’est pas impossible toutefois que l’état de mollesse
et de flaccidité de l’utérus, après l’accouchement, puisse favoriser l’ab¬
sorption par la plaie utérine de produits étrangers, absorption qu’une
rétraction plus forte des parois utérines aurait le pouvoir d’empêcher, en
même temps qu’elle favoriserait l’adhésion des orifices veineux laissés à
nu par le décollement placentaire.
L’usage de l’ergot après la délivrance pourrait donc présenter des avan¬
tages au point de vue de la prophylaxie de certains états morbides puer¬
péraux, sinon de la fièvre puerpérale elle-même. Nous pensons en consé¬
quence qu’il y a lieu de soumettre au contrôle de l’expérimentation et sur
une vaste échelle celte donnée de médecine préventive. Cet essai, d’ail¬
leurs absolument inoffensif ponr les accouchées, a déjà été tenté par de
Saint-Germain à l’hôpital Cochin, et les résultats obtenus par ce chirur¬
gien sur un grand nombre de femmes lui ont paru confirmatifs de l’uti¬
lité du seigle ergoté comme agent prophylactique des affections puerpé¬
rales. 60 centigrammes ou un gramme d’ergot, donnés en vingt-quatre
heures, paraissent suffire pour déterminer l’état de contraction soutenue
qu’il importe de maintenir pendant les quatre ou cinq jours qui suivent
l’accouchement.
II. Emploi de l’ekgot et de l’eugotine dans le traitement des maladies
INTERNES. — Usage médical. — Le seigle ergoté, comme la plupart des mé¬
dicaments doués d’une réelle puissance, a vu promptement étendre ses
applications thérapeutiques au traitement de nombreuses maladies. A
peine ses propriétés excitatrices si remarquables delà contractilité utérine
furent-elles connues que nombre de médecins crurent y trouver aussi un
remède efficace contre divers états morbides et l’employèrent dans les
774 ERGOT DE SEIGLE, — effets phtsiologiqübs.
cas les plus variés. On l’a tour à tour préconisé et administré dans les
affections suivantes.
Hémoiîrhagies. — Les résultats obtenus d’abord contre ce genre d’affec¬
tions par Bonjean furent si avantageux, l’efficacité de l’ergotine lui parut
tellement constante qu’il n’hésita pas à croire qu’il eût découvert dans
cette substance V agent hémostatique par excellence , ce sont les expres¬
sions dont il se sert pour désigner l’objet de sa découverte.
Ayant administré l’ergotine dans tous les cas d’hémorrbagie, quels qu’en
fussent la cause et le siège , Bonjean vit presque toujours survenir avec
rapidité la cessation de l’écoulement sanguin. Ces résultats favorables ne
se sont malheureusement pas reproduits entre les mains des expérimen¬
tateurs qui, dans la suite, ont fait usage de l’ergotine, et une expérience
ultérieure a fait voir qu’on devait beaucoup rabattre des espérances que
les premiers essais avaient fait concevoir. Il a été démontré par les expé¬
riences très-précises de Sée et Piédagnel que l’ergotine , tout en restant
un médicament utile contre certaines hémorrhagies , avait une action
douteuse ou nulle contre plusieurs d’entre elles et ne produisait dans les
autres qu’une modification passagère de l’écoulement sanguin ou même
restait sans effets. Du reste, pour mieux apprécier le degré d’utilité de
l’ergotine et de l’ergot contre cet ordre de lésions, étudions l’influence
que le siège spécial et la forme de l’hémorrhagie paraissent exercer sur
l’action de ces médicaments.
a. Hémorrhagies utérines non-puerpérales. — La richesse vasculaire
de la matrice, son activité fonctionnelle pendant la période moyenne de
la vie de la femme, la fréquence des lésions dont elle est le siège ou qui
atteignent les organes voisins auxquels l’utérus se trouve lié par des rap¬
ports circulatoires étroits ou une solidarité physiologique incontestable,
expliquent cette prédisposition si puissante aux hémorrhagies qui lui est
particulière et qu'on ne retrouve portée au même degré dans aucune
autre partie de l'organisme de la femme. Or l’efficacité si évidente dont
jouit le seigle ergoté contre les hémorrhagies utérines puerpérales devait
faire présumer que le même agent pourrait également maîtriser celles
dont, en dehors de la puerpéralité, l’organe utérin peut être le siège.
Aussi voyons- nous dès le principe des observateurs de mérite faire l’essai
de ce médicament dans les diverses espèces de métrorrhagie. Mais les
résultats de ces tentatives n’ont pas toujours justifié les espérances qu’on
avait conçues, car Ollivier Prescott, l’auteur d’une des premières et des
plus importantes études que nous possédions sur l’ergot, déclare formel¬
lement que les utérus non modifiés par l’imprégnation (unimpregnated)
ne sont nullement affectés par l’ergot de seigle. Cette opinion a été adoptée
par Mandeville, Villeneuve et Goupil , qui ont écrit après le médecin
américain. Pourtant, dans le temps même où ces auteurs publiaient le
résultat de leurs recherches, d’autres expérimentateurs étaient arrivés,
par l'observation de faits cliniques , à une opinion toute différente
et affirmaient la puissance antiménorrhagique du seigle ergoté. Nous
citerons ici les noms de Gliapmann, Péronnier, puis ceux de Cabini,
775
ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiques.
Pignacca et Sparjani , médecins italiens dont les remarques ont été plei¬
nement confirmées par des expériences plus précises et plus étendues
faites par Trousseau et Maisonneuve, et qui établissent d’une manière
convaincante que la puissance hémostatique du seigle ergoté , dans les
métrorrhagies, quelle qu’en soit- la cause, est évidente et ne saurait être
révoquée en doute.
Dans tous les faits observés par Trousseau et Maisonneuve, Tergot a
été administré en nature, à dose variable de 50 centigrammes à 1 ou
2 grammes et plusieurs fois par jour, de manière à faire absorber en
vingt-quatre heures 5 à 4 grammes de médicament. Cette dose fut conti¬
nuée pendant plusieurs jours de suite chez quelques malades, sans qu’il en
soit résulté pour eux d’inconvénients. La plupart des variétés demétror-
rhagie non-puerpérale ont figuré dans ces cas, depuis les simples épistaxis
utérines jusqu’aux pertes graves symptomatiques d’une affection cancé¬
reuse du col, et toujours l’écoulement sanguin s’est trouvé avantageuse-
sement modifié.
« Dans aucun cas, dit Trousseau, l’hémorrhagie ne s’est montrée re¬
belle à l’action de l’ergot de seigle , quel qu'ait été, du reste, Vétat de
l'utérus. »
Le laps de temps que les effets hémostatiques du seigle ont mis à se
produire a présenté de nombreuses différences. Il a suffi, dans certains
cas, d’une seule dose et d’un quart d’heure pour mettre définitivement fin
à une perte déjà ancienne; d’autres fois, l’hémorrhagie n’a cédé qu’après
six à trente-six heures ; et, fait qu’on n’eût guère soupçonné a 'priori, les
hémorrhagies symptomatiques d’une affection organique de l’utérus et
celles de date ancienne n’ont pas été suspendues moins rapidement que
les pertes idiopathiques et qui avaient une origine récente. Les mêmes
observateurs n’ont pas remarqué non plus que la perte ait été calmée ni
mieux ni plus vite à la suite d’un avortement et alors que, par le fait de
la grossesse, l’utérus avait éprouvé un commencement d’hypertrophie
que chez les femmes non imprégnées. Dans les deux classes de malades
la perte a cessé dans le même laps de temps et peut être même le résul¬
tat a-t-il été plus rapide chez les femmes de la seconde catégorie, d’où
Trousseau conclut que « l’aptitude de l’utérus à recevoir l’influence de
l’ergot ne dépend pas d’une manière très-marquée de l’état des fibres de
cet organe. » En général, les bons effets du seigle ergoté n’ont pas tardé
à se manifester ; dès les premières prises de médicament, l’écoulement
sanguin a diminué et il a suffi dans quelques cas de soixante centigrammes
d’ergot pour amener une guérison définitive. Des récidives ont eu lieu
plusieurs fois, mais toujours alors la matière de l’écoulement s’est trouvée
modifiée dans sa nature et, au lieu d’un sang pur, se trouvait formée par
un liquide séro-sanguinolent ou muqueux analogue aux lochies , dont il
rappelait l’odeur.
Dans les faits observés par Trousseau, la suspension de l’hémorrhagie
a été précédée et accompagnée d’un phénomène bien propre à en éclairer
le mécanisme et à révéler le mode d’action du médicament. Ce sont des
776
E1\G0T DE SEIGLE. — effets physiologiques.
coliques ou tranchées ressenties à l’hypogastre et qui n’ont fait défaut
dans aucun cas. Ces douleurs passagères ne s’accompagnaient d’aucun
trouble digestif, diarrhée, borborygmes, qui pût les faire rattacher à l’in¬
testin, en sorte qu’il n’est guère permis de douter qu’ils n’eussent leur
siège dans la matrice et ne fussent causés par des contractions de cet or¬
gane. On ne peut donc se refuser à admettre que, pour les hémorrhagies
utérines non puerpérales aussi bien que pour celles qui se lient à la par-
turition, la suppression de l’écoulement sanguin ne soit causée par une
contraction de la paroi utérine et l’oblitération vasculaire qui en est la
conséquence.
b. Hémorrhagies diverses autres que celles de l’utérus. — Outre son
efficacité spéciale contre les hémorrhagies utérines , laquelle s’explique
par les cliangements matériels que la contraction provoquée par le médi¬
cament fait éprouver aux vaisseaux de la matrice , le seigle ergoté ne
jouit-il pas encore d’une action hémostatique générale qui serait due soit
à une modification de la crase du sang, soit à la propriété reconnue à
cette substance de faire contracter le réseau capillaire sanguin et de
produire, dans certaines parties du moins, une anémie relative? Sans
s’expliquer toujours sur son mécanisme, des auteurs recommandables ont
admis cette propriété hémostatique générale et ont en conséquence pré¬
conisé l’ergot de seigle dans le traitement d’ hémorrhagies ayant un siège
autre que la matrice. Les médecins italiens dont nous avons précédem¬
ment rappelé le nom, Sparjani, Pignacca et Cabini, ont prescrit l’ergot à
des malades atteints d’hémoptysie, d’hématémèse, d’épistaxis ou d’héma¬
turie, mais sans succès évident.
Il semble, en effet, que l’absence dans le poumon, l’intestin ou la vessie
d’une trame musculaire épaisse comparable à celle de la matrice laisse
subsister dans ces organes les dispositions favorables à la persistance de
l’hémorrhagie, et que dès lors le médicament n’ait, dans ces cas divers,
qu’une action douteuse et à coup sûr insuffisante pour maîtriser l’écoule¬
ment sanguin.
c. Congestions utérines. — Les résultats avantageux obtenus par l’em¬
ploi de l’ergot de seigle dans les hémorrhagies utérines devait naturel¬
lement conduire à essayer le même médicament dans les simples conges¬
tions de la matrice. 11 était naturel de penser que les contractions qui
déterminent l’arrêt des pertes utérines, liées ou non à la parturition , et
contribuent si activement à assurer une circulation régulière de l’utérus
pendant la gestation devaient également remédier aux stases sanguines
dont l’organe peut devenir le siège en vacuité. L’expérience a justifié ces
présomptions de Sparjani en démontrant l’efficacité dont cet agent exci¬
tateur jouit dans les congestions utérines qui, d’ailleurs, précèdent con¬
stamment les pertes et créent dans le tissu de l’utérus les modifications
organiques qui le disposent à éprouver l’action du médicament. Le mé¬
decin italien eut quatre fois recours au seigle ergoté dans des congestions
utérines bien caractérisées et obtint une guérison complète dans trois cas
et une amélioration notable dans le quatrième.
ERGOT DE SEIGLE. — effets physiologiqdes.
777
d. Engorgements chroniques de l’utérus. — L’efficacité de l’ergotine
contre cet état si commun du col de la matrice serait vraiment mer¬
veilleuse, si l’on devait attribuer uniquement à l’emploi de cette substance
les succès signalés dans le mémoire d’Arnal. Ce praticien traite par
l’ergotine 56 femmes atteintes d’hypertropbie du col utérin, et guérit
56 femmes. On peut assurément douter que le mérite de ces guérisons
revienne entièrement à la médication ergotée, et le repos du corps et celui
de l’organe, auxquels furent soumises les malades, doit sans doute en
expliquer un certain nombre ; cependant, tout en tenant compte de ce qui
peut être le fait d’une coïncidence, on ne peut se refuser à croire qu’une assez
large part du succès ne reste encore au médicament, et que celui-ci n’ait
contribué, dans beaucoup de ces cas, à ramener la portion hypertrophiée
de l’organe à ses dimensions physiologiques. Ce résultat, du reste, ne
fut obtenu dans quelques cas qu’après plusieurs semaines ou plusieurs
mois de traitement. C’est bien probablement en s’adressant à la contrac¬
tilité de l’organe, et en déterminant une condensation de son tissu, dont
l’effet est de diminuer l’afflux sanguin et. l’activité nutritive dont ses
parois sont le siège, que l'ergotine amène la résolution des engorgements
chroniques de la matrice. On doit supposer, du moins , que tel est le
mécanisme de son action lorsqu’on voit des femmes t prouver, après
l’ingestion du médicament, des douleurs abdominales et lombaires,
comparables à celles qui précèdent l’apparition des règles et dues vrai¬
semblablement à une contraction de l’utérus. Ces douleurs , nous
apprend Arnal, n’ont point été constantes, et leurs retours ont été, la
plupart du temps, irréguliers; elles survenaient brusquement, cessaient
de même et s’interrompaient parfois des journées entières, bien que la
malade continuât à prendre régulièrement son médicament, et quelque¬
fois à dose croissante.
L’ergotine, dans tous les cas, fut administrée sous des formes diverses
à la dose de 50 centigrammes en vingt-quatre heures, et l’usage en fut
continué régulièrement chaque jour pendant plusieurs semaines ou plu¬
sieurs mois.
e. Affectiotis du cœur. — Si l’on se reporte à ce que nous avons dit
plus haut de l’action physiologique de l’ergotine sur le "cœur, on concevra
aisément les applications qu’on peut faire de cette propriété au traitement
de certaines affections de l’organe central de la circulation. Comme Sée en
a fait la remarque, c’est dans les cas où il convient d’obtenir une sédation
puissante, mais passagère, qu’on doit l’employer. Sous ce rapport, l’ergot
se montre supérieur à la digitale, dont l’action moins énergique paraît
plus durable. Le savant professeur de clinique médicale a donné l’ergotine
à la dose de 1 gramme par jour, dans un julep gommeux de 125 grammes,
à quatre malades atteints, l’un d’hypertrophie concentrique du ventricule
gauche, deux autres d’une hypertrophie excentrique considérable, et le
dernier d’un rétrécissement énorme de l’orifice auriculo -ventriculaire
gauche, avec insuffisance très-marquée de l’orifice aortique, et, enfin,
induration cartilagineuse des valvules sigmoïdes et mitrales. Chez deux
778
ERGOT DE SEIGLE. — effets puïsiologiqdes.
de ces malades, les battements étaient très-forts, très-développés, mais
irréguliers dans leur rhythme, et de plus très-inégaux chez l’un d’eux;
le pouls battait 106 à 110 fois par minuie. Dans deux autres cas, le pouls
était inégal, irrégulier, et donnait de 52 à 60 et de o6 à 84 pulsations
par minute. Les effets produits par l’ergotine dans la circulation chez les
divers malades sont résumés par Sée dans les propositions suivantes :
1“ « Chez tous les malades , le médicament a réussi à produire une
diminution manifeste et assez durable de la force du pouls ;
2“ « Il a produit en même temps un ralentissement évident dans les
cas où le pouls s’éloignait beaucoup de l’état normal sous le rapport de la
fréquence ;
5“ « Enfin, dans les cas où la fréquence était peu considérable et le
type intermittent, le médicament n’a eu que peu d’action sur le nombre
et le rhythme des pulsations. »
Les doses les plus convenables pour commencer, dit Sée, sont d’un
i/2 gramme à 1 gramme, sauf à les doubler le lendemain ou les jours
suivants, ce que l’on peut faire sans inconvénient.
f. Paralysies. — L’action que le seigle ergoté et l'ergotine exercent sur
l’utérus, les sensations et les soubresauts qu’ils déterminent dans les
membres, devaient faire présumer que cette action excitatrice se repro¬
duirait dans les muscles de la vie de relation, et contribuerait à ramener
les mouvements dans une partie du corps réduite à l’inertie par une
paralysie. Barbier (d’Amiens), Payan (d’Aix), ont employé l’ergot de
seigle chez plusieurs malades atteints d’hémiplégie ou de paralysie liée
aux affections du cerveau et de moelle épinière. Guersant, Kensley et
Houston, l’ont opposé aux paralysies vésicales, et tous obtinrent des
améliorations ou des guérisons qu’ils se crurent en droit de rapporter à
leur médication.
Les paralysies dans lesquelles l’ergot est indiqué, selon Brown-Séquard,
sont celles qui s’accompagnent d’une iritation des nerfs moteurs,
sensitifs ou vaso-moteurs, c’est-à-dire dans le cas de congestion ou
d’inflammation de la moelle ou de ses membranes. D’après les mêmes
observateurs, l’ergot doit être proscrit comme pouvant augmenter la
paralysie dans la 'paraplégie sans symptôme d’irritation , telle que la
paraplégie due à une action réflexe ou au ramollissement non inflamma¬
toire de la moelle épinière.
g. Leucorrhée. — Préconisé contre cette affection par Prescott, Bazzani,
Marshall-Hall, Trousseau, Negri, l’ergot de seigle ne paraît vraiment
utile que dans les cas où cette affection est symptomatique d’une con¬
gestion utérine. •
h. Troubles menstruels. — L’action hémostatique constatée par
Trousseau dans les ménorrhagies, permet difficilement de comprendre
que le seigle ergoté jouisse des propriétés emménagogues que lui accor¬
dent Chapmann, Bondack, Church, Beckmann. Du reste, leurs observa¬
tions sont contredites par les observations contraires de Weil et Hall.
G. üs.vGE EXTERNE DE l’ergotine. — Une soluüon de 1 0 grammes d’er-
779
ERGOT DE SEIGLE. — effets phïsiologiqües.
gotine dans 100 ou 200 grammes d’eau, forme, suivant Sédillot, un hémo¬
statique externe d’une très-grande valeur. Ce chirurgien en imbibe des
gâteaux de charpie qu’il applique, soit sur les plaies récentes, soit sur celles
qui succèdent à la chute des eschares et qu’il maintient au moyen d'un
bandage de manière à exercer sur la plaie une compression modérée. La
solution d’ergotine ne coagule pas le sang, comme le fait le perchlorure
de fer, et ne paraît suspendre l’écoulement sanguin que par la conden¬
sation et le resserrement des tissus.
L’usage externe de l’ergotine est également utile dans les plaies gan¬
gréneuses saignantes, les ulcères gangréneux, la suppuration fétide des
plaies d’amputation .
Comme cette solution s’altère rapidement, Sédillot recommande de la
renouveler chaque jour.
Conclusions. — Nous sommes conduits à admettre :
1° Que l’ergot de seigle, à cause de ses propriétés ecboliques, joue un
rôle important en obstétricie, et convient dans tous les cas où, soit pen¬
dant le travail soit après l’accouchement, il est besoin d'accroître la
puissance des contractions utérines ; que par conséquent l’inertie uté¬
rine, dans toutes les circonstances où elle peut se produire, requiert l’usage
de l’ergot, qui, sous le rapport obstétrical, doit être préféré à l’ergotine;
2° Qu’en clinique interne, le pouvoir curatif de l’ergot et de l’ergotine,
beaucoup plus restreint qu’en obstétrique, se réduit à l’action que ces
agents thérapeutiques exercent contre certains états morbides de l’utérus,
hémorrhagies, congestions utérines, hypertrophie du col de la matrice; à
une action beaucoup moins prononcée et peut-être contestable dans les
hémorrhagies des muqueuses du poumon, de l’intestin ou de la vessie; à
une efficacité médiocre, mais reconnue, contre les affections inflamma¬
toires de la moelle, et aussi à l’action sédative que ces médicaments exer¬
cent sur le système circulatoire;
3° Qu’en chirurgie enfin, l’ergotine de Bonjean, dissoute dans l’eau,
jouit de propriétés hémostatiques non douteuses dans les hémorrhagies
externes causées par l’ouverture de vaLsseaux capillaires ou de vaisseaux
d’un ca'ibre assez faible pour ne point exiger la ligature.
Mode d’administration et doses. — Employé dans un but
obstétrical, c’est-à-dire avec l’intention d’accroître la force des contrac¬
tions de la matrice, soit pendant le travail soit après l’accouchement,
l’ergot est prescrit le plus habituellement à l’état naturel et sous forme
de poudre préparée seulement au moment d’en faire usage. .4u défaut des
appareils usités dans les pharmacies pour cet objet, on peut broyer l’ergot
brut dans un vase quelconque au moyen d’un corps contondant, et en
ajoutant au médicament quelques fragments de sucre qui en facilitent la
trituration. Il n’est pas indispensable d’ailleurs que celle-ci soit très-
complète pour que l’ergot produise les effets qu’on recherche; il suffit que
les fragments soient réduits au volume de grains de sable. Si l'ergot est
de bonne qualité, 2 grammes de cette substance, avons-nous dit, sont
suffisants pour faire contracter fortement la matrice. On divise cette dose
780
ERGOT DE SEIGLE. — bibliographie.
en trois prises, qu’on donne à dix minutes ou un quart d’heure d’inter¬
valle, délayées dans quelques cuillerées à soupe d’eau sucrée. Stoitz con¬
seille d’associer un peu de canelle à la poudre d’ergot.
On prépare encore, avec 2 ou 4 grammes d’ergot simplement concassé,
une infusion ou une décoction de 100 à 125 grammes de liquide, qu’on
fait prendre en trois ou quatre fois aux mêmes intervalles que la poudre
précédente. Ces préparations, dont on accroît quelquefois la puissance par
l’addition de poudre fraîche, donnent aussi de bons résultats, mais elles
sont moins simples que la première, et aussi moins usitées. La décoction
et l’infusion d’ergot s’administrent aussi en lavement aux personnes dont
l’estomac supporte mal le médicament donné en nature et qui lé vomissent.
Enfin on peut également suspendre 1 à 4 grammes de poudre d’ergot
dans une potion gommeuse, qu’on fait prendre en trois ou quatre fois, et
à un quart d’heure d’intervalle, s’il s’agit de réveiller promptement les
contractions de l’utérus chez une femme en couches, ou par cuillerées à
soupe dans le courant de la journée, dans d’autres cas. C’est sous cette
dernière forme qu’on le donne presque toujours aux malades, lorsqu’il
s’agit de combattre une des affections internes contre lesquelles le seigle
ergoté est employé.
On administre l’ergotine, comme l’ergot, à l’état pulvérulent, mais on
la donne plus habituellement en potions, en pilules ou en tablettes, à la
dose de 1 à 4 grammes, répartis, soit sur la totalité de la journée, soit
en deux ou trois prises plus ou moins rapprochées, suivant le but qu’on
se propose d’atteindre.
Nous rappellerons, en terminant, qu’une solution de 10 grammes
d’ergotine dans 100 ou 200 grammes d’eau filtrée, forme un médicament
utile, soit pour suspendre une hémorrhagie capillaire , soit pour exciter
une plaie gangréneuse ou de mauvaise nature.
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zette, 22 décembre 1855, p. 617 ; 9 février 1856, p. 134; analyse in Annuaire de littérature
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Pajot, Du danger de l’administration de l’ergot de seigle dans le cas de rétention du délivre
[Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1860; Moniteur des sciences, mars 1860,
et Bulletin de thérapeutique, 1860, t. LVIII).
Reck, Sur les effets de l’ergot de seigle emplové 296 fois dans 2000 accouchements [Dublin
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1863, vol. I, p. 59, 221).
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Holmes (Ch. L.), Études expérimentales sur le mode d’action de l’ergot de seigle. Thèse de
doctorat. Paris, 1870. .
Emile Baillt.
782
ERGOTISME. — définitios, sïkosïhie.
ERGOTIIME. — Cette dénomination, dont la syllabe finale indique
un alcaloïde ou tout au moins un composé défini, ne saurait s’appliquer
malheureusement aux substances extraites de l’ergot de seigle par diffé¬
rents auteurs, et qu’ils ont considérées comme le principe actif de
l’ergot.
Les produits préparés sous le nom d’ergotine par Wiggers, Manassewitz,
Wenzell, n’ont pas attiré sérieusement l’attention des thérapeutistes. L’ef-
gotine de Bonjean, que l’ergot de seigle pulvérisé pourrait toujours rem¬
placer, n’est en réalité qu’un extrait d’ergot illustré d’une dénomination
chimique. L’ergot pulvérisé étant épuisé par l’eau froide, le soluté est
chauffé au bain-marie; s’il fournit un coagulum albumineux, celui-ci doit
être séparé par le filtre; souvent il n’en fournit pas. Ensuite la liqueur,
réduite par évaporation jusqu’en consistance de sirop clair, est traitée par
l’alcool en grand excès; il en résulte la précipitation des matières gom¬
meuses et de quelques sels. Après un repos suffisamment prolongé, le li¬
quide alcoolique, devenu limpide, est décanté, puis réduit par évapora¬
tion au bain-marie en consistance d’extrait.
L’extrait sec d’ergot, préparé dans le vide par Berjot (de Caen), est plus
constant dans la composition et plus soluble dans l’eau que celui de Bon¬
jean. (Reveil.)
Selon Bouchardat, l’ergotine est employée aux mêmes doses que la
poudre de seigle ergoté, soit 20 centigrammes à 2 grammes. Gubler la
prescrit à plus hautes doses que le champignon en nature; il en porte la
dose à 4 grammes en potion.
J. Jeannel.
ERGOTISME. — Jusqu’à ces derniers temps, on n’avait décrit sous
ce titre que les accidents qui relèvent de l’empoisonnement chronique
par l’usage du seigle ergoté. Depuis quelques années, un certain nombre
d’écrivains parmi lesquels nous trouvons le professeur Gubler, ont appliqué
le nom à' ergotisme aigu à l’ensemble des phénomènes déterminés par
l’administration de l’ergot chez l’homme sain ou chez les animaux, à
doses expérimentales ou thérapeutiques. Ces effets, dont la connaissance
est nécessaire pour l’intelligence du mécanisme encore peu étudié et
peu connu, de quelques-uns des principaux symptômes de l’intoxica-
lion chronique par l’ergot de seigle, ont été exposés dans l’article précé¬
dent. {Voy. Eiîgot.) Nous devons donc nous borner à la description de
l’ergotisme chronique, ou plus simplement de l’ergotisme tel qu’il a été
compris jusqu’à ce jour par la généralité des pathologistes.
Définition, synonymie. — L’etgotisme, également désigné par les
dénominations de raphanie, de maladie céréale, de mal de Sologne, de
gangrène des Solognots, de feu de Saint- Antoine, de feu sacré, de mal des
ardents, est constitué par l’ensemble des modifications fonctionnelles ou
organiques qu’engendre l’usage plus ou moins prolongé de farines ali¬
mentaires mélangées, en proportions variables, à l’ergot du seigle et
peut-être du froment.
ERGOTISME. — symptômes, marche, dorée, terminaison. 783
Symptômes, marche, durée, terminaison. — Selon que
l’intoxication a fait de préférence explosion du côté des systèmes nerveux
central ou périphérique et de leurs dépendances, ou a porté ses princi¬
pales manifestations sur le système artériel en entraînant le sphacèle de
diverses parties du corps, on a décrit, depuis longtemps, un ergotisme
convulsif et un ergotisme gangréneux.
Nous ne romprons pas avec la tradition, et nous étudierons successive¬
ment Y ergotisme convulsif et Y ergotisme gangréneux, nous réservant de
déterminer quels rapports affectent entre elles ces deux modalités patho¬
logiques, que nombre d’auteurs, et surtout ceux qui précèdent l’époque
contemporaine,, ont considérées, non-seulement comme des variétés,
comme des formes distinctes d’une même maladie, mais même comme des
espèces morbides différentes.
A. Ergotisme convulsif. — Suivant les idiosyncrasies, les conditions de
santé et d’hygiène préexistantes, et surtout selon la quantité de selérotium
contenue dans la farine, l’usage du pain de seigle ergoté peut être conti¬
nué quelque temps, sans soulever dans l’organisme aucun trouble appré¬
ciable, ou, au moins, sans déterminer d’autre symptôme qu’une sensation
d’ivresse légère qui, loin d’être pénible pour les personnes soumises à
cette alimentation, s’accompagne de gaieté et n’est suivie d’aucun des
symptômes de dégoût et de malaise qui surviennent après l’ingestion
d’une grande quantité de liqueur fermentée. Les paysans savent que cet
enivrement est dû au pain qu’ils mangent, et, loin de s’en dégoûter, ils
en contractent l’habitude, comme les fumeurs elles mangeurs d’opium. Il
n’est pas possible, toutefois, d’y persévérer impunément. Après un début
marqué par du vertige, des troubles de la vue, des bourdonnements
d’oreilles, la maladie se caractérise par des accidents du côlé de l’axe
spinal et de ses irradiations; deux mots les résument; désordres de la
sensibilité et de la motilité.
Les troubles des fonctions sensitives qui ouvrent la scène consistent
dans une production ou une augmentation, puis dans une diminution de
la sensibilité des parties affectées. Les malades accusent d’abord aux
doigts, aux orteils, de fourmillements, qu’ils comparent à ce qu’on
éprouve à la suite de l’engourdissement et qui, de là, s’étendent à peu près
à tout le corps. A ces perversions sensitives succèdent bientôt des dou¬
leurs liées à l’existence des troubles moteurs, se rattachant à la description
de ceux-ci, et enfin une diminution de la sensibilité cutanée. Cette anes¬
thésie peut précéder les contractures; presque toujours elle leur suc¬
cède, tantôt consistant en une simple obtusion de la sensibilité, tantôt
arrivant à l’insensibilité la plus complète, quel que soit l’agent douloureux
qu’on essaye.
Les troubles de la motilité sont représentés par des convulsions qui
sont toniques ou cloniques. Les convulsions toniques consistent en des
contractures qui ont lieu dans le sens de la flexion ou dans celui de
l’extension. La physionomie des premières rappelle d’abord, à s’y mé¬
prendre, celle de la tétanie ou contracture idiopathique des extrémités;
784 ERGOTISME. — symptômes, marche, durée, terminaison.
les doigts se rétractent vers la paume de la main et ne peuvent être
étendus qu’avec un effort violent; l’avant-bras se retire vers le bras, et
les deux mains se serrent contre la poitrine ; les orteils se rétractent éga¬
lement vers la plante des pieds; les cous de-pied, les genoux, les hanches
mêmes sont fortement fléchis, de (elle sorte que le malade, suivant une
comparaison empruntée au célèbre mémoire de la faculté de Marbourg,
est ramassé sur lui-même et contracté comme une boule. Dans d’autres
cas, c’est dans le sens de l’extension que s’opère la contracture, et le
sujet allongé et roidi semble atteint du tétanos. Elle peut s’étendre
aux muscles thoraciques et abdominaux, au diaphragme même, d’où un
obstacle considérable et parfois funeste à l’accomplissement des fonctions
respiratoires, encore aggravé, en certains cas, par des symptômes de
laryngisme. Le système musculaire de la vie organique participe à ces
accidents convulsifs; plusieurs malades se plaignent de coliques, d’autres
ont des vomissements. Mais, fait digne de remarque, et attesté par des
hommes considérables, au nombre desquels se place Heusinger, l’utérus,
en état de gestation ou de vacuité, reste étranger à ces mouvements
spasmodiques.
Toutefois il ne faudrait pas, malgré des témoignages imposants, con¬
sidérer comme jugée à fond cette question de l’impuissance de l’empoi¬
sonnement chronique par l’ergot à éveiller les contractions de l’utérus
gravide, impuissance choquante, du reste, pour nos connai.ssances les plus
certainement acquises sur les propriétés. thérapeutiques de l’ergot. Aussi
ne faut-il pas s’étonner de lire dans le travail de Courhaut que, dans les
épidémies de 1815, 1814, 1815, les femmes grosses qui en furent atteintes
avortèrent subitement et avec douleurs.
Ces contractures s’accompagnent de douleurs souvent très-vives, qui
s’exaspèrent en proportion avec le degré de la convulsion, dont la violence
va jusqu’à arracher des cris aux patients, qui éprouvent en même temps
la sensation d’un froid glacial ou d’une chaleur brûlante. On a noté dans
plusieurs épidémies que les tractions opérées sur les muscles qui sont le
siège de ces crampes, de manière à produire la flexion ou l’extension des
membres, procuraient un soulagement considérable; aussi les malades
réclamaient-ils avec insistance cet allégement à leurs maux. Ces convul¬
sions se montrent par accès qui commencent d’ordinaire vers le matin,
pour cesser dans le milieu de la journée et se reproduire à intervalles
irréguliers. La maladie, arrivée à ce degré, peut être enrayée dans sa
marche et rétrograder. Dans quelques cas même, elle ne dépasse pas une
première période essentiellement caractérisée par les perversions de la
sensibilité, et n’atteint pas le point où surviennent les contractures. Si,
par exception, la mort arrive à la période de contracture, elle a lieu
par l’asphyxie qu’entraînent les convulsions du diaphragme, des mus¬
cles de la jioitrine et du larynx.
Si, au lieu de rétrograder, l’affection dépasse ces limites, on voit, aux
convulsions toniques , succéder des convulsions cloniques. Après un
temps dont la durée est loin d’être uniforme, le plus souvent quelques
ERGOTISME. — symptômes, marche, durée, terminaison. 785
semaines (Wichmann) , surviennent des convulsions épileptiformes qui
simulent les symptômes de l’épilepsie légitime, et sont, comme eux, sui¬
vies de coma.
En conformité avec une loi de pathologie générale fondée sur l’étude
d’un grand nombre d’espèces morbides, aux phénomènes d’hyperesthénie
des fonctions sensitives et motrices, succèdent les signes de dépression
de ces mêmes systèmes. C’est alors qu’apparaissent les paralysies des
sensibilités générales et spéciales , les anesthésies généralisées, la cécité
subite et passagère, quelquefois permanente, la perte de l’odorat, la sur¬
dité, revenant par accès plus ou moins prolongés , ayant une seule fois,
dans une épidémie, affecté la forme hémiplégique. (Th. 0. Heusinger.)
Si les muscles participent à cette déchéance fonctionnelle, on voit se
produire des paralysies plus ou moins étendues, des paraplégies. Ces
akinésies ont été plus particulièrement consignées dans les récits de cer¬
taines épidémies. Ainsi, elles furent fréquentes dans l’épidémie de Kiev;
on les observa dans celle de Silésie.
Les facultés cérébrales elles-mêmes peuvent être atteintes. Après un
nombre variable d’accès épileptiformes suivis de coma ou sans l’intermé¬
diaire de ceux-ci, des malades tombent dans un état d’imbécillité, de folie
transitoire ou durable. L’aliénation mentale peut revêtir les formes les
plus variées. Dans certains cas, c’est de la manie, tout au moins de
l’excitation maniaque. Il y a des malades qui deviennent fous furieux ;
ayant perdu toute discrétion ;Hs rejettent la nourriture qu’ils demandent,
laissent aller- leur corps dans la chambre sans retenue ni pudeur.
Ces accès sont plus vifs chez les uns que chez les autres, suivant que le
cerveau est plus ou moins froid, et celte folie dure trois ou quatre jours
et au delà (mémoire de la Faculté de Marbourg). Mais parmi tous ces types
d’aliénation qui s’accompagnent souvent d’hallucinations des différents
sens, celui qui prédomine est le délire mélancolique avec ou sans stu¬
peur.
Au milieu de ces grandes perturbations des fonctions de la vie de rela¬
tion, les appareils de la vie végétative subissent des influences diverses.
Le rhythme des battements du cœur est normal ou ralenti, le pouls est
petit, ramassé, il n’y a pas de mouvement fébrile (Th. 0. Heusinger) ou
tout au moins son existence est exceptionnelle. Il sera intéressant désor¬
mais d’interroger, à l’aide du sphygmographe et de la thermométrie, les
caractères du pouls et l’état de la température dans l’ergotisme. C’est un
point qui mérite d’être signalé à l’attention des futurs historiens des épi¬
démies à venir, si ce fléau doit encore sévir sur quelques populations.
Le tube digestif reste parfois, pendant toute la durée de la maladie,
en dehors des troubles qui étreignent le reste de l’organisme. L’appétit
peut être conservé, les digestions rester faciles. D’ordinaire, pourtant, il
est affecté ; tes digestions sont lentes, le ventre paresseux ; on observe
l’ensemble des symptômes qui appartiennent à l’embarras gastro-intesti¬
nal, ou ceux qui se rattachent à une névrose de l’estomac. La boulimie
est un des accidents fréquents de l’ergotisme.
XIII. — 50
786 ERGOTISME. — symptômes, marche, durée, termusaisos.
Le paroxysme fini, les malades ne peuvent se rassasier, ils consomment
des quantités anormales de nourriture sans se plaindre de difficultés de
digestion.
L’atteinte profonde portée à la nutrition par une alimentation non-
seulement toxique, mais trop souvent insuffisante., se traduit par des
hydropisies, des abcès, des anthrax, du purpura. Quelques individus, dit
Serine, eurent la face horriblement couverte de taches qui ressemblaient
à des piqûres de puce. Ces taches existaient aussi sur d’autres parties du
corps.
B. Ergotisme gangréneux. — Selon que l’intoxication ergotée est portée
plus ou moins loin, elle peut produire des accidents gangréneux, dont le
siège, l’étendue, la physionomie varient singulièrement. Ce sont sur¬
tout les parties éloignées du centre circulatoire qui sont envahies par
le sphacèle. Rarement voit-on celui-ci s’attaquer au tronc ou à la tête.
Aussi Fergotisme gangréneux présente-t-il beaucoup de traits com¬
muns avec la description classique de la gangrène des extrémités, impro¬
prement appelée gangrène sénile. C’est dans la minorité des cas d’er¬
gotisme que la gangrène est humide. La réaction éliminatrice sur les
limites du mal est alors moins nette, moins circonscrite ; des clapiers et
des fusées purulentes surviennent ; les tissus baignent dans des liquides
infects, produits de la décomposition putride dont l’absorption s’empare
au grand détriment de l’organisme.
Dans les membres qui doivent être frappés de gangrène humide ou
sèche, et particulièrement de cette dernière, les malades accusent d’abord
des phénomènes douloureux , liés -aux troubles de la circulation et de
l’innervation qui sont la conséquence de l’ischémie. Ils éprouvent des
crampes, des douleurs profondes, une sensation de réfrigération. Puis la
température des téguments, après s’être élevée d’abord, s’abaisse en réa¬
lité, la peau se décolore, se flétrit, se ride, puis devient violacée, noire ,
sèche, en même temps que les douleurs se taisent en raison de l’extinc¬
tion de la vie dans les parties superficielles, et ensuite dans les tissus
profonds. Le sphacèle est consommé ; la sensibilité, qui a diminué d’a¬
bord, fait place à une anesthésie complète.
L’étendue de la gangrène, quant à son importance, présente toutes les
nuances imaginables, depuis la chute des ongles, comme dans les huit cas
rapportés par Th. U. Heusinger, jusqu’à la gangrène des orteils, des pieds,
des jambes, voire même des cuisses. On trouve une foule d’exemples de
ces vastes gangrènes dans les relations des épidémies fameuses de la
Silésie, de la Sologne, de l’Orléanais, du Blésois, et à une époque récente
dans l’épidémie observée à Lyon par Barrier (1854-1855). La gangrène
envahit un seul des membres inférieurs, ou bien les deux simultanément
ou successivement. Les membres supérieurs, bien que moins souvent
atteints, sont loin d’en être à l’abri; tantôt les parties destinées à périr
sont frappées d’emblée ; dans d’autres cas, c’est successivement que les
divers segments d’un membre sont envahis par la gangrène. Un cercle
inflammatoire se forme à la limite des tissus vivants avec les tissus
ERGOTISME. — symptômes, makche, durée, terminaison. 787
malades, et amène, après un temps plus ou moins long selon le volume
des parties gangrénées, une élimination qui s’effectue à travers beaucoup
de douleurs et de périls. Pour donner une idée des mutilations que peut
entraîner le sphacèle de l’ergotisme, nous dirons qu’on a vu des individus
dont les deux membres inférieurs étaient séparés du tronc au niveau de
la cavité cotyloïde. Les exemples de ce genre ne sont pas très-rares dans
les narrations des épidémies d’ergotisme; l’exploration des artères qui
alimentent les régions frappées de mort, révèle dans ces vaisseaux
l’existence d’un état organique dont nous nous réservons d’interpréter la
signification. Toujours est-il qu’elles fournissent au toucher la sensation
de cordons durs, résistants ; les pulsations y deviennent de plus en plus
faibles et finissent même par disparaître. Il existe, en un mot, des signes
d’oblitération vasculaire. Cette imperméabilité des artères permet de
comprendre ces faits, cités par différents auteurs, et notamment par
Mulcaille (1748), dans lesquels la chute des membres s’opérait sans
hémorrhagie.
G. Des rapports qdi existent entre l’ergoti.^me convulsif et l’ergotis.me
GANGRÉNEUX. — Ainsi que nous l’avons fait pressentir, on a voulu voir
dans l’ergotLsme convulsif, comparé à l’ergotisme gangréneux, non-seule¬
ment deux variétés d’une même maladie , mais encore deux espèces
morbides distinctes. C’est de la sorte qu’on a rapporté au mélange avec
les céréales du raphanus raphanistrum (raifort sauvage), les formes
convulsives de la maladie (Linné), tandis que les accidents gangréneux
auraient été le fait de l’action de l’ergot. Cette opinion n’est pas seulement
celle des écrivains du dix-huitième siècle, nous la retrouvons encore au
commencement de celui-ci. Ce n’est que dans ces dernière.s années qu’on
a cherché à établir que ces deux affections, en apparence si distinctes,
dont l'une, la maladie convulsive, contraste parfois, par sa bénignité
relative, avec le tableau souvent si dramatique de l’affection gangréneuse,
ne représentent que deux formes d’une intoxication dont le degré le piu-;
avancé entraîne la gangrène. Si, jusqu’à présent, cette manière de voir,
qui e.st la nôtre, n’a pas prévalu, ou plutôt ne s’est pas suffisamment
vulgarisée, il faut l'attribuer à diverses causes de méprises, et particu¬
lièrement à ce que les épidémies gangréneuses n’ont souvent été étudiées
et décrites que par des chirurgiens appelés à soigner la maladie à sa
dernière période et privés des renseignements qui les auraient mis en
me.sure d’établir la filiation légitime entre les accidents qui se passaient
du côté du système nerveux, et ceux qui devaient être rapportés aux
désordres de la circulation. Ainsi en fut-il dans l’Orléanais, où les malades
des campagnes, transportés dans les hôpitaux des villes, fournirent le
principal élément de description d’une épidémie dont il n’était possible
de juger que de. loin l’évolution.
La comparaison des travaux de Courhaut et de Janson, relative aux
épidémies qui sévii ent en 1814 et 1816, dans le département de^aône-
et-Loire, est bien propre à faire saisir cette cause de confusion.
Courhaut, qui étudie sur les lieux, constate les phénomènes prodro-
788 ERGOTISME. — ssmptômes, mahche, durée, terminaison.
miques , les fourmillements , les contractures douloureuses , les accès
convulsifs , les perturbations intellectuelles et leurs rapports avec la gan¬
grène, qui ne se montre qu’à la troisième période. Janson, au contraire,
qui observe en dehors du foyer épidémique, voit, seulement à Lyon, une
cinquantaine de malades tous transférés avec des membres déjà sphacélés.
Aussi ne note-t-il guère, parmi les prodromes, que ceux qui se rattachent
directement à la gangrène, et passe-t-il sous silence ceux qui sont l’ex¬
pression de la forme convulsive.
Le travail de Barrier sur l’épidémie gangréneuse de l’hôpital de Lyon,
est un exemple non moins frappant des lacunes d’observation qu’on
rencontre dans les mémoires relatifs aux épidémies étudiées loin de leur
centre.
La forme de la gangrène, ses localisations, son étendue aux membres in¬
férieurs ou supérieurs, les lésions artérielles et la cachexie qui l’accompa¬
gnent, les indications thérapeutiques et chirurgicales qu’elles fournissent,
sont décrites avec soin; mais des prodromes, mais des divers symptômes
qui ont pu précéder la gangrène, soit chez ces malades, soit chez des
individus frappés en même temps qu’eux, le chirurgien en chef de
l’Hôtel-Dieu de Lyon ne s’occupe guère; il sait seulement, parles rensei¬
gnements que lui ont donnés ses malades, que d’autres personnes ont été
atteintes de la même manière dans les départements de l’Isère, de la Loire,
de la Haute-Saône, de l’Ardèche.
L’étude des épidémies qu’on pourrait appeler de transition, dans les¬
quelles on voit, au milieu de la prédominance des accidents convulsifs,
apparaître, comme phénomènes consécutifs, quelques faits de gangrène
superficielle ou profonde, ainsi que l’a observé Heusinger, complète nos
renseignements sur les rapports qui existent entre les phénomènes ner¬
veux et les symptômes de gangrène jiroduits par l’ergot. Elle montre que
malgré leur dissemblance ils relèvent d’une même cause, de la même
intoxication.
Les suites, la marche, les terminaisons de l’ergotisme sont fort diffé¬
rentes selon qu’on se trouve en face de la forme convulsive ou de la
forme gangréneuse.
Sans doute l’ergotisme convulsif peut tuer en quelques jours, en
quelques semaines, au milieu d’accès de suffocation, d’accidents épilepti¬
formes ou tétaniques; il peut même se prolonger pendant des mois..
(Th. 0. Heusinger.) L’aliénation mentale est une de ses conséquences
possibles ; néanmoins, la guérison s’effectue souvent d’une manière assez
rapide. La mort est une terminaison relativement rare [12 morts sur 102
malades (Th. 0. Heusinger)].
Il en est tout autrement si l’empoisonnement va jusqu’à produire la
gangrène. On comprend que lorsque le sphacèle est profond, étendu,
les chances de mort deviennent nombreuses. Aussi est-ce dans les
épidémies dites gangréneuses que le chiffre de la mortalité est le plus
élevé.
Lors même que le malade doit survivre , l’élimination des parties
ERGOTISME. — anatomie et physiologie pathologique. 789
mortes ne s’effectue que lentement, la réparation peut être difficile;
l’intervention chirurgicale, en opérant dans le vif, est loin d’enrayer sûre¬
ment les progrès de la gangrène, en raison de l’état du système circu¬
latoire. Les cicatrices sont souvent vicieuses, et lorsque les malades
guérissent, ce n’est, dans bien des cas, qu’au prix d’affreuses mutila¬
tions.
Anatomie et physsiologie pathologique. — L’histoire anatomo¬
pathologique de l’ergotisme est courte, ce qui se comprend facilement si
l’on réfléchit que l'ergotisme, dont certaines formes entraînent rarement la
mort, a surtout sévi à une époque où l’anatomie pathologique n’était pas en
honneur comme aujourd’hui, et dans des conditions où les nécropsies étaient
fréquemment d’une exécution difficile. Aussi la flaccidité du cœur, la fluidité
du sang, des inflammations viscérales mal décrites, voilà à peu près à quoi
se bornent les renseignements que nous fournit la littérature médicale.
Seule l’altération du sang sus-mentionnée se reproduit assez fréquemment
dans les travaux entrepris sur l’ergotisme , pour acquérir une certaine
valeur.
Bien qu’il ne nous répugne pas d’admettre des lésions gangréneuses
internes, rien ne nous fournit la preuve que ces taches violacées, noirâtres
du foie, de la rate, signalées par quelques auteurs, doivent être rap¬
portées au sphacèle plutôt qu’à des ecchymoses ou à des altérations cada¬
vériques.
L’étude du système artériel offrait un intérêt particulier dans une maladie
où la gangrène joue un si grand rôle ; il était naturel de rapporter celle-ci
à l’artérite. L. Ch. Roche s’est constitué un des principaux défenseurs
de cette doctrine. Interrogeons les faits.
Malgré quelques dénégations , il ne nous paraît pas possible d’ad¬
mettre l’absence de coagulations sanguines dans les artères; elles ont été
indiquées , soit implicitement , soit explicitement , par un trop grand
nombre d’écrivains, pour qu’il soit possible d’en révoquer toute la réa¬
lité.
Mais actuellement les expressions coagulation sanguine et artérite sont-
elles synonymes ? C’est ce que nous ne pouvons admettre. La science-
moderne a créé des exigences nouvelles. Il ne suffit plus pour établir
qu’il y a de l’inflammation artérielle de constater qu’une artère e.st obli¬
térée par un caillot sanguin. Il nous faut encore, pour accepter l’exis¬
tence de l’inflammation, qu’on ait constaté les lésions histologiques ca¬
ractéristiques des tuniques du vaisseau, et consistant essentiellement dans
des proliférations cellulaires de leurs éléments. Or, rien, dans les docu¬
ments que nous avons réunis, ne nous fournit une démonstration de cette
nature. Dans un des derniers mémoires publiés sur l’ergotisme gangré¬
neux, celui de Barrier (1855), nous cherchons en vain des détails qui
nous prouvent l’existence d’altérations propres à l’inflammation. Au
contraire, 0. ’Weber, qui a étudié avec soin la gangrène produite par
l’ergot et a consigné ses opinions dans le Manuel de chirurgie de Pitha et
Billroth (1865), repousse l’idée d’une inflammation des artères. Ce qu’on
790 ERGOTISME. — anatomie et physiologie pathologique.
sait, dit-il, d’une manière certaine, c’est que la gangrène n’a pas pour
point de départ une inflammation primaire.
Puis, s’appuyant sur ce qui nous est acquis relativement à l’action de
l’ergot, non-seulement sur la contractilité des fibres musculaires de l’u¬
térus, mais encore sur celle des fibres contractiles des vaisseaux de di¬
vers calibres et peut-être même sur les fibres contractiles de la peau,
0. Weber se rallie à l’hypothèse d’abord émise par Courhaut que les arté¬
rioles les plus fines se contractent tellement dans l’empoisonnement par
le seigle ergoté, que les extrémités des membres paraissent complètement
vides de sang. Cette idée, depuis adoptée par G. Sée, étayée par les expé¬
riences de Sovet, défendue par Spiszher, trouve encore dans les obser¬
vations d’Arnal, de Danyau et de Scbroff sur le ralentissement du pouls
un appui dont on ne peut nier l’importance. C’est cette opinion que
nous adoptons, et nous proposons d'interpréter de la manière suivante la
succession des accidents de l’ergotisme :
L’agent toxique de l’ergot quel qu’il soit {ergotine,propylamme on huile
d’ergot, peu importe ici), portant son action sur l’organisme entier, excite
soit directement, soit par l’intermédiaire du système nerveux, la contrac¬
tion des fibres musculaires des vaisseaux artériels de divers calibres, les
effets de cette contraction se faisant ressentir d’abord avec plus d’éner¬
gie sur les fines artérioles ; d’où une anémie de divers organes, etnotam-
ment une anémie de l’axe cérébro-spinal, laquelle a pour conséquence
prochaine l’ensemble des phénomènes que nous venons de rattacher à
l’ergotisme convulsif. Mais si ce premier degré d’intoxication est dépassé,
si la contraction vasculaire devient plus intense, si elle s’étend à des ar¬
tères de volume plus considérable, l’anémie se généralise et devient plus
complète, le ralentissement du cours du sang s’accentue davantage, favo¬
risé qu'il est par la diminution du diamètre de la lumière des vaisseaux
et par les conditions de cachexie où se trouve l’organisme, et il finit par
entraîner la formation de ces concrétions sanguines rapportées à tort à
l’artérite, et auxquelles succède une ischémie dont la conséquence ultime
est la gangrène à divers degrés.
A cette série de modifications du système circulatoire qui semblent nous
livrer la clef de la physiologie pathologique de l’ergotisme, il nous paraît
indispensable d’ajouter les troubles profonds de la nutrition, qui sont la
conséquence obligée de la prolongation d’une alimentation à la fois véné¬
neuse et insuffisante, aussi bien que les altérations du sang qui en déri¬
vent.
La théorie physiologique de la série des accidents constitutifs de l’er¬
gotisme que nous cherchons à faire prévaloir, trouve une nouvelle con¬
firmation dans les plus récentes éludes entreprises sur les propriétés de
l’ergot, notamment dans les expérimentations de Brown-Séquard, de
Ch. L. Holmes. Holmes, en effet (1870), après des expériences répétées,
suivies et conduites avec soin dans le laboratoire et avec le concours de
Vulpian, sur des animaux de différentes espèces, avec les instruments
enregistreurs de Marey, a conclu très-formellement à l’action des pré-
ERGOTISME. — diagnostic. 791
parations ergotées, et surtout de l’extrait aqueux d’ergot sur la contrac¬
tilité des tuniques musculaires des petites artères.
Diagnostic. — Selon que l’intoxication par l’ergot porte plus spé¬
cialement son action sur le système nerveux {forme convulsive), ou sur
le système circulatoire {forme gangréneuse), on peut la confondre avec
diverses affections dont il est pourtant, en général, facile de la distinguer.
L’ergotisme convulsif présente avec l’acrodynie un symptôme commun,
c’est la contracture plus ou moins étendue à plusieurs régions du corps.
Aussi a-t-on voulu rattacher l’acrodynie à l’ergotisme. Nous avons re¬
poussé cette assimilation. {Voy. Acrodynie, t. I, p. 585.)
Outre que la contracture qui ne se développe qu’exceptionnellement
dans l’acrodynie, occupe une large place dans le tableau symptomatolo¬
gique de l’ergotisme, les manifestations cutanées qu’on observe dans l’a¬
crodynie font défaut dans l’ergotisme, tandis que celui-ci se termine sou¬
vent par des accidents gangréneux qui ne sont pas le fait de l’acrodynie.
Ajoutons que si les conditions étiologiques essentielles de l’acrodynie nous
échappent, il est facile de remonter à celles qui engendrent l’ergotisme.
Ge n’est que par l’étude de la filiation des symptômes, la connaissance
des antécédents du malade, qu’il est possible d’apprécier la nature des
phénomènes épileptiformes, des troubles vésaniques d’intensité et de
formes diverses qui peuvent, en certains cas, être la conséquence de l’er¬
gotisme convulsif.
L’adultération des céréales par le lathyrus sativus, sorte de vesce qui
croît en abondance dans les Indes anglaises et est employée à la fabrica¬
tion du pain en raison de son bas prix, produit, entre autres phénomènes
toxiques, un symptôme qui lui est commun avec certaines formes d’er¬
gotisme; c’est la paraplégie. L’empoisonnement par le lathyrus sativus
n’est pas exclusivement propre aux Indes anglaises où il est endémique.
Il a été, à plusieurs reprises, observé en Europe (Don, Taylor et Vilmo¬
rin). Comme il peut y affecter, à la façon de l’ergotisme, l’allure d’épi¬
démies plus ou moins circonscrites et rapportées à juste titre à l’usage
d’un pain de mauvaise qualité, il importe d’être prévenu de cette cause
d’erreur, pour étudier et déterminer exactement la nature des graines
dont la présence altère les farines.
Quant à la maladie épidémique connue en Colombie sous le nom de
Pelatina, due à un champignon du mais du genre sclerotium, analogue à
celui du seigle et du froment, et qu’on appelle dans le pays peladero (Rou-
lin), il ne paraît pas qu’on doive la rapprocher de l’ergotisme. Le pela¬
dero n’est pas observé en Europe, et les épidémies auxquelles son déve¬
loppement donne naissance, bien qu’elles provoquent la chute des poils,
des ongles et des dents, ne vont pas jusqu’à produire ces sphacèles éten¬
dus qui caractérisent l’ergotisme gangréneux.
Il ne nous est pas possible d’accepter le rapprochement qu’on a voulu
établir entre la pellagre et l’ergotisme. (Th. Roussel.) Ces deux ihaladies
n’ont rien de commun entre elles qu’une alimentation vicieuse pour ori-
792
ERGOTISME. — pronostic.
L’importance de la connaissance exacte des antécédents du malade, du
milieu dans lequel il xit, de l’alimentation dont il fait usage, des influen¬
ces hygiéniques auxquelles il peut être soumis, n’est pas moins néces¬
saire pour remonter à la source de ce groupe de convulsions toxiques
qu’on observe à un certain degré et dans certains cas d’ergotisme, et qui
présente dans son expression symptomatique tant de traits communs avec
cet ensemble de spasmes musculaires qui caractérise l’affection désignée
sous le nom de tétanie ou de contracture essentielle des extrémités. Nous
ferons remarquer toutefois que la paralysie des organes des sens, l’épi¬
lepsie, les troubles intellectuels, la gangrène surtout, ne succèdent pas,
comme dans l’ergotisme, aux convulsions de la contracture essentielle des
extrémités. Lorsque dans celle-ci la guérison n’a pas lieu, c’est par as¬
phyxie que succombent les malades, terminaison possible, mais très-rare,
de l’empoisonnement par l’ergot.
Ces considérations sur la nécessité de comparer les accidents actuels
que présentent les malades avec ceux qui les ont précédés ou qui les sui¬
vront, avec ceux qui surviennent chez d’autres individus antérieurement
ou simultanément frappés, s’appliquent non moins rigoureusement à la
forme gangréneuse de l’ergotisme qui ne diffère guère, ni par ses sym¬
ptômes, ni par sa marche, ni par ses terminaisons ou son pronostic de
toutes les gangrènes par oblitération artérielle, quelle que soit leur'ori-
gine.
Pronostic. — Envisagé d’une manière générale, le pronostic doit
être regardé comme sérieux. 11 y a cependant, à ce point de vue, une
distinction importante à établir d’après le degré auquel l’empoisonnement
est arrivé.
Sans doute le pronostic de l’ergotisme convulsif est déjà grave. Les
sujets peuvent succomber de différentes manières, périr au milieu des
convulsions ou par asphyxie; ils peuvent, pendant un temps plus ou
moins long, rester épileptiques ou aliénés, tomber dans une cachexie
profonde. Néanmoins ces formes, malgré ce qu’elles présentent d’inquié¬
tant, sont souvent curables, la guérison est la règle, bien que lente et
souvent entravée par des récidives : la mort est l’exception.
Il en est tout autrement de l’ergotisme gangréneux, qui entraîne trop
fréquemment une terminaison fatale. Lorsque les malades ne meurent pas,
ils arrivent, à travers mille dangers, à des mutilations souvent horribles.
Les chances d’infection putride, l’extension successive des oblitérations
artérielles et du sphacèle qui les suit, figurent parmi les conséquences
les plus funestes de l’empoisonnement par l’ergot lorsqu’il a atteint ce
degré. La gravité de la maladie est d’ailleurs en rapport avec l’étendue de
la gangrène. Quelle parité y a-t-il à établir, par exemple, entre une gan¬
grène qui se limite à l’épiderme, à la pulpe des doigts, qui se borne à
provoquer la chute des ongles, et la mortification d’un segment ou de la
totalité d’un ou de plusieurs membres?
Des circonstances accessoires peuvent en outre modifier le pronostic.
L’âge sous ce rapport exerce une grande influence. Il est établi que
ERGOTISME. — étiologie.
793
l’enfance résiste moins à l’ergotisme que les autres âges de la vie. Sur
cinq cents personnes qui, à la connaissance de Serine, furent attaquées
d’ergotisme, trois ceiîts enfants périrent, en considérant comme enfants
tous ceux qui n’avaient pas atteint l’âge de quinze ans ; ce chiffre de mor¬
talité doit être considéré comme exceptionnel; Sur 102 individus observés
par Th. 0. Heusinger, ce médecin eut 12 cas de mort à enregistrer. Pres¬
que tous eurent lieu chez des enfants âgés de moins de 12 ans.
Peut-être la maladie dure-t-elle plus longtemps chez les femmes et
sévit-elle avec plus d’intensité à l’époque de règles. C’est une question à
revoir.
Il faut tenir compte également de la manière dont les céréales ont été
affectées par la germination de l’ergot, et par conséquent de la propor¬
tion de ce poison que contiennent les farines alimentaires.
La période de temps qui s’est écoulée entre le moment où ont été ré¬
coltés les blés qui contiennent de l’ergot, exerce aussi une influence
marquée non-seulement sur le chiffre des cas observés, mais encore sur
leur gravité. Il paraît démontré qu’une épidémie qui fait de grands pro¬
grès bientôt après la moisson, dans laquelle les cas sont à ce moment
plus nombreux et plus graves, s’atténue peu à peu, bien que de l’ergot
reste encore mélangé aux grains en circulation. Il semble que l’agent
toxique perd, parles progrès du temps, par la dessiccation, une partie
de ses propriétés vénéneuses. Peut-être aussi faut-il tenir compte des
précautions que le fait même de l’épidémie engage à prendre contre sa
propagation.
Les conditions sociales jouent par rapport au pronostic de l’ergotisme,
aussi bien que relativement à son étiologie, un rôle qu’il est facile de
comprendre. On conçoit que les individus qui appartiennent aux classes
aisées soient atteints en moins grand nombre et moins gravement frappés
que ceux qui vivent dans la misère.
Leurs habitudes hygiéniques leur permettent de résister avec moins
de désavantages à l’intoxication ; les sources de celle-ci sont pour eux
moins abondantes, ils sont en situation de renoncer plus rapidement et
avec plus de facilité à une alimentation dont la qualité délétère leur est
démontrée ; plus facilement aussi peuvent-ils satisfaire aux exigences du
traitement de leur maladie.
Étiologie. — Causes prédisposantes. — Age. — Tous les âges sont
tributaires de l’empoisonnement par l’ergot; mais la comparaison des
récits qui nous ont été transmis sur un grand nombre d’épidémies, soit
dans notre siècle, soit à une époque antérieure, met hors de doute le
fait que l’enfance constitue une prédisposition fâcheuse à contracter l’er¬
gotisme aussi bien qu’à en ressentir cruellement les effets.
Il ne s’agit ici que des enfants nourris avec des farines contenant de
Tergot ; car il est curieux d’opposer à cette facilité avec laquelle ils sont
influencés par cette substance toxique, l’immunité dont jouissent les
nouveau-nés exclusivement nourris au sein, alors même que leurs mères
sont sous le coup de l’ergotisme. Il faut en conclure que les principes
794
ERGOTISME. — étiolokie.
malfaisants de l’ergot de seigle ne passent pas dans la sécrétion lactée.
b. Causes déterminantes ou occasionnelles. — La seule cause détermi¬
nante, réellement effective de l’ergotisme, c’est la présence en proportion
notable de l’ergot de seigle et très-probablement aussi de l’ergot des au¬
tres céréales dans les farines alimentaires. Comme cette vérité a été l’objet
de nombreux débats, de sérieuses contestations, nous lui devons quel¬
ques développements.
Ici les témoignages abondent; ils reposent et sur des expériences in¬
stituées avec ou sans intention sur des animaux et sur des expérimenta¬
tions réalisées chez l’homme par la fatalité des circonstances.
Les animaux nourris avec de l’ergot éprouvent du côté des fonctions
de digestion et de nutrition, aussi bien que du côté du système circula¬
toire (gangrènes), des accidents qui rappellent tout à fait ceux qu’on rat¬
tache à l’ergotisme de l’espèce humaine. 11 faut noter en outre la répu¬
gnance que montraient les animaux en expérience pour les substances
qui contenaient du seigle ergoté. Cette répugnance est consignée dans
beaucoup d’observations.
Dès 1676, Thuillier donne du blé cornu à plusieurs animaux de sa
basse-cour et les voit mourir tous. Un petit cochon mâle en bonne santé
est nourri avec du son de froment qu’on a -fait bouillir avec du seigle
ergoté. Il le refuse d’abord, et on est obligé de le lui faire avaler avec
une cuillère. Il se décide cependant à manger seul, même avec avidité.
Pendant près d’un mois il avale à peu près trois pintes de cette bouillie.
Au début, il profite à vue d’œil, mais dès qu’on a supprimé le son pour ne
plus lui donner que de l’orge avec un tiers d’ergot, sa croissance s’arrête ;
seul le ventre grossit et devient dur. [Journal des savants, 1676.)
Au bout de quinze jours, ses jambes deviennent rouges, s’enflamment
et commencent à rendre une liqueur verdâtre, de mauvaise odeur, et
dont la fétidité augmente de jour en jour. Le dessous du ventre et le dos
deviennent d’une couleur noire, la queue et les oreilles sont pendantes.
Un changement de régime ne peut rétablir l’intégrité de ses fonctions ; il
.succombe dans le marasme, et, à l’ouverture du cadavre, on trouve le mé¬
sentère, le jéjunum et surtout l’iléum enflammés; le bord tranchant du
foie présente deux grandes taches livides ; on rencontre sous la gorge et
aux jambes quelques boutons noirs et entr’ ouverts, desquels suinte une
humeur rousse; du reste, il n’y avait pas de gangrène aux pieds (F. Salerne,
d’Orléans, 1748).
Ailleurs on lit que les quatre pieds et les oreilles étaient tombés à un
cochon qui avait mangé le son de deux setiers de blé corrompu ou mêlé
d'ergot. Dans la même narration, on insiste sur la répugnance que mon¬
traient les chiens et les oiseaux de basse-cour à manger des farines infec¬
tées par l’ergot, ainsi que sur les effets désastreux que produisait sur eux
cette alimentation lorsqu’on les astreignait à en faire usage.
Pour ceux qui récuseraient la valeur de ces dernières expériences
comme entachées d’incompétence, instituées qu’elles avaient été dans
un but philanthropique par une personne étrangère à la médecine qui
ERGOTISME. — étiologie. 795
le.s avait transmises à F. Salerne, nous ajouterions celles de Read et de
l’abbé H. A. Tessier.
Read nourrit pendant quinze jours, avec du blé ergoté mêlé à du son
de froment, un cochon âgé de trois mois ; le seizième jour l’animal ne
sort plus de sa niche ; il suinte' de ses yeux et de ses oreilles une humeur
séreuse fort âcre ; le dix-septième jour, la gangrène s’empare de l’oreille
gauche, qui tombe le dix-huitième. Mort le lendemain dans les convul¬
sions. — A l’autopsie, viscères abdominaux distendus, et sur le foie une
tache gangréneuse d’un pouce de diamètre. Dans une autre expérience du
même auteur, nous voyons périr en deux ou trois minutes les mouches
qui goûtent à de l’eau miellée mêlée avec partie égale d’une décoction
concentrée de seigle ergoté.
Dans les expériences faites en Sologne par H. A. Tessier, ce sont encore
des animaux de différentes espèces, tous sains et dans la force de l’âge,
tels que canards, dindes, cochons, mis à l’usage du seigle ergoté, et qui
tous meurent avec des signes de gangrène dans divers organes extérieurs,
comme la queue, les oreilles, les pieds des quadrupèdes, le bec des oi¬
seaux, et en outre avec des taches gangréneuses au foie, aux intestins.
Ces symptômes ne présentent-ils pas une frappante ressemblance avec
les divers degrés de l’ergotisme de l’homme, et notamment avec l’ergo¬
tisme gangréneux? ce qui secomprend, si l’on réfléchit que, dans les expé¬
rimentations, les doses d’ergot sont exagérées.
Et, d’ailleurs, des expériences réalisées dans l’espèce humaine par une
nécessité fatale ne viennent-elles pas les confirmer? Ici, comme chez les
animaux, nous retrouvons une alimentation presque exclusive par l’ergot
avec des résultats semblables. Je ne veux citer qu’un exemple.
Vétillart, dans un ouvrage sur les maladies produites par le seigle
ergoté (1770), rapporte le fait suivant ; «Un pauvre homme de Noyen,
dans le Maine, voyant un fermier cribler son seigle, lui demanda la
permission d’enlever les rebuts pour en faire du pain. Le fermier lui
représenta que ce blé pourrait lui être préjudiciable , mais le besoin
l’emporta sur la crainte. Le pauvre homme fit moudre ces criblures,
composées pour la plus grande partie d’ergot, et il fit du pain avec cette
farine. Dans l’espace d’un mois, cet infortuné, sa femme et deux de ses
enfants, périrent misérablement; un troisième, qui était à la mamelle, et
qui avait mangé de la bouillie decette farine, échappa à la mort. Il vit encore,
ajoute Vétillart; mais, et c’est là un des points les plus saillants de l’obser¬
vation, quelle triste existence! sourd, muet et privé des deux jambes. »
La valeur de faits de ce genre est saisissante et dispense de plus amples
commentaires. Nous regardons comme prouvée l’opinion qui attribue à
la présence de l’ergot dans les farines, les symptômes décrits sous le
nom d’ergotisme. Ce n’est pas, pourtant, que les contradicteurs fassent
défaut à cette interprétation ; dès le siècle dernier, Serine, et, un peu plus
tard, Model {Récréations chimiques, t. II), Parmentier {Additions aux Ré¬
créations chimiques de Moûel, 1774), Schleger [Versuche mit dem Mut-
terkorn, 1770), avaient cherché à exonérer le seigle ergoté des méfaits
796
ERGOTISME. — étiologie.
dont on le chargeait, et, notamment, de l’influence qu’on lui prêtait sur
la production de la gangrène. Suivis dans cette voie par un assez grand
nombre de médecins, parmi lesquels nous devons citer Diez, Samuel
Wright (1839-1840), Aug.- Millet {Mém. de l'Académie de médecine,
1854), on administra à des animaux des doses variables d’ergot qui res¬
tèrent sans influence funeste sur leurs organismes. A différentes reprises,
et jusqu’à noire époque, des expériences de ce genre furent répétées et
restèrent également sans effets.
Ces résultats prouvent seulement que ces observations sont entachées
de causes d’erreur, entre lesquelles il faut particulièrement signaler et le
défaut de persistance dans les expérimentations, et l’insuffisance des doses
de poison qui ont été administrées.
Sans nier l’action délétère des farines altérées sur la santé de l’homme
et leur influence sur la production des accidents réunis sous le nom d’ergo¬
tisme, Linné, dans une théorie qui eut un certain retentissement a voulu
mettre hors de cause l’ergot de seigle, en soutenant que c’était au mélange
avec le blé des graines du raifort sauvage {raphanus raphanistrum), qu’il
fallait rapporter les phénomènes de la maladie des céréales. Cette opinion,
en vertu de laquelle il attribuait au raphanus l’ergotisme convulsif qui ra¬
vagea l’Ostrogothie, le Smaland et le Blekingen (Suède), fut combattue,
dès cette époque, avec avantage par plusieurs médecins suédois. Elle n’a
plus trouvé de défenseurs, et, aujourd’hui, elle est à juste titre abandon¬
née, d’autant plus que ce n’est pas dans le seigle particulièrement incri¬
miné, mais surtout dans l’orge et l’avoine qu’on trouve le raifort.
Des objections du même ordre sont applicables à l’opinion de ceux qui,
avec Kircheisen {Beobachlungen uber d. Mutterkorn, 1800), Mojon et
Silvano (Memoria délia Soc. di med. Emulazione di Genova, t. 1, 1801),
voudraient mettre sur le compte de la présence de l’ivraie tremblante les
symptômes convulsifs de l’ergotisme. Non-seulement l’ivraie tremblante
ne se rencontre qu’exceptionnellement avec le seigle, et est surtout mêlée
aux récoltes, mais encore, si elle peut donner lieu à quelques accidents
d’ébriété avec tremblement, elle est incapable de produire la série des
phénomènes pathologiques qui caractérisent le processus de l’ergotisme.
C’est le mélange, en proportion variable, de l’ergot avec les farines ali¬
mentaires qui est la cause efficiente de la maladie objet de cette étude.
Il devient ainsi facile de comprendre comment les épidémies d’ergo¬
tisme, en rapport direct avec la production de l’ergot, peuvent, suivant que
cette affection parasitaire sévit sur les seigles dans un rayon plus ou moins
considérable, se limiter à un département, à une commune, à un hameau;
bien différentes en cela des grandes épidémies, lesquelles, régies dans
leur genèse ou au moins dans leur propagation par des conditions tellu¬
riques ou atmosphériques, dont souvent l’essence nous échappe, envahis¬
sent successivement de vastes étendues de pays. Telles sont les épidémies
de grippe, de choléra.
Pour les mêmes raisons, ce n’est que médiatement, c’est-à-dire en favo¬
risant l’explosion de la maladie des blés, que les saisons, les conditions du
797
ERGOTISME. — traitement prophylactique.
sol, contribuent au développement de l’ergotisrne. On sait, en effet, que
celui-ci est surtout à redouter dans les années pluvieuses et dans les
terrains humides, marécageux.
Rappelons aussi l’importance étiologique de la proportion d’ergot con¬
tenue dans les grains, de la période de l’année à laquelle on fait usage de
farinés altérées, des conditions hygiéniques diverses que comportent des
positions sociales différentes, influences déjà signalées à l’occasion du
pronostic.
Traitement. — Il est prophylactique et thérapeutique.
A. Traitement prophylactique. — La prophylaxie doit être l’objet prin¬
cipal des préoccupations des médecins et des administrations, car lorsque
l’organisme est imprégné du principe toxique, l’intervention de la théra¬
peutique est trop souvent impuisante, ou au moins insuffisante.
Faire disparaître Tergot des céréales, ou au moins en diminuer la
proportion et en atténuer autant que possible les effets funestes, tel est
l’idéal que doit viser l’hygiène prophylactique de l’ergotisme.
La destruction de l’ergot des céréales, sa disparition de l’alimentation,
doivent être demandées aux progrès de l’agriculture, à l’amélioration du
sort des classes laborieuses, et plus spécialement des populations rurales.
Il n’est pas douteux que le dessèchement des terrains humides ou maré¬
cageux par des travaux convenables de remblais , de canalisation ou de
drainage, ne soient propres à faire cesser ou à diminuer la production
de l’ergot.
Que si, en dehors des influences atmosphériques , des améliorations
qu’il n’est pas, d’ailleurs, toujours possible de réaliser, demeurent infruc¬
tueuses, au moins faut-il conjurer, autant que possible, les effets désastreux
de la maladie des blés. !
On vulgarisera dans les populations rurales la connaissance des dangers
que leur fait courir l’usage des farines ergotées, celle des moyens propres
à les diminuer. C’est à l’aide d’affiches, de circulaires apposées et répandues
en grand nombre, insérées dans les publications particulièrement destinées
aux habitants des campagnes, qu’il faut chercher à faire connaître, jusque
dans les moindres hameaux, les dangers de l’ergot, l’importance qu’il y a
à .séparer l’ergot des blés à l’aide du criblage, et, mieux encore, au moyen
des trieurs perfectionnés que met en œuvre l’agriculture moderne.
Il faudrait, en outre, empêcher la vente sur les marchés des grains
infectés, en interdire la mouture et appuyer ces prohibitions d’une sanction
suffisante pour les rendre efficaces.
Il va de soi qu’il peut intervenir, dans les questions de cet ordre, la
nécessité pour l’État de sacrifices plus ou moins considérables, car il ne
suffit pas d’empêcher l’usage de farines empoisonnées, il faut encore, poul¬
ies classes nécessiteuses, les remplacer soit en nature, soit au moyen d’une
assistance dont le mode sera variable, par une alimentation qui satisfasse
aux lois de l’hygiène; ou tout au moins parer aux déchets qu’entraîne le
triage des blés ergotés.
Nous devons nous borner à exposer ces principes sans entrer dans des
798 ERGOTISME. — traitememt thérapeotiqde.
détails qui ressortissent particulièrement à l’agriculture, à la médecine
administrative et à la police médicale.
B. Traitement thérapeutique. — Les ressources de la thérapeutique
sont bornées. Les applications varient suivant le degré de la maladie, se¬
lon la prédominance d’un ensemble de phénomènes ou même de quelques
symptômes isolés.
Les évacuants préconisés par quelques auteurs ne sauraient être con¬
sidérées comme méthode générale de traitement. Ils ne conviennent que
dans les cas où des symptômes formels d’embarras des premières voies
en indiquent l’usage.
Les émissions sanguines, locales ou générales, peuvent être utilisées
dans quelques formes convulsives accompagnées de signes de congestion
active vers quelques organes importants, et notamment vers le système
nerveux, lorsque la maladie est à son début et que l’état de l’organisme
autorise ces spoliations. Encore faut-il en être sobre et se souvenir que la
cachexie est au bout d’une intoxication intense et prolongée. Elles ne
sauraient, en tous cas, être employées en vue de la présence ou de l’im¬
minence d’une artérite que nous avons montré ne pas exister.
C’est dans les mêmes formes que les narcotiques, les antispasmodiques,
les excitants diffusibles, les révulsifs convenablement maniés peuvent
trouver leur indication. La valériane est un des médicaments qui ale
mieux réussi à Th. 0. Heusinger.
L’extension des membres contracturés soulage les malades dans beau¬
coup de cas.
Lorsque la gangrène est menaçante ou déclarée, on cherchera, autant
que faire se pourra, à réveiller la tonicité des tissus par des frictions
excitantes (alcooliques, aromatiques), à calme);' les douleurs par des fo¬
mentations narcotiques.
Les chirurgiens qui ont écrit sur ce sujet pensent généralement qu’on
doit attendre que la gangrène soit limitée avant de songer à opérer, et
encore faut-il, lorsque cela est possible, lorsque les parties mortifiées ne
sont pas trop volumineuses, lorsque l’infection putride ne compromet
pas la vie des malades, quand l’élimination ne s’effectue pas avec trop de
lenteur, attendre de préférence la séparation spontanée des parties frap¬
pées de mort. On a d’ailleurs remarqué que la gangrène se reproduisait
trop souvent dans les parties situées au-dessus du point d’amputation ou
sur d’autres parties du corps. Barrier s’abstenait de pratiquer des ampu¬
tations dans le vif, lors même que la gangrène paraissait bien limitée ; il
se contentait de séparer les parties sphacélées lorsqu’elles ne tenaient plus
que par des tissus fibreux et osseux, et de régulariser avec les plus grands
ménagements les moignons qui présentaient des saillies osseuses ou des
lambeaux trop inégaux. (Pour plus de développements sur le traitement
des gangrènes par oblitération artérielle, voyez Gangrène.)
Dans cette période de l’ergotisme, aussi bien, du reste qu’à un degré
moins avancé, les toniques, le vin, le quinquina, une nourriture choisie
et réparatrice doivent être la base du traitement interne.
ERGOTISME. — historique. 799
Les préparations opiacées administrées à l’intérieur, les injections
hypodermiques de solutions de chlorhydrate de morphine, peuvent rendre
de grands services contre les douleurs initiales de la gangrène ergotique.
Peut-être y aurait-il lieu de recourir dans le même but aux préparations
de chloral.
Toutefois jusqu’à ce que des études plus complètes sur le chloral, qu’il
y a lieu de considérer actuellement comme un poison du cœur (Gubler)
aient définitivement déterminé les attributions de cet agent thérapeu¬
tique ; jusqu’à ce qu’on soit bien fixé en ce qui concerne l’action
de Tergot sur le cœur, jusqu’ici moins bien étudiée que son action
sur la contractilité des vaisseaux artériels, nous devons faire nos réserves
relativement à l’emploi du chloral dans l’ergotisme. En tous cas, ce mé¬
dicament au point de vue des doses ne devrait d’abord être manié dans
les expérimentations qu’avec beaucoup de prudence.
Historique. — Aucune description satisfaisante n’autorise à penser
que les effets de l’intoxication par le mélange des blés altérés aux produits
alimentaires aient été reconnues dans les âges qui précédèrent l’ère chré¬
tienne.
Ce n’est guère qu’à partir du dixième siècle que nous trouvons dans
les chroniques du temps, dans celle de Frodoart (945), dans le livre de
Rodolphe, de Incendiis (993), dans un manuscrit de l’abbaye de Saint-
Antoine (1039), dans Sigebert (1089), quelques indications qui, sous le
nom de feu sacré, de feu de Saint-Antoine, peuvent être rapportées à la
forme gangréneuse de l’ergotisme. C’est depuis celte époque jusqu’au
commencement du douzième siècle que, selon la judicieuse remarque de
Bacquias qui a écrit sur l’histoire de l’ergotisme un travail intéressant
(1864), que s’observent en France les plus fortes épidémies de cette ma¬
ladie. Alors aussi on commence à incriminer la présence dans les farines
d’un faux blé qu’on appelle rougeole dans les campagnes.
Ce mal, qui s’étend à toute la France, qui choisit, ainsi qu’il devait le
faire à plusieurs reprises, le Dauphiné comme principal théâtre de ses
ravages, nécessite une organisation spéciale de secours et provoque, de la
part du pape Urbain II, la fondation de l’ordre religieux de Saint-Antoine
consacré aux soins des malheureux atteints de l’épidémie, et dont le chef-
lieu fut établi à Vienne en Dauphiné.
L’origine de la maladie traitée dans les maisons de cet ordre, sur les
murs desquels on peignait en rouge le feu de Saint-Antoine, comme le
démontre un passage de Rabelais, ne peut laisser aucun doute dans
l’esprit.
La nature des symptômes dont les descriptions nous sont restées, la
marche lente de cette affection douloureuse, qui se terminait par la perte
d’un membre ou par celle de la vie, sa mortalité restreinte sur un nombre
relativement considérable d’individus affectés, concourent à démontrer
qu’il s’agissait de la gangrène ergotée. En 1702, on voyait encore dans
l’église de l’abbaye de Vienne, comme preuve de guérisons miracu¬
leuses, les membres desséchés et noirs, détachés par élimination spon-
800 ERGOTISME. — histomqde.
tanée, des individus qui étaient venus pour y subir un traitement.
(Bacquias.)
Jusqu’au seizième siècle, à part quelques protestations isolées, le feu
de Saint-Antoine, considéré comme un instrument de la vengeance divine
et attribué à des influences supérieures insaisissables, est complètement
négligé relativement à l’étude des causes physiques qui peuvent le pro¬
duire. Mais à l’époque de la Renaissance, l’extension du fléau, non-seule¬
ment en France, mais encore à un grand nombre de contrées de l’Europe,
provoque de la part des savants de ce temps des travaux souvent em¬
preints d’un remarquable esprit d’observation. C’est ainsi qu’en 1596,
l’épidémie de la Hesse est le point de départ de ce mémoire souvent cité
des médecins de Marbourg qui attribuent les accidents à l’usage d’un
pain dans lequel il entrait du seigle corrompu (dit ergot en Sologne). Alors
aussi la description des phénomènes nerveux de l’ergotisme figure à côté
de celle des symptômes de la gangrène. Thuillier père (1630) conclut dans
le même sens.
L’épidémie du Voigtland (1648), celle qui régna en France et en Angle¬
terre (1674 et 1675), celle de Lucerhe, donnèrent lieu aux travaux de
Willis (1661), de Brunner, de Langius (1717). L’Académie des sciences
représentée par Perrault (1672), par Bourdelin (1674) et par Dodart, se
préoccupa de la maladie qui ravageait la Sologne, la Guienne et le Gâti-
nais. Ces savants y reconnurent l’influence de l’ergot, lequel mêlé à la
farine faisait tomber les doigts.
Dès lors les travaux se multiplient. Noël, chirurgien de l’Hôtel-Dieu
d’Orléans 11710), se fait l’historien de l’épidémie de gangrène qui sévit
sur l’Orléanais et le Blésois ; Serine, et Burghart laissent une relation de
l’épidémie qui régna en Silésie (1722). L’épidémie du Brandebourg et du
Holstein (1741-1742), observée par Rosen de Rosenstein, fut rattachée à
l’action de l’ergot par le célèbre professeur de Stockholm.
Il serait trop long d’énumérer les nombreux mémoires qui se succé¬
dèrent dès lors, soit en France, soit à l’étranger. Nous devons cependant
une mention spéciale aux travaux de Mulcaille (1748), qui décrivit une
épidémie du Gâtinais, de F. Salerne, à qui on doit d’importantes expé¬
riences sur les animaux.
Wichmann (1770), un des médecins les plus considérables de l’Alle¬
magne au dix-huitième siècle, dont le nom re.ste attaché à l’histoire de
l’angine de poitrine, a tracé à la suite de l’épidémie de Zelle un remar¬
quable tableau des phénomènes nerveux de l’ergotisme.
Le rapport de Jussieu, Paulet, Saillant et l’abbé Tessier, sur le Feu de
Saint-Antoine, est un document très-utile à consulter pour ceux qui veu¬
lent faire une étude approfondie de l’ergotisme.
L’ensemble des travaux qui viennent d’être cités concluent, dans une
unanimité imposante, à l’influence de l’ergot; à peu près seuls, Model
et Parmentier cherchèrent à battre en brèche l’opinion acceptée. Leurs
protestations sont restées sans écho, et Linné, en mettant les accidents sur
le comple du raphamis raphanistrum, n’a pas été plus heureux.
ERGOTISME. — bibliographie.
SOI
Les témoignages historiques ne permettent pas d’englober dans l’ergo¬
tisme la maladie désignée au moyen âge sous le nom de mal des ardents.
Ils déposent, au contraire, dans le sens de cette idée, que le mal des
ardetits doit être rapporté à la peste à bubons. 11 y a donc lieu de rayer
cette dénomination de la synonymie de l’ergotisme.
Ce n’est que par exception qu’on a confondu avec l’ergotisme l’érysipèle
ou le zona, sous le nom de feu sacré ou de feu de Saint-Antoine, confu¬
sion qui vient de ce que les Latins donnaient le nom de feu aux maladies
caractérisées par la chaleur et la douleur.
A notre époque, les progrès cle la civilisation, de l’agriculture, l’amé¬
lioration du sort des masses populaires, ont singulièrement diminué la
fréquence des épidémies d’ergotisme; mais ce serait une erreur de partager
l’opinion de ceux qui, à l’exemple de Monneret , professent que l’ergo¬
tisme n’appartient plus qu’à l’histoire de l’art. Nous n’en voulons pour
preuve que les épidémies qui ont sévi, dans la première partie de ce
siècle, dans les départements de l’Isère, de Saône-et-Loire (Janson, Cour-
haut), et, à une époque plus rapprochée de nous, dans les départements
de l’Isère, de la Loire, de la Haute-Saône (1854 et 1855, Barrier); dans la
haute Hesse (1855 et 1856, Heusinger).
WiLLis, De morb. conïulsiv. 1661.
Dodabt, Journal des savants. 1674. — Mémoires de l’Académie royale des sciences, année
1676. Paris, 1730, t. X, p. 561.
Thuiluer, Journal des savants pour l’année 1676.
Brdhser, Ephemerides naturce curiosorum, liv. III, ch. ii, p. 224. 1699.
Noël, Mémoires de l’Académie des sciences. Paris, an 1710, p. 61.
'Waldschiiied, De morbo epidemico convulsivo, per Holsatiam grassante. Kiliæ, 1717.
Wedel et Wolf, Disputatio de morbo spasraodico maligno in Saxonia , Lusatia, vicinisque locis
grassato. lenæ, 1717.
ScRiNc et Burghaet, Épidémie de Silésie, 1725, in Satyræ medicorum Silesiacorum quæ varias
observationes exhibent. Specimen ni. Vralislaviæ et Lipsiæ, 1736-1742.
Ddhamel, Mém. de l’Acad. des sciences, an 1748. Paris, 1752, p. 528.
Mulcaille, ibid.
Salerse (F.], Mémoire sur les maladies que cause le seigle ergoté {Mém. de mathém. et de
phys. présentés à l’Acad. royale des sciences. Paris, 1775, t. II, p. 155 (t. II des Mémoires
des savants étrangers\\ .
VÉTII.LART, Mémoire sur une espèce de poison connu sous le nom d’ergot, seigle ergoté, blé
cornu. Paris, 1770.
Mémoire des membres de la Faculté de Marbourg, in Schlegcr, Yersuchen mit dem Muttcrkorn.
Casse], 1770, in-4.
Réad, Traité du seigle ergoté. 2* édition. Metz, 1774.
De Jussieu, Paulet, Saillaxt, Tessier, Recherches sur le feu de Saint-.lntoine [Mémoires de la
Société royale de médecine, 1. 1, 1779, p. 260).
Saillant, Mémoire sur la maladie convulsive épidémique attribuée par quelques observateurs à
l’ergot et confondue avec la gangrène sèche des Solognots [ibid., p. 303).
Tessier (L’abbé H. A.), Mémoire sur la maladie du seigle appelé ergot [Mémoires de la Société
royale de médecine, 1776, t. I, p. 417). — Mémoire sur les effets du seigle ergoté [ibid.,
t. Il, p. 587, 1777-1778).
-Linné, Raphania, Amœnitates Academicæ, t. VI. Erlangæ, 1789.
Rotham, Raphania, ibid.
Mojon et SiLVANO, Memoria délia Soc. di Med. Emulazione di Genova,so\. I, 1801.
Frank (Jos.), Praxeos medicæ universæ præcepta. Lipsiæ,' 1821, pars II, vol. I, sect. 2, cli. vjii ;
De morbo cereali.
Fatolle, De l’ergotisme gangréneux. Tlièse de Paris, 1834.
Janson (L.), Mémoire sur l’ergotisme gangréneux (épidémie de 1814), in Mélanges de chirurgie
et Comptes rendus de la pratique chirurgicale de l’Hôtel-Dieu de Lyon. Paris, 1844.
NOUV. DICT. HÉD. ET GHIR. I XIII. - 51
ERGOTISME. — bibliographie.
Rai6e-Delorme, JHct. de méd. en 30 vol. Paris, 1844, t. XXVIII, p. 274, art. Seigle ergoté.
Roche et Sanson, Nouveaux éléments de pathologie médico-chirurgicale, t. V. Paris, 1844.
Roussel (Théophile), De la pellagre, 1845. — Traité de la pellagre. Paris, 1866.
Barbier (F.), Épidémie d’ergotisme gangréneux, observée à l’Hôtel-Dieu de Lyon en 1854 ej
1855 (Gaz. méd. de Lyon, 1855).
Heüsisger (Th. 0.), Studien über den Ergotismus. Marburg, 1856.
Lasègde, Matériaux pour servira l’histoire de l’ergotisme convulsif épidémique^ilrcA. de méd.,
1857).
Ibvikg (cité par Jaccoud), On a form of paralysis of the lower extremities prevailihg in Allahabad
[Indian Annals of med. science, 1859).
Aardied (A.), Dict. Æhygiène publique, art. Ergotisme, t. II, 1862.
Bacqcias, Recherches historiques et nosologiques sur les maladies désignées sous les noms de
Feu sacré. Feu de Saint-Antoine, Mal des ardents (Mémoires de la Société académique de
l’Aube, 1864).
Weber (0.), in Pitha und Billroth’s Handbuch der allgemeinen und speciellen Chirurgie. Band I,
Abtheil I, S. 575. 1865.
Holmes (Ch.-L.), Effets de l’extrait d’ergot de seigle injecté dans les vaisseaux sur la pression
artérielle [Ârchwes de physiologie, mai-juin 1870).
Comme complément de cet index, voyez la bibliographie des articles Ergot (thérapeutique) et
Gangrène.
L. Desnos.
ÉRIGIVE). Voy. Airigne et Crochet.
ÉROTOMAJnE. Voy. Folie.
fin dü tome treizième
TABLE DES AUTEURS
-sr-
AVEC INDICATION DES ARTICLES CONTENUS DANS LE TOME TREIZIÈME
BAILLY (Émile). . . . Ergot de seigle (effets physiologiques et thérapeutiques), T57,
BŒCKEL (Edg.) . Érectiles (Appareils et mouvements), 721. — ^îfmeurs), 730.
DESNOS (L.) . Enghien, 318. — Ergotisme, 782. « ^ '
DESORiïIEAUX . Endoscope, 308. -
DESPRÈS (A.) . Encanthis, 1.
HARDY (A) . Éphélides, 529. ■> /.
HEURTAUX. ..... Engelure, 313. /
HIRTZ . Endermique (Méthode), 233.
JACCOUD. ...... Endocarde, Endocardites (En^cardite aiguë), 235.
JACCOUD et HALLOPEAU. Encéphale (pathologie médicale [congestion, anémie céréhrale, obli¬
tération des vaisseaux et des- artères de l’encéphale, oblitérations des
sinus veineux et des capillaires, hémorrhagie, encéphalite, encépha¬
lite chronique, sclérose de l’encéphale, hydrocéphalie, tumeurs]), 55.
JEANNEL . Encens, 2. — Ergot de seigle (histoire naturelle), 755. — Ergotine, 782.
LAUGIER (St.) . Encéphale (pathologie chirurgicale [lésions traumatiques, contusion du
cerveau, compression, plaies, inflammation traumatique des méninges
et du cerveau, ahcès intra-crâniens, corps étrangers, accidents du
cerveau, douleurs locales, épilepsie, tumeurs fongueuses de la dure-
mère]), 3.
LORAIN . Endémie, maladies endémiques causées par un vice de l’alimentation,
par l'influence du sol, d’origine parasitaire, d’origine inconnue, d’ori¬
gine miasmatique, maladies virulentes, 200. — Épuiémie, 553.
LUTON (A.) . Entozoaires, pathologie (Ascarides, Lombrieoïdes, Oxyures vermiculaires.
Pilaires, Trichines, Cysticerques, Échinocoques et kystes hydatiques,
Tænia), 378.
MARTINEAU (L.). . . Épistaxis, 651.
PANAS . Épaule (anatomie, physiologie, pathologie [luxations, traumatismes :
coiitusions et plaies, fractures de l’omoplate, arthrites scapulo-humé-
rales : hydarthrose, scapulalgie, paralysies] , opérations qui se prati¬
quent sur l’épaule), 453.
RANVIER (L.) . Épithélium, 675.
SAINT-GERMAIN (L.-A. de)._ Encéphalocèle (encéphalocèle congénitale, méningocèle), 190. —
Éponge (emploi chirurgical), 718.
VAILLANT (Léon). . . Entozoaires, histoire naturelle (nématoîdes [Ankylostomes, Strongles,
Tricocéphales, Trichines, Ascarides, Oxyures, Pilaires], trématodes
[Douve du foie, distome lancéolé, distome, hétérophie, gynécophore,
hématobie], Cestoïdes [Tænia]), 326. — Éponge (histoire naturelle),
714.
VOISIN (Aug.) . Épilepsie, 581.
d’erfuhth, 1.